Mais il n'en est pas de me^me des
sentiments, ni des dispositions, ni des faculte?
sentiments, ni des dispositions, ni des faculte?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
juge?
s qui encombrent sa route,
c'est a` l'e? lan seul du ge? nie qu'il se fie pour marcher en avant.
<< L'esprit humain, dit Luther, est comme un paysan ivre a`
:? cheval, quand on le rele`ve d'un co^te? il retombe de l'autre. >>
Ainsi, l'homme a flotte? sans cesse entre ses deux natures, tanto^t
ses pense? es le de? gageaient de ses sensations, tanto^t ses sensa-
tions absorbaient ses pense? es, et successivement il voulait tout
rapporter aux unes ou aux autres : il me semble ne? anmoins que
le moment d'une doctrine stable est arrive? : la me? taphysique
doit subir une re? volution semblable a` celle qu'a faite Copernic
dans le syste`me du monde; elle doit replacer notre a^me au cen-
tre, et la rendre en tout semblable au soleil, autour duquel les
objets exte? rieurs tracent leur cercle, et dont ils empruntent la
lumie`re.
L'arbre ge? ne? alogique des connaissances humaines, dans le-
quel chaque science se rapporte a` telle faculte? , est sans doute
l'un des titres de Bacon a` l'admiration de la poste? rite? ; mais ce
qui fait sa gloire, c'est qu'il a eu soin de proclamer qu'il fallait
bien se garder de se? parer d'une manie`re absolue les sciences
l'une de l'autre, et que toutes se re? unissaient dans la philoso-
phie ge? ne? rale. Il n'est point l'auteur de cette me? thode anatomi-
<<|ue qui conside`re les forces intellectuelles chacune a` part, et
semble me? connai^tre l'admirable unite? de l'e^tre moral. La sensi-
bilite? , l'imagination, la raison , servept l'une a` l'autre. Chacune
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? DE LA PHILOSOPHIE AMiLAISE. 8s9
de ces faculte? s ne serait qu'une maladie, qu'une faiblesse au lieu
d'une force, si elle n'e? tait pas modifie? e ou comple? te? e parla
totalite? de notre e^tre. Lessciences de calcul, a` une certaine
hauteur, ont besoin d'imagination. L'imagination a` son tour
doit s'appuyer sur la connaissance exacte de la nature. La raison
semble de toutes les faculte? s celle qui se passerait le plus facile-
ment du secours des autres, et cependant si l'on e? tait entie`rement de? pourvu d'imagination et de sensibilite? , l'on pourrait, a`
force de se? cheresse, devenir, pour ainsi dire, fou de raison, et
ne voyant plus dans la vie que des calculs et des inte? re^ts mate? -
riels, se tromper autantsur les caracte`res et les affections des
hommes, qu'un e^tre enthousiaste qui se figurerait partout le
de? sinte? ressement et l'amour.
On suit un faux syste`me d'e? ducation, lorsqu'on veut de? velop-
per exclusivement telle ou telle qualite? de l'esprit; car se vouer
a` une seule faculte? , c'est prendre un me? tier intellectuel. Milton
dit avec raison qu'une e? ducation n'est bonne que quand elle rend propre a` tous les emplois de la guerre et de la paix; tout
ce qui fait de l'homme un homme est le ve? ritable objet de l'en-
seignement.
Ne savoir d'une science que ce qui lui est particulier, c'est appliqueraux e? tudes libe? rales la division du travail de Smith,
qui ne convient qu'aux arts me? caniques. Quand on arrive a` cette
hauteur ou` chaque science touche par quelques points a` toutes
les autres, c'est alors qu'on approche de la re? gion des ide? es
universelles; et l'air qui vient dela` vivifie toutes les pense? es.
L'a^me est un foyer qui rayonne dans tous les sens; c'est dans
ce foyer que consiste l'existence; toutes les observations et tous
les efforts des philosophes doivent se tourner vers ce moi, cen-
tre et mobile de nos sentiments et de nos ide? es. Sans doute
l'incomplet du langage nous oblige a` nous servir d'expressions
errone? es; il faut re? pe? ter suivant l'usage, tel individu a de la
raison, ou de l'imagination, ou de la sensibilite? , etc. ; mais si
l'on voulait s'entendre par un mot, on devrait dire seulement ':
1 M. Ancillon, dont j'aurai l'occasion de parler dans la suite de cet ouvrage,
s'ist servi Je cette expression dans un livre qu'on ne saurait se lasser de me? -
diter.
33
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 390 DE L\ l'HILOSOPHIK ANGLAISE.
il a de t'a`me, il a beaucoup d'a^me. C'est ce souffle divin qui
faittout l'homme.
Aimer en apprend plus sur ce qui tient aux myste`res de l'a^me
que la me? taphysique la plus subtile. On ne s'attache jamais a`
telle ou telle qualite? de la personne qu'on pre? fe`re, et tous les
madrigaux disent un grand mot philosophique, en re? pe? tant que
c'est pour Je ne sais quoi qu'on aime, car ce je ne sais quoi,
c'est l'ensemble et l'harmonie que nous reconnaissons par l'a-
mour, par l'admiration, par tous les sentiments qui nous re? ve`-
lent ce qu'il y a de plus profond et de plus intime dans le coeur
d'un autre.
L'analyse, ne pouvant examiner qu'en divisant, s'applique,
comme le scalpel, a` la nature morte; mais c'est un mauvais ins-
trument pour apprendre a` connai^tre ce qui est vivant, et si l'on
a de la peine a` de? finir par des paroles la conception anime? e qui
nous repre? sente les objets tout entiers, c'est pre? cise? ment parce
que cette conception tient de plus pre`s a` l'essence des choses.
Diviser pour comprendre est en philosophie un signe de faiblesse,
comme en politique diviser pour re? gner.
Bacon tenait encore beaucoup plus qu'on ne croit a` cette phi-
losophie ide? aliste qui, depuis Platon jusqu'a` nos jours, a cons-
tamment reparu sous diverses formes; ne? anmoins le succe`s de
sa me? thode analytique dans les sciences exactes a ne? cessairement
influe? sur son syste`me en me? taphysique: l'on a compris d'une
manie`re beaucoup plus absoluequ'il ne l'avait pre? sente? e lui-me^me,
sa doctrine sur les sensations conside? re? es comme l'origine des
ide? es. Nous pouvons voir clairement l'influence de cette doctrine
par les deux e? coles qu'elle a produites, celle de Hobbes et celle
de Locke. Certainement l'une et l'autre diffe`rent beaucoup dans
le but; mais leurs principes sont semblables a` plusieurs e? gards.
Hobbes prit a` la lettre la philosophie qui fait de? river toutes
nos ide? es des impressions des sens; il n'en craignit point les
conse? quences, et il a dit hardiment que l a^me e? tait soumise a`
la ne? cessite? , comme la socie? te? au despotisme; il admet le fa-
talisme des sensations pour la pense? e, et celui dela force pour
les actions. Il ane? antit la liberte? morale comme la liberte? civile,
pensant avec raison qu'elles de? pendent l'une de l'autre. Il fut
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE. 391
athe? e et esclave, et rien n'est plus conse? quent; car, s'il n'y a
dans l'homme que l'empreinte des impressions du dehors, la
puissance terrestre est tout, et l'a^me en de? pend autant que la
destine? e.
Le culte de tous les sentiments e? leve? s et purs est tellement
consolide? e>> Angleterre par les institutions politiques et religieu-
ses, que les spe? culations de l'esprit tournent autour de ces im-
posantes colonnes sans jamais les e? branler. Hobbes eut donc peu
de partisans dans son pays; mais l'influence de Locke fut plus
universelle. Comme son caracte`re e? tait moral et religieux, il ne
se permit aucun des raisonnements corrupteurs qui de? rivaient
ne? cessairement de sa me? taphysique; et la plupart de ses compa-
triotes, en l'adoptant, ont eu comme lui la noble inconse? quence
de se? parer les re? sultats des principes, tandis que Hume et les
philosophes franc? ais,apre`s avoir admis le syste`me, l'ont appli-
que? d'une manie`re beaucoup plus logique.
La me? taphysique de Locke n'a eu d'autre effet sur les esprits,
eu Angleterre, que de ternir un peu leur originalite? naturelle;
quand me^me elle desse? cherait la source des grandes pense? es
philosophiques,elle ne saurait de? truire le sentiment religieux,
qui sait si bien y supple? er; mais cette me? taphysique rec? ue dans
le reste de l'Europe, l'Allemagne excepte? e, a e? te? l'une des prin-
cipales causes de l'immoralite? dont on s'est fait une the? orie,
pour en mieux assurer la pratique.
Locke s'est particulie`rement attache? a` prouver qu'il n'y avait
rien d'inne? dans l'a^me: il avait raison, puisqu'il me^lait toujours
au sens du mot ide? e un de? veloppement acquis par l'expe? rience;
les ide? es ainsi conc? ues sont le re? sultat des objets qui les exci-
tent, des comparaisons qui les rassemblent, et du langage qui
en facilite la combinaison.
Mais il n'en est pas de me^me des
sentiments, ni des dispositions, ni des faculte? s qui constituent
les lois del'entendement humain, comme l'attraction et l'im-
pulsion constituent celles de la nature physique.
Une chose vraiment digne de remarque, ce sont les arguments
dont Locke a e? te? oblige? de se servir pour prouver que tout ce
qui e? tait dans l'a^me nous venait parles sensations. Si ces ar-
guments conduisaient a` la ve? rite? , sans doute il faudrait sunnon-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 3! )2 DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE.
1er la re? pugnance morale qu'ils inspirent; mais on peut croire
en ge? ne? ral a` cette re? pugnance, comme a` un signe infaillible de
ce que l'on doit e? viter. Locke voulaitde? montrer que la conscience
du bien et du mal n'e? tait pas inne? e dans l'homme, et qu'il ne
connaissait le juste et l'injuste, comme le rouge et le bleu, que par
l'expe? rience; il a recherche? avec soin, pour parvenir a` ce but,
tous les pays ou` les coutumes et les lois mettaient des crimes en
honneur; ceux ou` l'on se faisait un devoir de tuer son ennemi,
de me? priser le mariage, de faire mourir son pe`re quand il e? tait
vieux. Il recueille attentivement tout ce que les voyageurs ont
raconte? des cruaute? s passe? es en usage. Qu'est-ce donc qu'un
syste`me qui inspire a` un homme aussi vertueux que Locke de
l'avidite? pour de tels faits?
Que ces faits soient tristes ou non, pourra-t-on dire, l'impor-
tant est de savoir s'ils sont vrais. --Ils peuvent e^tre vrais, mais
que signifient-ils? Ne savons-nous pas, d'apre`s notre propre
expe? rience, que les circonstances, c est-a`-dire les objets exte? -
rieurs, influent sur notre manie`re d'interpre? ter nos devoirs?
Agrandissez ces circonstances, et vous y trouverez la cause des
erreurs des peuples; mais y a-t-il des peuples ou des hommes
qui nient qu'il y ait des devoirs? A-t-on jamais pre? tendu qu'au-
cune signification n'e? tait attache? e a` l'ide? e du juste et de l'injuste?
L'explication qu'on en donne peut e^tre diverse, mais la con-
viction du principe est partout la me^me; et c'est dans cette con-
viction que consiste l'empreinte primitive qu'on retrouve dans
tous les humains.
Quand le sauvage tue son pe`re, lorsqu'il est vieux, il croit
lui rendre un service; il ne le fait pas pour son propre inte? re^t,
mais pour celui de son pe`re : l'action qu'il commet est horrible,
et cependant il n'est pas pour cela de? pourvu de conscience;
et de ce qu'il manque de lumie`res, il ne s'ensuit pas qu'il
manque de vertus. Les sensations, c'est-a`-dire, les objets ex-
te? rieurs dont il est environne? l'aveuglent; le sentiment intime
qui constitue la haine du vice et le respect pour la vertu n'existe
pas moins en lui, quoique l'expe? rience l'ait trompe? sur la manie`re dont ce sentiment doit se manifester dans la vie.
Pre? fe? rer les autres a` soi quand la vertu le commande, c'est pre? -
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? DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE. 193
rise? ment ce qui fait l'essence du beau moral, et cet admirable
instinct de l'a^me, adversaire de l'instinct physique, est inhe? rent
a` notre nature; s'il pouvait e^tre acquis, il pourrait aussi se per-
dre; mais il est immuable, parce qu'il est inne? . Il est possible
de faire le mal en croyant faire le bien; il est possible de se
rendre coupable en le sachant et le voulant; mais il ne l'est pas
d'admettre comme ve? rite? une chose contradictoire, la justice de
l'injustice.
L'indiffe? rence au bien et au mal est le re? sultat ordinaire d'une
civilisation, pour ainsi dire, pe? trifie? e, et cette indiffe? rence est
un beaucoup plus grand argument contre la conscience inne? e
que les grossie`res erreurs des sauvages; mais les hommes les
plus sceptiques, s'ils sont opprime? s sous quelques rapports, en
appellent a` la justice, comme s'ils y avaient cru toute leur vie;
et lorsqu'ils sont saisis par une affection vive et qu'on la tyran-
nise, ils invoquent le sentiment de l'e? quite? avec autant de force
que les moralistes les plus auste`res. De`s qu'une flamme quel-
conque, celle de l'indignation ou celle de l'amour, s'empare de
notre a^me, elle fait reparai^tre en nous les caracte`res sacre? s des
lois e? ternelles.
Si le hasard de la naissance et de l'e? ducation de? cidait de la
moralite? d'un homme, comment pourrait-on l'accuser de sesactions? Si tout ce qui compose notre volonte? nous vient des
objets exte? rieurs, chacun peut en appeler a` des relations parti -culie`res pour motiver toute sa conduite; et souvent ces relations
diffe`rent autant entre les habitants d'un me^me pays qu'entre
un Asiatique et un Europe? en. Si donc la circonstance devait
e^tre la divinite? des mortels, il serait simple que chaque homme
eu^t une morale qui lui fu^t propre, ou pluto^t une absence de
morale a` son usage; et pour interdire le mal que les sensations
pourraient conseiller, il n'y aurait de bonne raison a` opposer
que la force publique quile punirait; or, si la force publique
commandait l'injustice, la question se trouverait re? solue :tou-
tes les sensations feraient nai^tre toutes les ide? es, qui conduiraient
a` la plus comple`te de? pravation.
Les preuves de la spiritualite? de l'a^me ne peuvent se trouver
dans l'empire des sens, le monde visible est abandonne? a` cet
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? 394 DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE.
empire; mais le monde invisible ne saurait y e^tre soumis; et si
l'on n'admet pas des ide? es spontane? es, si la pense? e et le sentiment de? pendent en entier des sensations, comment l'a^me, dans
une telle servitude, serait-elle immate? rielle? Et si, comme per-
sonne ne le nie, la plupart des faits transmis par les sens sont
sujets a` l'erreur, qu'est-ce qu'un e^tre moral qui n'agit que lors-
qu'il est excite? par des objets exte? rieurs, et par des objets me^me
dont les apparences sont souvent fausses?
Un philosophe franc? ais a dit, en se servantde l'expression
la plus rebutante, que lapense? e n'e? tait autre chose qu'un pro-
duit mate? riel du cerveau. Cette de? plorable de? finition est le
re? sultat le plus naturel de la me? taphysique qui attribue a` nos
sensations l'origine de toutes nos ide? es. On a raison, si c'est
ainsi, de se moquer de ce qui est intellectuel, et de trouver
incompre? hensible tout ce qui n'est pas palpable. Si notre a^me
n'est qu'une matie`re subtile mise en mouvement par d'autres
e? le? ments plus ou moins grossiers, aupre`s desquels me^me elle
a le de? savantage d'e^tre passive : si nos impressions et nos sou-
venirs ne sont que les vibrations prolonge? es d'un instrument
dont le hasard a joue? , il n'y a que des fibres dans notre cerveau,
que des forces physiques dans le monde, et tout peut s'expliquer
d'apre`s les lois qui les re? gissent. Il reste bien encore quelques
petites difficulte? s sur l'origine des choses et le but de notre exis-
tence, mais on a bien simplifie? la question, et la raison con-
seille de supprimer en nous-me^mes tous les de? sirs et toutes les
espe? rances que le ge? nie, l'amour et la religion font concevoir;
car l'homme ne serait alors qu'une me? canique de plus, dans le
grand me? canisme de l'univers: ses faculte? s ne seraient que des
rouages, sa morale un calcul, et son culte le succe`s.
Locke, croyant du fond de son a^me a` l'existence de Dieu,
e? tablit sa conviction, sans s'en apercevoir, sur des raisonnements
qui sortent tous de la sphe`re de l'expe? rience: il affirme qu'il y
a un principe e? ternel, une cause primitive de toutes les autres
causes; il entre ainsi dans la sphe`re de l'infini, et l'infini est
par dela` toute expe? rience : mais Locke avait en me^me temps
une telle peur que l'ide? e de Dieu ne pu^t passer pour inne? e dans
l'homme; il lui paraissait si absurde que le Cre? ateur eu^t daigne? ,
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? DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE. 395
comme un grand peintre, graver son nom sur le tableau de
notre a^me, qu'il s'est attache? a` de? couvrir dans tous les re? cits
des voyageurs quelques peuples qui n'eussent aucune croyance
religieuse. On peut, je crois, l'affirmer hardiment, ces peuples
n'existent pas. Le mouvement qui nous e? le`ve jusqu'a` l'intelli-
gence supre^me se retrouve dans le ge? nie de Newton comme
dans l'a^me du pauvre sauvage de? vot envers la pierre sur laquelle
il s'est repose? . Nul homme ne s'en est tenu au monde exte? rieur,
tel qu'il est, et tous se sont senti au fond du coeur, dans une
e? poque quelconque de leur vie, un inde? finissable attrait pour
quelque chose de surnaturel; mais comment se peut-il qu'un
e^tre aussi religieux que Locke s'attache a` changer les caracte`res
primitifs de la foi en une connaissance accidentelle que le sort
peut nous ravir ou nous accorder? Je le re? pe`te, la tendance d'une
doctrine quelconque doit toujours e^tre compte? e pour beaucoup
dans le jugement que nous portons sur la ve? rite? de cette doc-
trine; car, en the? orie, le bon et le vrai sont inse? parables.
Tout ce qui est invisible parle a` l'homme de commencement
et de fin, de de? cadence et de destruction. Une e? tincelle divine
est seule en nous l'indice de l'immortalite? . De quelle sensation
vient-elle? Toutes les sensations la combattent, et cependant
elle triomphe de toutes. Quoi! dira-ton, les causes finales, les
merveilles de l'univers, la splendeur des cieux qui frappe nos
regards, ne nous attestent-elles pas la magnificence et la bonte?
c'est a` l'e? lan seul du ge? nie qu'il se fie pour marcher en avant.
<< L'esprit humain, dit Luther, est comme un paysan ivre a`
:? cheval, quand on le rele`ve d'un co^te? il retombe de l'autre. >>
Ainsi, l'homme a flotte? sans cesse entre ses deux natures, tanto^t
ses pense? es le de? gageaient de ses sensations, tanto^t ses sensa-
tions absorbaient ses pense? es, et successivement il voulait tout
rapporter aux unes ou aux autres : il me semble ne? anmoins que
le moment d'une doctrine stable est arrive? : la me? taphysique
doit subir une re? volution semblable a` celle qu'a faite Copernic
dans le syste`me du monde; elle doit replacer notre a^me au cen-
tre, et la rendre en tout semblable au soleil, autour duquel les
objets exte? rieurs tracent leur cercle, et dont ils empruntent la
lumie`re.
L'arbre ge? ne? alogique des connaissances humaines, dans le-
quel chaque science se rapporte a` telle faculte? , est sans doute
l'un des titres de Bacon a` l'admiration de la poste? rite? ; mais ce
qui fait sa gloire, c'est qu'il a eu soin de proclamer qu'il fallait
bien se garder de se? parer d'une manie`re absolue les sciences
l'une de l'autre, et que toutes se re? unissaient dans la philoso-
phie ge? ne? rale. Il n'est point l'auteur de cette me? thode anatomi-
<<|ue qui conside`re les forces intellectuelles chacune a` part, et
semble me? connai^tre l'admirable unite? de l'e^tre moral. La sensi-
bilite? , l'imagination, la raison , servept l'une a` l'autre. Chacune
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA PHILOSOPHIE AMiLAISE. 8s9
de ces faculte? s ne serait qu'une maladie, qu'une faiblesse au lieu
d'une force, si elle n'e? tait pas modifie? e ou comple? te? e parla
totalite? de notre e^tre. Lessciences de calcul, a` une certaine
hauteur, ont besoin d'imagination. L'imagination a` son tour
doit s'appuyer sur la connaissance exacte de la nature. La raison
semble de toutes les faculte? s celle qui se passerait le plus facile-
ment du secours des autres, et cependant si l'on e? tait entie`rement de? pourvu d'imagination et de sensibilite? , l'on pourrait, a`
force de se? cheresse, devenir, pour ainsi dire, fou de raison, et
ne voyant plus dans la vie que des calculs et des inte? re^ts mate? -
riels, se tromper autantsur les caracte`res et les affections des
hommes, qu'un e^tre enthousiaste qui se figurerait partout le
de? sinte? ressement et l'amour.
On suit un faux syste`me d'e? ducation, lorsqu'on veut de? velop-
per exclusivement telle ou telle qualite? de l'esprit; car se vouer
a` une seule faculte? , c'est prendre un me? tier intellectuel. Milton
dit avec raison qu'une e? ducation n'est bonne que quand elle rend propre a` tous les emplois de la guerre et de la paix; tout
ce qui fait de l'homme un homme est le ve? ritable objet de l'en-
seignement.
Ne savoir d'une science que ce qui lui est particulier, c'est appliqueraux e? tudes libe? rales la division du travail de Smith,
qui ne convient qu'aux arts me? caniques. Quand on arrive a` cette
hauteur ou` chaque science touche par quelques points a` toutes
les autres, c'est alors qu'on approche de la re? gion des ide? es
universelles; et l'air qui vient dela` vivifie toutes les pense? es.
L'a^me est un foyer qui rayonne dans tous les sens; c'est dans
ce foyer que consiste l'existence; toutes les observations et tous
les efforts des philosophes doivent se tourner vers ce moi, cen-
tre et mobile de nos sentiments et de nos ide? es. Sans doute
l'incomplet du langage nous oblige a` nous servir d'expressions
errone? es; il faut re? pe? ter suivant l'usage, tel individu a de la
raison, ou de l'imagination, ou de la sensibilite? , etc. ; mais si
l'on voulait s'entendre par un mot, on devrait dire seulement ':
1 M. Ancillon, dont j'aurai l'occasion de parler dans la suite de cet ouvrage,
s'ist servi Je cette expression dans un livre qu'on ne saurait se lasser de me? -
diter.
33
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 390 DE L\ l'HILOSOPHIK ANGLAISE.
il a de t'a`me, il a beaucoup d'a^me. C'est ce souffle divin qui
faittout l'homme.
Aimer en apprend plus sur ce qui tient aux myste`res de l'a^me
que la me? taphysique la plus subtile. On ne s'attache jamais a`
telle ou telle qualite? de la personne qu'on pre? fe`re, et tous les
madrigaux disent un grand mot philosophique, en re? pe? tant que
c'est pour Je ne sais quoi qu'on aime, car ce je ne sais quoi,
c'est l'ensemble et l'harmonie que nous reconnaissons par l'a-
mour, par l'admiration, par tous les sentiments qui nous re? ve`-
lent ce qu'il y a de plus profond et de plus intime dans le coeur
d'un autre.
L'analyse, ne pouvant examiner qu'en divisant, s'applique,
comme le scalpel, a` la nature morte; mais c'est un mauvais ins-
trument pour apprendre a` connai^tre ce qui est vivant, et si l'on
a de la peine a` de? finir par des paroles la conception anime? e qui
nous repre? sente les objets tout entiers, c'est pre? cise? ment parce
que cette conception tient de plus pre`s a` l'essence des choses.
Diviser pour comprendre est en philosophie un signe de faiblesse,
comme en politique diviser pour re? gner.
Bacon tenait encore beaucoup plus qu'on ne croit a` cette phi-
losophie ide? aliste qui, depuis Platon jusqu'a` nos jours, a cons-
tamment reparu sous diverses formes; ne? anmoins le succe`s de
sa me? thode analytique dans les sciences exactes a ne? cessairement
influe? sur son syste`me en me? taphysique: l'on a compris d'une
manie`re beaucoup plus absoluequ'il ne l'avait pre? sente? e lui-me^me,
sa doctrine sur les sensations conside? re? es comme l'origine des
ide? es. Nous pouvons voir clairement l'influence de cette doctrine
par les deux e? coles qu'elle a produites, celle de Hobbes et celle
de Locke. Certainement l'une et l'autre diffe`rent beaucoup dans
le but; mais leurs principes sont semblables a` plusieurs e? gards.
Hobbes prit a` la lettre la philosophie qui fait de? river toutes
nos ide? es des impressions des sens; il n'en craignit point les
conse? quences, et il a dit hardiment que l a^me e? tait soumise a`
la ne? cessite? , comme la socie? te? au despotisme; il admet le fa-
talisme des sensations pour la pense? e, et celui dela force pour
les actions. Il ane? antit la liberte? morale comme la liberte? civile,
pensant avec raison qu'elles de? pendent l'une de l'autre. Il fut
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? DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE. 391
athe? e et esclave, et rien n'est plus conse? quent; car, s'il n'y a
dans l'homme que l'empreinte des impressions du dehors, la
puissance terrestre est tout, et l'a^me en de? pend autant que la
destine? e.
Le culte de tous les sentiments e? leve? s et purs est tellement
consolide? e>> Angleterre par les institutions politiques et religieu-
ses, que les spe? culations de l'esprit tournent autour de ces im-
posantes colonnes sans jamais les e? branler. Hobbes eut donc peu
de partisans dans son pays; mais l'influence de Locke fut plus
universelle. Comme son caracte`re e? tait moral et religieux, il ne
se permit aucun des raisonnements corrupteurs qui de? rivaient
ne? cessairement de sa me? taphysique; et la plupart de ses compa-
triotes, en l'adoptant, ont eu comme lui la noble inconse? quence
de se? parer les re? sultats des principes, tandis que Hume et les
philosophes franc? ais,apre`s avoir admis le syste`me, l'ont appli-
que? d'une manie`re beaucoup plus logique.
La me? taphysique de Locke n'a eu d'autre effet sur les esprits,
eu Angleterre, que de ternir un peu leur originalite? naturelle;
quand me^me elle desse? cherait la source des grandes pense? es
philosophiques,elle ne saurait de? truire le sentiment religieux,
qui sait si bien y supple? er; mais cette me? taphysique rec? ue dans
le reste de l'Europe, l'Allemagne excepte? e, a e? te? l'une des prin-
cipales causes de l'immoralite? dont on s'est fait une the? orie,
pour en mieux assurer la pratique.
Locke s'est particulie`rement attache? a` prouver qu'il n'y avait
rien d'inne? dans l'a^me: il avait raison, puisqu'il me^lait toujours
au sens du mot ide? e un de? veloppement acquis par l'expe? rience;
les ide? es ainsi conc? ues sont le re? sultat des objets qui les exci-
tent, des comparaisons qui les rassemblent, et du langage qui
en facilite la combinaison.
Mais il n'en est pas de me^me des
sentiments, ni des dispositions, ni des faculte? s qui constituent
les lois del'entendement humain, comme l'attraction et l'im-
pulsion constituent celles de la nature physique.
Une chose vraiment digne de remarque, ce sont les arguments
dont Locke a e? te? oblige? de se servir pour prouver que tout ce
qui e? tait dans l'a^me nous venait parles sensations. Si ces ar-
guments conduisaient a` la ve? rite? , sans doute il faudrait sunnon-
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? 3! )2 DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE.
1er la re? pugnance morale qu'ils inspirent; mais on peut croire
en ge? ne? ral a` cette re? pugnance, comme a` un signe infaillible de
ce que l'on doit e? viter. Locke voulaitde? montrer que la conscience
du bien et du mal n'e? tait pas inne? e dans l'homme, et qu'il ne
connaissait le juste et l'injuste, comme le rouge et le bleu, que par
l'expe? rience; il a recherche? avec soin, pour parvenir a` ce but,
tous les pays ou` les coutumes et les lois mettaient des crimes en
honneur; ceux ou` l'on se faisait un devoir de tuer son ennemi,
de me? priser le mariage, de faire mourir son pe`re quand il e? tait
vieux. Il recueille attentivement tout ce que les voyageurs ont
raconte? des cruaute? s passe? es en usage. Qu'est-ce donc qu'un
syste`me qui inspire a` un homme aussi vertueux que Locke de
l'avidite? pour de tels faits?
Que ces faits soient tristes ou non, pourra-t-on dire, l'impor-
tant est de savoir s'ils sont vrais. --Ils peuvent e^tre vrais, mais
que signifient-ils? Ne savons-nous pas, d'apre`s notre propre
expe? rience, que les circonstances, c est-a`-dire les objets exte? -
rieurs, influent sur notre manie`re d'interpre? ter nos devoirs?
Agrandissez ces circonstances, et vous y trouverez la cause des
erreurs des peuples; mais y a-t-il des peuples ou des hommes
qui nient qu'il y ait des devoirs? A-t-on jamais pre? tendu qu'au-
cune signification n'e? tait attache? e a` l'ide? e du juste et de l'injuste?
L'explication qu'on en donne peut e^tre diverse, mais la con-
viction du principe est partout la me^me; et c'est dans cette con-
viction que consiste l'empreinte primitive qu'on retrouve dans
tous les humains.
Quand le sauvage tue son pe`re, lorsqu'il est vieux, il croit
lui rendre un service; il ne le fait pas pour son propre inte? re^t,
mais pour celui de son pe`re : l'action qu'il commet est horrible,
et cependant il n'est pas pour cela de? pourvu de conscience;
et de ce qu'il manque de lumie`res, il ne s'ensuit pas qu'il
manque de vertus. Les sensations, c'est-a`-dire, les objets ex-
te? rieurs dont il est environne? l'aveuglent; le sentiment intime
qui constitue la haine du vice et le respect pour la vertu n'existe
pas moins en lui, quoique l'expe? rience l'ait trompe? sur la manie`re dont ce sentiment doit se manifester dans la vie.
Pre? fe? rer les autres a` soi quand la vertu le commande, c'est pre? -
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? DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE. 193
rise? ment ce qui fait l'essence du beau moral, et cet admirable
instinct de l'a^me, adversaire de l'instinct physique, est inhe? rent
a` notre nature; s'il pouvait e^tre acquis, il pourrait aussi se per-
dre; mais il est immuable, parce qu'il est inne? . Il est possible
de faire le mal en croyant faire le bien; il est possible de se
rendre coupable en le sachant et le voulant; mais il ne l'est pas
d'admettre comme ve? rite? une chose contradictoire, la justice de
l'injustice.
L'indiffe? rence au bien et au mal est le re? sultat ordinaire d'une
civilisation, pour ainsi dire, pe? trifie? e, et cette indiffe? rence est
un beaucoup plus grand argument contre la conscience inne? e
que les grossie`res erreurs des sauvages; mais les hommes les
plus sceptiques, s'ils sont opprime? s sous quelques rapports, en
appellent a` la justice, comme s'ils y avaient cru toute leur vie;
et lorsqu'ils sont saisis par une affection vive et qu'on la tyran-
nise, ils invoquent le sentiment de l'e? quite? avec autant de force
que les moralistes les plus auste`res. De`s qu'une flamme quel-
conque, celle de l'indignation ou celle de l'amour, s'empare de
notre a^me, elle fait reparai^tre en nous les caracte`res sacre? s des
lois e? ternelles.
Si le hasard de la naissance et de l'e? ducation de? cidait de la
moralite? d'un homme, comment pourrait-on l'accuser de sesactions? Si tout ce qui compose notre volonte? nous vient des
objets exte? rieurs, chacun peut en appeler a` des relations parti -culie`res pour motiver toute sa conduite; et souvent ces relations
diffe`rent autant entre les habitants d'un me^me pays qu'entre
un Asiatique et un Europe? en. Si donc la circonstance devait
e^tre la divinite? des mortels, il serait simple que chaque homme
eu^t une morale qui lui fu^t propre, ou pluto^t une absence de
morale a` son usage; et pour interdire le mal que les sensations
pourraient conseiller, il n'y aurait de bonne raison a` opposer
que la force publique quile punirait; or, si la force publique
commandait l'injustice, la question se trouverait re? solue :tou-
tes les sensations feraient nai^tre toutes les ide? es, qui conduiraient
a` la plus comple`te de? pravation.
Les preuves de la spiritualite? de l'a^me ne peuvent se trouver
dans l'empire des sens, le monde visible est abandonne? a` cet
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? 394 DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE.
empire; mais le monde invisible ne saurait y e^tre soumis; et si
l'on n'admet pas des ide? es spontane? es, si la pense? e et le sentiment de? pendent en entier des sensations, comment l'a^me, dans
une telle servitude, serait-elle immate? rielle? Et si, comme per-
sonne ne le nie, la plupart des faits transmis par les sens sont
sujets a` l'erreur, qu'est-ce qu'un e^tre moral qui n'agit que lors-
qu'il est excite? par des objets exte? rieurs, et par des objets me^me
dont les apparences sont souvent fausses?
Un philosophe franc? ais a dit, en se servantde l'expression
la plus rebutante, que lapense? e n'e? tait autre chose qu'un pro-
duit mate? riel du cerveau. Cette de? plorable de? finition est le
re? sultat le plus naturel de la me? taphysique qui attribue a` nos
sensations l'origine de toutes nos ide? es. On a raison, si c'est
ainsi, de se moquer de ce qui est intellectuel, et de trouver
incompre? hensible tout ce qui n'est pas palpable. Si notre a^me
n'est qu'une matie`re subtile mise en mouvement par d'autres
e? le? ments plus ou moins grossiers, aupre`s desquels me^me elle
a le de? savantage d'e^tre passive : si nos impressions et nos sou-
venirs ne sont que les vibrations prolonge? es d'un instrument
dont le hasard a joue? , il n'y a que des fibres dans notre cerveau,
que des forces physiques dans le monde, et tout peut s'expliquer
d'apre`s les lois qui les re? gissent. Il reste bien encore quelques
petites difficulte? s sur l'origine des choses et le but de notre exis-
tence, mais on a bien simplifie? la question, et la raison con-
seille de supprimer en nous-me^mes tous les de? sirs et toutes les
espe? rances que le ge? nie, l'amour et la religion font concevoir;
car l'homme ne serait alors qu'une me? canique de plus, dans le
grand me? canisme de l'univers: ses faculte? s ne seraient que des
rouages, sa morale un calcul, et son culte le succe`s.
Locke, croyant du fond de son a^me a` l'existence de Dieu,
e? tablit sa conviction, sans s'en apercevoir, sur des raisonnements
qui sortent tous de la sphe`re de l'expe? rience: il affirme qu'il y
a un principe e? ternel, une cause primitive de toutes les autres
causes; il entre ainsi dans la sphe`re de l'infini, et l'infini est
par dela` toute expe? rience : mais Locke avait en me^me temps
une telle peur que l'ide? e de Dieu ne pu^t passer pour inne? e dans
l'homme; il lui paraissait si absurde que le Cre? ateur eu^t daigne? ,
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? DE LA PHILOSOPHIE ANGLAISE. 395
comme un grand peintre, graver son nom sur le tableau de
notre a^me, qu'il s'est attache? a` de? couvrir dans tous les re? cits
des voyageurs quelques peuples qui n'eussent aucune croyance
religieuse. On peut, je crois, l'affirmer hardiment, ces peuples
n'existent pas. Le mouvement qui nous e? le`ve jusqu'a` l'intelli-
gence supre^me se retrouve dans le ge? nie de Newton comme
dans l'a^me du pauvre sauvage de? vot envers la pierre sur laquelle
il s'est repose? . Nul homme ne s'en est tenu au monde exte? rieur,
tel qu'il est, et tous se sont senti au fond du coeur, dans une
e? poque quelconque de leur vie, un inde? finissable attrait pour
quelque chose de surnaturel; mais comment se peut-il qu'un
e^tre aussi religieux que Locke s'attache a` changer les caracte`res
primitifs de la foi en une connaissance accidentelle que le sort
peut nous ravir ou nous accorder? Je le re? pe`te, la tendance d'une
doctrine quelconque doit toujours e^tre compte? e pour beaucoup
dans le jugement que nous portons sur la ve? rite? de cette doc-
trine; car, en the? orie, le bon et le vrai sont inse? parables.
Tout ce qui est invisible parle a` l'homme de commencement
et de fin, de de? cadence et de destruction. Une e? tincelle divine
est seule en nous l'indice de l'immortalite? . De quelle sensation
vient-elle? Toutes les sensations la combattent, et cependant
elle triomphe de toutes. Quoi! dira-ton, les causes finales, les
merveilles de l'univers, la splendeur des cieux qui frappe nos
regards, ne nous attestent-elles pas la magnificence et la bonte?