pond a` cela: --Je serai si
circonspect
que je n'aurai
point d'ennemis.
point d'ennemis.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
tabli par la volonte?
de Dieu.
-- C'est ainsi que le me?
lange du
syste`me de l'inertie et de celui de l'action produit une double
immoralite? , tandis que, pris se? pare? ment, l'un et l'autre avaient
droit au respect. L'activite? des citoyens grecs et romains, telle
qu'elle pouvait s'exercer dans une re? publique, e? tait une noblo
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? 480 I>E LA MORALE.
vertu. La force d'inertie chre? tienne est aussi une vertu, et d'une
grande force; car le christianisme qu'on accuse de faiblesse est
invincible selon son esprit, c'est-a`-dire, dans l'e? nergie du refus.
Mais l'e? goi? sme patelin des hommes ambitieux leur enseigne l'art
de combiner les raisonnements oppose? s, afin de se me^ler de
tout comme un pai? en, et de se soumettre a` tout comme un chre? -
tien.
L'univers, mon ami, ne pense point a` toi, est ce qu'on peut dire maintenant a` tout l'univers, les phe? no-
me`nes excepte? s. Ce serait une vanite? bien ridicule que de moti-
ver dans tous les cas l'activite? politique par le pre? texte de l'uti-
lite? dont on peut e^tre a` son pays. Cette utilite? n'est presque ja-
mais qu'un nom pompeux dont on reve^t son inte? re^t personnel.
L'art des sophistes a toujours e? te? d'opposer les devoirs les uns
aux autres. L'on ne cesse d'imaginer des circonstances dans
lesquelles cette affreuse perplexite? pourrait exister. La plupart
des fictions dramatiques sont fonde? es la`-dessus. Toutefois la vie
re? elle est plus simple, l'on y voit souvent les vertus en combat
avec les inte? re^ts; mais peut-e^tre est-il vrai que jamais l'honne^te
homme, dans aucune occasion, n'a pu douter de ce que le de-
voir lui commandait. La voix de la conscience est si de? licate,
qu'il est facile de l'e? touffer; mais elle est si pure, qu'il est im-
possible de la me? connai^tre.
Une devise connue contient, sous une forme simple, toute la
the? orie de la morale: Fais ce que dois, advienne que pourra.
Quand on e? tablit, au contraire, que la probite? d'un homme pu-
blic consiste a` tout sacrifier aux avantages temporels de sa na-
tion, alors il peut se trouver beaucoup d'occasions ou` par mo-
ralite? on serait immoral. Ce sophisme est aussi contradictoire
dans le fond que dans la forme: ce serait traiter la vertu comme
une science conjecturale et tout a` fait soumise aux circonstances
dans son application. Que Dieu garde le coeur humain d'une
telle responsabilite? ! Les lumie`res de notre esprit sont trop in-
certaines pour que nous soyons en e? tat dejuger du moment ou`
les e? ternelles lois du devoir pourraient e^tre suspendues ; ou plu-
to^t ce moment n'existe pas.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA MORALE. 4SI
S'il e? tait une fois ge? ne? ralement reconnu que l'inte? re^t national
lui-me^me doit e^tre subordonne? aux pense? es plus hautes dont la
vertu se compose, combien l'homme consciencieux serait a`
l'aise! comme tout lui parai^trait clair en politique, tandis qu'au-
paravant une he? sitation continuelle le faisait trembler a` cha-
que pas! C'est cette he? sitation me^me qui a fait regarder les hon-
ne^tes gens comme incapables des affaires d'E? tat; on les accu-
sait de pusillanimite? , de timidite? , de crainte, et l'on appelait
ceux qui sacrifiaient le? ge`rement le faible au puissant, et leurs
scrupules a` leurs inte? re^ts, des hommes d'une nature e? nergique.
C'est pourtant une e? nergie facile que celle qui tend a` notre pro-
pre avantage, ou me^me a` celui d'une faction dominante: car
tout ce qui se fait dans le sens de la multitude est toujours de
la faiblesse, quelque violent que cela paraisse.
L'espe`ce humaine demande a` grands cris qu'on sacrifie tout
a` son inte? re^t, et finit par compromettre cet inte? re^t, a` force de
vouloir y tout immoler; mais il serait temps de lui dire que son
bonheur me^me, dont on s'est tant servi comme pre? texte, n'est
sacre? que dans ses rapports avec la morale ; car sans elle qu'im-
porteraient tous a` chacun? Quand une fois l'on s'est dit qu'il
faut sacrifier la morale a` l'inte? re^t national, on est bien pre`s de
resserrer de jour en jour le sens du mot nation, et d'en faire d'a-
bord ses partisans, puis ses amis, puis sa famille, qui n'est
qu'un terme de? cent pour se de? signer soi-me^me. .
CHAPITRE XIV.
i Du principe de la morale, dans la nouvelle philosophie allemande.
La philosophie ide? aliste tend par sa nature a` re? futer la morale
fonde? e sur l'inte? re^t particulier ou national; elle n'admet point
que le bonheur temporel soit le but de notre existence, et, rame-
nant tout a` la vie de l'a^me, c'est a` l'exercice de la volonte? et de
la vertu qu'elle rapporte nos actions et nos pense? es. Les ouvra-
ges que Kanta e? crits sur la morale ont une re? putation au moins
e? gale a` ceux qu'il a compose? s sur la me? taphysique.
Deux penchants distincts, dit-il, se manifestent dans l'homme: 41
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? 482 DE LA MOBAI. K.
l'inte? re^t personnel, qui lui vient de l'attrait des sensations, et la
justice universelle, qui tient a` ses rapports avec le genre humain
et la Divinite? ; entre ces deux mouvements la conscience de? -
cide; elle est comme Minerve, qui faisait pencher la balance
lorsque les voix e? taient partage? es dans l'are? opage. Les opinions
les plus oppose? es u'ont-elles pas des faits pour appui? Le pour et
le contre ne seraient-ils pas e? galement vrais , si la conscience ne
portait pas en elle la supre^me certitude?
L'homme place? entre des arguments visibles et presque e? gaux,
que lui adressent en faveur du bien et du mal les circonstances
de la vie, l'homme a rec? u du ciel, pour se de? cider, le sentiment
du devoir. Kant cherche a` de? montrer que ce sentiment est la
condition ne? cessaire de notre e^tre moral, la ve? rite? qui a pre? ce? de?
toutes celles dont on acquiert la connaissance par la vie. Peut-on nier que la conscience n'ait bien plus de dignite? quand on la
croit une puissance inne? e, que quand on voit en elle une faculte?
acquise, comme toutes les autres, par l'expe? rience et l'habitude?
et c'est en cela surtout que la me? taphysique ide? aliste exerce une
grande influence sur la conduite morale de l'homme: elle attri-
bue la me^me force primitive a` la notion du devoir qu'a` celle de
l'espace et du temps , et les conside? rant toutes deux comme in-
he? rentes a` notre nature, elle n'admet pas plus de doute sur l'une
que sur l'autre.
Toute estime pour soi-me^me et pour les autres doit e^tre fon-
de? e sur les rapports qui existent entre les actions et la loi du
devoir; cette loi ne tient en rien au besoin du bonheur; au
contraire, elle est souvent appele? e a` le combattre. Kant va plus
loin encore; il affirme que le premier effet du pouvoir de la
vertu est de causer une noble peine par les sacrifices qu'elle
exige.
La destination de l'homme sur cette terre n'est pas le bonheur,
mais le perfectionnement. C'est en vainque, par un jeu pue? ril,
on dirait que le perfectionnement est le bonheur; nous sentons
clairement la diffe? rence qui existe entre les jouissances et les
sacrifices; et si le langage voulait adopter les me^mes termes pour
des ide? es si peu semblables, le jugement naturel ne s'y laisserait
pas tromper.
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? DE LA MORALE. 483
On a beaucoup dit que la nature humaine tendait au bonheur:
c'est la` son instinct involontaire; mais son instinct re? fle? chi,
c'est la vertu. En donnant a` l'homme tre`s-peu d'influence sur
son propre bonheur, et des moyens sans nombre de se perfec-
tionner, l'intention du Cre? ateur n'a pas e? te? sans doute que l'ob-
jet de notre vie fu^t un but presque impossible. -- Consacrez
toutes vos forces a` vous rendre heureux, mode? rez votre carac-
te`re, si vous le pouvez, de manie`re que vous n'e? prouviez pas
ces vagues de? sirs auxquels rien ne peutsuffire, et, malgre? toute
cette sage combinaison de l'e? goi? sme, vous serez malade, vous
serez ruine? , vous serez emprisonne? , et tout l'e? difice de vos soins
pour vous-me^me sera renverse? .
L'on re?
pond a` cela: --Je serai si circonspect que je n'aurai
point d'ennemis. -- Soit, vous n'aurez point a` vous reprocher de
ge? ne? reuses imprudences; mais on a vu quelquefois les moins
courageux perse? cute? s. --Je me? nagerai si bien ma fortune, que
je la conserverai. -- Je le crois; mais il y a des de? sastres uni-
versels , qui n'e? pargnent pas me^me ceux qui ont eu pour prin-
cipe de ne jamais s'exposer pour les autres, et la maladie et les
accidents de toute espe`ce disposent de notre sort malgre? nous.
Comment donc le but de notre liberte? morale serait-il le bonheur
de cette courte vie, que le hasard, la souffrance, la vieillesse et
la mort mettent hors de notre puissance? Il n'en est pas de me^me
du perfectionnement; chaque jour, chaque heure, chaque mi-
nute peut y contribuer ; tous les e? ve? nements heureux et malheu-
reux y servent e? galement, et cette oeuvre de? pend en entier de
nous, quelle que soit notre situation sur la terre.
La morale de Kant et de Fichte est tre`s-analogue a` celle des
stoi? ciens; cependant, les stoi? ciens accordaient davantage a` l'em-
pire des qualite? s naturelles; l'orgueil romain se retrouve dans
leur manie`re de juger l'homme. Les Kantiens croient a` l'action
ne? cessaire et continuelle de la volonte? contre les mauvais pen-
chants. Ils ne tole`rent point les exceptions dans l'obe? issance au
devoir, et rejettent toutes les excuses qui pourraient les mo-
tiver.
L'opinion de Kant sur la ve? racite? en est un exemple; il la
conside`re avec raison comme la base de toute morale. Quand le
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? 484 DE LA MORALE.
fils de Dieu s'est appele? le Ver)>>e, ou la Parole, peut-e^tre vou-
lait-il honorer ainsi dans le langage l'admirable faculte? de re? ve? ler
ce qu'on pense. Kant a porte? le respect pour la ve? rite? jusqu'au
point de ne pas permettre qu'on la trahi^t, lors me^me qu'un
sce? le? rat viendrait vous demander si votre ami qu'il poursuit est
cache? dans votre maison. Il pre? tend qu'il ne faut jamais se per-
mettre dans aucune circonstance particulie`re ce qui ne saurait
e^tre admis comme loi ge? ne? rale; mais, dans cette occasion, il
oublie qu'on pourrait faire une loi ge? ne? rale de ne sacrifier la
ve? rite? qu'a` une autre vertu; car, de`s que l'inte? re^t personnel
est e? carte? d'une question, les sophismes ne sont plus a` crain-
dre, et la conscience prononce sur toutes choses avec e? quite? .
La the? orie de Kant, en morale, est se? ve`re et quelquefois se`che,
parce qu'elle exclut la sensibilite? . Il la regarde comme un reflet
des sensations, et comme devant conduire aux passions, dans
lesquelles il entre toujours de l'e? goi? sme; c'est a` cause de cela
qu'il n'admet pas cette sensibilite? pour guide, et qu'il place la
morale sous la sauvegarde de principes immuables. Il n'est rien
deplus se? ve`re que cette doctrine; mais il y aune se? ve? rite? qui
attendrit, alors me^me que les mouvements du coeur lui sont
suspects, et qu'elle essaye de les bannir tous: quelque rigoureux
que soit un moraliste, quand c'est a` la conscience qu'il s'adresse,
il est su^r de nous e? mouvoir. Celui qui dit a` l'homme : --Trou-
vez tout en vous-me^me, -- fait toujours nai^tre dans l'a^me quel-
que chose de grand qui tient encore a` la sensibilite? me^me dont
il exige le sacrifice. Il faut distinguer, en e? tudiant la philosophie
de Kant, le sentiment de la sensibilite? ; il admet l'un comme
juge des ve? rite? s philosophiques; il conside`re l'autre comme
devant e^tre soumise a` la conscience. Le sentiment et la cons-
cience sont employe? s dans ses e? crits comme des termes presque
synonymes; mais la sensibilite? se rapproche davantage de la
sphe`re des e? motions, et par conse? quent des passions qu'elles
font nai^tre.
On ne saurait se lasser d'admirer les e? crits de Kant, dans
lesquels la supre^me loi du devoir est consacre? e; quelle chaleur
vraie, quelle e? loquence anime? e, dans un sujet ou` d'ordinaire il
ne s'agit que de re? primer! On se sent pe? ne? tre? d'un profond res-
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? DE LA MOHALE. '(85
pect pour l'auste? rite? d'un vieillard philosophe, constamment
soumis a` cet invincible pouvoir de la vertu, sans autre empire
que la conscience, sans autres armes que les remords, sans
autres tre? sors a` distribuer que les jouissances inte? rieures de
l'a^me; jouissances dont on ne peut me^me donner l'espoir
pour motif, puisqu'on ne les comprend qu'apre`s les avoir e? prou-
ve? es.
Parmi les philosophes allemands, des hommes non moins
vertueux que Kant, et qui se rapprochent davantage de la reli-
gion parleurs penchants, ont attribue? au sentiment religieux
l'origine de la loi morale. Ce sentiment ne saurait e^tre de la na-
ture de ceux qui peuvent devenir une passion. Se? ne`que en a
de? peint le calme et la profondeur, quand il a dit: Dans le sein
de f homme vertueux, je ne sais quel Dieu, mais il habite un
Dieu.
Kant a pre? tendu que c'e? tait alte? rer la purete? de? sinte? resse? e de
la morale, que de donner pour buta` nos actions la perspective
d'une vie future; plusieurs e? crivains allemands l'ont parfaitement
re? fute? a`cet e? gard; en effet, l'immortalite? ce? leste n'a nul rapport
avec les peines et les re? compenses que l'on conc? oit sur cette
terre; le sentiment qui nous fait aspirer a` l'immortalite? , est
aussi de? sinte? resse? que celui qui nous ferait trouver notre bonheur
dans le de? vouement a` celui des autres; car les pre? mices de la fe? -
licite? religieuse, c'est le sacrifice de nous-me^mes; ainsi donc
elle e? carte ne? cessairement toute espe`ce d'e? goi? sme.
Quelque effort qu'on fasse, il faut en revenir a` reconnai^tre
que la religion est le ve? ritable fondement dela morale; c'est
l'objet sensible et re? el au dedans de nous, qui peut seul de? tour-
ner nos regards des objets exte? rieurs. Si la pie? te? ne causait pas
des e? motions sublimes, qui sacrifierait me^me des plaisirs , quel-
que vulgaires qu'ils fussent, a` la froide dignite? de la raison? 11
faut commencer l'histoire intime de l'homme par la religion ou
par la sensation, car il n'y a de vivant que l'une ou l'autre. La
morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel serait aussi e? vidente qu'une
ve? rite? mathe? matique, qu'elle n'en exercerait pas plus d'empire
sur les passions, qui foulent aux pieds tous les calculs; il n'y a
qu'un sentiment qui puisse triompher d'un sentiment, la nature 4l.
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? 486 DE L4 MORALE.
violente ne saurait e^tre domine? e que par la nature exalte? e. Le
raisonnement, dans de pareils cas, ressemble au mai^tre d'e? colede La Fontaine; personne ne l'e? coute, et tout le monde crie au
secours.
Jacobi, comme je le montrerai dans l'analyse de ses ouvra-
ges, a combattu les arguments dont Kant se sert pour ne pas ad-
mettre le sentiment religieux comme base de la morale. Il croit,
au contraire, que la Divinite? se re? ve`le a` chaque homme en par-
ticulier, comme elle s'est re? ve? le? e au genre humain, lorsque les
prie`res et les oeuvres ont pre? pare? le coeur a` la comprendre. Un autre philosophe affirme que l'immortalite? commence de? ja` sur
cette terre, pour celui qui de? sire et qui sent en lui-me^me le gou^t
des choses e? ternelles; un autre, que la nature fait entendre la
volonte? de Dieu a` l'homme, et qu'il y a dans l'univers une voix
ge? missante et captive, qui l'invite a`de? livrer le monde et lui-
me^me, en combattant le principe du mal sous toutes ses appa-
rences funestes.
syste`me de l'inertie et de celui de l'action produit une double
immoralite? , tandis que, pris se? pare? ment, l'un et l'autre avaient
droit au respect. L'activite? des citoyens grecs et romains, telle
qu'elle pouvait s'exercer dans une re? publique, e? tait une noblo
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? 480 I>E LA MORALE.
vertu. La force d'inertie chre? tienne est aussi une vertu, et d'une
grande force; car le christianisme qu'on accuse de faiblesse est
invincible selon son esprit, c'est-a`-dire, dans l'e? nergie du refus.
Mais l'e? goi? sme patelin des hommes ambitieux leur enseigne l'art
de combiner les raisonnements oppose? s, afin de se me^ler de
tout comme un pai? en, et de se soumettre a` tout comme un chre? -
tien.
L'univers, mon ami, ne pense point a` toi, est ce qu'on peut dire maintenant a` tout l'univers, les phe? no-
me`nes excepte? s. Ce serait une vanite? bien ridicule que de moti-
ver dans tous les cas l'activite? politique par le pre? texte de l'uti-
lite? dont on peut e^tre a` son pays. Cette utilite? n'est presque ja-
mais qu'un nom pompeux dont on reve^t son inte? re^t personnel.
L'art des sophistes a toujours e? te? d'opposer les devoirs les uns
aux autres. L'on ne cesse d'imaginer des circonstances dans
lesquelles cette affreuse perplexite? pourrait exister. La plupart
des fictions dramatiques sont fonde? es la`-dessus. Toutefois la vie
re? elle est plus simple, l'on y voit souvent les vertus en combat
avec les inte? re^ts; mais peut-e^tre est-il vrai que jamais l'honne^te
homme, dans aucune occasion, n'a pu douter de ce que le de-
voir lui commandait. La voix de la conscience est si de? licate,
qu'il est facile de l'e? touffer; mais elle est si pure, qu'il est im-
possible de la me? connai^tre.
Une devise connue contient, sous une forme simple, toute la
the? orie de la morale: Fais ce que dois, advienne que pourra.
Quand on e? tablit, au contraire, que la probite? d'un homme pu-
blic consiste a` tout sacrifier aux avantages temporels de sa na-
tion, alors il peut se trouver beaucoup d'occasions ou` par mo-
ralite? on serait immoral. Ce sophisme est aussi contradictoire
dans le fond que dans la forme: ce serait traiter la vertu comme
une science conjecturale et tout a` fait soumise aux circonstances
dans son application. Que Dieu garde le coeur humain d'une
telle responsabilite? ! Les lumie`res de notre esprit sont trop in-
certaines pour que nous soyons en e? tat dejuger du moment ou`
les e? ternelles lois du devoir pourraient e^tre suspendues ; ou plu-
to^t ce moment n'existe pas.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA MORALE. 4SI
S'il e? tait une fois ge? ne? ralement reconnu que l'inte? re^t national
lui-me^me doit e^tre subordonne? aux pense? es plus hautes dont la
vertu se compose, combien l'homme consciencieux serait a`
l'aise! comme tout lui parai^trait clair en politique, tandis qu'au-
paravant une he? sitation continuelle le faisait trembler a` cha-
que pas! C'est cette he? sitation me^me qui a fait regarder les hon-
ne^tes gens comme incapables des affaires d'E? tat; on les accu-
sait de pusillanimite? , de timidite? , de crainte, et l'on appelait
ceux qui sacrifiaient le? ge`rement le faible au puissant, et leurs
scrupules a` leurs inte? re^ts, des hommes d'une nature e? nergique.
C'est pourtant une e? nergie facile que celle qui tend a` notre pro-
pre avantage, ou me^me a` celui d'une faction dominante: car
tout ce qui se fait dans le sens de la multitude est toujours de
la faiblesse, quelque violent que cela paraisse.
L'espe`ce humaine demande a` grands cris qu'on sacrifie tout
a` son inte? re^t, et finit par compromettre cet inte? re^t, a` force de
vouloir y tout immoler; mais il serait temps de lui dire que son
bonheur me^me, dont on s'est tant servi comme pre? texte, n'est
sacre? que dans ses rapports avec la morale ; car sans elle qu'im-
porteraient tous a` chacun? Quand une fois l'on s'est dit qu'il
faut sacrifier la morale a` l'inte? re^t national, on est bien pre`s de
resserrer de jour en jour le sens du mot nation, et d'en faire d'a-
bord ses partisans, puis ses amis, puis sa famille, qui n'est
qu'un terme de? cent pour se de? signer soi-me^me. .
CHAPITRE XIV.
i Du principe de la morale, dans la nouvelle philosophie allemande.
La philosophie ide? aliste tend par sa nature a` re? futer la morale
fonde? e sur l'inte? re^t particulier ou national; elle n'admet point
que le bonheur temporel soit le but de notre existence, et, rame-
nant tout a` la vie de l'a^me, c'est a` l'exercice de la volonte? et de
la vertu qu'elle rapporte nos actions et nos pense? es. Les ouvra-
ges que Kanta e? crits sur la morale ont une re? putation au moins
e? gale a` ceux qu'il a compose? s sur la me? taphysique.
Deux penchants distincts, dit-il, se manifestent dans l'homme: 41
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 482 DE LA MOBAI. K.
l'inte? re^t personnel, qui lui vient de l'attrait des sensations, et la
justice universelle, qui tient a` ses rapports avec le genre humain
et la Divinite? ; entre ces deux mouvements la conscience de? -
cide; elle est comme Minerve, qui faisait pencher la balance
lorsque les voix e? taient partage? es dans l'are? opage. Les opinions
les plus oppose? es u'ont-elles pas des faits pour appui? Le pour et
le contre ne seraient-ils pas e? galement vrais , si la conscience ne
portait pas en elle la supre^me certitude?
L'homme place? entre des arguments visibles et presque e? gaux,
que lui adressent en faveur du bien et du mal les circonstances
de la vie, l'homme a rec? u du ciel, pour se de? cider, le sentiment
du devoir. Kant cherche a` de? montrer que ce sentiment est la
condition ne? cessaire de notre e^tre moral, la ve? rite? qui a pre? ce? de?
toutes celles dont on acquiert la connaissance par la vie. Peut-on nier que la conscience n'ait bien plus de dignite? quand on la
croit une puissance inne? e, que quand on voit en elle une faculte?
acquise, comme toutes les autres, par l'expe? rience et l'habitude?
et c'est en cela surtout que la me? taphysique ide? aliste exerce une
grande influence sur la conduite morale de l'homme: elle attri-
bue la me^me force primitive a` la notion du devoir qu'a` celle de
l'espace et du temps , et les conside? rant toutes deux comme in-
he? rentes a` notre nature, elle n'admet pas plus de doute sur l'une
que sur l'autre.
Toute estime pour soi-me^me et pour les autres doit e^tre fon-
de? e sur les rapports qui existent entre les actions et la loi du
devoir; cette loi ne tient en rien au besoin du bonheur; au
contraire, elle est souvent appele? e a` le combattre. Kant va plus
loin encore; il affirme que le premier effet du pouvoir de la
vertu est de causer une noble peine par les sacrifices qu'elle
exige.
La destination de l'homme sur cette terre n'est pas le bonheur,
mais le perfectionnement. C'est en vainque, par un jeu pue? ril,
on dirait que le perfectionnement est le bonheur; nous sentons
clairement la diffe? rence qui existe entre les jouissances et les
sacrifices; et si le langage voulait adopter les me^mes termes pour
des ide? es si peu semblables, le jugement naturel ne s'y laisserait
pas tromper.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA MORALE. 483
On a beaucoup dit que la nature humaine tendait au bonheur:
c'est la` son instinct involontaire; mais son instinct re? fle? chi,
c'est la vertu. En donnant a` l'homme tre`s-peu d'influence sur
son propre bonheur, et des moyens sans nombre de se perfec-
tionner, l'intention du Cre? ateur n'a pas e? te? sans doute que l'ob-
jet de notre vie fu^t un but presque impossible. -- Consacrez
toutes vos forces a` vous rendre heureux, mode? rez votre carac-
te`re, si vous le pouvez, de manie`re que vous n'e? prouviez pas
ces vagues de? sirs auxquels rien ne peutsuffire, et, malgre? toute
cette sage combinaison de l'e? goi? sme, vous serez malade, vous
serez ruine? , vous serez emprisonne? , et tout l'e? difice de vos soins
pour vous-me^me sera renverse? .
L'on re?
pond a` cela: --Je serai si circonspect que je n'aurai
point d'ennemis. -- Soit, vous n'aurez point a` vous reprocher de
ge? ne? reuses imprudences; mais on a vu quelquefois les moins
courageux perse? cute? s. --Je me? nagerai si bien ma fortune, que
je la conserverai. -- Je le crois; mais il y a des de? sastres uni-
versels , qui n'e? pargnent pas me^me ceux qui ont eu pour prin-
cipe de ne jamais s'exposer pour les autres, et la maladie et les
accidents de toute espe`ce disposent de notre sort malgre? nous.
Comment donc le but de notre liberte? morale serait-il le bonheur
de cette courte vie, que le hasard, la souffrance, la vieillesse et
la mort mettent hors de notre puissance? Il n'en est pas de me^me
du perfectionnement; chaque jour, chaque heure, chaque mi-
nute peut y contribuer ; tous les e? ve? nements heureux et malheu-
reux y servent e? galement, et cette oeuvre de? pend en entier de
nous, quelle que soit notre situation sur la terre.
La morale de Kant et de Fichte est tre`s-analogue a` celle des
stoi? ciens; cependant, les stoi? ciens accordaient davantage a` l'em-
pire des qualite? s naturelles; l'orgueil romain se retrouve dans
leur manie`re de juger l'homme. Les Kantiens croient a` l'action
ne? cessaire et continuelle de la volonte? contre les mauvais pen-
chants. Ils ne tole`rent point les exceptions dans l'obe? issance au
devoir, et rejettent toutes les excuses qui pourraient les mo-
tiver.
L'opinion de Kant sur la ve? racite? en est un exemple; il la
conside`re avec raison comme la base de toute morale. Quand le
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? 484 DE LA MORALE.
fils de Dieu s'est appele? le Ver)>>e, ou la Parole, peut-e^tre vou-
lait-il honorer ainsi dans le langage l'admirable faculte? de re? ve? ler
ce qu'on pense. Kant a porte? le respect pour la ve? rite? jusqu'au
point de ne pas permettre qu'on la trahi^t, lors me^me qu'un
sce? le? rat viendrait vous demander si votre ami qu'il poursuit est
cache? dans votre maison. Il pre? tend qu'il ne faut jamais se per-
mettre dans aucune circonstance particulie`re ce qui ne saurait
e^tre admis comme loi ge? ne? rale; mais, dans cette occasion, il
oublie qu'on pourrait faire une loi ge? ne? rale de ne sacrifier la
ve? rite? qu'a` une autre vertu; car, de`s que l'inte? re^t personnel
est e? carte? d'une question, les sophismes ne sont plus a` crain-
dre, et la conscience prononce sur toutes choses avec e? quite? .
La the? orie de Kant, en morale, est se? ve`re et quelquefois se`che,
parce qu'elle exclut la sensibilite? . Il la regarde comme un reflet
des sensations, et comme devant conduire aux passions, dans
lesquelles il entre toujours de l'e? goi? sme; c'est a` cause de cela
qu'il n'admet pas cette sensibilite? pour guide, et qu'il place la
morale sous la sauvegarde de principes immuables. Il n'est rien
deplus se? ve`re que cette doctrine; mais il y aune se? ve? rite? qui
attendrit, alors me^me que les mouvements du coeur lui sont
suspects, et qu'elle essaye de les bannir tous: quelque rigoureux
que soit un moraliste, quand c'est a` la conscience qu'il s'adresse,
il est su^r de nous e? mouvoir. Celui qui dit a` l'homme : --Trou-
vez tout en vous-me^me, -- fait toujours nai^tre dans l'a^me quel-
que chose de grand qui tient encore a` la sensibilite? me^me dont
il exige le sacrifice. Il faut distinguer, en e? tudiant la philosophie
de Kant, le sentiment de la sensibilite? ; il admet l'un comme
juge des ve? rite? s philosophiques; il conside`re l'autre comme
devant e^tre soumise a` la conscience. Le sentiment et la cons-
cience sont employe? s dans ses e? crits comme des termes presque
synonymes; mais la sensibilite? se rapproche davantage de la
sphe`re des e? motions, et par conse? quent des passions qu'elles
font nai^tre.
On ne saurait se lasser d'admirer les e? crits de Kant, dans
lesquels la supre^me loi du devoir est consacre? e; quelle chaleur
vraie, quelle e? loquence anime? e, dans un sujet ou` d'ordinaire il
ne s'agit que de re? primer! On se sent pe? ne? tre? d'un profond res-
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? DE LA MOHALE. '(85
pect pour l'auste? rite? d'un vieillard philosophe, constamment
soumis a` cet invincible pouvoir de la vertu, sans autre empire
que la conscience, sans autres armes que les remords, sans
autres tre? sors a` distribuer que les jouissances inte? rieures de
l'a^me; jouissances dont on ne peut me^me donner l'espoir
pour motif, puisqu'on ne les comprend qu'apre`s les avoir e? prou-
ve? es.
Parmi les philosophes allemands, des hommes non moins
vertueux que Kant, et qui se rapprochent davantage de la reli-
gion parleurs penchants, ont attribue? au sentiment religieux
l'origine de la loi morale. Ce sentiment ne saurait e^tre de la na-
ture de ceux qui peuvent devenir une passion. Se? ne`que en a
de? peint le calme et la profondeur, quand il a dit: Dans le sein
de f homme vertueux, je ne sais quel Dieu, mais il habite un
Dieu.
Kant a pre? tendu que c'e? tait alte? rer la purete? de? sinte? resse? e de
la morale, que de donner pour buta` nos actions la perspective
d'une vie future; plusieurs e? crivains allemands l'ont parfaitement
re? fute? a`cet e? gard; en effet, l'immortalite? ce? leste n'a nul rapport
avec les peines et les re? compenses que l'on conc? oit sur cette
terre; le sentiment qui nous fait aspirer a` l'immortalite? , est
aussi de? sinte? resse? que celui qui nous ferait trouver notre bonheur
dans le de? vouement a` celui des autres; car les pre? mices de la fe? -
licite? religieuse, c'est le sacrifice de nous-me^mes; ainsi donc
elle e? carte ne? cessairement toute espe`ce d'e? goi? sme.
Quelque effort qu'on fasse, il faut en revenir a` reconnai^tre
que la religion est le ve? ritable fondement dela morale; c'est
l'objet sensible et re? el au dedans de nous, qui peut seul de? tour-
ner nos regards des objets exte? rieurs. Si la pie? te? ne causait pas
des e? motions sublimes, qui sacrifierait me^me des plaisirs , quel-
que vulgaires qu'ils fussent, a` la froide dignite? de la raison? 11
faut commencer l'histoire intime de l'homme par la religion ou
par la sensation, car il n'y a de vivant que l'une ou l'autre. La
morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel serait aussi e? vidente qu'une
ve? rite? mathe? matique, qu'elle n'en exercerait pas plus d'empire
sur les passions, qui foulent aux pieds tous les calculs; il n'y a
qu'un sentiment qui puisse triompher d'un sentiment, la nature 4l.
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? 486 DE L4 MORALE.
violente ne saurait e^tre domine? e que par la nature exalte? e. Le
raisonnement, dans de pareils cas, ressemble au mai^tre d'e? colede La Fontaine; personne ne l'e? coute, et tout le monde crie au
secours.
Jacobi, comme je le montrerai dans l'analyse de ses ouvra-
ges, a combattu les arguments dont Kant se sert pour ne pas ad-
mettre le sentiment religieux comme base de la morale. Il croit,
au contraire, que la Divinite? se re? ve`le a` chaque homme en par-
ticulier, comme elle s'est re? ve? le? e au genre humain, lorsque les
prie`res et les oeuvres ont pre? pare? le coeur a` la comprendre. Un autre philosophe affirme que l'immortalite? commence de? ja` sur
cette terre, pour celui qui de? sire et qui sent en lui-me^me le gou^t
des choses e? ternelles; un autre, que la nature fait entendre la
volonte? de Dieu a` l'homme, et qu'il y a dans l'univers une voix
ge? missante et captive, qui l'invite a`de? livrer le monde et lui-
me^me, en combattant le principe du mal sous toutes ses appa-
rences funestes.
