ron et les autres
poe`mes dont je parlerai a` part, sont pleins de charme et d'ima-
gination.
poe`mes dont je parlerai a` part, sont pleins de charme et d'ima-
gination.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
s.
Le style change presque entie`rement de nature
suivant l'e? crivain, et les e? trangers ont besoin de faire une nou-
velle e? tude , a` chaque livre nouveau qu'ils veulent comprendre.
Les Allemands ont eu, comme la plupart des nations de l'Eu-
rope, du temps de la chevalerie, des troubadours et des guer-
riers qui chantaient l'amouret les combats. On vient de retrouver
un poe? me e? pique intitule? les Nibelungs, et compose? dans le
treizie`me sie`cle. Ony voit l'he? roi? smeet la fide? lite? qui distinguaient
les hommes d'alors, lorsque tout e? tait vrai, fort, et de? cide? comme
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? ET DES AMIS. 113
les couleurs primitives de la nature. L'allemand, dans ce poe? me, est plus clair et plus simple qu'a` pre? sent; les ide? es ge? ne? rales ne
s'y e? taient point encore introduites , et l'on ne faisait que racon-
ter des traits de caracte`re. La nation germanique pouvait e^tre
conside? re? e alors comme la plus belliqueuse de toutes les nations europe? ennes, et ses anciennes traditions ne parlent que des cha^-
teaux-forts, et des belles mai^tresses pour lesquelles on donnait
sa vie. Lorsque Maximilien essaya plus tard de ranimer la che-
valerie, l'esprit humain n'avait plus cette tendance ; et de? ja` com-
menc? aient les querelles religieuses, qui tournent la pense? e vers
la me? taphysique, et placent la force de l'a^me dans les opinions
pluto^t que dans les exploits.
Luther perfectionna singulie`rement sa langue, enla faisant ser-
vir aux discussions the? ologiques : sa traduction des Psaumes et
dela Bible est encore un beau mode`le. La ve? rite? et la concision
poe? tique qu'il donne a` son style sont tout a` fait conformes au
ge? nie de l'allemand , et le son me^me des mots a je ne sais quelle
franchise e? nergique sur laquelle on se repose avec confiance. Les
guerres politiques et religieuses, ou` les Allemands avaient le
malheur de se combattre les uns les autres, de? tourne`rent les es-
prits de la litte? rature: et quand on s'en occupa de nouveau, ce
fut sous les auspices du sie`cle de Louis XIV, a` l'e? poque ou` le de? -
sir d'imiter les Franc? ais s'empara dela plupart des cours et des
e? crivains de l'Europe.
Les ouvrages de Hagedorn, de Gellert, de Weiss, etc. , n'e? taient
que dufranc? aisappesanti; rien d'original, rien qui fu^t conforme
au ge? nie naturel de la nation. Ces auteurs voulaient atteindre a`
la gra^ce franc? aise, sans que leur genre de vie ni leurs habitudes
leur en donnassent l'inspiration, ils s'asservissaient a` la re`gle ,
sans avoir ni l'e? le? gance ni le gou^t qui peuvent donner de l'agre? -
ment a` ce despotisme me^me. Une autre e? cole succe? da biento^t a`
l'e? cole franc? aise, et ce fut dans la Suisse allemande qu'elle s'e? -
leva; cette e? cole e? tait d'abord fonde? e sur l'imitation des e? crivains
anglais. Bodmer, appuye? par l'exemple du grand Haller, ta^cha de
de? montrer que la litte? rature anglaise s'accordait mieux avec le
ge? nie des Allemands que la litte? rature franc? aise. Gottsched, un
savant sans gou^t et sans ge? nie, combattit cette opinion. Il jaillit 10.
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? 114 WIELAND.
une grande lumie`re de la dispute de ces deux e? coles. Quelques
hommes alors commence`rent a` se frayer une route par eux-me^-
mes. Rlopstock tint le premier rang dans l'e? cole anglaise, comme
Wieland dans l'e? cole franc? aise; mais Klopstock ouvrit une car-
rie`re nouvelle a` ses successeurs, tandis que Wieland fut a` la fois
le premier et le dernier dans l'e? cole franc? aise du dix-huitie`me
sie`cle: le premier, parce que nul n'a pu dans ce genre s'e? galer
a` lui; le dernier, parce qu'apre`s lui les e? crivains allemands sui-
virent une route tout a` fait diffe? rente.
Comme il y a dans toutes les nations teutoniques des e? tin-
celles de ce feu sacre? que le temps a recouvert de cendre,
Klopstock , en imitant d'abord les Anglais, parvinta` re? veiller
l'imagination et le caracte`re particuliers aux Allemands; et pres-
qu'au me^me moment Wiu^kelmann dans les arts, Lessing dans
la critique, et Goethe dans la poe? sie, fonde`rent une ve? ritable
e? cole allemande, si toutefois on peut appeler de ce nom ce qui
admet autant de diffe? rences qu'il y a d'individus et de talents di-
vers. J'examinerai se? pare? ment la poe? sie, l'art dramatique, les
romans et l'histoire; mais chaque homme de ge? nie formant,
pour ainsi dire, une e? cole a` part en Allemagne, il m'a semble?
ne? cessaire de commencer par faire connai^tre les traits principaux
qui distinguent chaque e? crivain en particulier, et de caracte? riser
personnellement les hommes de lettres les plus ce? le`bres, avant
d'analyser leurs ouvrages.
CHAPITRE IV. Wieland.
De tous les Allemands qui ont e? crit dans le genre franc? ais,
Wieland est le seul dont les ouvrages aient du ge? nie; et quoi-
qu'il ait presque toujours imite? les litte? ratures e? trange`res, on ne
peut me? connai^tre les grands services qu'il a rendus a` sa propre
litte? rature, en perfectionnant sa langue, en lui donnant une ver-
sification plus facile et plus harmonieuse.
Il y avait en Allemagne une foule d'e? crivains qui ta^chaient de
suivre les traces de la litte? rature franc? aise dusie`cle de Louis XIV;
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? ? AIL: \M). US
\\ieland est le premier qui ait introduit avec succe`s celle du dix-huitie`me sie`cle. Dans ses e? crits en prose, il a quelques rapports
avec Voltaire, et dans ses poe? sies, avec l'Arioste. Mais ces rap-
ports, qui sont volontaires, n'empe^chent pas que sa nature au
fond ne soit tout a` fait allemande. Wieland est infiniment plus
instruit que Voltaire; il a e? tudie? les anciens d'une fac? on plus
e? rudite qu'aucun poe`te ne l'a fait en France. Les de? fauts, comme
les qualite? s de Wieland, ne lui permettent pas de donner a` ses
e? crits la gra^ce et la le? ge`rete? franc? aises.
Dans ses romans philosophiques, Agathon, Pe? re? grinus Pro-
te? e, il arrive tout de suite a` l'analyse, a` la discussion, a` la me? -
taphysique; il se fait un devoir d'y me^ler ce qu'on appelle com-
mune? ment des fleurs; mais l'on sent que son penchant naturel
serait d'approfondir tous les sujets qu'il essaye de parcourir. Le
se? rieux et la gaiete? sont l'un et l'autre trop prononce? s, dans les
romans de Wieland, pour e^tre re? unis; car, en toute chose, les
contrastes sont piquants, mais les extre^mes oppose? s fatiguent.
Il faut, pour imiter Voltaire, une insouciance moqueuse et
philosophique qui rende indiffe? rent atout, excepte? a` la manie`re
piquante d'exprimer cette insouciance. Jamais un Allemand ne
peut arriver a` cette brillante liberte? de plaisanterie; la ve? rite?
l'attache trop, il veut savoir et expliquer ce que les choses sont,
et lors me^me qu'il adopte des opinions condamnables, un re-
pentir secret ralentit sa marche malgre? lui. La philosophie
e? picurienne ne convient pas a` l'esprit des Allemands; ils donnent
a` cette philosophie un caracte`re dogmatique, tandis qu'elle n'est
se? duisante que lorsqu'elle se pre? sente sous des formes le? ge`res:
de`s qu'on lui pre^te des principes, elle de? plai^t a` tous e? galement. Les ouvrages de Wieland en vers ont beaucoup plus de gra^ce
et d'originalite? que ses e? crits en prose: l'Obe?
ron et les autres
poe`mes dont je parlerai a` part, sont pleins de charme et d'ima-
gination. On a cependant reproche? a` Wieland d'avoir traite?
l'amour avec trop peu de se? ve? rite? , et il doit e^tre ainsi juge? chez
ces Germains qui respectent encore un peu les femmes , a` la
manie`re de leurs ance^tres; mais quels qu'aient e? te? les e? carts
d'imagination que Wieland se soit permis, on ne peut s'empe^cher
de reconnai^tre en lui une sensibilite? ve? ritable; il a souvent eu
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? 116 WIELA. ND.
bonne ou mauvaise intention de plaisanter sur l'amour, mais
une nature se? rieuse l'empe^che de s'y livrer hardiment; il res-
semble a` ce prophe`te qui be? nit au lieu de maudire; il finit par
s'attendrir, en commenc? ant par l'ironie.
L'entretien de Wieland a beaucoup de charme, pre? cise? ment
parce que ses qualite? s naturelles sont en opposition avec sa phi-
losophie. Ce de? saccord peut lui nuire comme e? crivain, mais rend
sa socie? te? tre`s-piquante: il est anime? , enthousiaste, et comme
tous les hommes de ge? nie, jeune encore dans sa vieillesse; et
cependant il veut e^tre sceptique, et s'impatiente quand on se
sert de sa belle imagination me^me, pour le porter a` la croyance.
Naturellement bienveillant, il est ne? anmoins susceptible d'hu-
meur; quelquefois parce qu'il n'est pas content de lui, quelque-
fois parce qu'il n'est pas content des autres : il n'est pas content
de lui, parce qu'il voudrait arriver a` un degre? de perfection
dans la manie`re d'exprimer ses pense? es, a` laquelle les choses et
les mots ne se pre^tent pas; il ne veut pas s'en tenir a` ces a` peu
pre`s qui conviennent mieux a` l'art de causer que la perfection
me^me: il est quelquefois me? content des autres, parce que sa
doctrine un peu rela^che? e et ses sentiments exalte? s ne sont pas
faciles a` concilier ensemble. Il y a en lui un poe^le allemand et
un philosophe franc? ais, qui se fa^chent alternativement l'un pour
l'autre; mais ses cole`res cependant sont tre`s-douces a` supporter;
et sa conversation, remplie d'ide? es et de connaissances, servirait
de fonds a` l'entretien de beaucoup d'hommes d'esprit en divers
genres.
Les nouveaux e? crivains, qui ont exclu de la litte? rature alle-
mande toute influence e? trange`re, ont e? te? souvent injustes en-
vers Wieland: c'est lui dont les ouvrages, me^me dans la traduc-
tion , ont excite? l'inte? re^t de toute l'Europe; c'est lui qui a fait
servir la science de l'antiquite? au charme de la litte? rature; c'est
lui qui a donne? , dans les vers, a` sa langue fe? conde, mais rude,
une flexibilite? musicale et gracieuse ; il est vrai cependant qu'il
n'e? tait pas avantageux a` son pays que ses e? crits eussent des imi-
tateurs; l'originalite? nationale vaut mieux, et l'on devait, tout
en reconnaissant Wieland pour un grand mai^tre, souhaiter qu'il
n'eu^t pas de disciples.
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? KLOPSTOCK- 117
CHAriTRE V.
Klopstock.
Il y a eu en Allemagne beaucoup plus d'hommes remarqua-
bles dans l'e? cole anglaise que dans l'e? cole franc? aise. Parmi les
e? crivains forme? s parla litte? rature anglaise, il faut compter d'a-
bord cet admirable Haller, dont le ge? nie poe? tique le servit si effi-
cacement, comme savant, en lui inspirant plus d'enthousiasme
pour la nature, et des vues plus ge? ne? rales sur ses phe? nome`nes;
Gessner, que l'on gou^te en France, plus me^me qu'en Allemagne;
Gleim, Ramier, etc. , et avant eux tous Klopstock.
Son ge? nie s'e? tait enflamme? par la lecture de Milton et de
Young; mais c'est avec lui que l'e? cole vraiment allemande a
commence? . Il exprime d'une manie`re fort heureuse, dans une de
ses odes, l'e? mulation des deux muses.
<<J'ai vu. . . Oh! dites-moi, e? tait-ce le pre? sent, ou contem-
<< plais-je l'avenir? J'ai vu la muse de la Germanie entrer en lice
<< avec la muse anglaise, s'e? lancer pleine d'ardeur a` la victoire.
<< Deux termes e? leve? s a` l'extre? mite? de la carrie`re se distin-
* guaient a` peine, l'un ombrage? de che^ne, l'autre entoure? de
<< palmiers1.
<< Accoutume? e a` de tels combats, la muse d'Albion descendit
<< fie`rement dans l'are`ne; elle reconnut ce champ qu'elle par-
<< courut de? ja`, dans sa lutte sublime avec le fils de Me? on, avec
<< le chantre du Capitole.
<< Elle vit sa rivale, jeune, tremblante; mais son tremble-
<< ment e? tait noble: l'ardeur de la victoire colorait son visage;
<< et sa chevelure d'or flottait sur ses e? paules.
<< De? ja`, retenant a` peine sa respiration presse? e dans son sein
<< e? mu, elle croyait entendre la trompette, elle de? vorait l'are`ne,
<< elle se penchait vers le terme.
<< Fie`re d'une telle rivale, plus fie`re d'elle-me^me, la noble An-
1 Le che^ne est l'emble? me de la poe? sie patriotique, et le palmier celai de la
iKje? u`e religieuse, qui vient de l'Orient.
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? 118 KLOPSTOCK.
<< glaise mesure d'un regard la fille de Thuiskon. Oui, je m'en
<< souviens , dit-elle, dans les fore^ts de che^nes , pre`s des bardes
<< antiques, ensemble nous naqui^mes.
<< Mais on m'avait dit que tu u'e? tais plus. Pardonne, 6 muse!
<< si tu revis pour l'immortalite? , pardonne-moi de ne l'appren-
<< dre qu'a` cette heure. . . Cepeadant je le saurai mieux au but.
<< 11 est la`. . . le vois-tu dans ce lointain? par dela` le che^ne,
<< vois-tu les palmes, peux-tu discerner la couronne? Tu te tais. . .
<< Oh! ce fier silence, ce courage contenu, ce regard de feu fixe?
<< sur la terre. . . je le connais.
<< Cependant. . . pense encore avant le dangereux signal, pen-
"se. . . n'est-ce pas moi qui de? ja` luttai contre la muse des Ther-
<< mopyles, contre celle des Sept Collines?
<< Elle dit : le moment de? cisif est venu, le he? raut s'approche:
<< 0 fille d'Albion! s'e? cria la muse de la Germanie , je t'aime,
<< en t'admirant je t'aime. . . mais l'immortalite? , les palmes me
sont encore plus che`res que toi. Saisis cette couronne, si ton
ge? nie le veut; mais qu'il me soit permis de la partager avec
toi.
<<Comme mon coeur bat! . . . Dieux immortels. . . si me^me
<< j'arrivais plus to^t au but sublime. . . oh! alors tu me suivras
,? de pre`s. . . ton souffle agitera mes cheveux flottants.
<< Tout a` coup la trompette retentit, elles volent avec la ra-
<< pidite? de l'aigle, un nuage de poussie`re s'e? le`ve sur la vaste
<< carrie`re; je les vis pre`s du che^ne, mais le nuage s'e? paissit, et
<< biento^t je les perdis de vue. >>
C'est ainsi que finit l'ode, et il y a dela gra^ce a` ne pas de? signer
le vainqueur.
suivant l'e? crivain, et les e? trangers ont besoin de faire une nou-
velle e? tude , a` chaque livre nouveau qu'ils veulent comprendre.
Les Allemands ont eu, comme la plupart des nations de l'Eu-
rope, du temps de la chevalerie, des troubadours et des guer-
riers qui chantaient l'amouret les combats. On vient de retrouver
un poe? me e? pique intitule? les Nibelungs, et compose? dans le
treizie`me sie`cle. Ony voit l'he? roi? smeet la fide? lite? qui distinguaient
les hommes d'alors, lorsque tout e? tait vrai, fort, et de? cide? comme
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET DES AMIS. 113
les couleurs primitives de la nature. L'allemand, dans ce poe? me, est plus clair et plus simple qu'a` pre? sent; les ide? es ge? ne? rales ne
s'y e? taient point encore introduites , et l'on ne faisait que racon-
ter des traits de caracte`re. La nation germanique pouvait e^tre
conside? re? e alors comme la plus belliqueuse de toutes les nations europe? ennes, et ses anciennes traditions ne parlent que des cha^-
teaux-forts, et des belles mai^tresses pour lesquelles on donnait
sa vie. Lorsque Maximilien essaya plus tard de ranimer la che-
valerie, l'esprit humain n'avait plus cette tendance ; et de? ja` com-
menc? aient les querelles religieuses, qui tournent la pense? e vers
la me? taphysique, et placent la force de l'a^me dans les opinions
pluto^t que dans les exploits.
Luther perfectionna singulie`rement sa langue, enla faisant ser-
vir aux discussions the? ologiques : sa traduction des Psaumes et
dela Bible est encore un beau mode`le. La ve? rite? et la concision
poe? tique qu'il donne a` son style sont tout a` fait conformes au
ge? nie de l'allemand , et le son me^me des mots a je ne sais quelle
franchise e? nergique sur laquelle on se repose avec confiance. Les
guerres politiques et religieuses, ou` les Allemands avaient le
malheur de se combattre les uns les autres, de? tourne`rent les es-
prits de la litte? rature: et quand on s'en occupa de nouveau, ce
fut sous les auspices du sie`cle de Louis XIV, a` l'e? poque ou` le de? -
sir d'imiter les Franc? ais s'empara dela plupart des cours et des
e? crivains de l'Europe.
Les ouvrages de Hagedorn, de Gellert, de Weiss, etc. , n'e? taient
que dufranc? aisappesanti; rien d'original, rien qui fu^t conforme
au ge? nie naturel de la nation. Ces auteurs voulaient atteindre a`
la gra^ce franc? aise, sans que leur genre de vie ni leurs habitudes
leur en donnassent l'inspiration, ils s'asservissaient a` la re`gle ,
sans avoir ni l'e? le? gance ni le gou^t qui peuvent donner de l'agre? -
ment a` ce despotisme me^me. Une autre e? cole succe? da biento^t a`
l'e? cole franc? aise, et ce fut dans la Suisse allemande qu'elle s'e? -
leva; cette e? cole e? tait d'abord fonde? e sur l'imitation des e? crivains
anglais. Bodmer, appuye? par l'exemple du grand Haller, ta^cha de
de? montrer que la litte? rature anglaise s'accordait mieux avec le
ge? nie des Allemands que la litte? rature franc? aise. Gottsched, un
savant sans gou^t et sans ge? nie, combattit cette opinion. Il jaillit 10.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 114 WIELAND.
une grande lumie`re de la dispute de ces deux e? coles. Quelques
hommes alors commence`rent a` se frayer une route par eux-me^-
mes. Rlopstock tint le premier rang dans l'e? cole anglaise, comme
Wieland dans l'e? cole franc? aise; mais Klopstock ouvrit une car-
rie`re nouvelle a` ses successeurs, tandis que Wieland fut a` la fois
le premier et le dernier dans l'e? cole franc? aise du dix-huitie`me
sie`cle: le premier, parce que nul n'a pu dans ce genre s'e? galer
a` lui; le dernier, parce qu'apre`s lui les e? crivains allemands sui-
virent une route tout a` fait diffe? rente.
Comme il y a dans toutes les nations teutoniques des e? tin-
celles de ce feu sacre? que le temps a recouvert de cendre,
Klopstock , en imitant d'abord les Anglais, parvinta` re? veiller
l'imagination et le caracte`re particuliers aux Allemands; et pres-
qu'au me^me moment Wiu^kelmann dans les arts, Lessing dans
la critique, et Goethe dans la poe? sie, fonde`rent une ve? ritable
e? cole allemande, si toutefois on peut appeler de ce nom ce qui
admet autant de diffe? rences qu'il y a d'individus et de talents di-
vers. J'examinerai se? pare? ment la poe? sie, l'art dramatique, les
romans et l'histoire; mais chaque homme de ge? nie formant,
pour ainsi dire, une e? cole a` part en Allemagne, il m'a semble?
ne? cessaire de commencer par faire connai^tre les traits principaux
qui distinguent chaque e? crivain en particulier, et de caracte? riser
personnellement les hommes de lettres les plus ce? le`bres, avant
d'analyser leurs ouvrages.
CHAPITRE IV. Wieland.
De tous les Allemands qui ont e? crit dans le genre franc? ais,
Wieland est le seul dont les ouvrages aient du ge? nie; et quoi-
qu'il ait presque toujours imite? les litte? ratures e? trange`res, on ne
peut me? connai^tre les grands services qu'il a rendus a` sa propre
litte? rature, en perfectionnant sa langue, en lui donnant une ver-
sification plus facile et plus harmonieuse.
Il y avait en Allemagne une foule d'e? crivains qui ta^chaient de
suivre les traces de la litte? rature franc? aise dusie`cle de Louis XIV;
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ? AIL: \M). US
\\ieland est le premier qui ait introduit avec succe`s celle du dix-huitie`me sie`cle. Dans ses e? crits en prose, il a quelques rapports
avec Voltaire, et dans ses poe? sies, avec l'Arioste. Mais ces rap-
ports, qui sont volontaires, n'empe^chent pas que sa nature au
fond ne soit tout a` fait allemande. Wieland est infiniment plus
instruit que Voltaire; il a e? tudie? les anciens d'une fac? on plus
e? rudite qu'aucun poe`te ne l'a fait en France. Les de? fauts, comme
les qualite? s de Wieland, ne lui permettent pas de donner a` ses
e? crits la gra^ce et la le? ge`rete? franc? aises.
Dans ses romans philosophiques, Agathon, Pe? re? grinus Pro-
te? e, il arrive tout de suite a` l'analyse, a` la discussion, a` la me? -
taphysique; il se fait un devoir d'y me^ler ce qu'on appelle com-
mune? ment des fleurs; mais l'on sent que son penchant naturel
serait d'approfondir tous les sujets qu'il essaye de parcourir. Le
se? rieux et la gaiete? sont l'un et l'autre trop prononce? s, dans les
romans de Wieland, pour e^tre re? unis; car, en toute chose, les
contrastes sont piquants, mais les extre^mes oppose? s fatiguent.
Il faut, pour imiter Voltaire, une insouciance moqueuse et
philosophique qui rende indiffe? rent atout, excepte? a` la manie`re
piquante d'exprimer cette insouciance. Jamais un Allemand ne
peut arriver a` cette brillante liberte? de plaisanterie; la ve? rite?
l'attache trop, il veut savoir et expliquer ce que les choses sont,
et lors me^me qu'il adopte des opinions condamnables, un re-
pentir secret ralentit sa marche malgre? lui. La philosophie
e? picurienne ne convient pas a` l'esprit des Allemands; ils donnent
a` cette philosophie un caracte`re dogmatique, tandis qu'elle n'est
se? duisante que lorsqu'elle se pre? sente sous des formes le? ge`res:
de`s qu'on lui pre^te des principes, elle de? plai^t a` tous e? galement. Les ouvrages de Wieland en vers ont beaucoup plus de gra^ce
et d'originalite? que ses e? crits en prose: l'Obe?
ron et les autres
poe`mes dont je parlerai a` part, sont pleins de charme et d'ima-
gination. On a cependant reproche? a` Wieland d'avoir traite?
l'amour avec trop peu de se? ve? rite? , et il doit e^tre ainsi juge? chez
ces Germains qui respectent encore un peu les femmes , a` la
manie`re de leurs ance^tres; mais quels qu'aient e? te? les e? carts
d'imagination que Wieland se soit permis, on ne peut s'empe^cher
de reconnai^tre en lui une sensibilite? ve? ritable; il a souvent eu
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 116 WIELA. ND.
bonne ou mauvaise intention de plaisanter sur l'amour, mais
une nature se? rieuse l'empe^che de s'y livrer hardiment; il res-
semble a` ce prophe`te qui be? nit au lieu de maudire; il finit par
s'attendrir, en commenc? ant par l'ironie.
L'entretien de Wieland a beaucoup de charme, pre? cise? ment
parce que ses qualite? s naturelles sont en opposition avec sa phi-
losophie. Ce de? saccord peut lui nuire comme e? crivain, mais rend
sa socie? te? tre`s-piquante: il est anime? , enthousiaste, et comme
tous les hommes de ge? nie, jeune encore dans sa vieillesse; et
cependant il veut e^tre sceptique, et s'impatiente quand on se
sert de sa belle imagination me^me, pour le porter a` la croyance.
Naturellement bienveillant, il est ne? anmoins susceptible d'hu-
meur; quelquefois parce qu'il n'est pas content de lui, quelque-
fois parce qu'il n'est pas content des autres : il n'est pas content
de lui, parce qu'il voudrait arriver a` un degre? de perfection
dans la manie`re d'exprimer ses pense? es, a` laquelle les choses et
les mots ne se pre^tent pas; il ne veut pas s'en tenir a` ces a` peu
pre`s qui conviennent mieux a` l'art de causer que la perfection
me^me: il est quelquefois me? content des autres, parce que sa
doctrine un peu rela^che? e et ses sentiments exalte? s ne sont pas
faciles a` concilier ensemble. Il y a en lui un poe^le allemand et
un philosophe franc? ais, qui se fa^chent alternativement l'un pour
l'autre; mais ses cole`res cependant sont tre`s-douces a` supporter;
et sa conversation, remplie d'ide? es et de connaissances, servirait
de fonds a` l'entretien de beaucoup d'hommes d'esprit en divers
genres.
Les nouveaux e? crivains, qui ont exclu de la litte? rature alle-
mande toute influence e? trange`re, ont e? te? souvent injustes en-
vers Wieland: c'est lui dont les ouvrages, me^me dans la traduc-
tion , ont excite? l'inte? re^t de toute l'Europe; c'est lui qui a fait
servir la science de l'antiquite? au charme de la litte? rature; c'est
lui qui a donne? , dans les vers, a` sa langue fe? conde, mais rude,
une flexibilite? musicale et gracieuse ; il est vrai cependant qu'il
n'e? tait pas avantageux a` son pays que ses e? crits eussent des imi-
tateurs; l'originalite? nationale vaut mieux, et l'on devait, tout
en reconnaissant Wieland pour un grand mai^tre, souhaiter qu'il
n'eu^t pas de disciples.
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? KLOPSTOCK- 117
CHAriTRE V.
Klopstock.
Il y a eu en Allemagne beaucoup plus d'hommes remarqua-
bles dans l'e? cole anglaise que dans l'e? cole franc? aise. Parmi les
e? crivains forme? s parla litte? rature anglaise, il faut compter d'a-
bord cet admirable Haller, dont le ge? nie poe? tique le servit si effi-
cacement, comme savant, en lui inspirant plus d'enthousiasme
pour la nature, et des vues plus ge? ne? rales sur ses phe? nome`nes;
Gessner, que l'on gou^te en France, plus me^me qu'en Allemagne;
Gleim, Ramier, etc. , et avant eux tous Klopstock.
Son ge? nie s'e? tait enflamme? par la lecture de Milton et de
Young; mais c'est avec lui que l'e? cole vraiment allemande a
commence? . Il exprime d'une manie`re fort heureuse, dans une de
ses odes, l'e? mulation des deux muses.
<<J'ai vu. . . Oh! dites-moi, e? tait-ce le pre? sent, ou contem-
<< plais-je l'avenir? J'ai vu la muse de la Germanie entrer en lice
<< avec la muse anglaise, s'e? lancer pleine d'ardeur a` la victoire.
<< Deux termes e? leve? s a` l'extre? mite? de la carrie`re se distin-
* guaient a` peine, l'un ombrage? de che^ne, l'autre entoure? de
<< palmiers1.
<< Accoutume? e a` de tels combats, la muse d'Albion descendit
<< fie`rement dans l'are`ne; elle reconnut ce champ qu'elle par-
<< courut de? ja`, dans sa lutte sublime avec le fils de Me? on, avec
<< le chantre du Capitole.
<< Elle vit sa rivale, jeune, tremblante; mais son tremble-
<< ment e? tait noble: l'ardeur de la victoire colorait son visage;
<< et sa chevelure d'or flottait sur ses e? paules.
<< De? ja`, retenant a` peine sa respiration presse? e dans son sein
<< e? mu, elle croyait entendre la trompette, elle de? vorait l'are`ne,
<< elle se penchait vers le terme.
<< Fie`re d'une telle rivale, plus fie`re d'elle-me^me, la noble An-
1 Le che^ne est l'emble? me de la poe? sie patriotique, et le palmier celai de la
iKje? u`e religieuse, qui vient de l'Orient.
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? 118 KLOPSTOCK.
<< glaise mesure d'un regard la fille de Thuiskon. Oui, je m'en
<< souviens , dit-elle, dans les fore^ts de che^nes , pre`s des bardes
<< antiques, ensemble nous naqui^mes.
<< Mais on m'avait dit que tu u'e? tais plus. Pardonne, 6 muse!
<< si tu revis pour l'immortalite? , pardonne-moi de ne l'appren-
<< dre qu'a` cette heure. . . Cepeadant je le saurai mieux au but.
<< 11 est la`. . . le vois-tu dans ce lointain? par dela` le che^ne,
<< vois-tu les palmes, peux-tu discerner la couronne? Tu te tais. . .
<< Oh! ce fier silence, ce courage contenu, ce regard de feu fixe?
<< sur la terre. . . je le connais.
<< Cependant. . . pense encore avant le dangereux signal, pen-
"se. . . n'est-ce pas moi qui de? ja` luttai contre la muse des Ther-
<< mopyles, contre celle des Sept Collines?
<< Elle dit : le moment de? cisif est venu, le he? raut s'approche:
<< 0 fille d'Albion! s'e? cria la muse de la Germanie , je t'aime,
<< en t'admirant je t'aime. . . mais l'immortalite? , les palmes me
sont encore plus che`res que toi. Saisis cette couronne, si ton
ge? nie le veut; mais qu'il me soit permis de la partager avec
toi.
<<Comme mon coeur bat! . . . Dieux immortels. . . si me^me
<< j'arrivais plus to^t au but sublime. . . oh! alors tu me suivras
,? de pre`s. . . ton souffle agitera mes cheveux flottants.
<< Tout a` coup la trompette retentit, elles volent avec la ra-
<< pidite? de l'aigle, un nuage de poussie`re s'e? le`ve sur la vaste
<< carrie`re; je les vis pre`s du che^ne, mais le nuage s'e? paissit, et
<< biento^t je les perdis de vue. >>
C'est ainsi que finit l'ode, et il y a dela gra^ce a` ne pas de? signer
le vainqueur.
