lange de l'existence commode et des sentiments orageux; une
imagination
pleine de gra^ce et de force s'approche
des plus grands effets pour les de?
des plus grands effets pour les de?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
sie est le me?
diateur aile?
qui transporte les temps passe?
s et
les nations e? trange`res dans une re? gion sublime ou` l'admiration
tient lieu de sympathie.
Les romans de chevalerie abondent en Allemagne: mais on
aurait du^ les rattacher plus scrupuleusement aux traditions an-
ciennes : a` pre? sent on recherche ces sources pre? cieuses; et,
dans un livre appele? le Livre des He? ros, on a trouve? une foule
d'aventures raconte? es avec force et nai? vete? ; il importe de con-
server la couleur de ce style et de ces moeurs anciennes, et de
ne pas prolonger, par l'analyse des sentiments, les re? cits de ce
tempsou` l'honneur etl'amour agissaient sur le coeur de l'homme,
comme la fatalite? chez les anciens, sans qu'on re? fle? chit aux mo-
tifs des actions, ni que l'incertitude y fu^t admise.
Les romans philosophiques ont pris depuis quelque temps,
en Allemagne, le pas sur ions 1^ piitras ? il? ne ressemblent
point a` ceux des Franc? ais: ce n'est pas, comme dans Voltaire,
une ide? e ge? ne? rale qu'on exprime par un fait. enJbrme d'apolo-
gue, mais c'est un tableau de la viehumaine tout a` fait impar-
tial , un tableau dans lequel aucun inte? re^t passionne? ne do-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ROMANS, 341
mine; des situations diverses se succe`dent dans tous les rangs,
dans tous les e? tats, dans toutes les circonstances, et l'e? crivain
est la` pour les raconter; c'est ainsi que Goethe a conc? u Wil-
Iii lin Meister, ouvrage tre`s-admire? en Allemagne,mais ailleurs
peu connu.
Wilhelm Meister est plein de discussions inge? nieuses et spi-
rituelles; on en ferait un ouvrage philosophique du premier
ordre, s'il ne s'y me^lait pas une intrigue de roman , dont' l'in-
te? re^t ne vaut pas ce qu'elle fait perdre; on y trouve des peintu-
res tre`s-fines et tre`s de? taille? es d'une certaine classe de la so-
cie? te? , plus nombreuse en Allemagne que dans les autres pays;
classe dans laquelle les artistes, les come? diens et les aventu-
riers se me^lent avec les bourgeois qui aiment la vie inde? pen-
dante, et avec les grands seigneurs qui croient prote? ger les
arts : chacun de ces tableaux pris a` part est charmant; mais il
n'y a d'autre inte? re^t dans l'ensemble de l'ouvrage que celui
qu'on doit mettre a` savoir l'opinion de Goethe sur chaque su-
jet: le he? ros de son roman est un tiers importun, qu'il a mis,
on ne sait pourquoi, entre son lecteur et lui.
Au milieu deces personnages de IVilhelm Meister, plus spi-
rituels que signifiants, et de ces situations plus naturelles que
saillantes, un e? pisode charmant se retrouve dans plusieurs en-
droits de l'ouvrage, et re? unit tout ce que la chaleur et l'origi-
nalite? du talent de Goethe peuvent faire e? prouver de plus anime? .
Une jeune fille italienne est l'enfant de l'amour, et d'un amour
criminel et terrible, qui a entrai^ne? un homme consacre? par
serment au culte de la Divinite? ; les deux e? poux, de? ja` si coupa-
bles, de? couvrent apre`s leur hymen qu'ils e? taient fre`re et soeur,
et que l'inceste est pour eux la punition du parjure. La me`re perd
la raison, et le pe`re parcourt le monde comme un malheureux
errant qui ne veut d'asile nulle part. Le fruit infortune? de cet
amour si funeste, sans appui de`s sa naissance, est enleve? par des
danseurs de corde; ils l'exercent jusqu'a` l'a^ge de dix ans dans
les mise? rables jeux dont ils tirent leur subsistance : les cruels
traitements qu'on lui fait e? prouver inte? ressent Wilhelm, et il
prend a` son service cette jeune fille, sous l'habit de garc? on,
qu'elle a porte? depuis qu'elle est au monde.
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? 342 DES HOMANS.
Alors se de? veloppe dans cette cre? ature extraordinaire un me? -
lange singulier d'enfance et de profondeur, de se? rieux et d'ima-
gination; ardente comme les Italiennes, silencieuse et perse? ve? -
rante comme une personne re? fle? chie, la parole ne semble pas
son langage. Le peu de mots qu'elle dit cependant est solennel,
et re? pond a` des sentiments bien plus forts que son a^ge, et dont
elle-me^me n'a pas le secret. Elle s'attache a` Wilhelm avec
amour et respect; elle le sert comme un domestique fide`le, elle
l'aime comme une femme passionne? e: sa vie ayant toujours e? te?
malheureuse, on dirait qu'elle n'a point connu l'enfance, et
que, souffrant dans l'a^ge auquel la nature n'a destine? que des
jouissances, elle n'existe que pour une seule affection, avec la-
quelle les battements de son coeur commencent et finissent.
Le personnage de Mignon (c'est le nom de la jeune fille )
est myste? rieux comme un re^ve; elle exprime ses regrets pour
l'Italie dans des vers ravissants, que tout le monde sait par coeur
en Allemagne : << Connais-tu cette terre ou` les citronniers fleurissent, etc. >> Enfin la jalousie, cette impression trop forte
pour de si jeunes organes, brise la pauvre enfant, qui sentit
la douleur avant que l'a^ge lui donna^t la force de lutter contre elle. Il faudrait, pour comprendre tout l'effet de cet admirable
tableau, en rapporter chaque de? tail. On ne peut se repre? senter
sans e? motion les moindres mouvements de cette jeune fille; il y
a je ne sais quelle simplicite? magique en elle, qui suppose des
abi^mes de pense? es et de sentiments; l'on croit entendre gronder
l'orage au fond de son a^me lors me^me que l'on ne saurait citer
une parole ni une circonstance qui motive l'inquie? tude inexprimable qu'elle fait e? prouver.
Malgre? ce bel e? pisode, on aperc? oit dans Wilhelm Meister-
le syste`me singulier qui s'est de? veloppe? depuis quelque temps
dans la nouvelle e? cole allemande. Les re? cits des anciens, et
me^me leurs poemes, quelque anime? s qu'ils soient dans le fond,
sont calmes par la forme; et l'on s'est persuade? que les moder-
nes feraient bien d'imiter la tranquillite? des e? crivains antiques:
mais en fait d'imagination, ce qui n'est commande? que par la
the? orie ne re? ussit gue`re dans la pratique. S'il s'agit d'e? ve? ne-
ments tels que ceux de l'Iliade, ils inte? ressent d'eux-me^mes, et
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES HOMaNS. 343
moins le sentiment personnel de l'auteur s'aperc? oit, plus le ta-
bleau fait impression; mais si l'on se met a` peindre les situa-
tions romanesques avec le calme impartial d'Home`re, le re? sul-
tat n'en saurait e^tre tre`s-attachant.
Goethe vient de faire parai^tre un roman intitule? les Affinite? s
de Choix, qu'on peut accuser surtout, ce me semble, du de? faut
que jeviens d'indiquer. Un me? nage heureux s'estretire? a` lacam-
pague; les deux e? poux invitent, l'un son ami, l'autre, sa nie`ce,
a` partager leur solitude; l'ami devient amoureux de la femme,
et l'e? poux de la jeune fille, nie`ce de sa femme. Il se livre a`
l'ide? e de recourir au divorce pour s'unir a` ce qu'il aime; la jeune
fille est pre^te a` y consentir: des e? ve? nements malheureux la
rame`nent au sentiment du devoir ; mais quand elle reconnai^t la ne? cessite? de sacrifier son amour, elle en meurt de douleur, et
celui qu'elle aime ne tarde pas a` la suivre.
La traduction des Affinite? s de Choix n'a point eu de succe`s
en France, parce que l'ensemble de cette fiction n'a rien de
caracte? rise? , et qu'on ne sait pas dans quel but elle a e? te? concue; ce
n'est point un tort en Allemagne que cette incertitude : comme
les e? ve? nements de ce monde ne pre? sentent souvent que des re? -
sultats inde? cis, l'on consent a` trouver dans les romans qui les peignent les me^mes contradictions et les me^mes doutes. Il y a
dans l'ouvrage de Goethe une foule de pense? es et d'observations
fines; mais il est vrai que l'inte? re^t y languit souvent, et qu'on
trouve presque autant de lacunes dans ce roman que dans la
vie humaine telle qu'elle se passe ordinairement. Un roman ce-
pendant ne doit pas ressembler a` des me? moires particuliers; car
tout inte? resse dans ce qui a existe? re? ellement, tandis qu'une
fiction ne peut e? galer l'effet dela ve? rite? qu'en la surpassant,
c'est-a`-dire, en ayant plus de force, plus d'ensemble et plus
d'action qu'elle.
La description du jardin du baron et des embellissements
qu'y fait la baronne, absorbe plus du tiers du roman; et l'on a
peine a` partir de la` pour e^tre e? mu par une catastrophe tragique:
la mort du he? ros et de l'he? roi? ne ne semble plusqu'un accident
fortuit, parce que le coeur n'est pas pre? pare? longtemps d'avance
a` sentir et a` partager la peine qu'ils e? prouvent. Cet e? crit offre
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? 344 DES ROMAINS.
un singulier me?
lange de l'existence commode et des sentiments orageux; une imagination pleine de gra^ce et de force s'approche
des plus grands effets pour les de? laisser tout a` coup, comme
s'il ne valait pas la peine de les produire; et l'on dirait que l'e? -
motion fait du mal a` l'e? crivain de ce roman, et que, par paresse
de coeur, il met de co^te? la moitie? de son talent, de peur de se
faire souffrir lui-me^me en attendrissant les autres.
Une question plus importante, c'est de savoir si un tel ou-
vrage est moral, c'est-a`-dire, si l'impression qu'on en rec? oit est
favorable au perfectionnement de l'a^me ; les e? ve? nements ne sont
de rien a` cet e? gard dans une fiction; on sait si bien qu'ils de? pen-
dent de la volonte? de l'auteur, qu'ils ne peuvent re? veiller la con-
science de personne: lamoralite? d'un roman consiste donc dans
les sentiments qu'il inspire. On ne saurait nier qu'il n'y ait dans"
Te livre de Goelhe uTi^e? profonde connaissance du coeur humain,
mais une connaissance de? courageante; la vie y est repre? sente? e
comme une chose assez indiffe? rente, de quelque manie`re qu'on
la passe; triste quand on l'approfondit, assez agre? able quand on l'esquive, susceptible de maladies morales qu'il faut g^e? . rir s|
l'on peut, et dont il faut mourir si l'on n'en peut gue? rir. -- Les
passions existent, les vertus existent; il y a des gens qui assu-
rent qu'il faut combattre les unes par les autres; il y en a d'au-
tres qui pre? tendent que cela ne se peut pas; voyez et jugez,
semble dire l'e? crivain qui raconte, avec impartialite? , les argu-
ments que le sort peut donner pour et contre chaque manie`re
de voir. --
On aurait tort cependant de se figurer que ce scepticisme soit
inspire? par la tendance mate? rialiste du dix-huitie`me sie`cle; les
opinions de Goethe ont bien plus de profondeur, mais elles ne
donnent pas plus de consolations a` l'a^me. On aperc? oit dans ses
e? crits une philosophie de? daigneuse, qui dit au bien comme au
mal: Cela doit e^tre, puisque cela est; un esprit prodigieux, qui
domine toutes les autres faculte? s, et se lasse du talent me^me,
comme ayant quelque chose de trop involontaire et de trop par-
tial; enfin, ce qui manque surtout a` ce roman, c'est un senti-
ment religieux ferme et positif: les principaux personnages sont
plus accessibles a` la superstition qu'a` la croyance; et l'on sent
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? DES ROMANS. 345
que dans leur coeur, lareligion, comme l'amour, n'est que l'effet
des circonstances et pourrait varier avec elles.
Dans la marche de cet ouvrage, l'auteur se montre trop incer-
tain; les figures qu'il dessine et les opinions qu'il indique ne
laissent que des souvenirs vacillants ; il faut en convenir, beau-
coup penser conduit quelquefois a` tout e? branler dans le fond de
soi-me^me; mais un homme de ge? nie tel que Goethe doit servir
de guide a` ses admirateurs dans une route assure? e. Il n'est plus
temps de douter, il n'est plus temps de mettre, a` propos de toutes
choses, des ide? es inge? nieuses dans les deux co^te? s de la balance;
il faut se livrer a` la confiance, a` l'enthousiasme, a` l'admiration
que la jeunesse immortelle de l'a^me peut toujours entretenir en
nous-me^mes; cette jeunesse renai^t des cendres me^mes des pas-
sions: c'est le rameau d'or qui ne peut se fle? trir, et qui donne
a` la Sibylle l'entre? e dans les champs e? lysiens.
Tieck me? rite d'e^tre cite? dans plusieurs genres; il est l'auteur
d'un roman, Sternbald, dont la lecture est de? licieuse; les e? ve? -
nements y sont en petit nombre, et ce qu'il y en a n'est pas
me^me conduit jusqu'au de? nou^ment; mais on ne trouve nulle
part, je crois, une si agre? able peinture de la vie d'un artiste,
i? j'auteur place son he? ros dans le beau sie`cle des arts, et le suppose e? colier d'Albert Durer, contemporain de Raphae^l; il le fait
voyager dans diverses contre? es de l'Europe, et peint avec un
charme tout nouveau le plaisir que doivent causer les objets ex-
te? rieurs , quand on n'appartient exclusivement a` aucun pays,
ni a` aucune situation, et qu'on se prome`ne librement a` travers
la nature pour y chercher des inspirations et des mode`les. Cette
existence voyageuse et re^veuse tout a` la fois n'est bien sentie
qu'en Allemagne. Dans les romans franc? ais nous de? crivons tou-
jours les moeurs et les relations sociales; mais il y a un grand
secret de bonheur dans cette imagination qui plane sur la terre
en la parcourant, et ne se me^le point aux inte? re^ts actifs de ce
monde. Ce que le sort refuse presque toujours aux pauvres mortels ,
c'est une destine? e heureuse dont les circonstances se succe`dent
et s'enchai^nent selon nos souhaits; mais les impressions isole? es
sont pour la plupart assez douces, et le pre? sent, quand on peut
le conside? rer a` part des souvenirs et des craintes, est encore le
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? 3-16 BES UMM\. \S.
meilleur moment de l'homme. Il y a donc une philosophie poe? -
tique tre`s-sage dans ces jouissances instantane? es dont l'existence
d'un artiste se compose; les sites nouveaux, les accideTTts""u'e
lumie`re qui les embellissent sont pour lui des e? ve? nements qui
commencent et finissent le me^me jour, et n'ont rien a` faire avec
le passe? ni avec l'avenir; les affections du coeur de? robent l'as-
pect de la nature, et l'on s'e? tonne , en lisant le roman de Tieck,
de toutes les merveilles qui nous environnent a` notre insu.
L'auteur a me^le? a` cet ouvrage des poe? sies de? tache? es, dont
quelques-unes sont des chefs-d'oeuvre. Lorsqu'on met des vers
dans un roman franc? ais, presque toujours ilsiuterrompent l'in-
te? re^t, et de? truisent l'harmonie de l'ensemble. Il n'en est pas
ainsi dans Sternbahl; le roman est si poe? tique en lui-me^me, que
la prose y parai^t comme un re? citatif qui succe`de au chant, ou
le pre? pare. On y trouve entre autres quelques stances sur le re-
tour du printemps, qui sont enivrantes comme la nature a` cette
e? poque. L'enfance y est pre? sente? e sous mille formes diffe? ren-
tes; l'homme, les plantes, la terre, le ciel, tout y est si jeune,
tout y est si riche d'espe? rance, qu'on dirait que le poe`te ce? le`bre
les premiers beaux jours et les premie`res fleurs qui pare`rent le
monde.
Nous avons en franc? ais plusieurs romans comiques; et l'un
des plus remarquables, c'est Gil Rlas. . le ne crois pas qu'on
puisse citer chez les Allemands un ouvrage ou` l'on se joue si
spirituellement des choses de la vie. Ils ont a` peine un monde
re? el,comment pourraient-ils de? ja` s'enmoquer? La gaiete? se? rieuse
qui ne tourne rien en plaisanterie, mais amuse sans le vouloir,
et fait rire sans avoir ri; cette gaiete? que les Anglais appellent
humour, se trouve aussi dans plusieurs e? crits allemands; mais
il est presque impossible de les traduire. Quand la plaisanterie
consiste dans une pense? e philosophique heureusement exprime? e,
comme le Gulliver de Swift, le changement de langue n'y fait
rien, mais Tristram Shandy de Sterne perd en franc? ais presque
toute sa gra^ce. Les plaisanteries qui consistent dans les formes
du langage en disent peut-e^tre a` l'esprit mille fois plus que les
ide? es, et cependant on ne peut transmettre aux e? trangers ces
impressions si vives, excite? es par des nuances si fines.
Claudius est un des auteurs allemands qui ont le plus de cette
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DF. S HOMANS. 347
gaiete? nationale, partage exclusif de chaque litte? rature e? trange`re.
IL a publie? un recueil compose? de plusieurs pie`ces de? tache? es sur
diffe? rents sujets; il en est quelques-unes de mauvais gou^t, quel-
ques autres de peu d'importance; mais il y re`gne une originalite?
et une ve? rite? qui rendent les moindres choses piquantes. Cet
e? crivain, dont le style est reve^tu d'une apparence simple, et
quelquefois me^me vulgaire, pe? ne`tre jusqu'au fond du coeur,
par la since? rite? de ses sentiments. Il vous fait pleurer comme il
vous fait rire, parce qu'il excite en vous la sympathie, et que
vous reconnaissez un semblable et un ami dans tout ce qu'il
e? prouve. On ne peut rien extraire des e? crits de Claudius, son
talent agit comme une sensation; il faut l'avoir e? prouve? e pour
en parler. Il ressemble a` ces peintres flamands qui s'e? le`vent
quelquefois a` repre? senter ce qu'il y a de plus noble dans la na-
ture, ou a` l'Espagnol Murillo, qui peint des pauvres et des men-
diants avec une ve? rite? parfaite, mais qui leur donne souvent,
me^me a` son insu, quelques traits d'une expression noble et pro-
londe. Il faut, pour me^ler avec succe`s le comique et le pathe? ti-
que, e^tre e? minemment naturel dans l'un et dans l'autre; de`s que
le factice s'aperc? oit, tout contraste fait disparate; mais un grand
talent plein de bonhomie peut re? unir avec succe`s ce qui n'a du
charme que sur le visage de l'enfance, le sourire au milieu des
pleurs. Un autre e? crivain, plus moderne et plus ce? le`bre que Claudius,
s'est acquis une grande re? putation en Allemagne par des ouvra-
ges qu'on appellerait des romans,si une de? nomination connue
pouvait convenir a` des productions si extraordinaires. J. Paul
Richter a su^rement plus d'esprit qu'il n'en faut pour composer
un ouvrage qui inte? resserait les e? trangers autant que les Alle-
mands, et ne? anmoins rien de ce qu'il a publie? ne peut sortir de
l'Allemagne. Ses admirateurs diront que cela tient a` l'originalite?
me^me de son ge? nie; il me semble que ses de? fauts en sont autant
la cause que ses qualite? s. Il faut, dans nos temps modernes,
avoir l'esprit europe? en; les Allemands encouragent trop dans
leurs auteurs cette hardiesse vagabonde qui, tout audacieuse
qu'elle parai^t, n'est pas toujours de?
les nations e? trange`res dans une re? gion sublime ou` l'admiration
tient lieu de sympathie.
Les romans de chevalerie abondent en Allemagne: mais on
aurait du^ les rattacher plus scrupuleusement aux traditions an-
ciennes : a` pre? sent on recherche ces sources pre? cieuses; et,
dans un livre appele? le Livre des He? ros, on a trouve? une foule
d'aventures raconte? es avec force et nai? vete? ; il importe de con-
server la couleur de ce style et de ces moeurs anciennes, et de
ne pas prolonger, par l'analyse des sentiments, les re? cits de ce
tempsou` l'honneur etl'amour agissaient sur le coeur de l'homme,
comme la fatalite? chez les anciens, sans qu'on re? fle? chit aux mo-
tifs des actions, ni que l'incertitude y fu^t admise.
Les romans philosophiques ont pris depuis quelque temps,
en Allemagne, le pas sur ions 1^ piitras ? il? ne ressemblent
point a` ceux des Franc? ais: ce n'est pas, comme dans Voltaire,
une ide? e ge? ne? rale qu'on exprime par un fait. enJbrme d'apolo-
gue, mais c'est un tableau de la viehumaine tout a` fait impar-
tial , un tableau dans lequel aucun inte? re^t passionne? ne do-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ROMANS, 341
mine; des situations diverses se succe`dent dans tous les rangs,
dans tous les e? tats, dans toutes les circonstances, et l'e? crivain
est la` pour les raconter; c'est ainsi que Goethe a conc? u Wil-
Iii lin Meister, ouvrage tre`s-admire? en Allemagne,mais ailleurs
peu connu.
Wilhelm Meister est plein de discussions inge? nieuses et spi-
rituelles; on en ferait un ouvrage philosophique du premier
ordre, s'il ne s'y me^lait pas une intrigue de roman , dont' l'in-
te? re^t ne vaut pas ce qu'elle fait perdre; on y trouve des peintu-
res tre`s-fines et tre`s de? taille? es d'une certaine classe de la so-
cie? te? , plus nombreuse en Allemagne que dans les autres pays;
classe dans laquelle les artistes, les come? diens et les aventu-
riers se me^lent avec les bourgeois qui aiment la vie inde? pen-
dante, et avec les grands seigneurs qui croient prote? ger les
arts : chacun de ces tableaux pris a` part est charmant; mais il
n'y a d'autre inte? re^t dans l'ensemble de l'ouvrage que celui
qu'on doit mettre a` savoir l'opinion de Goethe sur chaque su-
jet: le he? ros de son roman est un tiers importun, qu'il a mis,
on ne sait pourquoi, entre son lecteur et lui.
Au milieu deces personnages de IVilhelm Meister, plus spi-
rituels que signifiants, et de ces situations plus naturelles que
saillantes, un e? pisode charmant se retrouve dans plusieurs en-
droits de l'ouvrage, et re? unit tout ce que la chaleur et l'origi-
nalite? du talent de Goethe peuvent faire e? prouver de plus anime? .
Une jeune fille italienne est l'enfant de l'amour, et d'un amour
criminel et terrible, qui a entrai^ne? un homme consacre? par
serment au culte de la Divinite? ; les deux e? poux, de? ja` si coupa-
bles, de? couvrent apre`s leur hymen qu'ils e? taient fre`re et soeur,
et que l'inceste est pour eux la punition du parjure. La me`re perd
la raison, et le pe`re parcourt le monde comme un malheureux
errant qui ne veut d'asile nulle part. Le fruit infortune? de cet
amour si funeste, sans appui de`s sa naissance, est enleve? par des
danseurs de corde; ils l'exercent jusqu'a` l'a^ge de dix ans dans
les mise? rables jeux dont ils tirent leur subsistance : les cruels
traitements qu'on lui fait e? prouver inte? ressent Wilhelm, et il
prend a` son service cette jeune fille, sous l'habit de garc? on,
qu'elle a porte? depuis qu'elle est au monde.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 342 DES HOMANS.
Alors se de? veloppe dans cette cre? ature extraordinaire un me? -
lange singulier d'enfance et de profondeur, de se? rieux et d'ima-
gination; ardente comme les Italiennes, silencieuse et perse? ve? -
rante comme une personne re? fle? chie, la parole ne semble pas
son langage. Le peu de mots qu'elle dit cependant est solennel,
et re? pond a` des sentiments bien plus forts que son a^ge, et dont
elle-me^me n'a pas le secret. Elle s'attache a` Wilhelm avec
amour et respect; elle le sert comme un domestique fide`le, elle
l'aime comme une femme passionne? e: sa vie ayant toujours e? te?
malheureuse, on dirait qu'elle n'a point connu l'enfance, et
que, souffrant dans l'a^ge auquel la nature n'a destine? que des
jouissances, elle n'existe que pour une seule affection, avec la-
quelle les battements de son coeur commencent et finissent.
Le personnage de Mignon (c'est le nom de la jeune fille )
est myste? rieux comme un re^ve; elle exprime ses regrets pour
l'Italie dans des vers ravissants, que tout le monde sait par coeur
en Allemagne : << Connais-tu cette terre ou` les citronniers fleurissent, etc. >> Enfin la jalousie, cette impression trop forte
pour de si jeunes organes, brise la pauvre enfant, qui sentit
la douleur avant que l'a^ge lui donna^t la force de lutter contre elle. Il faudrait, pour comprendre tout l'effet de cet admirable
tableau, en rapporter chaque de? tail. On ne peut se repre? senter
sans e? motion les moindres mouvements de cette jeune fille; il y
a je ne sais quelle simplicite? magique en elle, qui suppose des
abi^mes de pense? es et de sentiments; l'on croit entendre gronder
l'orage au fond de son a^me lors me^me que l'on ne saurait citer
une parole ni une circonstance qui motive l'inquie? tude inexprimable qu'elle fait e? prouver.
Malgre? ce bel e? pisode, on aperc? oit dans Wilhelm Meister-
le syste`me singulier qui s'est de? veloppe? depuis quelque temps
dans la nouvelle e? cole allemande. Les re? cits des anciens, et
me^me leurs poemes, quelque anime? s qu'ils soient dans le fond,
sont calmes par la forme; et l'on s'est persuade? que les moder-
nes feraient bien d'imiter la tranquillite? des e? crivains antiques:
mais en fait d'imagination, ce qui n'est commande? que par la
the? orie ne re? ussit gue`re dans la pratique. S'il s'agit d'e? ve? ne-
ments tels que ceux de l'Iliade, ils inte? ressent d'eux-me^mes, et
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? DES HOMaNS. 343
moins le sentiment personnel de l'auteur s'aperc? oit, plus le ta-
bleau fait impression; mais si l'on se met a` peindre les situa-
tions romanesques avec le calme impartial d'Home`re, le re? sul-
tat n'en saurait e^tre tre`s-attachant.
Goethe vient de faire parai^tre un roman intitule? les Affinite? s
de Choix, qu'on peut accuser surtout, ce me semble, du de? faut
que jeviens d'indiquer. Un me? nage heureux s'estretire? a` lacam-
pague; les deux e? poux invitent, l'un son ami, l'autre, sa nie`ce,
a` partager leur solitude; l'ami devient amoureux de la femme,
et l'e? poux de la jeune fille, nie`ce de sa femme. Il se livre a`
l'ide? e de recourir au divorce pour s'unir a` ce qu'il aime; la jeune
fille est pre^te a` y consentir: des e? ve? nements malheureux la
rame`nent au sentiment du devoir ; mais quand elle reconnai^t la ne? cessite? de sacrifier son amour, elle en meurt de douleur, et
celui qu'elle aime ne tarde pas a` la suivre.
La traduction des Affinite? s de Choix n'a point eu de succe`s
en France, parce que l'ensemble de cette fiction n'a rien de
caracte? rise? , et qu'on ne sait pas dans quel but elle a e? te? concue; ce
n'est point un tort en Allemagne que cette incertitude : comme
les e? ve? nements de ce monde ne pre? sentent souvent que des re? -
sultats inde? cis, l'on consent a` trouver dans les romans qui les peignent les me^mes contradictions et les me^mes doutes. Il y a
dans l'ouvrage de Goethe une foule de pense? es et d'observations
fines; mais il est vrai que l'inte? re^t y languit souvent, et qu'on
trouve presque autant de lacunes dans ce roman que dans la
vie humaine telle qu'elle se passe ordinairement. Un roman ce-
pendant ne doit pas ressembler a` des me? moires particuliers; car
tout inte? resse dans ce qui a existe? re? ellement, tandis qu'une
fiction ne peut e? galer l'effet dela ve? rite? qu'en la surpassant,
c'est-a`-dire, en ayant plus de force, plus d'ensemble et plus
d'action qu'elle.
La description du jardin du baron et des embellissements
qu'y fait la baronne, absorbe plus du tiers du roman; et l'on a
peine a` partir de la` pour e^tre e? mu par une catastrophe tragique:
la mort du he? ros et de l'he? roi? ne ne semble plusqu'un accident
fortuit, parce que le coeur n'est pas pre? pare? longtemps d'avance
a` sentir et a` partager la peine qu'ils e? prouvent. Cet e? crit offre
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? 344 DES ROMAINS.
un singulier me?
lange de l'existence commode et des sentiments orageux; une imagination pleine de gra^ce et de force s'approche
des plus grands effets pour les de? laisser tout a` coup, comme
s'il ne valait pas la peine de les produire; et l'on dirait que l'e? -
motion fait du mal a` l'e? crivain de ce roman, et que, par paresse
de coeur, il met de co^te? la moitie? de son talent, de peur de se
faire souffrir lui-me^me en attendrissant les autres.
Une question plus importante, c'est de savoir si un tel ou-
vrage est moral, c'est-a`-dire, si l'impression qu'on en rec? oit est
favorable au perfectionnement de l'a^me ; les e? ve? nements ne sont
de rien a` cet e? gard dans une fiction; on sait si bien qu'ils de? pen-
dent de la volonte? de l'auteur, qu'ils ne peuvent re? veiller la con-
science de personne: lamoralite? d'un roman consiste donc dans
les sentiments qu'il inspire. On ne saurait nier qu'il n'y ait dans"
Te livre de Goelhe uTi^e? profonde connaissance du coeur humain,
mais une connaissance de? courageante; la vie y est repre? sente? e
comme une chose assez indiffe? rente, de quelque manie`re qu'on
la passe; triste quand on l'approfondit, assez agre? able quand on l'esquive, susceptible de maladies morales qu'il faut g^e? . rir s|
l'on peut, et dont il faut mourir si l'on n'en peut gue? rir. -- Les
passions existent, les vertus existent; il y a des gens qui assu-
rent qu'il faut combattre les unes par les autres; il y en a d'au-
tres qui pre? tendent que cela ne se peut pas; voyez et jugez,
semble dire l'e? crivain qui raconte, avec impartialite? , les argu-
ments que le sort peut donner pour et contre chaque manie`re
de voir. --
On aurait tort cependant de se figurer que ce scepticisme soit
inspire? par la tendance mate? rialiste du dix-huitie`me sie`cle; les
opinions de Goethe ont bien plus de profondeur, mais elles ne
donnent pas plus de consolations a` l'a^me. On aperc? oit dans ses
e? crits une philosophie de? daigneuse, qui dit au bien comme au
mal: Cela doit e^tre, puisque cela est; un esprit prodigieux, qui
domine toutes les autres faculte? s, et se lasse du talent me^me,
comme ayant quelque chose de trop involontaire et de trop par-
tial; enfin, ce qui manque surtout a` ce roman, c'est un senti-
ment religieux ferme et positif: les principaux personnages sont
plus accessibles a` la superstition qu'a` la croyance; et l'on sent
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? DES ROMANS. 345
que dans leur coeur, lareligion, comme l'amour, n'est que l'effet
des circonstances et pourrait varier avec elles.
Dans la marche de cet ouvrage, l'auteur se montre trop incer-
tain; les figures qu'il dessine et les opinions qu'il indique ne
laissent que des souvenirs vacillants ; il faut en convenir, beau-
coup penser conduit quelquefois a` tout e? branler dans le fond de
soi-me^me; mais un homme de ge? nie tel que Goethe doit servir
de guide a` ses admirateurs dans une route assure? e. Il n'est plus
temps de douter, il n'est plus temps de mettre, a` propos de toutes
choses, des ide? es inge? nieuses dans les deux co^te? s de la balance;
il faut se livrer a` la confiance, a` l'enthousiasme, a` l'admiration
que la jeunesse immortelle de l'a^me peut toujours entretenir en
nous-me^mes; cette jeunesse renai^t des cendres me^mes des pas-
sions: c'est le rameau d'or qui ne peut se fle? trir, et qui donne
a` la Sibylle l'entre? e dans les champs e? lysiens.
Tieck me? rite d'e^tre cite? dans plusieurs genres; il est l'auteur
d'un roman, Sternbald, dont la lecture est de? licieuse; les e? ve? -
nements y sont en petit nombre, et ce qu'il y en a n'est pas
me^me conduit jusqu'au de? nou^ment; mais on ne trouve nulle
part, je crois, une si agre? able peinture de la vie d'un artiste,
i? j'auteur place son he? ros dans le beau sie`cle des arts, et le suppose e? colier d'Albert Durer, contemporain de Raphae^l; il le fait
voyager dans diverses contre? es de l'Europe, et peint avec un
charme tout nouveau le plaisir que doivent causer les objets ex-
te? rieurs , quand on n'appartient exclusivement a` aucun pays,
ni a` aucune situation, et qu'on se prome`ne librement a` travers
la nature pour y chercher des inspirations et des mode`les. Cette
existence voyageuse et re^veuse tout a` la fois n'est bien sentie
qu'en Allemagne. Dans les romans franc? ais nous de? crivons tou-
jours les moeurs et les relations sociales; mais il y a un grand
secret de bonheur dans cette imagination qui plane sur la terre
en la parcourant, et ne se me^le point aux inte? re^ts actifs de ce
monde. Ce que le sort refuse presque toujours aux pauvres mortels ,
c'est une destine? e heureuse dont les circonstances se succe`dent
et s'enchai^nent selon nos souhaits; mais les impressions isole? es
sont pour la plupart assez douces, et le pre? sent, quand on peut
le conside? rer a` part des souvenirs et des craintes, est encore le
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? 3-16 BES UMM\. \S.
meilleur moment de l'homme. Il y a donc une philosophie poe? -
tique tre`s-sage dans ces jouissances instantane? es dont l'existence
d'un artiste se compose; les sites nouveaux, les accideTTts""u'e
lumie`re qui les embellissent sont pour lui des e? ve? nements qui
commencent et finissent le me^me jour, et n'ont rien a` faire avec
le passe? ni avec l'avenir; les affections du coeur de? robent l'as-
pect de la nature, et l'on s'e? tonne , en lisant le roman de Tieck,
de toutes les merveilles qui nous environnent a` notre insu.
L'auteur a me^le? a` cet ouvrage des poe? sies de? tache? es, dont
quelques-unes sont des chefs-d'oeuvre. Lorsqu'on met des vers
dans un roman franc? ais, presque toujours ilsiuterrompent l'in-
te? re^t, et de? truisent l'harmonie de l'ensemble. Il n'en est pas
ainsi dans Sternbahl; le roman est si poe? tique en lui-me^me, que
la prose y parai^t comme un re? citatif qui succe`de au chant, ou
le pre? pare. On y trouve entre autres quelques stances sur le re-
tour du printemps, qui sont enivrantes comme la nature a` cette
e? poque. L'enfance y est pre? sente? e sous mille formes diffe? ren-
tes; l'homme, les plantes, la terre, le ciel, tout y est si jeune,
tout y est si riche d'espe? rance, qu'on dirait que le poe`te ce? le`bre
les premiers beaux jours et les premie`res fleurs qui pare`rent le
monde.
Nous avons en franc? ais plusieurs romans comiques; et l'un
des plus remarquables, c'est Gil Rlas. . le ne crois pas qu'on
puisse citer chez les Allemands un ouvrage ou` l'on se joue si
spirituellement des choses de la vie. Ils ont a` peine un monde
re? el,comment pourraient-ils de? ja` s'enmoquer? La gaiete? se? rieuse
qui ne tourne rien en plaisanterie, mais amuse sans le vouloir,
et fait rire sans avoir ri; cette gaiete? que les Anglais appellent
humour, se trouve aussi dans plusieurs e? crits allemands; mais
il est presque impossible de les traduire. Quand la plaisanterie
consiste dans une pense? e philosophique heureusement exprime? e,
comme le Gulliver de Swift, le changement de langue n'y fait
rien, mais Tristram Shandy de Sterne perd en franc? ais presque
toute sa gra^ce. Les plaisanteries qui consistent dans les formes
du langage en disent peut-e^tre a` l'esprit mille fois plus que les
ide? es, et cependant on ne peut transmettre aux e? trangers ces
impressions si vives, excite? es par des nuances si fines.
Claudius est un des auteurs allemands qui ont le plus de cette
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? DF. S HOMANS. 347
gaiete? nationale, partage exclusif de chaque litte? rature e? trange`re.
IL a publie? un recueil compose? de plusieurs pie`ces de? tache? es sur
diffe? rents sujets; il en est quelques-unes de mauvais gou^t, quel-
ques autres de peu d'importance; mais il y re`gne une originalite?
et une ve? rite? qui rendent les moindres choses piquantes. Cet
e? crivain, dont le style est reve^tu d'une apparence simple, et
quelquefois me^me vulgaire, pe? ne`tre jusqu'au fond du coeur,
par la since? rite? de ses sentiments. Il vous fait pleurer comme il
vous fait rire, parce qu'il excite en vous la sympathie, et que
vous reconnaissez un semblable et un ami dans tout ce qu'il
e? prouve. On ne peut rien extraire des e? crits de Claudius, son
talent agit comme une sensation; il faut l'avoir e? prouve? e pour
en parler. Il ressemble a` ces peintres flamands qui s'e? le`vent
quelquefois a` repre? senter ce qu'il y a de plus noble dans la na-
ture, ou a` l'Espagnol Murillo, qui peint des pauvres et des men-
diants avec une ve? rite? parfaite, mais qui leur donne souvent,
me^me a` son insu, quelques traits d'une expression noble et pro-
londe. Il faut, pour me^ler avec succe`s le comique et le pathe? ti-
que, e^tre e? minemment naturel dans l'un et dans l'autre; de`s que
le factice s'aperc? oit, tout contraste fait disparate; mais un grand
talent plein de bonhomie peut re? unir avec succe`s ce qui n'a du
charme que sur le visage de l'enfance, le sourire au milieu des
pleurs. Un autre e? crivain, plus moderne et plus ce? le`bre que Claudius,
s'est acquis une grande re? putation en Allemagne par des ouvra-
ges qu'on appellerait des romans,si une de? nomination connue
pouvait convenir a` des productions si extraordinaires. J. Paul
Richter a su^rement plus d'esprit qu'il n'en faut pour composer
un ouvrage qui inte? resserait les e? trangers autant que les Alle-
mands, et ne? anmoins rien de ce qu'il a publie? ne peut sortir de
l'Allemagne. Ses admirateurs diront que cela tient a` l'originalite?
me^me de son ge? nie; il me semble que ses de? fauts en sont autant
la cause que ses qualite? s. Il faut, dans nos temps modernes,
avoir l'esprit europe? en; les Allemands encouragent trop dans
leurs auteurs cette hardiesse vagabonde qui, tout audacieuse
qu'elle parai^t, n'est pas toujours de?
