re^t
personnel
bien
ou mal entendu,c'est vouloir combler l'abi^me qui se?
ou mal entendu,c'est vouloir combler l'abi^me qui se?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
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? 466 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
hommes elles choses. Les ide? es communes sont ne? cessaires a` la
conduite de la vie ; les affaires exigent l'esprit d'exe? cution pluto^t
que celui d'invention : ce qu'il y a de bizarre dans les diffe? rentes
manie`res de voir des Allemands tend a` les isoler les uns des au-
tres, car les pense? es et les inte? re^ts qui re? unissent les hommes
entre eux doivent e^tre d'une nature simple et d'une ve? rite? frap-
pante.
Le me? pris du danger, de la souffrance et de la mort, n'est
pas assez universel dans toutes les classes de la nation alle-
mande. Sans doute la vie a plus de prix pour des hommes capa-
bles de sentiments et d'ide? es, que pour ceux qui ne laissent apre`s
eux ni traces ni souvenirs; mais de me^me que l'enthousiasme
poe? tique peut se renouveler par le plus haut degre? des lumie`res,
la fermete? raisonne? e devrait remplacer l'instinct de l'ignorance.
C'est a` la philosophie fonde? e sur la religion qu'il appartiendrait
d'inspirer dans toutes les occasions un courage inalte? rable. Si toutefois la philosophie ne s'est pas montre? e toute-puissante
a` cet e? gard. en Allemagne, il ne faut pas pour cela la de? daigner;
elle soutient, elle e? claire chaque homme en particulier; mais le
gouvernement seul peut exciter cette e? lectricite? morale qui fait
e? prouver le me^me sentiment a` tous. On est plus irrite? contre les
Allemands, quand on les voit manquer d'e? nergie, que contre
les Italiens, dont la situation politique a depuis plusieurs sie`cles
affaibli le caracte`re. Les Italiens conservent toute leur vie, par
leur gra^ce et leur imagination , des droits prolonge? s a` l'enfance;
mais les physionomies et les manie`res rudes des Germains sem-
blent annoncer une a^me ferme, et l'on est de? sagre? ablement sur-
pris quand on ne la trouve pas. Enii^u , la faiblesse du caracte`re
se pardonne quand elle est avoue? e, et, dans ce genre, les Italiens
ont une franchise singulie`re qui inspire une sorte d'inte? re^t. tan-
dis que les Allemands, n'osant confesser cette faiblesse qui leur
va si mal, sont flatteurs avec e? nergie et vigoureusement soumis.
Ils accentuent durement les paroles, pour cacher la souplesse
des sentiments, et se servent de raisonnements philosophiques
pour expliquer ce qu'il y a de moins philosophique au monde:
le respect pour la force, etl'attendrissement de la peur, qui change
ce respect en admiration.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 467
C'est a` de tels contrastes qu'il faut attribuer la disgra^ce alle-
mande , que l'on se plai^t a` contrefaire dans les come? dies de tous
les pays. Il est permis d'e^tre lourd et roide, lorsqu'on reste se? ve`re
et ferme; mais, si l'on reve^t cette roideur naturelle du faux sou-
rire de la servilite? , c'est alors que l'on s'expose au ridicule me? -
rite? , le seul qui reste. Enfin, il y a une certaine maladresse dans
le caracte`re des Allemands, nuisible a` ceux me^me qui auraient
la meilleure envie de tout sacrifier a` leur inte? re^t, et l'on s'impatiente d'autant plus contre eux, qu'ils perdent les honneurs de
la vertu, sans arriver aux profits de l'habilete? .
Tout en reconnaissant que la philosophie allemande est insuf-
fisante pour former une nation , il faut convenir que les disci-
ples de la nouvelle e? cole sont beaucoup plus pre`s que tous les
autres d'avoir de la force dans le caracte`re; ils la re^vent, ils la
de? sirent, ils la conc? oivent; mais elle leur manque souvent. Il y
a tre`s-peu d'hommes en Allemagne qui sachent seulement e? crire
sur la politique. La plupart de ceux qui s'en me^lent sont sys-
te? matiques, et tre`s-souvent inintelligibles. Quand il s'agit de la
me? taphysique transcendante, quand on s'essaye a` se plonger
dans les te? ne`bres dela nature, aucun aperc? u,quelque vague
qu'il soit, n'esta de? daigner, tous les pressentiments peuvent
guider, tous les a` peupre`s sont encore beaucoup. Il n'en est
pas ainsi des affaires de ce monde: il est possible de les savoir,
il faut donc les pre? senter avec clarte? . L'obscurite? dans le style,
lorsqu'on traite des pense? es sans bornes, est quelquefois l'indice
de l'e? tendue me^me de l'esprit : mais l'obscurite? dans l'analyse
deschosesde la vie prouve seulement qu'on ne les comprend pas.
Lorsqu'on fait intervenir la me? taphysique dans les affaires,
elle sert a` tout confondre pour tout excuser, et l'on pre? pare
ainsi des brouillards pour asile a` sa conscience. L'emploi de
cette me? taphysique serait de l'adresse, si, de nos jours, tout
n'e? taitpas re? duit a` deux ide? es tre`s-simples et tre`s-claires, l'in-
te? re^t ou le devoir. Les hommes e? nergiques, quelle que soit celle
de ces deux directions qu'ils suivent, vont tout droit au but sans
s'embarrasser des the? ories, qui ne trompent ni ne persuadent plus
personne.
Vous en voila` donc revenue, dira-t-on, a` vanter, comme nous,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? . 4fiH DE LA MORALE.
l'expe? rience et l'observation. -- Je n'ai jamais nie? qu'il ne fallu^t
l'une et l'autre pour se me^ler des inte? re^ts de ce monde; mais
c'est dans la conscience de l'homme que doit e^tre le principe
ide? al d'une conduite exte? rieurement dirige? e par de sages calculs.
Les sentiments divins sont ici-bas en proie aux choses terrestres,
c'est la condition de l'existence. Le beau est dans notre a^me ; et
la lutte au dehors. Il faut combattre pour la cause de l'e? ternite? ,
mais avec les armes du temps; nul individu n'arrive, ni par la
philosophie spe? culative, ni par la connaissance des affaires seu-
lement, a` toute la dignite? du caracte`re de l'homme; et les ins-
titutions libres ont seules l'avantage de fonder dans les nations
une morale publique qui donne aux sentiments exalte? s l'occa-
sion de se de? velopper dans la pratique de la vie.
CHAPITRE XII.
De la morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel.
Les e? crivains franc? ais ont eu tout a` fait raison de conside? rer
la morale fonde? e sur l'inte? re^t comme une conse? quence de la me? -
taphysique qui attribuait toutes les ide? es aux sensations. S'il
n'y a rien dans l'a^me que ce que les sensations y ont mis, l'a-
gre? able ou le de? sagre? able doit e^tre l'unique mobile de notre vo-
lonte? . Helve? tius, Diderot, Saint-Lambert, n'ont pas de? vie? de
cette ligne, et ils ont explique? toutes les actions, y compris le
de? vouement des martyrs, par l'amour de soi-me^me. Les An-
glais, qui, pour la plupart, professent en me? taphysique la phi-
losophie expe? rimentale, n'ont jamais pu supporter cependant la
morale fonde? e sur l'inte? re^t. Shaftsbury, Hutcheson, Smith, etc. ,
ont proclame? le sens moral et la sympathie comme la source
de toutes les vertus. Hume lui-me^me, le plus sceptique des
philosophes anglais, n'a pu lire sans de? gou^tcette the? orie de
l'amour de soi, qui fle? trit la beaute? de l'a^me. Rien n'est plus op-
pose? que ce syste`me a` l'ensemble des opinions des Allemands:
aussi les e? crivains philosophiques et moralistes, a` la te^te des-
quels il faut placer Kant, Fichte etJacobi, l'ont-ils combattu
victorieusement.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA MORALE. 4fi9
Comme la tendance des hommes vers le bonheur est la plus
universelle et la plus active de toutes, on a cru fonder la mo-
ralite? de la manie`re la plus solide, en disant qu'elle consistait
dans l'inte? re^t personnel bien entendu. Cette ide? e a se? duit des
hommes de bonne foi, et d'autres se sont propose? d'en abuser,
et n'y ont que trop bien re? ussi. Sans doute, les lois ge? ne? rales de
la nature et de la socie? te? mettent en harmonie le bonheur et la
vertu; mais ces lois sont sujettes a` des exceptions tre`s-nom-
breuses , et paraissent en avoir encore plus qu'elles n'en ont.
L'on e? chappe aux arguments tire? s de la prospe? rite? du vice et
des revers de la vertu, en faisant consister le bonheur dans
la satisfaction de la conscience; mais cette satisfaction, d'un
ordre tout a` fait religieux, n'a point de rapport avec ce qu'on
de? signe ici-bas par le mot de bonheur. Appeler le de? vouement
ou l'e? goi? sme, le crime ou la vertu, un inte?
re^t personnel bien
ou mal entendu,c'est vouloir combler l'abi^me qui se? pare l'homme
coupable de l'homme honne^te, c'est de? truire le respect, c'est
affaiblir l'indignation; car si la morale n'est qu'un bon calcul,
celui qui peut y manquer ne doit e^tre accuse? que d'avoir l'esprit
faux. L'on ne saurait e? prouver le noble sentiment de l'estime
pour quelqu'un, parce qu'il calcule bien, ni la vigueur du me? pris
contre un autre, parce qu'il calcule mal. On est donc parvenu
par ce syste`me au but principal de tous les hommes corrompus,
qui veulent mettre de niveau le juste avec l'injuste, ou du moins
conside? rer l'un et l'autre comme une partie bien ou mal joue? e:
aussi, les philosophes de cette e? cole se servent-ils plus souvent
du mot de faute que de celui de crime; car, d'apre`s leur ma-
nie`re de voir, il n'y a dans la conduite de la vie que des com-
binaisons habiles ou maladroites.
On ne concevrait pas non plus comment le remords pourrait
entrer dans un pareil syste`me; le criminel, lorsqu'il est puni,
doit e? prouver le genre de regret que cause unespe? culation manque? e; car si notre propre bonheur est notre principal objet, si
nous sommes l'unique but de nous-me^mes, la paix doit e^tre bien-
to^t re? tablie entre ces deux proches allie? s, celui qui a eu tort et
celui qui en souffre. C'est presque un proverbe ge? ne? ralement
admis, que, dans ce qui ne concerne que soi, chacun est libre;
MADAME DE STAF. L. 40
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 470 DE LA MORALE.
or, puisque dans la morale fonde? e sur l'inte? re^t, il ne s'agit ja-
mais que de soi, je ne sais pas ce qu'on aurait a` re? pondre a` ce-
lui qui dirait : << Vous me donnez pour mobile de mes actions
mon propre avantage; bien oblige? : mais la manie`re de conce-
<<voir cet avantage de? pend ne? cessairement du caracte`re de cha-
*cun. J'ai du courage, ainsi je puis braver mieux qu'un autre
<< les pe? rils attache? s a` la de? sobe? issance aux lois reeues ; j'ai de
<< l'esprit, ainsi je me crois plus de moyens pour e? viter d'e^tre
puni; enfin, si cela'me tourne mal, j'ai assez de fermete?
pour prendre mon parti de m'e^tre trompe? ; et j'aime mieux les
<< plaisirs et les hasards d'un gros jeu que la monotonie d'une
<< existence re? gulie`re. >>
Combien d'ouvrages franc? ais, dans le dernier sie`cle, n'ont-
ils pas commente? ces arguments, qu'on ne saurait re? futer
comple? tement; car, en fait de chances , une- sur mille peut suf-
fire pour exciter l'imagination a` tout faire pour l'obtenir; et,
certes, il y a plus d'un contre mille a` parier en faveur des succe`s
du vice. -- Mais, diront beaucoup d'honne^tes partisans dela
morale fonde? e sur l'inte? re^t, cette morale n'exclut pas l'influence
de la religion sur les a^mes. Quelle faible et triste part lui laisse-t-on! Lorsque tous les syste`mes admis en philosophie comme
en morale sont contraires a` la religion, que la me? taphysique
ane? antit la croyance a` l'invisible, et la moralele sacrifice de soi,
la religion reste dans les ide? es, comme le roi restait dans la
constitution que l'assemble? e constituante avait de? cre? te? e. C'e? tait
une re? publique, plus un roi; je dis de me^me que tous ces sys-
te`mes de me? taphysique mate? rialiste et de moralite? e? goi? ste sont
de l'athe? isme, plus un Dieu. Il est donc aise? de pre? voir ce qui
sera sacrifie? dans l'e? difice des pense? es, quand l'on n'y donne
qu'une place superflue a` l'ide? e centrale du monde et de nous-me^mes.
La conduite d'un homme n'est vraiment morale que quand
il ne compte jamais pour rien les suites heureuses ou malheu-
reuses de ses actions, lorsque ces actions sontdicte? es par le devoir.
Il faut avoir toujours pre? sent a` l'esprit, dans la direction des
affaires de ce monde, l'enchai^nement des causes et des effets,
des moyens et du but; mais cette prudence est a` la vertu comme
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? DE LA MOEALE. 47 I
le bon sens au ge? nie: tout ce qui est vraiment beau est inspire? ,
tout ce qui est de? sinte? resse? est religieux. Le calcul est l'ouvrier
du ge? nie, le serviteur de l'a^me; mais, s'il devient le mai^tre, il
n'y a plus rien de grand ni de noble dans l'homme. Le calcul,
dans la conduite de la vie, doit e^tre toujours admis comme guide,
mais jamais comme motif de nos actions. C'est un bon moyen
d'exe? cution , mais il faut que la source de la volonte? soit d'une
nature plus e? leve? e, et qu'on ait en soi-me^me un sentiment qui
nous force aux sacrifices de nos inte? re^ts personnels.
Lorsqu'on voulait empe^cher saint Vincent de Paule de s'ex-
poser aux plus grands pe? rils pour secourir les malheureux,
il re? pondait : << Me croyez-vous assez la^che pour pre? fe? rer ma vie
a` moi? >> Si les partisans de la morale fonde? e sur l'inte? re^t veu-
lent retrancher de cet inte? re^t tout ce qui concerne l'existence
terrestre, alors ils seront d'accord avec les hommes les plus re-
ligieux; mais encore pourra-t-on leur reprocher les mauvaises
expressions dont ils se servent.
En effet, dira-t-on,il ne s'agit que d'une dispute de mots;
nous appelons utile ce que vous appelez vertueux, mais nous
plac? ons de me^me l'inte? re^t bien entendu des hommes dans le
sacrifice de leurs passions a` leurs devoirs. Les disputes de mots
sont toujours des disputes de choses; car tous les gens de
bonne foi conviendront qu'ils ne tiennent a` tel ou tel mot que
par pre? fe? rence pour telle ou telle ide? e; comment les expressions
habituellement employe? es dans les rapports les plus vulgaires
pourraient-elles inspirer des sentiments ge? ne? reux? En pronon-
c? ant les mots d'inte? re^t et d'utilite? , re? veillera-t-on les me^mes
pense? es dans notre coeur, qu'en nous adjurant au nom du de? -
vouement et de la vertu? Lorsque Thomas Morus aima mieux pe? rir sur l'e? chafaud que
de remonter au fai^te des grandeurs, en faisant le sacrifice d'un
scrupule de conscience; lorsque, apre`s une anne? e de prison,
affaibli parla souffrance, il refusa d'aller retrouver sa femme
et ses enfants qu'il che? rissait, et de se livrer de nouveau a` ces
occupations de l'esprit qui donnent tout a` la fois tant de calme
etd'activite? a` l'existence; lorsque l'honneur seul, cette religion
mondaine, fit retourner dans les prisons d'Angleterre un vieux
roi de France, parce que son fils n'avait pas tenu les promesse*
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? 472 DE LA U01ULE.
au nom desquelles il avait obtenu sa liberte? ; lorsque les chre? -
tiens vivaient dans les catacombes, qu'ils renonc? aient a` la lu-
mie`re du jour, et ne sentaient le ciel que dans leur a^me, si quel-
qu'un avait dit qu'ils entendaient bien leur inte? re^t, quel froid
glace? se serait re? pandu dans les veines en l'e? coutant, et combien
un regard attendri nous eu^t mieux re? ve? le? tout ce qu'il y a de
sublime dans de tels hommes!
Non , certes, la vie n'est pas si aride que l'e? goi? sme nous l'a
faite; tout n'y est pas prudence, tout n'y est pas calcul; et
quand une action sublime e? branle toutes les puissances de notre
e^tre, nous ne pensons pas que l'homme ge? ne? reux qui se sacrifie
a bien connu, bien combine? son inte? re^t personnel; nous pensons
qu'il immole tous les plaisirs, tous les avantages de ce monde,
mais qu'un rayon divin descend dans son coeur, pour lui causer
un genre de fe? licite? qui ne ressemble pas plus a` tout ce que nous
reve^tons de ce nom, que l'immortalite? a` la vie.
Ce n'est pas sans motif cependant qu'on met tant d'importance
a` fonder la morale sur l'inte? re^t personnel : on a l'air de ne sou-
tenir qu'une the? orie, et c'est en re? sultat une combinaison tre`s-
inge? nieuse , pour e? tablir le joug de tous les genres d'autorite? .
Nul homme, quelque de? prave? qu'il soit, ne dira qu'il ne faut pas
de morale; car celui me^me qui serait le plus de? cide? a` en man-
quer, voudrait encore avoir affaire a` des dupes qui la conservas-
sent. Mais quelle adresse, d'avoir donne? pour base a` la morale
la prudence! quel acce`s ouvert a` l'ascendant du pouvoir, aux
transactions de la conscience, a` tous les mobiles conseils des
e? ve? nements!
Si le calcul doit pre? sider a` tout, les actions des hommes seront
juge? es d'apre`s le succe`s; l'homme dont les bons sentiments ont
cause? le malheur sera justement bla^me? ; l'homme pervers, mais
habile, sera justement applaudi. Enfin, les individus ne se con-
side? rant entre eux que comme des obstacles ou des instruments,
ils se hai? ront comme des obstacles, et ne s'estimeront plus que
comme moyens. Le crime me^me a plus de grandeur, quand il
tient au de? sordre des passions enflamme? es, que lorsqu'il a pour
objet l'inte? re^t personnel ; comment donc pourrait-on donner pour
principe a` la vertu ce qui de? shonorerait me^me le crime '!
1 Dans l'ouvrage de Bcnlham sui- la le? gislation, publie? , ou pluto^t illustre?
? 466 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
hommes elles choses. Les ide? es communes sont ne? cessaires a` la
conduite de la vie ; les affaires exigent l'esprit d'exe? cution pluto^t
que celui d'invention : ce qu'il y a de bizarre dans les diffe? rentes
manie`res de voir des Allemands tend a` les isoler les uns des au-
tres, car les pense? es et les inte? re^ts qui re? unissent les hommes
entre eux doivent e^tre d'une nature simple et d'une ve? rite? frap-
pante.
Le me? pris du danger, de la souffrance et de la mort, n'est
pas assez universel dans toutes les classes de la nation alle-
mande. Sans doute la vie a plus de prix pour des hommes capa-
bles de sentiments et d'ide? es, que pour ceux qui ne laissent apre`s
eux ni traces ni souvenirs; mais de me^me que l'enthousiasme
poe? tique peut se renouveler par le plus haut degre? des lumie`res,
la fermete? raisonne? e devrait remplacer l'instinct de l'ignorance.
C'est a` la philosophie fonde? e sur la religion qu'il appartiendrait
d'inspirer dans toutes les occasions un courage inalte? rable. Si toutefois la philosophie ne s'est pas montre? e toute-puissante
a` cet e? gard. en Allemagne, il ne faut pas pour cela la de? daigner;
elle soutient, elle e? claire chaque homme en particulier; mais le
gouvernement seul peut exciter cette e? lectricite? morale qui fait
e? prouver le me^me sentiment a` tous. On est plus irrite? contre les
Allemands, quand on les voit manquer d'e? nergie, que contre
les Italiens, dont la situation politique a depuis plusieurs sie`cles
affaibli le caracte`re. Les Italiens conservent toute leur vie, par
leur gra^ce et leur imagination , des droits prolonge? s a` l'enfance;
mais les physionomies et les manie`res rudes des Germains sem-
blent annoncer une a^me ferme, et l'on est de? sagre? ablement sur-
pris quand on ne la trouve pas. Enii^u , la faiblesse du caracte`re
se pardonne quand elle est avoue? e, et, dans ce genre, les Italiens
ont une franchise singulie`re qui inspire une sorte d'inte? re^t. tan-
dis que les Allemands, n'osant confesser cette faiblesse qui leur
va si mal, sont flatteurs avec e? nergie et vigoureusement soumis.
Ils accentuent durement les paroles, pour cacher la souplesse
des sentiments, et se servent de raisonnements philosophiques
pour expliquer ce qu'il y a de moins philosophique au monde:
le respect pour la force, etl'attendrissement de la peur, qui change
ce respect en admiration.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 467
C'est a` de tels contrastes qu'il faut attribuer la disgra^ce alle-
mande , que l'on se plai^t a` contrefaire dans les come? dies de tous
les pays. Il est permis d'e^tre lourd et roide, lorsqu'on reste se? ve`re
et ferme; mais, si l'on reve^t cette roideur naturelle du faux sou-
rire de la servilite? , c'est alors que l'on s'expose au ridicule me? -
rite? , le seul qui reste. Enfin, il y a une certaine maladresse dans
le caracte`re des Allemands, nuisible a` ceux me^me qui auraient
la meilleure envie de tout sacrifier a` leur inte? re^t, et l'on s'impatiente d'autant plus contre eux, qu'ils perdent les honneurs de
la vertu, sans arriver aux profits de l'habilete? .
Tout en reconnaissant que la philosophie allemande est insuf-
fisante pour former une nation , il faut convenir que les disci-
ples de la nouvelle e? cole sont beaucoup plus pre`s que tous les
autres d'avoir de la force dans le caracte`re; ils la re^vent, ils la
de? sirent, ils la conc? oivent; mais elle leur manque souvent. Il y
a tre`s-peu d'hommes en Allemagne qui sachent seulement e? crire
sur la politique. La plupart de ceux qui s'en me^lent sont sys-
te? matiques, et tre`s-souvent inintelligibles. Quand il s'agit de la
me? taphysique transcendante, quand on s'essaye a` se plonger
dans les te? ne`bres dela nature, aucun aperc? u,quelque vague
qu'il soit, n'esta de? daigner, tous les pressentiments peuvent
guider, tous les a` peupre`s sont encore beaucoup. Il n'en est
pas ainsi des affaires de ce monde: il est possible de les savoir,
il faut donc les pre? senter avec clarte? . L'obscurite? dans le style,
lorsqu'on traite des pense? es sans bornes, est quelquefois l'indice
de l'e? tendue me^me de l'esprit : mais l'obscurite? dans l'analyse
deschosesde la vie prouve seulement qu'on ne les comprend pas.
Lorsqu'on fait intervenir la me? taphysique dans les affaires,
elle sert a` tout confondre pour tout excuser, et l'on pre? pare
ainsi des brouillards pour asile a` sa conscience. L'emploi de
cette me? taphysique serait de l'adresse, si, de nos jours, tout
n'e? taitpas re? duit a` deux ide? es tre`s-simples et tre`s-claires, l'in-
te? re^t ou le devoir. Les hommes e? nergiques, quelle que soit celle
de ces deux directions qu'ils suivent, vont tout droit au but sans
s'embarrasser des the? ories, qui ne trompent ni ne persuadent plus
personne.
Vous en voila` donc revenue, dira-t-on, a` vanter, comme nous,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? . 4fiH DE LA MORALE.
l'expe? rience et l'observation. -- Je n'ai jamais nie? qu'il ne fallu^t
l'une et l'autre pour se me^ler des inte? re^ts de ce monde; mais
c'est dans la conscience de l'homme que doit e^tre le principe
ide? al d'une conduite exte? rieurement dirige? e par de sages calculs.
Les sentiments divins sont ici-bas en proie aux choses terrestres,
c'est la condition de l'existence. Le beau est dans notre a^me ; et
la lutte au dehors. Il faut combattre pour la cause de l'e? ternite? ,
mais avec les armes du temps; nul individu n'arrive, ni par la
philosophie spe? culative, ni par la connaissance des affaires seu-
lement, a` toute la dignite? du caracte`re de l'homme; et les ins-
titutions libres ont seules l'avantage de fonder dans les nations
une morale publique qui donne aux sentiments exalte? s l'occa-
sion de se de? velopper dans la pratique de la vie.
CHAPITRE XII.
De la morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel.
Les e? crivains franc? ais ont eu tout a` fait raison de conside? rer
la morale fonde? e sur l'inte? re^t comme une conse? quence de la me? -
taphysique qui attribuait toutes les ide? es aux sensations. S'il
n'y a rien dans l'a^me que ce que les sensations y ont mis, l'a-
gre? able ou le de? sagre? able doit e^tre l'unique mobile de notre vo-
lonte? . Helve? tius, Diderot, Saint-Lambert, n'ont pas de? vie? de
cette ligne, et ils ont explique? toutes les actions, y compris le
de? vouement des martyrs, par l'amour de soi-me^me. Les An-
glais, qui, pour la plupart, professent en me? taphysique la phi-
losophie expe? rimentale, n'ont jamais pu supporter cependant la
morale fonde? e sur l'inte? re^t. Shaftsbury, Hutcheson, Smith, etc. ,
ont proclame? le sens moral et la sympathie comme la source
de toutes les vertus. Hume lui-me^me, le plus sceptique des
philosophes anglais, n'a pu lire sans de? gou^tcette the? orie de
l'amour de soi, qui fle? trit la beaute? de l'a^me. Rien n'est plus op-
pose? que ce syste`me a` l'ensemble des opinions des Allemands:
aussi les e? crivains philosophiques et moralistes, a` la te^te des-
quels il faut placer Kant, Fichte etJacobi, l'ont-ils combattu
victorieusement.
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? DE LA MORALE. 4fi9
Comme la tendance des hommes vers le bonheur est la plus
universelle et la plus active de toutes, on a cru fonder la mo-
ralite? de la manie`re la plus solide, en disant qu'elle consistait
dans l'inte? re^t personnel bien entendu. Cette ide? e a se? duit des
hommes de bonne foi, et d'autres se sont propose? d'en abuser,
et n'y ont que trop bien re? ussi. Sans doute, les lois ge? ne? rales de
la nature et de la socie? te? mettent en harmonie le bonheur et la
vertu; mais ces lois sont sujettes a` des exceptions tre`s-nom-
breuses , et paraissent en avoir encore plus qu'elles n'en ont.
L'on e? chappe aux arguments tire? s de la prospe? rite? du vice et
des revers de la vertu, en faisant consister le bonheur dans
la satisfaction de la conscience; mais cette satisfaction, d'un
ordre tout a` fait religieux, n'a point de rapport avec ce qu'on
de? signe ici-bas par le mot de bonheur. Appeler le de? vouement
ou l'e? goi? sme, le crime ou la vertu, un inte?
re^t personnel bien
ou mal entendu,c'est vouloir combler l'abi^me qui se? pare l'homme
coupable de l'homme honne^te, c'est de? truire le respect, c'est
affaiblir l'indignation; car si la morale n'est qu'un bon calcul,
celui qui peut y manquer ne doit e^tre accuse? que d'avoir l'esprit
faux. L'on ne saurait e? prouver le noble sentiment de l'estime
pour quelqu'un, parce qu'il calcule bien, ni la vigueur du me? pris
contre un autre, parce qu'il calcule mal. On est donc parvenu
par ce syste`me au but principal de tous les hommes corrompus,
qui veulent mettre de niveau le juste avec l'injuste, ou du moins
conside? rer l'un et l'autre comme une partie bien ou mal joue? e:
aussi, les philosophes de cette e? cole se servent-ils plus souvent
du mot de faute que de celui de crime; car, d'apre`s leur ma-
nie`re de voir, il n'y a dans la conduite de la vie que des com-
binaisons habiles ou maladroites.
On ne concevrait pas non plus comment le remords pourrait
entrer dans un pareil syste`me; le criminel, lorsqu'il est puni,
doit e? prouver le genre de regret que cause unespe? culation manque? e; car si notre propre bonheur est notre principal objet, si
nous sommes l'unique but de nous-me^mes, la paix doit e^tre bien-
to^t re? tablie entre ces deux proches allie? s, celui qui a eu tort et
celui qui en souffre. C'est presque un proverbe ge? ne? ralement
admis, que, dans ce qui ne concerne que soi, chacun est libre;
MADAME DE STAF. L. 40
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? 470 DE LA MORALE.
or, puisque dans la morale fonde? e sur l'inte? re^t, il ne s'agit ja-
mais que de soi, je ne sais pas ce qu'on aurait a` re? pondre a` ce-
lui qui dirait : << Vous me donnez pour mobile de mes actions
mon propre avantage; bien oblige? : mais la manie`re de conce-
<<voir cet avantage de? pend ne? cessairement du caracte`re de cha-
*cun. J'ai du courage, ainsi je puis braver mieux qu'un autre
<< les pe? rils attache? s a` la de? sobe? issance aux lois reeues ; j'ai de
<< l'esprit, ainsi je me crois plus de moyens pour e? viter d'e^tre
puni; enfin, si cela'me tourne mal, j'ai assez de fermete?
pour prendre mon parti de m'e^tre trompe? ; et j'aime mieux les
<< plaisirs et les hasards d'un gros jeu que la monotonie d'une
<< existence re? gulie`re. >>
Combien d'ouvrages franc? ais, dans le dernier sie`cle, n'ont-
ils pas commente? ces arguments, qu'on ne saurait re? futer
comple? tement; car, en fait de chances , une- sur mille peut suf-
fire pour exciter l'imagination a` tout faire pour l'obtenir; et,
certes, il y a plus d'un contre mille a` parier en faveur des succe`s
du vice. -- Mais, diront beaucoup d'honne^tes partisans dela
morale fonde? e sur l'inte? re^t, cette morale n'exclut pas l'influence
de la religion sur les a^mes. Quelle faible et triste part lui laisse-t-on! Lorsque tous les syste`mes admis en philosophie comme
en morale sont contraires a` la religion, que la me? taphysique
ane? antit la croyance a` l'invisible, et la moralele sacrifice de soi,
la religion reste dans les ide? es, comme le roi restait dans la
constitution que l'assemble? e constituante avait de? cre? te? e. C'e? tait
une re? publique, plus un roi; je dis de me^me que tous ces sys-
te`mes de me? taphysique mate? rialiste et de moralite? e? goi? ste sont
de l'athe? isme, plus un Dieu. Il est donc aise? de pre? voir ce qui
sera sacrifie? dans l'e? difice des pense? es, quand l'on n'y donne
qu'une place superflue a` l'ide? e centrale du monde et de nous-me^mes.
La conduite d'un homme n'est vraiment morale que quand
il ne compte jamais pour rien les suites heureuses ou malheu-
reuses de ses actions, lorsque ces actions sontdicte? es par le devoir.
Il faut avoir toujours pre? sent a` l'esprit, dans la direction des
affaires de ce monde, l'enchai^nement des causes et des effets,
des moyens et du but; mais cette prudence est a` la vertu comme
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? DE LA MOEALE. 47 I
le bon sens au ge? nie: tout ce qui est vraiment beau est inspire? ,
tout ce qui est de? sinte? resse? est religieux. Le calcul est l'ouvrier
du ge? nie, le serviteur de l'a^me; mais, s'il devient le mai^tre, il
n'y a plus rien de grand ni de noble dans l'homme. Le calcul,
dans la conduite de la vie, doit e^tre toujours admis comme guide,
mais jamais comme motif de nos actions. C'est un bon moyen
d'exe? cution , mais il faut que la source de la volonte? soit d'une
nature plus e? leve? e, et qu'on ait en soi-me^me un sentiment qui
nous force aux sacrifices de nos inte? re^ts personnels.
Lorsqu'on voulait empe^cher saint Vincent de Paule de s'ex-
poser aux plus grands pe? rils pour secourir les malheureux,
il re? pondait : << Me croyez-vous assez la^che pour pre? fe? rer ma vie
a` moi? >> Si les partisans de la morale fonde? e sur l'inte? re^t veu-
lent retrancher de cet inte? re^t tout ce qui concerne l'existence
terrestre, alors ils seront d'accord avec les hommes les plus re-
ligieux; mais encore pourra-t-on leur reprocher les mauvaises
expressions dont ils se servent.
En effet, dira-t-on,il ne s'agit que d'une dispute de mots;
nous appelons utile ce que vous appelez vertueux, mais nous
plac? ons de me^me l'inte? re^t bien entendu des hommes dans le
sacrifice de leurs passions a` leurs devoirs. Les disputes de mots
sont toujours des disputes de choses; car tous les gens de
bonne foi conviendront qu'ils ne tiennent a` tel ou tel mot que
par pre? fe? rence pour telle ou telle ide? e; comment les expressions
habituellement employe? es dans les rapports les plus vulgaires
pourraient-elles inspirer des sentiments ge? ne? reux? En pronon-
c? ant les mots d'inte? re^t et d'utilite? , re? veillera-t-on les me^mes
pense? es dans notre coeur, qu'en nous adjurant au nom du de? -
vouement et de la vertu? Lorsque Thomas Morus aima mieux pe? rir sur l'e? chafaud que
de remonter au fai^te des grandeurs, en faisant le sacrifice d'un
scrupule de conscience; lorsque, apre`s une anne? e de prison,
affaibli parla souffrance, il refusa d'aller retrouver sa femme
et ses enfants qu'il che? rissait, et de se livrer de nouveau a` ces
occupations de l'esprit qui donnent tout a` la fois tant de calme
etd'activite? a` l'existence; lorsque l'honneur seul, cette religion
mondaine, fit retourner dans les prisons d'Angleterre un vieux
roi de France, parce que son fils n'avait pas tenu les promesse*
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? 472 DE LA U01ULE.
au nom desquelles il avait obtenu sa liberte? ; lorsque les chre? -
tiens vivaient dans les catacombes, qu'ils renonc? aient a` la lu-
mie`re du jour, et ne sentaient le ciel que dans leur a^me, si quel-
qu'un avait dit qu'ils entendaient bien leur inte? re^t, quel froid
glace? se serait re? pandu dans les veines en l'e? coutant, et combien
un regard attendri nous eu^t mieux re? ve? le? tout ce qu'il y a de
sublime dans de tels hommes!
Non , certes, la vie n'est pas si aride que l'e? goi? sme nous l'a
faite; tout n'y est pas prudence, tout n'y est pas calcul; et
quand une action sublime e? branle toutes les puissances de notre
e^tre, nous ne pensons pas que l'homme ge? ne? reux qui se sacrifie
a bien connu, bien combine? son inte? re^t personnel; nous pensons
qu'il immole tous les plaisirs, tous les avantages de ce monde,
mais qu'un rayon divin descend dans son coeur, pour lui causer
un genre de fe? licite? qui ne ressemble pas plus a` tout ce que nous
reve^tons de ce nom, que l'immortalite? a` la vie.
Ce n'est pas sans motif cependant qu'on met tant d'importance
a` fonder la morale sur l'inte? re^t personnel : on a l'air de ne sou-
tenir qu'une the? orie, et c'est en re? sultat une combinaison tre`s-
inge? nieuse , pour e? tablir le joug de tous les genres d'autorite? .
Nul homme, quelque de? prave? qu'il soit, ne dira qu'il ne faut pas
de morale; car celui me^me qui serait le plus de? cide? a` en man-
quer, voudrait encore avoir affaire a` des dupes qui la conservas-
sent. Mais quelle adresse, d'avoir donne? pour base a` la morale
la prudence! quel acce`s ouvert a` l'ascendant du pouvoir, aux
transactions de la conscience, a` tous les mobiles conseils des
e? ve? nements!
Si le calcul doit pre? sider a` tout, les actions des hommes seront
juge? es d'apre`s le succe`s; l'homme dont les bons sentiments ont
cause? le malheur sera justement bla^me? ; l'homme pervers, mais
habile, sera justement applaudi. Enfin, les individus ne se con-
side? rant entre eux que comme des obstacles ou des instruments,
ils se hai? ront comme des obstacles, et ne s'estimeront plus que
comme moyens. Le crime me^me a plus de grandeur, quand il
tient au de? sordre des passions enflamme? es, que lorsqu'il a pour
objet l'inte? re^t personnel ; comment donc pourrait-on donner pour
principe a` la vertu ce qui de? shonorerait me^me le crime '!
1 Dans l'ouvrage de Bcnlham sui- la le? gislation, publie? , ou pluto^t illustre?