sie
tiennent
encore
plus a` la me?
plus a` la me?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
rite?
, que je lui vouai, de`s
cet instant, une amitie? pleine d'admiration.
Atteint, jeune encore, par une maladie sans espoir, ses en-
fants, sa femme, qui me? ritait par mille qualite? s touchantes l'at-
tachement qu'il avait pour elle, ont adouci ses derniers moments.
Madame de Wollzogen, une amie digne de le comprendre, lui
demanda, quelques heures avant sa mort, comment il se trou-
vait: Toujours plus tranquille, lui re? pondit-il. En effet, n'avait-il pas raison de se confier a` la Divinite? , dont il avait seconde? le
re`gne sur la terre? n'approchait-il pas du se? jour des justes?
n'est-il pas dans ce moment aupre`s de ses pareils, et n'a-t-il pas
de? ja` retrouve? les amis qui nous attendent
CHAPITRE IX.
Du style et de la versification dans la langue allemande.
En apprenant la prosodie d'une langue, on entre plus inti-
mement dans l'esprit de la nation qui la pai? le , que par quelque [2
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? 134 DU STYLE
genre d'e? tude que ce puisse e^tre. De la` vient qu'il est amusant
de prononcer des mots e? trangers": on s'e? coute comme si c'e? tait
un autre qui parla^t:mais il n'y a rien de si de? licat, de si difficile
a` saisir, que l'accent: on apprend mille fois plus aise? ment les airs
de musique les plus complique? s, que la prononciation d'une
seule syllabe. Une longue suite d'anne? es, ou les premie`res im-
pressions de l'enfance , peuvent seules rendre capable d'imiter
cette prononciation , qui appartient a` ce qu'il y a de plus subtil
et de plus inde? finissable dans l'imagination et dans le caracte`re
national.
Les dialectes germaniques ont pour origine une langue me`re,
dans laquelle ils puisent tous. Cette source commune renouvelle
et multiplie les expressions d'une fac? on toujours conforme au
ge? nie des peuples. Les nations d'origine latine ne s'enrichissent,
pour ainsi dire, que par l'exte? rieur; elles doivent avoir recours
aux langues mortes, aux richesses pe? trifie? es pour e? tendre leur
empire. Il est donc naturel que les innovations, en fait de mots,
leur plaisent moins qu'aux nations qui font sortir les rejetons
d'une tige toujours vivante. Mais les e? crivains franc? ais ont be-
soin d'animer et de colorer leur style, par toutes les hardiesses
qu'un sentiment naturel peut leur inspirer , tandis que les Al-
lemands, au contraire, gagnent a` se restreindre. La re? serve ne
saurait de? truire en eux l'originalite? ; ils ne courent risque de la
perdre que par l'exce`s me^me de l'abondance.
L'air que l'on respire a beaucoup d'influence sur les sons que
l'on articule: la diversite? du sol et du climat produit dans la
me^me langue des manie`res de prononcer tre`s-diffe? rentes. Quand
on se rapproche de la mer, les mots s'adoucissent; le climat y
est plus tempe? re? ; peut e^tre aussi que le spectacle habituel de
cette image de l'infini porte a` la re^verie, et donne a` la pronon-
ciation plus de mollesse et d'indolence: mais quand on s'e? le`ve
vers les montagnes, l'accent devient plus fort, et l'on dirait que
les habitants de ces lieux e? leve? s veulent se faire entendre au reste
du monde, du haut de leurs tribunes naturelles. On retrouve dans
les dialectes germaniques les traces des diverses influences que
je viens d'indiquer.
L'allemand est en lui-me^me une langue aussi primitive , et
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? ET DB LA VJSRSIF1CAT10N. 1 35
U'uue construction presque aussi savante que le grec. Ceux qui
ont fait des recherches sur les grandes familles des peuples , ont
cru trouver les raisons historiques de cette ressemblance : tou-
jours est-il vrai qu'on remarque dans l'allemand un rapport
grammatical avec le grec; il en a la difficulte? sans en avoir le
charme; car la multitude des consonnes dont les mots sont
compose? s les rendent plus bruyants que sonores. On dirait que
ces mots sont par eux-me^mes plus forts que ce qu'ils expriment,
et cela donne souvent une monotonie d'e? nergie au style. Il faut
se garder cependant de vouloir trop adoucir la prononciation
allemande : il en re? sulte alors un certain gracieux manie? re? tout
a` fait de? sagre? able : on entend des sons rudes au fond, malgre?
la gentillesse qu'on essaye d'y mettre, et ce genre d'affectation
de? plai^t singulie`rement. J. -J. Rousseau a dit que les langues du Midi e? taient filles de
la joie, et les langues du Nord, du besoin. L'italien et l'espa-
gnol sont module? s comme un chant harmonieux ; le franc? ais est
e? minemment propre a` la conversation; les de? bats parlementai-
res et l'e? nergie naturelle a` la nation, ont donne? a` l'anglais quel-
que chose d'expressif qui supple? e a` la prosodie de la langue.
L'allemand est plus philosophique de beaucoup que l'italien,
plus poe? tique par sa hardiesse que le franc? ais, plus favorable
au rhythme des vers que l'anglais : mais il lui reste encore une
sorte de roideur, qui vient peut-e^tre de ce qu'on ne s'en est gue`re
servi ni dans la socie? te? ni en public. La simplicite? grammaticale est un des grands avantages des langues modernes; cette simplicite? , fonde? e sur des principes de
logique communs a` toutes les nations, fait qu'on s'entend plus
facilement; une e? tude tre`s-le? ge`re suffit pour apprendre l'italien
etl'anglais; mais c'est une science que l'allemand. La pe? riode
allemande entoure la pense? e comme des serres qui s'ouvrent et se
referment pour la saisir. Une construction de phrases a` peu pre`s
telle qu'elle existe chez les anciens, s'y est introduite plus aise? -
ment que dans aucun autre dialecte europe? en; mais les inversions
ne conviennent gue`re aux langues modernes. Les terminaisons
e? clatantes des mots grecs et latins , faisaient sentir quels e? taient
parmi les mots ceux qui devaient se joindre ensemble, lors me^me
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? J58 DU STYLE
qu'ils e? taient se? pare? s : les signes des de? clinaisons chez les Alle-
mands sont tellement sourds, qu'on a beaucoup de peine a` re-
trouver les paroles qui de? pendent les unes des autres sous ces
uniformes couleurs.
Lorsque les e? trangers se plaignent du travail qu'exige l'e? tude
de l'allemand, on leur re? pond qu'il est tre`s-facile d'e? crire dans
cette langue avec la simplicite? dela grammaire francaise, tan-
dis qu'il est impossible, en franc? ais, d'adopter la pe? riode alle-
mande, et qu'ainsi donc il faut la conside? rer comme un moyen
de plus; mais ce moyen se? duit les e? crivains, et ils en usent trop.
L'allemand est peut-e^tre la seule langue dans laquelle les vers
soient plus faciles a` comprendre que la prose; la phrase poe? ti-
que, e? tant ne? cessairement coupe? e par la mesure me^me du vers,
ne saurait se prolonger au dela`.
Sans doute, il y a plus de nuances, plus de liens entre les
pense? es, dans ces pe? riodes qui forment un tout, et rassemblent
sous un me^me point de vue les divers rapports qui tiennent au
me^me sujet; mais, si l'on se laissait aller a` l'enchai^nement na-
turel des diffe? rentes pense? es entre elles, on finirait par vouloir
les mettre toutes dans une me^me phrase. L'esprit humain a be-
soin de morceler pour comprendre; et l'on risque de prendre des
lueurs pour des ve? rite? s, quand les formes me^mes du langage
sont obscures.
L'art de traduire est pousse? plus loin en allemand que dans
aucun autre dialecte europe? en. Voss a transporte? dans sa langue
les poe`tes grecs et latins avec une e? tonnante exactitude, et W.
Schlegel, les poetes anglais, italiens et espagnols, avec une ve? -
rite? de coloris dont il n'y avait point d'exemple avant lui. Lors-
que l'allemand se pre^te a` la traduction de l'anglais, il ne perd
pas son caracte`re naturel, puisque ces langues sont toutes deux
d'origine germanique; mais quelque me? rite qu'il y ait dans la
traduction d'Home`re par Voss, elle fait de l'Iliade et de l'Odys-
se? e , des poe`mes dont le style est grec, bien que les mots soient
allemands. La connaissance de l'antiquite? y gagne; l'originalite?
propre a` l'idiome de chaque nation y perd ne? cessairement. Il
semble que ce soit une contradiction, d'accuser la langue alle-
mande tout a` la fois de trop de flexibilite? et de trop de rudesse;
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? ET DE LA VERSIFICATION. 137
mais ce qui se concilie dans les caracte`res peut aussi se concilier
dans les langues; et souvent, dans la me^me personne, les incon-
ve? nients dela rudesse n'empe^chent pas ceux de la flexibilite? .
Ces de? fauts se font sentir beaucoup plus rarement dans les
vers que dans la prose, et dans les compositions originales que dans les traductions; je crois donc qu'on peut dire avec ve? rite? ,
qu'il n'y a point aujourd'hui de poe? sie plus frappante et plus
varie? e que celle des Allemands.
La versification est un art singulier, dont l'examen est ine? -
puisable ; les mots qui, dans les rapports ordinaires de la vie,
servent seulement de signe a` la pense? e, arrivent a` notre a^me
par le rhythme des sons harmonieux, et nous causent une
double jouissance, qui nai^t de la sensation et de la re? flexion re? u-
nies; mais si toutes les langues sont e? galement propres a` dire
ce que l'on pense, toutes ne le sont pas e? galement a` faire parta-
ger ce que l'on e? prouve, et les effets de la poe?
sie tiennent encore
plus a` la me? lodie des paroles qu'aux ide? es qu'elles expriment.
L'allemand est la seule langue moderne qui ait des syllabes
longues et bre`ves, comme le grec et le latin; tous les autres dia-
lectes europe? ens sont plus ou moins accentue? s, mais les vers ne
sauraient s'y mesurer a` la manie`re des anciens d'apre`s la lon-
gueur des syllabes : l'accent donne de l'unite? aux phrases comme
aux mots, il a du rapport avec la signification de ce qu'on dit;
l'on insiste sur ce qui doit de? terminer le sens, et la prononcia-
tion, en faisant ressortir telle ou telle parole, rapporte tout a`
l'ide? e principale. Il n'en est pas ainsi de la dure? e musicale des
sons dans le langage; elle est bien plus favorable a` la poe? sie que
l'accent, parce qu'elle n'a point d'objet positif et qu'elle donne
seulement un plaisir noble et vague, comme toutes les jouissan-
ces sans but. Chez les anciens, les syllabes e? taient scande? es d'a-
pre`s la nature des voyelles et les rapports des sons entre eux ,
l'harmonie seule en de? cidait : en allemand, tous les mots acces-
soires sont brefs, et c'est la dignite? grammaticale, c'est-a`-dire,
l'importance de la syllabe radicale qui de? termine sa quantite? ;
il y a moins de charme dans cette espe`ce de prosodie que dans
celle des anciens, parce qu'elle tient plus aux combinaisons
abstraites qu'aux sensations involontaires; ne? anmoins c'est tou12
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? 138 DU STYLE
jours un grand avantage pour une langue d'avoir dans sa pro-
sodie de quoi supple? era` la rime. C'est une de? couverte moderne que la rime, elle tient a` tout
l'ensemble de nos beaux-arts; et ce serait s'interdire de grands
effets que d'y renoncer; elle est l'image de l'espe? rance et du sou-
venir. Un son nous fait de? sirer celui qui doit lui re? pondre, et
quand le second retentit, il nous rappelle celui qui vient de nous
e? chapper. Ne? anmoins cette agre? able re? gularite? doit ne? cessaire-
ment nuire au naturel dans l'art dramatique, et a` la hardiesse
dans le poe`me e? pique. On ne saurait gue`re se passer de la rime
dans les idiomes dont la prosodie est peu marque? e; et cependant
la ge^ne dela construction peut e^tre telle, dans certaines langues,
qu'un poete audacieux et penseur aurait besoin de faire gou^ter
l'harmonie des vers sans l'asservissement de la rime. Klopstock
a banni les alexandrins de la poe? sie allemande; il les a rem-
place? s par les hexame`tres et les vers i? ambiques non rime? s en
usage aussi chez les Anglais, et qui donnent a` l'imagination
beaucoup de liberte? . Les vers alexandrins convenaient tre`s-mal
a` la langue allemande; on peut s'en convaincre par les poe? sies
du grand Haller lui-me^me , quelque me? rite qu'elles aient; une
langue dont la prononciation est si forte e? tourdit par le retour
et l'uniformite? des he? mistiches. D'ailleurs cette forme de vers
appelle les sentences et les antithe`ses, et l'esprit allemand est
trop scrupuleux et trop vrai pour se pre^ter a` ces antithe`ses, qui
ne pre? sentent jamais les ide? es ni les images dans leur parfaite
since? rite? , ni dans leurs plus exactes nuances. L'harmonie des
hexame`tres, et surtout des vers i? ambiques non rime? s, n'est que
l'harmonie naturelle inspire? e par le sentiment : c'est une de? -
clamation note? e, tandis que le vers alexandrin impose un certain genre d'expressions et de tournures dont il est bien diffi-
cile de sortir. La compositionde ce genre de vers est un art tout
a`fait inde? pendant me^me du ge? nie poe? tique; on peut posse? der
cet art sans avoir ce ge? nie, et l'on pourrait au contraire e^tre
un grand poe`te et ne pas se sentir capable de s'astreindre a` cette
forme.
Nos meilleurs poe`tes lyriques , en France, ce sont peut-e^tre
nos grands prosateurs, Bossuet, Pascal, Fe? nelon, Buffon. Jean.
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? ET J>E L\ VERSIFICATION. 139
Jacques, etc. Le despotisme des alexandrins force souvent a` ne
point mettre en vers ce qui serait pourtant de la ve? ritable poe? sie;
tandis que chez les nations e? trange`res, la versification e? tant
beaucoup plus facile et plus naturelle, toutes les pense? es poe? ti-
ques inspirent des vers, et l'on ne laisse en ge? ne? ral a` la prose
que le raisonnement. On pourrait de? fier Racine lui-me^me de
traduire en vers franc? ais Pindare, Pe? trarque ou Klopstock,
sans de? naturer entie`rement leur caracte`re. Ces poetes ont un
genre d'audace qui ne se trouve gue`re que dans les langues ou`
l'on peut re? unir tout le charme de la versification a` l'originalite?
que la prose permet seule en franc? ais.
Un des grands avantages des dialectes germaniques en poe? sie,
c'est la varie? te? et la beaute? de leurs e? pithe`tes. L'allemand, sous
ce rapport aussi, peut se comparer au grec; l'on sent dans un
seul mot plusieurs images, comme dans la note fondamentale
d'un accord , on entend les autres sons dont il est compose? , ou
comme de certaines couleurs renouvellent en nous la sensation
de celles qui en de? pendent. L'on ne dit en franc? aisque ce qu'on
veutdire, et l'on ne voit point errer autour des paroles ces nua-
ges a` mille formes, qui entourent la poe? sie des langues du Nord,
et re? veillent une foule de souvenirs. A la liberte? de former une
seule e? pithe`te de deux ou trois, se joint celle d'animer le lan-
gage, en faisant des noms avec les verbes: le vivre, le vouloir,
le sentir, sont des expressions moins abstraites que la vie, la
volonte? , le sentiment; et tout ce qui tend a` changer la pense? e
en action donne toujours plus de mouvement au style. La faci-
lite? de renverser a` son gre? la construction de la phrase est aussi
tre`s-favorable a` la poe? sie, et permet d'exciter, parles moyens
varie? s de la versification, des impressions analogues a` celles de
la peinture et dela musique. Enfin l'esprit ge? ne? ral des dialectes
teutoniques , c'est l'inde? pendance ; les e? crivains cherchent avant
tout a` transmettre ce qu'ils sentent; ils diraient volontiers a` la
poe? sie, comme He? loi? sea` son amant : S'ityaun mot plus vrai,
plus tendre, plus profond encore pour exprimer ce que j'e? -
prouve, c'est celui-la` que je veux choisir. Le souvenir des con-
^enances de socie? te? poursuit en France le talent jusque dans ses
e? motions les plus intimes; et la crainte du ridicule est l'e? pe? e de
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? 140 DE l. A POE? SIE.
Damocle`s, qu'aucune fe^te de l'imagination ne peut faire oublier.
On parle souvent dans les arts du me? rite de la difficulte? vain-
cue; ne? anmoins on l'a dit avec raison : ou cette difficulte? ne se
sent pas, et alors elle est nulle; ou elle se sent, et alors elle
n'est pas vaincue. Les entraves font ressortir l'habilete? de l'es-
prit; mais il y a souvent dans le vrai ge? nie une sorte de mala-
dresse, semblable, a` quelques e? gards, a` la duperie des belles
a^mes ; et l'on aurait tort de vouloir l'asservir a` des ge^nes arbi-
traires , car il s'en tirerait beaucoup moins bien que des talents
du second ordre.
CHAPITRE X.
De la poe? sie.
Ce qui est vraiment divin dans le coeur de l'homme ne peut
e^tre de? fini; s'il y a des mots pour quelques traits, il n'y en a
point pour exprimer l'ensemble, et surtout le myste`re de la ve? ri-
table beaute? dans tous les genres. Il est difficile de dire ce qui
n'est pas de la poe? sie; mais si l'on veut comprendre ce qu'elle
est, il faut appeler a` son secours les impressions qu'excitent une
belle contre? e, une musique harmonieuse, le regard d'un objet
che? ri, et pardessus tout un sentiment religieux qui nous fait
e? prouver en nous-me^mes la pre? sence de la Divinite? . La poe? sie
est le langage naturel a` tous les cultes. La Bible est pleine de
poe? sie ; Home`re est plein de religion. Ce n'est pas qu'il y ait des
fictions dans la Bible, ni des dogmes dans Home`re; mais l'enthou-
siasme rassemble dans un me^me foyer des sentiments divers;
l'enthousiasme est l'encens de la terre vers le ciel; il les re? unit
l'un a` l'autre.
Le don de re? ve? ler par la parole ce qu'on ressent au fond du
coeur est tre`s-rare ; il y a pourtant de la poe? sie dans tous les
e^tres capables d'affections vives et profondes; l'expression man-
que a` ceux qui ne sont pas exerce? s a` la trouver. Le poe`te ne fait,
pour ainsi dire, que de? gager le sentiment prisonnier au fond de
l'a^me; le ge? nie poe? tique est une disposition inte? rieure, de la
me^me nature que celle qui rend capable d'un ge? ne? reux sacrifice:
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust.
cet instant, une amitie? pleine d'admiration.
Atteint, jeune encore, par une maladie sans espoir, ses en-
fants, sa femme, qui me? ritait par mille qualite? s touchantes l'at-
tachement qu'il avait pour elle, ont adouci ses derniers moments.
Madame de Wollzogen, une amie digne de le comprendre, lui
demanda, quelques heures avant sa mort, comment il se trou-
vait: Toujours plus tranquille, lui re? pondit-il. En effet, n'avait-il pas raison de se confier a` la Divinite? , dont il avait seconde? le
re`gne sur la terre? n'approchait-il pas du se? jour des justes?
n'est-il pas dans ce moment aupre`s de ses pareils, et n'a-t-il pas
de? ja` retrouve? les amis qui nous attendent
CHAPITRE IX.
Du style et de la versification dans la langue allemande.
En apprenant la prosodie d'une langue, on entre plus inti-
mement dans l'esprit de la nation qui la pai? le , que par quelque [2
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? 134 DU STYLE
genre d'e? tude que ce puisse e^tre. De la` vient qu'il est amusant
de prononcer des mots e? trangers": on s'e? coute comme si c'e? tait
un autre qui parla^t:mais il n'y a rien de si de? licat, de si difficile
a` saisir, que l'accent: on apprend mille fois plus aise? ment les airs
de musique les plus complique? s, que la prononciation d'une
seule syllabe. Une longue suite d'anne? es, ou les premie`res im-
pressions de l'enfance , peuvent seules rendre capable d'imiter
cette prononciation , qui appartient a` ce qu'il y a de plus subtil
et de plus inde? finissable dans l'imagination et dans le caracte`re
national.
Les dialectes germaniques ont pour origine une langue me`re,
dans laquelle ils puisent tous. Cette source commune renouvelle
et multiplie les expressions d'une fac? on toujours conforme au
ge? nie des peuples. Les nations d'origine latine ne s'enrichissent,
pour ainsi dire, que par l'exte? rieur; elles doivent avoir recours
aux langues mortes, aux richesses pe? trifie? es pour e? tendre leur
empire. Il est donc naturel que les innovations, en fait de mots,
leur plaisent moins qu'aux nations qui font sortir les rejetons
d'une tige toujours vivante. Mais les e? crivains franc? ais ont be-
soin d'animer et de colorer leur style, par toutes les hardiesses
qu'un sentiment naturel peut leur inspirer , tandis que les Al-
lemands, au contraire, gagnent a` se restreindre. La re? serve ne
saurait de? truire en eux l'originalite? ; ils ne courent risque de la
perdre que par l'exce`s me^me de l'abondance.
L'air que l'on respire a beaucoup d'influence sur les sons que
l'on articule: la diversite? du sol et du climat produit dans la
me^me langue des manie`res de prononcer tre`s-diffe? rentes. Quand
on se rapproche de la mer, les mots s'adoucissent; le climat y
est plus tempe? re? ; peut e^tre aussi que le spectacle habituel de
cette image de l'infini porte a` la re^verie, et donne a` la pronon-
ciation plus de mollesse et d'indolence: mais quand on s'e? le`ve
vers les montagnes, l'accent devient plus fort, et l'on dirait que
les habitants de ces lieux e? leve? s veulent se faire entendre au reste
du monde, du haut de leurs tribunes naturelles. On retrouve dans
les dialectes germaniques les traces des diverses influences que
je viens d'indiquer.
L'allemand est en lui-me^me une langue aussi primitive , et
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET DB LA VJSRSIF1CAT10N. 1 35
U'uue construction presque aussi savante que le grec. Ceux qui
ont fait des recherches sur les grandes familles des peuples , ont
cru trouver les raisons historiques de cette ressemblance : tou-
jours est-il vrai qu'on remarque dans l'allemand un rapport
grammatical avec le grec; il en a la difficulte? sans en avoir le
charme; car la multitude des consonnes dont les mots sont
compose? s les rendent plus bruyants que sonores. On dirait que
ces mots sont par eux-me^mes plus forts que ce qu'ils expriment,
et cela donne souvent une monotonie d'e? nergie au style. Il faut
se garder cependant de vouloir trop adoucir la prononciation
allemande : il en re? sulte alors un certain gracieux manie? re? tout
a` fait de? sagre? able : on entend des sons rudes au fond, malgre?
la gentillesse qu'on essaye d'y mettre, et ce genre d'affectation
de? plai^t singulie`rement. J. -J. Rousseau a dit que les langues du Midi e? taient filles de
la joie, et les langues du Nord, du besoin. L'italien et l'espa-
gnol sont module? s comme un chant harmonieux ; le franc? ais est
e? minemment propre a` la conversation; les de? bats parlementai-
res et l'e? nergie naturelle a` la nation, ont donne? a` l'anglais quel-
que chose d'expressif qui supple? e a` la prosodie de la langue.
L'allemand est plus philosophique de beaucoup que l'italien,
plus poe? tique par sa hardiesse que le franc? ais, plus favorable
au rhythme des vers que l'anglais : mais il lui reste encore une
sorte de roideur, qui vient peut-e^tre de ce qu'on ne s'en est gue`re
servi ni dans la socie? te? ni en public. La simplicite? grammaticale est un des grands avantages des langues modernes; cette simplicite? , fonde? e sur des principes de
logique communs a` toutes les nations, fait qu'on s'entend plus
facilement; une e? tude tre`s-le? ge`re suffit pour apprendre l'italien
etl'anglais; mais c'est une science que l'allemand. La pe? riode
allemande entoure la pense? e comme des serres qui s'ouvrent et se
referment pour la saisir. Une construction de phrases a` peu pre`s
telle qu'elle existe chez les anciens, s'y est introduite plus aise? -
ment que dans aucun autre dialecte europe? en; mais les inversions
ne conviennent gue`re aux langues modernes. Les terminaisons
e? clatantes des mots grecs et latins , faisaient sentir quels e? taient
parmi les mots ceux qui devaient se joindre ensemble, lors me^me
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? J58 DU STYLE
qu'ils e? taient se? pare? s : les signes des de? clinaisons chez les Alle-
mands sont tellement sourds, qu'on a beaucoup de peine a` re-
trouver les paroles qui de? pendent les unes des autres sous ces
uniformes couleurs.
Lorsque les e? trangers se plaignent du travail qu'exige l'e? tude
de l'allemand, on leur re? pond qu'il est tre`s-facile d'e? crire dans
cette langue avec la simplicite? dela grammaire francaise, tan-
dis qu'il est impossible, en franc? ais, d'adopter la pe? riode alle-
mande, et qu'ainsi donc il faut la conside? rer comme un moyen
de plus; mais ce moyen se? duit les e? crivains, et ils en usent trop.
L'allemand est peut-e^tre la seule langue dans laquelle les vers
soient plus faciles a` comprendre que la prose; la phrase poe? ti-
que, e? tant ne? cessairement coupe? e par la mesure me^me du vers,
ne saurait se prolonger au dela`.
Sans doute, il y a plus de nuances, plus de liens entre les
pense? es, dans ces pe? riodes qui forment un tout, et rassemblent
sous un me^me point de vue les divers rapports qui tiennent au
me^me sujet; mais, si l'on se laissait aller a` l'enchai^nement na-
turel des diffe? rentes pense? es entre elles, on finirait par vouloir
les mettre toutes dans une me^me phrase. L'esprit humain a be-
soin de morceler pour comprendre; et l'on risque de prendre des
lueurs pour des ve? rite? s, quand les formes me^mes du langage
sont obscures.
L'art de traduire est pousse? plus loin en allemand que dans
aucun autre dialecte europe? en. Voss a transporte? dans sa langue
les poe`tes grecs et latins avec une e? tonnante exactitude, et W.
Schlegel, les poetes anglais, italiens et espagnols, avec une ve? -
rite? de coloris dont il n'y avait point d'exemple avant lui. Lors-
que l'allemand se pre^te a` la traduction de l'anglais, il ne perd
pas son caracte`re naturel, puisque ces langues sont toutes deux
d'origine germanique; mais quelque me? rite qu'il y ait dans la
traduction d'Home`re par Voss, elle fait de l'Iliade et de l'Odys-
se? e , des poe`mes dont le style est grec, bien que les mots soient
allemands. La connaissance de l'antiquite? y gagne; l'originalite?
propre a` l'idiome de chaque nation y perd ne? cessairement. Il
semble que ce soit une contradiction, d'accuser la langue alle-
mande tout a` la fois de trop de flexibilite? et de trop de rudesse;
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? ET DE LA VERSIFICATION. 137
mais ce qui se concilie dans les caracte`res peut aussi se concilier
dans les langues; et souvent, dans la me^me personne, les incon-
ve? nients dela rudesse n'empe^chent pas ceux de la flexibilite? .
Ces de? fauts se font sentir beaucoup plus rarement dans les
vers que dans la prose, et dans les compositions originales que dans les traductions; je crois donc qu'on peut dire avec ve? rite? ,
qu'il n'y a point aujourd'hui de poe? sie plus frappante et plus
varie? e que celle des Allemands.
La versification est un art singulier, dont l'examen est ine? -
puisable ; les mots qui, dans les rapports ordinaires de la vie,
servent seulement de signe a` la pense? e, arrivent a` notre a^me
par le rhythme des sons harmonieux, et nous causent une
double jouissance, qui nai^t de la sensation et de la re? flexion re? u-
nies; mais si toutes les langues sont e? galement propres a` dire
ce que l'on pense, toutes ne le sont pas e? galement a` faire parta-
ger ce que l'on e? prouve, et les effets de la poe?
sie tiennent encore
plus a` la me? lodie des paroles qu'aux ide? es qu'elles expriment.
L'allemand est la seule langue moderne qui ait des syllabes
longues et bre`ves, comme le grec et le latin; tous les autres dia-
lectes europe? ens sont plus ou moins accentue? s, mais les vers ne
sauraient s'y mesurer a` la manie`re des anciens d'apre`s la lon-
gueur des syllabes : l'accent donne de l'unite? aux phrases comme
aux mots, il a du rapport avec la signification de ce qu'on dit;
l'on insiste sur ce qui doit de? terminer le sens, et la prononcia-
tion, en faisant ressortir telle ou telle parole, rapporte tout a`
l'ide? e principale. Il n'en est pas ainsi de la dure? e musicale des
sons dans le langage; elle est bien plus favorable a` la poe? sie que
l'accent, parce qu'elle n'a point d'objet positif et qu'elle donne
seulement un plaisir noble et vague, comme toutes les jouissan-
ces sans but. Chez les anciens, les syllabes e? taient scande? es d'a-
pre`s la nature des voyelles et les rapports des sons entre eux ,
l'harmonie seule en de? cidait : en allemand, tous les mots acces-
soires sont brefs, et c'est la dignite? grammaticale, c'est-a`-dire,
l'importance de la syllabe radicale qui de? termine sa quantite? ;
il y a moins de charme dans cette espe`ce de prosodie que dans
celle des anciens, parce qu'elle tient plus aux combinaisons
abstraites qu'aux sensations involontaires; ne? anmoins c'est tou12
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? 138 DU STYLE
jours un grand avantage pour une langue d'avoir dans sa pro-
sodie de quoi supple? era` la rime. C'est une de? couverte moderne que la rime, elle tient a` tout
l'ensemble de nos beaux-arts; et ce serait s'interdire de grands
effets que d'y renoncer; elle est l'image de l'espe? rance et du sou-
venir. Un son nous fait de? sirer celui qui doit lui re? pondre, et
quand le second retentit, il nous rappelle celui qui vient de nous
e? chapper. Ne? anmoins cette agre? able re? gularite? doit ne? cessaire-
ment nuire au naturel dans l'art dramatique, et a` la hardiesse
dans le poe`me e? pique. On ne saurait gue`re se passer de la rime
dans les idiomes dont la prosodie est peu marque? e; et cependant
la ge^ne dela construction peut e^tre telle, dans certaines langues,
qu'un poete audacieux et penseur aurait besoin de faire gou^ter
l'harmonie des vers sans l'asservissement de la rime. Klopstock
a banni les alexandrins de la poe? sie allemande; il les a rem-
place? s par les hexame`tres et les vers i? ambiques non rime? s en
usage aussi chez les Anglais, et qui donnent a` l'imagination
beaucoup de liberte? . Les vers alexandrins convenaient tre`s-mal
a` la langue allemande; on peut s'en convaincre par les poe? sies
du grand Haller lui-me^me , quelque me? rite qu'elles aient; une
langue dont la prononciation est si forte e? tourdit par le retour
et l'uniformite? des he? mistiches. D'ailleurs cette forme de vers
appelle les sentences et les antithe`ses, et l'esprit allemand est
trop scrupuleux et trop vrai pour se pre^ter a` ces antithe`ses, qui
ne pre? sentent jamais les ide? es ni les images dans leur parfaite
since? rite? , ni dans leurs plus exactes nuances. L'harmonie des
hexame`tres, et surtout des vers i? ambiques non rime? s, n'est que
l'harmonie naturelle inspire? e par le sentiment : c'est une de? -
clamation note? e, tandis que le vers alexandrin impose un certain genre d'expressions et de tournures dont il est bien diffi-
cile de sortir. La compositionde ce genre de vers est un art tout
a`fait inde? pendant me^me du ge? nie poe? tique; on peut posse? der
cet art sans avoir ce ge? nie, et l'on pourrait au contraire e^tre
un grand poe`te et ne pas se sentir capable de s'astreindre a` cette
forme.
Nos meilleurs poe`tes lyriques , en France, ce sont peut-e^tre
nos grands prosateurs, Bossuet, Pascal, Fe? nelon, Buffon. Jean.
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? ET J>E L\ VERSIFICATION. 139
Jacques, etc. Le despotisme des alexandrins force souvent a` ne
point mettre en vers ce qui serait pourtant de la ve? ritable poe? sie;
tandis que chez les nations e? trange`res, la versification e? tant
beaucoup plus facile et plus naturelle, toutes les pense? es poe? ti-
ques inspirent des vers, et l'on ne laisse en ge? ne? ral a` la prose
que le raisonnement. On pourrait de? fier Racine lui-me^me de
traduire en vers franc? ais Pindare, Pe? trarque ou Klopstock,
sans de? naturer entie`rement leur caracte`re. Ces poetes ont un
genre d'audace qui ne se trouve gue`re que dans les langues ou`
l'on peut re? unir tout le charme de la versification a` l'originalite?
que la prose permet seule en franc? ais.
Un des grands avantages des dialectes germaniques en poe? sie,
c'est la varie? te? et la beaute? de leurs e? pithe`tes. L'allemand, sous
ce rapport aussi, peut se comparer au grec; l'on sent dans un
seul mot plusieurs images, comme dans la note fondamentale
d'un accord , on entend les autres sons dont il est compose? , ou
comme de certaines couleurs renouvellent en nous la sensation
de celles qui en de? pendent. L'on ne dit en franc? aisque ce qu'on
veutdire, et l'on ne voit point errer autour des paroles ces nua-
ges a` mille formes, qui entourent la poe? sie des langues du Nord,
et re? veillent une foule de souvenirs. A la liberte? de former une
seule e? pithe`te de deux ou trois, se joint celle d'animer le lan-
gage, en faisant des noms avec les verbes: le vivre, le vouloir,
le sentir, sont des expressions moins abstraites que la vie, la
volonte? , le sentiment; et tout ce qui tend a` changer la pense? e
en action donne toujours plus de mouvement au style. La faci-
lite? de renverser a` son gre? la construction de la phrase est aussi
tre`s-favorable a` la poe? sie, et permet d'exciter, parles moyens
varie? s de la versification, des impressions analogues a` celles de
la peinture et dela musique. Enfin l'esprit ge? ne? ral des dialectes
teutoniques , c'est l'inde? pendance ; les e? crivains cherchent avant
tout a` transmettre ce qu'ils sentent; ils diraient volontiers a` la
poe? sie, comme He? loi? sea` son amant : S'ityaun mot plus vrai,
plus tendre, plus profond encore pour exprimer ce que j'e? -
prouve, c'est celui-la` que je veux choisir. Le souvenir des con-
^enances de socie? te? poursuit en France le talent jusque dans ses
e? motions les plus intimes; et la crainte du ridicule est l'e? pe? e de
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? 140 DE l. A POE? SIE.
Damocle`s, qu'aucune fe^te de l'imagination ne peut faire oublier.
On parle souvent dans les arts du me? rite de la difficulte? vain-
cue; ne? anmoins on l'a dit avec raison : ou cette difficulte? ne se
sent pas, et alors elle est nulle; ou elle se sent, et alors elle
n'est pas vaincue. Les entraves font ressortir l'habilete? de l'es-
prit; mais il y a souvent dans le vrai ge? nie une sorte de mala-
dresse, semblable, a` quelques e? gards, a` la duperie des belles
a^mes ; et l'on aurait tort de vouloir l'asservir a` des ge^nes arbi-
traires , car il s'en tirerait beaucoup moins bien que des talents
du second ordre.
CHAPITRE X.
De la poe? sie.
Ce qui est vraiment divin dans le coeur de l'homme ne peut
e^tre de? fini; s'il y a des mots pour quelques traits, il n'y en a
point pour exprimer l'ensemble, et surtout le myste`re de la ve? ri-
table beaute? dans tous les genres. Il est difficile de dire ce qui
n'est pas de la poe? sie; mais si l'on veut comprendre ce qu'elle
est, il faut appeler a` son secours les impressions qu'excitent une
belle contre? e, une musique harmonieuse, le regard d'un objet
che? ri, et pardessus tout un sentiment religieux qui nous fait
e? prouver en nous-me^mes la pre? sence de la Divinite? . La poe? sie
est le langage naturel a` tous les cultes. La Bible est pleine de
poe? sie ; Home`re est plein de religion. Ce n'est pas qu'il y ait des
fictions dans la Bible, ni des dogmes dans Home`re; mais l'enthou-
siasme rassemble dans un me^me foyer des sentiments divers;
l'enthousiasme est l'encens de la terre vers le ciel; il les re? unit
l'un a` l'autre.
Le don de re? ve? ler par la parole ce qu'on ressent au fond du
coeur est tre`s-rare ; il y a pourtant de la poe? sie dans tous les
e^tres capables d'affections vives et profondes; l'expression man-
que a` ceux qui ne sont pas exerce? s a` la trouver. Le poe`te ne fait,
pour ainsi dire, que de? gager le sentiment prisonnier au fond de
l'a^me; le ge? nie poe? tique est une disposition inte? rieure, de la
me^me nature que celle qui rend capable d'un ge? ne? reux sacrifice:
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