Ce qui fait la gra^ce de ce genre de ro^le, c'est ce que
les Italiens appellent la dlsinvoltura, et ce qui se traduirait en
franc?
les Italiens appellent la dlsinvoltura, et ce qui se traduirait en
franc?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
cise?
ment la re^verie;
a` peine peut-on communiquer ce qu'elle inspire a` l'ami le plus
intime : comment serait-il donc possible d'y associer la multi-
tude rassemble? e?
Parmi ces pie`ces alle? goriques, il faut compter le Triomphe de
la Sentimentalite? , petite come? die de Goethe, dans laquelle il a
saisi tre`s-inge? nieusement le double ridicule de l'enthousiasme
affecte? et de la nullite? re? elle. Le principal personnage de cette
pie`ce parai^t engoue? de toutes les ide? es qui supposent une imagi-
nation forte et une a^me profonde, et cependant il n'est dans le
vrai qu'un prince tre`s-bien e? leve? , tre`s-poli, et tre`s-soumis aux
convenances; il s'est avise? de vouloir me^ler a` tout cela une sen-
sibilite? de commande, dont l'affectation se trahit sans cesse. Il
croit aimer les sombres fore^ts, le clair de lune, les nuits e? toile? es; mais comme il craint le froid et la fatigue, il a fait faire
des de? corations qui repre? sentent ces divers objets, et ne voyage
jamais que suivi d'un grand chariot qui transporte en poste der-
rie`re lui les beaute? s de la nature.
Ce prince sentimental se croit aussi amoureux d'une femme
dont on lui a vante? l'esprit et les talents. Cette femme, pour l'e? -
prouver, met a` sa place un mannequin voile? qui, comme on le
pense bien, ne dit jamais rien d'inconvenable. et dont le silence
passe tout a` la fois pour la re? serve du bon gou^t et la re^verie
me? lancolique d'une a^me tendre.
Le prince, enchante? de cette compagne selon ses de? sirs, de-
mande le mannequin en mariage, et ne de? couvre qu'a` la fin qu'il
est assez malheureux pour avoir choisi une ve? ritable poupe? e
pour e? pouse, tandis que sa cour lui offrait un si grand nombre
de femmes qui en auraient re? uni les principaux avantages. L'on ne saurait le nier cependant, ces ide? es^nge? nieuses ne
suffisent pas pour faire une bonne come? die, et les Franc? ais ont,
comme auteurs comiques, l'avantage sur toutes les autres na-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 32-1 DE La` DE? CLAMATION.
tions. La connaissance des hommes, et l'art d'user de cette con-
naissance, leur assure, a` cet e? gard, le premier rang; mais
peut-e^tre pourrait-on souhaiter quelquefois, me^me dans les
meilleures pie`ces de Molie`re, que la satire raisonne? e ti^nt moins
de place, et que l'imagination y eu^t plus de part. Le Festin de
Pierre est, parmi ses come? dies, celle qui se rapproche le plus
du syste`me allemand; un prodige qui fait frissonner sert de mo-
bile aux situations les plus comiques, et les plus grands effets
de l'imagination se me^lent aux nuances les plus piquantes de la
plaisanterie. Ce sujet, aussi spirituel que poe? tique, est pris des
Espagnols. Les conceptions hardies sont tre`s-rares en France;
l'on y aime, en litte? rature, a` travailler en su^rete? ; mais, quand
des circonstances heureuses ont encourage? a` se risquer, le gou^t
y conduit l'audace avec une adresse merveilleuse, et ce sera
presque toujours un chef-d'oeuvre qu'une invention e? trange`re
arrange? e par un Franc? ais.
CHAPITRE XXVII.
De la de? clamation.
L'art de la de? clamation ne laissant apre`s lui que des souve-
nirs, et ne pouvant e? lever aucun monument durable, il en est
re? sulte? que l'on n'a pas beaucoup re? fle? chi sur tout ce qui le com-
'pose. Rien n'est si facile que d'exercer cet art me? diocrement,
mais ce n'est pas a` tort que dans sa perfection il excite tant
d'enthousiasme; et, loin de de? pre? cier cette impression comme
un mouvement passager, je crois qu'on peut lui assigner de justes
causes. Rarement on parvient, dans la vie, a` pe? ne? trer les senti-
ments secrets des hommes: l'affectation et la faussete? , la froi-
deur et la modestie, exage`rent, alte`rent, contiennent ou voilent
ce qui se passe au fond du coeur. Un grand acteur met en e? vidence
les sympto^mes de la ve? rite? dans les sentiments et dans les carac-
te`res, et nous montre les signes certains des penchants et des
e? motions vraies. Tant d'individus traversent l'existence sans se
douter des passions et deleur force, que souvent le the? a^tre re? -
ve`le l'homme a` l'homme, et lui inspire une sainte terreur des
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA DECLAMATION. 325
orages de l'a^me. En effet, quelles paroles pourraient les peindre
comme un accent, un geste, un regard! les paroles en disent
moins que l'accent, l'accent moins que la physionomie, et l'inex-
primable est pre? cise? ment ce qu'un sublime acteur nous fait con-
nai^tre.
Les me^mes diffe? rences qui existent entre le syste`me tragique
des Allemands et celui des Franc? ais, se retrouvent aussi dans
leur manie`re de de? clamer; les Allemands imitent le plus qu'ils
peuvent la nature, ils n'ont d'affectation que celle de la sim-
plicite? ; mais c'en est bien quelquefois une aussi dans les beaux-arts. Tanto^t les acteurs allemands touchent profonde? ment le
coeur, et tanto^t ils laissent le spectateur tout a` fait froid; ils se
confient alors a` sa patience, et sont su^rs de ne pas se tromper.
Les Anglais ont plus de majeste? que les Allemands, dans leur
manie`re de re? citer les vers; mais ils n'ont pas pourtant cette
pompe habituelle que les Franc? ais, et surtout les trage? dies fran-
c? aises, exigent des acteurs ; notre genre ne supporte pas la me? -
diocrite? , car on n'y revient au naturel que par la beaute? me^me de
l'art. Les acteurs du second ordre, en Allemagne, sont froids
et calmes; ils manquent souvent l'effet tragique, mais ils ne sont
presque jamais ridicules: cela se passe sur le the? a^tre allemand
comme dans la socie? te? ; il y a la` des gens qui quelquefois vous
ennuient, et voila` tout; tandis que sur la sce`ne franc? aise, on est
impatiente? quand on n'est pas e? mu : les sons ampoule? s et faux
de? gou^tent tellement alors de la trage? die, qu'il n'y a pas de pa-
rodie, si vulgaire qu'elle soit, qu'on ne pre? fe`re a` la fade impres-
sion du manie? re? .
Les accessoires de l'art, les machines et les de? corations. doi-
vent e^tre plus soigne? s en Allemagne qu'en France, puisque,
dans les trage? dies, on y a plus souvent recours a` ces moyens.
Iffland a su re? unir a` Berlin tout ce que l'on peut de? sirer a` cet
e? gard; mais a` Vienne, ou ne? glige me^me les moyens ne? cessaires
pour repre? senter mate? riellement bien une trage? die. La me? moire
est infiniment plus cultive? e par les acteurs franc? ais que par les
acteurs allemands. Le souffleur, a` Vienne, disait d'avance a` la
plupart des acteurs chaque mot de leur ro^le; et je l'ai vu sui-
vant de coulisse en coulisse Othelle, pour lui sugge? rer les vers
M ",! , Vii! DE STAFX.
IU1 <<Igi
f.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 320 DE LA DECLAMATION.
qu'il devait prononcer au fond du the? a^tre, en poignardant Desde? mona.
Le spectacle de Weimar est infiniment mieux ordonne? sous
tous les rapports. Le prince, homme d'esprit, et l'homme de
ge? nie connaisseur des arts, qui y pre? sident, ont su re? unir le gou^t
et l'e? le? gance a` la hardiesse qui permet de nouveaux essais.
Sur ce the? a^tre,comme sur tous les autres en Allemagne, les
me^mes acteurs jouent les ro^les comiques et tragiques. On dit
que cette diversite? s'oppose a` ce qu'ils soient supe? rieurs dans
aucun; cependant, les premiers ge? nies du the? a^tre, Garrick et
Talma, ont re? uni les deux genres. La flexibilite? d'organes qui
transmet e? galement bien des impressions diffe? rentes me semble
le cachet du talent naturel, et, dans la fiction comme dans le
vrai, c'est peut-e^tre a` la me^me source que l'on puise la me? lan-
colie et la gaiete? . D'ailleurs, en Allemagne le pathe? tique et la
plaisanterie se succe`dent et se me^lent si souvent ensemble dans
les trage? dies, qu'il faut bien que les acteurs posse`dent le talent
d'exprimer l'un et l'autre; etle meilleur acteur allemand, If-
fland , en donne l'exemple avec un succe`s me? rite? . Je n'ai pas vu
en Allemagne de bons acteurs du haut comique, des marquis,
des fats, etc.
Ce qui fait la gra^ce de ce genre de ro^le, c'est ce que
les Italiens appellent la dlsinvoltura, et ce qui se traduirait en
franc? ais par l'air de? gage? . L'habitude qu'ont les Allemands de
mettre a` tout de l'importance est pre? cise? ment ce qui s'oppose
le plus a` cette facile le? ge`rete? . Mais il est impossible de porter
plus loin l'originalite? , la verve comique et l'art de peindre les
caracte`res, que ne le fait Iffland dans ses ro^les. Je ne crois pas
que nous ayons jamais vu au The? a^tre franc? ais un talent plus
varie? ni plus inattendu que le sien, ni un acteur qui se risque a`
rendre les de? fauts et les ridicules naturels avec une expression
aussi frappante. Il y a dans la come? die des mode`les donne? s,
les pe`res avares, les fils libertins, les valets fripons, les tuteurs
dupe? s; mais les ro^les d'Iffland, tels qu'il les conc? oit, ne peuvent
entrer dans aucun de ces moules: il faut les nommer tous par
leur nom; car cee? ont des individus qui diffe`rent singulie`rement
l'un de l'autre, et dans lesquels Iffland parai^t vivre comme chez
lui.
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? DE LA DE? CLAMATION. 327
Sa manie`re dejouer la trage? die est aussi, selon moi, d'un
grand effet. Le calme et la simplicite? de sa de? clamation, dans le
beau ro^le de Walstein, ne peuvent s'effacer du souvenir. L'im-
pression qu'il produit est graduelle: on croit d'abord que son apparente froideur ne pourra jamais remuer l'a^me; mais en
avanc? ant, l'e? motion s'accroi^t avec une progression toujours plus
rapide, et le moindre mot exerce un grand pouvoir, quand il
re`gne dans le ton ge? ne? ral une noble tranquillite? , qui fait ressor-
tir chaque nuance, et conserve toujours la couleur du caracte`re
au milieu des passions.
Iffland, qui est aussi supe? rieur dans la the? orie que dans la pra-
tique de son art, a publie? plusieurs e? crits extre^mement spirituels
sur la de? clamation; il donne d'abord une exquisse des diffe? ren-
tes e? poques de l'histoire du the? a^tre allemand: l'imitation roideet empese? e de la sce`ne franc? aise; la sensibilite? larmoyante des
drames, dont le naturel prosai? que avait fait oublier jusqu'au
talent de dire des vers; enfin le retour a` la poe? sie et a` l'imagina-
tion, qui constitue maintenant le gou^t universel en Allemagne.
Il n'y a pas un accent, pas un geste dont Iffland ne sache trou-
ver la cause, en philosophe et en artiste.
Un personnage de ses pie`ces lui fournit les observations les
plus fines sur le jeu comique; c'est un homme a^ge? , qui tout a`
coup abandonne ses anciens sentiments et ses constantes habitu-
des , pour reve^tir le costume et les opinions de la ge? ne? ration
nouvelle. Le caracte`re de cet homme n'a rien de me? chant, et ce-
pendant la vanite? l'e? gare autant que s'il e? tait vraiment pervers.
Il a laisse? faire a` sa fille un mariage raisonnable, mais obscur,
et tout a` coup il lui conseille de divorcer. Une badine a` la main,
souriant gracieusement, se balanc? ant sur un pied et sur l'autre,
il propose a` son enfant de briser les liens les plus sacre? s; mais
ce qu'on aperc? oit de vieillesse a` travers une e? le? gance force? e, ce
qu'il y a d'embarrasse? dans son apparente insouciance, est saisi
par Iffland avec une admirable sagacite? .
A propos de Franz Moor, fre`re du chef des brigands de
Schiller, Iffland examine de quelle manie`re les ro^les de sce? le? rat
doivent e^tre joue? s: << Il faut, dit-il, que l'acteur s'attache a` faire
sentir par quels motifs le personnage est devenu ce qu'il est.
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? 328 DE LA DECLAMATION.
,i quelles circonstances ont de? prave? son a^me; enfin, l'acteur
doit e^tre comme le de? fenseur officieux du caracte`re qu'il repre? -
<<sente. >> En effet, il ne peut y avoir de ve? rite? , me^me dans la
sce? le? ratesse, que par les nuances qui font sentir que l'homme
ne devient jamais me? chant que par degre? s.
Iffland rappelle aussi la sensation prodigieuse que produisait,
dans la pie`ce tfE? miUa Galotti, Eckhoff, ancien acteur allemand
tre`s-ce? le`bre. Lorsque Odoard apprend par la mai^tresse du prince
que l'honneur de sa fille est menace? , il veut taire a` cette femme,
qu'il n'estime pas, l'indignation et la douleur qu'elle excite dans
son a^me, et ses mains, a` son insu, arrachaient les plumes qu'il
portait a` son chapeau, avec un mouvement convulsif dont l'effet
e? tait terrible. Les acteurs qui succe? de`rent a` Eckhoff avaient soin
d'arracher comme lui les plumes du chapeau; mais elles tom-
baient a` terre sans que personne y fit attention; car une e? motion
ve? ritable ne donnait pas aux moindres actions cette ve? rite? su-
blime qui e? branle l'a^me des spectateurs.
La the? orie d'Iffland sur les gestes est tre`s-inge? nieuse. Il se
moque de ces bras en moulin a` vent qui ne peuvent servir qu'a`
de? clamer des sentences de morale, et croit que d'ordinaire les
gestes en petit nombre, et rapproche? sdu corps, indiquent mieux
les impressions vraies; mais, dans ce genre comme dans beaucoup
d'autres, il y a deux parties tre`s-distinctes dans le talent, celle qui
tient a` l'enthousiasme poe? tique, et celle qui nai^t de l'esprit ob-
servateur; selon la nature des pie`ces ou des ro^les, l'une ou l'au-
tre doit dominer. Les gestes que la gra^ce et le sentiment du
beau inspirent ne sont pas ceux qui caracte? risent tel ou tel per-
sonnage. La poe? sie exprime la perfection en ge? ne? ral, pluto^t
qu'une manie`re d'e^tre ou de sentir particulie`re. L'art de l'acteur
tragique consiste donc a` pre? senter dans ses attitudes l'image de
la beaute? poe? tique, sans ne? gliger cependant ce qui distingue les
diffe? rents caracte`res: c'est toujours dans l'union de l'ide? al avec
la nature que consiste tout le domaine des arts.
Lorsque je vis la pie`ce Avi. i? 'ingt-Quatre Fe? vrier joue? e par
deux poetes ce? le`bres, A. W. Schlegel et Werner, je fus singu-
lie`rement frappe? e de leur genre de de? clamation. Ils pre? paraient
les effets longtemps d'avance, et l'on voyait qu'ils auraient e? te?
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? DE LA DE? CLAMATION. 329
fa^che? s d'e^tre applaudis de`s les premiers vers. Toujours l'ensem-
ble e? tait pre? sent a` leur pense? e, et le succe`s de de? tail, qui aurait
pu y nuire, ne leur eu^t paru qu'une faute. Schlegel me fit de? cou-
vrir, par sa manie`re de jouer dans la pie`ce de Werner, tout l'in-
te? re^t d'un ro^le que j'avais a` peine remarque? a` la lecture. C'e? tait
l'innocence d'un homme coupable, le malheur d'un honne^te
homme, qui a commis un crime a` l'a^ge de sept ans, lorsqu'il ne
savait pas encore ce que c'e? tait que le crime, et qui, bien qu'il
soit en paix avec sa conscience, n'a pu dissiper le trouble de son
imagination. Je jugeai l'homme qui e? tait repre? sente? devant
moi, comme on pe? ne`tre un caracte`re dans la vie, d'apre`s des
mouvements, des regards, des accents qui le trahissent a` son
insu. En France, la plupart de nos acteurs n'ont jamais l'air
d'ignorer ce qu'ils font; au contraire, il y a quelque chose
d'e? tudie? dans tous les moyens qu'ils emploient, et l'on en pre? -
voit d'avance l'effet.
Schroeder, dont tous les Allemands parlentcomme d'un acteur
admirable, ne pouvait supporter qu'on di^t qu'il avait bien joue?
tel ou tel moment, ou bien de? clame? tel ou tel vers, -- Ai-je bien
joue? le ro^le? demandait-il; ai-je e? te? le personnage ? VA. en effet
son talent semblait changer de nature chaque fois qu'il changeait
de ro^le. L'on n'oserait pas en France re? citer, comme il le fai-
sait souvent, la trage? die duton habituel de la conversation. Il y
a une couleur ge? ne? rale, un accent convenu, qui est de rigueur
dans les vers alexandrins, et les mouvements les plus passionne? s
reposent sur ce pie? destal, qui est comme la donne? e ne?
a` peine peut-on communiquer ce qu'elle inspire a` l'ami le plus
intime : comment serait-il donc possible d'y associer la multi-
tude rassemble? e?
Parmi ces pie`ces alle? goriques, il faut compter le Triomphe de
la Sentimentalite? , petite come? die de Goethe, dans laquelle il a
saisi tre`s-inge? nieusement le double ridicule de l'enthousiasme
affecte? et de la nullite? re? elle. Le principal personnage de cette
pie`ce parai^t engoue? de toutes les ide? es qui supposent une imagi-
nation forte et une a^me profonde, et cependant il n'est dans le
vrai qu'un prince tre`s-bien e? leve? , tre`s-poli, et tre`s-soumis aux
convenances; il s'est avise? de vouloir me^ler a` tout cela une sen-
sibilite? de commande, dont l'affectation se trahit sans cesse. Il
croit aimer les sombres fore^ts, le clair de lune, les nuits e? toile? es; mais comme il craint le froid et la fatigue, il a fait faire
des de? corations qui repre? sentent ces divers objets, et ne voyage
jamais que suivi d'un grand chariot qui transporte en poste der-
rie`re lui les beaute? s de la nature.
Ce prince sentimental se croit aussi amoureux d'une femme
dont on lui a vante? l'esprit et les talents. Cette femme, pour l'e? -
prouver, met a` sa place un mannequin voile? qui, comme on le
pense bien, ne dit jamais rien d'inconvenable. et dont le silence
passe tout a` la fois pour la re? serve du bon gou^t et la re^verie
me? lancolique d'une a^me tendre.
Le prince, enchante? de cette compagne selon ses de? sirs, de-
mande le mannequin en mariage, et ne de? couvre qu'a` la fin qu'il
est assez malheureux pour avoir choisi une ve? ritable poupe? e
pour e? pouse, tandis que sa cour lui offrait un si grand nombre
de femmes qui en auraient re? uni les principaux avantages. L'on ne saurait le nier cependant, ces ide? es^nge? nieuses ne
suffisent pas pour faire une bonne come? die, et les Franc? ais ont,
comme auteurs comiques, l'avantage sur toutes les autres na-
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? 32-1 DE La` DE? CLAMATION.
tions. La connaissance des hommes, et l'art d'user de cette con-
naissance, leur assure, a` cet e? gard, le premier rang; mais
peut-e^tre pourrait-on souhaiter quelquefois, me^me dans les
meilleures pie`ces de Molie`re, que la satire raisonne? e ti^nt moins
de place, et que l'imagination y eu^t plus de part. Le Festin de
Pierre est, parmi ses come? dies, celle qui se rapproche le plus
du syste`me allemand; un prodige qui fait frissonner sert de mo-
bile aux situations les plus comiques, et les plus grands effets
de l'imagination se me^lent aux nuances les plus piquantes de la
plaisanterie. Ce sujet, aussi spirituel que poe? tique, est pris des
Espagnols. Les conceptions hardies sont tre`s-rares en France;
l'on y aime, en litte? rature, a` travailler en su^rete? ; mais, quand
des circonstances heureuses ont encourage? a` se risquer, le gou^t
y conduit l'audace avec une adresse merveilleuse, et ce sera
presque toujours un chef-d'oeuvre qu'une invention e? trange`re
arrange? e par un Franc? ais.
CHAPITRE XXVII.
De la de? clamation.
L'art de la de? clamation ne laissant apre`s lui que des souve-
nirs, et ne pouvant e? lever aucun monument durable, il en est
re? sulte? que l'on n'a pas beaucoup re? fle? chi sur tout ce qui le com-
'pose. Rien n'est si facile que d'exercer cet art me? diocrement,
mais ce n'est pas a` tort que dans sa perfection il excite tant
d'enthousiasme; et, loin de de? pre? cier cette impression comme
un mouvement passager, je crois qu'on peut lui assigner de justes
causes. Rarement on parvient, dans la vie, a` pe? ne? trer les senti-
ments secrets des hommes: l'affectation et la faussete? , la froi-
deur et la modestie, exage`rent, alte`rent, contiennent ou voilent
ce qui se passe au fond du coeur. Un grand acteur met en e? vidence
les sympto^mes de la ve? rite? dans les sentiments et dans les carac-
te`res, et nous montre les signes certains des penchants et des
e? motions vraies. Tant d'individus traversent l'existence sans se
douter des passions et deleur force, que souvent le the? a^tre re? -
ve`le l'homme a` l'homme, et lui inspire une sainte terreur des
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA DECLAMATION. 325
orages de l'a^me. En effet, quelles paroles pourraient les peindre
comme un accent, un geste, un regard! les paroles en disent
moins que l'accent, l'accent moins que la physionomie, et l'inex-
primable est pre? cise? ment ce qu'un sublime acteur nous fait con-
nai^tre.
Les me^mes diffe? rences qui existent entre le syste`me tragique
des Allemands et celui des Franc? ais, se retrouvent aussi dans
leur manie`re de de? clamer; les Allemands imitent le plus qu'ils
peuvent la nature, ils n'ont d'affectation que celle de la sim-
plicite? ; mais c'en est bien quelquefois une aussi dans les beaux-arts. Tanto^t les acteurs allemands touchent profonde? ment le
coeur, et tanto^t ils laissent le spectateur tout a` fait froid; ils se
confient alors a` sa patience, et sont su^rs de ne pas se tromper.
Les Anglais ont plus de majeste? que les Allemands, dans leur
manie`re de re? citer les vers; mais ils n'ont pas pourtant cette
pompe habituelle que les Franc? ais, et surtout les trage? dies fran-
c? aises, exigent des acteurs ; notre genre ne supporte pas la me? -
diocrite? , car on n'y revient au naturel que par la beaute? me^me de
l'art. Les acteurs du second ordre, en Allemagne, sont froids
et calmes; ils manquent souvent l'effet tragique, mais ils ne sont
presque jamais ridicules: cela se passe sur le the? a^tre allemand
comme dans la socie? te? ; il y a la` des gens qui quelquefois vous
ennuient, et voila` tout; tandis que sur la sce`ne franc? aise, on est
impatiente? quand on n'est pas e? mu : les sons ampoule? s et faux
de? gou^tent tellement alors de la trage? die, qu'il n'y a pas de pa-
rodie, si vulgaire qu'elle soit, qu'on ne pre? fe`re a` la fade impres-
sion du manie? re? .
Les accessoires de l'art, les machines et les de? corations. doi-
vent e^tre plus soigne? s en Allemagne qu'en France, puisque,
dans les trage? dies, on y a plus souvent recours a` ces moyens.
Iffland a su re? unir a` Berlin tout ce que l'on peut de? sirer a` cet
e? gard; mais a` Vienne, ou ne? glige me^me les moyens ne? cessaires
pour repre? senter mate? riellement bien une trage? die. La me? moire
est infiniment plus cultive? e par les acteurs franc? ais que par les
acteurs allemands. Le souffleur, a` Vienne, disait d'avance a` la
plupart des acteurs chaque mot de leur ro^le; et je l'ai vu sui-
vant de coulisse en coulisse Othelle, pour lui sugge? rer les vers
M ",! , Vii! DE STAFX.
IU1 <<Igi
f.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 320 DE LA DECLAMATION.
qu'il devait prononcer au fond du the? a^tre, en poignardant Desde? mona.
Le spectacle de Weimar est infiniment mieux ordonne? sous
tous les rapports. Le prince, homme d'esprit, et l'homme de
ge? nie connaisseur des arts, qui y pre? sident, ont su re? unir le gou^t
et l'e? le? gance a` la hardiesse qui permet de nouveaux essais.
Sur ce the? a^tre,comme sur tous les autres en Allemagne, les
me^mes acteurs jouent les ro^les comiques et tragiques. On dit
que cette diversite? s'oppose a` ce qu'ils soient supe? rieurs dans
aucun; cependant, les premiers ge? nies du the? a^tre, Garrick et
Talma, ont re? uni les deux genres. La flexibilite? d'organes qui
transmet e? galement bien des impressions diffe? rentes me semble
le cachet du talent naturel, et, dans la fiction comme dans le
vrai, c'est peut-e^tre a` la me^me source que l'on puise la me? lan-
colie et la gaiete? . D'ailleurs, en Allemagne le pathe? tique et la
plaisanterie se succe`dent et se me^lent si souvent ensemble dans
les trage? dies, qu'il faut bien que les acteurs posse`dent le talent
d'exprimer l'un et l'autre; etle meilleur acteur allemand, If-
fland , en donne l'exemple avec un succe`s me? rite? . Je n'ai pas vu
en Allemagne de bons acteurs du haut comique, des marquis,
des fats, etc.
Ce qui fait la gra^ce de ce genre de ro^le, c'est ce que
les Italiens appellent la dlsinvoltura, et ce qui se traduirait en
franc? ais par l'air de? gage? . L'habitude qu'ont les Allemands de
mettre a` tout de l'importance est pre? cise? ment ce qui s'oppose
le plus a` cette facile le? ge`rete? . Mais il est impossible de porter
plus loin l'originalite? , la verve comique et l'art de peindre les
caracte`res, que ne le fait Iffland dans ses ro^les. Je ne crois pas
que nous ayons jamais vu au The? a^tre franc? ais un talent plus
varie? ni plus inattendu que le sien, ni un acteur qui se risque a`
rendre les de? fauts et les ridicules naturels avec une expression
aussi frappante. Il y a dans la come? die des mode`les donne? s,
les pe`res avares, les fils libertins, les valets fripons, les tuteurs
dupe? s; mais les ro^les d'Iffland, tels qu'il les conc? oit, ne peuvent
entrer dans aucun de ces moules: il faut les nommer tous par
leur nom; car cee? ont des individus qui diffe`rent singulie`rement
l'un de l'autre, et dans lesquels Iffland parai^t vivre comme chez
lui.
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? DE LA DE? CLAMATION. 327
Sa manie`re dejouer la trage? die est aussi, selon moi, d'un
grand effet. Le calme et la simplicite? de sa de? clamation, dans le
beau ro^le de Walstein, ne peuvent s'effacer du souvenir. L'im-
pression qu'il produit est graduelle: on croit d'abord que son apparente froideur ne pourra jamais remuer l'a^me; mais en
avanc? ant, l'e? motion s'accroi^t avec une progression toujours plus
rapide, et le moindre mot exerce un grand pouvoir, quand il
re`gne dans le ton ge? ne? ral une noble tranquillite? , qui fait ressor-
tir chaque nuance, et conserve toujours la couleur du caracte`re
au milieu des passions.
Iffland, qui est aussi supe? rieur dans la the? orie que dans la pra-
tique de son art, a publie? plusieurs e? crits extre^mement spirituels
sur la de? clamation; il donne d'abord une exquisse des diffe? ren-
tes e? poques de l'histoire du the? a^tre allemand: l'imitation roideet empese? e de la sce`ne franc? aise; la sensibilite? larmoyante des
drames, dont le naturel prosai? que avait fait oublier jusqu'au
talent de dire des vers; enfin le retour a` la poe? sie et a` l'imagina-
tion, qui constitue maintenant le gou^t universel en Allemagne.
Il n'y a pas un accent, pas un geste dont Iffland ne sache trou-
ver la cause, en philosophe et en artiste.
Un personnage de ses pie`ces lui fournit les observations les
plus fines sur le jeu comique; c'est un homme a^ge? , qui tout a`
coup abandonne ses anciens sentiments et ses constantes habitu-
des , pour reve^tir le costume et les opinions de la ge? ne? ration
nouvelle. Le caracte`re de cet homme n'a rien de me? chant, et ce-
pendant la vanite? l'e? gare autant que s'il e? tait vraiment pervers.
Il a laisse? faire a` sa fille un mariage raisonnable, mais obscur,
et tout a` coup il lui conseille de divorcer. Une badine a` la main,
souriant gracieusement, se balanc? ant sur un pied et sur l'autre,
il propose a` son enfant de briser les liens les plus sacre? s; mais
ce qu'on aperc? oit de vieillesse a` travers une e? le? gance force? e, ce
qu'il y a d'embarrasse? dans son apparente insouciance, est saisi
par Iffland avec une admirable sagacite? .
A propos de Franz Moor, fre`re du chef des brigands de
Schiller, Iffland examine de quelle manie`re les ro^les de sce? le? rat
doivent e^tre joue? s: << Il faut, dit-il, que l'acteur s'attache a` faire
sentir par quels motifs le personnage est devenu ce qu'il est.
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,i quelles circonstances ont de? prave? son a^me; enfin, l'acteur
doit e^tre comme le de? fenseur officieux du caracte`re qu'il repre? -
<<sente. >> En effet, il ne peut y avoir de ve? rite? , me^me dans la
sce? le? ratesse, que par les nuances qui font sentir que l'homme
ne devient jamais me? chant que par degre? s.
Iffland rappelle aussi la sensation prodigieuse que produisait,
dans la pie`ce tfE? miUa Galotti, Eckhoff, ancien acteur allemand
tre`s-ce? le`bre. Lorsque Odoard apprend par la mai^tresse du prince
que l'honneur de sa fille est menace? , il veut taire a` cette femme,
qu'il n'estime pas, l'indignation et la douleur qu'elle excite dans
son a^me, et ses mains, a` son insu, arrachaient les plumes qu'il
portait a` son chapeau, avec un mouvement convulsif dont l'effet
e? tait terrible. Les acteurs qui succe? de`rent a` Eckhoff avaient soin
d'arracher comme lui les plumes du chapeau; mais elles tom-
baient a` terre sans que personne y fit attention; car une e? motion
ve? ritable ne donnait pas aux moindres actions cette ve? rite? su-
blime qui e? branle l'a^me des spectateurs.
La the? orie d'Iffland sur les gestes est tre`s-inge? nieuse. Il se
moque de ces bras en moulin a` vent qui ne peuvent servir qu'a`
de? clamer des sentences de morale, et croit que d'ordinaire les
gestes en petit nombre, et rapproche? sdu corps, indiquent mieux
les impressions vraies; mais, dans ce genre comme dans beaucoup
d'autres, il y a deux parties tre`s-distinctes dans le talent, celle qui
tient a` l'enthousiasme poe? tique, et celle qui nai^t de l'esprit ob-
servateur; selon la nature des pie`ces ou des ro^les, l'une ou l'au-
tre doit dominer. Les gestes que la gra^ce et le sentiment du
beau inspirent ne sont pas ceux qui caracte? risent tel ou tel per-
sonnage. La poe? sie exprime la perfection en ge? ne? ral, pluto^t
qu'une manie`re d'e^tre ou de sentir particulie`re. L'art de l'acteur
tragique consiste donc a` pre? senter dans ses attitudes l'image de
la beaute? poe? tique, sans ne? gliger cependant ce qui distingue les
diffe? rents caracte`res: c'est toujours dans l'union de l'ide? al avec
la nature que consiste tout le domaine des arts.
Lorsque je vis la pie`ce Avi. i? 'ingt-Quatre Fe? vrier joue? e par
deux poetes ce? le`bres, A. W. Schlegel et Werner, je fus singu-
lie`rement frappe? e de leur genre de de? clamation. Ils pre? paraient
les effets longtemps d'avance, et l'on voyait qu'ils auraient e? te?
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fa^che? s d'e^tre applaudis de`s les premiers vers. Toujours l'ensem-
ble e? tait pre? sent a` leur pense? e, et le succe`s de de? tail, qui aurait
pu y nuire, ne leur eu^t paru qu'une faute. Schlegel me fit de? cou-
vrir, par sa manie`re de jouer dans la pie`ce de Werner, tout l'in-
te? re^t d'un ro^le que j'avais a` peine remarque? a` la lecture. C'e? tait
l'innocence d'un homme coupable, le malheur d'un honne^te
homme, qui a commis un crime a` l'a^ge de sept ans, lorsqu'il ne
savait pas encore ce que c'e? tait que le crime, et qui, bien qu'il
soit en paix avec sa conscience, n'a pu dissiper le trouble de son
imagination. Je jugeai l'homme qui e? tait repre? sente? devant
moi, comme on pe? ne`tre un caracte`re dans la vie, d'apre`s des
mouvements, des regards, des accents qui le trahissent a` son
insu. En France, la plupart de nos acteurs n'ont jamais l'air
d'ignorer ce qu'ils font; au contraire, il y a quelque chose
d'e? tudie? dans tous les moyens qu'ils emploient, et l'on en pre? -
voit d'avance l'effet.
Schroeder, dont tous les Allemands parlentcomme d'un acteur
admirable, ne pouvait supporter qu'on di^t qu'il avait bien joue?
tel ou tel moment, ou bien de? clame? tel ou tel vers, -- Ai-je bien
joue? le ro^le? demandait-il; ai-je e? te? le personnage ? VA. en effet
son talent semblait changer de nature chaque fois qu'il changeait
de ro^le. L'on n'oserait pas en France re? citer, comme il le fai-
sait souvent, la trage? die duton habituel de la conversation. Il y
a une couleur ge? ne? rale, un accent convenu, qui est de rigueur
dans les vers alexandrins, et les mouvements les plus passionne? s
reposent sur ce pie? destal, qui est comme la donne? e ne?