Le chapeau a la main il entra du pied droit
Chez un tailleur tres chic et fournisseur du roi
Ce commercant venait de couper quelques tetes
De mannequins vetus comme il faut qu'on se vete
La foule en tous sens remuait en melant
Des ombres sans amour qui se trainaient par terre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumiere
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs
Mon bateau partira demain pour l'Amerique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent garde dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais
Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habille de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes
Les mannequins pour lui s'etant deshabilles
Battirent leurs habits puis les lui essayerent
Le vetement d'un lord mort sans avoir paye
Au rabais l'habilla comme un millionnaire
Au dehors les annees
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchainees
Intercalees dans l'an c'etaient les journees neuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d'automne aux feuilles indecises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit
Les vents de l'Ocean en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouilles
Des emigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'etaient agenouilles
Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfants tremblaient a l'horizon
Un tout petit bouquet flottant a l'aventure
Couvrit l'Ocean d'une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa memoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changees en poux
Ces tisseuses tetues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirene moderne sans epoux
Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux des squales
Jusqu'a l'aube ont guette de loin avidement
Des cadavres de jours ronges par les etoiles
Parmi le bruit des flots et des derniers serments
ROSEMONDE
A Andre Derain
Longtemps au pied du perron de
La maison ou entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures a Amsterdam
Mes doigts jeterent des baisers
Mais le canal etait desert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouverent
Celle a qui j'ai donne ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour queter la Rose du Monde
LE BRASIER
A Paul-Napoleon Roinard
J'ai jete dans le noble feu
Que je transporte et que j'adore
De vives mains et meme feu
Ce Passe ces tetes de morts
Flamme je fais ce que tu veux
Le galop soudain des etoiles
N'etant que ce qui deviendra
Se meme au hennissement male
Des centaures dans leurs haras
Et des grand'plaintes vegetales
Ou sont ces tetes que j'avais
Ou est le Dieu de ma jeunesse
L'amour est devenu mauvais
Qu'au brasier les flammes renaissent
Mon ame au soleil se devet
Dans la plaine ont pousse des flammes
Nos coeurs pendent aux citronniers
Les tetes coupees qui m'acclament
Et les astres qui ont saigne
Ne sont que des tetes de femmes
Le fleuve epingle sur la ville
T'y fixe comme un vetement
Partant a l'amphion docile
Tu subis tous les tons charmants
Qui rendent les pierres agiles
Je flambe dans le brasier
Je flambe dans le brasier a l'ardeur adorable
Et les mains des croyants m'y rejettent multiple innombrablement
Les membres des intercis flambent aupres de moi
Eloignez du brasier les ossements
Je suffis pour l'eternite a entretenir le feu de mes delices
Et des oiseaux protegent de leurs ailes ma face et le soleil
O Memoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux viperes ardentes de mon bonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
Qui etaient immortels et n'etaient pas chanteurs
Voici ma vie renouvelee
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dans l'Ocean
Voici le paquebot et ma vie renouvelee
Ses flammes sont immenses
Il n'y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brulures
Descendant des hauteurs
Descendant des hauteurs ou pense la lumiere
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
L'avenir masque flambe en traversant les cieux
Nous attendons ton bon plaisir o mon amie
J'ose a peine regarder la divine mascarade
Quand bleuira sur l'horizon la Desirade
Au-dela de notre atmosphere s'eleve un theatre
Que construisit le ver Zamir sans instrument
Puis le soleil revint ensoleiller les places
D'une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombes basses
Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
A petits pas Il orra le chant du patre toute la vie
La-haut le theatre est bati avec le feu solide
Comme les astres dont se nourrit le vide
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
Ma tete mes genoux mes coudes vain pentacle
Les flammes ont pousse sur moi comme des feuilles
Des acteurs inhumains claires betes nouvelles
Donnent des ordres aux hommes apprivoises
Terre
O Dechiree que les fleuves ont reprisee
J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y devorat
RHENANES
Nuit rhenane
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Ecoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'a leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez pres de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliees
Le Rhin le Rhin est ivre ou les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refleter
La voix chante toujours a en rale-mourir
Ces fees aux cheveux verts qui l'ete
Mon verre s'est brise comme un eclat de rire
Mai
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous etes si jolies mais la barque s'eloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains?
Chez un tailleur tres chic et fournisseur du roi
Ce commercant venait de couper quelques tetes
De mannequins vetus comme il faut qu'on se vete
La foule en tous sens remuait en melant
Des ombres sans amour qui se trainaient par terre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumiere
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs
Mon bateau partira demain pour l'Amerique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent garde dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais
Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habille de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes
Les mannequins pour lui s'etant deshabilles
Battirent leurs habits puis les lui essayerent
Le vetement d'un lord mort sans avoir paye
Au rabais l'habilla comme un millionnaire
Au dehors les annees
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchainees
Intercalees dans l'an c'etaient les journees neuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d'automne aux feuilles indecises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit
Les vents de l'Ocean en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouilles
Des emigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'etaient agenouilles
Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfants tremblaient a l'horizon
Un tout petit bouquet flottant a l'aventure
Couvrit l'Ocean d'une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa memoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changees en poux
Ces tisseuses tetues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirene moderne sans epoux
Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux des squales
Jusqu'a l'aube ont guette de loin avidement
Des cadavres de jours ronges par les etoiles
Parmi le bruit des flots et des derniers serments
ROSEMONDE
A Andre Derain
Longtemps au pied du perron de
La maison ou entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures a Amsterdam
Mes doigts jeterent des baisers
Mais le canal etait desert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouverent
Celle a qui j'ai donne ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour queter la Rose du Monde
LE BRASIER
A Paul-Napoleon Roinard
J'ai jete dans le noble feu
Que je transporte et que j'adore
De vives mains et meme feu
Ce Passe ces tetes de morts
Flamme je fais ce que tu veux
Le galop soudain des etoiles
N'etant que ce qui deviendra
Se meme au hennissement male
Des centaures dans leurs haras
Et des grand'plaintes vegetales
Ou sont ces tetes que j'avais
Ou est le Dieu de ma jeunesse
L'amour est devenu mauvais
Qu'au brasier les flammes renaissent
Mon ame au soleil se devet
Dans la plaine ont pousse des flammes
Nos coeurs pendent aux citronniers
Les tetes coupees qui m'acclament
Et les astres qui ont saigne
Ne sont que des tetes de femmes
Le fleuve epingle sur la ville
T'y fixe comme un vetement
Partant a l'amphion docile
Tu subis tous les tons charmants
Qui rendent les pierres agiles
Je flambe dans le brasier
Je flambe dans le brasier a l'ardeur adorable
Et les mains des croyants m'y rejettent multiple innombrablement
Les membres des intercis flambent aupres de moi
Eloignez du brasier les ossements
Je suffis pour l'eternite a entretenir le feu de mes delices
Et des oiseaux protegent de leurs ailes ma face et le soleil
O Memoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux viperes ardentes de mon bonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
Qui etaient immortels et n'etaient pas chanteurs
Voici ma vie renouvelee
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dans l'Ocean
Voici le paquebot et ma vie renouvelee
Ses flammes sont immenses
Il n'y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brulures
Descendant des hauteurs
Descendant des hauteurs ou pense la lumiere
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
L'avenir masque flambe en traversant les cieux
Nous attendons ton bon plaisir o mon amie
J'ose a peine regarder la divine mascarade
Quand bleuira sur l'horizon la Desirade
Au-dela de notre atmosphere s'eleve un theatre
Que construisit le ver Zamir sans instrument
Puis le soleil revint ensoleiller les places
D'une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombes basses
Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
A petits pas Il orra le chant du patre toute la vie
La-haut le theatre est bati avec le feu solide
Comme les astres dont se nourrit le vide
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
Ma tete mes genoux mes coudes vain pentacle
Les flammes ont pousse sur moi comme des feuilles
Des acteurs inhumains claires betes nouvelles
Donnent des ordres aux hommes apprivoises
Terre
O Dechiree que les fleuves ont reprisee
J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y devorat
RHENANES
Nuit rhenane
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Ecoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'a leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez pres de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliees
Le Rhin le Rhin est ivre ou les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refleter
La voix chante toujours a en rale-mourir
Ces fees aux cheveux verts qui l'ete
Mon verre s'est brise comme un eclat de rire
Mai
Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous etes si jolies mais la barque s'eloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains?
French - Apollinaire - Alcools