tait l'ancienne che-
valerie, sa force, sa loyaute?
valerie, sa force, sa loyaute?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ussi a`don-
ner a` l'Allemagne un poe`me e? pique sublime et populaire tout a`
la fois, tel qu'un ouvrage de ce genre doit e^tre. La traduction de
l'Iliade et de l'Odysse? e par Voss fit connai^tre Home`re, autant
qu'une copie calque? e peut rendre l'original; chaque e? pithe`te y
est conserve? e, chaque mot y est mis a` la me^me place, et l'impres-
sion de l'ensemble est tre`s-grande, quoiqu'on ne puisse trouver
dans l'allemand tout le charme que doit avoir le grec, la plus
belle langue du Midi. Les litte? rateurs allemands, qui saisissent
avec avidite? chaque nouveau genre, s'essaye`rent a` composer des
poemes avec la couleur home? rique, et l'Odysse? e, renfermant
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? 160 DES POEMES ALLEMANDS.
beaucoup de de? tails de la vie prive? e, parut plus facile a` imiter
que l'Iliade.
Le premier essai dans ce genre fut une idylle en trois chants,
de Voss lui-me^me, intitule? e Louise; elle est e? crite en hexame`tres, que tout le monde s'accorde a` trouver admirables; mais la
pompe me^me du vers hexame`tre parai^t souvent peu d'accord avec
l'extre^me nai? vete? du sujet. Sans les e? motions pures et religieu-
ses qui animent tout le poe`me, on ne s'inte? resserait gue`re au
tre`s-paisible mariage de la fille du ve? ne? rable pasteur de Gra-
nait. Home`re, fide`le a` re? unir les e? pithe`tes avec les noms,dit
toujours, en parlant de Minerve, la fille de Jupiter aux yeux
bleus; de me^me aussi Voss re? pe`te sans cesse le ve? ne? rable pasteur
de GrUmau (der ehriw&rdige pfarrer von Gru^nau). Mais la
simplicite? d'Home`re ne produit un si grand effet que parce qu'elle
est noblement en contraste avec la grandeur imposante deson he? -
ros et du sort qui le poursuit; tandis que, quand il s'agit d'un pas-
teur de campagne et de la tre`s-bonne me? nage`re sa femme, qui
marient leur fille a` celui qu'elle aime, la simplicite? a moins de
me? rite. L'on admire beaucoup en Allemagne les descriptions qui
se trouvent dans la Louise de Voss, sur la manie`re de faire le
cafe? , d'allumer la pipe; ces de? tails sont pre? sente? s avec beaucoup
de talent et de ve? rite? ; c'est un tableau flamand tre`s-bien fait : ?
mais il me semble qu'on peut difficilement introduire dans nos
poemes, comme dans ceux des anciens, les usages communs de
la vie : ces usages chez nous ne sont pas poe? tiques , et notre civi-
lisation a quelque chose de bourgeois. Les anciens vivaient tou-
jours a` l'air, toujours en rapport avec la nature, et leur manie`re
d'exister e? tait champe^tre, mais jamais vulgaire.
Les Allemands mettent trop peu d'importance au sujet d'un
poe`me, et croient que tout consiste dans la manie`re dont il est
traite? . D'abord la forme donne? e par la poe? sie ne se transporte
presque jamais dans une langue e? trange`re; et la re? putation euro-
pe? enne n'est cependant pas a` de? daigner; d'ailleurs le souvenir
des de? tails les plus inte? ressants s'efface quand il n'est point rat-
tache? a` une fiction dont l'imagination puisse se saisir. La purete?
touchante, qui est le principal charme du poe`me de Voss, se
fait sentir surtout, ce me semble, dans la be? ne? diction nuptiale
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? DES POEMES ALLEMANDS. 161
du pasteur, en mariant sa fille : << Ma fille, lui dit-il avec une voix
<< e? mue, que la be? ne? diction de Dieu soit avec toi. Aimable et ver-
<< tueux enfant, que la be? ne? diction de Dieu t'accompagne sur la
<< terre et dans le ciel. J'ai e? te? jeune et je suis devenu vieux, et
<< dans cette vie incertaine le Tout-Puissant m'a envoye? beaucoup
<< de joie et de douleur. Qu'il soit be? ni pour toutes deux! Je vais
<< biento^t reposer sans regret ma te^te blanchie dans le tombeau de
mes pe`res, car ma fille est heureuse ; elle l'est, parce qu'elle sait
qu'un Dieu paternel soigne notre a^me par la douleur comme par
le plaisir. Quel spectacle plus touchant que celui de cette jeune
<< et belle fiance? e! Dans la simplicite? de son coeur, elle s'appuie
<< sur la main de l'ami qui doit la conduire dans le sentier de la vie;
<< c'est avec lui que, dans une intimite? sainte, elle partagera le
bonheur et-l'infortune; c'est celle qui, si Dieu le veut, doit
<< essuyer la dernie`re sueursur le front de son e? poux mortel. Mon
<< a^me e? tait aussi remplie de pressentiments, lorsque, le jour de
<< mes noces, j'amenai dans ces lieux ma timide compagne : con-
<< tent, mais se? rieux, je lui montrai de loin la borne de nos
champs, la tour de l'e? glise, et l'habitation du pasteur ou` nous
avons e? prouve? tant de biens et de maux. Mon unique enfant,
car il ne me reste que toi, d'autres a` qui j'avais donne? la vie
<< dorment la`-bas sous le gazon du cimetie`re ; mon unique enfant,
<< tu vas t'en aller en suivant la route par laquelle je suis venu.
<< La chambre de ma fille sera de? serte; sa place a` notre table nt
<< sera plus occupe? e; c'est en vain que je pre^terai l'oreille a` ses
pas, a` sa voix. Oui, quand ton e? poux t'emme`nera loin de moi,
des sanglots m'e? chapperont, et mes yeux mouille? s de pleurs te
suivront longtemps encore ; car je suis homme et pe`re, et j'aime
<< avec tendresse cette fille qui m'aime aussi since`rement. Mais
<< biento^t, re? primant mes larmes J'e? le`verai vers le ciel mes mains
<< suppliantes, et je me prosternerai devant la volonte? de Dieu,
qui commande a` la femme de quitter sa me`re et son pe`re pour
suivre son e? poux. Va donc en paix, mon enfant, abandonne ta
famille et la maison paternelle ; suis le jeune homme qui main-
<<tenant te tiendra lieu de ceux a` qui tu dois le jour; sois dans
<< sa maison comme une vigne fe? conde, entoure-la de nobles re-
<<jetons. Un mariage religieux est la plus belle des fe? licite? s ter-
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? |62 DES POEMES \Ll. t. MAMlS.
<< restres; mais si le Seigneur ne fonde pas lui-me^me l'e? difice de
<< l'homme, qu'importent ses vains travaux? >>
Voila` dela vraie simplicite? , celle de l'a^me, celle qui convient
au peuple comme aux rois, aux pauvres comme aux riches, en-
lin a` toutes les cre? atures de Dieu. On se lasse promptement de
la poe? sie descriptive , quand elle s'applique a` des objets qui n'ont
rien de grand en eux-me^mes; mais les sentiments descendent du
ciel, et dans quelque humble se? jour que pe? ne`trent leurs rayons,
ils ne perdent rien de leur beaute? .
L'extre^me admiration qu'inspire Goethe en Allemagne a fait
donner a` son poe`me d'Hermann et Dorothe? e le nom de poe`me
e? pique; et l'un des hommes les plus spirituels en tout pays,
M. de Humboldt, le fre`re du ce? le`bre voyageur, a compose? sur ce
poe`me un ouvragequi contient les remarques les plus philosophi-
ques et les plus piquantes. Hermann et Dorothe? e est traduit en
franc? ais et en anglais; toutefois on ne peut avoir l'ide? e, par la
traduction, du charme qui re`gne dans cet ouvrage: une e? motion
douce, mais continuelle, se fait sentir depuis le premier vers jus-
qu'au dernier, et il y a, dans les moindres de? tails, une dignite?
naturelle, qui ne de? parerait pas les he? ros d'Home`re. Ne? anmoins,
il faut en convenir, les personnages et les e? ve? nements sont de
trop peu d'importance ; le sujet suffit a` l'inte? re^t quand on le lit
dans l'original; dans la traduction cet inte? re^t se dissipe. En fait
de poe`me e? pique, il me semble qu'il est permis d'exiger une
certaine aristocratie litte? raire; la dignite? des personnages et des
souvenirs historiques qui s'y rattachent, peut seule e? lever l'ima-!
gination a` la hauteur de ce genre d'ouvrage. Un poe`me ancien du treizie`me sie`cle, les Niebelungs, dont
j'ai de? ja` parle? , parai^t avoir eu dans son temps tous lescaracte`res
d'un ve? ritable poe`me e? pique. Les grandes actions du he? ros de l'Al-
lemagne du Nord, Sigefroi, assassine? par un roi bourguignon, la
vengeance que les siens en tire`rent dans le camp d'Attila, et qui
mit fin au premier royaume de Bourgogne, sont le sujet de ce
poe`me. Un poe`me e? pique n'est presque jamais l'ouvrage d'un
homme, et les sie`cles me^mes , pour ainsi dire, y travaillent: le
patriotisme, la religion, enfin la totalite? del'existence d'un peu-
ple , ne peut e^tre mise eu action que par quelques-uns de ces
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? DR LA POESIE ALLEMANDE. I 63
e? ve? nements immenses que le poe`te ne cre? e pas, mais qui lui ap-
paraissent agrandis par la nuit des temps: les personnages du
poe`me e? pique doivent repre? senter le caracte`re primitif de la
nation. Il faut trouver en eux le moule indestructible dont est
sortie toute l'histoire.
Ce qu'il y avait de beau eu Allemagne. c'e?
tait l'ancienne che-
valerie, sa force, sa loyaute? , sa bonhomie, et la rudesse du Nord,
qui s'alliait avec une sensibilite? sublime. Ce qu'il y avait aussi
de beau, c'e? tait le christianisme ente? sur la mythologie scandi-
nave; cet honneur sauvage que la foi rendait pur et sacre? ; ce
respect pour les femmes, qui devenait plus touchant encore par
la protection accorde? e a` tous les faibles; cet enthousiasme de la
mort, ce paradis guerrier ou` la religion la plus humaine a pris
place. Tels sont les e? le? ments d'un poe`me e? pique en Allemagne.
Il faut que le ge? nie s'en empare, et qu'il sache, comme Me? de? e,
ranimer par un nouveau sang d'anciens souvenirs.
CHAPITRE XIII.
De la poe? sie allemande.
Les poe? sies allemandes de? tache? es sont, ce me semble, plus
remarquables encore que les poe`mes, et c'est surtout dans ce
genre que le cachet de l'originalite? est empreint: il est vrai aussi
que les auteurs les plus cite? s a` cet e? gard, Goethe, Schiller, Bu`r-
ger, etc. , sont de l'e? cole moderne, qui seule porte un caracte`re
vraiment national. Goethe a plus d'imagination, Schiller plus
de sensibilite? , et Bu^rger est de tous celui qui posse`de le talent
le plus populaire. En examinant successivement quelques poe? -
sies de ces trois hommes, on se fera mieux l'ide? e de ce qui les
distingue. Schiller a de l'analogie avec le gou^t franc? ais; toutefois
on ne trouve dans ses poe? sies de? tache? es rien qui ressemble aux
poe? sies fugitives de Voltaire; cette e? le? gance de conversation et
presque de manie`res, transporte? e dans la poe? sie, n'appartenait
qu'a` la France; et Voltaire, en fait de gra^ce, e? tait le premier des
e? crivains franc? ais. Il serait inte? ressant de comparer les stances
de Schiller sur la perte de la jeunesse, intitule? es f Ide? al, avec cel-
les de Voltaire:
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? 16-1 DE LA POESIE ALLEMANDE.
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'a^ge des amours, etc.
On voit dans le poete franc? ais l'expression d'un regret ai-
mable, dont les plaisirs de l'amour et les joies de la vie sont
l'objet : le poete allemand pleure la perte de l'enthousiasme et
de l'innocente purete? des pense? es du premier a^ge; et c'est par la
poe? sie et la pense? e qu'il se flatte d'embellir encore le de? clin de
ses ans. Il n'y a pas dans les stances de Schiller cette clarte? facile
et brillante que permet un genre d'esprit a` la porte? e de tout le
monde; mais on y peut puiser des consolations qui agissent sur
l'a^me inte? rieurement. Schiller ne pre? sente jamais les re? flexions
les plus profondes que reve^tues de nobles images : il parle a`
l'homme comme la nature elle-me^me; car la nature est tout a`
la fois penseur et poete. Pour peindre l'ide? e du temps, elle fait
couler devant nos yeux les flots d'un fleuve ine? puisable; et pour
que sa jeunesse e? ternelle nous fasse songera notre existence pas-
sage`re , elle se reve^t de fleurs qui doivent pe? rir, elle fait tomber
en automne les feuilles des arbres que le printemps a vues dans
tout leur e? clat : la poe? sie doit e^tre le miroir terrestre de la Di-
viuite? , et re? fle? chir, par les couleurs, les sons et les rhythmes,
toutes les beaute? s de l'univers.
La pie`ce de vers intitule? e ta Cloche consiste en deux parties
parfaitement distinctes : les strophes en refrain expriment le
travail qui se fait dans la forge, et entre chacune de ces strophes
il y a des vers ravissants sur les circonstances solennelles, ou
sur les e? ve? nements extraordinaires annonce? s par les cloches, tels
que la naissance, le mariage, la mort, l'incendie, la re? volte, etc.
On pourrait traduire en franc? ais les pense? es fortes, les images
belles et touchantes qu'inspirent a` Schiller les grandes e? po-
ques de la destine? e humaine; mais il est impossible d'imiter
noblement les strophes en petits vers, et compose? es de mots dont
le son bizarre et pre? cipite? semble faire entendre les coups re-
double? s et les pas rapides des ouvriers qui dirigent la lave bru^-
lante de l'airain. Peut-on avoir l'ide? e d'un poe`me de ce genre
par une traduction en prose? c'est lire la musique au lieu de
l'entendre; encore est-il plus aise? de se figurer, par l'imagina-
tion, l'effet des instruments que l'on connai^t, que les accords et
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. IfiS
les contrastes d'un rhythme et d'une langue qu'on ignore. Tan-
to^t la brie`vete? re? gulie`re du me`tre fait sentir l'activite? des forge-
rons , l'e? nergie borne? e, mais continue, qui s'exerce dans les oc-
cupations mate? rielles; et tanto^t, a` co^te? de ce bruit dur et fort,
l'on entend les chants ae? riens de l'enthousiasme et de la me? lan-
colie.
L'originalite? de ce poe`me est perdue quand on le se? pare de
l'impression que produisent une mesure de vers habilement
choisie, et des rimes qui se re? pondent comme des e? chos intelli-
gents que la pense? e modifie ; et cependant ces effets pittoresques
des sons seraient tre`s-hasarde? s en franc? ais. L'ignoble nous me-
nace sans cesse : nous n'avons pas , comme presque tous les au-
tres peuples, deux langues , celle de la prose et celle des vers;
et il en est des mots comme des personnes, la` ou` les rangs sonl
confondus, la familiarite? est dangereuse.
Une autre pie`ce de Schiller, Cassandre, pourrait plus faci-
lement se traduire en franc? ais, quoique le langage poe? tique y soit
d'une grande hardiesse. Cassandre, au moment ou` la fe^te des
noces de Polyxe`ne avec Achille va commencer, est saisie par le
pressentiment des malheurs qui re? sulteront de cette fe^te : elle se
prome`ne triste et sombre dans les bois d'Apollon, et se plaint
de connai^tre l'avenir qui trouble toutes les jouissances. On voit
dans cette ode le mal que fait e? prouver a` un e^tre mortel la pre-
science d'un dieu. La douleur de la prophe? tesse n'est-elle pas
ressentie par tous ceux dont l'esprit est supe? rieur et le caracte`re
passionne? ? Schiller a su montrer, sous une forme toute poe? tique,
une grande ide? e morale : c'est que le ve? ritable ge? nie, celui du
sentiment, est victime de lui-me^me, quand il ne le serait pas
des autres. Il n'y a point d'hymen pour Cassandre, non qu'elle
soit insensible, non qu'elle soit de? daigne? e; mais son a^me pe? ne? -
trante de? passe en peu d'instants et la vie et la mort, et ne se re-
posera que dans le ciel.
Je ne finirais point si je voulais parler de toutes les poe? sies de
Schiller qui renferment des pense? es et des beaute? s nouvelles. Il
a fait sur le de? part des Grecs apre`s la prise de Troie un hymne
qu'on pourrait croire d'un poete d'alors, tant la couleur du
temps y est fide`lement observe? e. J'examinerai, sous le rapport
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? 160 DE LA POE? SIE ALLEMANDE.
de l'art dramatique, le talent admirable des Allemands pour se
transporter dans les sie`cles, dans les pays, dans les caracte`res
les plus diffe? rents du leur : superbe faculte? , sans laquelle les
personnages qu'on met eu sce`ne ressemblent a` des marionnettes
qu'un me^me fil remue, et qu'une me^me voix, celle de l'auteur,
fait parler. Schiller me? rite surtout d'e^tre admire? comme poe`te
dramatique : Goethe est tout seul au premier rang, dans l'art de
composer des e? le? gies, des romances, des stances, etc. ; ses poe? -
sies de? tache? es ont un me? rite tre`s-diffe? rent de celles de Voltaire.
Le poete franc? ais a su mettre en vers l'esprit de la socie? te? la plus
brillante; le poe`te allemand re? veille dans l'a^me, par quelques
traits rapides, des impressions solitaires et profondes.
Goethe, dans ce genre d'ouvrages, est naturel au supre^me
degre? ; non-seulement il estnaturel quand il parle d'apre`s ses
propres impressions, mais aussi quand il se transporte dans des
pays, des moeurs et des situations toutes nouvelles; sapoe? sie
prend facilement la couleur des contre? es e? trange`res; il saisit avec
un talent unique ce qui plai^t dans les chansons nationales de
chaque peuple; il devient, quand il le veut, un Grec, un Indien,
un Morlaque. Nous avons souvent parle? de ce qui caracte? rise
les poe`tes du Nord, la me? lancolie et la me? ditation : Goethe,
comme tous les hommes de ge?
ner a` l'Allemagne un poe`me e? pique sublime et populaire tout a`
la fois, tel qu'un ouvrage de ce genre doit e^tre. La traduction de
l'Iliade et de l'Odysse? e par Voss fit connai^tre Home`re, autant
qu'une copie calque? e peut rendre l'original; chaque e? pithe`te y
est conserve? e, chaque mot y est mis a` la me^me place, et l'impres-
sion de l'ensemble est tre`s-grande, quoiqu'on ne puisse trouver
dans l'allemand tout le charme que doit avoir le grec, la plus
belle langue du Midi. Les litte? rateurs allemands, qui saisissent
avec avidite? chaque nouveau genre, s'essaye`rent a` composer des
poemes avec la couleur home? rique, et l'Odysse? e, renfermant
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 160 DES POEMES ALLEMANDS.
beaucoup de de? tails de la vie prive? e, parut plus facile a` imiter
que l'Iliade.
Le premier essai dans ce genre fut une idylle en trois chants,
de Voss lui-me^me, intitule? e Louise; elle est e? crite en hexame`tres, que tout le monde s'accorde a` trouver admirables; mais la
pompe me^me du vers hexame`tre parai^t souvent peu d'accord avec
l'extre^me nai? vete? du sujet. Sans les e? motions pures et religieu-
ses qui animent tout le poe`me, on ne s'inte? resserait gue`re au
tre`s-paisible mariage de la fille du ve? ne? rable pasteur de Gra-
nait. Home`re, fide`le a` re? unir les e? pithe`tes avec les noms,dit
toujours, en parlant de Minerve, la fille de Jupiter aux yeux
bleus; de me^me aussi Voss re? pe`te sans cesse le ve? ne? rable pasteur
de GrUmau (der ehriw&rdige pfarrer von Gru^nau). Mais la
simplicite? d'Home`re ne produit un si grand effet que parce qu'elle
est noblement en contraste avec la grandeur imposante deson he? -
ros et du sort qui le poursuit; tandis que, quand il s'agit d'un pas-
teur de campagne et de la tre`s-bonne me? nage`re sa femme, qui
marient leur fille a` celui qu'elle aime, la simplicite? a moins de
me? rite. L'on admire beaucoup en Allemagne les descriptions qui
se trouvent dans la Louise de Voss, sur la manie`re de faire le
cafe? , d'allumer la pipe; ces de? tails sont pre? sente? s avec beaucoup
de talent et de ve? rite? ; c'est un tableau flamand tre`s-bien fait : ?
mais il me semble qu'on peut difficilement introduire dans nos
poemes, comme dans ceux des anciens, les usages communs de
la vie : ces usages chez nous ne sont pas poe? tiques , et notre civi-
lisation a quelque chose de bourgeois. Les anciens vivaient tou-
jours a` l'air, toujours en rapport avec la nature, et leur manie`re
d'exister e? tait champe^tre, mais jamais vulgaire.
Les Allemands mettent trop peu d'importance au sujet d'un
poe`me, et croient que tout consiste dans la manie`re dont il est
traite? . D'abord la forme donne? e par la poe? sie ne se transporte
presque jamais dans une langue e? trange`re; et la re? putation euro-
pe? enne n'est cependant pas a` de? daigner; d'ailleurs le souvenir
des de? tails les plus inte? ressants s'efface quand il n'est point rat-
tache? a` une fiction dont l'imagination puisse se saisir. La purete?
touchante, qui est le principal charme du poe`me de Voss, se
fait sentir surtout, ce me semble, dans la be? ne? diction nuptiale
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES POEMES ALLEMANDS. 161
du pasteur, en mariant sa fille : << Ma fille, lui dit-il avec une voix
<< e? mue, que la be? ne? diction de Dieu soit avec toi. Aimable et ver-
<< tueux enfant, que la be? ne? diction de Dieu t'accompagne sur la
<< terre et dans le ciel. J'ai e? te? jeune et je suis devenu vieux, et
<< dans cette vie incertaine le Tout-Puissant m'a envoye? beaucoup
<< de joie et de douleur. Qu'il soit be? ni pour toutes deux! Je vais
<< biento^t reposer sans regret ma te^te blanchie dans le tombeau de
mes pe`res, car ma fille est heureuse ; elle l'est, parce qu'elle sait
qu'un Dieu paternel soigne notre a^me par la douleur comme par
le plaisir. Quel spectacle plus touchant que celui de cette jeune
<< et belle fiance? e! Dans la simplicite? de son coeur, elle s'appuie
<< sur la main de l'ami qui doit la conduire dans le sentier de la vie;
<< c'est avec lui que, dans une intimite? sainte, elle partagera le
bonheur et-l'infortune; c'est celle qui, si Dieu le veut, doit
<< essuyer la dernie`re sueursur le front de son e? poux mortel. Mon
<< a^me e? tait aussi remplie de pressentiments, lorsque, le jour de
<< mes noces, j'amenai dans ces lieux ma timide compagne : con-
<< tent, mais se? rieux, je lui montrai de loin la borne de nos
champs, la tour de l'e? glise, et l'habitation du pasteur ou` nous
avons e? prouve? tant de biens et de maux. Mon unique enfant,
car il ne me reste que toi, d'autres a` qui j'avais donne? la vie
<< dorment la`-bas sous le gazon du cimetie`re ; mon unique enfant,
<< tu vas t'en aller en suivant la route par laquelle je suis venu.
<< La chambre de ma fille sera de? serte; sa place a` notre table nt
<< sera plus occupe? e; c'est en vain que je pre^terai l'oreille a` ses
pas, a` sa voix. Oui, quand ton e? poux t'emme`nera loin de moi,
des sanglots m'e? chapperont, et mes yeux mouille? s de pleurs te
suivront longtemps encore ; car je suis homme et pe`re, et j'aime
<< avec tendresse cette fille qui m'aime aussi since`rement. Mais
<< biento^t, re? primant mes larmes J'e? le`verai vers le ciel mes mains
<< suppliantes, et je me prosternerai devant la volonte? de Dieu,
qui commande a` la femme de quitter sa me`re et son pe`re pour
suivre son e? poux. Va donc en paix, mon enfant, abandonne ta
famille et la maison paternelle ; suis le jeune homme qui main-
<<tenant te tiendra lieu de ceux a` qui tu dois le jour; sois dans
<< sa maison comme une vigne fe? conde, entoure-la de nobles re-
<<jetons. Un mariage religieux est la plus belle des fe? licite? s ter-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? |62 DES POEMES \Ll. t. MAMlS.
<< restres; mais si le Seigneur ne fonde pas lui-me^me l'e? difice de
<< l'homme, qu'importent ses vains travaux? >>
Voila` dela vraie simplicite? , celle de l'a^me, celle qui convient
au peuple comme aux rois, aux pauvres comme aux riches, en-
lin a` toutes les cre? atures de Dieu. On se lasse promptement de
la poe? sie descriptive , quand elle s'applique a` des objets qui n'ont
rien de grand en eux-me^mes; mais les sentiments descendent du
ciel, et dans quelque humble se? jour que pe? ne`trent leurs rayons,
ils ne perdent rien de leur beaute? .
L'extre^me admiration qu'inspire Goethe en Allemagne a fait
donner a` son poe`me d'Hermann et Dorothe? e le nom de poe`me
e? pique; et l'un des hommes les plus spirituels en tout pays,
M. de Humboldt, le fre`re du ce? le`bre voyageur, a compose? sur ce
poe`me un ouvragequi contient les remarques les plus philosophi-
ques et les plus piquantes. Hermann et Dorothe? e est traduit en
franc? ais et en anglais; toutefois on ne peut avoir l'ide? e, par la
traduction, du charme qui re`gne dans cet ouvrage: une e? motion
douce, mais continuelle, se fait sentir depuis le premier vers jus-
qu'au dernier, et il y a, dans les moindres de? tails, une dignite?
naturelle, qui ne de? parerait pas les he? ros d'Home`re. Ne? anmoins,
il faut en convenir, les personnages et les e? ve? nements sont de
trop peu d'importance ; le sujet suffit a` l'inte? re^t quand on le lit
dans l'original; dans la traduction cet inte? re^t se dissipe. En fait
de poe`me e? pique, il me semble qu'il est permis d'exiger une
certaine aristocratie litte? raire; la dignite? des personnages et des
souvenirs historiques qui s'y rattachent, peut seule e? lever l'ima-!
gination a` la hauteur de ce genre d'ouvrage. Un poe`me ancien du treizie`me sie`cle, les Niebelungs, dont
j'ai de? ja` parle? , parai^t avoir eu dans son temps tous lescaracte`res
d'un ve? ritable poe`me e? pique. Les grandes actions du he? ros de l'Al-
lemagne du Nord, Sigefroi, assassine? par un roi bourguignon, la
vengeance que les siens en tire`rent dans le camp d'Attila, et qui
mit fin au premier royaume de Bourgogne, sont le sujet de ce
poe`me. Un poe`me e? pique n'est presque jamais l'ouvrage d'un
homme, et les sie`cles me^mes , pour ainsi dire, y travaillent: le
patriotisme, la religion, enfin la totalite? del'existence d'un peu-
ple , ne peut e^tre mise eu action que par quelques-uns de ces
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? DR LA POESIE ALLEMANDE. I 63
e? ve? nements immenses que le poe`te ne cre? e pas, mais qui lui ap-
paraissent agrandis par la nuit des temps: les personnages du
poe`me e? pique doivent repre? senter le caracte`re primitif de la
nation. Il faut trouver en eux le moule indestructible dont est
sortie toute l'histoire.
Ce qu'il y avait de beau eu Allemagne. c'e?
tait l'ancienne che-
valerie, sa force, sa loyaute? , sa bonhomie, et la rudesse du Nord,
qui s'alliait avec une sensibilite? sublime. Ce qu'il y avait aussi
de beau, c'e? tait le christianisme ente? sur la mythologie scandi-
nave; cet honneur sauvage que la foi rendait pur et sacre? ; ce
respect pour les femmes, qui devenait plus touchant encore par
la protection accorde? e a` tous les faibles; cet enthousiasme de la
mort, ce paradis guerrier ou` la religion la plus humaine a pris
place. Tels sont les e? le? ments d'un poe`me e? pique en Allemagne.
Il faut que le ge? nie s'en empare, et qu'il sache, comme Me? de? e,
ranimer par un nouveau sang d'anciens souvenirs.
CHAPITRE XIII.
De la poe? sie allemande.
Les poe? sies allemandes de? tache? es sont, ce me semble, plus
remarquables encore que les poe`mes, et c'est surtout dans ce
genre que le cachet de l'originalite? est empreint: il est vrai aussi
que les auteurs les plus cite? s a` cet e? gard, Goethe, Schiller, Bu`r-
ger, etc. , sont de l'e? cole moderne, qui seule porte un caracte`re
vraiment national. Goethe a plus d'imagination, Schiller plus
de sensibilite? , et Bu^rger est de tous celui qui posse`de le talent
le plus populaire. En examinant successivement quelques poe? -
sies de ces trois hommes, on se fera mieux l'ide? e de ce qui les
distingue. Schiller a de l'analogie avec le gou^t franc? ais; toutefois
on ne trouve dans ses poe? sies de? tache? es rien qui ressemble aux
poe? sies fugitives de Voltaire; cette e? le? gance de conversation et
presque de manie`res, transporte? e dans la poe? sie, n'appartenait
qu'a` la France; et Voltaire, en fait de gra^ce, e? tait le premier des
e? crivains franc? ais. Il serait inte? ressant de comparer les stances
de Schiller sur la perte de la jeunesse, intitule? es f Ide? al, avec cel-
les de Voltaire:
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? 16-1 DE LA POESIE ALLEMANDE.
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'a^ge des amours, etc.
On voit dans le poete franc? ais l'expression d'un regret ai-
mable, dont les plaisirs de l'amour et les joies de la vie sont
l'objet : le poete allemand pleure la perte de l'enthousiasme et
de l'innocente purete? des pense? es du premier a^ge; et c'est par la
poe? sie et la pense? e qu'il se flatte d'embellir encore le de? clin de
ses ans. Il n'y a pas dans les stances de Schiller cette clarte? facile
et brillante que permet un genre d'esprit a` la porte? e de tout le
monde; mais on y peut puiser des consolations qui agissent sur
l'a^me inte? rieurement. Schiller ne pre? sente jamais les re? flexions
les plus profondes que reve^tues de nobles images : il parle a`
l'homme comme la nature elle-me^me; car la nature est tout a`
la fois penseur et poete. Pour peindre l'ide? e du temps, elle fait
couler devant nos yeux les flots d'un fleuve ine? puisable; et pour
que sa jeunesse e? ternelle nous fasse songera notre existence pas-
sage`re , elle se reve^t de fleurs qui doivent pe? rir, elle fait tomber
en automne les feuilles des arbres que le printemps a vues dans
tout leur e? clat : la poe? sie doit e^tre le miroir terrestre de la Di-
viuite? , et re? fle? chir, par les couleurs, les sons et les rhythmes,
toutes les beaute? s de l'univers.
La pie`ce de vers intitule? e ta Cloche consiste en deux parties
parfaitement distinctes : les strophes en refrain expriment le
travail qui se fait dans la forge, et entre chacune de ces strophes
il y a des vers ravissants sur les circonstances solennelles, ou
sur les e? ve? nements extraordinaires annonce? s par les cloches, tels
que la naissance, le mariage, la mort, l'incendie, la re? volte, etc.
On pourrait traduire en franc? ais les pense? es fortes, les images
belles et touchantes qu'inspirent a` Schiller les grandes e? po-
ques de la destine? e humaine; mais il est impossible d'imiter
noblement les strophes en petits vers, et compose? es de mots dont
le son bizarre et pre? cipite? semble faire entendre les coups re-
double? s et les pas rapides des ouvriers qui dirigent la lave bru^-
lante de l'airain. Peut-on avoir l'ide? e d'un poe`me de ce genre
par une traduction en prose? c'est lire la musique au lieu de
l'entendre; encore est-il plus aise? de se figurer, par l'imagina-
tion, l'effet des instruments que l'on connai^t, que les accords et
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. IfiS
les contrastes d'un rhythme et d'une langue qu'on ignore. Tan-
to^t la brie`vete? re? gulie`re du me`tre fait sentir l'activite? des forge-
rons , l'e? nergie borne? e, mais continue, qui s'exerce dans les oc-
cupations mate? rielles; et tanto^t, a` co^te? de ce bruit dur et fort,
l'on entend les chants ae? riens de l'enthousiasme et de la me? lan-
colie.
L'originalite? de ce poe`me est perdue quand on le se? pare de
l'impression que produisent une mesure de vers habilement
choisie, et des rimes qui se re? pondent comme des e? chos intelli-
gents que la pense? e modifie ; et cependant ces effets pittoresques
des sons seraient tre`s-hasarde? s en franc? ais. L'ignoble nous me-
nace sans cesse : nous n'avons pas , comme presque tous les au-
tres peuples, deux langues , celle de la prose et celle des vers;
et il en est des mots comme des personnes, la` ou` les rangs sonl
confondus, la familiarite? est dangereuse.
Une autre pie`ce de Schiller, Cassandre, pourrait plus faci-
lement se traduire en franc? ais, quoique le langage poe? tique y soit
d'une grande hardiesse. Cassandre, au moment ou` la fe^te des
noces de Polyxe`ne avec Achille va commencer, est saisie par le
pressentiment des malheurs qui re? sulteront de cette fe^te : elle se
prome`ne triste et sombre dans les bois d'Apollon, et se plaint
de connai^tre l'avenir qui trouble toutes les jouissances. On voit
dans cette ode le mal que fait e? prouver a` un e^tre mortel la pre-
science d'un dieu. La douleur de la prophe? tesse n'est-elle pas
ressentie par tous ceux dont l'esprit est supe? rieur et le caracte`re
passionne? ? Schiller a su montrer, sous une forme toute poe? tique,
une grande ide? e morale : c'est que le ve? ritable ge? nie, celui du
sentiment, est victime de lui-me^me, quand il ne le serait pas
des autres. Il n'y a point d'hymen pour Cassandre, non qu'elle
soit insensible, non qu'elle soit de? daigne? e; mais son a^me pe? ne? -
trante de? passe en peu d'instants et la vie et la mort, et ne se re-
posera que dans le ciel.
Je ne finirais point si je voulais parler de toutes les poe? sies de
Schiller qui renferment des pense? es et des beaute? s nouvelles. Il
a fait sur le de? part des Grecs apre`s la prise de Troie un hymne
qu'on pourrait croire d'un poete d'alors, tant la couleur du
temps y est fide`lement observe? e. J'examinerai, sous le rapport
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? 160 DE LA POE? SIE ALLEMANDE.
de l'art dramatique, le talent admirable des Allemands pour se
transporter dans les sie`cles, dans les pays, dans les caracte`res
les plus diffe? rents du leur : superbe faculte? , sans laquelle les
personnages qu'on met eu sce`ne ressemblent a` des marionnettes
qu'un me^me fil remue, et qu'une me^me voix, celle de l'auteur,
fait parler. Schiller me? rite surtout d'e^tre admire? comme poe`te
dramatique : Goethe est tout seul au premier rang, dans l'art de
composer des e? le? gies, des romances, des stances, etc. ; ses poe? -
sies de? tache? es ont un me? rite tre`s-diffe? rent de celles de Voltaire.
Le poete franc? ais a su mettre en vers l'esprit de la socie? te? la plus
brillante; le poe`te allemand re? veille dans l'a^me, par quelques
traits rapides, des impressions solitaires et profondes.
Goethe, dans ce genre d'ouvrages, est naturel au supre^me
degre? ; non-seulement il estnaturel quand il parle d'apre`s ses
propres impressions, mais aussi quand il se transporte dans des
pays, des moeurs et des situations toutes nouvelles; sapoe? sie
prend facilement la couleur des contre? es e? trange`res; il saisit avec
un talent unique ce qui plai^t dans les chansons nationales de
chaque peuple; il devient, quand il le veut, un Grec, un Indien,
un Morlaque. Nous avons souvent parle? de ce qui caracte? rise
les poe`tes du Nord, la me? lancolie et la me? ditation : Goethe,
comme tous les hommes de ge?