Si le
chevalier
s'approche d'une rivie`re, il entend les flots
murmurer les romances que la fe?
murmurer les romances que la fe?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
atures mortelles, quand on leur
offre le spectacle d'une d'entre elles pusillanime devant la
mort. \
Mais quand on sort du cercle un peu commun de ces plaisan-
teries universelles , lorsqu'on arrive aux ridicules de l'amour-
propre, ils se varient a` l'infini, selon les habitudes et les gou^ts de
chaque nation. La gaiete? peut tenir aux inspirations de la nature
ou aux rapports de la socie? te? ; dans le premier cas, elle convient
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? DE LA COME? DIE. 315
aux hommes de tous les pays ; dans le second, elle diffe`re selon
les temps, les lieux et les moeurs; car les efforts de la vanite?
ayant toujours pour objet de faire impression sur les autres, il
faut savoir ce qui vaut le plus de succe`s dans telle e? poque et dans
tel lieu, pour connai^tre vers quel but les pre? tentions se dirigent:
il y a me^me des pays ou` c'est la mode qui rend ridicule, elle qui
semble avoir pour but de mettre chacun a` l'abri de la moquerie,
en donnant a` tous une manie`re d'e^tre semblable.
Dans les come? dies allemandes, la peinture du grand monde
est, en ge? ne? ral, assez me? diocre; il y a peu de bons mode`les
qu'on puisse suivre a` cet e? gard : la socie? te? n'attire point les
hommes distingue? s, et son plus grand charme, l'art agre? able
de se plaisanter mutuellement, ne re? ussirait point parmi eux;
on froisserait bien vite quelque amour-propre accoutume? a` vivre
en paix, et l'on pourrait facilement aussi fle? trir quelque vertu,
qui s'effaroucherait me^me d'une innocente ironie.
Les Allemands mettent tre`s-rarement en sce`ne dans leurs co-
me? dies des ridicules tire? s de leur propre pays; ils n'observent
pas les autres, encore moins sont-ils capables de s'examiner
eux-me^mes sous les rapports exte? rieurs; ils croiraient presque
manquer ainsi a` la loyaute? qu'ils se doivent. D'ailleurs la sus-
ceptibilite? , qui est un des traits distinctifs de leur nature, rend
tre`s-difficile de manier avec le? ge`rete? la plaisanterie; souvent ils
ne l'entendent pas, et quand ils l'entendent, ils s'en fa^chent, et n'osent pas s'en servir a` leur tour ; elle est pour eux une arme
a` feu qu'ils craignent de voir e? clater dans leurs propres mains.
On n'a donc pas beaucoup d'exemples en Allemagne de co-
me? dies dont les ridicules que la socie? te? de? veloppe soient l'objet.
L'originalite? naturelle y serait mieux sentie, car chacun vit a`
sa manie`re, dans un pays ou` le despotisme de l'usage ne tient
pas ses assises dans une grande capitale ; mais quoique l'on soit
plus libre sous le rapport de l'opinion en Allemagne qu'en An-
gleterre me^me, l'originalite? anglaise a des couleurs plus vives,
parce que le mouvement qui existe dans l'e? tat politique en An-
gleterre donne plus d'occasions a` chaque homme de se mon-
trer ce qu'il est.
Dans le midi de l'Allemagne , a Vienne surtout, on trouve
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? 316 DE LA COME? DIE.
assez de verve de gaiete? dans les farces. Le bouffon tyrolien Casperle a un caracte`re qui lui est propre; et dans toutes ces pie`-
ces , dont le comique est un peu vulgaire, les auteurs et les
acteurs prennent leur parti de ne pre? tendre en aucune manie`re
a` l'e? le? gance, et s'e? tablissent dans le naturel avec une e? nergie et
un aplomb qui de? jouent tre`s-bien les gra^ces recherche? es. Les Al-
lemands pre? fe`rent dans la gaiete? ce qui est fort a` ce qui est nuance? ;
ils cherchent la ve? rite? dans les trage? dies, et les caricatures dans
les come? dies. Toutes les de? licatesses du coeur leur sont connues;
mais la finesse de l'esprit social n'excite point en eux la gaiete? ;
la peine qu'il leur faut pour la saisir leur en o^te la jouissance.
J'aurai l'occasion de parler ailleurs d'iffland , le premier des
acteurs de l'Allemagne, et l'un de ses e? crivains les plus spiri-
tuels; il a compose? plusieurs pie`ces qui excellent par la pein-
ture des caracte`res; les moeurs domestiques y sont tre`s-bien
repre? sente? es, et toujours des personnages d'un vrai comique
rendent ces tableaux de famille plus piquants : ne? anmoins l'on
pourrait faire quelquefois a` ces come? dies le reproche d'e^tre trop
raisonnables; elles remplissent trop bien le but de toutes les
e? pigraphes des salles de spectacle : Corriger lesmoeurs enriant.
Il y a trop souvent des jeunes gens endette? s, des pe`res de fa-
mille qui se de? rangent. Les lec? ons de morale ne sont pas du
ressort de la come? die, et il y a me^me de l'inconve? nient a` les y
faire entrer; car lorsqu'elles y ennuient, on peut prendre l'habi-
tude de transporter dans la vie re? elle cette impression cause? e par
les beaux-arts.
Kotzebue a emprunte? d'un poe`te danois, Holberg, une co-
me? die qui a eu beaucoup de succe`s en Allemagne : elle est inti-
tule? e Don Ranudo Colibrados j c'est un gentilhomme ruine? qui
ta^che de se faire passer pour riche, et consacre a` des choses d'ap-
parat le peu d'argent qui suffirait a` peine pour nourrir sa famille
et lui. Le sujet de cette pie`ce sert de pendant et de contraste au
Bourgeois de Molie`re, qui veutse faire passer pour gentilhomme:
il y a des sce`nes tre`s-spirituelles dans le Noble pauvre ; et me^me
tre`s-comiques, mais d'un comique barbare. Le ridicule saisi
par Molie`re n'est que gai; mais au fond de celui que le poe`te da-
nois repre? sente, il y a un malheur re? el : sans doute-il faut
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? DE LA COMEDIE. 317
presque toujours une grande intre? pidite? d'esprit pour prendre
la vie humaine en plaisanterie, et la force comique suppose un
caracte`re au moins insouciant ; mais on aurait tort de pousser
cette force jusqu'a` braver la pitie? ; l'art me^me en souffrirait,
sans parler de la de? licatesse; car la plus le? ge`re impression d'a-
mertume suffit pour ternir ce qu'il y a de poe? tique dans l'abandon de la gaiete? .
Dans les come? dies dont Kotzebue est l'inventeur, il porte en
ge? ne? ral le me^me talent que dans ses drames, la connaissance du
the? a^tre et l'imagination qui faittrouver des situations frappantes.
Depuis quelque temps on a pre? tendu que pleurer ou rire no
prouve rien , en faveur d'une trage? die, ou d'une come? die; je
suis loin d'e^tre de cet avis : le besoin des e? motions vives est la
source des plus grands plaisirs cause? s par les beaux-arts; il ne
faut pas en conclurequ'on doive changerles trage? dies en me? lo-
drames, ni les come? dies en farces des boulevards; mais le ve? ri-
table talent consiste a` composer de manie`re qu'il y ait dans le
me^me ouvrage, dans la me^me sce`ne, ce qui fait pleurer ou rire
me^me le peuple, et ce qui fournit aux penseurs un sujet ine? -
puisable de re? flexion.
La parodie proprement dite ne peut gue`re avoir lieu sur le
the? a^tre des Allemands; leurs trage? dies, offrant presque toujours
le me? lange des personnages he? roi? ques et des personnages subal-
ternes, pre^tent beaucoup moins a` ce genre. La majeste? pom-
peuse du the? a^tre franc? ais peut seule rendre piquant le contraste
des parodies. On remarque dans Shakespeare, et quelquefois
aussi dans les e? crivains allemands, une fac? on hardie et singulie`re
de montrer dans la trage? die me^me le co^te? ridicule de la vie hu-
maine; et lorsqu'on sait opposer a` cette impression la puissance
du pathe? tique, l'effet total de la pie`ce en devient plus grand.
La sce`ne franc? aise est la seule ou` les limites des deux genres, >
i^lu comique et du tragique, soient fortement prononce? es; par- itout ailleurs le talent, comme le sort, se sert de la gaiete? pour
ace? rer la douleur.
J'ai vu a` Weimar des pie`ces de Te? rence exactement traduites
en allemand, et joue? es avec des masques a` peu pre`s semblables a`
ceux des anciens; ces masques ne couvrent pas le visage entier, 27.
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? 318 DE LA COMEDIE.
mais seulement substituent un trait plus comique ou plus re? gu-
lier aux ve? ritables traits de l'acteur, et donnent a` sa figure une
expression analogue a` celle du personnage qu'il doit repre? sen-
ter. La physionomie d'un grand acteur vaut mieux que tout cela,
mais les acteurs me? diocres y gagnent. Les Allemands cherchent
a` s'approprier les inventions anciennes et modernes de chaque
pays; ne? anmoins il n'y a de vraiment national chez eux, en fait
de come? die, que la bouffonnerie populaire, etles pie`ces ou` le
merveilleux fournit a` la plaisanterie.
On peut citer a` cette occasion un ope? ra que l'on donne sur
tous les the? a^tres, d'un bout de l'Allemagne a` l'autre, et qu'on
appelle la Nymphedu Danube, ou la Nymphe de laSpre? e, selon
que la pie`ce se joue a` Vienne ou a` Berlin. Un chevalier s'est
fait aimer d'une fe? e, et les circonstances l'ont se? pare? d'elle; il se
marie longtemps apre`s, et choisit pour femme une excellente
personne, mais qui n'a rien de se? duisant ni dans l'imagination
ni dans l'esprit : le chevalier s'accommode assez bien de cette si-
tuation , et elle lui parai^t d'autant plus naturelle qu'elle est
commune; car peu de gens savent que c'est la supe? riorite? de
l'a^me et de l'esprit qui rapproche le plus intimement de la na-
ture. La fe? e ne peut oublier le chevalier, et le poursuit par les
merveilles de son art; chaque fois qu'il commence a` s'e? tablir
dans son me? nage, elle attire son attention par des prodiges, et
re? veille ainsi le souvenir de leur affection passe? e.
Si le chevalier s'approche d'une rivie`re, il entend les flots
murmurer les romances que la fe? e lui chantait; s'il invite des
convives a` sa table, des ge? nies aile? s viennent s'y placer, et font
singulie`rement peur a` la prosai? que socie? te? de sa femme. Partout
des fleurs, des danses et des concerts viennent troubler comme
des fanto^mes la vie de l'infide`le amant; et d'autre part, des es-
prits malins s'amusent a` tourmenter son valet qui, dans son
genre aussi, voudrait bien ne plus entendre parler de poe? sie .
enfin, la fe? e se re? concilie avec le chevalier, a` condition qu'il
passera tous les ans trois jours avecelle, et sa femme consent vo-
lontiers a` ce que son e? poux aille puiser dans l'entretien de la
fe? e l'enthousiasme qui sert si bien a` mieux aimer ce qu'on aime.
Le sujet de cette pie`ce semble plus inge? nieux que populaire;
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? DE LA COME? DIE. 319
niais les sce`nes merveilleuses y sont me^le? es et varie? es avec tant
d'art, qu'elle amuse e? galement toutes les classes de spectateurs.
La nouvelle e? cole litte? raire, en Allemagne, a un syste`me sur la
come? die comme sur tout le reste; la peinture des moeurs ne suf-
lit pas pour l'inte? resser, elle veut de l'imagination dans la con-
ception des pie`ces et dans l'invention des personnages; le mer-
veilleux, l'alle? gorie, l'histoire, rien ne lui parai^t de trop pour di-
versifier les situations comiques. Les e? crivains de cette e? cole
ont donne? le nom de comique arbitraire a` ce libre essor de tou-
tes les pense? es, sans frein et sans but de? termine? . Ils s'appuient
a` cet e? gard de l'exemple d'Aristophane, non assure? ment qu'ils
approuvent la licence de ses pie`ces, mais ils sont frappe? s de la
verve de gaiete? qui s'y fait sentir, et ils voudraient introduire chez
les modernes cette come? die audacieuse qui se joue de l'univers,
au lieu de s'en tenir aux ridicules de telle ou telle classe de la
socie? te? . Les efforts de la nouvelle e? cole tendent, en ge? ne? ral, a`
donner plus de force et d'inde? pendance a` l'esprit dans tous les
genres, et les succe`s qu'ils obtiendraient a` cet e? gard seraient une
conque^te, et pour la litte? rature, et plus encore pour l'e? nergie
me^me du caracte`re allemand, mais il est toujours difficile d'influer
par des ide? es ge? ne? rales sur les productions spontane? es de l'ima-
ginatioa ; et de plus, une come? die de? magogique comme celle
des Grecs ne pourrait pas convenir a` l'e? tat actuel de la socie? te?
europe? enne.
Aristophane vivait sous un gouvernement tellement re? publi-
cain, que l'on y communiquait tout au peuple, et que les affaires
d'E? tat passaient facilement de la place publique au the? a^tre. Il
vivait dans un pays ou` les spe? culations philosophiques e? taient
presque aussi familie`res a` tous les hommes que les chefs-d'oeu-
vre de l'art, parce que les e? coles se tenaient en plein air, et que
les ide? es les plus abstraites e? taient reve^tues des couleurs bril-
lantes que leur pre^taient la nature et le ciel. Mais comment re-
cre? er toute cette se? ve de vie, sous nos frimas et dans nos mai-
sons? La civilisation moderne a multiplie? les observations sur
le coeur humain: l'homme connai^t mieux l'homme, et l'a^me,
pour ainsi dire disse? mine? e, offre a` l'e? crivain mille nuances
nouvelles. La come? die saisit ces nuances, et quand elle peut
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? 320 DE LA COMEDIE.
les faire ressortir par des situations dramatiques, le spectateur
est ravi de retrouver au the? a^tre des caracte`res tels qu'il en peut
rencontrer dans le monde; mais l'introduction du peuple dans
la come? die, des choeurs dans la trage? die, des personnages alle? -
goriques, des sectes philosophiques, enfin de tout ce qui pre? -
sente les hommes en masse, et d'une manie`re abstraite, ne sau-
rait plaire aux spectateurs de nos jours. Il leur faut des noms
et des individus; ils cherchent l'inte? re^t romanesque, me^me dans
la come? die, et la socie? te? sur la sce`ne.
Parmi les e? crivains de la nouvelle e? cole, Tieck est celui qui a
le plus le sentiment de la plaisanterie; ce n'est pas qu'il ait fait
aucune come? die qui puisse se jouer, et que celles qu'il a e? crites
soient bien ordonne? es, mais on y voit des traces brillantes d'une
gaiete? tre`s-originale. D'abord il saisit d'une fac? on qui rappelle la
Fontaine les plaisanteries auxquelles les animaux peuvent don-
ner lieu. Il a fait une come? die intitule? e le Chat botte? , qui est
admirable en ce genre. Je ne sais quel effet produiraient sur la
sce`ne des animaux parlants; peut-e^tre est-il plus amusant de se
les figurer que de les voir: mais toutefois ces animaux person-
nifie? s, et agissant a` la manie`re des hommes, semblent la vraie
come? die donne? e par la nature. Tous les ro^les comiques, c'est-a`-
dire , e? goi? stes et sensuels, tiennent toujours en quelque chose
de l'animal. Peu importe donc si dansla come? die c'est l'animal
qui imite l'homme, oul'homme qui imite l'animal.
Tieck inte? resse aussi par la direction qu'il sait donner a` son
talent de moquerie : il le tourne tout entier contre l'esprit cal-
culateur et prosai? que; et comme la plupart des plaisanteries de
socie? te? ont pour but de jeter du ridicule sur l'enthousiasme, on aime l'auteur qui ose prendre corps a` corps la prudence, l'e? >
goi? sme, toutes ces choses pre? tendues raisonnables, derrie`re
lesquelles les gens me? diocres se croient en su^rete? , pour lancer
des traits contre les caracte`res ou les talents supe? rieurs. Ils s'ap-
puient sur ce qu'ils appellent une juste mesure, pour bla^mer
tout ce qui se distingue; et tandis que l'e? le? gance consiste dans
l'abondance superflue des objets de luxe exte? rieur, on dirait que
cette me^me e? le? gance interdit le luxe dans l'esprit, l'exaltation
dans les sentiments, enfin tout ce qui ne sert pas imme? diate-
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? DE LA COME? DIE. 33)
meut a` faire prospe? rer les affaires de ce monde. L'e? goi? sme mo-
derne a l'art de louer toujours dans chaque chose la re? serve et la
mode? ration, afin de se masquer en sagesse, et ce n'est qu'a` la
longue qu'on s'est aperc? u que de telles opinions pourraient bien
ane? antir le ge? nie des beaux-arts, la ge? ne? rosite? , l'amour et la
religion :que resterait-il apre`s, qui valu^t la peine de vivre!
Deux come? dies de Tieck, Octavien, et le Prince Zerbin,
sont l'une et l'autre inge? nieusement combine? es. Un fils de l'em-
pereur Octavien(personnage imaginaire, qu'un conte de fe? es place sous le re`gne du roi Dagobert) est e? gare? , encore au ber-
ceau, dans une fore^t. Un bourgeois de Paris le trouve, l'e? le`ve
avec son propre fils, et se fait passer pour son pe`re. A vingt
ans, les inclinations he? roi? ques du jeune prince le trahissent
dans chaque circonstance, et rien n'est plus piquant que le con-
traste de son caracte`re et de celui de son pre? tendu fre`re, dont
le sang ne contredit point l'e? ducation qu'il a rec? ue. Les efforts
du sage bourgeois pour mettre dans la te^te de son fils adoptif
quelques lec? ons d'e? conomie domestique, sont toute fait inuti-
les: il l'envoie au marche? , pour acheter des boeufs dont il a
besoin; le jeune homme, en revenant, voit, dans la main d'un
chasseur, un faucon; et, ravi de sa beaute? , il donne les boeufs
pour le faucon, et revient tout fier d'avoir acquis, a` ce prix, un
tel oiseau. Une autre fois, il rencontre un cheval dont l'air mar-
tial le transporte: il veut savoir ce qu'il cou^te, on le lui dit;
et, s'indignant de ce qu'on demande si peu de chose pour un
si bel animal, il en paye deux fois la valeur.
Le pre? tendu pe`re re? siste longtemps aux dispositions naturel ? les du jeune homme, qui s'e? lance avec ardeur vers le danger et
la gloire; mais lorsque enfin on ne peut plus l'empe^cher de
prendre les armes contre les Sarrasins qui assie? gent Paris, et
que de toutes parts on vante ses exploits, le vieux bourgeois, a`
son tour, est saisi par une sorte de contagion poe? tique; et rien
n'est plus plaisant que le bizarre me? lange de ce qu'il e? tait et de
ce qu'il veut e^tre, de son langage vulgaire et des images gigan-
tesques dont il remplit ses discours. A la fin, le jeune homme
est reconnu pour le fils de l'empereur, et chacun reprend le rang
qui convient a` son caracte`re.
offre le spectacle d'une d'entre elles pusillanime devant la
mort. \
Mais quand on sort du cercle un peu commun de ces plaisan-
teries universelles , lorsqu'on arrive aux ridicules de l'amour-
propre, ils se varient a` l'infini, selon les habitudes et les gou^ts de
chaque nation. La gaiete? peut tenir aux inspirations de la nature
ou aux rapports de la socie? te? ; dans le premier cas, elle convient
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA COME? DIE. 315
aux hommes de tous les pays ; dans le second, elle diffe`re selon
les temps, les lieux et les moeurs; car les efforts de la vanite?
ayant toujours pour objet de faire impression sur les autres, il
faut savoir ce qui vaut le plus de succe`s dans telle e? poque et dans
tel lieu, pour connai^tre vers quel but les pre? tentions se dirigent:
il y a me^me des pays ou` c'est la mode qui rend ridicule, elle qui
semble avoir pour but de mettre chacun a` l'abri de la moquerie,
en donnant a` tous une manie`re d'e^tre semblable.
Dans les come? dies allemandes, la peinture du grand monde
est, en ge? ne? ral, assez me? diocre; il y a peu de bons mode`les
qu'on puisse suivre a` cet e? gard : la socie? te? n'attire point les
hommes distingue? s, et son plus grand charme, l'art agre? able
de se plaisanter mutuellement, ne re? ussirait point parmi eux;
on froisserait bien vite quelque amour-propre accoutume? a` vivre
en paix, et l'on pourrait facilement aussi fle? trir quelque vertu,
qui s'effaroucherait me^me d'une innocente ironie.
Les Allemands mettent tre`s-rarement en sce`ne dans leurs co-
me? dies des ridicules tire? s de leur propre pays; ils n'observent
pas les autres, encore moins sont-ils capables de s'examiner
eux-me^mes sous les rapports exte? rieurs; ils croiraient presque
manquer ainsi a` la loyaute? qu'ils se doivent. D'ailleurs la sus-
ceptibilite? , qui est un des traits distinctifs de leur nature, rend
tre`s-difficile de manier avec le? ge`rete? la plaisanterie; souvent ils
ne l'entendent pas, et quand ils l'entendent, ils s'en fa^chent, et n'osent pas s'en servir a` leur tour ; elle est pour eux une arme
a` feu qu'ils craignent de voir e? clater dans leurs propres mains.
On n'a donc pas beaucoup d'exemples en Allemagne de co-
me? dies dont les ridicules que la socie? te? de? veloppe soient l'objet.
L'originalite? naturelle y serait mieux sentie, car chacun vit a`
sa manie`re, dans un pays ou` le despotisme de l'usage ne tient
pas ses assises dans une grande capitale ; mais quoique l'on soit
plus libre sous le rapport de l'opinion en Allemagne qu'en An-
gleterre me^me, l'originalite? anglaise a des couleurs plus vives,
parce que le mouvement qui existe dans l'e? tat politique en An-
gleterre donne plus d'occasions a` chaque homme de se mon-
trer ce qu'il est.
Dans le midi de l'Allemagne , a Vienne surtout, on trouve
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 316 DE LA COME? DIE.
assez de verve de gaiete? dans les farces. Le bouffon tyrolien Casperle a un caracte`re qui lui est propre; et dans toutes ces pie`-
ces , dont le comique est un peu vulgaire, les auteurs et les
acteurs prennent leur parti de ne pre? tendre en aucune manie`re
a` l'e? le? gance, et s'e? tablissent dans le naturel avec une e? nergie et
un aplomb qui de? jouent tre`s-bien les gra^ces recherche? es. Les Al-
lemands pre? fe`rent dans la gaiete? ce qui est fort a` ce qui est nuance? ;
ils cherchent la ve? rite? dans les trage? dies, et les caricatures dans
les come? dies. Toutes les de? licatesses du coeur leur sont connues;
mais la finesse de l'esprit social n'excite point en eux la gaiete? ;
la peine qu'il leur faut pour la saisir leur en o^te la jouissance.
J'aurai l'occasion de parler ailleurs d'iffland , le premier des
acteurs de l'Allemagne, et l'un de ses e? crivains les plus spiri-
tuels; il a compose? plusieurs pie`ces qui excellent par la pein-
ture des caracte`res; les moeurs domestiques y sont tre`s-bien
repre? sente? es, et toujours des personnages d'un vrai comique
rendent ces tableaux de famille plus piquants : ne? anmoins l'on
pourrait faire quelquefois a` ces come? dies le reproche d'e^tre trop
raisonnables; elles remplissent trop bien le but de toutes les
e? pigraphes des salles de spectacle : Corriger lesmoeurs enriant.
Il y a trop souvent des jeunes gens endette? s, des pe`res de fa-
mille qui se de? rangent. Les lec? ons de morale ne sont pas du
ressort de la come? die, et il y a me^me de l'inconve? nient a` les y
faire entrer; car lorsqu'elles y ennuient, on peut prendre l'habi-
tude de transporter dans la vie re? elle cette impression cause? e par
les beaux-arts.
Kotzebue a emprunte? d'un poe`te danois, Holberg, une co-
me? die qui a eu beaucoup de succe`s en Allemagne : elle est inti-
tule? e Don Ranudo Colibrados j c'est un gentilhomme ruine? qui
ta^che de se faire passer pour riche, et consacre a` des choses d'ap-
parat le peu d'argent qui suffirait a` peine pour nourrir sa famille
et lui. Le sujet de cette pie`ce sert de pendant et de contraste au
Bourgeois de Molie`re, qui veutse faire passer pour gentilhomme:
il y a des sce`nes tre`s-spirituelles dans le Noble pauvre ; et me^me
tre`s-comiques, mais d'un comique barbare. Le ridicule saisi
par Molie`re n'est que gai; mais au fond de celui que le poe`te da-
nois repre? sente, il y a un malheur re? el : sans doute-il faut
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA COMEDIE. 317
presque toujours une grande intre? pidite? d'esprit pour prendre
la vie humaine en plaisanterie, et la force comique suppose un
caracte`re au moins insouciant ; mais on aurait tort de pousser
cette force jusqu'a` braver la pitie? ; l'art me^me en souffrirait,
sans parler de la de? licatesse; car la plus le? ge`re impression d'a-
mertume suffit pour ternir ce qu'il y a de poe? tique dans l'abandon de la gaiete? .
Dans les come? dies dont Kotzebue est l'inventeur, il porte en
ge? ne? ral le me^me talent que dans ses drames, la connaissance du
the? a^tre et l'imagination qui faittrouver des situations frappantes.
Depuis quelque temps on a pre? tendu que pleurer ou rire no
prouve rien , en faveur d'une trage? die, ou d'une come? die; je
suis loin d'e^tre de cet avis : le besoin des e? motions vives est la
source des plus grands plaisirs cause? s par les beaux-arts; il ne
faut pas en conclurequ'on doive changerles trage? dies en me? lo-
drames, ni les come? dies en farces des boulevards; mais le ve? ri-
table talent consiste a` composer de manie`re qu'il y ait dans le
me^me ouvrage, dans la me^me sce`ne, ce qui fait pleurer ou rire
me^me le peuple, et ce qui fournit aux penseurs un sujet ine? -
puisable de re? flexion.
La parodie proprement dite ne peut gue`re avoir lieu sur le
the? a^tre des Allemands; leurs trage? dies, offrant presque toujours
le me? lange des personnages he? roi? ques et des personnages subal-
ternes, pre^tent beaucoup moins a` ce genre. La majeste? pom-
peuse du the? a^tre franc? ais peut seule rendre piquant le contraste
des parodies. On remarque dans Shakespeare, et quelquefois
aussi dans les e? crivains allemands, une fac? on hardie et singulie`re
de montrer dans la trage? die me^me le co^te? ridicule de la vie hu-
maine; et lorsqu'on sait opposer a` cette impression la puissance
du pathe? tique, l'effet total de la pie`ce en devient plus grand.
La sce`ne franc? aise est la seule ou` les limites des deux genres, >
i^lu comique et du tragique, soient fortement prononce? es; par- itout ailleurs le talent, comme le sort, se sert de la gaiete? pour
ace? rer la douleur.
J'ai vu a` Weimar des pie`ces de Te? rence exactement traduites
en allemand, et joue? es avec des masques a` peu pre`s semblables a`
ceux des anciens; ces masques ne couvrent pas le visage entier, 27.
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? 318 DE LA COMEDIE.
mais seulement substituent un trait plus comique ou plus re? gu-
lier aux ve? ritables traits de l'acteur, et donnent a` sa figure une
expression analogue a` celle du personnage qu'il doit repre? sen-
ter. La physionomie d'un grand acteur vaut mieux que tout cela,
mais les acteurs me? diocres y gagnent. Les Allemands cherchent
a` s'approprier les inventions anciennes et modernes de chaque
pays; ne? anmoins il n'y a de vraiment national chez eux, en fait
de come? die, que la bouffonnerie populaire, etles pie`ces ou` le
merveilleux fournit a` la plaisanterie.
On peut citer a` cette occasion un ope? ra que l'on donne sur
tous les the? a^tres, d'un bout de l'Allemagne a` l'autre, et qu'on
appelle la Nymphedu Danube, ou la Nymphe de laSpre? e, selon
que la pie`ce se joue a` Vienne ou a` Berlin. Un chevalier s'est
fait aimer d'une fe? e, et les circonstances l'ont se? pare? d'elle; il se
marie longtemps apre`s, et choisit pour femme une excellente
personne, mais qui n'a rien de se? duisant ni dans l'imagination
ni dans l'esprit : le chevalier s'accommode assez bien de cette si-
tuation , et elle lui parai^t d'autant plus naturelle qu'elle est
commune; car peu de gens savent que c'est la supe? riorite? de
l'a^me et de l'esprit qui rapproche le plus intimement de la na-
ture. La fe? e ne peut oublier le chevalier, et le poursuit par les
merveilles de son art; chaque fois qu'il commence a` s'e? tablir
dans son me? nage, elle attire son attention par des prodiges, et
re? veille ainsi le souvenir de leur affection passe? e.
Si le chevalier s'approche d'une rivie`re, il entend les flots
murmurer les romances que la fe? e lui chantait; s'il invite des
convives a` sa table, des ge? nies aile? s viennent s'y placer, et font
singulie`rement peur a` la prosai? que socie? te? de sa femme. Partout
des fleurs, des danses et des concerts viennent troubler comme
des fanto^mes la vie de l'infide`le amant; et d'autre part, des es-
prits malins s'amusent a` tourmenter son valet qui, dans son
genre aussi, voudrait bien ne plus entendre parler de poe? sie .
enfin, la fe? e se re? concilie avec le chevalier, a` condition qu'il
passera tous les ans trois jours avecelle, et sa femme consent vo-
lontiers a` ce que son e? poux aille puiser dans l'entretien de la
fe? e l'enthousiasme qui sert si bien a` mieux aimer ce qu'on aime.
Le sujet de cette pie`ce semble plus inge? nieux que populaire;
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? DE LA COME? DIE. 319
niais les sce`nes merveilleuses y sont me^le? es et varie? es avec tant
d'art, qu'elle amuse e? galement toutes les classes de spectateurs.
La nouvelle e? cole litte? raire, en Allemagne, a un syste`me sur la
come? die comme sur tout le reste; la peinture des moeurs ne suf-
lit pas pour l'inte? resser, elle veut de l'imagination dans la con-
ception des pie`ces et dans l'invention des personnages; le mer-
veilleux, l'alle? gorie, l'histoire, rien ne lui parai^t de trop pour di-
versifier les situations comiques. Les e? crivains de cette e? cole
ont donne? le nom de comique arbitraire a` ce libre essor de tou-
tes les pense? es, sans frein et sans but de? termine? . Ils s'appuient
a` cet e? gard de l'exemple d'Aristophane, non assure? ment qu'ils
approuvent la licence de ses pie`ces, mais ils sont frappe? s de la
verve de gaiete? qui s'y fait sentir, et ils voudraient introduire chez
les modernes cette come? die audacieuse qui se joue de l'univers,
au lieu de s'en tenir aux ridicules de telle ou telle classe de la
socie? te? . Les efforts de la nouvelle e? cole tendent, en ge? ne? ral, a`
donner plus de force et d'inde? pendance a` l'esprit dans tous les
genres, et les succe`s qu'ils obtiendraient a` cet e? gard seraient une
conque^te, et pour la litte? rature, et plus encore pour l'e? nergie
me^me du caracte`re allemand, mais il est toujours difficile d'influer
par des ide? es ge? ne? rales sur les productions spontane? es de l'ima-
ginatioa ; et de plus, une come? die de? magogique comme celle
des Grecs ne pourrait pas convenir a` l'e? tat actuel de la socie? te?
europe? enne.
Aristophane vivait sous un gouvernement tellement re? publi-
cain, que l'on y communiquait tout au peuple, et que les affaires
d'E? tat passaient facilement de la place publique au the? a^tre. Il
vivait dans un pays ou` les spe? culations philosophiques e? taient
presque aussi familie`res a` tous les hommes que les chefs-d'oeu-
vre de l'art, parce que les e? coles se tenaient en plein air, et que
les ide? es les plus abstraites e? taient reve^tues des couleurs bril-
lantes que leur pre^taient la nature et le ciel. Mais comment re-
cre? er toute cette se? ve de vie, sous nos frimas et dans nos mai-
sons? La civilisation moderne a multiplie? les observations sur
le coeur humain: l'homme connai^t mieux l'homme, et l'a^me,
pour ainsi dire disse? mine? e, offre a` l'e? crivain mille nuances
nouvelles. La come? die saisit ces nuances, et quand elle peut
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? 320 DE LA COMEDIE.
les faire ressortir par des situations dramatiques, le spectateur
est ravi de retrouver au the? a^tre des caracte`res tels qu'il en peut
rencontrer dans le monde; mais l'introduction du peuple dans
la come? die, des choeurs dans la trage? die, des personnages alle? -
goriques, des sectes philosophiques, enfin de tout ce qui pre? -
sente les hommes en masse, et d'une manie`re abstraite, ne sau-
rait plaire aux spectateurs de nos jours. Il leur faut des noms
et des individus; ils cherchent l'inte? re^t romanesque, me^me dans
la come? die, et la socie? te? sur la sce`ne.
Parmi les e? crivains de la nouvelle e? cole, Tieck est celui qui a
le plus le sentiment de la plaisanterie; ce n'est pas qu'il ait fait
aucune come? die qui puisse se jouer, et que celles qu'il a e? crites
soient bien ordonne? es, mais on y voit des traces brillantes d'une
gaiete? tre`s-originale. D'abord il saisit d'une fac? on qui rappelle la
Fontaine les plaisanteries auxquelles les animaux peuvent don-
ner lieu. Il a fait une come? die intitule? e le Chat botte? , qui est
admirable en ce genre. Je ne sais quel effet produiraient sur la
sce`ne des animaux parlants; peut-e^tre est-il plus amusant de se
les figurer que de les voir: mais toutefois ces animaux person-
nifie? s, et agissant a` la manie`re des hommes, semblent la vraie
come? die donne? e par la nature. Tous les ro^les comiques, c'est-a`-
dire , e? goi? stes et sensuels, tiennent toujours en quelque chose
de l'animal. Peu importe donc si dansla come? die c'est l'animal
qui imite l'homme, oul'homme qui imite l'animal.
Tieck inte? resse aussi par la direction qu'il sait donner a` son
talent de moquerie : il le tourne tout entier contre l'esprit cal-
culateur et prosai? que; et comme la plupart des plaisanteries de
socie? te? ont pour but de jeter du ridicule sur l'enthousiasme, on aime l'auteur qui ose prendre corps a` corps la prudence, l'e? >
goi? sme, toutes ces choses pre? tendues raisonnables, derrie`re
lesquelles les gens me? diocres se croient en su^rete? , pour lancer
des traits contre les caracte`res ou les talents supe? rieurs. Ils s'ap-
puient sur ce qu'ils appellent une juste mesure, pour bla^mer
tout ce qui se distingue; et tandis que l'e? le? gance consiste dans
l'abondance superflue des objets de luxe exte? rieur, on dirait que
cette me^me e? le? gance interdit le luxe dans l'esprit, l'exaltation
dans les sentiments, enfin tout ce qui ne sert pas imme? diate-
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? DE LA COME? DIE. 33)
meut a` faire prospe? rer les affaires de ce monde. L'e? goi? sme mo-
derne a l'art de louer toujours dans chaque chose la re? serve et la
mode? ration, afin de se masquer en sagesse, et ce n'est qu'a` la
longue qu'on s'est aperc? u que de telles opinions pourraient bien
ane? antir le ge? nie des beaux-arts, la ge? ne? rosite? , l'amour et la
religion :que resterait-il apre`s, qui valu^t la peine de vivre!
Deux come? dies de Tieck, Octavien, et le Prince Zerbin,
sont l'une et l'autre inge? nieusement combine? es. Un fils de l'em-
pereur Octavien(personnage imaginaire, qu'un conte de fe? es place sous le re`gne du roi Dagobert) est e? gare? , encore au ber-
ceau, dans une fore^t. Un bourgeois de Paris le trouve, l'e? le`ve
avec son propre fils, et se fait passer pour son pe`re. A vingt
ans, les inclinations he? roi? ques du jeune prince le trahissent
dans chaque circonstance, et rien n'est plus piquant que le con-
traste de son caracte`re et de celui de son pre? tendu fre`re, dont
le sang ne contredit point l'e? ducation qu'il a rec? ue. Les efforts
du sage bourgeois pour mettre dans la te^te de son fils adoptif
quelques lec? ons d'e? conomie domestique, sont toute fait inuti-
les: il l'envoie au marche? , pour acheter des boeufs dont il a
besoin; le jeune homme, en revenant, voit, dans la main d'un
chasseur, un faucon; et, ravi de sa beaute? , il donne les boeufs
pour le faucon, et revient tout fier d'avoir acquis, a` ce prix, un
tel oiseau. Une autre fois, il rencontre un cheval dont l'air mar-
tial le transporte: il veut savoir ce qu'il cou^te, on le lui dit;
et, s'indignant de ce qu'on demande si peu de chose pour un
si bel animal, il en paye deux fois la valeur.
Le pre? tendu pe`re re? siste longtemps aux dispositions naturel ? les du jeune homme, qui s'e? lance avec ardeur vers le danger et
la gloire; mais lorsque enfin on ne peut plus l'empe^cher de
prendre les armes contre les Sarrasins qui assie? gent Paris, et
que de toutes parts on vante ses exploits, le vieux bourgeois, a`
son tour, est saisi par une sorte de contagion poe? tique; et rien
n'est plus plaisant que le bizarre me? lange de ce qu'il e? tait et de
ce qu'il veut e^tre, de son langage vulgaire et des images gigan-
tesques dont il remplit ses discours. A la fin, le jeune homme
est reconnu pour le fils de l'empereur, et chacun reprend le rang
qui convient a` son caracte`re.