--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer.
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer.
Rimbaud - Poesie Completes
.
.
Des projets pour la Russie, une anicroche a Vienne (Autriche),
quelques mois en France, d'Arras et Douai a Marseille, et le Senegal
vers lequel berce par un naufrage[;] puis la Hollande, 1879-80; vu
decharger des voitures de moisson dans une ferme a sa mere, entre
Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses <<JAMBES SANS
RIVALES>>.
Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre
infatigabilite. . . et autre chose?
--Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de
regions pretendues uniquement litteraires, s'insinueraient dans la vie
privee pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de
m'etendre un peu, maintenant qu'on a brule quelque sucre, sur le pur
plaisir intellectuel de vous parler du present ouvrage qu'on peut ne pas
aimer, ni meme admirer, mais qui a droit a tout respect en tout
consciencieux examen?
On a laisse les pieces objectionables au point de vue bourgeois, car le
point de vue chretien et surtout catholique dont je m'honore d'etre un
des plus indignes peut-etre mais a coup sur le plus sincere tenant, me
semble superieur et doit etre ecarte--j'entends, notamment les
_Premieres Communions_, les _Pauvres a l'eglise_ (pour mon compte,
j'eusse neglige cette piece brutale ayant pourtant ceci:
_. . . Les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux benitiers. _
Quant aux _Premieres Communions_ dont j'ai severement parle dans mes
_Poetes maudits_ a cause de certains vers affreusement blasphemateurs,
c'est si beau! . . . n'est-ce pas? a travers tant de coup[ables] choses. . .
n'est ce pas?
Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le _Bateau ivre_, les
_Effares_, les _Chercheuses de poux_ et, bien apres, les _Assis_ aussi,
parbleu! un peu fumiste, mais si beau de details; _Sonnet de Voyelles_
qui a fait faire a M. Rene Ghill de ses mirobolantes theories, et
l'ardent _Faune_ [illisible] est parfait de fauves,--en liberte! et
encore une fois, je vous le presente, ce <<numero>>, comme autrefois dans
ce petit journal de combat mort en pleine breche _Lutece_, de tout mon
coeur, de toute mon ame et de toutes mes forces.
On a cru devoir, evidemment dans un but de rehabilitation qui n'a rien a
voir ni avec la vie honorable ni avec l'oeuvre tres interessante,
[illisible] ouvrir le volume par une piece intitulee _Etrennes des
Orphelins_, laquelle assez longue piece, dans le gout un peu Guiraud
avec deja des beautes tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore:
_Les tout petits enfants ont le coeur si sensible! _
Cela:
_La bise sous le seuil a fini par se taire. . . _
qui est d'un net et d'un vrai, quant a ce qui concerne un beau jour de
premier janvier. Surtout une facture solide, meme un peu trop, qui dit
l'extreme jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'apres la formule
parnassienne exageree.
On a cru aussi devoir intercaler de gre ou de force un trop long poeme:
_Le Forgeron_, date des _Tuileries vers le 10 aout 1792_, ou vraiment
c'est trop democ-soc [illisible], par trop demode, meme en 1870 ou ce
fut ecrit; mais l'auteur, direz-vous, etait si, si jeune! Mais,
repondrais-je, etait-ce une raison pour publier cette chose faite a
coups de <<mauvaises lectures>> dans des manuels surannes ou de trop
moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a la
encore de tres beaux vers. Parbleu! avec cet etre-la!
Cette caricature de Louis XVI, d'abord:
_Et prenant ce gros-la dans son regard farouche. _
Cette autre encore;
_Or le bon roi, debout sur son ventre, etait pale. _
Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici:
_On ne veut pas de nous dans les boulangeries_
Mais j'avoue preferer telles pieces purement jolies, mais alors tres
jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout a fait alors presque
aussi belles que les _Effares_ ou que les Assis.
Il y a, dans ce ton, _Ce qui relient Nina_, vingt-neuf strophes, plus de
cent vers, sur un [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse a tout bout
de champ:
_Dix-sept ans! tu seras heureuse!
O les grands pres,
La grande campagne amoureuse!
--Dis, viens plus pres! . . .
. . . . . . . . . . . . . .
Puis comme une petite morte
Le coeur pame
Tu me dirais que je te porte
L'oeil mi-ferme. . . _
Et, apres la promenade au bois. . . et la resurrection de la _petite
morte_, l'entree dans le village ou _ca sentirait le laitage_, une
etable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un
interieur a la Teniers:
_Les lunettes de la grand-mere
Et son nez long
Dans son missel. . . _
. . . . . . . . . . . . . .
Aussi la _Comedie en trois baisers:_
. . . . . . . . . . . . . .
_Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres. _
_Sensation_, ou le poete adolescent va loin, bien loin, <<comme un
bohemien>>
_Par la nature, heureux comme avec une femme. . . _
Roman:
_On n'est pas serieux quand on a dix-sept ans. _
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il ecrivait ce vers,
n'avait pas encore seize ans. Evidemment il se <<vieillissait>> pour mieux
plaire a quelque belle. . . de, tres probablement, son imagination.
_Ma Boheme_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses:
_Comme des lyres je tirai les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur_. . .
Mes _Petites amoureuses_, les _Poetes de sept ans_, freres franchement
douloureux des _Chercheuses de poux_:
_Et la mere fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminences
L'ame de son enfant livree aux repugnances. _
. . . . . . . . . . . . . .
Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les
eusse retenus pour les publier dans une nouvelle edition des oeuvres en
prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout a fait dans la note
des _Illuminations_ et de la _Saison en Enfer_. Je l'ai dit tout a
l'heure et je sais que je ne suis pas le seul a le penser: Rimbaud en
prose est peut-etre superieur a celui en vers. . .
J'ai termine, je crois avoir termine ma tache de prefacier. De la vie de
l'homme j'ai parle suffisamment. De son oeuvre je reparlerai peut-etre
encore.
Mon dernier mot ne peut-etre ici que ceci: Rimbaud fut un poete mort
jeune (a dix-huit ans, puisque ne a Charleville[--le 20] Octobre
1854--nous n'avons pas de vers de lui [posterieur] a 1872. ) mais vierge
de toute platitude ou decadence--comme il fut un homme mort jeune aussi
[(a trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 a l'hopital de la Conception
de Marseille), mais dans son voeu bien formule d'independance et de haut
dedain de n'importe quelle adhesion a ce qu'il ne lui plaisait pas de
faire ni d'etre.
Paul VERLAINE.
POESIES COMPLETES
DE CE LIVRE
IL A ETE TIRE
_25 exemplaires numerotes sur hollande. _
ARTHUR RIMBAUD
POESIES
COMPLETES
PARIS
LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1895
Tous droits reserves.
LES ETRENNES DES ORPHELlNS
I
La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encor, alourdi par le reve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se souleve. . .
--Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux;
Et la nouvelle annee, a la suite brumeuse,
Laissant trainer les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant. . .
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils ecoutent, pensifs, comme un lointain murmure. . .
Ils tressaillent souvent a la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain metallique en son globe de verre. . .
--Puis, la chambre est glacee. . . on voit trainer a terre,
Epars autour des lits, des vetements de deuil:
L'apre bise d'hiver qui se lamente au seuil,
Souffle dans le logis son haleine morose!
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose. . .
--Il n'est donc point de mere a ces petits enfants,
De mere au frais sourire, aux regards triomphants?
Elle a donc oublie, le soir, seule et penchee,
D'exciter une flamme a la cendre arrachee,
D'amonceler sur eux la laine et l'edredon
Avant de les quitter en leur criant: pardon.
Elle n'a point prevu la froideur matinale,
Ni bien ferme le seuil a la bise hivernale? . . .
--Le reve maternel, c'est le tiede tapis,
C'est le nid cotonneux ou les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.
--Et la,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur
Ou les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glace la bise amere. . .
III
Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mere,
Plus de mere au logis! --et le pere est bien loin! . . .
--Une vieille servante, alors, en a pris soin:
Les petits sont tout seuls en la maison glacee;
Orphelins de quatre ans, voila qu'en leur pensee
S'eveille, par degres, un souvenir riant. . .
C'est comme un chapelet qu'on egrene en priant:
--Ah! quel beau matin, que ce matin des etrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait reve des siennes
Dans quelque songe etrange ou l'on voyait joujoux,
Bonbons habilles d'or, etincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaitre encore!
On s'eveillait matin, on se levait joyeux,
La levre affriandee, en se frottant les yeux. . .
On allait, les cheveux emmeles sur la tete,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fete
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher. . .
On entrait! . . . Puis alors les souhaits. . . en chemise,
Les baisers repetes, et la gaite permise?
IV
Ah! c'etait si charmant, ces mots dits tant de fois!
--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer. . .
--L'armoire etait sans clefs! . . . sans clefs, la grande armoire
On regardait souvent sa porte brune et noire. . .
Sans clefs! . . . c'etait etrange! . . . On revait bien des fois
Aux mysteres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouir, au fond de la serrure
Beante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure
--La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
--Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus
Silencieusement tombe une larme amere,
ils murmurent: <<Quand donc reviendra notre mere? >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, a les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfles et leur souffle penible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
--Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un reve joyeux,
Un reve si joyeux, que leur levre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose. . .
Ils revent que, penches sur leur petit bras rond,
Doux geste du reveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux repose. . .
Ils se croient endormis dans un paradis rose. . .
Au foyer plein d'eclairs chante gaiment le feu. . .
Par la fenetre on voit la-bas un beau ciel bleu;
La nature s'eveille et de rayons s'enivre. . .
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil. . .
Et dans le vieux logis tout est tiede et vermeil:
Des sombres vetements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire.
On dirait qu'une fee a passe dans cela! . . .
--Les enfants, tout joyeux, ont jete deux cris. . . La,
Pres du lit maternel, sous un beau rayon rose,
La, sur le grand tapis, resplendit quelque chose. . .
Ce sont des medaillons argentes, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants:
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots graves en or: <<A NOTRE MERE! >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 janvier 1870
VOYELLES
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes,
A, noir corset velu des mouches eclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,
Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles
I, pourpres, sang crache, rire des levres belles
Dans la colere ou les ivresses penitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des patis semes d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, supreme Clairon plein de strideurs etranges,
Silences traverses des Mondes et des Anges:
--O l'Omega, rayon violet de Ses Yeux!
ORAISON DU SOIR
Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope a fortes cannelures,
L'hypogastre et le col cambres, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonfle d'impalpables voilures.
Tels que les excrements chauds d'un vieux colombier
Mille reves en moi font de douces brulures;
Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures.
Puis quand j'ai ravale mes reves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille pour lacher l'acre besoin.
Doux comme le Seigneur du cedre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns tres haut et tres loin,
Avec l'assentiment des grands heliotropes.
LES ASSIS
Noirs de loupes, greles, les yeux cercles de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispes a leurs femurs,
Le sinciput plaque de hargnosites vagues
Comme les floraisons lepreuses des vieux murs,
Ils ont greffe dans des amours epileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs.
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sieges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux,
Ou les yeux a la vitre ou se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.
Et les Sieges leur ont des bontes; culottee
De brun, la paille cede aux angles de leurs reins.
L'ame des vieux soleils s'allume, emmaillotee
Dans ces tresses d'epis ou fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siege aux rumeurs de tambour
S'ecoutent clapoter des barcarolles tristes
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage.
Ils surgissent, grondant comme des chats giffles,
Ouvrant lentement leurs omoplates, o rage!
Tout leur pantalon bouffe a leurs reins boursoufles.
Et vous les ecoutez cognant leurs tetes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors.
Puis ils ont une main invisible qui tue;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Assis, les poings crispes dans des manchettes sales,
Ils songent a ceux-la qui les ont fait lever,
Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chetifs s'agitent a crever.
Quand l'austere sommeil a baisse leurs visieres
Ils revent sur leurs bras de sieges fecondes,
De vrais petits amours de chaises en lisieres
Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordes.
Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis,
Tels qu'au fil des glaieuls le vol des libellules,
--Et leur membre s'agace a des barbes d'epis!
LES EFFARES
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits,--misere! --
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond. . .
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Peninsules demarrees,
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempete a beni mes eveils maritimes.
Plus leger qu'un bouchon j'ai danse sur les flots
Qu'on appelle rouleurs eternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte penetra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et des lors je me suis baigne dans le poeme
De la mer, infuse d'astres et latescent,
Devorant les azurs verts ou, flottaison bleme
Et ravie, un noye pensif parfois descend,
Ou, teignant tout a coup les bleuites, delires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs ameres de l'amour.
Je sais les cieux crevant en eclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltee ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas tache d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils a des acteurs de drames tres antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;
J'ai reve la nuit verte aux neiges eblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des seves inouies
Et l'eveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hysteriques, la houle a l'assaut des recifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Oceans poussifs;
J'ai heurte, savez-vous? d'incroyables Florides,
Melant aux fleurs des yeux de pantheres, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, a de glauques troupeaux;
J'ai vu fermenter les marais enormes, nasses
Ou pourrit dans les joncs tout un Leviathan,
Des ecroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Ou les serpents geants devores des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants,
Des ecumes de fleurs ont beni mes derades
Et d'ineffables vents m'ont aile par instants.
Parfois, martyr lasse des poles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais ainsi qu'une femme a genoux,
Presqu'ile ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,
Et je voguais lorsqu'a travers mes liens freles
Des noyes descendaient dormir a reculons.
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jete par l'ouragan dans l'ether sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repeche la carcasse ivre d'eau,
Libre, fumant, monte de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poetes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur,
Qui courais tache de lunules electriques,
Plante folle, escorte des hippocampes noirs,
Quand les Juillets faisaient crouler a coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,
Moi qui tremblais, sentant geindre a cinquante lieues
Le rut des Behemots et des Maelstroms epais,
Fileur eternel des immobilites bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets.
J'ai vu des archipels sideraux! Et des iles
Dont les cieux delirants sont ouverts au vogueur:
--Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, o future Vigueur?
Mais, vrai, j'ai trop pleure! Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L'acre amour m'a gonfle de torpeurs enivrantes.
Oh! que ma quille eclate! Oh! que j'aille a la mer!
Si je desire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide ou, vers le crepuscule embaume,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lache
Un bateau frele comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigne de vos langueurs, o lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons!
LES PREMIERES COMMUNIONS
I
Vraiment, c'est bete, ces eglises de villages
Ou quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Ecoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers.
Mais le soleil eveille, a travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleilles,
La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui fremit, solennelle,
Portant, pres des bles lourds, dans les sentiers sereux,
Ces arbrisseaux brules ou bleuit la prunelle,
Des noeuds de muriers noirs ou de rosiers furieux.
Tous les cent ans, on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caille.
Si des mysticites grotesques sont notables
Pres de la Notre-Dame ou du saint empaille,
Des mouches sentant bon l'auberge et les etables
Se gorgent de cire au plancher ensoleille.
L'enfant se doit surtout a la maison, famille
Des soins naifs, des bons travaux abrutissants,
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Ou le Pretre du Christ a mis ses doigts puissants.
On paie au Pretre un toit ombre d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napoleon ou le Petit Tambour,
Quelque enluminure ou les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront aux jours de science deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.
Les filles vont toujours a l'eglise, contentes
De s'entendre appeler garces par les garcons
Qui font du genre, apres messe et vepres chantantes,
Eux, qui sont destines au chic des garnisons,
Ils narguent au cafe les maisons importantes,
Blouses neuf et gueulant d'effroyables chansons.
Cependant le cure choisit, pour les enfances,
Des dessins; dans son clos, les vepres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en depit des celestes defenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant. . .
--La nuit vient, noir pirate au ciel noir debarquant.
II
Le pretre a distingue, parmi les catechistes
Congreges des faubourgs ou des riches quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers.
Au grand jour, la marquant parmi les catechistes,
Dieu fera, sur son front, neiger ses benitiers.
La veille du grand jour, l'enfant se fait malade
Mieux qu'a l'eglise haute aux funebres rumeurs.
D'abord le frisson vient, le lit n'etant pas fade,
Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs. . .
Et, comme un vol d'amour fait a ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur,
Ses Anges, ses Jesus et ses Vierges nitides,
Et, calmement, son ame a bu tout son vainqueur.
quelques mois en France, d'Arras et Douai a Marseille, et le Senegal
vers lequel berce par un naufrage[;] puis la Hollande, 1879-80; vu
decharger des voitures de moisson dans une ferme a sa mere, entre
Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses <<JAMBES SANS
RIVALES>>.
Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre
infatigabilite. . . et autre chose?
--Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de
regions pretendues uniquement litteraires, s'insinueraient dans la vie
privee pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de
m'etendre un peu, maintenant qu'on a brule quelque sucre, sur le pur
plaisir intellectuel de vous parler du present ouvrage qu'on peut ne pas
aimer, ni meme admirer, mais qui a droit a tout respect en tout
consciencieux examen?
On a laisse les pieces objectionables au point de vue bourgeois, car le
point de vue chretien et surtout catholique dont je m'honore d'etre un
des plus indignes peut-etre mais a coup sur le plus sincere tenant, me
semble superieur et doit etre ecarte--j'entends, notamment les
_Premieres Communions_, les _Pauvres a l'eglise_ (pour mon compte,
j'eusse neglige cette piece brutale ayant pourtant ceci:
_. . . Les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux benitiers. _
Quant aux _Premieres Communions_ dont j'ai severement parle dans mes
_Poetes maudits_ a cause de certains vers affreusement blasphemateurs,
c'est si beau! . . . n'est-ce pas? a travers tant de coup[ables] choses. . .
n'est ce pas?
Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le _Bateau ivre_, les
_Effares_, les _Chercheuses de poux_ et, bien apres, les _Assis_ aussi,
parbleu! un peu fumiste, mais si beau de details; _Sonnet de Voyelles_
qui a fait faire a M. Rene Ghill de ses mirobolantes theories, et
l'ardent _Faune_ [illisible] est parfait de fauves,--en liberte! et
encore une fois, je vous le presente, ce <<numero>>, comme autrefois dans
ce petit journal de combat mort en pleine breche _Lutece_, de tout mon
coeur, de toute mon ame et de toutes mes forces.
On a cru devoir, evidemment dans un but de rehabilitation qui n'a rien a
voir ni avec la vie honorable ni avec l'oeuvre tres interessante,
[illisible] ouvrir le volume par une piece intitulee _Etrennes des
Orphelins_, laquelle assez longue piece, dans le gout un peu Guiraud
avec deja des beautes tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore:
_Les tout petits enfants ont le coeur si sensible! _
Cela:
_La bise sous le seuil a fini par se taire. . . _
qui est d'un net et d'un vrai, quant a ce qui concerne un beau jour de
premier janvier. Surtout une facture solide, meme un peu trop, qui dit
l'extreme jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'apres la formule
parnassienne exageree.
On a cru aussi devoir intercaler de gre ou de force un trop long poeme:
_Le Forgeron_, date des _Tuileries vers le 10 aout 1792_, ou vraiment
c'est trop democ-soc [illisible], par trop demode, meme en 1870 ou ce
fut ecrit; mais l'auteur, direz-vous, etait si, si jeune! Mais,
repondrais-je, etait-ce une raison pour publier cette chose faite a
coups de <<mauvaises lectures>> dans des manuels surannes ou de trop
moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a la
encore de tres beaux vers. Parbleu! avec cet etre-la!
Cette caricature de Louis XVI, d'abord:
_Et prenant ce gros-la dans son regard farouche. _
Cette autre encore;
_Or le bon roi, debout sur son ventre, etait pale. _
Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici:
_On ne veut pas de nous dans les boulangeries_
Mais j'avoue preferer telles pieces purement jolies, mais alors tres
jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout a fait alors presque
aussi belles que les _Effares_ ou que les Assis.
Il y a, dans ce ton, _Ce qui relient Nina_, vingt-neuf strophes, plus de
cent vers, sur un [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse a tout bout
de champ:
_Dix-sept ans! tu seras heureuse!
O les grands pres,
La grande campagne amoureuse!
--Dis, viens plus pres! . . .
. . . . . . . . . . . . . .
Puis comme une petite morte
Le coeur pame
Tu me dirais que je te porte
L'oeil mi-ferme. . . _
Et, apres la promenade au bois. . . et la resurrection de la _petite
morte_, l'entree dans le village ou _ca sentirait le laitage_, une
etable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un
interieur a la Teniers:
_Les lunettes de la grand-mere
Et son nez long
Dans son missel. . . _
. . . . . . . . . . . . . .
Aussi la _Comedie en trois baisers:_
. . . . . . . . . . . . . .
_Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres. _
_Sensation_, ou le poete adolescent va loin, bien loin, <<comme un
bohemien>>
_Par la nature, heureux comme avec une femme. . . _
Roman:
_On n'est pas serieux quand on a dix-sept ans. _
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il ecrivait ce vers,
n'avait pas encore seize ans. Evidemment il se <<vieillissait>> pour mieux
plaire a quelque belle. . . de, tres probablement, son imagination.
_Ma Boheme_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses:
_Comme des lyres je tirai les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur_. . .
Mes _Petites amoureuses_, les _Poetes de sept ans_, freres franchement
douloureux des _Chercheuses de poux_:
_Et la mere fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminences
L'ame de son enfant livree aux repugnances. _
. . . . . . . . . . . . . .
Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les
eusse retenus pour les publier dans une nouvelle edition des oeuvres en
prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout a fait dans la note
des _Illuminations_ et de la _Saison en Enfer_. Je l'ai dit tout a
l'heure et je sais que je ne suis pas le seul a le penser: Rimbaud en
prose est peut-etre superieur a celui en vers. . .
J'ai termine, je crois avoir termine ma tache de prefacier. De la vie de
l'homme j'ai parle suffisamment. De son oeuvre je reparlerai peut-etre
encore.
Mon dernier mot ne peut-etre ici que ceci: Rimbaud fut un poete mort
jeune (a dix-huit ans, puisque ne a Charleville[--le 20] Octobre
1854--nous n'avons pas de vers de lui [posterieur] a 1872. ) mais vierge
de toute platitude ou decadence--comme il fut un homme mort jeune aussi
[(a trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 a l'hopital de la Conception
de Marseille), mais dans son voeu bien formule d'independance et de haut
dedain de n'importe quelle adhesion a ce qu'il ne lui plaisait pas de
faire ni d'etre.
Paul VERLAINE.
POESIES COMPLETES
DE CE LIVRE
IL A ETE TIRE
_25 exemplaires numerotes sur hollande. _
ARTHUR RIMBAUD
POESIES
COMPLETES
PARIS
LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1895
Tous droits reserves.
LES ETRENNES DES ORPHELlNS
I
La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encor, alourdi par le reve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se souleve. . .
--Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux;
Et la nouvelle annee, a la suite brumeuse,
Laissant trainer les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant. . .
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils ecoutent, pensifs, comme un lointain murmure. . .
Ils tressaillent souvent a la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain metallique en son globe de verre. . .
--Puis, la chambre est glacee. . . on voit trainer a terre,
Epars autour des lits, des vetements de deuil:
L'apre bise d'hiver qui se lamente au seuil,
Souffle dans le logis son haleine morose!
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose. . .
--Il n'est donc point de mere a ces petits enfants,
De mere au frais sourire, aux regards triomphants?
Elle a donc oublie, le soir, seule et penchee,
D'exciter une flamme a la cendre arrachee,
D'amonceler sur eux la laine et l'edredon
Avant de les quitter en leur criant: pardon.
Elle n'a point prevu la froideur matinale,
Ni bien ferme le seuil a la bise hivernale? . . .
--Le reve maternel, c'est le tiede tapis,
C'est le nid cotonneux ou les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.
--Et la,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur
Ou les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glace la bise amere. . .
III
Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mere,
Plus de mere au logis! --et le pere est bien loin! . . .
--Une vieille servante, alors, en a pris soin:
Les petits sont tout seuls en la maison glacee;
Orphelins de quatre ans, voila qu'en leur pensee
S'eveille, par degres, un souvenir riant. . .
C'est comme un chapelet qu'on egrene en priant:
--Ah! quel beau matin, que ce matin des etrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait reve des siennes
Dans quelque songe etrange ou l'on voyait joujoux,
Bonbons habilles d'or, etincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaitre encore!
On s'eveillait matin, on se levait joyeux,
La levre affriandee, en se frottant les yeux. . .
On allait, les cheveux emmeles sur la tete,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fete
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher. . .
On entrait! . . . Puis alors les souhaits. . . en chemise,
Les baisers repetes, et la gaite permise?
IV
Ah! c'etait si charmant, ces mots dits tant de fois!
--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer. . .
--L'armoire etait sans clefs! . . . sans clefs, la grande armoire
On regardait souvent sa porte brune et noire. . .
Sans clefs! . . . c'etait etrange! . . . On revait bien des fois
Aux mysteres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouir, au fond de la serrure
Beante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure
--La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
--Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus
Silencieusement tombe une larme amere,
ils murmurent: <<Quand donc reviendra notre mere? >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, a les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfles et leur souffle penible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
--Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un reve joyeux,
Un reve si joyeux, que leur levre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose. . .
Ils revent que, penches sur leur petit bras rond,
Doux geste du reveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux repose. . .
Ils se croient endormis dans un paradis rose. . .
Au foyer plein d'eclairs chante gaiment le feu. . .
Par la fenetre on voit la-bas un beau ciel bleu;
La nature s'eveille et de rayons s'enivre. . .
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil. . .
Et dans le vieux logis tout est tiede et vermeil:
Des sombres vetements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire.
On dirait qu'une fee a passe dans cela! . . .
--Les enfants, tout joyeux, ont jete deux cris. . . La,
Pres du lit maternel, sous un beau rayon rose,
La, sur le grand tapis, resplendit quelque chose. . .
Ce sont des medaillons argentes, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants:
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots graves en or: <<A NOTRE MERE! >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 janvier 1870
VOYELLES
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes,
A, noir corset velu des mouches eclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,
Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles
I, pourpres, sang crache, rire des levres belles
Dans la colere ou les ivresses penitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des patis semes d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, supreme Clairon plein de strideurs etranges,
Silences traverses des Mondes et des Anges:
--O l'Omega, rayon violet de Ses Yeux!
ORAISON DU SOIR
Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope a fortes cannelures,
L'hypogastre et le col cambres, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonfle d'impalpables voilures.
Tels que les excrements chauds d'un vieux colombier
Mille reves en moi font de douces brulures;
Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures.
Puis quand j'ai ravale mes reves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille pour lacher l'acre besoin.
Doux comme le Seigneur du cedre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns tres haut et tres loin,
Avec l'assentiment des grands heliotropes.
LES ASSIS
Noirs de loupes, greles, les yeux cercles de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispes a leurs femurs,
Le sinciput plaque de hargnosites vagues
Comme les floraisons lepreuses des vieux murs,
Ils ont greffe dans des amours epileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs.
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sieges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux,
Ou les yeux a la vitre ou se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.
Et les Sieges leur ont des bontes; culottee
De brun, la paille cede aux angles de leurs reins.
L'ame des vieux soleils s'allume, emmaillotee
Dans ces tresses d'epis ou fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siege aux rumeurs de tambour
S'ecoutent clapoter des barcarolles tristes
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage.
Ils surgissent, grondant comme des chats giffles,
Ouvrant lentement leurs omoplates, o rage!
Tout leur pantalon bouffe a leurs reins boursoufles.
Et vous les ecoutez cognant leurs tetes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors.
Puis ils ont une main invisible qui tue;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Assis, les poings crispes dans des manchettes sales,
Ils songent a ceux-la qui les ont fait lever,
Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chetifs s'agitent a crever.
Quand l'austere sommeil a baisse leurs visieres
Ils revent sur leurs bras de sieges fecondes,
De vrais petits amours de chaises en lisieres
Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordes.
Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis,
Tels qu'au fil des glaieuls le vol des libellules,
--Et leur membre s'agace a des barbes d'epis!
LES EFFARES
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits,--misere! --
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond. . .
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Peninsules demarrees,
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempete a beni mes eveils maritimes.
Plus leger qu'un bouchon j'ai danse sur les flots
Qu'on appelle rouleurs eternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte penetra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et des lors je me suis baigne dans le poeme
De la mer, infuse d'astres et latescent,
Devorant les azurs verts ou, flottaison bleme
Et ravie, un noye pensif parfois descend,
Ou, teignant tout a coup les bleuites, delires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs ameres de l'amour.
Je sais les cieux crevant en eclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltee ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas tache d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils a des acteurs de drames tres antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;
J'ai reve la nuit verte aux neiges eblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des seves inouies
Et l'eveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hysteriques, la houle a l'assaut des recifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Oceans poussifs;
J'ai heurte, savez-vous? d'incroyables Florides,
Melant aux fleurs des yeux de pantheres, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, a de glauques troupeaux;
J'ai vu fermenter les marais enormes, nasses
Ou pourrit dans les joncs tout un Leviathan,
Des ecroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Ou les serpents geants devores des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants,
Des ecumes de fleurs ont beni mes derades
Et d'ineffables vents m'ont aile par instants.
Parfois, martyr lasse des poles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais ainsi qu'une femme a genoux,
Presqu'ile ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,
Et je voguais lorsqu'a travers mes liens freles
Des noyes descendaient dormir a reculons.
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jete par l'ouragan dans l'ether sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repeche la carcasse ivre d'eau,
Libre, fumant, monte de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poetes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur,
Qui courais tache de lunules electriques,
Plante folle, escorte des hippocampes noirs,
Quand les Juillets faisaient crouler a coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,
Moi qui tremblais, sentant geindre a cinquante lieues
Le rut des Behemots et des Maelstroms epais,
Fileur eternel des immobilites bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets.
J'ai vu des archipels sideraux! Et des iles
Dont les cieux delirants sont ouverts au vogueur:
--Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, o future Vigueur?
Mais, vrai, j'ai trop pleure! Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L'acre amour m'a gonfle de torpeurs enivrantes.
Oh! que ma quille eclate! Oh! que j'aille a la mer!
Si je desire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide ou, vers le crepuscule embaume,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lache
Un bateau frele comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigne de vos langueurs, o lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons!
LES PREMIERES COMMUNIONS
I
Vraiment, c'est bete, ces eglises de villages
Ou quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Ecoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers.
Mais le soleil eveille, a travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleilles,
La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui fremit, solennelle,
Portant, pres des bles lourds, dans les sentiers sereux,
Ces arbrisseaux brules ou bleuit la prunelle,
Des noeuds de muriers noirs ou de rosiers furieux.
Tous les cent ans, on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caille.
Si des mysticites grotesques sont notables
Pres de la Notre-Dame ou du saint empaille,
Des mouches sentant bon l'auberge et les etables
Se gorgent de cire au plancher ensoleille.
L'enfant se doit surtout a la maison, famille
Des soins naifs, des bons travaux abrutissants,
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Ou le Pretre du Christ a mis ses doigts puissants.
On paie au Pretre un toit ombre d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napoleon ou le Petit Tambour,
Quelque enluminure ou les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront aux jours de science deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.
Les filles vont toujours a l'eglise, contentes
De s'entendre appeler garces par les garcons
Qui font du genre, apres messe et vepres chantantes,
Eux, qui sont destines au chic des garnisons,
Ils narguent au cafe les maisons importantes,
Blouses neuf et gueulant d'effroyables chansons.
Cependant le cure choisit, pour les enfances,
Des dessins; dans son clos, les vepres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en depit des celestes defenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant. . .
--La nuit vient, noir pirate au ciel noir debarquant.
II
Le pretre a distingue, parmi les catechistes
Congreges des faubourgs ou des riches quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers.
Au grand jour, la marquant parmi les catechistes,
Dieu fera, sur son front, neiger ses benitiers.
La veille du grand jour, l'enfant se fait malade
Mieux qu'a l'eglise haute aux funebres rumeurs.
D'abord le frisson vient, le lit n'etant pas fade,
Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs. . .
Et, comme un vol d'amour fait a ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur,
Ses Anges, ses Jesus et ses Vierges nitides,
Et, calmement, son ame a bu tout son vainqueur.
