Ses
admirateurs
diront que cela tient a` l'originalite?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
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? 344 DES ROMAINS.
un singulier me? lange de l'existence commode et des sentiments orageux; une imagination pleine de gra^ce et de force s'approche
des plus grands effets pour les de? laisser tout a` coup, comme
s'il ne valait pas la peine de les produire; et l'on dirait que l'e? -
motion fait du mal a` l'e? crivain de ce roman, et que, par paresse
de coeur, il met de co^te? la moitie? de son talent, de peur de se
faire souffrir lui-me^me en attendrissant les autres.
Une question plus importante, c'est de savoir si un tel ou-
vrage est moral, c'est-a`-dire, si l'impression qu'on en rec? oit est
favorable au perfectionnement de l'a^me ; les e? ve? nements ne sont
de rien a` cet e? gard dans une fiction; on sait si bien qu'ils de? pen-
dent de la volonte? de l'auteur, qu'ils ne peuvent re? veiller la con-
science de personne: lamoralite? d'un roman consiste donc dans
les sentiments qu'il inspire. On ne saurait nier qu'il n'y ait dans"
Te livre de Goelhe uTi^e? profonde connaissance du coeur humain,
mais une connaissance de? courageante; la vie y est repre? sente? e
comme une chose assez indiffe? rente, de quelque manie`re qu'on
la passe; triste quand on l'approfondit, assez agre? able quand on l'esquive, susceptible de maladies morales qu'il faut g^e? . rir s|
l'on peut, et dont il faut mourir si l'on n'en peut gue? rir. -- Les
passions existent, les vertus existent; il y a des gens qui assu-
rent qu'il faut combattre les unes par les autres; il y en a d'au-
tres qui pre? tendent que cela ne se peut pas; voyez et jugez,
semble dire l'e? crivain qui raconte, avec impartialite? , les argu-
ments que le sort peut donner pour et contre chaque manie`re
de voir. --
On aurait tort cependant de se figurer que ce scepticisme soit
inspire? par la tendance mate? rialiste du dix-huitie`me sie`cle; les
opinions de Goethe ont bien plus de profondeur, mais elles ne
donnent pas plus de consolations a` l'a^me. On aperc? oit dans ses
e? crits une philosophie de? daigneuse, qui dit au bien comme au
mal: Cela doit e^tre, puisque cela est; un esprit prodigieux, qui
domine toutes les autres faculte? s, et se lasse du talent me^me,
comme ayant quelque chose de trop involontaire et de trop par-
tial; enfin, ce qui manque surtout a` ce roman, c'est un senti-
ment religieux ferme et positif: les principaux personnages sont
plus accessibles a` la superstition qu'a` la croyance; et l'on sent
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ROMANS. 345
que dans leur coeur, lareligion, comme l'amour, n'est que l'effet
des circonstances et pourrait varier avec elles.
Dans la marche de cet ouvrage, l'auteur se montre trop incer-
tain; les figures qu'il dessine et les opinions qu'il indique ne
laissent que des souvenirs vacillants ; il faut en convenir, beau-
coup penser conduit quelquefois a` tout e? branler dans le fond de
soi-me^me; mais un homme de ge? nie tel que Goethe doit servir
de guide a` ses admirateurs dans une route assure? e. Il n'est plus
temps de douter, il n'est plus temps de mettre, a` propos de toutes
choses, des ide? es inge? nieuses dans les deux co^te? s de la balance;
il faut se livrer a` la confiance, a` l'enthousiasme, a` l'admiration
que la jeunesse immortelle de l'a^me peut toujours entretenir en
nous-me^mes; cette jeunesse renai^t des cendres me^mes des pas-
sions: c'est le rameau d'or qui ne peut se fle? trir, et qui donne
a` la Sibylle l'entre? e dans les champs e? lysiens.
Tieck me? rite d'e^tre cite? dans plusieurs genres; il est l'auteur
d'un roman, Sternbald, dont la lecture est de? licieuse; les e? ve? -
nements y sont en petit nombre, et ce qu'il y en a n'est pas
me^me conduit jusqu'au de? nou^ment; mais on ne trouve nulle
part, je crois, une si agre? able peinture de la vie d'un artiste,
i? j'auteur place son he? ros dans le beau sie`cle des arts, et le suppose e? colier d'Albert Durer, contemporain de Raphae^l; il le fait
voyager dans diverses contre? es de l'Europe, et peint avec un
charme tout nouveau le plaisir que doivent causer les objets ex-
te? rieurs , quand on n'appartient exclusivement a` aucun pays,
ni a` aucune situation, et qu'on se prome`ne librement a` travers
la nature pour y chercher des inspirations et des mode`les. Cette
existence voyageuse et re^veuse tout a` la fois n'est bien sentie
qu'en Allemagne. Dans les romans franc? ais nous de? crivons tou-
jours les moeurs et les relations sociales; mais il y a un grand
secret de bonheur dans cette imagination qui plane sur la terre
en la parcourant, et ne se me^le point aux inte? re^ts actifs de ce
monde. Ce que le sort refuse presque toujours aux pauvres mortels ,
c'est une destine? e heureuse dont les circonstances se succe`dent
et s'enchai^nent selon nos souhaits; mais les impressions isole? es
sont pour la plupart assez douces, et le pre? sent, quand on peut
le conside? rer a` part des souvenirs et des craintes, est encore le
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 3-16 BES UMM\. \S.
meilleur moment de l'homme. Il y a donc une philosophie poe? -
tique tre`s-sage dans ces jouissances instantane? es dont l'existence
d'un artiste se compose; les sites nouveaux, les accideTTts""u'e
lumie`re qui les embellissent sont pour lui des e? ve? nements qui
commencent et finissent le me^me jour, et n'ont rien a` faire avec
le passe? ni avec l'avenir; les affections du coeur de? robent l'as-
pect de la nature, et l'on s'e? tonne , en lisant le roman de Tieck,
de toutes les merveilles qui nous environnent a` notre insu.
L'auteur a me^le? a` cet ouvrage des poe? sies de? tache? es, dont
quelques-unes sont des chefs-d'oeuvre. Lorsqu'on met des vers
dans un roman franc? ais, presque toujours ilsiuterrompent l'in-
te? re^t, et de? truisent l'harmonie de l'ensemble. Il n'en est pas
ainsi dans Sternbahl; le roman est si poe? tique en lui-me^me, que
la prose y parai^t comme un re? citatif qui succe`de au chant, ou
le pre? pare. On y trouve entre autres quelques stances sur le re-
tour du printemps, qui sont enivrantes comme la nature a` cette
e? poque. L'enfance y est pre? sente? e sous mille formes diffe? ren-
tes; l'homme, les plantes, la terre, le ciel, tout y est si jeune,
tout y est si riche d'espe? rance, qu'on dirait que le poe`te ce? le`bre
les premiers beaux jours et les premie`res fleurs qui pare`rent le
monde.
Nous avons en franc? ais plusieurs romans comiques; et l'un
des plus remarquables, c'est Gil Rlas. . le ne crois pas qu'on
puisse citer chez les Allemands un ouvrage ou` l'on se joue si
spirituellement des choses de la vie. Ils ont a` peine un monde
re? el,comment pourraient-ils de? ja` s'enmoquer? La gaiete? se? rieuse
qui ne tourne rien en plaisanterie, mais amuse sans le vouloir,
et fait rire sans avoir ri; cette gaiete? que les Anglais appellent
humour, se trouve aussi dans plusieurs e? crits allemands; mais
il est presque impossible de les traduire. Quand la plaisanterie
consiste dans une pense? e philosophique heureusement exprime? e,
comme le Gulliver de Swift, le changement de langue n'y fait
rien, mais Tristram Shandy de Sterne perd en franc? ais presque
toute sa gra^ce. Les plaisanteries qui consistent dans les formes
du langage en disent peut-e^tre a` l'esprit mille fois plus que les
ide? es, et cependant on ne peut transmettre aux e? trangers ces
impressions si vives, excite? es par des nuances si fines.
Claudius est un des auteurs allemands qui ont le plus de cette
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? DF. S HOMANS. 347
gaiete? nationale, partage exclusif de chaque litte? rature e? trange`re.
IL a publie? un recueil compose? de plusieurs pie`ces de? tache? es sur
diffe? rents sujets; il en est quelques-unes de mauvais gou^t, quel-
ques autres de peu d'importance; mais il y re`gne une originalite?
et une ve? rite? qui rendent les moindres choses piquantes. Cet
e? crivain, dont le style est reve^tu d'une apparence simple, et
quelquefois me^me vulgaire, pe? ne`tre jusqu'au fond du coeur,
par la since? rite? de ses sentiments. Il vous fait pleurer comme il
vous fait rire, parce qu'il excite en vous la sympathie, et que
vous reconnaissez un semblable et un ami dans tout ce qu'il
e? prouve. On ne peut rien extraire des e? crits de Claudius, son
talent agit comme une sensation; il faut l'avoir e? prouve? e pour
en parler. Il ressemble a` ces peintres flamands qui s'e? le`vent
quelquefois a` repre? senter ce qu'il y a de plus noble dans la na-
ture, ou a` l'Espagnol Murillo, qui peint des pauvres et des men-
diants avec une ve? rite? parfaite, mais qui leur donne souvent,
me^me a` son insu, quelques traits d'une expression noble et pro-
londe. Il faut, pour me^ler avec succe`s le comique et le pathe? ti-
que, e^tre e? minemment naturel dans l'un et dans l'autre; de`s que
le factice s'aperc? oit, tout contraste fait disparate; mais un grand
talent plein de bonhomie peut re? unir avec succe`s ce qui n'a du
charme que sur le visage de l'enfance, le sourire au milieu des
pleurs. Un autre e? crivain, plus moderne et plus ce? le`bre que Claudius,
s'est acquis une grande re? putation en Allemagne par des ouvra-
ges qu'on appellerait des romans,si une de? nomination connue
pouvait convenir a` des productions si extraordinaires. J. Paul
Richter a su^rement plus d'esprit qu'il n'en faut pour composer
un ouvrage qui inte? resserait les e? trangers autant que les Alle-
mands, et ne? anmoins rien de ce qu'il a publie? ne peut sortir de
l'Allemagne.
Ses admirateurs diront que cela tient a` l'originalite?
me^me de son ge? nie; il me semble que ses de? fauts en sont autant
la cause que ses qualite? s. Il faut, dans nos temps modernes,
avoir l'esprit europe? en; les Allemands encouragent trop dans
leurs auteurs cette hardiesse vagabonde qui, tout audacieuse
qu'elle parai^t, n'est pas toujours de? nue? e d'affectation. Madame
de Lambert disait a` son fils: -- Mon ami, ne vous permettez
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? 348 DES ROMANS.
que les sottises qui vous feront un grand plaisir. -- On pourrait
prier J. Paul de n'e^tre bizarre que malgre? lui : tout ce qu'on
dit involontairement re? pond toujours a` la nature de quelqu'un;
mais quand l'originalite? naturelle est ga^te? e par la pre? tention a`
l'originalite? , le lecteur ne jouit pas comple? tement me^me de ce
qui est vrai, par le souvenir et la crainte de ce qui ne l'est pas.
On trouve cependant des beaute? s admirables dans les ouvrages
de J. Paul; mais l'ordonnance etle cadre de ses tableaux sont
si de? fectueux, que les traits de ge? nie les plus lumineux se per-
dent dans la confusion de l'ensemble. Les e? crits deJ. Paul doi-
vent e^tre conside? re? s sous deux points de vue, la plaisanterie et
le se? rieux; car il me^le constamment l'une a` l'autre. Sa manie`re
d'observer le coeur humain est pleine de finesse et de gaiete? , mais
il ne connai^t gue`re que le coeur humain tel qu'on peut le juger
d'apre`s les petites villes d'Allemagne, et il y a souvent dans la peinture de ces moeurs quelque chose de trop innocent pour no-
tre sie`cle. Des observations si de? licates et presque si minutieuses
sur les affections morales rappellent un peu ce personnage des
contes de fe? es surnomme? Fine-Oreille, parce qu'il entendait les
plantes pousser. Sterne a bien, a` cet e? gard, quelque analogie
avec J. Paul; mais si J. Paul lui est tre`s-supe? rieur dans la partie
se? rieuse et poe? tique de ses ouvrages, Sterne a plus de gou^t et
d'e? le? gance dans la plaisanterie, et l'on voit qu'il a ve? cu dans
une socie? te? dont les rapports e? taient plus e? tendus et plus bril-
lants.
Ce serait un ouvrage bien remarquable ne? anmoins que des
pense? es extraites des ouvrages de J. Paul; mais on s'aperc? oit, en le lisant, de l'habitude singulie`re qu'il a de recueillir partout,
dans de vieux livres inconnus, dans des ouvrages de sciences, etc. ,
des me? taphores et des allusions. Les rapprochements qu'il en
tire sont presque toujours tre`s-inge? nieux: mais quand il faut de
l'e? tude et de l'attention pour saisir une plaisanterie, il n'y a gue`re
que les Allemands qui consentent a` rire a` la longue, et se don-
nent autant de peine pour comprendre ce qui les amuse que ce
qui les instruit.
Au fond de tout cela l'on trouve une foule d'ide? es nouvelles,
et si l'on y parvient, l'on s'y enrichit beaucoup; mais l'auteur a
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? DES UOMAMS.
349
ne? glige? l'empreinte qu'il fallait donner a` ces tre? sors. La gaiete?
des Franc? ais vient de l'esprit de socie? te? ; celle des Italiens, de
l'imagination; celle des Anglais, de l'originalite? du caracte`re; la
gaiete? des Allemands est philosophique. Ils plaisantent avec les choses et avec les livres pluto^t qu'avec leurs semblables. Il y a
dans leur te^te un chaos de connaissances qu'une imagination
inde? pendante et fantasque combine de mille manie`res, tanto^t
originales, tanto^t confuses; mais ou` la vigueur de l'esprit et de
l'a^me se fait toujours sentir.
L'esprit de J. Paul ressemble souvent a` celui de Montaigne.
Les auteurs franc? ais de l'ancien temps ont en ge? ne? ral plus derapport avec les Allemands que les e? crivains du sie`cle de
Louis XIV; car c'est depuis ce temps-la` que la litte? rature fran-
c? aise a pris une direction classique.
T. Paul Richter est souvent sublime dans la partie se? rieuse
de ses ouvrages, mais la me? lancolie continuelle de son langage
e? branle quelquefois jusqu'a` la fatigue. Lorsque l'imagination
nous balance trop longtemps dans le vague, a` la fin les couleurs
se confondent a` nos regards , les contours s'effacent, et il ne
reste de ce qu'on a lu qu'un retentissement, au lieu d'un souve-
nir. La sensibilite? de J. Paul touche l'a^me, mais ne la fortifie
pas assez. La poe? sie de son style ressemble aux sons de l'harmo-
nica, qui ravissent d'abord et font mal au bout de quelques
instants, parce que l'exaltation qu'ils excitent n'a pas d'objet
de? termine? . L'on donne trop d'avantage aux caracte`res arides et
froids, quand on leur pre? sente la sensibilite? comme une mala-
die, tandis que c'est de toutes les faculte? s morales la plus e? ner-
gique, puisqu'elle donne le de? sir et la puissance de se de? vouer
aux autres. ,,
Parmi les e? pisodes touchants qui abondent dans les romans de
Jean Paul, dont le fond n'est presque jamais qu'un assez faible
pre? texte pour les e? pisodes, j'en vais citer trois, pris au hasard,
pour donner l'ide? e du reste. Un seigneur anglais devient aveugle
par une double cataracte; il se fait faire l'ope? ration sur un de ses
yeux; on la manque, et cet oeil est perdu sans ressource. Son
fils, sans le lui dire, e? tudie chez un oculiste, et au bout d'une
aune? e il est juge? capable d'ope? rer l'oeil que l'on peut encore ao
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? :-;:,ii DES ROMANS.
sauver a` son pe`re. Le pe`re, ignorant l'intention de son fils, croit
se remettre entre les mains d'un e? tranger, et se pre? pare, avec
fermete? , au moment qui va de? cider si le reste de sa vie se passera
dans les te? ne`bres; il recommande me^me qu'on e? loigne son fils
de sa chambre, afin qu'il ne soit pas trop e? mu en assistant a` cette
redoutable de? cision. Le fils s'approche en silence de son pe`re;
sa main ne tremble pas; caria circonstance est trop forte pour
les signes ordinaires de l'attendrissement. Toute l'a^me se con-
centre dans une seule pense? e, et l'exce`s me^me de la tendresse
donne cette pre? sence d'esprit surnaturelle, a` laquelle succe? derait
l'e? garement si l'espoir e? tait perdu. Enfin l'ope? ration re? ussit, et
le pe`re, en recouvrant la lumie`re, aperc? oit le fer bienfaisant
dans la main de son propre li Is!
Un autre roman du me^me auteur pre? sente aussi une situation
tre`s-touchante. Un jeune aveugle demande qu'on lui de? crive le
coucher du soleil, dont il sent les rayons doux et purs dans
l'atmosphe`re, comme l'adieu d'un ami. Celui qu'il interroge
lui raconte la nature dans toute sa beaute? ; mais il me^le a` cette
peinture une impression de me? lancolie qui doit consoler l'infor-
tune? prive? de la lumie`re. Sans cesse il en appelle a` la Divinite? ,
comme a` la source vive des merveilles du monde; et, ramenant
tout a` cette vue intellectuelle, dont l'aveugle jouit peut-e^tre
plus intimement encore que nous, il lui fait sentir dans l'a^me ce
que ses yeux ne peuvent plus voir.
Enfin, je risquerai la traduction d'un morceau tre`s-bizarre,
mais qui sert a` faire connai^tre le ge? nie de Jean Paul.
Baylea dit quelque part que l'athe? isme ne devrait pas mettre
a` l'abri de la crainte des souffrances e? ternelles: c'est une grande
pense? e, et sur laquelle on peut re? fle? chir longtemps. Le songe
de Jean Paul, que je vais citer, peut e^tre conside? re? comme cette
pense? e mise en action.
La vision dont il s'agit ressemble un peu au de? lire de la fie`vre
et doit e^tre juge? e comme telle. Sous tout autre rapport que celui
de l'imagination, elle serait singulie`rement attaquable.
<< Le but de cette fiction, dit Jean Paul, en excusera la har-
<< diesse. Si mon coeur e? tait jamais assez malheureux, assezdesse? -
<< che? pour qup les sentiments qui affirment l'existence d'un
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? 344 DES ROMAINS.
un singulier me? lange de l'existence commode et des sentiments orageux; une imagination pleine de gra^ce et de force s'approche
des plus grands effets pour les de? laisser tout a` coup, comme
s'il ne valait pas la peine de les produire; et l'on dirait que l'e? -
motion fait du mal a` l'e? crivain de ce roman, et que, par paresse
de coeur, il met de co^te? la moitie? de son talent, de peur de se
faire souffrir lui-me^me en attendrissant les autres.
Une question plus importante, c'est de savoir si un tel ou-
vrage est moral, c'est-a`-dire, si l'impression qu'on en rec? oit est
favorable au perfectionnement de l'a^me ; les e? ve? nements ne sont
de rien a` cet e? gard dans une fiction; on sait si bien qu'ils de? pen-
dent de la volonte? de l'auteur, qu'ils ne peuvent re? veiller la con-
science de personne: lamoralite? d'un roman consiste donc dans
les sentiments qu'il inspire. On ne saurait nier qu'il n'y ait dans"
Te livre de Goelhe uTi^e? profonde connaissance du coeur humain,
mais une connaissance de? courageante; la vie y est repre? sente? e
comme une chose assez indiffe? rente, de quelque manie`re qu'on
la passe; triste quand on l'approfondit, assez agre? able quand on l'esquive, susceptible de maladies morales qu'il faut g^e? . rir s|
l'on peut, et dont il faut mourir si l'on n'en peut gue? rir. -- Les
passions existent, les vertus existent; il y a des gens qui assu-
rent qu'il faut combattre les unes par les autres; il y en a d'au-
tres qui pre? tendent que cela ne se peut pas; voyez et jugez,
semble dire l'e? crivain qui raconte, avec impartialite? , les argu-
ments que le sort peut donner pour et contre chaque manie`re
de voir. --
On aurait tort cependant de se figurer que ce scepticisme soit
inspire? par la tendance mate? rialiste du dix-huitie`me sie`cle; les
opinions de Goethe ont bien plus de profondeur, mais elles ne
donnent pas plus de consolations a` l'a^me. On aperc? oit dans ses
e? crits une philosophie de? daigneuse, qui dit au bien comme au
mal: Cela doit e^tre, puisque cela est; un esprit prodigieux, qui
domine toutes les autres faculte? s, et se lasse du talent me^me,
comme ayant quelque chose de trop involontaire et de trop par-
tial; enfin, ce qui manque surtout a` ce roman, c'est un senti-
ment religieux ferme et positif: les principaux personnages sont
plus accessibles a` la superstition qu'a` la croyance; et l'on sent
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ROMANS. 345
que dans leur coeur, lareligion, comme l'amour, n'est que l'effet
des circonstances et pourrait varier avec elles.
Dans la marche de cet ouvrage, l'auteur se montre trop incer-
tain; les figures qu'il dessine et les opinions qu'il indique ne
laissent que des souvenirs vacillants ; il faut en convenir, beau-
coup penser conduit quelquefois a` tout e? branler dans le fond de
soi-me^me; mais un homme de ge? nie tel que Goethe doit servir
de guide a` ses admirateurs dans une route assure? e. Il n'est plus
temps de douter, il n'est plus temps de mettre, a` propos de toutes
choses, des ide? es inge? nieuses dans les deux co^te? s de la balance;
il faut se livrer a` la confiance, a` l'enthousiasme, a` l'admiration
que la jeunesse immortelle de l'a^me peut toujours entretenir en
nous-me^mes; cette jeunesse renai^t des cendres me^mes des pas-
sions: c'est le rameau d'or qui ne peut se fle? trir, et qui donne
a` la Sibylle l'entre? e dans les champs e? lysiens.
Tieck me? rite d'e^tre cite? dans plusieurs genres; il est l'auteur
d'un roman, Sternbald, dont la lecture est de? licieuse; les e? ve? -
nements y sont en petit nombre, et ce qu'il y en a n'est pas
me^me conduit jusqu'au de? nou^ment; mais on ne trouve nulle
part, je crois, une si agre? able peinture de la vie d'un artiste,
i? j'auteur place son he? ros dans le beau sie`cle des arts, et le suppose e? colier d'Albert Durer, contemporain de Raphae^l; il le fait
voyager dans diverses contre? es de l'Europe, et peint avec un
charme tout nouveau le plaisir que doivent causer les objets ex-
te? rieurs , quand on n'appartient exclusivement a` aucun pays,
ni a` aucune situation, et qu'on se prome`ne librement a` travers
la nature pour y chercher des inspirations et des mode`les. Cette
existence voyageuse et re^veuse tout a` la fois n'est bien sentie
qu'en Allemagne. Dans les romans franc? ais nous de? crivons tou-
jours les moeurs et les relations sociales; mais il y a un grand
secret de bonheur dans cette imagination qui plane sur la terre
en la parcourant, et ne se me^le point aux inte? re^ts actifs de ce
monde. Ce que le sort refuse presque toujours aux pauvres mortels ,
c'est une destine? e heureuse dont les circonstances se succe`dent
et s'enchai^nent selon nos souhaits; mais les impressions isole? es
sont pour la plupart assez douces, et le pre? sent, quand on peut
le conside? rer a` part des souvenirs et des craintes, est encore le
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 3-16 BES UMM\. \S.
meilleur moment de l'homme. Il y a donc une philosophie poe? -
tique tre`s-sage dans ces jouissances instantane? es dont l'existence
d'un artiste se compose; les sites nouveaux, les accideTTts""u'e
lumie`re qui les embellissent sont pour lui des e? ve? nements qui
commencent et finissent le me^me jour, et n'ont rien a` faire avec
le passe? ni avec l'avenir; les affections du coeur de? robent l'as-
pect de la nature, et l'on s'e? tonne , en lisant le roman de Tieck,
de toutes les merveilles qui nous environnent a` notre insu.
L'auteur a me^le? a` cet ouvrage des poe? sies de? tache? es, dont
quelques-unes sont des chefs-d'oeuvre. Lorsqu'on met des vers
dans un roman franc? ais, presque toujours ilsiuterrompent l'in-
te? re^t, et de? truisent l'harmonie de l'ensemble. Il n'en est pas
ainsi dans Sternbahl; le roman est si poe? tique en lui-me^me, que
la prose y parai^t comme un re? citatif qui succe`de au chant, ou
le pre? pare. On y trouve entre autres quelques stances sur le re-
tour du printemps, qui sont enivrantes comme la nature a` cette
e? poque. L'enfance y est pre? sente? e sous mille formes diffe? ren-
tes; l'homme, les plantes, la terre, le ciel, tout y est si jeune,
tout y est si riche d'espe? rance, qu'on dirait que le poe`te ce? le`bre
les premiers beaux jours et les premie`res fleurs qui pare`rent le
monde.
Nous avons en franc? ais plusieurs romans comiques; et l'un
des plus remarquables, c'est Gil Rlas. . le ne crois pas qu'on
puisse citer chez les Allemands un ouvrage ou` l'on se joue si
spirituellement des choses de la vie. Ils ont a` peine un monde
re? el,comment pourraient-ils de? ja` s'enmoquer? La gaiete? se? rieuse
qui ne tourne rien en plaisanterie, mais amuse sans le vouloir,
et fait rire sans avoir ri; cette gaiete? que les Anglais appellent
humour, se trouve aussi dans plusieurs e? crits allemands; mais
il est presque impossible de les traduire. Quand la plaisanterie
consiste dans une pense? e philosophique heureusement exprime? e,
comme le Gulliver de Swift, le changement de langue n'y fait
rien, mais Tristram Shandy de Sterne perd en franc? ais presque
toute sa gra^ce. Les plaisanteries qui consistent dans les formes
du langage en disent peut-e^tre a` l'esprit mille fois plus que les
ide? es, et cependant on ne peut transmettre aux e? trangers ces
impressions si vives, excite? es par des nuances si fines.
Claudius est un des auteurs allemands qui ont le plus de cette
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? DF. S HOMANS. 347
gaiete? nationale, partage exclusif de chaque litte? rature e? trange`re.
IL a publie? un recueil compose? de plusieurs pie`ces de? tache? es sur
diffe? rents sujets; il en est quelques-unes de mauvais gou^t, quel-
ques autres de peu d'importance; mais il y re`gne une originalite?
et une ve? rite? qui rendent les moindres choses piquantes. Cet
e? crivain, dont le style est reve^tu d'une apparence simple, et
quelquefois me^me vulgaire, pe? ne`tre jusqu'au fond du coeur,
par la since? rite? de ses sentiments. Il vous fait pleurer comme il
vous fait rire, parce qu'il excite en vous la sympathie, et que
vous reconnaissez un semblable et un ami dans tout ce qu'il
e? prouve. On ne peut rien extraire des e? crits de Claudius, son
talent agit comme une sensation; il faut l'avoir e? prouve? e pour
en parler. Il ressemble a` ces peintres flamands qui s'e? le`vent
quelquefois a` repre? senter ce qu'il y a de plus noble dans la na-
ture, ou a` l'Espagnol Murillo, qui peint des pauvres et des men-
diants avec une ve? rite? parfaite, mais qui leur donne souvent,
me^me a` son insu, quelques traits d'une expression noble et pro-
londe. Il faut, pour me^ler avec succe`s le comique et le pathe? ti-
que, e^tre e? minemment naturel dans l'un et dans l'autre; de`s que
le factice s'aperc? oit, tout contraste fait disparate; mais un grand
talent plein de bonhomie peut re? unir avec succe`s ce qui n'a du
charme que sur le visage de l'enfance, le sourire au milieu des
pleurs. Un autre e? crivain, plus moderne et plus ce? le`bre que Claudius,
s'est acquis une grande re? putation en Allemagne par des ouvra-
ges qu'on appellerait des romans,si une de? nomination connue
pouvait convenir a` des productions si extraordinaires. J. Paul
Richter a su^rement plus d'esprit qu'il n'en faut pour composer
un ouvrage qui inte? resserait les e? trangers autant que les Alle-
mands, et ne? anmoins rien de ce qu'il a publie? ne peut sortir de
l'Allemagne.
Ses admirateurs diront que cela tient a` l'originalite?
me^me de son ge? nie; il me semble que ses de? fauts en sont autant
la cause que ses qualite? s. Il faut, dans nos temps modernes,
avoir l'esprit europe? en; les Allemands encouragent trop dans
leurs auteurs cette hardiesse vagabonde qui, tout audacieuse
qu'elle parai^t, n'est pas toujours de? nue? e d'affectation. Madame
de Lambert disait a` son fils: -- Mon ami, ne vous permettez
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? 348 DES ROMANS.
que les sottises qui vous feront un grand plaisir. -- On pourrait
prier J. Paul de n'e^tre bizarre que malgre? lui : tout ce qu'on
dit involontairement re? pond toujours a` la nature de quelqu'un;
mais quand l'originalite? naturelle est ga^te? e par la pre? tention a`
l'originalite? , le lecteur ne jouit pas comple? tement me^me de ce
qui est vrai, par le souvenir et la crainte de ce qui ne l'est pas.
On trouve cependant des beaute? s admirables dans les ouvrages
de J. Paul; mais l'ordonnance etle cadre de ses tableaux sont
si de? fectueux, que les traits de ge? nie les plus lumineux se per-
dent dans la confusion de l'ensemble. Les e? crits deJ. Paul doi-
vent e^tre conside? re? s sous deux points de vue, la plaisanterie et
le se? rieux; car il me^le constamment l'une a` l'autre. Sa manie`re
d'observer le coeur humain est pleine de finesse et de gaiete? , mais
il ne connai^t gue`re que le coeur humain tel qu'on peut le juger
d'apre`s les petites villes d'Allemagne, et il y a souvent dans la peinture de ces moeurs quelque chose de trop innocent pour no-
tre sie`cle. Des observations si de? licates et presque si minutieuses
sur les affections morales rappellent un peu ce personnage des
contes de fe? es surnomme? Fine-Oreille, parce qu'il entendait les
plantes pousser. Sterne a bien, a` cet e? gard, quelque analogie
avec J. Paul; mais si J. Paul lui est tre`s-supe? rieur dans la partie
se? rieuse et poe? tique de ses ouvrages, Sterne a plus de gou^t et
d'e? le? gance dans la plaisanterie, et l'on voit qu'il a ve? cu dans
une socie? te? dont les rapports e? taient plus e? tendus et plus bril-
lants.
Ce serait un ouvrage bien remarquable ne? anmoins que des
pense? es extraites des ouvrages de J. Paul; mais on s'aperc? oit, en le lisant, de l'habitude singulie`re qu'il a de recueillir partout,
dans de vieux livres inconnus, dans des ouvrages de sciences, etc. ,
des me? taphores et des allusions. Les rapprochements qu'il en
tire sont presque toujours tre`s-inge? nieux: mais quand il faut de
l'e? tude et de l'attention pour saisir une plaisanterie, il n'y a gue`re
que les Allemands qui consentent a` rire a` la longue, et se don-
nent autant de peine pour comprendre ce qui les amuse que ce
qui les instruit.
Au fond de tout cela l'on trouve une foule d'ide? es nouvelles,
et si l'on y parvient, l'on s'y enrichit beaucoup; mais l'auteur a
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? DES UOMAMS.
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ne? glige? l'empreinte qu'il fallait donner a` ces tre? sors. La gaiete?
des Franc? ais vient de l'esprit de socie? te? ; celle des Italiens, de
l'imagination; celle des Anglais, de l'originalite? du caracte`re; la
gaiete? des Allemands est philosophique. Ils plaisantent avec les choses et avec les livres pluto^t qu'avec leurs semblables. Il y a
dans leur te^te un chaos de connaissances qu'une imagination
inde? pendante et fantasque combine de mille manie`res, tanto^t
originales, tanto^t confuses; mais ou` la vigueur de l'esprit et de
l'a^me se fait toujours sentir.
L'esprit de J. Paul ressemble souvent a` celui de Montaigne.
Les auteurs franc? ais de l'ancien temps ont en ge? ne? ral plus derapport avec les Allemands que les e? crivains du sie`cle de
Louis XIV; car c'est depuis ce temps-la` que la litte? rature fran-
c? aise a pris une direction classique.
T. Paul Richter est souvent sublime dans la partie se? rieuse
de ses ouvrages, mais la me? lancolie continuelle de son langage
e? branle quelquefois jusqu'a` la fatigue. Lorsque l'imagination
nous balance trop longtemps dans le vague, a` la fin les couleurs
se confondent a` nos regards , les contours s'effacent, et il ne
reste de ce qu'on a lu qu'un retentissement, au lieu d'un souve-
nir. La sensibilite? de J. Paul touche l'a^me, mais ne la fortifie
pas assez. La poe? sie de son style ressemble aux sons de l'harmo-
nica, qui ravissent d'abord et font mal au bout de quelques
instants, parce que l'exaltation qu'ils excitent n'a pas d'objet
de? termine? . L'on donne trop d'avantage aux caracte`res arides et
froids, quand on leur pre? sente la sensibilite? comme une mala-
die, tandis que c'est de toutes les faculte? s morales la plus e? ner-
gique, puisqu'elle donne le de? sir et la puissance de se de? vouer
aux autres. ,,
Parmi les e? pisodes touchants qui abondent dans les romans de
Jean Paul, dont le fond n'est presque jamais qu'un assez faible
pre? texte pour les e? pisodes, j'en vais citer trois, pris au hasard,
pour donner l'ide? e du reste. Un seigneur anglais devient aveugle
par une double cataracte; il se fait faire l'ope? ration sur un de ses
yeux; on la manque, et cet oeil est perdu sans ressource. Son
fils, sans le lui dire, e? tudie chez un oculiste, et au bout d'une
aune? e il est juge? capable d'ope? rer l'oeil que l'on peut encore ao
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? :-;:,ii DES ROMANS.
sauver a` son pe`re. Le pe`re, ignorant l'intention de son fils, croit
se remettre entre les mains d'un e? tranger, et se pre? pare, avec
fermete? , au moment qui va de? cider si le reste de sa vie se passera
dans les te? ne`bres; il recommande me^me qu'on e? loigne son fils
de sa chambre, afin qu'il ne soit pas trop e? mu en assistant a` cette
redoutable de? cision. Le fils s'approche en silence de son pe`re;
sa main ne tremble pas; caria circonstance est trop forte pour
les signes ordinaires de l'attendrissement. Toute l'a^me se con-
centre dans une seule pense? e, et l'exce`s me^me de la tendresse
donne cette pre? sence d'esprit surnaturelle, a` laquelle succe? derait
l'e? garement si l'espoir e? tait perdu. Enfin l'ope? ration re? ussit, et
le pe`re, en recouvrant la lumie`re, aperc? oit le fer bienfaisant
dans la main de son propre li Is!
Un autre roman du me^me auteur pre? sente aussi une situation
tre`s-touchante. Un jeune aveugle demande qu'on lui de? crive le
coucher du soleil, dont il sent les rayons doux et purs dans
l'atmosphe`re, comme l'adieu d'un ami. Celui qu'il interroge
lui raconte la nature dans toute sa beaute? ; mais il me^le a` cette
peinture une impression de me? lancolie qui doit consoler l'infor-
tune? prive? de la lumie`re. Sans cesse il en appelle a` la Divinite? ,
comme a` la source vive des merveilles du monde; et, ramenant
tout a` cette vue intellectuelle, dont l'aveugle jouit peut-e^tre
plus intimement encore que nous, il lui fait sentir dans l'a^me ce
que ses yeux ne peuvent plus voir.
Enfin, je risquerai la traduction d'un morceau tre`s-bizarre,
mais qui sert a` faire connai^tre le ge? nie de Jean Paul.
Baylea dit quelque part que l'athe? isme ne devrait pas mettre
a` l'abri de la crainte des souffrances e? ternelles: c'est une grande
pense? e, et sur laquelle on peut re? fle? chir longtemps. Le songe
de Jean Paul, que je vais citer, peut e^tre conside? re? comme cette
pense? e mise en action.
La vision dont il s'agit ressemble un peu au de? lire de la fie`vre
et doit e^tre juge? e comme telle. Sous tout autre rapport que celui
de l'imagination, elle serait singulie`rement attaquable.
<< Le but de cette fiction, dit Jean Paul, en excusera la har-
<< diesse. Si mon coeur e? tait jamais assez malheureux, assezdesse? -
<< che? pour qup les sentiments qui affirment l'existence d'un
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