DU
CATHOLICISME
531
des ide?
des ide?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
e de la Providence,
constamment pre? sente, dirige toutes les actions dela vie des
Moraves.
Quand un jeune homme veut prendre une compagne, il s'a-
dresse a` la doyenne des filles ou des veuves, et lui demande
celle qu'il voudrait e? pouser. L'on tire au sort a` l'e? glise , pour
savoir s'il doit ou non s'unir a` la femme qu'il pre? fe`re; et si le
sort est contre lui, il renonce a` sa demande. Les Moraves ont
tellement l'habitude de se re? signer, qu'ils ne re? sistent point a`
<<ette de? cision; et comme ils ne voient les femmes qu'a` l'e? glise,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 528 DU CULTE DES FREHES MOUAVES.
il leur en cou^te moins pour renoncer a` leur choix. Cette ma-
nie`re de prononcer sur le mariage et sur beaucoup d'autres cir-
constances de la vie, indique l'esprit ge? ne? ral du culte des Mo-
raves. Au lieu de s'en tenir a` la soumission, a` la volonte? du ciel,
ils se figurent qu'ils peuvent la connai^tre ou par des inspirations,
ou, ce qui est plus e? trange encore, en interrogeant le hasard. Le
devoir et les e? ve? nements manifestent a` l'homme les voies de
Dieu sur la terre; comment peut-il se flatter de les pe? ne? trer
par d'autres moyens?
L'on observe d'ailleurs en ge? ne? ral, chez les Moraves, les
moeurs e? vange? liques telles qu'elles devaient exister du temps
des apo^tres, dans les communaute? s chre? tiennes. Ni les dogmes
extraordinaires, ni les pratiques scrupuleuses ne font le lien de
cette association: l'E? vangile y est interpre? te? de la manie`re la
plus naturelle et la plus claire; mais on y est fide`le aux conse? -
quences de cette doctrine, et l'on met, sous tous les rapports,
sa conduite en harmonie avec les principes religieux. Les com-
munaute? s moraves servent surtout a` prouver que le protestan-
tisme, dans sa simplicite? , peut mener au genre de vie le plus aus-
te`re, et a` la religion la plus enthousiaste; la mort et l'immorta-
lite? bien comprises suffisent pour occuper et diriger toute l'exis-
tence.
J'ai e? te? , il y a quelque temps, a` Dintendorf, petit village
pre`s d'Erfurt, ou` une communaute? de Moraves s'est e? tablie.
Ce village est a` trois lieues de toute grande route,il est place?
entre deux montagnes, sur le bord d'un ruisseau; des saules et
des peupliers e? leve? s l'entourent; il y a dans l'aspect de la contre? e
quelque chose de calme et de doux, qui pre? pare l'a^me a` sortir
des agitations de la vie. Les maisons et les rues sont d'une pro-
prete? parfaite; les femmes, toutes habille? es de me^me , cachent
leurs cheveux et ceignent leur te^te avec un ruban dont les cou-
leurs indiquent si elles sont marie? es, filles ou veuves; les hom-
mes sont ve^tus de brun, a` peu pre`s comme les quakers. Une
industrie mercantile les occupe presque tous; mais on n'en-
tend pas le moindre bruit dans le village. Chacun travaille avec
re? gularite? et tranquillite? ; et l'action inte? rieure des sentiments
religieux apaise tout autre mouvement.
Les filles et les veuves habitent ensemble dans un grand dor-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DU CULTE DES FRE`RES MORAVES. 529
toir, et, pendant la nuit, une d'elles veille tour a` tour pour
prier, ou pour soigner celles qui pourraient devenir malades.
Les hommes non marie? s vivent de la me^me manie`re. Ainsi, il
existe une grande famille pour celui qui n'a pas la sienne, et le
nom de fre`re et de soeur est commun a` tous les chre? tiens.
A la place de cloches, des instruments a` vent d'une tre`s-belle
harmonie invitent au service divin. En marchant pour aller a`
l'e? glise, au son de cette musique imposante, on se sentait
enleve? a` la terre; on croyait entendre les trompettes du jugement
dernier, non telles que le remords nous les fait craindre, mais
telles qu'une pieuse confiance nous les fait espe? rer; il semblait
que la mise? ricorde divine se manifesta^t dans cet appel, et pro-
nonc? a^t d'avance un pardon re? ge? ne? rateur.
L'e? glise e? tait de? core? e de roses blanches et de fleurs d'aube? -
pine; les tableaux n'e? taient point bannis du temple, et la musi-
que y e? tait cultive? e, comme faisant partie du culte; on n'y
chantait que des psaumes; il n'y avait ni sermon, ni messe, ni
raisonnement, ni discussion the? ologique; c'e? tait le culte de Dieu,
en esprit et en ve? rite? . Les femmes, toutes en blanc, e? taient ran-
ge? es les unes a` co^te? des autres, sans aucune distinction quel-
conque; elles semblaient des ombres innocentes, qui venaient
comparai^tre devant le tribunal dela Divinite? .
Le cimetie`re des Moraves est un jardin dont les alle? es sont
marque? es par des pierres fune? raires, a` co^te? desquelles on a plante?
un arbuste a` fleurs. Toutes ces pierres sont e? gales; aucun de ces
arbustes ne s'e? le`ve au-dessus de l'autre, et la me^me e? pitaphe
sertpour tous les morts: // est ne? tel jour, et tel autre il est re-
tourne? dans sa patrie. Admirable expression pour de? signer le
terme de notre vie! Les anciens disaient : lia ve? cu, et jetaient
ainsi un voile sur la tombe, pour en de? rober l'ide? e. Les chre? -
tiens placent au-dessus d'elle l'e? toile de l'espe? rance.
Le jour de Pa^ques, le service divin se ce? le`bre dans le cime-
tie`re, qui est place? a` co^te? de l'e? glise, et la re? surrection est an-
nonce? e au milieu des tombeaux. Tous ceux qui sont pre? sents a`
cet acte du culte, savent quelle est la pierre qu'on doit placer
sur leur cercueil, et respirent de? ja` le parfum du jeune arbre
dont les feuilles et les fleurs se pencheront sur leurs tombes.
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? 530 DU CATHOLIC1SMB.
C'est ainsi qu'on a vu, dans les temps modernes, une arme? e
tout entie`re, assistant a` ses propres fune? railles, dire pour elle-me^me le service des morts, de? cide? e qu'elle e? tait a` conque? rir
l'immortalite? . '
La communion des Moraves ne peut point s'adapter a` l'e? tat
social, tel que les circonstances nous le commandent; mais,
comme on a beaucoup dit depuis quelque temps que le catholi-
cisme seul parlait a` l'imagination, il importe d'observer que ce
qui remue vraiment l'a^me, dans la religion, est commun a` tou-
tes les e? glises chre? tiennes. Un se? pulcre et une prie`re e? puisent
toute la puissance de l'attendrissement; et plus la croyance est
simple, plus le culte cause d'e? motion.
CHAPITRE IV.
Du catholicisme.
La religion catholique est plus tole? rante en Allemagne que
dans tout autre pays. La paix de Westphalie ayant fixe? les droits
des diffe? rentes religions, elles ne craignent plus leurs envahis-
sements mutuels; et d'ailleurs le me? lange des cultes, dans un
grand nombre de villes, a ne? cessairement amene? l'occasion de
se voir et de se juger. Dans les opinions religieuses, comme
dans les opinions politiques, on se fait de ses adversaires un
fanto^me qui se dissipe presque toujours parleur pre? sence; la
sympathie nous montre un semblable dans celui qu'on croyait
son ennemi.
Le protestantisme e? tant beaucoup plus favorable aux lumie`-
res que le catholicisme, les catholiques, en Allemagne, se sont
mis sur une espe`ce de de? fensive qui nuit beaucoup au progre`s
1 C'est a` Saragosse qu'a eu lieu l'admirable sce? ne a` laquelle je Faisais allu-
sion , sans oser la designer plus clairement! Un aide de camp du ge? ne? ral fran-
c? ais vint proposer a` la garnison de la ville de se rendre, et le chef des troupes
espagnoles le conduisit sur la place publique; il vit sur cette place et dans
l'e? glise tendue de noir, les soldats et les officiers a` genoux, entendant le ser-
vice des morts. En effet, bien pen de ces guerriers vivent encore, et les ha
bitants de la ville ont aussi partage? le sort de leurs de? fenseurs.
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?
DU CATHOLICISME 531
des ide? es. Dans les pays ou` la religion catholique re? gnait seule,
tels que la France et l'Italie, on a su la re? unir a` la litte? rature et
aux beaux-arts; mais en Allemagne, ou` les protestants se sont
empare? s, par les universite? s et par leur tendance naturelle, de
tout ce qui tient aux e? tudes litte? raires et philosophiques, les
catholiques se sont crus oblige? s de leur opposer un certain genre
de re? serve qui e? teint presque tout moyen de se distinguer dans la
carrie`re de l'imagination et de la pense? e. La musique est le
seul des beaux-arts porte? , dans le midi de l'Allemagne, a` un
plus haut degre? de perfection que dans le nord, a` moins que
l'on ne compte comme l'un des beaux-arts un certain genre devie commode , dont les jouissances s'accordent assez bien avec
le repos de l'esprit.
Il y a parmi les catholiques, en Allemagne, une pie? te? since`re,
tranquille et charitable, mais il n'y a point de pre? dicateurs ce? -
le`bres , ni d'e? crivains religieux a` citer; rien n'y excite le mou-
vement de l'a^me; l'on y prend la religion comme une chose de
fait, ou` l'enthousiasme n'a point de part, et l'on dirait que,
dans un culte si bien consolide? , l'autre vie elle-me^me devient
une ve? rite? positive sur laquelle on n'exerce plus la pense? e.
La re? volution qui s'est faite dans les esprits philosophiques
en Allemagne, depuis trente ans, les a presque tous ramene? s
aux sentiments religieux. Ils s'en e? taient un peu e? carte? s, lors-
que l'impulsion ne? cessaire pour propager la tole? rance avait de? passe? son but; mais, en rappelant l'ide? alisme dans la me? ta-
physique , l'inspiration dans la poe? sie, la contemplation dans
les sciences, on a renouvele? l'empire de la religion, et la re? forme de la re? formation, ou pluto^t la direction philosophique
dela liberte? qu'elle a donne? e, a banni pour jamais, du moins
en the? orie , le mate? rialisme et toutes ses applications funestes.
Au milieu de cette re? volution intellectuelle, si fe? conde en no-
bles re? sultats, quelques hommes ont e? te? trop loin, comme il
arrive toujours dans les oscillations de la pense? e.
On dirait que l'esprit humain se pre? cipite toujours d'un ex-
tre^me a` l'autre, comme si les opinions qu'il vient de quitter se
changeaient en remords pour le poursuivre. La re? formation , di-
sent quelques e? crivains de la nouvelle e? cole, a e? te? la cause de
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? 532 DU CATHOLICISME.
plusieurs guerres de religion; elle a se? pare? le nord du midi de
l'Allemagne; elle a donne? aux Allemands la funeste habitude de
se combattre les uns les autres, et ces divisions leur ont o^te? le
droit de s'appeler une nation. Enfin, la re? formation, en intro-
duisant l'esprit d'examen, a rendu l'imagination aride, et mis
le doute a` la place de la foi; il faut donc, re? pe`tent ces me^mes
hommes, revenir a` l'unite? de l'E? glise en retournant au catholi-
cisme.
D'abord, si Charles-Quint avait adopte? le luthe? ranisme, il y
aurait eu de me^me unite? dans l'Allemagne, et le pays entier se-
rait, comme la partie du Nord, l'asile des sciences et des let-
tres. Peut-e^tre que cet accord auraitdonne? naissance a` des ins-
titutionslibres, combine? es avec une force re? elle; et peut-e^tre
aurait-on e? vite? cette triste se? paration du caracte`re et des lumie`-
res , qui a livre? le Nord a` la re^verie, et maintenu le Midi dans
son ignorance. Mais, sans se perdre en conjectures sur ce qui
serait arrive? , calcul toujours tre`s-incertain, on ne peut nier que
l'e? poque de la re? formation ne soit celle ou` les lettres et la philo-
sophie se sont introduites en Allemagne. Ce pays ne peut e^tre
mis au premier rang, ni pour la guerre, ni pour les arts, ni pour
la liberte? politique : ce sont les lumie`res dont l'Allemagne adroit de s'enorgueillir, et son influence sur l'Europe pensante
date du protestantisme. De telles re? volutions ne s'ope`rent ni ne
se de? truisent par des raisonnements, elks appartiennent a` la
marche historique de l'esprit humain; etles hommes qui pa-
raissent en e^tre les auteurs, n'en sont jamais que les conse? -
quences.
Le catholicisme, aujourd'hui de? sarme? , a la majeste? d'un
vieux lion qui jadis faisait trembler l'univers; mais, quand les
abus de son pouvoir amene`rent la re? formation, il mettait des
entraves a` l'esprit humain, et, loin que ce fu^t par se? cheresse de
coeur qu'on s'opposait alors a` son ascendant, c'e? tait pour faire
usage de toutes les faculte? s de l'esprit et de l'imagination qu'on
re? clamait avec force la liberte? de penser. Si des circonstances
toutes divines, et ou` la main des hommes ne se fit sentir en
rien, amenaient un jour un rapprochement entre les deux E? gli-
ses, on prierait Dieu, ce me semble, avec une e? motion uou-
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? DU CATHOLICISME. 533
velle, a` co^te? des pre^tres ve? ne? rables qui, dans les dernie`res an-
ne? es du sie`cle passe? , ont tant souffert pour leur conscience.
Mais ce n'est su^rement pas le changement de religion de quel-
ques hommes, ni surtout l'injuste de? faveur que leurs e? crits ten-
dent a` jeter sur la religion re? forme? e, qui pourraient conduire
a` l'unite? des opinions religieuses.
Il y a dans l'esprit humain deux forces tre`s-distinctes, l'une inspire le besoin de croire, l'autre celui d'examiner. L'une de
ces faculte? s ne doit pas e^tre satisfaite aux de? pens de l'autre: le
protestantisme et le catholicisme ne viennent point de ce qu'il y
a eu des papes et un Luther; c'est une pauvre manie`re de con-
side? rer l'histoire, que de l'attribuer a` des hasards. Le protestan-
tisme et le catholicisme existent dans le coeur humain ; ce sont
des puissances morales qui se de? veloppent dans les nations,
parce qu'elles existent dans chaque homme. Si dans la religion,
comme dans les autres affections humaines, on peut re? unir ce
que l'imagination et la raison souhaitent, il y a paix dans l'homme; mais en lui, comme dans l'univers, la puissance de
cre? er et celle de de? truire, la foi et l'examen se succe`dent et se
combattent.
On a voulu, pour re? unir ces deux penchants, creuser plus
avant dans l'a^me; et de la` sont venues les opinions mystiques ,
dont nous parlerons dans le chapitre suivant; mais le petit
nombre de personnes qui ont abjure? le protestantisme n'ont
fait que renouveler des haines. Les anciennes de? nominations
raniment les anciennes querelles; la magie se sert de certaines
paroles pour e? voquer les fanto^mes; on dirait que sur tous les
sujets il y a des mots qui exercent ce pouvoir: ce sont ceux
qui ont servi de ralliement a` l'esprit de parti, on ne peut les
prononcer sans agiter de nouveau les flambeaux de la discorde.
Les catholiques allemands se sont montre? s jusqu'a` pre? sent tre`s-
e? trangers a` ce qui se passait a` cet e? gard dans le Nord. Les opi-
nions litte? raires semblent la cause du petit nombre de change-
ments de religion qui ont eu lieu, et l'ancienne et vieille E? glise
ne s'en est gue`re occupe? e.
Le comte Fre? de? ric Stolberg, homme tre`s-respectable par son
caracte`re et par ses talents, ce? le`bre, de`s sa jeunesse, cnmmu
ta
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? 531 DU CATHOLICISME.
poe`te, comme admirateur passionne? de l'antiquite? , et comme
traducteur d'Home`re, adonne? le premier, en Allemagne, le si-
gnal de ces conversions nouvelles, qui ont eu depuis des imita-
teurs. Les plus illustres amis du comte Stolberg, Klopstock,
Voss et Jacobi, se sont e? loigne? s de lui pour cette abjuration, qui
semble de? savouer les malheurs et les combats que les re? forme? s
ont soutenus pendant trois sie`cles; cependant M. de Stolberg
vient de publier une histoire de la religion de Je? sus-Christ,
faite pour me? riter l'approbation de toutes les communions chre? -
tiennes. C'est la premie`re fois qu'on a vu les opinions catholiques
de? fendues de cette manie`re; et si le comte de Stolberg n'avait
pas e? te? e? leve? dans le protestantisme, peut-e^tre n'aurait-il pas eu
l'inde? pendance d'esprit qui lui sert a` faire impression sur les
hommes e? claire? s.
On trouve dans ce livre une connaissance parfaite des Saintes
E? critures , et des recherches tre`s-inte? ressantes sur les diffe? ren-
fe`s religions de l'Asie, en rapport avec le christianisme.
constamment pre? sente, dirige toutes les actions dela vie des
Moraves.
Quand un jeune homme veut prendre une compagne, il s'a-
dresse a` la doyenne des filles ou des veuves, et lui demande
celle qu'il voudrait e? pouser. L'on tire au sort a` l'e? glise , pour
savoir s'il doit ou non s'unir a` la femme qu'il pre? fe`re; et si le
sort est contre lui, il renonce a` sa demande. Les Moraves ont
tellement l'habitude de se re? signer, qu'ils ne re? sistent point a`
<<ette de? cision; et comme ils ne voient les femmes qu'a` l'e? glise,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 528 DU CULTE DES FREHES MOUAVES.
il leur en cou^te moins pour renoncer a` leur choix. Cette ma-
nie`re de prononcer sur le mariage et sur beaucoup d'autres cir-
constances de la vie, indique l'esprit ge? ne? ral du culte des Mo-
raves. Au lieu de s'en tenir a` la soumission, a` la volonte? du ciel,
ils se figurent qu'ils peuvent la connai^tre ou par des inspirations,
ou, ce qui est plus e? trange encore, en interrogeant le hasard. Le
devoir et les e? ve? nements manifestent a` l'homme les voies de
Dieu sur la terre; comment peut-il se flatter de les pe? ne? trer
par d'autres moyens?
L'on observe d'ailleurs en ge? ne? ral, chez les Moraves, les
moeurs e? vange? liques telles qu'elles devaient exister du temps
des apo^tres, dans les communaute? s chre? tiennes. Ni les dogmes
extraordinaires, ni les pratiques scrupuleuses ne font le lien de
cette association: l'E? vangile y est interpre? te? de la manie`re la
plus naturelle et la plus claire; mais on y est fide`le aux conse? -
quences de cette doctrine, et l'on met, sous tous les rapports,
sa conduite en harmonie avec les principes religieux. Les com-
munaute? s moraves servent surtout a` prouver que le protestan-
tisme, dans sa simplicite? , peut mener au genre de vie le plus aus-
te`re, et a` la religion la plus enthousiaste; la mort et l'immorta-
lite? bien comprises suffisent pour occuper et diriger toute l'exis-
tence.
J'ai e? te? , il y a quelque temps, a` Dintendorf, petit village
pre`s d'Erfurt, ou` une communaute? de Moraves s'est e? tablie.
Ce village est a` trois lieues de toute grande route,il est place?
entre deux montagnes, sur le bord d'un ruisseau; des saules et
des peupliers e? leve? s l'entourent; il y a dans l'aspect de la contre? e
quelque chose de calme et de doux, qui pre? pare l'a^me a` sortir
des agitations de la vie. Les maisons et les rues sont d'une pro-
prete? parfaite; les femmes, toutes habille? es de me^me , cachent
leurs cheveux et ceignent leur te^te avec un ruban dont les cou-
leurs indiquent si elles sont marie? es, filles ou veuves; les hom-
mes sont ve^tus de brun, a` peu pre`s comme les quakers. Une
industrie mercantile les occupe presque tous; mais on n'en-
tend pas le moindre bruit dans le village. Chacun travaille avec
re? gularite? et tranquillite? ; et l'action inte? rieure des sentiments
religieux apaise tout autre mouvement.
Les filles et les veuves habitent ensemble dans un grand dor-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DU CULTE DES FRE`RES MORAVES. 529
toir, et, pendant la nuit, une d'elles veille tour a` tour pour
prier, ou pour soigner celles qui pourraient devenir malades.
Les hommes non marie? s vivent de la me^me manie`re. Ainsi, il
existe une grande famille pour celui qui n'a pas la sienne, et le
nom de fre`re et de soeur est commun a` tous les chre? tiens.
A la place de cloches, des instruments a` vent d'une tre`s-belle
harmonie invitent au service divin. En marchant pour aller a`
l'e? glise, au son de cette musique imposante, on se sentait
enleve? a` la terre; on croyait entendre les trompettes du jugement
dernier, non telles que le remords nous les fait craindre, mais
telles qu'une pieuse confiance nous les fait espe? rer; il semblait
que la mise? ricorde divine se manifesta^t dans cet appel, et pro-
nonc? a^t d'avance un pardon re? ge? ne? rateur.
L'e? glise e? tait de? core? e de roses blanches et de fleurs d'aube? -
pine; les tableaux n'e? taient point bannis du temple, et la musi-
que y e? tait cultive? e, comme faisant partie du culte; on n'y
chantait que des psaumes; il n'y avait ni sermon, ni messe, ni
raisonnement, ni discussion the? ologique; c'e? tait le culte de Dieu,
en esprit et en ve? rite? . Les femmes, toutes en blanc, e? taient ran-
ge? es les unes a` co^te? des autres, sans aucune distinction quel-
conque; elles semblaient des ombres innocentes, qui venaient
comparai^tre devant le tribunal dela Divinite? .
Le cimetie`re des Moraves est un jardin dont les alle? es sont
marque? es par des pierres fune? raires, a` co^te? desquelles on a plante?
un arbuste a` fleurs. Toutes ces pierres sont e? gales; aucun de ces
arbustes ne s'e? le`ve au-dessus de l'autre, et la me^me e? pitaphe
sertpour tous les morts: // est ne? tel jour, et tel autre il est re-
tourne? dans sa patrie. Admirable expression pour de? signer le
terme de notre vie! Les anciens disaient : lia ve? cu, et jetaient
ainsi un voile sur la tombe, pour en de? rober l'ide? e. Les chre? -
tiens placent au-dessus d'elle l'e? toile de l'espe? rance.
Le jour de Pa^ques, le service divin se ce? le`bre dans le cime-
tie`re, qui est place? a` co^te? de l'e? glise, et la re? surrection est an-
nonce? e au milieu des tombeaux. Tous ceux qui sont pre? sents a`
cet acte du culte, savent quelle est la pierre qu'on doit placer
sur leur cercueil, et respirent de? ja` le parfum du jeune arbre
dont les feuilles et les fleurs se pencheront sur leurs tombes.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 530 DU CATHOLIC1SMB.
C'est ainsi qu'on a vu, dans les temps modernes, une arme? e
tout entie`re, assistant a` ses propres fune? railles, dire pour elle-me^me le service des morts, de? cide? e qu'elle e? tait a` conque? rir
l'immortalite? . '
La communion des Moraves ne peut point s'adapter a` l'e? tat
social, tel que les circonstances nous le commandent; mais,
comme on a beaucoup dit depuis quelque temps que le catholi-
cisme seul parlait a` l'imagination, il importe d'observer que ce
qui remue vraiment l'a^me, dans la religion, est commun a` tou-
tes les e? glises chre? tiennes. Un se? pulcre et une prie`re e? puisent
toute la puissance de l'attendrissement; et plus la croyance est
simple, plus le culte cause d'e? motion.
CHAPITRE IV.
Du catholicisme.
La religion catholique est plus tole? rante en Allemagne que
dans tout autre pays. La paix de Westphalie ayant fixe? les droits
des diffe? rentes religions, elles ne craignent plus leurs envahis-
sements mutuels; et d'ailleurs le me? lange des cultes, dans un
grand nombre de villes, a ne? cessairement amene? l'occasion de
se voir et de se juger. Dans les opinions religieuses, comme
dans les opinions politiques, on se fait de ses adversaires un
fanto^me qui se dissipe presque toujours parleur pre? sence; la
sympathie nous montre un semblable dans celui qu'on croyait
son ennemi.
Le protestantisme e? tant beaucoup plus favorable aux lumie`-
res que le catholicisme, les catholiques, en Allemagne, se sont
mis sur une espe`ce de de? fensive qui nuit beaucoup au progre`s
1 C'est a` Saragosse qu'a eu lieu l'admirable sce? ne a` laquelle je Faisais allu-
sion , sans oser la designer plus clairement! Un aide de camp du ge? ne? ral fran-
c? ais vint proposer a` la garnison de la ville de se rendre, et le chef des troupes
espagnoles le conduisit sur la place publique; il vit sur cette place et dans
l'e? glise tendue de noir, les soldats et les officiers a` genoux, entendant le ser-
vice des morts. En effet, bien pen de ces guerriers vivent encore, et les ha
bitants de la ville ont aussi partage? le sort de leurs de? fenseurs.
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des ide? es. Dans les pays ou` la religion catholique re? gnait seule,
tels que la France et l'Italie, on a su la re? unir a` la litte? rature et
aux beaux-arts; mais en Allemagne, ou` les protestants se sont
empare? s, par les universite? s et par leur tendance naturelle, de
tout ce qui tient aux e? tudes litte? raires et philosophiques, les
catholiques se sont crus oblige? s de leur opposer un certain genre
de re? serve qui e? teint presque tout moyen de se distinguer dans la
carrie`re de l'imagination et de la pense? e. La musique est le
seul des beaux-arts porte? , dans le midi de l'Allemagne, a` un
plus haut degre? de perfection que dans le nord, a` moins que
l'on ne compte comme l'un des beaux-arts un certain genre devie commode , dont les jouissances s'accordent assez bien avec
le repos de l'esprit.
Il y a parmi les catholiques, en Allemagne, une pie? te? since`re,
tranquille et charitable, mais il n'y a point de pre? dicateurs ce? -
le`bres , ni d'e? crivains religieux a` citer; rien n'y excite le mou-
vement de l'a^me; l'on y prend la religion comme une chose de
fait, ou` l'enthousiasme n'a point de part, et l'on dirait que,
dans un culte si bien consolide? , l'autre vie elle-me^me devient
une ve? rite? positive sur laquelle on n'exerce plus la pense? e.
La re? volution qui s'est faite dans les esprits philosophiques
en Allemagne, depuis trente ans, les a presque tous ramene? s
aux sentiments religieux. Ils s'en e? taient un peu e? carte? s, lors-
que l'impulsion ne? cessaire pour propager la tole? rance avait de? passe? son but; mais, en rappelant l'ide? alisme dans la me? ta-
physique , l'inspiration dans la poe? sie, la contemplation dans
les sciences, on a renouvele? l'empire de la religion, et la re? forme de la re? formation, ou pluto^t la direction philosophique
dela liberte? qu'elle a donne? e, a banni pour jamais, du moins
en the? orie , le mate? rialisme et toutes ses applications funestes.
Au milieu de cette re? volution intellectuelle, si fe? conde en no-
bles re? sultats, quelques hommes ont e? te? trop loin, comme il
arrive toujours dans les oscillations de la pense? e.
On dirait que l'esprit humain se pre? cipite toujours d'un ex-
tre^me a` l'autre, comme si les opinions qu'il vient de quitter se
changeaient en remords pour le poursuivre. La re? formation , di-
sent quelques e? crivains de la nouvelle e? cole, a e? te? la cause de
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? 532 DU CATHOLICISME.
plusieurs guerres de religion; elle a se? pare? le nord du midi de
l'Allemagne; elle a donne? aux Allemands la funeste habitude de
se combattre les uns les autres, et ces divisions leur ont o^te? le
droit de s'appeler une nation. Enfin, la re? formation, en intro-
duisant l'esprit d'examen, a rendu l'imagination aride, et mis
le doute a` la place de la foi; il faut donc, re? pe`tent ces me^mes
hommes, revenir a` l'unite? de l'E? glise en retournant au catholi-
cisme.
D'abord, si Charles-Quint avait adopte? le luthe? ranisme, il y
aurait eu de me^me unite? dans l'Allemagne, et le pays entier se-
rait, comme la partie du Nord, l'asile des sciences et des let-
tres. Peut-e^tre que cet accord auraitdonne? naissance a` des ins-
titutionslibres, combine? es avec une force re? elle; et peut-e^tre
aurait-on e? vite? cette triste se? paration du caracte`re et des lumie`-
res , qui a livre? le Nord a` la re^verie, et maintenu le Midi dans
son ignorance. Mais, sans se perdre en conjectures sur ce qui
serait arrive? , calcul toujours tre`s-incertain, on ne peut nier que
l'e? poque de la re? formation ne soit celle ou` les lettres et la philo-
sophie se sont introduites en Allemagne. Ce pays ne peut e^tre
mis au premier rang, ni pour la guerre, ni pour les arts, ni pour
la liberte? politique : ce sont les lumie`res dont l'Allemagne adroit de s'enorgueillir, et son influence sur l'Europe pensante
date du protestantisme. De telles re? volutions ne s'ope`rent ni ne
se de? truisent par des raisonnements, elks appartiennent a` la
marche historique de l'esprit humain; etles hommes qui pa-
raissent en e^tre les auteurs, n'en sont jamais que les conse? -
quences.
Le catholicisme, aujourd'hui de? sarme? , a la majeste? d'un
vieux lion qui jadis faisait trembler l'univers; mais, quand les
abus de son pouvoir amene`rent la re? formation, il mettait des
entraves a` l'esprit humain, et, loin que ce fu^t par se? cheresse de
coeur qu'on s'opposait alors a` son ascendant, c'e? tait pour faire
usage de toutes les faculte? s de l'esprit et de l'imagination qu'on
re? clamait avec force la liberte? de penser. Si des circonstances
toutes divines, et ou` la main des hommes ne se fit sentir en
rien, amenaient un jour un rapprochement entre les deux E? gli-
ses, on prierait Dieu, ce me semble, avec une e? motion uou-
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velle, a` co^te? des pre^tres ve? ne? rables qui, dans les dernie`res an-
ne? es du sie`cle passe? , ont tant souffert pour leur conscience.
Mais ce n'est su^rement pas le changement de religion de quel-
ques hommes, ni surtout l'injuste de? faveur que leurs e? crits ten-
dent a` jeter sur la religion re? forme? e, qui pourraient conduire
a` l'unite? des opinions religieuses.
Il y a dans l'esprit humain deux forces tre`s-distinctes, l'une inspire le besoin de croire, l'autre celui d'examiner. L'une de
ces faculte? s ne doit pas e^tre satisfaite aux de? pens de l'autre: le
protestantisme et le catholicisme ne viennent point de ce qu'il y
a eu des papes et un Luther; c'est une pauvre manie`re de con-
side? rer l'histoire, que de l'attribuer a` des hasards. Le protestan-
tisme et le catholicisme existent dans le coeur humain ; ce sont
des puissances morales qui se de? veloppent dans les nations,
parce qu'elles existent dans chaque homme. Si dans la religion,
comme dans les autres affections humaines, on peut re? unir ce
que l'imagination et la raison souhaitent, il y a paix dans l'homme; mais en lui, comme dans l'univers, la puissance de
cre? er et celle de de? truire, la foi et l'examen se succe`dent et se
combattent.
On a voulu, pour re? unir ces deux penchants, creuser plus
avant dans l'a^me; et de la` sont venues les opinions mystiques ,
dont nous parlerons dans le chapitre suivant; mais le petit
nombre de personnes qui ont abjure? le protestantisme n'ont
fait que renouveler des haines. Les anciennes de? nominations
raniment les anciennes querelles; la magie se sert de certaines
paroles pour e? voquer les fanto^mes; on dirait que sur tous les
sujets il y a des mots qui exercent ce pouvoir: ce sont ceux
qui ont servi de ralliement a` l'esprit de parti, on ne peut les
prononcer sans agiter de nouveau les flambeaux de la discorde.
Les catholiques allemands se sont montre? s jusqu'a` pre? sent tre`s-
e? trangers a` ce qui se passait a` cet e? gard dans le Nord. Les opi-
nions litte? raires semblent la cause du petit nombre de change-
ments de religion qui ont eu lieu, et l'ancienne et vieille E? glise
ne s'en est gue`re occupe? e.
Le comte Fre? de? ric Stolberg, homme tre`s-respectable par son
caracte`re et par ses talents, ce? le`bre, de`s sa jeunesse, cnmmu
ta
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poe`te, comme admirateur passionne? de l'antiquite? , et comme
traducteur d'Home`re, adonne? le premier, en Allemagne, le si-
gnal de ces conversions nouvelles, qui ont eu depuis des imita-
teurs. Les plus illustres amis du comte Stolberg, Klopstock,
Voss et Jacobi, se sont e? loigne? s de lui pour cette abjuration, qui
semble de? savouer les malheurs et les combats que les re? forme? s
ont soutenus pendant trois sie`cles; cependant M. de Stolberg
vient de publier une histoire de la religion de Je? sus-Christ,
faite pour me? riter l'approbation de toutes les communions chre? -
tiennes. C'est la premie`re fois qu'on a vu les opinions catholiques
de? fendues de cette manie`re; et si le comte de Stolberg n'avait
pas e? te? e? leve? dans le protestantisme, peut-e^tre n'aurait-il pas eu
l'inde? pendance d'esprit qui lui sert a` faire impression sur les
hommes e? claire? s.
On trouve dans ce livre une connaissance parfaite des Saintes
E? critures , et des recherches tre`s-inte? ressantes sur les diffe? ren-
fe`s religions de l'Asie, en rapport avec le christianisme.
