s de nous par
quelques
planches, sont des
he?
he?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ja` dit sur la
poe? sie classique et romantique s'applique aussi aux pie`ces de
the? a^tre. Les trage? dies puise? es dans la mythologie sont d'une tout
autre nature que les trage? dies historiques; les sujets tire? s de la
fable e? taient si connus, l'inte? re^t qu'ils inspiraient e? tait si uni-
versel, qu'il suffisait de les indiquer pour frapper d'avance
l'imagination. Ce qu'il y a d'e? minemment poe? tique dans les tra-
ge? dies grecques, l'intervention des dieux et l'action de la fata-
lite? , rend leur marche beaucoup plus facile; le de? tail des mo-
tifs, le de? veloppemenUles caracte`res, la diversite? des faits, de-
viennent moins ne? cessaires, quand l'e? ve? nement est explique? par
une puissance surnaturelle; le miracle abre? ge tout. Aussi l'action
de la trage? die, chez les Grecs, est-elle d'une e? tonnante simpli-
cite? ; la plupart des e? ve? nements sont pre? vus et me^me annonce? s
de`s le commencement: c'est une ce? re? monie religieuse qu'une
trage? die grecque. Le spectacle se donnait en l'honneur des
dieux, et des hymnes, interrompus par des dialogues et des
re? cits, peignaient tanto^t les dieux cle? ments, tanto^t les dieux ter-
ribles , mais toujours le destin planant sur la vie de l'homme.
Lorsque ces me^mes sujets ont e? te? transporte? s au the? a^tre fran-
c? ais , nos grands poe^tes leur ont donne? plus de varie? te? ; ils ont
multiplie? les incidents, me? nage? les surprises, et resserre? le
noeud. Il fallait en effet supple? er de quelque manie`re a` l'inte? re^t
national et religieux que les Grecs prenaient a` ces pie`ces, et que
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? DE L ARI? DHAMATIQUE. 185
nous n'e? prouvions pas; toutefois, non contents d'animer les pie`-
ces grecques, nous avons pre^te? aux personnages nos moeurs et nos
sentiments, la politique et la galanterie modernes; et c'est pour
cela qu'un si grand nombre d'e? trangers ne conc? oivent pas l'ad-
miration que nos chefs-d'oeuvre nous inspirent. En effet, quand
on les entend dans une autre langue, quand ils sont de? pouille? s
de la beaute? magique du style, on est surpris du peu d'e? motion
qu'ils produisent, et des inconvenances qu'on y trouve; car ce
qui ne s'accorde ni avec le sie`cle, ni avec les moeurs nationales
des personnages que l'on repre? sente, n'est-il pas aussi une in-
convenance? et n'y a-t-il de ridicule que ce qui ne nous ressem-
ble pas?
Les pie`ces dont les sujets sont grecs ne perdent rien a` la se? ve? -
rite? de nos re`gles dramatiques; mais si nous voulions gou^ter,
comme les Anglais, le plaisir d'avoir un the? a^tre historique, d'e^-
tre inte? resse? s par nos souvenirs, e? mus par notre religion, com-
ment serait-il possible de se conformer rigoureusement, d'une
part, aux trois unite? s , et de l'autre, au genre de pompe dont on
se fait une loi dans nos trage? dies?
C'est une question si rebattue que celle des trois unite? s, qu'on
n'ose presque pas en reparler; mais de ces trois unite? s il n'y en
a qu'une d'importante, celle de l'action , et l'on ne peut jamais
conside? rer les autres que comme lui e? tant subordonne? es. Or, si
la ve? rite? de l'action perd a` la ne? cessite? pue? rile de ne pas chan-
ger de lieu, et de se borner a` vingt-quatre heures, imposer cette
ne? cessite? , c'est soumettre le ge? nie dramatique a` une ge^ne dans le
genre de celle des acrostiches, ge^ne qui sacrifie le fond de l'art
a` sa forme.
Voltaire est celui de nos grands poe`tes tragiques qui a le plus
souvent traite? des sujets modernes. Il s'est servi, pour e? mouvoir,
du christianisme et de la chevalerie; et si l'on est de bonne foi,
l'on conviendra, ce me semble, qu'Alzire, Zai? re et Tancre`de
font verser plus de larmes que tous les chefs-d'oeuvre grecs et
romains de notre the? a^tre. Dubelloy, avec un talent bien subal-
terne, est pourtant parvenu a` re? veiller des souvenirs franc? ais sur
la sce`ne franc? aise ; et, quoiqu'il ne su^t point e? crire, on e? prouve,
par ses pie`ces, un inte? re^t semblable a` celui que les Grecs devaient
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? 186 . DE L'ART DRAMATIQUE.
ressentir quand ils voyaient repre? senter devant eux les faits de
leur histoire. Quel parti le ge? nie ne peut-il pas tirer de cette dis-
position? Et cependant il n'est presque point d'e? ve? nements qui
datent de notre e`re, dont l'action puisse se passer ou dans un me^me
jour, ou dans un me^me lieu; la diversite? des faits qu'entrai^ne
un ordre social plus complique? , les de? licatesses de sentiment
qu'inspire une religion plus tendre, enfin, la ve? rite? de moeurs,
qu'on doit observer dans les tableaux plus rapproche? s de nous,
exigent une grande latitude dans les compositions dramatiques.
On peut citer un exemple re? cent de ce qu'il en cou^te pour se
conformer, dans les sujets tire? s de l'histoire moderne, a` notre
orthodoxie dramatique. Les Templiers de M. Raynouard sont
certainement l'une des pie`ces les plus dignes de louange qui aient
paru depuis longtemps; cependant, qu'y a-t-il de plus e? trange
que la ne? cessite? ou` l'auteur s'est trouve? de repre? senter l'ordre
des templiers accuse? , juge? , condamne? et bru^le? , le tout dans
vingt-quatre heures ? Les tribunaux re? volutionnaires allaient vite;
mais quelle que fu^t leur atroce bonne volonte? , ils ne seraient ja-
mais parvenus a` marcher aussi rapidement qu'une trage? die fran-
c? aise. Je pourrais montrer les inconve? nients de l'unite? de temps
avec non moins d'e? vidence, dans presque toutes nos trage? dies
tire? es de l'histoire moderne; mais j'ai choisi la plus remarqua-
ble de pre? fe? rence, pour faire ressortir ces inconve? nients.
L'un des mots les plus sublimes qu'on puisse entendre au
the? a^tre se trouve dans cette noble trage? die. A la dernie`re sce`ne,
l'on raconte que les templiers chantent des psaumes sur leur bu^-
cher; un messager est envoye? pour leur apporter leur gra^ce, que
le roi se de? termine a` leur accorder;
Mais il n'e? tait plus temps, les chants avaient cesse? .
C'est ainsi que le poe^te nous apprend que ces ge? ne? reux mar-
tyrs ont enfin pe? ri dans les flammes. Dans quelle trage? die pai? enne
pourrait-on trouver l'expression d'un tel sentiment? et pourquoi
les Franc? ais seraient-ils prive? s au the? a^tre de tout ce qui est vrai-
ment en harmonie avec eux, leurs ance^tres et leur croyance?
Les Franc? ais conside`rent l'unite? de temps et de lieu comme
une condition indispensable de l'illusion the? a^trale : les e? trangers
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DM LART m:\M\iif. jM 187
font consister cette illusion dans la peinture des caracte`res, dans
la ve? rite? du langage , et dans l'exacte observation des moeurs du
sie`cle et du pays qu'on veut peindre. Il faut s'entendre sur le
mot d'illusion dans les arts : puisque nous consentons a` croire
que des acteurs, se? pare?
s de nous par quelques planches, sont des
he? ros grecs morts il y a trois mille ans, il est bien certain que
ce qu'on appelle l'illusion, ce n'est pas s'imaginer que ce qu'on
voit existe ve? ritablement ; une trage? die ne peut nous parai^tre vraie
que par l'e? motion qu'elle nous cause. Or, si, par la nature des
circonstances repre? sente? es, le changement de lieu et la prolon-
gation suppose? e du temps ajoutent a` cette e? motion, l'illusion
en devient plus vive.
On se plaint de ce que les plus belles trage? dies de Voltaire,
Zai? re et Tancre`de, sont fonde? es sur des malentendus; mais
comment ne pas avoir recours aux moyens de l'intrigue, quand
les de? veloppements sont cense? s avoir lieu dans un espace aussi
court? L'art dramatique est alors un tour de force; et pour faire
passer les plus grands e? ve? nements a` travers tant de ge^nes, il
faut une dexte? rite? semblable a` celle des charlatans, qui esca-
motent aux regards des spectateurs les objets qu'ils leur pre? -
sentent.
Les sujets historiques se pre^tent encore moins que les sujets
d'invention aux conditions impose? es a` nos e? crivains : l'e? tiquette
tragique, qui est de rigueur sur notre the? a^tre, s'oppose souvent
aux beaute? s nouvellesdont les pie`cestire? es de l'histoire moderne
seraient susceptibles.
Il y a dans les moeurs chevaleresques une simplicite? de lan-
gage, une nai? vete? de sentiment pleine de charme; mais ni ce
charme, ni le pathe? tique qui re? sulte du contraste des circons-
tances communes et des impressions fortes, ne peut e^tre admis
dans nos trage? dies :elles exigent des situations royales en tout, et
ne? anmoins l'inte? re^t pittoresque du moyen a^ge tient a` toute cette
diversite? de sce`nes et de caracte`res dont les romans des trouba-
dours ont fait sortir des effets si touchants.
La pompe des alexandrins est un plus grand obstacle encore
que la routine me^me du bon gou^t, a` tout changement dans la
forme et le fond des trage? dies franc? aises : on ne peut dire en
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? 188 DE L ABT DRAMATIQUE.
vers alexandrins qu'on entre ou qu'on sort, qu'on dort ou qu'on veille, sans qu'il faille chercher pour cela une tournure poe? tique;
et une foule de sentiments et d'effets sont bannis du the? a^tre,
non parles re`gles dela trage? die, mais par l'exigence me^me dela versification. Racine est le seul e? crivain franc? ais qui, dans la
sce`ne de Joas avec Athalie, se soit une fois joue? de ces diffi-
culte? s ; il a su donner une simplicite? aussi noble que naturelle
au langage d'un enfant; mais cet admirable effort d'un ge? nie
sans pareil n'empe^che pas que les difficulte? s trop multiplie? es
dans l'art ne soient souvent un obstacle aux inventions les plus
heureuses.
M. Benjamin Constant, dans la pre? face si justement admire? e
qui pre? ce`de sa trage? die de Walstein, a fait observer que les
Allemands peignaient les caracte`res dans leurs pie`ces, et les
Franc? ais seulement les passions. Pour peindre les caracte`res, il
faut ne? cessairement s'e? carter du ton majestueux exclusivement
admis dans la trage? die franc? aise; car il est impossible de faire
connai^tre les de? fauts et les qualite? s d'un homme, si ce n'est en le
pre? sentant sous divers rapports; le vulgaire, dans la nature, se
me^le souvent au sublime, et quelquefois en rele`ve l'effet: enfin,
on ne peut se figurer l'action d'un caracte`re que pendant un es-
pace de temps un peu long, et dans vingt-quatre heures il ne
saurait e^tre vraiment question que d'une catastrophe. L'on sou-
tiendra peut-e^tre que les catastrophes conviennent mieux au
the? a^tre que les tableaux nuance? s; le mouvement excite? parles
passions vives plai^t a` la plupart des spectateurs plus que l'at-
tention qu'exige l'observation du coeur humain. C'est le gou^t
national qui seul peut de? cider de ces diffe? rents syste`mes drama-
tiques; mais il est juste de reconnai^tre que si les e? trangers con-
c? oivent l'art the? a^tral autrement que nous, ce n'est ni par igno-
rance , ni par barbarie, mais d'apre`s des re? flexions profondes et
qui sont dignes d'e^tre examine? es.
Shakespeare, qu'on veut appeler un barbare, a peut-e^tre un
esprit trop philosophique, une pe? ne? tration trop subtile pour le
point de vue de la sce`ne; il juge les caracte`res avec l'impartia-
lite? d'un e^tre supe? rieur, et les repre? sente quelquefois avec une
ironie presque machiave? lique; ses compositions ont tant de
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? DE L'ART DRAMATIQUE. 189
profondeur, que la rapidite? de l'action the? a^trale fait perdre une
grande partie des ide? es qu'elles renferment ; sous ce rapport, il
vaut mieux lire ses pie`ces que de les voir. A force d'esprit, Sha-
kespeare refroidit souvent l'action, et les Franc? ais s'entendent
beaucoup mieux a` peindre les personnages ainsi que les de? cora-
tions, avec ces grands traits qui font effet a` distance. Quoi!
dira-t-on, peut-on reprocher a` Shakespeare trop de finesse dans
les aperc? us, lui qui se permit des situations si terribles? Shakes-
peare re? unit souvent des qualite? s et me^me des de? fauts contraires;
il est quelquefois en dec? a`, quelquefois en dela` de la sphe`re de
l'art; mais il posse`de encore plus la connaissance du coeur hu-
main que celle du the? a^tre.
Dans les drames, dans les ope? ras comiques et dans les come? -
dies , les Franc? ais montrent une sagacite? et une gra^ce que seuls
ils posse`dent a` ce degre? ; et d'un bout de l'Europe a` l'autre, on ne joue gue`re que des pie`ces franc? aises traduites: mais il n'en est
pas de me^me des trage? dies. Comme les re`gles se? ve`res auxquelles
on les soumet font qu'elles sont toutes plus ou moins renfer-
me? es dans un me^me cercle, elles ne sauraient se passer de la
perfection du style pour e^tre admire? es. Si l'on voulait risquer
en France, dans une trage? die, une innovation quelconque,
aussito^t on s'e? crierait que c'est un me? lodrame; mais n'im-
porte-t-il pas de savoir pourquoi les me? lodrames font plaisir a`
tant de gens? F,n Angleterre, toutes les classes sont e? galement
attire? es par les pie`ces de Shakespeare. Nos plus belles trage? dies
en France n'inte? ressent pas le peu pie; sous pre? texte d'ungou^t trop
pur et d'un sentiment trop de? licat pour supporter de certaines
e? motions, on divise l'art en deux; les mauvaises pie`ces con-
tiennent des situations touchantes mal exprime? es, et les belles
pie`ces peignent admirablement des situations souvent froides, a`
force d'e^tre dignes : nous posse? dons peu de trage? dies qui puis-
sent e? branler a` la fois l'imagination des hommes de tous les
rangs.
Ces observations n'ont assure? ment pas pourobjet le moindre
bla^mecontre nos grands mai^tres. Quelques sce`nes produisent des
impressions plus vives dans les pie`ces e? trange`res, mais rien ne
peut e^tre compare? a` l'ensemble imposant et bien combine? de nos
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? f90 DE LAUT DRAMATIQUE.
chefs-d'oeuvre dramatiques: la question seulement est de savoir
si, en se bornant, comme on le fait maintenant, a` l'imita-
tion deces chefs-d'oeuvre, il y en aura jamais de nouveaux.
Rien dans la vie ne doit e^tre stationnaire, et l'art est pe? trifie?
quand il ne change plus. Vingt ans de re? volution ont donne? a`
l'imagination d'autres besoins que ceux qu'elle e? prouvait quand
les romans deCre? billon peignaient l'amour et lasocie? te? du temps.
Les sujets grecs sont e? puise? s; un seul homme, Lemercier , a
su me? riter encore une nouvelle gloire dans un sujet antique,
Agamemnon; mais la tendance naturelle du sie`cle, c'est la tra-
ge? die historique.
Tout est trage? die dans les e? ve? nements qui inte? ressent les
nations; et cet immense drame, que le genre humain repre? sente
depuis six mille ans, fournirait des sujets sans nombre pour le
the? a^tre, si l'on donnait plus de liberte? a` l'art dramatique. Les
re`gles ne sont que l'itine? raire du ge? nie; elles nous apprennent
seulement que Corneille, Racine et Voltaire ont passe? parla;
mais si l'on arrive au but, pourquoi chicaner sur la route? et le
but n'est-il pas d'e? mouvoir l'a^me en l'ennoblissant?
La curiosite? estun des grands mobiles du the? a^tre; ne? anmoins
l'inte? re^t qu'excite la profondeur des affections est le seul ine? pui-
sable.
poe? sie classique et romantique s'applique aussi aux pie`ces de
the? a^tre. Les trage? dies puise? es dans la mythologie sont d'une tout
autre nature que les trage? dies historiques; les sujets tire? s de la
fable e? taient si connus, l'inte? re^t qu'ils inspiraient e? tait si uni-
versel, qu'il suffisait de les indiquer pour frapper d'avance
l'imagination. Ce qu'il y a d'e? minemment poe? tique dans les tra-
ge? dies grecques, l'intervention des dieux et l'action de la fata-
lite? , rend leur marche beaucoup plus facile; le de? tail des mo-
tifs, le de? veloppemenUles caracte`res, la diversite? des faits, de-
viennent moins ne? cessaires, quand l'e? ve? nement est explique? par
une puissance surnaturelle; le miracle abre? ge tout. Aussi l'action
de la trage? die, chez les Grecs, est-elle d'une e? tonnante simpli-
cite? ; la plupart des e? ve? nements sont pre? vus et me^me annonce? s
de`s le commencement: c'est une ce? re? monie religieuse qu'une
trage? die grecque. Le spectacle se donnait en l'honneur des
dieux, et des hymnes, interrompus par des dialogues et des
re? cits, peignaient tanto^t les dieux cle? ments, tanto^t les dieux ter-
ribles , mais toujours le destin planant sur la vie de l'homme.
Lorsque ces me^mes sujets ont e? te? transporte? s au the? a^tre fran-
c? ais , nos grands poe^tes leur ont donne? plus de varie? te? ; ils ont
multiplie? les incidents, me? nage? les surprises, et resserre? le
noeud. Il fallait en effet supple? er de quelque manie`re a` l'inte? re^t
national et religieux que les Grecs prenaient a` ces pie`ces, et que
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE L ARI? DHAMATIQUE. 185
nous n'e? prouvions pas; toutefois, non contents d'animer les pie`-
ces grecques, nous avons pre^te? aux personnages nos moeurs et nos
sentiments, la politique et la galanterie modernes; et c'est pour
cela qu'un si grand nombre d'e? trangers ne conc? oivent pas l'ad-
miration que nos chefs-d'oeuvre nous inspirent. En effet, quand
on les entend dans une autre langue, quand ils sont de? pouille? s
de la beaute? magique du style, on est surpris du peu d'e? motion
qu'ils produisent, et des inconvenances qu'on y trouve; car ce
qui ne s'accorde ni avec le sie`cle, ni avec les moeurs nationales
des personnages que l'on repre? sente, n'est-il pas aussi une in-
convenance? et n'y a-t-il de ridicule que ce qui ne nous ressem-
ble pas?
Les pie`ces dont les sujets sont grecs ne perdent rien a` la se? ve? -
rite? de nos re`gles dramatiques; mais si nous voulions gou^ter,
comme les Anglais, le plaisir d'avoir un the? a^tre historique, d'e^-
tre inte? resse? s par nos souvenirs, e? mus par notre religion, com-
ment serait-il possible de se conformer rigoureusement, d'une
part, aux trois unite? s , et de l'autre, au genre de pompe dont on
se fait une loi dans nos trage? dies?
C'est une question si rebattue que celle des trois unite? s, qu'on
n'ose presque pas en reparler; mais de ces trois unite? s il n'y en
a qu'une d'importante, celle de l'action , et l'on ne peut jamais
conside? rer les autres que comme lui e? tant subordonne? es. Or, si
la ve? rite? de l'action perd a` la ne? cessite? pue? rile de ne pas chan-
ger de lieu, et de se borner a` vingt-quatre heures, imposer cette
ne? cessite? , c'est soumettre le ge? nie dramatique a` une ge^ne dans le
genre de celle des acrostiches, ge^ne qui sacrifie le fond de l'art
a` sa forme.
Voltaire est celui de nos grands poe`tes tragiques qui a le plus
souvent traite? des sujets modernes. Il s'est servi, pour e? mouvoir,
du christianisme et de la chevalerie; et si l'on est de bonne foi,
l'on conviendra, ce me semble, qu'Alzire, Zai? re et Tancre`de
font verser plus de larmes que tous les chefs-d'oeuvre grecs et
romains de notre the? a^tre. Dubelloy, avec un talent bien subal-
terne, est pourtant parvenu a` re? veiller des souvenirs franc? ais sur
la sce`ne franc? aise ; et, quoiqu'il ne su^t point e? crire, on e? prouve,
par ses pie`ces, un inte? re^t semblable a` celui que les Grecs devaient
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 186 . DE L'ART DRAMATIQUE.
ressentir quand ils voyaient repre? senter devant eux les faits de
leur histoire. Quel parti le ge? nie ne peut-il pas tirer de cette dis-
position? Et cependant il n'est presque point d'e? ve? nements qui
datent de notre e`re, dont l'action puisse se passer ou dans un me^me
jour, ou dans un me^me lieu; la diversite? des faits qu'entrai^ne
un ordre social plus complique? , les de? licatesses de sentiment
qu'inspire une religion plus tendre, enfin, la ve? rite? de moeurs,
qu'on doit observer dans les tableaux plus rapproche? s de nous,
exigent une grande latitude dans les compositions dramatiques.
On peut citer un exemple re? cent de ce qu'il en cou^te pour se
conformer, dans les sujets tire? s de l'histoire moderne, a` notre
orthodoxie dramatique. Les Templiers de M. Raynouard sont
certainement l'une des pie`ces les plus dignes de louange qui aient
paru depuis longtemps; cependant, qu'y a-t-il de plus e? trange
que la ne? cessite? ou` l'auteur s'est trouve? de repre? senter l'ordre
des templiers accuse? , juge? , condamne? et bru^le? , le tout dans
vingt-quatre heures ? Les tribunaux re? volutionnaires allaient vite;
mais quelle que fu^t leur atroce bonne volonte? , ils ne seraient ja-
mais parvenus a` marcher aussi rapidement qu'une trage? die fran-
c? aise. Je pourrais montrer les inconve? nients de l'unite? de temps
avec non moins d'e? vidence, dans presque toutes nos trage? dies
tire? es de l'histoire moderne; mais j'ai choisi la plus remarqua-
ble de pre? fe? rence, pour faire ressortir ces inconve? nients.
L'un des mots les plus sublimes qu'on puisse entendre au
the? a^tre se trouve dans cette noble trage? die. A la dernie`re sce`ne,
l'on raconte que les templiers chantent des psaumes sur leur bu^-
cher; un messager est envoye? pour leur apporter leur gra^ce, que
le roi se de? termine a` leur accorder;
Mais il n'e? tait plus temps, les chants avaient cesse? .
C'est ainsi que le poe^te nous apprend que ces ge? ne? reux mar-
tyrs ont enfin pe? ri dans les flammes. Dans quelle trage? die pai? enne
pourrait-on trouver l'expression d'un tel sentiment? et pourquoi
les Franc? ais seraient-ils prive? s au the? a^tre de tout ce qui est vrai-
ment en harmonie avec eux, leurs ance^tres et leur croyance?
Les Franc? ais conside`rent l'unite? de temps et de lieu comme
une condition indispensable de l'illusion the? a^trale : les e? trangers
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DM LART m:\M\iif. jM 187
font consister cette illusion dans la peinture des caracte`res, dans
la ve? rite? du langage , et dans l'exacte observation des moeurs du
sie`cle et du pays qu'on veut peindre. Il faut s'entendre sur le
mot d'illusion dans les arts : puisque nous consentons a` croire
que des acteurs, se? pare?
s de nous par quelques planches, sont des
he? ros grecs morts il y a trois mille ans, il est bien certain que
ce qu'on appelle l'illusion, ce n'est pas s'imaginer que ce qu'on
voit existe ve? ritablement ; une trage? die ne peut nous parai^tre vraie
que par l'e? motion qu'elle nous cause. Or, si, par la nature des
circonstances repre? sente? es, le changement de lieu et la prolon-
gation suppose? e du temps ajoutent a` cette e? motion, l'illusion
en devient plus vive.
On se plaint de ce que les plus belles trage? dies de Voltaire,
Zai? re et Tancre`de, sont fonde? es sur des malentendus; mais
comment ne pas avoir recours aux moyens de l'intrigue, quand
les de? veloppements sont cense? s avoir lieu dans un espace aussi
court? L'art dramatique est alors un tour de force; et pour faire
passer les plus grands e? ve? nements a` travers tant de ge^nes, il
faut une dexte? rite? semblable a` celle des charlatans, qui esca-
motent aux regards des spectateurs les objets qu'ils leur pre? -
sentent.
Les sujets historiques se pre^tent encore moins que les sujets
d'invention aux conditions impose? es a` nos e? crivains : l'e? tiquette
tragique, qui est de rigueur sur notre the? a^tre, s'oppose souvent
aux beaute? s nouvellesdont les pie`cestire? es de l'histoire moderne
seraient susceptibles.
Il y a dans les moeurs chevaleresques une simplicite? de lan-
gage, une nai? vete? de sentiment pleine de charme; mais ni ce
charme, ni le pathe? tique qui re? sulte du contraste des circons-
tances communes et des impressions fortes, ne peut e^tre admis
dans nos trage? dies :elles exigent des situations royales en tout, et
ne? anmoins l'inte? re^t pittoresque du moyen a^ge tient a` toute cette
diversite? de sce`nes et de caracte`res dont les romans des trouba-
dours ont fait sortir des effets si touchants.
La pompe des alexandrins est un plus grand obstacle encore
que la routine me^me du bon gou^t, a` tout changement dans la
forme et le fond des trage? dies franc? aises : on ne peut dire en
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? 188 DE L ABT DRAMATIQUE.
vers alexandrins qu'on entre ou qu'on sort, qu'on dort ou qu'on veille, sans qu'il faille chercher pour cela une tournure poe? tique;
et une foule de sentiments et d'effets sont bannis du the? a^tre,
non parles re`gles dela trage? die, mais par l'exigence me^me dela versification. Racine est le seul e? crivain franc? ais qui, dans la
sce`ne de Joas avec Athalie, se soit une fois joue? de ces diffi-
culte? s ; il a su donner une simplicite? aussi noble que naturelle
au langage d'un enfant; mais cet admirable effort d'un ge? nie
sans pareil n'empe^che pas que les difficulte? s trop multiplie? es
dans l'art ne soient souvent un obstacle aux inventions les plus
heureuses.
M. Benjamin Constant, dans la pre? face si justement admire? e
qui pre? ce`de sa trage? die de Walstein, a fait observer que les
Allemands peignaient les caracte`res dans leurs pie`ces, et les
Franc? ais seulement les passions. Pour peindre les caracte`res, il
faut ne? cessairement s'e? carter du ton majestueux exclusivement
admis dans la trage? die franc? aise; car il est impossible de faire
connai^tre les de? fauts et les qualite? s d'un homme, si ce n'est en le
pre? sentant sous divers rapports; le vulgaire, dans la nature, se
me^le souvent au sublime, et quelquefois en rele`ve l'effet: enfin,
on ne peut se figurer l'action d'un caracte`re que pendant un es-
pace de temps un peu long, et dans vingt-quatre heures il ne
saurait e^tre vraiment question que d'une catastrophe. L'on sou-
tiendra peut-e^tre que les catastrophes conviennent mieux au
the? a^tre que les tableaux nuance? s; le mouvement excite? parles
passions vives plai^t a` la plupart des spectateurs plus que l'at-
tention qu'exige l'observation du coeur humain. C'est le gou^t
national qui seul peut de? cider de ces diffe? rents syste`mes drama-
tiques; mais il est juste de reconnai^tre que si les e? trangers con-
c? oivent l'art the? a^tral autrement que nous, ce n'est ni par igno-
rance , ni par barbarie, mais d'apre`s des re? flexions profondes et
qui sont dignes d'e^tre examine? es.
Shakespeare, qu'on veut appeler un barbare, a peut-e^tre un
esprit trop philosophique, une pe? ne? tration trop subtile pour le
point de vue de la sce`ne; il juge les caracte`res avec l'impartia-
lite? d'un e^tre supe? rieur, et les repre? sente quelquefois avec une
ironie presque machiave? lique; ses compositions ont tant de
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? DE L'ART DRAMATIQUE. 189
profondeur, que la rapidite? de l'action the? a^trale fait perdre une
grande partie des ide? es qu'elles renferment ; sous ce rapport, il
vaut mieux lire ses pie`ces que de les voir. A force d'esprit, Sha-
kespeare refroidit souvent l'action, et les Franc? ais s'entendent
beaucoup mieux a` peindre les personnages ainsi que les de? cora-
tions, avec ces grands traits qui font effet a` distance. Quoi!
dira-t-on, peut-on reprocher a` Shakespeare trop de finesse dans
les aperc? us, lui qui se permit des situations si terribles? Shakes-
peare re? unit souvent des qualite? s et me^me des de? fauts contraires;
il est quelquefois en dec? a`, quelquefois en dela` de la sphe`re de
l'art; mais il posse`de encore plus la connaissance du coeur hu-
main que celle du the? a^tre.
Dans les drames, dans les ope? ras comiques et dans les come? -
dies , les Franc? ais montrent une sagacite? et une gra^ce que seuls
ils posse`dent a` ce degre? ; et d'un bout de l'Europe a` l'autre, on ne joue gue`re que des pie`ces franc? aises traduites: mais il n'en est
pas de me^me des trage? dies. Comme les re`gles se? ve`res auxquelles
on les soumet font qu'elles sont toutes plus ou moins renfer-
me? es dans un me^me cercle, elles ne sauraient se passer de la
perfection du style pour e^tre admire? es. Si l'on voulait risquer
en France, dans une trage? die, une innovation quelconque,
aussito^t on s'e? crierait que c'est un me? lodrame; mais n'im-
porte-t-il pas de savoir pourquoi les me? lodrames font plaisir a`
tant de gens? F,n Angleterre, toutes les classes sont e? galement
attire? es par les pie`ces de Shakespeare. Nos plus belles trage? dies
en France n'inte? ressent pas le peu pie; sous pre? texte d'ungou^t trop
pur et d'un sentiment trop de? licat pour supporter de certaines
e? motions, on divise l'art en deux; les mauvaises pie`ces con-
tiennent des situations touchantes mal exprime? es, et les belles
pie`ces peignent admirablement des situations souvent froides, a`
force d'e^tre dignes : nous posse? dons peu de trage? dies qui puis-
sent e? branler a` la fois l'imagination des hommes de tous les
rangs.
Ces observations n'ont assure? ment pas pourobjet le moindre
bla^mecontre nos grands mai^tres. Quelques sce`nes produisent des
impressions plus vives dans les pie`ces e? trange`res, mais rien ne
peut e^tre compare? a` l'ensemble imposant et bien combine? de nos
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? f90 DE LAUT DRAMATIQUE.
chefs-d'oeuvre dramatiques: la question seulement est de savoir
si, en se bornant, comme on le fait maintenant, a` l'imita-
tion deces chefs-d'oeuvre, il y en aura jamais de nouveaux.
Rien dans la vie ne doit e^tre stationnaire, et l'art est pe? trifie?
quand il ne change plus. Vingt ans de re? volution ont donne? a`
l'imagination d'autres besoins que ceux qu'elle e? prouvait quand
les romans deCre? billon peignaient l'amour et lasocie? te? du temps.
Les sujets grecs sont e? puise? s; un seul homme, Lemercier , a
su me? riter encore une nouvelle gloire dans un sujet antique,
Agamemnon; mais la tendance naturelle du sie`cle, c'est la tra-
ge? die historique.
Tout est trage? die dans les e? ve? nements qui inte? ressent les
nations; et cet immense drame, que le genre humain repre? sente
depuis six mille ans, fournirait des sujets sans nombre pour le
the? a^tre, si l'on donnait plus de liberte? a` l'art dramatique. Les
re`gles ne sont que l'itine? raire du ge? nie; elles nous apprennent
seulement que Corneille, Racine et Voltaire ont passe? parla;
mais si l'on arrive au but, pourquoi chicaner sur la route? et le
but n'est-il pas d'e? mouvoir l'a^me en l'ennoblissant?
La curiosite? estun des grands mobiles du the? a^tre; ne? anmoins
l'inte? re^t qu'excite la profondeur des affections est le seul ine? pui-
sable.