<< Je viens, lady Stuart, pour
recevoir
vos derniers ordres.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ton coeur, et jures-tu de confesser la ve?
rite?
devant
? le Dieu de ve? rite? ?
MARIE.
<< Mou coeur va s'ouvrir sans myste`re devant toi comme de-
<< vantlui.
MELVIL.
<< Dis-moi, de? quel pe? che? ta conscience t'accuse-t-elle, depuis
, que tu as approche? pour la dernie`re fois a` la table sainte?
MARIE.
>> Mou a^me a e? te? remplie d'une haine envieuse, et des pen-
"se? es de vengeance s'agitaient dans mon sein. Pe? cheresse, j'im-
? plorais le pardon de Dieu, et je ne pouvais pardonner a` mon
ennemie.
MELVIL.
, Te repens-tu de cette faute, et ta re? solution since`re est-elle
"de pardonner a` tous avant que de quitter ce monde?
MARIE.
<< Aussi vrai que j'espe`re la mise? ricorde de Dieu.
MELVIL.
<< N'est-il point d'autre tort que tu doives te reprocher?
MARIE.
<< Ah! ce n'est pas la haine seule qui m'a rendue coupable,
0 j'ai encore plus offense? le Dieu de bonte? par un amour crimi-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 224 WALSTE1N
<< uel ; ce coeur trop vain s'est laisse? se? duire par un nomme sans
<< foi, qui m'a trompe? e et abandonne? e.
MELVIL.
<< Te repens-tu de cette erreur, et ton coeur a-t-il quitte? cett<<
<< fragile idole pour se tourner vers son Dieu?
MARIE.
<< Ce fut le plus cruel de mes combats, mais enfinj'ai de? chire?
<< ce dernier lien terrestre.
MELVIL. << De quelle autre faute te sens-tu coupable?
MARIE.
<< Ah! d'une faute sanglante, depuis longtemps confesse? e.
<< Mon a^me fre? mit en approchant du jugement solennel qui m'at-
<< tend, etles portes du ciel semblent se couvrir de deuil a` mes
yeux. J'ai fait pe? rir le roi mon e? poux, quand j'ai consenti a` don-
<< ner mou coeur et ma main au se? ducteur son meurtrier. Je me
suis impose? toutes les expiations ordonne? es par l'E? glise ; mais
* le ver rongeur du remords ne me laisse point de repos.
MELVIL.
<< Ne te reste-t-il rien de plus au fond de l'a^me, que tu doives
<< confesser?
MARIE,
<< Non, tu sais maintenant tout ce qui pe`se sur mon coeur.
. ' MELVIL.
<< Songe a` la pre? sence du scrutateur des pense? es, a` l'anathe`me
<< dont l'E? glise menace une confession trompeuse : c'est un pe? -
<<che? qui donne la mort e? ternelle, et que le Saint-Esprit a frappe?
de sa male? diction.
MARIE.
<< Puisse? -je obtenir dans mon dernier combat la cle? mence di-
>> vine, aussi vrai qu'en cet instant solennel je ne t'ai rien de? -
<< guise? !
MELVIL.
<< Comment! tu caches a` ton Dieu le crime pour la punition
<< duquel les hommes te condamnent: tu ne me parles point de
la part que tu as eue dans la haute trahison i^les assassins d'E? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET MARIE STUAHT. 225
<< lisabeth: tu subis la mort terrestre pour cette action ; veux-tu
<< doue qu'elle entrai^ne aussi la perdition de ton a^me?
MARIE. ?
<< Je suis pre`s de passer du temps a` l'e? ternite? : avant que l'ai-
<< guille de l'heure ait accompli son tour, je me pre? senterai de-
, vaut le tro^ne de mon juge; et, je le re? pe`te ici, ma confession
<< est entie`re.
MELVIL. << Examine-toi bien. Notre coeur est souvent pour nous-me^mes
<< un confident trompeur: tu as peut-e^tre e? vite? avec adresse le
mot qui te rendait coupable, quoique tu partageasses la volonte?
du crime; mais apprends qu'aucun art humain ne peut faire
illusion a` l'oeil de feu qui regarde dans le fond de l'a^me.
HABIR.
<<J'ai prie? tous les princes de se re? unir pour m'affranchir de
, mes liens, mais jamais je n'ai menace? ni par mes projets, ni par
? mes actions, la vie de mou ennemie.
MELVIL.
<< Quoi ! ton secre? taire t'a faussement accuse? e?
MARIE.
<< Que Dieu le juge! Ce que j'ai dit est vrai.
MELVIL. << Ainsi donc tu montes sur l'e? chafaud convaincue de tjn inno-
? eence?
MARIE.
<< Dieu m'accorde d'expier par cette mort non me? rite? e le crime
<< dont ma jeunesse fut coupable!
MELVIL ( la be? nissant ) *
<< Que cela soit ainsi, et que ta mort serve a` t'absoudre!
? Tombe sur l'autel comme une victime re? signe? e. Le sang peut
? purifier ce que le sang avait souille? : tu n'es plus coupable
? maintenant que des fautes d'une femme, et les faiblesses de
, l'humanite? ne suivent point l'a^me bienheureuse dans le ciel.
? Je t'annonce donc, en vertu dela puissance qui m'a e? te? donne? e
de lier et de de? lier sur la terre, l'absolution de tes pe? che? s:
? ainsi que tu as cru qu'il f arrive! >> ( II lui pre? sente l'hostie. )
'Prends ce corps, il a e? te? sacrifie? pour toi. >> ( II prend la coupe
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 226 'WALSTEIN
qui est sur la table, il la consacre avec une prie`re recueillie,
et l'offre a` la reine, qui semble he? siter encore et ne pas oser
l'accepter. ) << Prends la coupe remplie de ce sang qui a e? te? re? -
<< pandu pourtoi; prends-la , le pape t'accorde cette gra^ce au mo-
<<ment de ta mort. C'est le droit supre^me des rois dont tu jouis
<< (Marie rec? oit la coupe}; et comme tues maintenant unie
<< myste? rieusement avec ton Dieu sur cette terre, ainsi reve^tue
<< d'un e? clat ange? lique, tu le seras dans le se? jour de be? atitude, ou`
<< il n'y aura plus ni fautes, ni douleurs. >> ( // remet la coupe,
entend du bruit au dehors, recouvre sa te^te, et va vers la porte; Marie reste a` genoux, plonge? e dans la me? ditation. )
MELVIL.
<< Il vous reste encore une rude e? preuve a` supporter, Madame:
<< vous sentez-vous assez de force pour triompher de tous les
<< mouvements d'amertume et de haine?
MARIE (se rele`ve).
<< Je ne crains point de rechute ; j'ai sacrifie? a` Dieu ma haine
<< et mon amour.
MELVIL.
<< Pre? parez-vous donc a` recevoir lord Leicester et le chancelier
<< Burleigh: ils sont la`. >> ( Leicester reste dans l'e? loignement,
sans lever les yeux; Burleigh s'avance entre la reine et fui. )
RURLEIGH.
<< Je viens, lady Stuart, pour recevoir vos derniers ordres.
MARIE.
<< Je vous en remercie, milord.
RURLEIGH.
<< C'est la volonte? de la reine, qu'aucune demande e? quitable
ne vous soit refuse? e.
MARIE. .
<< Mou testament indique mes derniers souhaits; je l'ai de? pose?
<< dans les mains du chevalier Paulet ; j'espe`re qu'il sera fide`le-
<<ment exe? cute? .
PAULET.
<< Il le sera.
MARIE.
<< Comme mon corps ne peut pas reposer en lerre sainte , je
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET MAIUE STUAUT. 227
<< demande qu'il soit accorde? a` ce fide`le serviteur de porter mon
<< coeur en France, aupre`s des miens. He? las! il a toujours e? te? la`.
BURLEIGH.
<< Ce sera fait. Ne voulez-vous plus rien?
MARIE.
<< Portez mon salut de soeur a` la reine d'Angleterre; dites-lui
que je lui pardonne ma mort du fond de mon a^me. Je me re-
<<pens d'avoir e? te? trop vive hier, dans mon entretien avec elle.
Que Dieu la conserve etlui accorde un re`gne heureux! >>( Dans
remontent le she? rif arrive; Anna et les femmes de Marie en-
trent avec lui. ) << Anna, calme-toi, le moment est venu, voila`
le she? rif qui doit me conduire a` la mort. Tout est de? cide? .
Adieu, adieu. ( A Burleigh. } Je souhaite que ma fide`le nour-
<< rice m'accompagne sur l'e? chafaud, milord : accordez-moi ce
<< bienfait.
RCRLEIGH.
a Je n'ai point de pouvoirs a` cet e? gard.
HABrR.
<< Quoi ! l'on me refuserait cette prie`re si simple! Qui donc me
, rendrait les derniers services? Ce ne peut e^tre la volonte? , de
<< ma soeur, qu'on blesse en ma personne le respect du^ a` une
femme.
BURLEIGH.
<< Aucune femme ne doit monter avec vous sur l'e? chafaud; ses
cris, sa douleur. . .
MARIE.
<< Elle ne fera pas entendre ses plaintes, je suis garant de la
<< force d'a^me de mon Anna. Soyez bon, milord; ne me se? parez
? pas, en mourant, de ma fide`le nourrice. Elle m'a recue dans
"ses bras sur le seuil de la vie; que sa douce main me conduise
? a` la mort!
PAULE1.
<< 11 faut y consentir.
BURLEIGH. << Soit.
MARIE.
>> 11 ne me reste plus rien a` vous demander. >> ( Elle prend le
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 228 WALSTEIN
crucifix et le baise. ) << Mon Re? dempteur, mon Sauveur, que tes
bras me rec? oivent! >> (Elle se retourne pour partir, et, dans
cet instant, elle rencontre le comte de Leicester; elle tremble,
ses genoux fle? chissent; et, pre`s de tomber, le comte de Leicester la soutient; puis il de? tourne la te^te, et ne peut soutenir
sa vue. ) << Vous me tenez parole, comte de Leicester; vous m'a-
<<viez promis votre appui pour sortir de ce cachot, et vous me
r l'offrez maintenant. >> (Le comte de Leicester semble ane? anti;
elle continue avec un accent plein de douceur. ) << Oui, Leicester;
<< et ce n'est pas seulement la liberte? que je voulais vous devoir,
mais une liberte? qui me devi^nt plus che`re en la tenant de vous.
<< Maintenant que je suis sur la route de la terre au ciel, et que
je vais devenir un esprit bienheureux, affranchi des affections
<< terrestres, j'ose vous avouer, sans rougir, la faiblesse dont j'ai
<< triomphe? . Adieu, et, si vous le pouvez, vivez heureux. Vous
avez voulu plaire a` deux reines, et vous avez trahi le coeur ai-
<<mant pour obtenir le coeur orgueilleux. Prosternez-vous aux
pieds d'E? lisabeth , et puisse votre re? compense ne pas devenir
votre punition! Adieu, je n'ai plus de lien avec la terre. >> --
Leicester reste seul apre`s le de? part de Marie; le sentiment de
de? sespoir et de honte qui l'accable peut a` peine s'exprimer; ii
entend, il e? coute ce qui se passe dans la salle de l'exe? cution, et
quand elle est accomplie il tombe sans connaissance. On apprend
ensuite qu'il est parti pour la France; et la douleur qu'E? lisabeth
e? prouve, en perdant celui qu'elle aime, commence la punition
de son crime.
Je ferai quelques observations sur cette imparfaite analyse
d'une pie`ce, dans laquelle le charme des vers ajoute beaucoup
a` tous les autres genres de me? rite. Je ne sais si l'on se permet-
trait en France de faire un acte tout entier sur une situation
de? cide? e; mais ce repos de la douleur, qui nai^t de la privation
me^me de l'espe? rance, produit les e? motions les plus vraies et les
plus profondes. Ce repos solennel permet au spectateur, comme
a` la victime, de descendre en lui-me^me, et d'y sentir tout ce que
re? ve`le le malheur.
La sce`ne de la confession, et surtout de la communion, serait,
avec raison, tout a` fait condamne? e; mais ce n'est certes pas
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET MARIE STIJART. 229
comme manquant d'effet qu'on pourrait la bla^mer : le pathe? tique
qui se fonde sur la religion nationale touche de si pre`s le coeur,
que rien ne saurait e? mouvoir davantage. Le pays le plus catho-
lique , l'Espagne, et son poe`te le plus religieux, Calde? ron, qui
e? tait lui-me^me entre? dans l'e? tat eccle? siastique, ont admis sur
le the? a^tre les sujets et les ce? re? monies du christianisme.
Il me semble que, sans manquer au respect qu'on doit a` la
religion chre? tienne, on pourrait se permettre de la faire entrer
dans la poe? sie et les beaux-arts, dans tout ce qui e? le`ve l'a^me
et embellit la vie. L'en exclure, c'est imiter ces enfants qui
croient ne pouvoir rien faire que de grave et de triste dans la maison de leur pe`re. Il y a de la religion dans tout ce qui nous
cause une e? motion de? sinte? resse? e; la poe? sie, l'amour, la nature
et la Divinite? se re? unissent dans notre coeur, quelques efforts
qu'on fasse pour les se? parer; et si l'on interdit au ge? nie de faire
re? sonner toutes ces cordes a` la fois, l'harmonie comple`te de l'a^me
ne se fera jamais sentir.
Cette reine Marie, que la France a vue si brillante, et l'An-
gleterre si malheureuse, a e? te? l'objet de mille poe? sies diverses,
qui ce? le`brent ses charmes et son infortune. L'histoire l'a peinte
comme assez le? ge`re; Schiller a donne? plus de se? rieux a` son
caracte`re, et le moment dans lequel il la repre? sente motive bien
ce changement. Vingt anne? es de prison, et me^me vingt anne? es
de vie, de quelque manie`re qu'elles se soient passe? es, sont pres-
que toujours une se? ve`re lec? on.
Les adieux de Marie au comte de Leicester me paraissent
l'une des plus belles situations qui-soient- au the? a^tre. Il y a quel-
que douceur pour Marie dans cet instant. Elle a pitie? de Leices-
ter, tout coupable qu'il est: elle sent quel souvenir elle lui laisse,
et cette vengeance du coeur est permise. Enfin, au moment de
mourir, et de mourir parce qu'il n'a pas voulu la sauver, elle
lui dit encore qu'elle l'aime; et si quelque chose peut consoler
de la se? paration terrible a` laquelle la mort nous condamne, c'est
la solennite? qu'elle donne a` nos dernie`res paroles : aucun but,
aucun espoir ne s'y me^le, et la ve? rite? la plus pure sort de notre
sein avec la vie. ?
? 2il
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
?
? le Dieu de ve? rite? ?
MARIE.
<< Mou coeur va s'ouvrir sans myste`re devant toi comme de-
<< vantlui.
MELVIL.
<< Dis-moi, de? quel pe? che? ta conscience t'accuse-t-elle, depuis
, que tu as approche? pour la dernie`re fois a` la table sainte?
MARIE.
>> Mou a^me a e? te? remplie d'une haine envieuse, et des pen-
"se? es de vengeance s'agitaient dans mon sein. Pe? cheresse, j'im-
? plorais le pardon de Dieu, et je ne pouvais pardonner a` mon
ennemie.
MELVIL.
, Te repens-tu de cette faute, et ta re? solution since`re est-elle
"de pardonner a` tous avant que de quitter ce monde?
MARIE.
<< Aussi vrai que j'espe`re la mise? ricorde de Dieu.
MELVIL.
<< N'est-il point d'autre tort que tu doives te reprocher?
MARIE.
<< Ah! ce n'est pas la haine seule qui m'a rendue coupable,
0 j'ai encore plus offense? le Dieu de bonte? par un amour crimi-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 224 WALSTE1N
<< uel ; ce coeur trop vain s'est laisse? se? duire par un nomme sans
<< foi, qui m'a trompe? e et abandonne? e.
MELVIL.
<< Te repens-tu de cette erreur, et ton coeur a-t-il quitte? cett<<
<< fragile idole pour se tourner vers son Dieu?
MARIE.
<< Ce fut le plus cruel de mes combats, mais enfinj'ai de? chire?
<< ce dernier lien terrestre.
MELVIL. << De quelle autre faute te sens-tu coupable?
MARIE.
<< Ah! d'une faute sanglante, depuis longtemps confesse? e.
<< Mon a^me fre? mit en approchant du jugement solennel qui m'at-
<< tend, etles portes du ciel semblent se couvrir de deuil a` mes
yeux. J'ai fait pe? rir le roi mon e? poux, quand j'ai consenti a` don-
<< ner mou coeur et ma main au se? ducteur son meurtrier. Je me
suis impose? toutes les expiations ordonne? es par l'E? glise ; mais
* le ver rongeur du remords ne me laisse point de repos.
MELVIL.
<< Ne te reste-t-il rien de plus au fond de l'a^me, que tu doives
<< confesser?
MARIE,
<< Non, tu sais maintenant tout ce qui pe`se sur mon coeur.
. ' MELVIL.
<< Songe a` la pre? sence du scrutateur des pense? es, a` l'anathe`me
<< dont l'E? glise menace une confession trompeuse : c'est un pe? -
<<che? qui donne la mort e? ternelle, et que le Saint-Esprit a frappe?
de sa male? diction.
MARIE.
<< Puisse? -je obtenir dans mon dernier combat la cle? mence di-
>> vine, aussi vrai qu'en cet instant solennel je ne t'ai rien de? -
<< guise? !
MELVIL.
<< Comment! tu caches a` ton Dieu le crime pour la punition
<< duquel les hommes te condamnent: tu ne me parles point de
la part que tu as eue dans la haute trahison i^les assassins d'E? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET MARIE STUAHT. 225
<< lisabeth: tu subis la mort terrestre pour cette action ; veux-tu
<< doue qu'elle entrai^ne aussi la perdition de ton a^me?
MARIE. ?
<< Je suis pre`s de passer du temps a` l'e? ternite? : avant que l'ai-
<< guille de l'heure ait accompli son tour, je me pre? senterai de-
, vaut le tro^ne de mon juge; et, je le re? pe`te ici, ma confession
<< est entie`re.
MELVIL. << Examine-toi bien. Notre coeur est souvent pour nous-me^mes
<< un confident trompeur: tu as peut-e^tre e? vite? avec adresse le
mot qui te rendait coupable, quoique tu partageasses la volonte?
du crime; mais apprends qu'aucun art humain ne peut faire
illusion a` l'oeil de feu qui regarde dans le fond de l'a^me.
HABIR.
<<J'ai prie? tous les princes de se re? unir pour m'affranchir de
, mes liens, mais jamais je n'ai menace? ni par mes projets, ni par
? mes actions, la vie de mou ennemie.
MELVIL.
<< Quoi ! ton secre? taire t'a faussement accuse? e?
MARIE.
<< Que Dieu le juge! Ce que j'ai dit est vrai.
MELVIL. << Ainsi donc tu montes sur l'e? chafaud convaincue de tjn inno-
? eence?
MARIE.
<< Dieu m'accorde d'expier par cette mort non me? rite? e le crime
<< dont ma jeunesse fut coupable!
MELVIL ( la be? nissant ) *
<< Que cela soit ainsi, et que ta mort serve a` t'absoudre!
? Tombe sur l'autel comme une victime re? signe? e. Le sang peut
? purifier ce que le sang avait souille? : tu n'es plus coupable
? maintenant que des fautes d'une femme, et les faiblesses de
, l'humanite? ne suivent point l'a^me bienheureuse dans le ciel.
? Je t'annonce donc, en vertu dela puissance qui m'a e? te? donne? e
de lier et de de? lier sur la terre, l'absolution de tes pe? che? s:
? ainsi que tu as cru qu'il f arrive! >> ( II lui pre? sente l'hostie. )
'Prends ce corps, il a e? te? sacrifie? pour toi. >> ( II prend la coupe
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 226 'WALSTEIN
qui est sur la table, il la consacre avec une prie`re recueillie,
et l'offre a` la reine, qui semble he? siter encore et ne pas oser
l'accepter. ) << Prends la coupe remplie de ce sang qui a e? te? re? -
<< pandu pourtoi; prends-la , le pape t'accorde cette gra^ce au mo-
<<ment de ta mort. C'est le droit supre^me des rois dont tu jouis
<< (Marie rec? oit la coupe}; et comme tues maintenant unie
<< myste? rieusement avec ton Dieu sur cette terre, ainsi reve^tue
<< d'un e? clat ange? lique, tu le seras dans le se? jour de be? atitude, ou`
<< il n'y aura plus ni fautes, ni douleurs. >> ( // remet la coupe,
entend du bruit au dehors, recouvre sa te^te, et va vers la porte; Marie reste a` genoux, plonge? e dans la me? ditation. )
MELVIL.
<< Il vous reste encore une rude e? preuve a` supporter, Madame:
<< vous sentez-vous assez de force pour triompher de tous les
<< mouvements d'amertume et de haine?
MARIE (se rele`ve).
<< Je ne crains point de rechute ; j'ai sacrifie? a` Dieu ma haine
<< et mon amour.
MELVIL.
<< Pre? parez-vous donc a` recevoir lord Leicester et le chancelier
<< Burleigh: ils sont la`. >> ( Leicester reste dans l'e? loignement,
sans lever les yeux; Burleigh s'avance entre la reine et fui. )
RURLEIGH.
<< Je viens, lady Stuart, pour recevoir vos derniers ordres.
MARIE.
<< Je vous en remercie, milord.
RURLEIGH.
<< C'est la volonte? de la reine, qu'aucune demande e? quitable
ne vous soit refuse? e.
MARIE. .
<< Mou testament indique mes derniers souhaits; je l'ai de? pose?
<< dans les mains du chevalier Paulet ; j'espe`re qu'il sera fide`le-
<<ment exe? cute? .
PAULET.
<< Il le sera.
MARIE.
<< Comme mon corps ne peut pas reposer en lerre sainte , je
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET MAIUE STUAUT. 227
<< demande qu'il soit accorde? a` ce fide`le serviteur de porter mon
<< coeur en France, aupre`s des miens. He? las! il a toujours e? te? la`.
BURLEIGH.
<< Ce sera fait. Ne voulez-vous plus rien?
MARIE.
<< Portez mon salut de soeur a` la reine d'Angleterre; dites-lui
que je lui pardonne ma mort du fond de mon a^me. Je me re-
<<pens d'avoir e? te? trop vive hier, dans mon entretien avec elle.
Que Dieu la conserve etlui accorde un re`gne heureux! >>( Dans
remontent le she? rif arrive; Anna et les femmes de Marie en-
trent avec lui. ) << Anna, calme-toi, le moment est venu, voila`
le she? rif qui doit me conduire a` la mort. Tout est de? cide? .
Adieu, adieu. ( A Burleigh. } Je souhaite que ma fide`le nour-
<< rice m'accompagne sur l'e? chafaud, milord : accordez-moi ce
<< bienfait.
RCRLEIGH.
a Je n'ai point de pouvoirs a` cet e? gard.
HABrR.
<< Quoi ! l'on me refuserait cette prie`re si simple! Qui donc me
, rendrait les derniers services? Ce ne peut e^tre la volonte? , de
<< ma soeur, qu'on blesse en ma personne le respect du^ a` une
femme.
BURLEIGH.
<< Aucune femme ne doit monter avec vous sur l'e? chafaud; ses
cris, sa douleur. . .
MARIE.
<< Elle ne fera pas entendre ses plaintes, je suis garant de la
<< force d'a^me de mon Anna. Soyez bon, milord; ne me se? parez
? pas, en mourant, de ma fide`le nourrice. Elle m'a recue dans
"ses bras sur le seuil de la vie; que sa douce main me conduise
? a` la mort!
PAULE1.
<< 11 faut y consentir.
BURLEIGH. << Soit.
MARIE.
>> 11 ne me reste plus rien a` vous demander. >> ( Elle prend le
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 228 WALSTEIN
crucifix et le baise. ) << Mon Re? dempteur, mon Sauveur, que tes
bras me rec? oivent! >> (Elle se retourne pour partir, et, dans
cet instant, elle rencontre le comte de Leicester; elle tremble,
ses genoux fle? chissent; et, pre`s de tomber, le comte de Leicester la soutient; puis il de? tourne la te^te, et ne peut soutenir
sa vue. ) << Vous me tenez parole, comte de Leicester; vous m'a-
<<viez promis votre appui pour sortir de ce cachot, et vous me
r l'offrez maintenant. >> (Le comte de Leicester semble ane? anti;
elle continue avec un accent plein de douceur. ) << Oui, Leicester;
<< et ce n'est pas seulement la liberte? que je voulais vous devoir,
mais une liberte? qui me devi^nt plus che`re en la tenant de vous.
<< Maintenant que je suis sur la route de la terre au ciel, et que
je vais devenir un esprit bienheureux, affranchi des affections
<< terrestres, j'ose vous avouer, sans rougir, la faiblesse dont j'ai
<< triomphe? . Adieu, et, si vous le pouvez, vivez heureux. Vous
avez voulu plaire a` deux reines, et vous avez trahi le coeur ai-
<<mant pour obtenir le coeur orgueilleux. Prosternez-vous aux
pieds d'E? lisabeth , et puisse votre re? compense ne pas devenir
votre punition! Adieu, je n'ai plus de lien avec la terre. >> --
Leicester reste seul apre`s le de? part de Marie; le sentiment de
de? sespoir et de honte qui l'accable peut a` peine s'exprimer; ii
entend, il e? coute ce qui se passe dans la salle de l'exe? cution, et
quand elle est accomplie il tombe sans connaissance. On apprend
ensuite qu'il est parti pour la France; et la douleur qu'E? lisabeth
e? prouve, en perdant celui qu'elle aime, commence la punition
de son crime.
Je ferai quelques observations sur cette imparfaite analyse
d'une pie`ce, dans laquelle le charme des vers ajoute beaucoup
a` tous les autres genres de me? rite. Je ne sais si l'on se permet-
trait en France de faire un acte tout entier sur une situation
de? cide? e; mais ce repos de la douleur, qui nai^t de la privation
me^me de l'espe? rance, produit les e? motions les plus vraies et les
plus profondes. Ce repos solennel permet au spectateur, comme
a` la victime, de descendre en lui-me^me, et d'y sentir tout ce que
re? ve`le le malheur.
La sce`ne de la confession, et surtout de la communion, serait,
avec raison, tout a` fait condamne? e; mais ce n'est certes pas
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? ET MARIE STIJART. 229
comme manquant d'effet qu'on pourrait la bla^mer : le pathe? tique
qui se fonde sur la religion nationale touche de si pre`s le coeur,
que rien ne saurait e? mouvoir davantage. Le pays le plus catho-
lique , l'Espagne, et son poe`te le plus religieux, Calde? ron, qui
e? tait lui-me^me entre? dans l'e? tat eccle? siastique, ont admis sur
le the? a^tre les sujets et les ce? re? monies du christianisme.
Il me semble que, sans manquer au respect qu'on doit a` la
religion chre? tienne, on pourrait se permettre de la faire entrer
dans la poe? sie et les beaux-arts, dans tout ce qui e? le`ve l'a^me
et embellit la vie. L'en exclure, c'est imiter ces enfants qui
croient ne pouvoir rien faire que de grave et de triste dans la maison de leur pe`re. Il y a de la religion dans tout ce qui nous
cause une e? motion de? sinte? resse? e; la poe? sie, l'amour, la nature
et la Divinite? se re? unissent dans notre coeur, quelques efforts
qu'on fasse pour les se? parer; et si l'on interdit au ge? nie de faire
re? sonner toutes ces cordes a` la fois, l'harmonie comple`te de l'a^me
ne se fera jamais sentir.
Cette reine Marie, que la France a vue si brillante, et l'An-
gleterre si malheureuse, a e? te? l'objet de mille poe? sies diverses,
qui ce? le`brent ses charmes et son infortune. L'histoire l'a peinte
comme assez le? ge`re; Schiller a donne? plus de se? rieux a` son
caracte`re, et le moment dans lequel il la repre? sente motive bien
ce changement. Vingt anne? es de prison, et me^me vingt anne? es
de vie, de quelque manie`re qu'elles se soient passe? es, sont pres-
que toujours une se? ve`re lec? on.
Les adieux de Marie au comte de Leicester me paraissent
l'une des plus belles situations qui-soient- au the? a^tre. Il y a quel-
que douceur pour Marie dans cet instant. Elle a pitie? de Leices-
ter, tout coupable qu'il est: elle sent quel souvenir elle lui laisse,
et cette vengeance du coeur est permise. Enfin, au moment de
mourir, et de mourir parce qu'il n'a pas voulu la sauver, elle
lui dit encore qu'elle l'aime; et si quelque chose peut consoler
de la se? paration terrible a` laquelle la mort nous condamne, c'est
la solennite? qu'elle donne a` nos dernie`res paroles : aucun but,
aucun espoir ne s'y me^le, et la ve? rite? la plus pure sort de notre
sein avec la vie. ?
? 2il
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