rieux des Alle-
mands : c'est toujours dans son ensemble qu'ils jugent une pie`ce
de the?
mands : c'est toujours dans son ensemble qu'ils jugent une pie`ce
de the?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ration e?
phe?
me`re comme notre vie, ce qu'on ne fait
pas est au moins aussi ne? cessaire que ce qu'on fait; car le grand
monde est si facilement hostile, qu'il faut des agre? ments bien
extraordinaires pour qu'ils compensent l'avantage de ne donner
prise sur soi a` personne: mais le gou^t en poe? sie tient a` la nature,
et doit e^tre cre? ateur comme elle; les principes de ce gou^t sont
donc tout autres que ceux qui de? pendent des relations de la
socie? te? . C'est la confusion de ces deux genres qui est la cause des
jugements si oppose? s en litte? rature; les Franc? ais jugent les
beaux-arts comme des convenances, et les Allemands les conve-
nances comme des beaux-arts: dans les rapports avec la socie? te?
il faut se de? fendre, dans les rapports avec la poe? sie il faut se
livrer. Si vous conside? rez tout en homme du monde, vous ne
sentirez point la nature; si vous conside? rez tout en artiste, vous
manquerez du tact que la socie? te? seule peut donner. S'il ne faut
transporter dans les arts que l'imitation de la bonne compagnie,
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? DU GOUT. 181
les Franc? ais seuls en sont vraiment capables; mais plus de la-
titude dans la composition est ne? cessaire pour remuer fortement
l'imagination et l'a^me. Je sais qu'on peut m'objecter avec raison
que nos trois grands tragiques, sans manquer aux re`gles e? ta-
blies, se sont e? leve? s a` la plus sublime hauteur. Quelques hom-
mes de ge? nie, ayant a` moissonner dans un champ tout nouveau,
ont su se rendre illustres, malgre? les difficulte? s qu'ils avaient a`
vaincre, mais la cessation des progre`s de l'art, depuis eux, n'est-
elle pas une preuve qu'il y a trop de barrie`res dans la route qu'ils
ont suivie?
<< Le bon gou^t en litte? rature est, a` quelques e? gards, comme
<< l'ordre sous le despotisme, il importe d'examiner a` quel prix
<< on l'ache`te ". >> En politique, disait M. Necker, il faut toute la
liberte? qui est conciliable avec l'ordre. Je retournerais la maxime,
en disant: il faut, en litte? rature, tout le gou^t qui est conciliable avec le ge? nie: car si l'important dans l'e? tat social, c'est le
repos, l'important dans la litte? rature, au contraire, c'est l'inte? -
re^t, le mouvement, l'e? motion, dont le gou^t a` lui tout seul est
souvent l'ennemi.
On pourrait proposer un traite? de paix entre les fac? ons de ju-
ger, artistes et mondaines, des Allemands etdes Franc? ais. Les
Franc? ais devraient s'abstenir de condamner, me^me une faute de
convenance, si elle avait pour excuse une pense? e forte ou un
sentiment vrai. Les Allemands devraient s'interdire tout ce qui
offense le gou^t naturel, tout ce qui retrace des images que les
sensations repoussent: aucune the? orie philosophique, quelque
inge? nieuse qu'elle soit, ne peut aller contre les re? pugnances des
sensations, comme aucune poe? tique des convenances ne saurait
empe^cher les e? motions involontaires. Les e? crivains allemands
les plus spirituels auraient beau soutenir que, pour comprendre
la conduite des filles du roi Lear envers leur pe`re, il faut mon-
trer la barbarie des temps dans lesquels elles vivaient, et tole? rer
que le duc de Cornouaille, excite? par Re? gane, e? crase avec son
talon, sur le the? a^tre, l'oeil de Glocester; notre imagination se
re? voltera toujours contre ce spectacle, et demandera qu'on arrive
a` de grandes beaute? s par d'autres moyens. Mais les Franc? ais 'Supprime? par la censure.
lUIi Mil DE STAKL. 11!
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? i82 DE L'ART DRAMATIQUE.
aussi dirigeraient toutes leurs critiques litte? raires contre la pre? -
diction des sorcie`res de Macbeth, l'apparition de l'ombre de
Banquo, etc. , qu'on n'en serait pas moins e? branle? jusqu'au fond
de l'a^me, par les terribles effets qu'ils voudraient proscrire.
On ne saurait enseigner le bon gou^t dans les arts, comme
le bon ton en socie? te? ; car le bon ton sert a` cacher ce qui nous
manque, tandis qu'il faut avant tout, dans les arts, un esprit
cre? ateur : le bon gou^t ne peut tenir lieu du talent en litte? rature,
car la meilleure preuve de gou^t, lorsqu'on n'a pas de talent,
serait de ne point e? crire. Si l'on osait le dire, peut-e^tre trouve-
rait-on qu'en France il y a maintenant trop de freins pour des
coursiers si peu fougueux, et qu'en Allemagne beaucoup d'inde? -
pendance litte? raire ne produit pas encore des re? sultats assez
brillants.
CHAPITRE XV.
De l'art dramatique.
Le the? a^tre exerce beaucoup d'empire sur les hommes; une
trage? die qui e? le`ve l'a^me, une come? die qui peint les moeurs et les
caracte`res, agissent sur l'esprit d'un peuple presque comme un
e? ve? nement re? el; mais pour obtenir un grand succe`s sur la sce`ne,
il faut avoir e? tudie? le public auquel on s'adresse, et les motifs
de toute espe`ce sur lesquels son opinion se fonde. La connais-
sance des hommes est aussi ne? cessaire que l'imagination me^me
a` un auteur dramatique; il doit atteindre aux sentiments d'un
inte? re^t ge? ne? ral, sans perdre de vue les rapports particuliers qui
influent sur les spectateurs; c'est la litte? rature en action, qu'une
pie`ce de the? a^tre, et le ge? nie qu'elle exige n'est si rare, que parce
qu'il se compose de l'e? tonnante re? union du tact des circonstan-
ces et de l'inspiration poe? tique. Rien ne serait donc plus absurde
que de vouloir a` cet e? gard imposer a` toutes les nations le me^me
syste`me; quand il s'agit d'adapter l'art universel au gou^t de cha-
que pays, l'art immortel aux moeurs du temps, des modifica-
tions tre`s-importantes sont ine? vitables; et de la` viennent tant
d'opinions diverses sur ce qui constitue le talent dramatique;
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? DE L ART DRAMATIQUE. t83
da. is toutes les autres branches de la litte? rature, on est plus fa-
cilement d'accord.
On ne peut nier, ce me semble, que les Franc? ais ne soient
la nation du monde la plus habile dans la combinaison des effets
du the? a^tre : ils l'emportent aussi sur toutes les autres par la di-
gnite? des situations et du style tragique. Mais, tout en recon-
naissant cette double supe? riorite? , on peut e? prouver des e? motions
plus profondes par des ouvrages moins bien ordonne? s; la con-
ception des pie`ces e? trange`res est quelquefois plus frappante et
plus hardie, et souvent elle renferme je ne sais quelle puissance
qui parle plus intimement a` notre coeur, et touche de plus pre`s
aux sentiments qui nous ont personnellement agite? s.
Comme les Franc? ais s'ennuient facilement, ils e? vitent les lon-
gueurs en toutes choses. Les Allemands, en allant au the? a^tre,
ne sacrifient d'ordinaire qu'une triste partie de jeu, dont les chances monotones remplissent a` peine les heures; ils ne de-
mandent donc pas mieux que de s'e? tablir tranquillement au
spectacle, et de donner a` l'auteur tout le temps qu'il veut pour
pre? parer les e? ve? nements et de? velopper les personnages: l'impa-
tience franc? aise ne tole`re pas cette lenteur.
Les pie`ces allemandes ressemblent d'ordinaire aux tableaux
des anciens peintres : les physionomies sont belles, expressives,
recueillies; mais toutes les figures sont sur le me^me plan, quel-
quefois confuses, ou quelquefois place? es l'une a` co^te? de l'autre,
comme dans les bas-reliefs, sans e^tre re? unies en groupes aux
yeux des spectateurs. Les Franc? ais pensent, avec raison, que le
the? a^tre, comme la peinture, doit e^tre soumis aux lois de la
perspective. Si les Allemands e? taient habiles dans l'art dramati-
que, ils leseraient aussi dans tout le reste; mais en aucun genre
ils ne sont capables me^me d'une adresse innocente: leur esprit
est pe? ne? trant en ligne droite, les choses belles d'une manie`re
absolue sont de leur domaine; mais les beaute? s relatives, celles
qui tiennent a` la connaissance des rapports et a` la rapidite? des
moyens, ne sont pas d'ordinaire du ressort de leurs faculte? s.
Il est singulier qu'entre ces deux peuples les Franc? ais soient
celui qui exige la gravite? la plus soutenue dans le ton de la tra-
ge? die; mais c'est pre? cise? ment parce que les Franc? ais sont plus
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 184 DE L . \RT DRAMATIQUE.
accessibles a` lu plaisanterie qu'ils ne veulent pas y donner lieu,
tandis que rien ne de? range l'imperturbable se?
rieux des Alle-
mands : c'est toujours dans son ensemble qu'ils jugent une pie`ce
de the? a^tre, et ils attendent, pour la bla^mer comme pour l'ap-
plaudir, qu'elle soit finie. Les impressions des Franc? ais sont plus
promptes; et c'est en vain qu'on les pre? viendrait qu'une sce`ne
comique est destine? e a` faire ressortir une situation tragique, ils
se moqueraient de l'une, sans attendre l'autre; chaque de? tail
doit e^tre pour eux aussi inte? ressant que le tout : ils ne font pas
cre? dit d'un moment au plaisir qu'ils attendent des beaux-arts.
La diffe? rence du the? a^tre franc? ais et du the? a^tre allemand peut
s'expliquer par celle du caracte`re des deux nations; mais il se
joint a` ces diffe? rences naturelles des oppositions syste? matiques
dont il importe de connai^tre la cause. Ce que j'ai de? ja` dit sur la
poe? sie classique et romantique s'applique aussi aux pie`ces de
the? a^tre. Les trage? dies puise? es dans la mythologie sont d'une tout
autre nature que les trage? dies historiques; les sujets tire? s de la
fable e? taient si connus, l'inte? re^t qu'ils inspiraient e? tait si uni-
versel, qu'il suffisait de les indiquer pour frapper d'avance
l'imagination. Ce qu'il y a d'e? minemment poe? tique dans les tra-
ge? dies grecques, l'intervention des dieux et l'action de la fata-
lite? , rend leur marche beaucoup plus facile; le de? tail des mo-
tifs, le de? veloppemenUles caracte`res, la diversite? des faits, de-
viennent moins ne? cessaires, quand l'e? ve? nement est explique? par
une puissance surnaturelle; le miracle abre? ge tout. Aussi l'action
de la trage? die, chez les Grecs, est-elle d'une e? tonnante simpli-
cite? ; la plupart des e? ve? nements sont pre? vus et me^me annonce? s
de`s le commencement: c'est une ce? re? monie religieuse qu'une
trage? die grecque. Le spectacle se donnait en l'honneur des
dieux, et des hymnes, interrompus par des dialogues et des
re? cits, peignaient tanto^t les dieux cle? ments, tanto^t les dieux ter-
ribles , mais toujours le destin planant sur la vie de l'homme.
Lorsque ces me^mes sujets ont e? te? transporte? s au the? a^tre fran-
c? ais , nos grands poe^tes leur ont donne? plus de varie? te? ; ils ont
multiplie? les incidents, me? nage? les surprises, et resserre? le
noeud. Il fallait en effet supple? er de quelque manie`re a` l'inte? re^t
national et religieux que les Grecs prenaient a` ces pie`ces, et que
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? DE L ARI? DHAMATIQUE. 185
nous n'e? prouvions pas; toutefois, non contents d'animer les pie`-
ces grecques, nous avons pre^te? aux personnages nos moeurs et nos
sentiments, la politique et la galanterie modernes; et c'est pour
cela qu'un si grand nombre d'e? trangers ne conc? oivent pas l'ad-
miration que nos chefs-d'oeuvre nous inspirent. En effet, quand
on les entend dans une autre langue, quand ils sont de? pouille? s
de la beaute? magique du style, on est surpris du peu d'e? motion
qu'ils produisent, et des inconvenances qu'on y trouve; car ce
qui ne s'accorde ni avec le sie`cle, ni avec les moeurs nationales
des personnages que l'on repre? sente, n'est-il pas aussi une in-
convenance? et n'y a-t-il de ridicule que ce qui ne nous ressem-
ble pas?
Les pie`ces dont les sujets sont grecs ne perdent rien a` la se? ve? -
rite? de nos re`gles dramatiques; mais si nous voulions gou^ter,
comme les Anglais, le plaisir d'avoir un the? a^tre historique, d'e^-
tre inte? resse? s par nos souvenirs, e? mus par notre religion, com-
ment serait-il possible de se conformer rigoureusement, d'une
part, aux trois unite? s , et de l'autre, au genre de pompe dont on
se fait une loi dans nos trage? dies?
C'est une question si rebattue que celle des trois unite? s, qu'on
n'ose presque pas en reparler; mais de ces trois unite? s il n'y en
a qu'une d'importante, celle de l'action , et l'on ne peut jamais
conside? rer les autres que comme lui e? tant subordonne? es. Or, si
la ve? rite? de l'action perd a` la ne? cessite? pue? rile de ne pas chan-
ger de lieu, et de se borner a` vingt-quatre heures, imposer cette
ne? cessite? , c'est soumettre le ge? nie dramatique a` une ge^ne dans le
genre de celle des acrostiches, ge^ne qui sacrifie le fond de l'art
a` sa forme.
Voltaire est celui de nos grands poe`tes tragiques qui a le plus
souvent traite? des sujets modernes. Il s'est servi, pour e? mouvoir,
du christianisme et de la chevalerie; et si l'on est de bonne foi,
l'on conviendra, ce me semble, qu'Alzire, Zai? re et Tancre`de
font verser plus de larmes que tous les chefs-d'oeuvre grecs et
romains de notre the? a^tre. Dubelloy, avec un talent bien subal-
terne, est pourtant parvenu a` re? veiller des souvenirs franc? ais sur
la sce`ne franc? aise ; et, quoiqu'il ne su^t point e? crire, on e? prouve,
par ses pie`ces, un inte? re^t semblable a` celui que les Grecs devaient
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? 186 . DE L'ART DRAMATIQUE.
ressentir quand ils voyaient repre? senter devant eux les faits de
leur histoire. Quel parti le ge? nie ne peut-il pas tirer de cette dis-
position? Et cependant il n'est presque point d'e? ve? nements qui
datent de notre e`re, dont l'action puisse se passer ou dans un me^me
jour, ou dans un me^me lieu; la diversite? des faits qu'entrai^ne
un ordre social plus complique? , les de? licatesses de sentiment
qu'inspire une religion plus tendre, enfin, la ve? rite? de moeurs,
qu'on doit observer dans les tableaux plus rapproche? s de nous,
exigent une grande latitude dans les compositions dramatiques.
On peut citer un exemple re? cent de ce qu'il en cou^te pour se
conformer, dans les sujets tire? s de l'histoire moderne, a` notre
orthodoxie dramatique. Les Templiers de M. Raynouard sont
certainement l'une des pie`ces les plus dignes de louange qui aient
paru depuis longtemps; cependant, qu'y a-t-il de plus e? trange
que la ne? cessite? ou` l'auteur s'est trouve? de repre? senter l'ordre
des templiers accuse? , juge? , condamne? et bru^le? , le tout dans
vingt-quatre heures ? Les tribunaux re? volutionnaires allaient vite;
mais quelle que fu^t leur atroce bonne volonte? , ils ne seraient ja-
mais parvenus a` marcher aussi rapidement qu'une trage? die fran-
c? aise. Je pourrais montrer les inconve? nients de l'unite? de temps
avec non moins d'e? vidence, dans presque toutes nos trage? dies
tire? es de l'histoire moderne; mais j'ai choisi la plus remarqua-
ble de pre? fe? rence, pour faire ressortir ces inconve? nients.
L'un des mots les plus sublimes qu'on puisse entendre au
the? a^tre se trouve dans cette noble trage? die. A la dernie`re sce`ne,
l'on raconte que les templiers chantent des psaumes sur leur bu^-
cher; un messager est envoye? pour leur apporter leur gra^ce, que
le roi se de? termine a` leur accorder;
Mais il n'e? tait plus temps, les chants avaient cesse? .
C'est ainsi que le poe^te nous apprend que ces ge? ne? reux mar-
tyrs ont enfin pe? ri dans les flammes. Dans quelle trage? die pai? enne
pourrait-on trouver l'expression d'un tel sentiment? et pourquoi
les Franc? ais seraient-ils prive? s au the? a^tre de tout ce qui est vrai-
ment en harmonie avec eux, leurs ance^tres et leur croyance?
Les Franc? ais conside`rent l'unite?
pas est au moins aussi ne? cessaire que ce qu'on fait; car le grand
monde est si facilement hostile, qu'il faut des agre? ments bien
extraordinaires pour qu'ils compensent l'avantage de ne donner
prise sur soi a` personne: mais le gou^t en poe? sie tient a` la nature,
et doit e^tre cre? ateur comme elle; les principes de ce gou^t sont
donc tout autres que ceux qui de? pendent des relations de la
socie? te? . C'est la confusion de ces deux genres qui est la cause des
jugements si oppose? s en litte? rature; les Franc? ais jugent les
beaux-arts comme des convenances, et les Allemands les conve-
nances comme des beaux-arts: dans les rapports avec la socie? te?
il faut se de? fendre, dans les rapports avec la poe? sie il faut se
livrer. Si vous conside? rez tout en homme du monde, vous ne
sentirez point la nature; si vous conside? rez tout en artiste, vous
manquerez du tact que la socie? te? seule peut donner. S'il ne faut
transporter dans les arts que l'imitation de la bonne compagnie,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DU GOUT. 181
les Franc? ais seuls en sont vraiment capables; mais plus de la-
titude dans la composition est ne? cessaire pour remuer fortement
l'imagination et l'a^me. Je sais qu'on peut m'objecter avec raison
que nos trois grands tragiques, sans manquer aux re`gles e? ta-
blies, se sont e? leve? s a` la plus sublime hauteur. Quelques hom-
mes de ge? nie, ayant a` moissonner dans un champ tout nouveau,
ont su se rendre illustres, malgre? les difficulte? s qu'ils avaient a`
vaincre, mais la cessation des progre`s de l'art, depuis eux, n'est-
elle pas une preuve qu'il y a trop de barrie`res dans la route qu'ils
ont suivie?
<< Le bon gou^t en litte? rature est, a` quelques e? gards, comme
<< l'ordre sous le despotisme, il importe d'examiner a` quel prix
<< on l'ache`te ". >> En politique, disait M. Necker, il faut toute la
liberte? qui est conciliable avec l'ordre. Je retournerais la maxime,
en disant: il faut, en litte? rature, tout le gou^t qui est conciliable avec le ge? nie: car si l'important dans l'e? tat social, c'est le
repos, l'important dans la litte? rature, au contraire, c'est l'inte? -
re^t, le mouvement, l'e? motion, dont le gou^t a` lui tout seul est
souvent l'ennemi.
On pourrait proposer un traite? de paix entre les fac? ons de ju-
ger, artistes et mondaines, des Allemands etdes Franc? ais. Les
Franc? ais devraient s'abstenir de condamner, me^me une faute de
convenance, si elle avait pour excuse une pense? e forte ou un
sentiment vrai. Les Allemands devraient s'interdire tout ce qui
offense le gou^t naturel, tout ce qui retrace des images que les
sensations repoussent: aucune the? orie philosophique, quelque
inge? nieuse qu'elle soit, ne peut aller contre les re? pugnances des
sensations, comme aucune poe? tique des convenances ne saurait
empe^cher les e? motions involontaires. Les e? crivains allemands
les plus spirituels auraient beau soutenir que, pour comprendre
la conduite des filles du roi Lear envers leur pe`re, il faut mon-
trer la barbarie des temps dans lesquels elles vivaient, et tole? rer
que le duc de Cornouaille, excite? par Re? gane, e? crase avec son
talon, sur le the? a^tre, l'oeil de Glocester; notre imagination se
re? voltera toujours contre ce spectacle, et demandera qu'on arrive
a` de grandes beaute? s par d'autres moyens. Mais les Franc? ais 'Supprime? par la censure.
lUIi Mil DE STAKL. 11!
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? i82 DE L'ART DRAMATIQUE.
aussi dirigeraient toutes leurs critiques litte? raires contre la pre? -
diction des sorcie`res de Macbeth, l'apparition de l'ombre de
Banquo, etc. , qu'on n'en serait pas moins e? branle? jusqu'au fond
de l'a^me, par les terribles effets qu'ils voudraient proscrire.
On ne saurait enseigner le bon gou^t dans les arts, comme
le bon ton en socie? te? ; car le bon ton sert a` cacher ce qui nous
manque, tandis qu'il faut avant tout, dans les arts, un esprit
cre? ateur : le bon gou^t ne peut tenir lieu du talent en litte? rature,
car la meilleure preuve de gou^t, lorsqu'on n'a pas de talent,
serait de ne point e? crire. Si l'on osait le dire, peut-e^tre trouve-
rait-on qu'en France il y a maintenant trop de freins pour des
coursiers si peu fougueux, et qu'en Allemagne beaucoup d'inde? -
pendance litte? raire ne produit pas encore des re? sultats assez
brillants.
CHAPITRE XV.
De l'art dramatique.
Le the? a^tre exerce beaucoup d'empire sur les hommes; une
trage? die qui e? le`ve l'a^me, une come? die qui peint les moeurs et les
caracte`res, agissent sur l'esprit d'un peuple presque comme un
e? ve? nement re? el; mais pour obtenir un grand succe`s sur la sce`ne,
il faut avoir e? tudie? le public auquel on s'adresse, et les motifs
de toute espe`ce sur lesquels son opinion se fonde. La connais-
sance des hommes est aussi ne? cessaire que l'imagination me^me
a` un auteur dramatique; il doit atteindre aux sentiments d'un
inte? re^t ge? ne? ral, sans perdre de vue les rapports particuliers qui
influent sur les spectateurs; c'est la litte? rature en action, qu'une
pie`ce de the? a^tre, et le ge? nie qu'elle exige n'est si rare, que parce
qu'il se compose de l'e? tonnante re? union du tact des circonstan-
ces et de l'inspiration poe? tique. Rien ne serait donc plus absurde
que de vouloir a` cet e? gard imposer a` toutes les nations le me^me
syste`me; quand il s'agit d'adapter l'art universel au gou^t de cha-
que pays, l'art immortel aux moeurs du temps, des modifica-
tions tre`s-importantes sont ine? vitables; et de la` viennent tant
d'opinions diverses sur ce qui constitue le talent dramatique;
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE L ART DRAMATIQUE. t83
da. is toutes les autres branches de la litte? rature, on est plus fa-
cilement d'accord.
On ne peut nier, ce me semble, que les Franc? ais ne soient
la nation du monde la plus habile dans la combinaison des effets
du the? a^tre : ils l'emportent aussi sur toutes les autres par la di-
gnite? des situations et du style tragique. Mais, tout en recon-
naissant cette double supe? riorite? , on peut e? prouver des e? motions
plus profondes par des ouvrages moins bien ordonne? s; la con-
ception des pie`ces e? trange`res est quelquefois plus frappante et
plus hardie, et souvent elle renferme je ne sais quelle puissance
qui parle plus intimement a` notre coeur, et touche de plus pre`s
aux sentiments qui nous ont personnellement agite? s.
Comme les Franc? ais s'ennuient facilement, ils e? vitent les lon-
gueurs en toutes choses. Les Allemands, en allant au the? a^tre,
ne sacrifient d'ordinaire qu'une triste partie de jeu, dont les chances monotones remplissent a` peine les heures; ils ne de-
mandent donc pas mieux que de s'e? tablir tranquillement au
spectacle, et de donner a` l'auteur tout le temps qu'il veut pour
pre? parer les e? ve? nements et de? velopper les personnages: l'impa-
tience franc? aise ne tole`re pas cette lenteur.
Les pie`ces allemandes ressemblent d'ordinaire aux tableaux
des anciens peintres : les physionomies sont belles, expressives,
recueillies; mais toutes les figures sont sur le me^me plan, quel-
quefois confuses, ou quelquefois place? es l'une a` co^te? de l'autre,
comme dans les bas-reliefs, sans e^tre re? unies en groupes aux
yeux des spectateurs. Les Franc? ais pensent, avec raison, que le
the? a^tre, comme la peinture, doit e^tre soumis aux lois de la
perspective. Si les Allemands e? taient habiles dans l'art dramati-
que, ils leseraient aussi dans tout le reste; mais en aucun genre
ils ne sont capables me^me d'une adresse innocente: leur esprit
est pe? ne? trant en ligne droite, les choses belles d'une manie`re
absolue sont de leur domaine; mais les beaute? s relatives, celles
qui tiennent a` la connaissance des rapports et a` la rapidite? des
moyens, ne sont pas d'ordinaire du ressort de leurs faculte? s.
Il est singulier qu'entre ces deux peuples les Franc? ais soient
celui qui exige la gravite? la plus soutenue dans le ton de la tra-
ge? die; mais c'est pre? cise? ment parce que les Franc? ais sont plus
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 184 DE L . \RT DRAMATIQUE.
accessibles a` lu plaisanterie qu'ils ne veulent pas y donner lieu,
tandis que rien ne de? range l'imperturbable se?
rieux des Alle-
mands : c'est toujours dans son ensemble qu'ils jugent une pie`ce
de the? a^tre, et ils attendent, pour la bla^mer comme pour l'ap-
plaudir, qu'elle soit finie. Les impressions des Franc? ais sont plus
promptes; et c'est en vain qu'on les pre? viendrait qu'une sce`ne
comique est destine? e a` faire ressortir une situation tragique, ils
se moqueraient de l'une, sans attendre l'autre; chaque de? tail
doit e^tre pour eux aussi inte? ressant que le tout : ils ne font pas
cre? dit d'un moment au plaisir qu'ils attendent des beaux-arts.
La diffe? rence du the? a^tre franc? ais et du the? a^tre allemand peut
s'expliquer par celle du caracte`re des deux nations; mais il se
joint a` ces diffe? rences naturelles des oppositions syste? matiques
dont il importe de connai^tre la cause. Ce que j'ai de? ja` dit sur la
poe? sie classique et romantique s'applique aussi aux pie`ces de
the? a^tre. Les trage? dies puise? es dans la mythologie sont d'une tout
autre nature que les trage? dies historiques; les sujets tire? s de la
fable e? taient si connus, l'inte? re^t qu'ils inspiraient e? tait si uni-
versel, qu'il suffisait de les indiquer pour frapper d'avance
l'imagination. Ce qu'il y a d'e? minemment poe? tique dans les tra-
ge? dies grecques, l'intervention des dieux et l'action de la fata-
lite? , rend leur marche beaucoup plus facile; le de? tail des mo-
tifs, le de? veloppemenUles caracte`res, la diversite? des faits, de-
viennent moins ne? cessaires, quand l'e? ve? nement est explique? par
une puissance surnaturelle; le miracle abre? ge tout. Aussi l'action
de la trage? die, chez les Grecs, est-elle d'une e? tonnante simpli-
cite? ; la plupart des e? ve? nements sont pre? vus et me^me annonce? s
de`s le commencement: c'est une ce? re? monie religieuse qu'une
trage? die grecque. Le spectacle se donnait en l'honneur des
dieux, et des hymnes, interrompus par des dialogues et des
re? cits, peignaient tanto^t les dieux cle? ments, tanto^t les dieux ter-
ribles , mais toujours le destin planant sur la vie de l'homme.
Lorsque ces me^mes sujets ont e? te? transporte? s au the? a^tre fran-
c? ais , nos grands poe^tes leur ont donne? plus de varie? te? ; ils ont
multiplie? les incidents, me? nage? les surprises, et resserre? le
noeud. Il fallait en effet supple? er de quelque manie`re a` l'inte? re^t
national et religieux que les Grecs prenaient a` ces pie`ces, et que
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? DE L ARI? DHAMATIQUE. 185
nous n'e? prouvions pas; toutefois, non contents d'animer les pie`-
ces grecques, nous avons pre^te? aux personnages nos moeurs et nos
sentiments, la politique et la galanterie modernes; et c'est pour
cela qu'un si grand nombre d'e? trangers ne conc? oivent pas l'ad-
miration que nos chefs-d'oeuvre nous inspirent. En effet, quand
on les entend dans une autre langue, quand ils sont de? pouille? s
de la beaute? magique du style, on est surpris du peu d'e? motion
qu'ils produisent, et des inconvenances qu'on y trouve; car ce
qui ne s'accorde ni avec le sie`cle, ni avec les moeurs nationales
des personnages que l'on repre? sente, n'est-il pas aussi une in-
convenance? et n'y a-t-il de ridicule que ce qui ne nous ressem-
ble pas?
Les pie`ces dont les sujets sont grecs ne perdent rien a` la se? ve? -
rite? de nos re`gles dramatiques; mais si nous voulions gou^ter,
comme les Anglais, le plaisir d'avoir un the? a^tre historique, d'e^-
tre inte? resse? s par nos souvenirs, e? mus par notre religion, com-
ment serait-il possible de se conformer rigoureusement, d'une
part, aux trois unite? s , et de l'autre, au genre de pompe dont on
se fait une loi dans nos trage? dies?
C'est une question si rebattue que celle des trois unite? s, qu'on
n'ose presque pas en reparler; mais de ces trois unite? s il n'y en
a qu'une d'importante, celle de l'action , et l'on ne peut jamais
conside? rer les autres que comme lui e? tant subordonne? es. Or, si
la ve? rite? de l'action perd a` la ne? cessite? pue? rile de ne pas chan-
ger de lieu, et de se borner a` vingt-quatre heures, imposer cette
ne? cessite? , c'est soumettre le ge? nie dramatique a` une ge^ne dans le
genre de celle des acrostiches, ge^ne qui sacrifie le fond de l'art
a` sa forme.
Voltaire est celui de nos grands poe`tes tragiques qui a le plus
souvent traite? des sujets modernes. Il s'est servi, pour e? mouvoir,
du christianisme et de la chevalerie; et si l'on est de bonne foi,
l'on conviendra, ce me semble, qu'Alzire, Zai? re et Tancre`de
font verser plus de larmes que tous les chefs-d'oeuvre grecs et
romains de notre the? a^tre. Dubelloy, avec un talent bien subal-
terne, est pourtant parvenu a` re? veiller des souvenirs franc? ais sur
la sce`ne franc? aise ; et, quoiqu'il ne su^t point e? crire, on e? prouve,
par ses pie`ces, un inte? re^t semblable a` celui que les Grecs devaient
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? 186 . DE L'ART DRAMATIQUE.
ressentir quand ils voyaient repre? senter devant eux les faits de
leur histoire. Quel parti le ge? nie ne peut-il pas tirer de cette dis-
position? Et cependant il n'est presque point d'e? ve? nements qui
datent de notre e`re, dont l'action puisse se passer ou dans un me^me
jour, ou dans un me^me lieu; la diversite? des faits qu'entrai^ne
un ordre social plus complique? , les de? licatesses de sentiment
qu'inspire une religion plus tendre, enfin, la ve? rite? de moeurs,
qu'on doit observer dans les tableaux plus rapproche? s de nous,
exigent une grande latitude dans les compositions dramatiques.
On peut citer un exemple re? cent de ce qu'il en cou^te pour se
conformer, dans les sujets tire? s de l'histoire moderne, a` notre
orthodoxie dramatique. Les Templiers de M. Raynouard sont
certainement l'une des pie`ces les plus dignes de louange qui aient
paru depuis longtemps; cependant, qu'y a-t-il de plus e? trange
que la ne? cessite? ou` l'auteur s'est trouve? de repre? senter l'ordre
des templiers accuse? , juge? , condamne? et bru^le? , le tout dans
vingt-quatre heures ? Les tribunaux re? volutionnaires allaient vite;
mais quelle que fu^t leur atroce bonne volonte? , ils ne seraient ja-
mais parvenus a` marcher aussi rapidement qu'une trage? die fran-
c? aise. Je pourrais montrer les inconve? nients de l'unite? de temps
avec non moins d'e? vidence, dans presque toutes nos trage? dies
tire? es de l'histoire moderne; mais j'ai choisi la plus remarqua-
ble de pre? fe? rence, pour faire ressortir ces inconve? nients.
L'un des mots les plus sublimes qu'on puisse entendre au
the? a^tre se trouve dans cette noble trage? die. A la dernie`re sce`ne,
l'on raconte que les templiers chantent des psaumes sur leur bu^-
cher; un messager est envoye? pour leur apporter leur gra^ce, que
le roi se de? termine a` leur accorder;
Mais il n'e? tait plus temps, les chants avaient cesse? .
C'est ainsi que le poe^te nous apprend que ces ge? ne? reux mar-
tyrs ont enfin pe? ri dans les flammes. Dans quelle trage? die pai? enne
pourrait-on trouver l'expression d'un tel sentiment? et pourquoi
les Franc? ais seraient-ils prive? s au the? a^tre de tout ce qui est vrai-
ment en harmonie avec eux, leurs ance^tres et leur croyance?
Les Franc? ais conside`rent l'unite?
