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AUTOMNE MALADE

Automne malade et adore
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neige
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits murs
Au fond du ciel
Des eperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aime

Aux lisieres lointaines
Les cerfs ont brame

Et que j'aime o saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la foret qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille a feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'ecoule


HOTELS

La chambre est veuve
Chacun pour soi
Presence neuve
On paye au mois

Le patron doute
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton

Le bruit des fiacres
Mon voisin laid
Qui fume un acre
Tabac anglais

O La Valliere
Qui boite et rit
De mes prieres
Table de nuit

Et tous ensemble
Dans cet hotel
Savons la langue
Comme a Babel

Fermons nos Portes
A double tour
Chacun apporte
Son seul amour


CORS DE CHASSE

Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d'un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun detail indifferent
Ne rend notre amour pathetique

Et Thomas de Quincey buvant
L'opium poison doux et chaste
A sa pauvre Anne allait revant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent

Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent


VENDEMIAIRE

Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi
Je vivais a l'epoque ou finissaient les rois
Tour a tour ils mouraient silencieux et tristes
Et trois fois courageux devenaient trismegistes

Que Paris etait beau a la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne ou les pampres
Repandaient leur clarte sur la ville et la-haut
Astres murs becquetes par les ivres oiseaux
De ma gloire attendaient la vendange de l'aube

Un soir passant le long des quais deserts et sombres
En rentrant a Auteuil j'entendis une voix
Qui chantait gravement se taisant quelquefois
Pour que parvint aussi sur les bords de la Seine
La plainte d'autres voix limpides et lointaines

Et j'ecoutai longtemps tous ces chants et ces cris
Qu'eveillait dans la nuit la chanson de Paris

J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde

Je vis alors que deja ivre dans la vigne Paris
Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux qui aux treilles chanterent

Et Rennes repondit avec Quimper et Vannes
Nous voici o Paris Nos maisons nos habitants
Ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil
Se sacrifient pour te desalterer trop avide merveille
Nous t'apportons tous les cerveaux les cimetieres les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n'entendras pas
Et d'amont en aval nos pensees o rivieres
Les oreilles des ecoles et nos mains rapprochees
Aux doigts allonges nos mains les clochers
Et nous t'apportons aussi cette souple raison
Que le mystere clot comme une porte la maison
Ce mystere           de la galanterie
Ce mystere fatal fatal d'une autre vie
Double raison qui est au-dela de la beaute
Et que la Grece n'a pas connue ni l'Orient
Double raison de la Bretagne ou lame a lame
L'ocean chatre peu a peu l'ancien continent

Et les villes du Nord repondirent gaiement

O Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cites ou degoisent et chantent
Les metalliques saints de nos saintes usines
Nos cheminees a ciel ouvert engrossent les nuees
Comme fit autrefois l'Ixion mecanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Ou les ouvriers nus semblables a nos doigts
Fabriquent du reel a tant par heure
Nous te donnons tout cela

Et Lyon repondit tandis que les anges de Fourvieres
Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prieres

Desaltere-toi Paris avec les divines paroles
Que mes levres le Rhone et la Saone murmurent
Toujours le meme culte de sa mort renaissant
Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang
Heureuse pluie o gouttes tiedes o douleur
Un enfant regarde les fenetres s'ouvrir
Et des grappes de tetes a d'ivres oiseaux s'offrit

Les villes du Midi repondirent alors

Noble Paris seule raison qui vis encore
Qui fixes notre humeur selon ta destinee
Et toi qui te retires Mediterranee
Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties
Ces tres hautes amours et leur danse orpheline
Deviendront o Paris le vin pur que tu aimes

Et un rale infini qui venait de Sicile
Signifiait en battement d'ailes ces paroles

Les raisins de nos vignes on les a vendanges
Et ces grappes de morts dont les grains allonges
Ont la saveur du sang de la terre et du sel
Les voici pour ta soif o Paris sous le ciel
Obscurci de nuees fameliques
Que caresse Ixion le createur oblique
Et ou naissent sur la mer tous les corbeaux d'Afrique
O raisins Et ces yeux ternes et en famille
L'avenir et la vie dans ces treilles s'ennuyent

Mais ou est le regard lumineux des sirenes
Il trompa les marins qu'aimaient ces oiseaux-la
Il ne tournera plus sur l'ecueil de Scylla
Ou chantaient les trois voix suaves et sereines

Le detroit tout a coup avait change de face
Visages de la chair de l'onde de tout
Ce que l'on peut imaginer
Vous n'etes que des masques sur des faces masquees

Il souriait jeune nageur entre les rives
Et les noyes flottant sur son onde nouvelle
Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives
Elles dirent adieu au gouffre et a l'ecueil
A leurs pales epoux couches sur les terrasses
Puis ayant pris leur vol vers le brulant soleil
Les suivirent dans l'onde ou s'enfoncent les astres

Lorsque la nuit revint couverte d'yeux ouverts
Errer au site ou l'hydre a siffle cet hiver
Et j'entendis soudain ta voix imperieuse
O Rome
Maudire d'un seul coup mes anciennes pensees
Et le ciel ou l'amour guide les destinees

Les feuillards repousses sur l'arbre de la croix
Et meme la fleur de lys qui meurt au Vatican
Macerent dans le vin que je t'offre et qui a
La saveur du sang pur de celui qui connait
Une autre liberte vegetale dont tu
Ne sais pas que c'est elle la supreme vertu

Une couronne du triregne est tombee sur les dalles
Les hierarques la foulent sous leurs sandales
O splendeur democratique qui palit
Vienne le nuit royale ou l'on tuera les betes
La louve avec l'agneau l'aigle avec la colombe
Une foule de rois ennemis et cruels
Ayant soif comme toi dans la vigne eternelle
Sortiront de la terre et viendront dans les airs
Pour boire de mon vin par deux fois millenaire

La Moselle et le Rhin se joignent en silence
C'est l'Europe qui prie nuit et jour a Coblence
Et moi qui m'attardais sur le quai a Auteuil
Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles
Du cep lorsqu'il est temps j'entendis la priere
Qui joignait la limpidite de ces rivieres

O Paris le vin de ton pays est meilleur que celui
Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord
Tous les grains ont muri pour cette soif terrible
Mes grappes d'hommes forts saignent dans le pressoir
Tu boiras a longs traits tout le sang de l'Europe
Parce que tu es beau et que seul tu es noble
Parce que c'est dans toi que Dieu peut devenir
Et tous mes vignerons dans ces belles maisons
Qui refletent le soir leurs feux dans nos deux eaux
Dans ces belles maisons nettement blanches et noires
Sans savoir que tu es la realite chantent ta gloire
Mais nous liquides mains jointes pour la priere
Nous menons vers le sel les eaux aventurieres
Et la ville entre nous comme entre des ciseaux
Ne reflete en dormant nul feu dans ses deux eaux
Dont quelque sifflement lointain parfois s'elance
Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence

Les villes repondaient maintenant par centaines
Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines
Et Treves la ville ancienne
A leur voix melait la sienne
L'univers tout entier concentre dans ce vin
Qui contenait les mers les animaux les plantes
Les cites les destins et les astres qui chantent
Les hommes a genoux sur la rive du ciel
Et le docile fer notre bon compagnon
Le feu qu'il faut aimer comme on s'aime soi-meme
Tous les fiers trepasses qui sont un sous mon front
L'eclair qui luit ainsi qu'une pensee naissante
Tous les noms six par six les nombres un a un
Des kilos de papier tordus comme des flammes
Et ceux-la qui sauront blanchir nos ossements
Les bons vers immortels qui s'ennuient patiemment
Des armees rangees en bataille
Des forets de crucifix et mes demeures lacustres
Au bord des yeux de celle que j'aime tant

Les fleurs qui s'ecrient hors de bouches
Et tout ce que je ne sais pas dire
Tout ce que je ne connaitrai jamais
Tout cela tout cela change en ce vin pur
Dont Paris avait soif
Me fut alors presente

Actions belles journees sommeils terribles
Vegetation Accouplements musiques eternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous rassemblez et qui nous ressemblez
Je vous ai bus et ne fut pas desaltere

Mais je connus des lors quelle saveur a l'univers

Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers
Sur le quai d'ou je voyais l'onde couler et dormir les belandres

Ecoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s'il me plait l'univers

Ecoutez mes chants d'universelle ivrognerie

Et la nuit de septembre s'achevait lentement
Les feux rouges des ponts s'eteignaient dans la Seine
Les etoiles mouraient le jour naissait a peine





End of the Project Gutenberg EBook of Alcools, by Guillaume Apollinaire

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