atitude a perdu quelque
chose de sa dignite?
chose de sa dignite?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
Ces divers syste`mes tiennent a` l'imagination de
chaque e? crivain, et sont adopte? s par ceux qui sympathisent avec
lui; mais la direction ge? ne? rale de ces opinions est toujours la
me^me: affranchir l'a^me de l'influence des objets exte? rieurs, pla-
cer l'empire de nous en nous-me^mes, et donner a` cet empire le
devoir pour loi, et pour espe? rance une autre vie.
Sans doute, les vrais chre? tiens ont enseigne? de tout temps la
me^me doctrine: mais ce qui distingue la nouvelle e? cole alle-
mande, c'est de re? unir a` tous ces sentiments, dont on voulait
faire le partage des simples et des ignorants, la plus haute phi-
losophie et les connaissances les plus positives. Le sie`cle orgueil-
leux e? tait venu nous dire que le raisonnement et les sciences
de? truisaient toutes les perspectives de l'imagination, toutes les
terreurs de la conscience, toutes les croyances du coeur, et l'on
rougissait de la moitie? de son e^tre de? clare? e faible et presque in-
sense? e; mais ils sont arrive? s ces hommes qui, a` force de penser,
ont trouve? la the? orie de toutes les impressions naturelles; et, loin
de vouloir les e? touffer, ils nous ont fait de? couvrir la noble source
dont elles sortent. Les moralistes allemands ont releve? le senti-
ment et l'enthousiasme des de? dains d'une raison tyrannique,
qui comptait comme richesse tout ce qu'elle avait ane? anti, et
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? DE L. 4 MOHALE SCIENTIFIQUE. 467
mettait sur le lit de Procruste l'homme et la nature, afin d'en
retrancher ce que la philosophie mate? rialiste ne pouvait com-
prendre!
CHAPITRE XV.
De la morale scientifique.
On a voulu tout de? montrer, depuis que le gou^t des sciences
exactes s'est empare? des esprits ; et le calcul des probabilite? s
permettant de soumettre l'incertain me^me a` des re`gles, l'on s'est
flatte? de re? soudre mathe? matiquement toutes les difficulte? s que
pre? sentaient les questions les plus de? licates, et de faire ainsi re? -
gner l'alge`bre sur l'univers. Des philosophes, en Allemagne, ont
aussi pre? tendu donner a` la morale les avantages d'une science ri-
goureusement prouve? e dans ses principes comme dans ses con-
se? quences, et qui n'admet ni objection ni exception, de`s qu'on
en adopte la premie`re base. Kant et Fichte ont essaye? ce travail
me? taphysique, et Schleiermacher, le traducteur de Platon, et
l'auteur de plusieurs discours sur la religion, dont nous parle-
rons dans la section suivante, a publie? un livre tre`s-profond sur
l'examen des diverses morales , conside? re? es comme science. Il
voudrait en trouver une dont tous les raisonnements fussent
parfaitement enchai^ne? s, dont le principe conti^nt toutes les con-
se? quences, et dont chaque conse? quence fit reparai^tre le principe;
mais, jusqu'a` pre? sent, il ne semble pas que ce but puisse e^tre
atteint.
Les anciens ont aussi voulu faire une science de la morale,
mais ils comprenaient dans cette science les lois et le gouverne-
ment; en effet, il est impossible de fixer d'avance tous les devoirs
de la vie, quand on ignore ce que la le? gislation et les moeurs
du pays ou` l'on est peuvent exiger; c'est d'apre`s ce point de vue
que Platon a imagine? sa re? publique. L'hommeentier y est con-
side? re? sous le rapport de la religion, de la politique et de la mo-
rale; mais, comme cette re? publique ne saurait exister, on ne peut
concevoir comment, au milieu des abus de la socie? te? humaine,
un code de morale, quel qu'il fu^t, pourrait se passer de l'inter-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 48>> DE LA MOBALE SCIENTIFIQUE,
pre? tatiou habituelle de la conscience. Les philosophes recher-
chent la forme scientifique en toutes choses; on dirait qu'ils se
flattent d'enchai^ner ainsi l'avenir, et de se soustraire entie`rement
au joug des circonstances; mais ce qui nous en affranchit, c'est
notre a^me, c'est la since? rite? de notre amour intime pour la vertu.
La science de la morale n'enseigne pas plus a` e^tre un honne^te
homme, dans toute la magnificence de ce mot, que la ge? ome? trie
a` dessiner, ni la poe? tique a` trouver des fictions heureuses.
Kant, qui avait reconnu la ne? cessite? du sentiment dans les
ve? rite? s me? taphysiques, a voulu s'en passer dans la morale, et il
n'a jamais pu e? tablir, d'une manie`re incontestable, qu'un grand
fait du coeur humain, c'est que la morale a le devoir et non l'in-
te? re^t pour base; mais, pour connai^tre le devoir, il faut en appe-
ler a` sa conscience et a` la religion. Kant, en e? cartant la religion
des motifs de la morale, ne pouvait voir dans la conscience qu'un
juge, et non une voix divine; aussi n'a-t-il cesse? de pre? sentera`
ce juge des questions e? pineuses; les solutions qu'il en a donne? es,
et qu'il croyait e? videntes, n'en ont pas moins e? te? attaque? es de
mille manie`res; car ce n'est jamais que par le sentiment qu'on
arrive a` l'unanimite? d'opinion parmi les hommes.
Quelques philosophes allemands ayant reconnu l'impossibilite?
de re? diger en lois toutes les affections qui composent notre e^tre,
et de faire une science, pour ainsi dire, de tous les mouvements
du coeur, se sont contente? s d'affirmer que la morale consistait
dans l'harmonie avec soi-me^me. Sans doute, quand on n'a pas
de remords, il est probable qu'on n'est pas criminel, et, quand
me^me on commettrait des fautes d'apre`s l'opinion des autres,
si d'apre`s la sienne on a fait son devoir, on n'est pas coupable;
mais il ne faut pas se fier cependant a` ce contentement de soi-
me^me, qui semble devoir e^tre la meilleure preuve de la vertu. Il
y a des hommes qui sont parvenus a` prendre leur orgueil pour
dela conscience; le fanatisme est, pour d'autres, un mobile
de? sinte? resse? qui justifie tout a` leurs propres yeux : enfin, l'ha-
bitude du crime donne a` de certains caracte`res un genre de force
qui les affranchit du repentir, au moins tant qu'ils ne sont pas
atteints par l'infortune. Il ne s'ensuit pas de cette impossibilite? de trouver une science
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? JACORI. 489
de la morale, ou des signes universels auxquels on puisse re-
connai^tre si ses pre? ceptes sont observe? s, qu'il n'y ait pas des de-
voirs positifs qui doivent nous servir de guides; mais comme il
y a dans la destine? e de l'homme ne? cessite? et liberte? , il faut que
dans sa conduite il y ait aussi l'inspiration et la re`gle; rien de
ce qui tient a` la vertu ne peut e^tre ni tout a` fait arbitraire, ni
tout a` fait fixe? : aussi, l'une des merveilles de la religion est-
elle de re? unir au me^me degre? l'e? lan de l'amour et la soumission
a` la loi; le coeur de l'homme est ainsi tout a` la fois satisfait et
dirige? .
Je ne rendrai point compte ici de tous les syste`mes de mo-
rale scientifique qui ont e? te? publie? s en Allemagne; il en est de
tellement subtils, que, bien qu'ils traitent de notre propre na-
ture, on ne sait sur quoi s'appuyer pour les concevoir. Les phi-
losophes franc? ais ont rendu la morale singulie`rement aride, en
rapportant tout a` l'inte? re^t personnel. Quelques me? taphysiciens
allemands sont arrive? s au me^me re? sultat, en fondant ne? anmoins
toute leur doctrine sur les sacrifices. Ni les syste`mes mate? rialis-
tes , ni les syste`mes abstraits, ne peuvent donner une ide? e com-
ple`te de la vertu.
CHAPITRE XVI.
Jacobi.
Il est difficile de rencontrer, dans aucun pays, un homme de
lettres d'une nature plus distingue? e que celle de Jacobi; avec
tous les avantages de la figure et de la fortune, il s'est voue? de-
puis sa jeunesse, depuis quarante anne? es, a` la me? ditation. La
philosophie est d'ordinaire une consolation ou un asile; mais ce-
lui qui la choisit, quand toutes les circonstances lui promettent
de grands succe`s dans le monde, n'en est que plus digne de res-
pect. Entrai^ne? par son caracte`re a` reconnai^tre la puissance du
sentiment, Jacobi s'est occupe? des ide? es abstraites, surtout pour
montrer leur insuffisance. Ses e? crits sur la me? taphysique sont
tre`s-estime? s en Allemagne; cependant, c'est surtout comme
grand moraliste que sa re? putation est universelle
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? 490 ia. com.
Il a combattu le premier la morale fonde? e sur l'inte? re^t, et,
donnant pour principe a` la sienne le sentiment religieux, consi-
de? re? philosophiquement, il s'est fait une doctrine distincte de
celle de Rant, qui rapporte tout a` l'inflexible loi du devoir, et
de celle des nouveaux me? taphysiciens, qui cherchent, comme
je viens de le dire, le moyen d'appliquer la rigueur scientifique
a` la the? orie de la vertu.
Schiller, dans une e? pigramme contre le syste`me de Kant en
morale, dit: << Je trouve du plaisir a` servir mes amis; il m'est
<< agre? able d'accomplir mes devoirs: cela m'inquie`te, car alors
<< je ne suis pas vertueux. >> Cette plaisanterie porte avec elle un
sens profond; car, quoique le bonheur ne doive jamais e^tre le
but de l'accomplissement du devoir, ne? anmoins la satisfaction
inte? rieure qu'il nous cause est pre? cise? ment ce qu'on peut appeler
la be? atitude de la vertu : ce mot de be?
atitude a perdu quelque
chose de sa dignite? ; mais il faut pourtant revenir a` s'en servir,
car on a besoin d'exprimer le genre d'impressions qui fait sacrifier le bonheur, ou du moins le plaisir, a` un e? tat de l'a^me
plus doux et plus pur.
En effet, si le sentiment ne seconde pas la morale, comment
se ferait-elle obe? ir? comment unir ensemble, si ce n'est parle
sentiment, la raison et la volonte? , lorsque cette volonte? doit
faire plier nos passions? Un penseur allemand a dit qu'il n'y
avait d'autre philosophie que la religion chre? tienne, et ce n'est
certainement pas pour exclure la philosophie qu'il s'est exprime?
ainsi, c'est parce qu'il e? tait convaincu que les ide? es les plus
hautes et les plus profondes conduisaient a` de? couvrir l'accord
singulier de cette religion avec la nature de l'homme. Entre ces
deux classes de moralistes, celle qui, comme Kant et d'autres
plus abstraits encore, veut rapporter toutes les actions de la
moralea` des pre? ceptes immuables, et celle qui, comme Jacobi,
proclame qu'il faut tout abandonner a` la de? cision du sentiment,
le christianisme semble indiquer le point merveilleux ou` la loi
positive n'exclut pas l'inspiration du coeur, ni cette inspiration
la loi positive.
Jacobi, qui a tant de raisons de se confier dans la purete? de
sa conscience, a eu tort de poser en principe qu'on doit s'en re-
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? JA^CORI. 491
mettre entie`rement a` ce que le mouvement de l'a^me peut nous
conseiller; la se? cheresse de quelques e? crivains intole? rants, qui
n'admettent ni modification ni indulgence dans l'application de
quelques pre? ceptes, a jete? Jacobi dans l'exce`s contraire.
Quand les moralistes franc? ais sont se? ve`res, ils le sont a` un de-
gre? qui tue le caracte`re individuel dans l'homme; il est dans
l'esprit de la nation d'aimer en tout l'autorite? . Les philosophes
allemands, et Jacobi principalement, respectent ce qui constitue
l'existence particulie`re de chaque e^tre, et jugent les actions a`
leur source, c'est a`-dire, d'apre`s l'impulsion bonne ou mauvaise
qui les a cause? es. Il y a mille moyens d'e^tre un tre`s-mauvais
homme, sans blesser aucune loi rec? ue, comme on peut faire une
de? testable trage? die, en observant toutes les re`gles et toutes les
convenances the? a^trales. Quand l'a^me n'a pas d'e? lan naturel, elle
voudrait savoir ce qu'on doit dire et ce qu'on doit faire dans cha-
que circonstance, afm d'e^tre quitte envers elle-me^me et envers
les autres, en se soumettant a` ce qui estordonne? . La loi, cepen-
dant, ne peut apprendre en morale, comme en poe? sie, que ce
qu'il ne faut pas faire; mais en toutes choses, ce qui est bon et
sublime ne nous est re? ve? le? que par la divinite? de notre coeur.
L'utilite? publique, telle que je l'ai de? veloppe? e dans les chapi-
tres pre? ce? dents, pourrait conduire a` e^tre immoral par moralite? .
Dans les rapports prive? s, au contraire, il peut arriver quelque-
fois qu'une conduite parfaite selon le monde vienne d'un mau-
vais principe, c'est-a`-dire qu'elle tienne a` quelque chose d'aride,
de haineux et d'impitoyable. Les passions naturelles etles ta-
lents supe? rieurs de? plaisent a` ces personnes qu'on honore trop
facilement du nom de se? ve`res : elles se saisissent de leur mo-
ralite? , qu'elles disent venir de Dieu, comme un ennemi pren-
drait l'e? pe? e du pe`re pour en frapper les enfants.
Cependant, l'aversion de Jacobi contre l'inflexible rigueur de
la loi le fait aller trop loin pour s'en affranchir. << Oui, dit-il, je
<< mentirais comme Desdemona mourante '; je tromperais
<< comme Oreste, quand il voulait mourir a` la place de Pylade;
j'assassinerais comme Timole? on; je serais parjure comme
1 Desdemona, afin de sauver "i son e? poux la honte et le danger du forfait
qu'il vient de commettre, de? clare, en mourant, que c'est elle qui s'est tue? e.
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? 492 JACOBI.
<< E? paminondas et comme Jean de Witt; je me de? terminerais au
suicide comme Caton; je serais sacrile? ge comme David; car
<< j'ai la certitude en moi-me^me qu'en pardonnant a` ces fautes
selon la lettre, l'homme exerce le droit souverain que la ma-
<<jeste? de son e^tre lui confe`re; il appose le sceau de sa dignite? ,
le sceau de sa divine nature, sur la gra^ce qu'il accorde.
<< Si vous voulez e? tablir un syste`me universel et rigoureuse-
<< ment scientifique, il faut que vous soumettiez la conscience a`
<< ce syste`me qui a pe? trifie? la vie : cette conscience doit devenir
sourde, muetteet insensible, il faut arracher jusqu'aux moindres
restes de sa racine, c'est-a`-dire, du coeur de l'homme. Oui,
aussi vrai que vos formules me? taphysiques vous tiennent lieu
<< d'Apollon et des Muses, ce n'est qu'en faisant taire votre
coeur que vous pourrez vous conformer implicitement aux lois
<< sans exception, et que vous adopterez l'obe? issance roide et
<< servile qu'elles demandent : alors la conscience ne servira
<< qu'a` vous enseigner, comme un professeur dans la chaire, ce
qui est vrai au dehors de vous; et ce fanal inte? rieur ne sera
biento^t plus qu'une main de bois qui, sur les grands chemins,
indique la route aux voyageurs. >>
Jacobi est si bien guide? par ses propres sentiments, qu'il n'a
peut-e^tre pas assez re? fle? chi aux conse? quences de cette morale
pour le commun des hommes. Car, que re? pondre a` ceux qui
pre? tendraient, en s'e? cartantdu devoir, qu'ils obe? issent aux
mouvements de leur conscience? Sans doute on pourra de? cou-
vrir qu'ils sont hypocrites en parlant ainsi; mais on leur a fourni
l'argument qui peut servir a` les justifier, quoi qu'ils fassent; et
c'est beaucoup pour les hommes d'avoir des phrases a` dire en
faveur de leur conduite: ils s'en servent d'abord pour tromper
les autres, et finissent par se tromper eux-me^mes.
Dira-t-on que cette doctrine inde? pendante ne peut convenir
qu'aux caracte`res vraiment vertueux? Il ne doit point y avoir
de privile? ges me^me pour la vertu; car du moment qu'elle en
de? sire, il est probable qu'elle n'en me? rite plus. Une e? galite? su-
blime re`gne dans l'empire du devoir, et il se passe quelque
chose au fond du coeur humain, qui donne a` chaque homme,
quand il le veut since`rement, les moyens d'accomplir tout ce
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? WOLDEHAR. 493
que l'enthousiasme inspire, sans sortir des bornes de la loi
chre? tienne, qui est aussi l'oeuvre d'un saint enthousiasme.
La doctrine de Kant peut e^tre, en effet, conside? re? e comme
trop se`che, parce qu'il n'y donne pas assez d'influence a` la re-
ligion; mais il ne faut pas s'e? tonner qu'il ait e? te? porte? a` ne pas
faire du sentiment la base de sa morale, dans un temps ou` il
s'e? tait re? pandu, en Allemagne surtout, une affectation de sen-
sibilite? qui affaiblissait ne? cessairement le ressort des esprits
et des caracte`res. Un ge? nie tel que celui de Kant devait avoir
pour but de retremper les a^mes.
Les moralistes allemands dela nouvelle e? cole, si purs dans
leurs sentiments, a` quelques syste`mes abstraits qu'ils s'aban-
donnent, peuvent e^tre divise? s en trois classes: ceux qui, comme
Kant et Fichte, ont voulu donner a` la loi du devoir une the? orie
scientifique et une application inflexible; ceux, a` la te^te des-
quels Jacobi doit e^tre place? , qui prennent le sentiment religieux
et la conscience naturelle pour guides, et ceux qui, faisant de la
re? ve? lation la base de leur croyance, veulent re? unir le sentiment
et le devoir, et cherchent a` les lier ensemble par une interpre? -
tation philosophique. Ces trois classes de moralistes attaquent
tous e? galement la morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel. Elle
n'a presque plus de partisans en Allemagne; on peut y faire le
mal, mais du moins on y laisse intacte la the? orie du bien.
CHAPITRE XVII.
De Woldemar.
Le roman de Woldemar est l'ouvrage du me^me philosophe
Jacobi dont j'ai parle? dans le chapitre pre? ce? dent. Cet ouvrage
renferme des discussions philosophiques, dans lesquelles les
syste`mes de morale que professaient les e? crivains franc? ais sont
vivement attaque? s, et la doctrine de Jacobi y est de? veloppe? e
avec une admirable e? loquence. Sous ce rapport, Woldemar est
un tre`s-beau livre; mais , comme roman, je n'en aime ni la
marche ni le but.
L'auteur, qui, comme philosophe, rapporte toute la destine? e 42
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? 494 WOLDEMAR.
humaine au sentiment, peint, ce me semble, dans son ouvrage,
la sensibilite? autrement qu'elle n'est en effet. Une de? licatesse
exage? re? e, ou pluto^t une fac? on bizarre de concevoir le coeur hu-
main, peut inte? resser en the? orie, mais non quand on la met en
action, et qu'on en veut faire ainsi quelque chose de re? el.
Woldemar ressent une amitie? vive pour une personne qui ne
veut pas l'e? pouser, quoiqu'elle partage son sentiment. Il se ma-
rie avec une femme qu'il n'aime pas, parce qu'il croit trouver
en elle un caracte`re soumis et doux, qui convient au mariage.
A peine l'a-t-il e? pouse? e, qu'il est au moment de se livrer a` l'a-
mour qu'il e? prouve pour l'autre. Celle qui n'a pas voulu s'unir a`
lui l'aime toujours, mais elle est re?
chaque e? crivain, et sont adopte? s par ceux qui sympathisent avec
lui; mais la direction ge? ne? rale de ces opinions est toujours la
me^me: affranchir l'a^me de l'influence des objets exte? rieurs, pla-
cer l'empire de nous en nous-me^mes, et donner a` cet empire le
devoir pour loi, et pour espe? rance une autre vie.
Sans doute, les vrais chre? tiens ont enseigne? de tout temps la
me^me doctrine: mais ce qui distingue la nouvelle e? cole alle-
mande, c'est de re? unir a` tous ces sentiments, dont on voulait
faire le partage des simples et des ignorants, la plus haute phi-
losophie et les connaissances les plus positives. Le sie`cle orgueil-
leux e? tait venu nous dire que le raisonnement et les sciences
de? truisaient toutes les perspectives de l'imagination, toutes les
terreurs de la conscience, toutes les croyances du coeur, et l'on
rougissait de la moitie? de son e^tre de? clare? e faible et presque in-
sense? e; mais ils sont arrive? s ces hommes qui, a` force de penser,
ont trouve? la the? orie de toutes les impressions naturelles; et, loin
de vouloir les e? touffer, ils nous ont fait de? couvrir la noble source
dont elles sortent. Les moralistes allemands ont releve? le senti-
ment et l'enthousiasme des de? dains d'une raison tyrannique,
qui comptait comme richesse tout ce qu'elle avait ane? anti, et
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE L. 4 MOHALE SCIENTIFIQUE. 467
mettait sur le lit de Procruste l'homme et la nature, afin d'en
retrancher ce que la philosophie mate? rialiste ne pouvait com-
prendre!
CHAPITRE XV.
De la morale scientifique.
On a voulu tout de? montrer, depuis que le gou^t des sciences
exactes s'est empare? des esprits ; et le calcul des probabilite? s
permettant de soumettre l'incertain me^me a` des re`gles, l'on s'est
flatte? de re? soudre mathe? matiquement toutes les difficulte? s que
pre? sentaient les questions les plus de? licates, et de faire ainsi re? -
gner l'alge`bre sur l'univers. Des philosophes, en Allemagne, ont
aussi pre? tendu donner a` la morale les avantages d'une science ri-
goureusement prouve? e dans ses principes comme dans ses con-
se? quences, et qui n'admet ni objection ni exception, de`s qu'on
en adopte la premie`re base. Kant et Fichte ont essaye? ce travail
me? taphysique, et Schleiermacher, le traducteur de Platon, et
l'auteur de plusieurs discours sur la religion, dont nous parle-
rons dans la section suivante, a publie? un livre tre`s-profond sur
l'examen des diverses morales , conside? re? es comme science. Il
voudrait en trouver une dont tous les raisonnements fussent
parfaitement enchai^ne? s, dont le principe conti^nt toutes les con-
se? quences, et dont chaque conse? quence fit reparai^tre le principe;
mais, jusqu'a` pre? sent, il ne semble pas que ce but puisse e^tre
atteint.
Les anciens ont aussi voulu faire une science de la morale,
mais ils comprenaient dans cette science les lois et le gouverne-
ment; en effet, il est impossible de fixer d'avance tous les devoirs
de la vie, quand on ignore ce que la le? gislation et les moeurs
du pays ou` l'on est peuvent exiger; c'est d'apre`s ce point de vue
que Platon a imagine? sa re? publique. L'hommeentier y est con-
side? re? sous le rapport de la religion, de la politique et de la mo-
rale; mais, comme cette re? publique ne saurait exister, on ne peut
concevoir comment, au milieu des abus de la socie? te? humaine,
un code de morale, quel qu'il fu^t, pourrait se passer de l'inter-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 48>> DE LA MOBALE SCIENTIFIQUE,
pre? tatiou habituelle de la conscience. Les philosophes recher-
chent la forme scientifique en toutes choses; on dirait qu'ils se
flattent d'enchai^ner ainsi l'avenir, et de se soustraire entie`rement
au joug des circonstances; mais ce qui nous en affranchit, c'est
notre a^me, c'est la since? rite? de notre amour intime pour la vertu.
La science de la morale n'enseigne pas plus a` e^tre un honne^te
homme, dans toute la magnificence de ce mot, que la ge? ome? trie
a` dessiner, ni la poe? tique a` trouver des fictions heureuses.
Kant, qui avait reconnu la ne? cessite? du sentiment dans les
ve? rite? s me? taphysiques, a voulu s'en passer dans la morale, et il
n'a jamais pu e? tablir, d'une manie`re incontestable, qu'un grand
fait du coeur humain, c'est que la morale a le devoir et non l'in-
te? re^t pour base; mais, pour connai^tre le devoir, il faut en appe-
ler a` sa conscience et a` la religion. Kant, en e? cartant la religion
des motifs de la morale, ne pouvait voir dans la conscience qu'un
juge, et non une voix divine; aussi n'a-t-il cesse? de pre? sentera`
ce juge des questions e? pineuses; les solutions qu'il en a donne? es,
et qu'il croyait e? videntes, n'en ont pas moins e? te? attaque? es de
mille manie`res; car ce n'est jamais que par le sentiment qu'on
arrive a` l'unanimite? d'opinion parmi les hommes.
Quelques philosophes allemands ayant reconnu l'impossibilite?
de re? diger en lois toutes les affections qui composent notre e^tre,
et de faire une science, pour ainsi dire, de tous les mouvements
du coeur, se sont contente? s d'affirmer que la morale consistait
dans l'harmonie avec soi-me^me. Sans doute, quand on n'a pas
de remords, il est probable qu'on n'est pas criminel, et, quand
me^me on commettrait des fautes d'apre`s l'opinion des autres,
si d'apre`s la sienne on a fait son devoir, on n'est pas coupable;
mais il ne faut pas se fier cependant a` ce contentement de soi-
me^me, qui semble devoir e^tre la meilleure preuve de la vertu. Il
y a des hommes qui sont parvenus a` prendre leur orgueil pour
dela conscience; le fanatisme est, pour d'autres, un mobile
de? sinte? resse? qui justifie tout a` leurs propres yeux : enfin, l'ha-
bitude du crime donne a` de certains caracte`res un genre de force
qui les affranchit du repentir, au moins tant qu'ils ne sont pas
atteints par l'infortune. Il ne s'ensuit pas de cette impossibilite? de trouver une science
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? JACORI. 489
de la morale, ou des signes universels auxquels on puisse re-
connai^tre si ses pre? ceptes sont observe? s, qu'il n'y ait pas des de-
voirs positifs qui doivent nous servir de guides; mais comme il
y a dans la destine? e de l'homme ne? cessite? et liberte? , il faut que
dans sa conduite il y ait aussi l'inspiration et la re`gle; rien de
ce qui tient a` la vertu ne peut e^tre ni tout a` fait arbitraire, ni
tout a` fait fixe? : aussi, l'une des merveilles de la religion est-
elle de re? unir au me^me degre? l'e? lan de l'amour et la soumission
a` la loi; le coeur de l'homme est ainsi tout a` la fois satisfait et
dirige? .
Je ne rendrai point compte ici de tous les syste`mes de mo-
rale scientifique qui ont e? te? publie? s en Allemagne; il en est de
tellement subtils, que, bien qu'ils traitent de notre propre na-
ture, on ne sait sur quoi s'appuyer pour les concevoir. Les phi-
losophes franc? ais ont rendu la morale singulie`rement aride, en
rapportant tout a` l'inte? re^t personnel. Quelques me? taphysiciens
allemands sont arrive? s au me^me re? sultat, en fondant ne? anmoins
toute leur doctrine sur les sacrifices. Ni les syste`mes mate? rialis-
tes , ni les syste`mes abstraits, ne peuvent donner une ide? e com-
ple`te de la vertu.
CHAPITRE XVI.
Jacobi.
Il est difficile de rencontrer, dans aucun pays, un homme de
lettres d'une nature plus distingue? e que celle de Jacobi; avec
tous les avantages de la figure et de la fortune, il s'est voue? de-
puis sa jeunesse, depuis quarante anne? es, a` la me? ditation. La
philosophie est d'ordinaire une consolation ou un asile; mais ce-
lui qui la choisit, quand toutes les circonstances lui promettent
de grands succe`s dans le monde, n'en est que plus digne de res-
pect. Entrai^ne? par son caracte`re a` reconnai^tre la puissance du
sentiment, Jacobi s'est occupe? des ide? es abstraites, surtout pour
montrer leur insuffisance. Ses e? crits sur la me? taphysique sont
tre`s-estime? s en Allemagne; cependant, c'est surtout comme
grand moraliste que sa re? putation est universelle
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? 490 ia. com.
Il a combattu le premier la morale fonde? e sur l'inte? re^t, et,
donnant pour principe a` la sienne le sentiment religieux, consi-
de? re? philosophiquement, il s'est fait une doctrine distincte de
celle de Rant, qui rapporte tout a` l'inflexible loi du devoir, et
de celle des nouveaux me? taphysiciens, qui cherchent, comme
je viens de le dire, le moyen d'appliquer la rigueur scientifique
a` la the? orie de la vertu.
Schiller, dans une e? pigramme contre le syste`me de Kant en
morale, dit: << Je trouve du plaisir a` servir mes amis; il m'est
<< agre? able d'accomplir mes devoirs: cela m'inquie`te, car alors
<< je ne suis pas vertueux. >> Cette plaisanterie porte avec elle un
sens profond; car, quoique le bonheur ne doive jamais e^tre le
but de l'accomplissement du devoir, ne? anmoins la satisfaction
inte? rieure qu'il nous cause est pre? cise? ment ce qu'on peut appeler
la be? atitude de la vertu : ce mot de be?
atitude a perdu quelque
chose de sa dignite? ; mais il faut pourtant revenir a` s'en servir,
car on a besoin d'exprimer le genre d'impressions qui fait sacrifier le bonheur, ou du moins le plaisir, a` un e? tat de l'a^me
plus doux et plus pur.
En effet, si le sentiment ne seconde pas la morale, comment
se ferait-elle obe? ir? comment unir ensemble, si ce n'est parle
sentiment, la raison et la volonte? , lorsque cette volonte? doit
faire plier nos passions? Un penseur allemand a dit qu'il n'y
avait d'autre philosophie que la religion chre? tienne, et ce n'est
certainement pas pour exclure la philosophie qu'il s'est exprime?
ainsi, c'est parce qu'il e? tait convaincu que les ide? es les plus
hautes et les plus profondes conduisaient a` de? couvrir l'accord
singulier de cette religion avec la nature de l'homme. Entre ces
deux classes de moralistes, celle qui, comme Kant et d'autres
plus abstraits encore, veut rapporter toutes les actions de la
moralea` des pre? ceptes immuables, et celle qui, comme Jacobi,
proclame qu'il faut tout abandonner a` la de? cision du sentiment,
le christianisme semble indiquer le point merveilleux ou` la loi
positive n'exclut pas l'inspiration du coeur, ni cette inspiration
la loi positive.
Jacobi, qui a tant de raisons de se confier dans la purete? de
sa conscience, a eu tort de poser en principe qu'on doit s'en re-
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? JA^CORI. 491
mettre entie`rement a` ce que le mouvement de l'a^me peut nous
conseiller; la se? cheresse de quelques e? crivains intole? rants, qui
n'admettent ni modification ni indulgence dans l'application de
quelques pre? ceptes, a jete? Jacobi dans l'exce`s contraire.
Quand les moralistes franc? ais sont se? ve`res, ils le sont a` un de-
gre? qui tue le caracte`re individuel dans l'homme; il est dans
l'esprit de la nation d'aimer en tout l'autorite? . Les philosophes
allemands, et Jacobi principalement, respectent ce qui constitue
l'existence particulie`re de chaque e^tre, et jugent les actions a`
leur source, c'est a`-dire, d'apre`s l'impulsion bonne ou mauvaise
qui les a cause? es. Il y a mille moyens d'e^tre un tre`s-mauvais
homme, sans blesser aucune loi rec? ue, comme on peut faire une
de? testable trage? die, en observant toutes les re`gles et toutes les
convenances the? a^trales. Quand l'a^me n'a pas d'e? lan naturel, elle
voudrait savoir ce qu'on doit dire et ce qu'on doit faire dans cha-
que circonstance, afm d'e^tre quitte envers elle-me^me et envers
les autres, en se soumettant a` ce qui estordonne? . La loi, cepen-
dant, ne peut apprendre en morale, comme en poe? sie, que ce
qu'il ne faut pas faire; mais en toutes choses, ce qui est bon et
sublime ne nous est re? ve? le? que par la divinite? de notre coeur.
L'utilite? publique, telle que je l'ai de? veloppe? e dans les chapi-
tres pre? ce? dents, pourrait conduire a` e^tre immoral par moralite? .
Dans les rapports prive? s, au contraire, il peut arriver quelque-
fois qu'une conduite parfaite selon le monde vienne d'un mau-
vais principe, c'est-a`-dire qu'elle tienne a` quelque chose d'aride,
de haineux et d'impitoyable. Les passions naturelles etles ta-
lents supe? rieurs de? plaisent a` ces personnes qu'on honore trop
facilement du nom de se? ve`res : elles se saisissent de leur mo-
ralite? , qu'elles disent venir de Dieu, comme un ennemi pren-
drait l'e? pe? e du pe`re pour en frapper les enfants.
Cependant, l'aversion de Jacobi contre l'inflexible rigueur de
la loi le fait aller trop loin pour s'en affranchir. << Oui, dit-il, je
<< mentirais comme Desdemona mourante '; je tromperais
<< comme Oreste, quand il voulait mourir a` la place de Pylade;
j'assassinerais comme Timole? on; je serais parjure comme
1 Desdemona, afin de sauver "i son e? poux la honte et le danger du forfait
qu'il vient de commettre, de? clare, en mourant, que c'est elle qui s'est tue? e.
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? 492 JACOBI.
<< E? paminondas et comme Jean de Witt; je me de? terminerais au
suicide comme Caton; je serais sacrile? ge comme David; car
<< j'ai la certitude en moi-me^me qu'en pardonnant a` ces fautes
selon la lettre, l'homme exerce le droit souverain que la ma-
<<jeste? de son e^tre lui confe`re; il appose le sceau de sa dignite? ,
le sceau de sa divine nature, sur la gra^ce qu'il accorde.
<< Si vous voulez e? tablir un syste`me universel et rigoureuse-
<< ment scientifique, il faut que vous soumettiez la conscience a`
<< ce syste`me qui a pe? trifie? la vie : cette conscience doit devenir
sourde, muetteet insensible, il faut arracher jusqu'aux moindres
restes de sa racine, c'est-a`-dire, du coeur de l'homme. Oui,
aussi vrai que vos formules me? taphysiques vous tiennent lieu
<< d'Apollon et des Muses, ce n'est qu'en faisant taire votre
coeur que vous pourrez vous conformer implicitement aux lois
<< sans exception, et que vous adopterez l'obe? issance roide et
<< servile qu'elles demandent : alors la conscience ne servira
<< qu'a` vous enseigner, comme un professeur dans la chaire, ce
qui est vrai au dehors de vous; et ce fanal inte? rieur ne sera
biento^t plus qu'une main de bois qui, sur les grands chemins,
indique la route aux voyageurs. >>
Jacobi est si bien guide? par ses propres sentiments, qu'il n'a
peut-e^tre pas assez re? fle? chi aux conse? quences de cette morale
pour le commun des hommes. Car, que re? pondre a` ceux qui
pre? tendraient, en s'e? cartantdu devoir, qu'ils obe? issent aux
mouvements de leur conscience? Sans doute on pourra de? cou-
vrir qu'ils sont hypocrites en parlant ainsi; mais on leur a fourni
l'argument qui peut servir a` les justifier, quoi qu'ils fassent; et
c'est beaucoup pour les hommes d'avoir des phrases a` dire en
faveur de leur conduite: ils s'en servent d'abord pour tromper
les autres, et finissent par se tromper eux-me^mes.
Dira-t-on que cette doctrine inde? pendante ne peut convenir
qu'aux caracte`res vraiment vertueux? Il ne doit point y avoir
de privile? ges me^me pour la vertu; car du moment qu'elle en
de? sire, il est probable qu'elle n'en me? rite plus. Une e? galite? su-
blime re`gne dans l'empire du devoir, et il se passe quelque
chose au fond du coeur humain, qui donne a` chaque homme,
quand il le veut since`rement, les moyens d'accomplir tout ce
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? WOLDEHAR. 493
que l'enthousiasme inspire, sans sortir des bornes de la loi
chre? tienne, qui est aussi l'oeuvre d'un saint enthousiasme.
La doctrine de Kant peut e^tre, en effet, conside? re? e comme
trop se`che, parce qu'il n'y donne pas assez d'influence a` la re-
ligion; mais il ne faut pas s'e? tonner qu'il ait e? te? porte? a` ne pas
faire du sentiment la base de sa morale, dans un temps ou` il
s'e? tait re? pandu, en Allemagne surtout, une affectation de sen-
sibilite? qui affaiblissait ne? cessairement le ressort des esprits
et des caracte`res. Un ge? nie tel que celui de Kant devait avoir
pour but de retremper les a^mes.
Les moralistes allemands dela nouvelle e? cole, si purs dans
leurs sentiments, a` quelques syste`mes abstraits qu'ils s'aban-
donnent, peuvent e^tre divise? s en trois classes: ceux qui, comme
Kant et Fichte, ont voulu donner a` la loi du devoir une the? orie
scientifique et une application inflexible; ceux, a` la te^te des-
quels Jacobi doit e^tre place? , qui prennent le sentiment religieux
et la conscience naturelle pour guides, et ceux qui, faisant de la
re? ve? lation la base de leur croyance, veulent re? unir le sentiment
et le devoir, et cherchent a` les lier ensemble par une interpre? -
tation philosophique. Ces trois classes de moralistes attaquent
tous e? galement la morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel. Elle
n'a presque plus de partisans en Allemagne; on peut y faire le
mal, mais du moins on y laisse intacte la the? orie du bien.
CHAPITRE XVII.
De Woldemar.
Le roman de Woldemar est l'ouvrage du me^me philosophe
Jacobi dont j'ai parle? dans le chapitre pre? ce? dent. Cet ouvrage
renferme des discussions philosophiques, dans lesquelles les
syste`mes de morale que professaient les e? crivains franc? ais sont
vivement attaque? s, et la doctrine de Jacobi y est de? veloppe? e
avec une admirable e? loquence. Sous ce rapport, Woldemar est
un tre`s-beau livre; mais , comme roman, je n'en aime ni la
marche ni le but.
L'auteur, qui, comme philosophe, rapporte toute la destine? e 42
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? 494 WOLDEMAR.
humaine au sentiment, peint, ce me semble, dans son ouvrage,
la sensibilite? autrement qu'elle n'est en effet. Une de? licatesse
exage? re? e, ou pluto^t une fac? on bizarre de concevoir le coeur hu-
main, peut inte? resser en the? orie, mais non quand on la met en
action, et qu'on en veut faire ainsi quelque chose de re? el.
Woldemar ressent une amitie? vive pour une personne qui ne
veut pas l'e? pouser, quoiqu'elle partage son sentiment. Il se ma-
rie avec une femme qu'il n'aime pas, parce qu'il croit trouver
en elle un caracte`re soumis et doux, qui convient au mariage.
A peine l'a-t-il e? pouse? e, qu'il est au moment de se livrer a` l'a-
mour qu'il e? prouve pour l'autre. Celle qui n'a pas voulu s'unir a`
lui l'aime toujours, mais elle est re?
