La
connaissance
des mathe?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
dain pour les cho-
ses exalte? es sont devenus le type de la gra^ce, et les plaisanteries
ont e? te? dirige? es contre l'inte? re^t vif qu'on peut mettre a` tout ce
qui n'a pas dans ce monde un re? sultat positif.
Le principe raisonne? dela frivolite? du coeur et de l'esprit,
c'est la me? taphysique qui rapporte toutes nos ide? es a` nos sensa-
tions; car il ne nous vient rien que de superficiel par le dehors,
et la vie se? rieuse est au fond de l'a^me. Si la fatalite? mate? rialiste,
admise comme the? orie de l'esprit humain, conduisait au de? gou^t
de tout ce qui est exte? rieur, comme a` l'incre? dulite? sur tout ce
qui est intime, il y aurait encore dans ces syste`mes une certaine
noblesse inactive, une indolence orientale qui pourrait avoir
quelque grandeur, et des philosophes grecs ont trouve? le moyen
de mettre presque de la dignite? dans l'apathie; mais l'empire
des sensations, en affaiblissant par degre? s le sentiment, a laisse?
subsister l'activite? de l'inte? re^t personnel, et ce ressort des actions
a e? te? d'autant plus puissant, qu'on avait brise? tous les autres.
A l'incre? dulite? de l'esprit, a` l'e? goi? sme du coeur, il faut encore
ajouter la doctrine sur la conscience qu'Helve? tius a de? veloppe? e,
lorsqu'il a dit que les actions vertueuses en elles-me^mes avaient
pour but d'obtenir les jouissances physiques qu'on peut gou^ter
ici-bas; il en est re? sulte? qu'on a conside? re? comme une espe`ce
de duperie les sacrifices qu'on pourrait faire au culte ide? al de
quelque opinion ou de quelque sentiment que ce soit; et
comme rien ne parai^t plus redoutable aux hommes que de pas-
ser pour dupes, ils se sont ha^te? s de jeter du ridicule sur tous les
enthousiasmes qui tournaient mal; car ceux qui e? taient re? com-
pense? s par les succe`s e? chappaient a` la moquerie: le bonheur a
toujours raison aupre`s des mate? rialistes.
L'incre? dulite? dogmatique, c'est-a`-dire celle qui re? voque en
doute tout ce qui n'est pas prouve? par les sensations, est la
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? 408 ORSERVATIONS GE? NE? RALES
source de la grande ironie de l'homme envers lui-me^me: toute
la de? gradation morale vient de la`. Cette philosophie doit sans
doute e^tre conside? re? e autant comme l'effet que comme la cause
de la disposition actuelle des esprits; ne? anmoins il est un mal
dont elle est le premier auteur, elle a donne? a` l'insouciance de
la le? ge`rete? l'apparence d'un raisonnement re? fle? chi; elle fournit
des arguments spe? cieux a` l'e? goi? sme, et fait conside? rer les sen-
timents les plus nobles comme une maladie accidentelle dont
les circonstances exte? rieures seules sont la cause.
Il importe donc d'examiner si la nation qui s'est constamment
de? fendue dela me? taphysique dont on a tire? detelles conse? quen-
ces, n'avait pas raison en principe , et plus encore dans l'appli-
cation qu'elle a faite de ce principe au de? veloppement des facul-
te? s et a` la conduite morale de l'homme.
CHAPITRE V.
Observations ge? ne? rales sur la philosophie allemande.
La philosophie spe? culative a toujours trouve? beaucoup de
partisans parmi les nations germaniques, et la philosophie expe? -
rimentale parmi les nations latines. Les Romains, tre`s-habiles
dans les affaires de la vie, n'e? taient point me? taphysiciens; ils
n'ont rien su a` cet e? gard que par leurs rapports avec la Gre`ce . et
les nations civilise? es par eux ont he? rite? , pour la plupart, de leurs
connaissances dans la politique, et de leur indiffe? rence pour les
e? tudes qui ne pouvaient s'appliquer aux affaires de ce monde.
Cette disposition se montre en France dans sa plus grande
force; les Italiens et les Espagnols y ont aussi participe? : mais
l'imagination du Midi a quelquefois de? vie? de la raison pratique,
pour s'occuper des the? ories purement abstraites.
La grandeur d'a^me des Romains donnait a` leur patriotisme et
a` leur morale un caracte`re sublime; mais c'est aux institutions
re? publicaines qu'il faut l'attribuer. Quand la liberte? n'a plus
existe? a` Rome, on y a vu re? gner presque sans partage un luxe
e? goi? ste et sensuel, une politique adroite qui devait porter tous
les esprits vers l'observation et l'expe? rience. Les Romains ne
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? SUR LA PHILOSOPHIE ALLIMIWDE. 409
garde`rent de l'e? tude qu'ils avaient faite dela litte? rature et de la
philosophie des Grecs que le gou^t des arts, et ce gou^t me^me
de? ge? ne? ra biento^t en jouissances grossie`res.
L'influence de Rome ne s'exerc? a pas sur les peuples septen-
trionaux. Ils ont e? te? civilise? s presque en entier par le christia-
nisme , et leur antique religion, qui contenait en elle les prin-
cipes de la chevalerie, ne ressemblait en rien au paganisme du
Midi. Il y avait un esprit de de? vouement he? roi? que et ge? ne? reux,
un enthousiasme pour les femmes qui faisait de l'amour un no-
ble culte; enfln la rigueur du climat empe^chant l'homme de se
plonger dans les de? lices de la nature, il en gou^tait d'autant mieux
les plaisirs de l'a^me. On pourrait m'objecter que les Grecs avaient la me^me reli-
gion et le me^me climat que les Romains, et qu'ils se sont pour-
tant livre? s plus qu'aucun autre peuple a` la philosophie spe? cula-
tive: mais ne peut-on pas attribuer aux Indiens quelques-uns
des syste`mes intellectuels de? veloppe? s chez les Grecs? La philo-
sophie ide? aliste de Pythagore et de Platon ne s'accorde gue`re
avec le paganisme tel que nous le connaissons; aussi les tradi-
tions historiques portent-elles a` croire que c'est a` travers l'E? gypte
que les peuples du midi de l'Europe ont rec? u l'influence de
l'Orient. La philosophie d'E? picure est la seule vraiment origi-
naire de la Gre`ce.
Quoi qu'il en soit de ces conjectures, il est certain que la spi-
ritualite? de l'a^me et toutes les pense? es qui en de? rivent ont e? te?
facilement naturalise? es chez les nations du Nord, et que parmi
ces nations les Allemands se sont toujours montre? s plus enclins
qu'aucun autre peuple a` la philosophie contemplative. Leur
Bacon et leur Descartes, c'est Leibnitz. On trouve dans ce beauge? nie toutes les qualite? s dont les philosophes allemands en ge? ne? -
ral se font gloire d'approcher : e? rudition immense, bonne foi
parfaite, enthousiasme cache? sous des formes se? ve`res. Il avait
profonde? ment e? tudie? la the? ologie, la jurisprudence, l'histoire,
les langues, les mathe? matiques, la physique, la chimie: car il
e? tait convaincu que l'universalite? des connaissances est ne? ces-
saire pour e^tre supe? rieur dans une partie quelconque : enfin tout
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 410 ORSERVATIONS GENERALES
manifestait en lui ces vertus qui tiennent a` la hauteur de la pense? e, et qui me? ritent a` la fois l'admiration et le respect.
Ses ouvrages peuvent e^tre divise? s en trois branches, les scien-
ces exactes, la philosophie the? ologique, et la philosophie de
l'a^me. Tout le monde sait queLeitmitz e? tait le rival de Newton
dans la the? orie du calcul.
La connaissance des mathe? matiques
sert beaucoup aux e? tudes me? taphysiques; le raisonnement abs-
trait n'existe dans sa perfection que dans l'alge`bre et la ge? ome? -
trie: nous chercherons a` de? montrer ailleurs les inconve? nients de
ce raisonnement quand on veut y soumettre ce qui tient d'une
manie`re quelconque a` la sensibilite? ; mais il donne a` l'esprit
humain une force d'attention qui le rend beaucoup plus capable
de s'analyser lui-me^me. Il faut aussi connai^tre les lois et les
forces de l'univers, pour e? tudier l'homme sous tous les rapports.
Il y a une telle analogie et une telle diffe? rence entre le monde
physique et le monde moral, les ressemblances et les diversite? s
se pre^tent de telles lumie`res, qu'il est impossible d'e^tre un sa-
vant du premier ordre sans le secours de la philosophie spe? cu-
lative, ni un philosophe spe? culatif sans avoir e? tudie? les scien-
ces positives.
Locke et Condillac ne s'e? taient pas assez occupe? s de ces scien-
ces; mais Leibnitz avait a` cet e? gard une supe? riorite? incontestable.
Descartes e? tait aussi un tre`s-grand mathe? maticien, et il esta`
remarquer que la plupart des philosophes partisans de l'ide? alisme
ont tous fait un immense usage de leurs faculte? s intellectuelles.
L'exercice de l'esprit, comme celui du coeur, donne un sentiment
de l'activite? interne, dont tous les e^tres qui s'abandonnent aux
impressions qui viennent du dehors sont rarement capables.
La premie`re classe des e? crits de Leibnitz contient ceux qu'on
pourrait appeler the? ologiques, parce qu'ils portent sur des ve? ri-
te? s qui sont du ressort de la religion, et la the? orie de l'esprit
humain est renferme? e dans la seconde. Dans la premie`re classe,
il s'agit de l'origine du bien et du mal, de la prescience divine,
enfin de ces questions primitives qui de? passent l'intelligence hu-
maine. Je ne pre? tends point bla^mer, en m'exprimant ainsi, les
grands hommes qui, depuis Pythagoreet Platon jusqu'a` nous,
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? SCH LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 41 t
ont e? te? attire? s vers ces hautes spe? culations philosophiques. Le
ge? nie ne s'impose de bornes a` lui-me^me qu'apre`s avoir lutte?
longtemps contre cette dure ne? cessite? . Qui peut avoir la faculte?
de penser, et ne pas essayer a` connai^tre l'origine et le but des
choses de ce monde?
Tout ce qui a vie sur la terre, excepte? l'homme, semble s'i-
gnorer soi-me^me. Lui seul sait qu'il mourra, et cette terrible
ve? rite? re? veille son inte? re^t pour toutes les grandes pense? es qui
s'y rattachent. De`s qu'on est capable de re? flexion, on re? sout,
ou pluto^t on croit re? soudre a` sa manie`re les questions philoso-
phiques qui peuvent expliquer la destine? e humaine; mais il
n'a e? te? accorde? a` personne de la comprendre dans son ensemble. Chacun en saisit un co^te? diffe? rent, chaque homme a sa
philosophie, comme sa poe? tique, comme son amour. Cette
philosophie est d'accord avec la tendance particulie`re de son ca-
racte`re et de son esprit. Quand on s'e? le`ve jusqu'a` l'infini, mille
explications peuvent e^tre e? galement vraies, quoique diverses,
parce que des questions sans bornes ont des milliers de faces,
dont une seule peut occuper la dure? e entie`re de l'existence.
Si le myste`re de l'univers est au-dessus de la porte? e del'homme,
ne? anmoins l'e? tude de ce myste`re donne plus d'e? tendue a` l'esprit;
il en est de la me? taphysique comme de l'alchimie : en cherchant
la pierre philosophale, en s'attachanta` de? couvrir l'impossible,
on rencontre sur la route des ve? rite? s qui nous seraient reste? es
inconnues :d'ailleurs on ne peut empe^cher un e^tre me? ditatif de
s'occuper au moins quelque temps de la philosophie transcen-
dante; cet e? lan dela nature spirituelle ne saurait e^tre combattu
qu'en la de? gradant.
On a re? fute? avec succe`s l'harmonie pre? e? tablie de Leibnitz,
qu'il croyait une grande de? couverte: il se flattait d'expliquer les
rapports de l'a^me et de la matie`re, en les conside? rant l'une et
l'autre comme des instruments accorde? s d'avance qui se re? pe`-
tent, se re? pondent et s'imitent mutuellement. Ses monades,
dont il faitles e? le? ments simples de l'univers, ne sont qu'une
hypothe`se aussi gratuite que toutes celles dont on s'est servi
pour expliquer l'origine des choses; ne? anmoins dans quelle per-
plexite? singulie`re l'esprit humain n'est-il pas? Sans cesse attire?
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? 412 ORSERVATIONS GENERALES
vers le secret de son e^tre, il lui est e? galement impossible, et de
le de? couvrir, et de n'y pas songer toujours.
Les Persans disent que Zoroastre interrogea la Divinite? , et
lui demanda comment le monde avait commence? , quand il devait
finir, quelle e? tait l'origine du bien et du mal ? La Divinite? re? pon-
dit a` toutes ces questions -. fais le bien, et gagne l'immortalite? .
Ce qui rend surtout cette re? ponse admirable, c'est qu'elle ne
de? courage point l'homme des me? ditations les plus sublimes;
elle lui enseigne seulement que c'est par la conscience et le sen-
timent qu'il peut s'e? lever aux plus profondes conceptions de la
philosophie.
Leibnitz e? tait un ide? aliste qui ne fondait son syste`me que sur
le raisonnement; et de la` vient qu'il a pousse? trop loin les abs-
tractions, et qu'il n'a point assez appuye? sa the? orie sur la
persuasion intime, seule ve? ritable base de ce qui est supe? rieur a`
l'entendement; en effet, raisonnez sur la liberte? de l'homme,
et vous n'y croirez pas; mettez la main sur votre conscience, et
vous n'en pourrez douter. La conse? quence et la contradiction,
dans le sens que nous attachons a` l'une et a` l'autre, n'existent
pas dans lasphe`redes grandes questionssurlaliberte? de l'homme,
sur l'origine du bien et du mal, sur la prescience divine, etc.
Dans ces questions, le sentiment est presque toujours en op-
position avec le raisonnement, afin que l'homme apprenne que
ce qu'il appelle l'incroyable dans l'ordre des choses terrestres ,
est peut-e^tre la ve? rite? supre^me sous des rapports universels.
Le Dante a exprime? une grande pense? e philosophique par ce
vers:
A guisa del ver primo che l'uom crede '.
Il faut croire a` de certaines ve? rite? s comme a` l'existence; c'est
l'a^me qui nous les re? ve`le, et les raisonnements de tout genre ne
sont jamais que de faibles de? rive? s de cette source.
La The? odice? e de Leibnitz traite de la prescience divine et de la cause du bien et du mal; c'est un des ouvrages les plus pro-
fonds et les mieux raisonne? s sur la the? orie de l'infini; toutefois,
l'auteur applique trop souvent a` ce qui est sans bornes, une lo1 C'est ainsi que l'homme croit a`. la ve? rite? primitive.
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? SUIt LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 413
gique dont les objets circonscrits sont seuls susceptibles. Leibnitz e? tait un homme tre`s-religieux; mais par cela me^me il se
croyait oblige? de fonder les ve? rite? s de la foi sur des raisonne-
ments mathe? matiques, afin de les appuyer sur les bases qui sont
admises dans l'empire de l'expe? rience: cette erreur tient a` un
respect qu'on ne s'avoue pas pour les esprits froids et arides:
on veut les convaincre a` leur manie`re; on croit que des argu-
ments dans la forme logique ont plus de certitude qu'une preuve
de sentiment, et il n'en est rien.
Dans la re? gion des ve? rite? s intellectuelles et religieuses que
Leibnitz a traite? es, il faut se servir de notre conscience intime
comme d'une de? monstration. Leibnitz, en voulant s'en teniraux raisonnements abstraits, exige des esprits une sorte de ten-
sion dont la plupart sont incapables; des ouvrages me? taphysi-
ques qui ne sont fonde? s ni sur l'expe? rience, ni sur le sentiment,
fatiguent singulie`rement la pense? e, et l'on peut en e?
ses exalte? es sont devenus le type de la gra^ce, et les plaisanteries
ont e? te? dirige? es contre l'inte? re^t vif qu'on peut mettre a` tout ce
qui n'a pas dans ce monde un re? sultat positif.
Le principe raisonne? dela frivolite? du coeur et de l'esprit,
c'est la me? taphysique qui rapporte toutes nos ide? es a` nos sensa-
tions; car il ne nous vient rien que de superficiel par le dehors,
et la vie se? rieuse est au fond de l'a^me. Si la fatalite? mate? rialiste,
admise comme the? orie de l'esprit humain, conduisait au de? gou^t
de tout ce qui est exte? rieur, comme a` l'incre? dulite? sur tout ce
qui est intime, il y aurait encore dans ces syste`mes une certaine
noblesse inactive, une indolence orientale qui pourrait avoir
quelque grandeur, et des philosophes grecs ont trouve? le moyen
de mettre presque de la dignite? dans l'apathie; mais l'empire
des sensations, en affaiblissant par degre? s le sentiment, a laisse?
subsister l'activite? de l'inte? re^t personnel, et ce ressort des actions
a e? te? d'autant plus puissant, qu'on avait brise? tous les autres.
A l'incre? dulite? de l'esprit, a` l'e? goi? sme du coeur, il faut encore
ajouter la doctrine sur la conscience qu'Helve? tius a de? veloppe? e,
lorsqu'il a dit que les actions vertueuses en elles-me^mes avaient
pour but d'obtenir les jouissances physiques qu'on peut gou^ter
ici-bas; il en est re? sulte? qu'on a conside? re? comme une espe`ce
de duperie les sacrifices qu'on pourrait faire au culte ide? al de
quelque opinion ou de quelque sentiment que ce soit; et
comme rien ne parai^t plus redoutable aux hommes que de pas-
ser pour dupes, ils se sont ha^te? s de jeter du ridicule sur tous les
enthousiasmes qui tournaient mal; car ceux qui e? taient re? com-
pense? s par les succe`s e? chappaient a` la moquerie: le bonheur a
toujours raison aupre`s des mate? rialistes.
L'incre? dulite? dogmatique, c'est-a`-dire celle qui re? voque en
doute tout ce qui n'est pas prouve? par les sensations, est la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 408 ORSERVATIONS GE? NE? RALES
source de la grande ironie de l'homme envers lui-me^me: toute
la de? gradation morale vient de la`. Cette philosophie doit sans
doute e^tre conside? re? e autant comme l'effet que comme la cause
de la disposition actuelle des esprits; ne? anmoins il est un mal
dont elle est le premier auteur, elle a donne? a` l'insouciance de
la le? ge`rete? l'apparence d'un raisonnement re? fle? chi; elle fournit
des arguments spe? cieux a` l'e? goi? sme, et fait conside? rer les sen-
timents les plus nobles comme une maladie accidentelle dont
les circonstances exte? rieures seules sont la cause.
Il importe donc d'examiner si la nation qui s'est constamment
de? fendue dela me? taphysique dont on a tire? detelles conse? quen-
ces, n'avait pas raison en principe , et plus encore dans l'appli-
cation qu'elle a faite de ce principe au de? veloppement des facul-
te? s et a` la conduite morale de l'homme.
CHAPITRE V.
Observations ge? ne? rales sur la philosophie allemande.
La philosophie spe? culative a toujours trouve? beaucoup de
partisans parmi les nations germaniques, et la philosophie expe? -
rimentale parmi les nations latines. Les Romains, tre`s-habiles
dans les affaires de la vie, n'e? taient point me? taphysiciens; ils
n'ont rien su a` cet e? gard que par leurs rapports avec la Gre`ce . et
les nations civilise? es par eux ont he? rite? , pour la plupart, de leurs
connaissances dans la politique, et de leur indiffe? rence pour les
e? tudes qui ne pouvaient s'appliquer aux affaires de ce monde.
Cette disposition se montre en France dans sa plus grande
force; les Italiens et les Espagnols y ont aussi participe? : mais
l'imagination du Midi a quelquefois de? vie? de la raison pratique,
pour s'occuper des the? ories purement abstraites.
La grandeur d'a^me des Romains donnait a` leur patriotisme et
a` leur morale un caracte`re sublime; mais c'est aux institutions
re? publicaines qu'il faut l'attribuer. Quand la liberte? n'a plus
existe? a` Rome, on y a vu re? gner presque sans partage un luxe
e? goi? ste et sensuel, une politique adroite qui devait porter tous
les esprits vers l'observation et l'expe? rience. Les Romains ne
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? SUR LA PHILOSOPHIE ALLIMIWDE. 409
garde`rent de l'e? tude qu'ils avaient faite dela litte? rature et de la
philosophie des Grecs que le gou^t des arts, et ce gou^t me^me
de? ge? ne? ra biento^t en jouissances grossie`res.
L'influence de Rome ne s'exerc? a pas sur les peuples septen-
trionaux. Ils ont e? te? civilise? s presque en entier par le christia-
nisme , et leur antique religion, qui contenait en elle les prin-
cipes de la chevalerie, ne ressemblait en rien au paganisme du
Midi. Il y avait un esprit de de? vouement he? roi? que et ge? ne? reux,
un enthousiasme pour les femmes qui faisait de l'amour un no-
ble culte; enfln la rigueur du climat empe^chant l'homme de se
plonger dans les de? lices de la nature, il en gou^tait d'autant mieux
les plaisirs de l'a^me. On pourrait m'objecter que les Grecs avaient la me^me reli-
gion et le me^me climat que les Romains, et qu'ils se sont pour-
tant livre? s plus qu'aucun autre peuple a` la philosophie spe? cula-
tive: mais ne peut-on pas attribuer aux Indiens quelques-uns
des syste`mes intellectuels de? veloppe? s chez les Grecs? La philo-
sophie ide? aliste de Pythagore et de Platon ne s'accorde gue`re
avec le paganisme tel que nous le connaissons; aussi les tradi-
tions historiques portent-elles a` croire que c'est a` travers l'E? gypte
que les peuples du midi de l'Europe ont rec? u l'influence de
l'Orient. La philosophie d'E? picure est la seule vraiment origi-
naire de la Gre`ce.
Quoi qu'il en soit de ces conjectures, il est certain que la spi-
ritualite? de l'a^me et toutes les pense? es qui en de? rivent ont e? te?
facilement naturalise? es chez les nations du Nord, et que parmi
ces nations les Allemands se sont toujours montre? s plus enclins
qu'aucun autre peuple a` la philosophie contemplative. Leur
Bacon et leur Descartes, c'est Leibnitz. On trouve dans ce beauge? nie toutes les qualite? s dont les philosophes allemands en ge? ne? -
ral se font gloire d'approcher : e? rudition immense, bonne foi
parfaite, enthousiasme cache? sous des formes se? ve`res. Il avait
profonde? ment e? tudie? la the? ologie, la jurisprudence, l'histoire,
les langues, les mathe? matiques, la physique, la chimie: car il
e? tait convaincu que l'universalite? des connaissances est ne? ces-
saire pour e^tre supe? rieur dans une partie quelconque : enfin tout
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? 410 ORSERVATIONS GENERALES
manifestait en lui ces vertus qui tiennent a` la hauteur de la pense? e, et qui me? ritent a` la fois l'admiration et le respect.
Ses ouvrages peuvent e^tre divise? s en trois branches, les scien-
ces exactes, la philosophie the? ologique, et la philosophie de
l'a^me. Tout le monde sait queLeitmitz e? tait le rival de Newton
dans la the? orie du calcul.
La connaissance des mathe? matiques
sert beaucoup aux e? tudes me? taphysiques; le raisonnement abs-
trait n'existe dans sa perfection que dans l'alge`bre et la ge? ome? -
trie: nous chercherons a` de? montrer ailleurs les inconve? nients de
ce raisonnement quand on veut y soumettre ce qui tient d'une
manie`re quelconque a` la sensibilite? ; mais il donne a` l'esprit
humain une force d'attention qui le rend beaucoup plus capable
de s'analyser lui-me^me. Il faut aussi connai^tre les lois et les
forces de l'univers, pour e? tudier l'homme sous tous les rapports.
Il y a une telle analogie et une telle diffe? rence entre le monde
physique et le monde moral, les ressemblances et les diversite? s
se pre^tent de telles lumie`res, qu'il est impossible d'e^tre un sa-
vant du premier ordre sans le secours de la philosophie spe? cu-
lative, ni un philosophe spe? culatif sans avoir e? tudie? les scien-
ces positives.
Locke et Condillac ne s'e? taient pas assez occupe? s de ces scien-
ces; mais Leibnitz avait a` cet e? gard une supe? riorite? incontestable.
Descartes e? tait aussi un tre`s-grand mathe? maticien, et il esta`
remarquer que la plupart des philosophes partisans de l'ide? alisme
ont tous fait un immense usage de leurs faculte? s intellectuelles.
L'exercice de l'esprit, comme celui du coeur, donne un sentiment
de l'activite? interne, dont tous les e^tres qui s'abandonnent aux
impressions qui viennent du dehors sont rarement capables.
La premie`re classe des e? crits de Leibnitz contient ceux qu'on
pourrait appeler the? ologiques, parce qu'ils portent sur des ve? ri-
te? s qui sont du ressort de la religion, et la the? orie de l'esprit
humain est renferme? e dans la seconde. Dans la premie`re classe,
il s'agit de l'origine du bien et du mal, de la prescience divine,
enfin de ces questions primitives qui de? passent l'intelligence hu-
maine. Je ne pre? tends point bla^mer, en m'exprimant ainsi, les
grands hommes qui, depuis Pythagoreet Platon jusqu'a` nous,
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? SCH LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 41 t
ont e? te? attire? s vers ces hautes spe? culations philosophiques. Le
ge? nie ne s'impose de bornes a` lui-me^me qu'apre`s avoir lutte?
longtemps contre cette dure ne? cessite? . Qui peut avoir la faculte?
de penser, et ne pas essayer a` connai^tre l'origine et le but des
choses de ce monde?
Tout ce qui a vie sur la terre, excepte? l'homme, semble s'i-
gnorer soi-me^me. Lui seul sait qu'il mourra, et cette terrible
ve? rite? re? veille son inte? re^t pour toutes les grandes pense? es qui
s'y rattachent. De`s qu'on est capable de re? flexion, on re? sout,
ou pluto^t on croit re? soudre a` sa manie`re les questions philoso-
phiques qui peuvent expliquer la destine? e humaine; mais il
n'a e? te? accorde? a` personne de la comprendre dans son ensemble. Chacun en saisit un co^te? diffe? rent, chaque homme a sa
philosophie, comme sa poe? tique, comme son amour. Cette
philosophie est d'accord avec la tendance particulie`re de son ca-
racte`re et de son esprit. Quand on s'e? le`ve jusqu'a` l'infini, mille
explications peuvent e^tre e? galement vraies, quoique diverses,
parce que des questions sans bornes ont des milliers de faces,
dont une seule peut occuper la dure? e entie`re de l'existence.
Si le myste`re de l'univers est au-dessus de la porte? e del'homme,
ne? anmoins l'e? tude de ce myste`re donne plus d'e? tendue a` l'esprit;
il en est de la me? taphysique comme de l'alchimie : en cherchant
la pierre philosophale, en s'attachanta` de? couvrir l'impossible,
on rencontre sur la route des ve? rite? s qui nous seraient reste? es
inconnues :d'ailleurs on ne peut empe^cher un e^tre me? ditatif de
s'occuper au moins quelque temps de la philosophie transcen-
dante; cet e? lan dela nature spirituelle ne saurait e^tre combattu
qu'en la de? gradant.
On a re? fute? avec succe`s l'harmonie pre? e? tablie de Leibnitz,
qu'il croyait une grande de? couverte: il se flattait d'expliquer les
rapports de l'a^me et de la matie`re, en les conside? rant l'une et
l'autre comme des instruments accorde? s d'avance qui se re? pe`-
tent, se re? pondent et s'imitent mutuellement. Ses monades,
dont il faitles e? le? ments simples de l'univers, ne sont qu'une
hypothe`se aussi gratuite que toutes celles dont on s'est servi
pour expliquer l'origine des choses; ne? anmoins dans quelle per-
plexite? singulie`re l'esprit humain n'est-il pas? Sans cesse attire?
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? 412 ORSERVATIONS GENERALES
vers le secret de son e^tre, il lui est e? galement impossible, et de
le de? couvrir, et de n'y pas songer toujours.
Les Persans disent que Zoroastre interrogea la Divinite? , et
lui demanda comment le monde avait commence? , quand il devait
finir, quelle e? tait l'origine du bien et du mal ? La Divinite? re? pon-
dit a` toutes ces questions -. fais le bien, et gagne l'immortalite? .
Ce qui rend surtout cette re? ponse admirable, c'est qu'elle ne
de? courage point l'homme des me? ditations les plus sublimes;
elle lui enseigne seulement que c'est par la conscience et le sen-
timent qu'il peut s'e? lever aux plus profondes conceptions de la
philosophie.
Leibnitz e? tait un ide? aliste qui ne fondait son syste`me que sur
le raisonnement; et de la` vient qu'il a pousse? trop loin les abs-
tractions, et qu'il n'a point assez appuye? sa the? orie sur la
persuasion intime, seule ve? ritable base de ce qui est supe? rieur a`
l'entendement; en effet, raisonnez sur la liberte? de l'homme,
et vous n'y croirez pas; mettez la main sur votre conscience, et
vous n'en pourrez douter. La conse? quence et la contradiction,
dans le sens que nous attachons a` l'une et a` l'autre, n'existent
pas dans lasphe`redes grandes questionssurlaliberte? de l'homme,
sur l'origine du bien et du mal, sur la prescience divine, etc.
Dans ces questions, le sentiment est presque toujours en op-
position avec le raisonnement, afin que l'homme apprenne que
ce qu'il appelle l'incroyable dans l'ordre des choses terrestres ,
est peut-e^tre la ve? rite? supre^me sous des rapports universels.
Le Dante a exprime? une grande pense? e philosophique par ce
vers:
A guisa del ver primo che l'uom crede '.
Il faut croire a` de certaines ve? rite? s comme a` l'existence; c'est
l'a^me qui nous les re? ve`le, et les raisonnements de tout genre ne
sont jamais que de faibles de? rive? s de cette source.
La The? odice? e de Leibnitz traite de la prescience divine et de la cause du bien et du mal; c'est un des ouvrages les plus pro-
fonds et les mieux raisonne? s sur la the? orie de l'infini; toutefois,
l'auteur applique trop souvent a` ce qui est sans bornes, une lo1 C'est ainsi que l'homme croit a`. la ve? rite? primitive.
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? SUIt LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 413
gique dont les objets circonscrits sont seuls susceptibles. Leibnitz e? tait un homme tre`s-religieux; mais par cela me^me il se
croyait oblige? de fonder les ve? rite? s de la foi sur des raisonne-
ments mathe? matiques, afin de les appuyer sur les bases qui sont
admises dans l'empire de l'expe? rience: cette erreur tient a` un
respect qu'on ne s'avoue pas pour les esprits froids et arides:
on veut les convaincre a` leur manie`re; on croit que des argu-
ments dans la forme logique ont plus de certitude qu'une preuve
de sentiment, et il n'en est rien.
Dans la re? gion des ve? rite? s intellectuelles et religieuses que
Leibnitz a traite? es, il faut se servir de notre conscience intime
comme d'une de? monstration. Leibnitz, en voulant s'en teniraux raisonnements abstraits, exige des esprits une sorte de ten-
sion dont la plupart sont incapables; des ouvrages me? taphysi-
ques qui ne sont fonde? s ni sur l'expe? rience, ni sur le sentiment,
fatiguent singulie`rement la pense? e, et l'on peut en e?