en toutes choses, qui est une
excellente
donne?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
hathitrust.
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? DE L ALLEMAGNE. 15
bonhomie. Les maisons, dans plusieurs villes , sou^l peintes en
dehors de diverses couleurs: on y voit des figures de saints,
des ornements de tout genre, dont le gou^t n'est assure? ment pas
parfait, mais qui varient l'aspect des habitations et semblent
indiquer un de? sir bienveillant de plaire a` ses concitoyens et aux
e? trangers. L'e? clat et la splendeur d'un palais servent a` l'amour-
propre de celui qui le posse`de; mais la de? coration soigne? e, la
parure et la bonne intention des petites demeures ont quelque
chose d'hospitalier. Les jardins sont presque aussi beaux dans quelques parties
de l'Allemagne qu'en Angleterre; le luxe des jardins suppose
toujours qu'on aime la nature. En Angleterre, des maisons tre`s-simples sont ba^ties au milieu des parcs les plus magnifiques; le
proprie? taire ne? glige sa demeure, et pare avec soin la campagne.
Cette magnificence et cette simplicite? re? unies n'existent su^re-
ment pas au me^me degre? en Allemagne ; cependant, a` travers
le manque de fortune et l'orgueil fe? odal, on aperc? oit en tout un
certain amour du beau qui, to^t ou tard, doit donner du gou^t et
de la gra^ce, puisqu'il en est la ve? ritable source. Souvent, au mi-
lieu des superbes jardins des princes allemands, l'on place des
harpes e? oliennes pre`s des grottes entoure? es de fleurs, afin que
le vent transporte dans les airs des sons et des parfums tout
ensemble. L'imagination des habitants du Nord ta^che ainsi de
se composer une nature d'Italie; et pendant les jours brillants
d'un e? te? rapide, l'on parvient quelquefois a` s'y tromper.
CHAPITRE II.
Des moeurs et du caracte`re des Allemands.
Quelques traits principaux peuvent seuls convenir e? galement
a` toute la nation allemande; car les diversite? s de ce pays sont
telles, qu'on ne saitcomment re? unir sous un me^me point de vue
des religions, des gouvernements, des climats, des peuples me^me
si diffe? rents. L'Allemagne du Midi est, a` beaucoup d'e? gards,
tout autre que celle du Nord; les villes de commerce ne ressem-
blent point aux villes ce? le`bres par leurs universite? s; les petits
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? 16 MES MJLtiRS
E? tals cliffe`reut sensiblement des deux grandes monarchies, la
Prusse et l'Autriche. L'Allemagne e? tait une fe? de? ration aristo-
cratique; cet empire n'avait point un centre commun de lu-
mie`res et d'esprit public; il ne formait pas une nation com-
pacte, et le lien manquait au faisceau. Cette division de l'Alle-
magne, funeste a` sa force politique, e? tait cependant tre`s-favo-
rable aux essais de tout genre que pouvaient tenter le ge? nie et
l'imagination. Il y avait une sorte d'anarchie douce et paisible,
en fait d'opinions litte? raires et me? taphysiques, qui permettait
a` chaque homme le de? veloppement entier de sa manie`re de voir
individuelle.
Comme il n'existe point de capitale ou` se rassemble la bonne
compagnie de toute l'Allemagne, l'esprit de socie? te? y exerce peu
de pouvoir; l'empire du gou^t et l'arme du ridicule y sont sans
influence. La plupart des e? crivains et des penseurs travaillent
dans la solitude, ou seulement entoure? s d'un petit cercle qu'ils
dominent. Ils se laissent aller, chacun se? pare? ment, a` tout ce
que leur inspire une imagination sans contrainte; et si l'on
peut apercevoir quelques traces de l'ascendant de la mode en
Allemagne, c'est par le de? sir que chacun e? prouve de se montrer
tout a` fait diffe? rent des autres. En France, au contraire, chacun
aspire a` me? riter ce que Montesquieu disait de Voltaire: II a plus
que personne l'esprit que tout le monde a. Les e? crivains alle-
mands imiteraient plus volontiers encore les e? trangers que leurs
compatriotes.
En litte? rature, comme en politique, les Allemands ont trop
de conside? ration pour les e? trangers, et pas assez de pre? juge? s na-
tionaux. C'est une qualite? dans les individus que l'abne? gation de
soi-me^me et l'estime des autres; mais le patriotisme des nations
doit e^tre e? goi? ste. La fierte? des Anglais sert puissamment a` leur
existence politique; la bonne opinion que les Franc? ais ont d'eux-me^mes a toujours beaucoup contribue? a` leur ascendant sur l'Eu-
rope; le noble orgueil des Espagnols les a rendus jadissouverains
d'une portion du monde. Les Allemands sont Saxons, Prussiens,
Bavarois, Autrichiens; mais le caracte`re germanique, sur lequel
devrait se fonder la force de-tous, est morcele? comme la terre
me^me qui a tant de diffe? rents mai^tres.
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? DES ALLEMANDS. 17
J'examinerai se? pare? ment l'Allemagne du Midi et celledu Nord:
mais je me bornerai maintenant aux re? flexions qui conviennent
a lanation entie`re. Les Allemands ont en ge? ne? ral de la since? rite?
et de la fide? lite? ; ils ne manquent presque jamais a` leur parole,
et la tromperie leur est e? trange`re. Si ce de? faut s'introduisait ja-
mais en Allemagne, ce ne pourrait e^tre que par l'envie d'imiter
les e? trangers, de se montrer aussi habile qu'eux, et surtout de
n'e^tre pas leur dupe; mais le bon sens et le bon coeur rame`ne-
raient biento^t les Allemands a` sentir qu'on n'est fort que par
sa propre nature, et que l'habitude de l'honne^tete? rend tout a`
fait incapable, me^me quand on le veut, de se servir de la ruse.
Il faut, pour tirer parti de l'immoralite? , e^tre arme? tout a` fait
a` la le? ge`re, et ne pas porter en soi-me^me une conscience et
des scrupules qui vous arre^tent a` moitie? chemin, et vous font
e? prouver d'autant plus vivement le regret d'avoir quitte? l'an-
cienne route, qu'il vous est impossible d'avancer hardiment dans
la nouvelle.
Il est aise? , je le crois, de de? montrer que, sans la morale,
tout est hasard et te? ne`bres. Ne? anmoins on a vu souvent chez les
nations latines une politique singulie`rement adroite dans l'art
de s'affranchir de tous les devoirs; mais on peut le dire a` la
gloire de la nation allemande, elle a presque l'incapacite? de cette
souplesse hardie qui fait plier toutes les ve? rite? s pour tous les in-
te? re^ts, et sacrifie tous les engagements a` tous les calculs. Ses
de? fauts, comme ses qualite? s, la soumettent a` l'honorable ne? -
cessite? de la justice.
La puissance du travail et de la re? flexion est aussi l'un des
traits distinctifs de la nation allemande. Elle est naturellement
litte? raire et philosophique; toutefois la se? paration des classes, qui est plus prononce? e en Allemagne que partout ailleurs, parce
que la socie? te? n'en adoucit pas les nuances, nuit a` quelques e? gards
a` l'esprit proprement dit. Les nobles y ont trop peu d'ide? es,
etles gens de lettres trop peu d'habitude des affaires. L'esprit
est un me? lange de laconnaissance des choses et des hommes;
et la socie? te? ou` l'on agit sans but, et pourtant avec inte? re^t, est
pre? cise? ment ce qui de? veloppe le mieux les faculte? s les plus op-
pose? es. C'est l'imagination, plus que l'esprit, qui caracte? rise les
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? 18 DES MUELfiS
Allemands. J. P. Richter, l'un de leurs e? crivains les plus distingue? s, a dit que l'empire de la mer e? tait aux Anglais, celui
de la terre aux Franc? ais, et celui de l'air aux Allemands :en
effet, on aurait besoin, en Allemagne, de donner un centre
et des bornes a` cette e? minente faculte? de penser, qui s'e? le`ve et
se perd dans le vague, pe? ne`tre et disparai^t dans la profondeur,
s'ane? antit a` force d'impartialite? , se confond a` force d'analyse,
enfin manque de certains de? fauts qui puissent servir de circons-
cription a` ses qualite? s.
On a beaucoup de peine a` s'accoutumer, en sortant de France,
a` la lenteur et a` l'inertie du peuple allemand; il ne se presse
jamais, il trouve des obstacles a` tout; vous entendez dire en Allemagne c'est impossible, cent fois contre une en France.
Quand il est question d'agir, les Allemands ne savent pas lut-
ter avec les difficulte? s; et leur respect pour la puissance vient
plus encore de ce qu'elle ressemble a` la destine? e, que d'aucun
motif inte? resse? . Les gens du peuple ont des formes assez gros-
sie`res, surtout quand on veut heurter leur manie`re d'e^tre ha-
bituelle; ils auraient naturellement, plus que les nobles, cette
sainte antipathie pour les moeurs, les coutumes et les langues
e? trange`res, qui fortifie dans tous les pays le lien national. L'ar-
gent qu'on leur offre ne de? range pas leur fac? on d'agir, la peur
ne les en de? tourne pas ; ils sont tre`s-capables enfin de cette fixite?
en toutes choses, qui est une excellente donne? e pour la morale i
car l'homme que la crainte et plus encore l'espe? rance mettent
sans cesse en mouvement, passe aise? ment d'une opinion a` l'autre, quand soninte? re^t l'exige. De`s que l'on s'e? le`ve un peu au-dessus dela dernie`re classe du peuple en Allemagne, on s'aperc? oit aise? ment de cette vie in-,
time, de cette poe? sie de l'a^me qui caracte? rise les Allemands.
Les habitants des villes et des campagnes, les soldats etles labou -reurs, savent presque tous la musique; il m'est arrive? d'entrer
dans de pauvres maisons noircies par la fume? e de tabac, et d'en-
tendre tout a` coup non-seulement la mai^tresse, mais le mai^tre
du logis, improviser sur le clavecin, comme les Italiens impro-
visent en vers. L'on a soin, presque partout, que, les jours de
marche? , il y ait des joueurs d'instruments a` vent sur le balcon
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? ut L'ALLEMAGNE. 19
de l'ho^tel de ville qui domine la place publique : les paysans des
environs participent ainsi a` la douce jouissance du premier des
arts. Les e? coliers se prome`nent dans les rues, le dimanche, en chantant les psaumes en choeur. On raconte que Luther fit sou-
vent partie de ce choeur, dans sa premie`re jeunesse. J'e? tais a`
Eisenach, petite ville de Saxe, un jour d'hiver si froid , que les
rues me^mes e? taient encombre? es de neige; je vis une longue suite
dejeunes gens en manteau noir, qui traversaient la ville en ce? le? -
brant les louanges de Dieu. Il n'y avait qu'eux dans la rue,
caria rigueur des frimas en e? cartait tout le monde; et ces voix,
presque aussi harmonieuses que celles du Midi, en se faisant
entendre au milieu d'une nature si se? ve`re, causaient d'autant
plus d'attendrissement. Les habitants de la ville n'osaient, parce froid terrible, ouvrir leurs fene^tres; maison apercevait, der-
rie`re les vitraux, des visages tristes ou sereins, jeunes ou vieux,
qui recevaient avec joie les consolations religieuses que leur of-
frait cette douce me? lodie.
Les pauvres Bohe^mes, alors qu'ils voyagent, suivis de leurs
femmes et de leurs enfants, portent sur leur dos une mauvaise
harpe, d'un bois grossier, dont ils tirent des sons harmonieux.
Ils en jouent quand ils se reposent au pied d'un arbre, sur les
grands chemins, ou lorsque aupre`s des maisons de poste ils ta^-
chent d'inte? resser les voyageurs parle concert ambulant de leur
famille errante. Les troupeaux, en Autriche, sont garde? s par
des bergers qui jouent des airs charmants sur des instruments
simples et sonores. Ces airs s'accordent parfaitement avec l'im-
pression douce et re^veuse que produit la campagne.
La musique instrumentale est aussi ge? ne? ralement cultive? e en
Allemagne que la musique vocale en Italie; la nature a plus
fait a` cet e? gard, comme a` tant d'autres, pour l'Italie que pour
l'Allemagne; il faut du travail pour la musique instrumentale,
tandis que le ciel du Midi suffit pour rendre les voix belles:
mais ne? anmoins les hommes dela classe laborieuse ne pourraient
jamais donner a` la musique le temps qu'il faut pour l'apprendre,
s'ils n'e? taient organise? s pour la savoir. Les peuples naturellement
musiciens rec? oivent par l'harmonie, des sensations et des ide? es
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? 20 DES MOEIIRS
que leur situation re? tre? cie et leurs occupations vulgaires ne leur
permettraient pas de connai^tre autrement.
Les paysannes et les servantes, qui n'ont pas assez d'argent
pour se parer, ornent leur te^te et leurs bras de quelques fleurs,
pour qu'au moins l'imagination ait sa part dans leur ve^tement:
d'autres un peu plus riches mettent les jours de fe^te un bonnet
d'e? toffe d'or d'assez mauvais gou^t, et qui contraste avec la sim-
plicite? du reste de leur costume; mais ce bonnet, que leurs me`res
ont aussi porte? , rappelle les anciennes moeurs; et la parure ce? -
re? monieuse avec laquelle les femmes du peuple honorent le di-
manche , a quelque chose de grave qui inte? resse en leur faveur.
Il faut aussi savoir gre? aux Allemands de la bonne volonte? qu'ils te? moignent par les re? ve? rences respectueuses et la poli-
tesse remplie de formalite? s, que les e? trangers ont si souvent
tourne? es en ridicule. Ils auraient aise? ment pu remplacer, par
des manie`res froides et indiffe? rentes, la gra^ce et l'e? le? gance qu'on
les accusait de ne pouvoir atteindre: le de? dain impose toujours
silence a` la moquerie; car c'est surtout aux efforts inutiles
qu'elle s'attache; mais les caracte`res bienveillants aiment mieux
s'exposer a` la plaisanterie, que de s'en pre? server par l'air hau-
tain et contenu qu'il est si facile a` tout le monde de se donner.
On est frappe? sans cesse, en Allemagne, du contraste qui
existe entre les sentiments et les habitudes, entre les talents et
les gou^ts: la civilisation et la nature semblent ne s'e^tre pasencore
bien amalgame? es ensemble. Quelquefois des hommes tre`s-vrais
sont affecte? s dans leurs expressions et dans leur physionomie,
comme s'ils avaient quelque chose a` cacher: quelquefois au con-
traire la douceur de l'a^me n'empe^che pas la rudesse dans les
manie`res: souvent me^me cette opposition va plus loin encore,
et la faiblesse du caracte`re se fait voir a` travers un langage et
des formes dures. L'enthousiasme pour les arts et la poe? sie se
re? unit a` des habitudes assez vulgaires dans la vie sociale. Il n'est
point de pays ou` les hommes de lettres, ou` les jeunes gens qui
e? tudient dans les universite? s, connaissent mieux les langues
anciennes et l'antiquite? ; mais il n'en est point toutefois ou` les
usages suranne? s subsistent plus ge? ne? ralement encore. Les sou-
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? DES ALLEMANDS. 21
venirs de la Gre`ce, le gou^t des beaux-arts, semblent y e^tre ar-
rive? s par correspondance; mais les institutions fe? odales, les
vieilles coutumes des Germains y sont toujours en honneur, quoique, malheureusement pour la puissance militaire du pays,
elles n'y aient plus la me^me force.
Il n'est point d'assemblage plus bizarre que l'aspect guerrier
de l'Allemagne entie`re, les soldats que l'on rencontre a` chaque
pas, et le genre de vie casanier qu'on y me`ne. On y craint les
fatigues et les intempe? ries de l'air, comme si la nation n'e? tait
compose? e que de ne? gociants et d'hommes de lettres ; et toutes
les institutions cependant tendent et doivent tendre a` donner a`
la nation des habitudes militaires. Quand les peuples du Nord
bravent les inconve? nients de leur climat, ils s'endurcissent sin-
gulie`rement contre tous les genres de maux: le soldat russe en
est la preuve. Mais quand le climat n'est qu'a` demi rigoureux,
et qu'il est encore possible d'e? chapper aux injures du ciel par
des pre? cautions domestiques, ces pre? cautions me^mes rendent
les hommesplus sensibles aux souffrances physiques de la
guerre.
Les poe^les, la bie`re et la fume? e de tabac forment autour des
gens du peuple, en Allemagne, une sorte d'atmosphe`re lourde
et chaude dont ils n'aiment pas a` sortir. Cette atmosphe`re nuit
a` l'activite? , qui est au moins aussi ne? cessaire a` la guerre que le
courage; les re? solutions sont lentes, le de? couragement est facile,
parce qu'une existence d'ordinaire assez triste ne donne pas
beaucoup de confiance dans la fortune. L'habitude d'une ma-
nie`re d'e^tre paisible et re? gle? e pre? pare si mal aux chances mul-
tiplie? es du hasard, qu'on se soumet plus volontiers a` la mort
qui vient avec me? thode qu'a` la vie aventureuse.
La de? marcation des classes, beaucoup plus positive en Al-
lemagne qu'elle ne l'e? tait en France, devait ane? antir l'esprit mi-
litaire parmi les bourgeois :cette de? marcation n'a dans le fait rien
d'offensant; car, je le re? pe`te, la bonhomie se me^le a` tout en
Allemagne, me^me a` l'orgueil aristocratique; et les diffe? rences
de rang se re? duisent a` quelques privile? ges de cour, a` quelques
assemble? es qui ne donnent pas assez de plaisir pour me? riter de
grands regrets: rien n'est amer, dans quelque rapport que ce
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? 22 ! ?
puisse e^tre, lorsque la socie? te? , et par elle le ridicule, ont peu de
puissance. Les hommes ne peuvent se faire un ve? ritable mal a`
l'a^me que par la faussete? ou la moquerie: dans un pays se? rieux
et vrai, il y a toujours de la justice et du bonheur. Mais la bar-
rie`re qui se? parait, en Allemagne, les nobles des citoyens, ren-
dait ne? cessairement la nation entie`re moins belliqueuse.
L'imagination, qui est la qualite? dominante de l'Allemagne
artiste et litte? raire, inspire la crainte du pe? ril, si l'on ne com-
bat pas ce mouvement naturel par l'ascendant de l'opinion et
l'exaltation de l'honneur. En France, de? ja` me^me autrefois, le
gou^t de la guerre e? tait universel ; et les gens du peuple risquaient
volontiers leur vie, comme un moyen de l'agiter, et d'en sentir
moins le poids. C'est une grande question de savoir si les affec-
tions domestiques, l'habitude de la re? flexion, la douceur me^me
de l'a^me, ne portent pas a` redouter la mort; mais si toute la
force d'un E? tat consiste dans son esprit militaire, il importe
d'examiner quelles sont les causes qui ont affaibli cet esprit dans
la nation allemande.
Trois mobiles principaux conduisent d'ordinaire les hommes
au combat : l'amour de la patrie et de la liberte? , l'amour de la
gloire, et le fanatisme de la religion. Il n'y a point un grand amour pour la patrie dans un empire divise? depuis plusieurs
sie`cles, ou` les Allemands combattaient contre les Allemands,
presque toujours excite? s par une impulsion e? trange`re: l'amour
de la gloire n'a pas beaucoup de vivacite? la` ou` il n'y a point de
centre, point de capitale, point de socie? te? . L'espe`ce d'impar-
tialite? , luxe de la justice, qui caracte? rise les Allemands, les
rend beaucoup plus susceptibles de s'enflammer pour les pen-
se? es abstraites que pour les inte? re^ts de la vie; le ge? ne? ral qui perd
une bataille est plus su^r d'obtenir l'indulgence, que celui qui
la gagne ne l'est d'e^tre vivement applaudi; entre les succe`s et
les revers, il n'y a pas assez de diffe? rence au milieu d'un tel
peuple, pour animer vivement l'ambition. La religion vit, en Allemagne, au fond des coeurs, mais elle
y a maintenant un caracte`re de re^verie et d'inde? pendance, qui
n'inspire pas l'e? nergie ne?
? DE L ALLEMAGNE. 15
bonhomie. Les maisons, dans plusieurs villes , sou^l peintes en
dehors de diverses couleurs: on y voit des figures de saints,
des ornements de tout genre, dont le gou^t n'est assure? ment pas
parfait, mais qui varient l'aspect des habitations et semblent
indiquer un de? sir bienveillant de plaire a` ses concitoyens et aux
e? trangers. L'e? clat et la splendeur d'un palais servent a` l'amour-
propre de celui qui le posse`de; mais la de? coration soigne? e, la
parure et la bonne intention des petites demeures ont quelque
chose d'hospitalier. Les jardins sont presque aussi beaux dans quelques parties
de l'Allemagne qu'en Angleterre; le luxe des jardins suppose
toujours qu'on aime la nature. En Angleterre, des maisons tre`s-simples sont ba^ties au milieu des parcs les plus magnifiques; le
proprie? taire ne? glige sa demeure, et pare avec soin la campagne.
Cette magnificence et cette simplicite? re? unies n'existent su^re-
ment pas au me^me degre? en Allemagne ; cependant, a` travers
le manque de fortune et l'orgueil fe? odal, on aperc? oit en tout un
certain amour du beau qui, to^t ou tard, doit donner du gou^t et
de la gra^ce, puisqu'il en est la ve? ritable source. Souvent, au mi-
lieu des superbes jardins des princes allemands, l'on place des
harpes e? oliennes pre`s des grottes entoure? es de fleurs, afin que
le vent transporte dans les airs des sons et des parfums tout
ensemble. L'imagination des habitants du Nord ta^che ainsi de
se composer une nature d'Italie; et pendant les jours brillants
d'un e? te? rapide, l'on parvient quelquefois a` s'y tromper.
CHAPITRE II.
Des moeurs et du caracte`re des Allemands.
Quelques traits principaux peuvent seuls convenir e? galement
a` toute la nation allemande; car les diversite? s de ce pays sont
telles, qu'on ne saitcomment re? unir sous un me^me point de vue
des religions, des gouvernements, des climats, des peuples me^me
si diffe? rents. L'Allemagne du Midi est, a` beaucoup d'e? gards,
tout autre que celle du Nord; les villes de commerce ne ressem-
blent point aux villes ce? le`bres par leurs universite? s; les petits
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? 16 MES MJLtiRS
E? tals cliffe`reut sensiblement des deux grandes monarchies, la
Prusse et l'Autriche. L'Allemagne e? tait une fe? de? ration aristo-
cratique; cet empire n'avait point un centre commun de lu-
mie`res et d'esprit public; il ne formait pas une nation com-
pacte, et le lien manquait au faisceau. Cette division de l'Alle-
magne, funeste a` sa force politique, e? tait cependant tre`s-favo-
rable aux essais de tout genre que pouvaient tenter le ge? nie et
l'imagination. Il y avait une sorte d'anarchie douce et paisible,
en fait d'opinions litte? raires et me? taphysiques, qui permettait
a` chaque homme le de? veloppement entier de sa manie`re de voir
individuelle.
Comme il n'existe point de capitale ou` se rassemble la bonne
compagnie de toute l'Allemagne, l'esprit de socie? te? y exerce peu
de pouvoir; l'empire du gou^t et l'arme du ridicule y sont sans
influence. La plupart des e? crivains et des penseurs travaillent
dans la solitude, ou seulement entoure? s d'un petit cercle qu'ils
dominent. Ils se laissent aller, chacun se? pare? ment, a` tout ce
que leur inspire une imagination sans contrainte; et si l'on
peut apercevoir quelques traces de l'ascendant de la mode en
Allemagne, c'est par le de? sir que chacun e? prouve de se montrer
tout a` fait diffe? rent des autres. En France, au contraire, chacun
aspire a` me? riter ce que Montesquieu disait de Voltaire: II a plus
que personne l'esprit que tout le monde a. Les e? crivains alle-
mands imiteraient plus volontiers encore les e? trangers que leurs
compatriotes.
En litte? rature, comme en politique, les Allemands ont trop
de conside? ration pour les e? trangers, et pas assez de pre? juge? s na-
tionaux. C'est une qualite? dans les individus que l'abne? gation de
soi-me^me et l'estime des autres; mais le patriotisme des nations
doit e^tre e? goi? ste. La fierte? des Anglais sert puissamment a` leur
existence politique; la bonne opinion que les Franc? ais ont d'eux-me^mes a toujours beaucoup contribue? a` leur ascendant sur l'Eu-
rope; le noble orgueil des Espagnols les a rendus jadissouverains
d'une portion du monde. Les Allemands sont Saxons, Prussiens,
Bavarois, Autrichiens; mais le caracte`re germanique, sur lequel
devrait se fonder la force de-tous, est morcele? comme la terre
me^me qui a tant de diffe? rents mai^tres.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ALLEMANDS. 17
J'examinerai se? pare? ment l'Allemagne du Midi et celledu Nord:
mais je me bornerai maintenant aux re? flexions qui conviennent
a lanation entie`re. Les Allemands ont en ge? ne? ral de la since? rite?
et de la fide? lite? ; ils ne manquent presque jamais a` leur parole,
et la tromperie leur est e? trange`re. Si ce de? faut s'introduisait ja-
mais en Allemagne, ce ne pourrait e^tre que par l'envie d'imiter
les e? trangers, de se montrer aussi habile qu'eux, et surtout de
n'e^tre pas leur dupe; mais le bon sens et le bon coeur rame`ne-
raient biento^t les Allemands a` sentir qu'on n'est fort que par
sa propre nature, et que l'habitude de l'honne^tete? rend tout a`
fait incapable, me^me quand on le veut, de se servir de la ruse.
Il faut, pour tirer parti de l'immoralite? , e^tre arme? tout a` fait
a` la le? ge`re, et ne pas porter en soi-me^me une conscience et
des scrupules qui vous arre^tent a` moitie? chemin, et vous font
e? prouver d'autant plus vivement le regret d'avoir quitte? l'an-
cienne route, qu'il vous est impossible d'avancer hardiment dans
la nouvelle.
Il est aise? , je le crois, de de? montrer que, sans la morale,
tout est hasard et te? ne`bres. Ne? anmoins on a vu souvent chez les
nations latines une politique singulie`rement adroite dans l'art
de s'affranchir de tous les devoirs; mais on peut le dire a` la
gloire de la nation allemande, elle a presque l'incapacite? de cette
souplesse hardie qui fait plier toutes les ve? rite? s pour tous les in-
te? re^ts, et sacrifie tous les engagements a` tous les calculs. Ses
de? fauts, comme ses qualite? s, la soumettent a` l'honorable ne? -
cessite? de la justice.
La puissance du travail et de la re? flexion est aussi l'un des
traits distinctifs de la nation allemande. Elle est naturellement
litte? raire et philosophique; toutefois la se? paration des classes, qui est plus prononce? e en Allemagne que partout ailleurs, parce
que la socie? te? n'en adoucit pas les nuances, nuit a` quelques e? gards
a` l'esprit proprement dit. Les nobles y ont trop peu d'ide? es,
etles gens de lettres trop peu d'habitude des affaires. L'esprit
est un me? lange de laconnaissance des choses et des hommes;
et la socie? te? ou` l'on agit sans but, et pourtant avec inte? re^t, est
pre? cise? ment ce qui de? veloppe le mieux les faculte? s les plus op-
pose? es. C'est l'imagination, plus que l'esprit, qui caracte? rise les
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? 18 DES MUELfiS
Allemands. J. P. Richter, l'un de leurs e? crivains les plus distingue? s, a dit que l'empire de la mer e? tait aux Anglais, celui
de la terre aux Franc? ais, et celui de l'air aux Allemands :en
effet, on aurait besoin, en Allemagne, de donner un centre
et des bornes a` cette e? minente faculte? de penser, qui s'e? le`ve et
se perd dans le vague, pe? ne`tre et disparai^t dans la profondeur,
s'ane? antit a` force d'impartialite? , se confond a` force d'analyse,
enfin manque de certains de? fauts qui puissent servir de circons-
cription a` ses qualite? s.
On a beaucoup de peine a` s'accoutumer, en sortant de France,
a` la lenteur et a` l'inertie du peuple allemand; il ne se presse
jamais, il trouve des obstacles a` tout; vous entendez dire en Allemagne c'est impossible, cent fois contre une en France.
Quand il est question d'agir, les Allemands ne savent pas lut-
ter avec les difficulte? s; et leur respect pour la puissance vient
plus encore de ce qu'elle ressemble a` la destine? e, que d'aucun
motif inte? resse? . Les gens du peuple ont des formes assez gros-
sie`res, surtout quand on veut heurter leur manie`re d'e^tre ha-
bituelle; ils auraient naturellement, plus que les nobles, cette
sainte antipathie pour les moeurs, les coutumes et les langues
e? trange`res, qui fortifie dans tous les pays le lien national. L'ar-
gent qu'on leur offre ne de? range pas leur fac? on d'agir, la peur
ne les en de? tourne pas ; ils sont tre`s-capables enfin de cette fixite?
en toutes choses, qui est une excellente donne? e pour la morale i
car l'homme que la crainte et plus encore l'espe? rance mettent
sans cesse en mouvement, passe aise? ment d'une opinion a` l'autre, quand soninte? re^t l'exige. De`s que l'on s'e? le`ve un peu au-dessus dela dernie`re classe du peuple en Allemagne, on s'aperc? oit aise? ment de cette vie in-,
time, de cette poe? sie de l'a^me qui caracte? rise les Allemands.
Les habitants des villes et des campagnes, les soldats etles labou -reurs, savent presque tous la musique; il m'est arrive? d'entrer
dans de pauvres maisons noircies par la fume? e de tabac, et d'en-
tendre tout a` coup non-seulement la mai^tresse, mais le mai^tre
du logis, improviser sur le clavecin, comme les Italiens impro-
visent en vers. L'on a soin, presque partout, que, les jours de
marche? , il y ait des joueurs d'instruments a` vent sur le balcon
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? ut L'ALLEMAGNE. 19
de l'ho^tel de ville qui domine la place publique : les paysans des
environs participent ainsi a` la douce jouissance du premier des
arts. Les e? coliers se prome`nent dans les rues, le dimanche, en chantant les psaumes en choeur. On raconte que Luther fit sou-
vent partie de ce choeur, dans sa premie`re jeunesse. J'e? tais a`
Eisenach, petite ville de Saxe, un jour d'hiver si froid , que les
rues me^mes e? taient encombre? es de neige; je vis une longue suite
dejeunes gens en manteau noir, qui traversaient la ville en ce? le? -
brant les louanges de Dieu. Il n'y avait qu'eux dans la rue,
caria rigueur des frimas en e? cartait tout le monde; et ces voix,
presque aussi harmonieuses que celles du Midi, en se faisant
entendre au milieu d'une nature si se? ve`re, causaient d'autant
plus d'attendrissement. Les habitants de la ville n'osaient, parce froid terrible, ouvrir leurs fene^tres; maison apercevait, der-
rie`re les vitraux, des visages tristes ou sereins, jeunes ou vieux,
qui recevaient avec joie les consolations religieuses que leur of-
frait cette douce me? lodie.
Les pauvres Bohe^mes, alors qu'ils voyagent, suivis de leurs
femmes et de leurs enfants, portent sur leur dos une mauvaise
harpe, d'un bois grossier, dont ils tirent des sons harmonieux.
Ils en jouent quand ils se reposent au pied d'un arbre, sur les
grands chemins, ou lorsque aupre`s des maisons de poste ils ta^-
chent d'inte? resser les voyageurs parle concert ambulant de leur
famille errante. Les troupeaux, en Autriche, sont garde? s par
des bergers qui jouent des airs charmants sur des instruments
simples et sonores. Ces airs s'accordent parfaitement avec l'im-
pression douce et re^veuse que produit la campagne.
La musique instrumentale est aussi ge? ne? ralement cultive? e en
Allemagne que la musique vocale en Italie; la nature a plus
fait a` cet e? gard, comme a` tant d'autres, pour l'Italie que pour
l'Allemagne; il faut du travail pour la musique instrumentale,
tandis que le ciel du Midi suffit pour rendre les voix belles:
mais ne? anmoins les hommes dela classe laborieuse ne pourraient
jamais donner a` la musique le temps qu'il faut pour l'apprendre,
s'ils n'e? taient organise? s pour la savoir. Les peuples naturellement
musiciens rec? oivent par l'harmonie, des sensations et des ide? es
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? 20 DES MOEIIRS
que leur situation re? tre? cie et leurs occupations vulgaires ne leur
permettraient pas de connai^tre autrement.
Les paysannes et les servantes, qui n'ont pas assez d'argent
pour se parer, ornent leur te^te et leurs bras de quelques fleurs,
pour qu'au moins l'imagination ait sa part dans leur ve^tement:
d'autres un peu plus riches mettent les jours de fe^te un bonnet
d'e? toffe d'or d'assez mauvais gou^t, et qui contraste avec la sim-
plicite? du reste de leur costume; mais ce bonnet, que leurs me`res
ont aussi porte? , rappelle les anciennes moeurs; et la parure ce? -
re? monieuse avec laquelle les femmes du peuple honorent le di-
manche , a quelque chose de grave qui inte? resse en leur faveur.
Il faut aussi savoir gre? aux Allemands de la bonne volonte? qu'ils te? moignent par les re? ve? rences respectueuses et la poli-
tesse remplie de formalite? s, que les e? trangers ont si souvent
tourne? es en ridicule. Ils auraient aise? ment pu remplacer, par
des manie`res froides et indiffe? rentes, la gra^ce et l'e? le? gance qu'on
les accusait de ne pouvoir atteindre: le de? dain impose toujours
silence a` la moquerie; car c'est surtout aux efforts inutiles
qu'elle s'attache; mais les caracte`res bienveillants aiment mieux
s'exposer a` la plaisanterie, que de s'en pre? server par l'air hau-
tain et contenu qu'il est si facile a` tout le monde de se donner.
On est frappe? sans cesse, en Allemagne, du contraste qui
existe entre les sentiments et les habitudes, entre les talents et
les gou^ts: la civilisation et la nature semblent ne s'e^tre pasencore
bien amalgame? es ensemble. Quelquefois des hommes tre`s-vrais
sont affecte? s dans leurs expressions et dans leur physionomie,
comme s'ils avaient quelque chose a` cacher: quelquefois au con-
traire la douceur de l'a^me n'empe^che pas la rudesse dans les
manie`res: souvent me^me cette opposition va plus loin encore,
et la faiblesse du caracte`re se fait voir a` travers un langage et
des formes dures. L'enthousiasme pour les arts et la poe? sie se
re? unit a` des habitudes assez vulgaires dans la vie sociale. Il n'est
point de pays ou` les hommes de lettres, ou` les jeunes gens qui
e? tudient dans les universite? s, connaissent mieux les langues
anciennes et l'antiquite? ; mais il n'en est point toutefois ou` les
usages suranne? s subsistent plus ge? ne? ralement encore. Les sou-
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? DES ALLEMANDS. 21
venirs de la Gre`ce, le gou^t des beaux-arts, semblent y e^tre ar-
rive? s par correspondance; mais les institutions fe? odales, les
vieilles coutumes des Germains y sont toujours en honneur, quoique, malheureusement pour la puissance militaire du pays,
elles n'y aient plus la me^me force.
Il n'est point d'assemblage plus bizarre que l'aspect guerrier
de l'Allemagne entie`re, les soldats que l'on rencontre a` chaque
pas, et le genre de vie casanier qu'on y me`ne. On y craint les
fatigues et les intempe? ries de l'air, comme si la nation n'e? tait
compose? e que de ne? gociants et d'hommes de lettres ; et toutes
les institutions cependant tendent et doivent tendre a` donner a`
la nation des habitudes militaires. Quand les peuples du Nord
bravent les inconve? nients de leur climat, ils s'endurcissent sin-
gulie`rement contre tous les genres de maux: le soldat russe en
est la preuve. Mais quand le climat n'est qu'a` demi rigoureux,
et qu'il est encore possible d'e? chapper aux injures du ciel par
des pre? cautions domestiques, ces pre? cautions me^mes rendent
les hommesplus sensibles aux souffrances physiques de la
guerre.
Les poe^les, la bie`re et la fume? e de tabac forment autour des
gens du peuple, en Allemagne, une sorte d'atmosphe`re lourde
et chaude dont ils n'aiment pas a` sortir. Cette atmosphe`re nuit
a` l'activite? , qui est au moins aussi ne? cessaire a` la guerre que le
courage; les re? solutions sont lentes, le de? couragement est facile,
parce qu'une existence d'ordinaire assez triste ne donne pas
beaucoup de confiance dans la fortune. L'habitude d'une ma-
nie`re d'e^tre paisible et re? gle? e pre? pare si mal aux chances mul-
tiplie? es du hasard, qu'on se soumet plus volontiers a` la mort
qui vient avec me? thode qu'a` la vie aventureuse.
La de? marcation des classes, beaucoup plus positive en Al-
lemagne qu'elle ne l'e? tait en France, devait ane? antir l'esprit mi-
litaire parmi les bourgeois :cette de? marcation n'a dans le fait rien
d'offensant; car, je le re? pe`te, la bonhomie se me^le a` tout en
Allemagne, me^me a` l'orgueil aristocratique; et les diffe? rences
de rang se re? duisent a` quelques privile? ges de cour, a` quelques
assemble? es qui ne donnent pas assez de plaisir pour me? riter de
grands regrets: rien n'est amer, dans quelque rapport que ce
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? 22 ! ?
puisse e^tre, lorsque la socie? te? , et par elle le ridicule, ont peu de
puissance. Les hommes ne peuvent se faire un ve? ritable mal a`
l'a^me que par la faussete? ou la moquerie: dans un pays se? rieux
et vrai, il y a toujours de la justice et du bonheur. Mais la bar-
rie`re qui se? parait, en Allemagne, les nobles des citoyens, ren-
dait ne? cessairement la nation entie`re moins belliqueuse.
L'imagination, qui est la qualite? dominante de l'Allemagne
artiste et litte? raire, inspire la crainte du pe? ril, si l'on ne com-
bat pas ce mouvement naturel par l'ascendant de l'opinion et
l'exaltation de l'honneur. En France, de? ja` me^me autrefois, le
gou^t de la guerre e? tait universel ; et les gens du peuple risquaient
volontiers leur vie, comme un moyen de l'agiter, et d'en sentir
moins le poids. C'est une grande question de savoir si les affec-
tions domestiques, l'habitude de la re? flexion, la douceur me^me
de l'a^me, ne portent pas a` redouter la mort; mais si toute la
force d'un E? tat consiste dans son esprit militaire, il importe
d'examiner quelles sont les causes qui ont affaibli cet esprit dans
la nation allemande.
Trois mobiles principaux conduisent d'ordinaire les hommes
au combat : l'amour de la patrie et de la liberte? , l'amour de la
gloire, et le fanatisme de la religion. Il n'y a point un grand amour pour la patrie dans un empire divise? depuis plusieurs
sie`cles, ou` les Allemands combattaient contre les Allemands,
presque toujours excite? s par une impulsion e? trange`re: l'amour
de la gloire n'a pas beaucoup de vivacite? la` ou` il n'y a point de
centre, point de capitale, point de socie? te? . L'espe`ce d'impar-
tialite? , luxe de la justice, qui caracte? rise les Allemands, les
rend beaucoup plus susceptibles de s'enflammer pour les pen-
se? es abstraites que pour les inte? re^ts de la vie; le ge? ne? ral qui perd
une bataille est plus su^r d'obtenir l'indulgence, que celui qui
la gagne ne l'est d'e^tre vivement applaudi; entre les succe`s et
les revers, il n'y a pas assez de diffe? rence au milieu d'un tel
peuple, pour animer vivement l'ambition. La religion vit, en Allemagne, au fond des coeurs, mais elle
y a maintenant un caracte`re de re^verie et d'inde? pendance, qui
n'inspire pas l'e? nergie ne?
