O Vierge sainte, tu m'imposas cette
vocation
cruelle;
?
?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
fendrai mieux en la combattant qu'en l'e?
cou-.
<<tant.
JEANNE.
<< Tu m'accuses de magie! tu crois voir en moi les artifices de
l'enfer! Fonder la paix, re? concilier les haines, est-ce donc la
<< l'oeuvre de l'enfer? La concorde viendrait elle du se? jour des
damne? s? Qu'y a-t-il d'innocent, de sacre? , d'humainement
<< bon, si ce n'est de se de? vouer pour sa patrie? Depuis quaud
<< la nature est-elle si fort en combat avec elle-me^me, que le ciel
<< abandonne la bonne cause et que le de? mon la de? fende? Si ce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? JEANNE 1) AHC. 235
<< que je te dis est vrai, dans quelle source l'ai-je puise? ? qui fut
<< la compagne de ma vie pastorale? qui donc instruisit la sim-
<< pie fille d'un berger dans les choses royales? Jamais je ne m'e? -
<< tais pre? sente? e devant les souverains, l'art de la parole m'est
? e? tranger; mais a` pre? sent que j'ai besoin de t'e? mouvoir, une
<< pe? ne? tration profonde m'e? claire; je m'e? le`ve aux pense? es les
. , plus hautes; la destine? e des empires et des rois apparai^t lumi-
<< neusea` mes regards, et, a` peine sortie de l'enfance, je puis
<< diriger la foudre du ciel contre ton coeur. >> ?
A ces mots, le duc de Bourgogne est e? mu, trouble? . Jeanne
d'Arc s'en aperc? oit, et s'e? crie: << Il a pleure? , il est vaincu; il
est a` nous. >> Les Franc? ais inclinent devant lui leurs e? pe? es et
leurs drapeaux. Charles VII parai^t, et le duc de Bourgogne se
pre? cipite a` ses pieds.
Je regrette pour nous que ce ne soit pas un Franc? ais qui ait
conc? u cette sce`ne; mais que de ge? nie, et surtout que de naturel
ne faut-il pas pour s'identifier ainsi avec tout ce qu'il y a de
beau et de vrai dans tous les pays et dans tous les sie`cles!
Talbot, que Schiller repre? sente comme un guerrier athe? e, in-
tre? pide contre le ciel me^me, me? prisant la mort, bien qu'il la
trouve horrible; Talbot, blesse? par Jeanne d'Arc, meurt sur le
the? a^tre en blasphe? mant. Peut-e^tre eu^t-il mieux valu suivre la
tradition, qui dit que Jeanne d'Arc n'avait jamais verse? le sang
(-unuiin , et triomphait sans tuer. Un critique, d'un gou^t pur et
se? ve`re, a reproche? aussi a` Schiller d'avoir montre? Jeanne d'Arc
sensible a` l'amour, au lieu de la faire mourir martyre, sans
qu'aucun sentiment l'eu^t jamais distraite de sa mission divine:
c'est ainsi qu'il aurait fallu la peindre dans un poe`me; mais je
ne sais si une a^me tout a` fait sainte ne produirait pas dans une
pie`ce de the? a^tre le me^me effet que des e^tres merveilleux ou al-
le? goriques, dont on pre? voit d'avance toutes les actions, et qui
n'e? tant point agite? s par les passions humaines, ne nous pre? sen-
tent point le combat ni l'inte? re^t dramatique.
Parmi les nobles chevaliers de la cour de France, le preux
Dunois s'empresse le premier a` demander a` Jeanne d'Arc de
l'e? pouser, et, fide`le a` ses voeux, elle le refuse. Un jeune Mont-
gommery, au milieu d'une bataille, la supplie de l'e? pargner,
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? 236 JEANNE D'ARC.
et lui peint la douleur que sa mort va causer a` son vieux pe`re ,
Jeanne d'Arc rejette sa prie`re, et montre dans cette occa-
sion plus d'inflexibilite? que son devoir ne l'exige; mais au mo-
ment de frapper un jeune Anglais, Lionel, elle se sent tout a`
coup attendrie par sa figure, et l'amour entre dans son coeur.
Alors toute sa puissance est de? truite. Un chevalier noir comme
le destinlui apparai^t dans le combat, etlui conseillede ne pas al-
ler a` Reims. Elle y va ne? anmoins; la pompe solennelle du cou-
ronnement passe sur le the? a^tre; Jeanne d'Arc marche au pre? -mier rang, mais ses pas sont chancelants; elle porte en tremblant
l'e? tendard sacre? , et l'on sent que l'esprit divin ne la prote? ge plus.
Avant d'entrer dans l'e? glise, elle s'arre^te et reste seule sur la
sce`ne. On entend de loin les instruments de fe^te qui accompa-
gnent la ce? re? monie du sacre, et Jeanne d'Arc prononce des
plaintes harmonieuses, pendant que le son des flu^tes et des haut-
bois plane doucement dans les airs.
<< Les armes sont de? pose? es, la tempe^te de la guerre se tai^t,
<< les chants et les danses succe`dent aux combats sanguinaires.
<< Des refrains joyeux se font entendre dans les rues; l'autel et
l'e? glise sont pare? s dans tout l'e? clat d'une fe^te; des couronnes
de fleurs sont suspendues aux colonnes : cette vaste ville ne
contient qu'a` peine le nombre des ho^tes e? trangers qui se
pre? cipitent pour e^tre les te? moins de l'alle? gresse populaire; un
me^me sentiment remplit tous les coeurs; et ceux que se? parait
jadis une haine meurtrie`re, se re? unissent maintenant dans la
<< fe? licite? universelle : celui qui peut se nommer Franc? ais en est
<< lier ; l'antique e? clat de la couronne est renouvele? , et la France
i obe? it avec gloire au petit-fils de ses rois.
<< C'est par moi que ce jour magnifique est arrive? , et cepen-
<< dant je ne partage point le bonheur public. Mon coeur est
<< change? , mon coupable coeur s'e? loigne de cette solennite? sainte,
<< et c'est vers le camp des Anglais, c'est vers nos ennemis que
<< se tournent toutes mes pense? es. Je dois me de? rober au cercle
<< joyeux qui m'entoure, pour cacher a` tous la faute qui pe`se
sur mon coeur. Qui? moi! libe? ratrice de mon pays, anime? e
par le rayon du ciel, dois-je sentir une flamme terrestre?
<< Moi, guerrie`re du Tre`s-Haut, bru^ler pour l'ennemi de la
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? JEANNE D'ARC. 237
<<France! Puis-je encore regarder la chaste lumie`re du soleil!
<<He? las! comme cette musique m'enivre! Les sons les plus
? doux me rappellent sa voix, et leur enchantement semble
? m'offrir ses traits. Que l'orage de la guerre e? clate de nouveau;
? que le bruit des lances retentisse autour de moi ; dans l'ardeur
du combat je retrouverai mon courage; mais ces accords har-
? monieux s'insinuent dans mon sein , et changent en me? lanco-
? lie toutes les puissances de mon coeur.
<< Ah ! pourquoi donc ai-je vu ce noble visage ? De`s cet instant
<<j'ai e? te? coupable. Malheureuse! Dieu veut un instrument
? aveugle; c'est avec des yeux aveugles que tu devais obe? ir. Tu-
, l'as regarde? , c'en est fait, la paix de Dieu s'est retire? e de toi;
, et les pie? ges de l'enfer t'ont saisie. Ah! simple houlette des
? bergers, pourquoi vous ai-je e? change? e contre une e? pe? e? Pour-
<< quoi, reine du ciel, m'es-tu jamais apparue ? Pourquoi donc
? ai-je entendu ta voix dans la fore^t des che^nes ? Reprends ta
? couronne, je ne puis la me? riter. Oui, je vois le ciel ouvert, je
? vois les bienheureux , et mes espe? rances sont dirige? es vers
? la terre!
O Vierge sainte, tu m'imposas cette vocation cruelle;
? pouvais-je endurcir ce coeur que le ciel avait cre? e? pour aimer?
, Situ veux manifester ta puissance, prends pour organes ceux
<<qui, de? gage? s du pe? che? , habitent dans ta demeure e? ternelle;
"envoie tes esprits immortels et purs, e? trangers aux passions
? comme aux larmes. Mais ne choisis pas la faible fille, ne
? choisis point le coeur sans force d'une berge`re. Que me faisaient
<< les destins des combats et les querelles des rois! Tu as trou-
<< ble? ma vie, tu m'as entrai^ne? e dans les palais des princes , et
"la` j'ai trouve? la se? duction et l'erreur. Ah! ce n'e? tait pas moi
? qui avais voulu ce sort. >>
Ce monologue est un chef-d'oeuvre de poe? sie; un me^me senti-
ment rame`ne naturellement aux me^mes expressions, et c'est en
cela que les vers s'accordent si bien avec les affections de l'a^me:
far ils transforment en une harmonie de? licieuse ce qui pourrait
parai^tre monotone dans le simple langage de la prose. Le trou-
ble de Jeanne d'Arc va toujours croissant. Les honneurs qu'on
lui rend, la reconnaissance qu'on lui te? moigne, rien ne peut la
rassurer, quand elle se sent abandonne? e par la main toute-puis-
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? 238 JEANNE D'ARC.
sante qui l'avait e? leve? e. Enfin, ses funestes pressentiments s'ac-
complissent, et de quelle manie`re!
Il faut, pour concevoir l'effet terrible de l'accusation de sor-
cellerie , se transporter dans les sie`cles ou` le soupc? on de ce crime
myste? rieux planait sur toutes les choses extraordinaires. La
croyance au mauvais principe, telle qu'elle existait alors, sup-
posait la possibilite? d'un culte affreux envers l'enfer; les objets
effrayants de la nature en e? taient le symbole, et des signes bizar-
res le langage. On attribuait a` cette alliance avec le de? mon toutes
les prospe? rite? s de la terre dont la cause n'e? tait pas bien connue.
Le mot de magie de? signait l'empire du mal sans bornes, comme
la Providence le re`gne du bonheur infini. Cette impre? cation,
elle est sorcie`re, il est sorcier, devenue ridicule de nos jours,
faisait frissonner il y a quelques sie`cles; tous les liens les plus
sacre? s se brisaient, quand ces paroles e? taient prononce? es : nul
courage ne les bravait, et le de? sordre qu'elles mettaient dans
les esprits e? tait tel, qu'on eu^t dit que les de? mons de l'enfer ap-
paraissaient re? ellement, quand on croyait les voir apparai^tre.
Le malheureux fanatique pe`re de Jeanne, d'Arc est saisi par
la superstition du temps; et, loin d'e^tre fier de la gloire de sa fille,
il se pre? sente lui-me^me au milieu des chevaliers et des seigneurs
de la cour, pour accuser Jeanne d'Arc de sorcellerie. A l'instant,
tous les coeurs se glacent d'effroi; les chevaliers, compagnons
d'armes de Jeanne d'Arc, la pressent de se justifier, et elle se
tait. Le roi l'interroge, et elle se tait. L'archeve^que la supplie
de jurer sur le crucifix qu'elle est innocente, et elle se tait. Elle
ne veut pas se de? fendre du crime dont elle est faussement accu-
se? e, quand elle se sent coupable d'un autre crime que son coeur
ne peut se pardonner. Le tonnerre se fait entendre, l'e? pouvante
s'empare du peuple, Jeanne d'Arc est bannie de l'empire qu'elle
vient de sauver. Nul n'ose s'approcher d'elle. La foule se disperse;
l'infortune? e sort de la ville ;- elle erre dans la campagne, et lors-
que, abi^me? e de fatigue, elle accepte une boisson rafrai^chissante,
un enfant qui la reconnai^t arrache de ses mains ce faible soula-
gement. On dirait que le souffle infernal dont on la croit envi-
ronne? e peut souiller tout ce qu'elle touche, et pre? cipiter dans
l'abi^me e? ternel quiconque oserait la secourir. Enfin, poursuivie
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? JEANNE D'ARC. 239
d'asile en asile, la libe? ratrice de la France tombe au pouvoir de
ses ennemis.
Jusque-la` cette trage? die romantique, c'est ainsi que Schiller
l'a nomme? e, est remplie de beaute? s du premier ordre; on peut
bien y trouver quelques longueurs (jamais les auteurs allemands
ne sont exempts de ce de? faut); mais on voit passer devant soi
des e? ve? nements si remarquables, que l'imagination s'exalte a`
leur hauteur, et que, ne jugeant plus cette pie`ce comme ou-
vrage de l'art, on conside`re le merveilleux tableau qu'elle ren-
ferme comme un nouveau reflet de la sainte inspiration de l'he? -
roi? ne. Le seul de? faut grave qu'on puisse reprocher a` ce drame
lyrique, c'est le de? nou^ment : au lieu de prendre celui qui e? tait
donne? par l'histoire, Schiller suppose que Jeanne d'Arc, en-
chai^ne? e par les Anglais, brise miraculeusement ses fers, va
rejoindre le camp des Franc? ais, de? cide la victoire en leur faveur,
et rec? oit une blessure mortelle. Le merveilleux d'invention, a`
co^te? du merveilleux transmis par l'histoire, o^te a` ce sujet quel-
que chose de sa gravite? . D'ailleurs, qu'y avait-il de plus beau
que la conduite et les re? ponses me^mes de Jeanne d'Arc, lors-
qu'elle fut condamne? e a` Rouen par les grands seigneurs anglais
et les e? ve^ques normands?
L'histoire raconte que cette jeune fille re? unit le courage le
plus ine? branlable a` la douleur la plus touchante; elle pleurait
comme une femme, mais elle se conduisait comme un he? ros. On
l'accusa de s'e^tre livre? e a` des pratiques superstitieuses, et elle
repoussa cette inculpation avec les arguments dont une personne
e? claire? e pourrait se servir de nos jours; mais elle persista tou-
jours a` de? clarer qu'elle avait eu des re? ve? lations intimes, qui
l'avaient de? cide? e dans le choix de sa carrie`re. Abattue par l'hor-
reur du supplice qui la menac? ait, elle rendit constamment te? -
moignage devant les Anglais a` l'e? nergie des Franc? ais, aux vertus
du roi de France, qui cependant l'avait abandonne? e. Sa mort-
nc fut ni celle d'un guerrier ni celle d'un martyr; mais, a` travers
la douceur et la timidite? de son sexe, elle montra dans les der-
niers moments une force d'inspiration presque aussi e? tonnante
que celle dont on l'accusait comme d'une sorcellerie. Quoi qu'il
en soit, le simple re? cit de sa fin e? meut bien plus que le de? nou-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 240 LA FIANCE? E DE MESSINE.
ment de Schiller. Lorsque la poe? sie veut ajouter a` l'e? clat d'un
personnage historique, il faut du moins qu'elle lui conserve
avec soin la physionomie qui le caracte? rise; car la grandeur
n'est vraiment frappante que quand on sait lui donner l'air na-
turel. Or, dans le sujet de Jeanne d'Arc, c'est le fait ve? ritable
qui non-seulement a plus de naturel, mais plus de grandeur
que la fiction.
La Fiance? e de Messinea e? te? compose? e d'apre`sun syste`me dra-
matique tout a` fait diffe? rent de celui que Schiller avait suivi jus-
qu'alors, et auquel il est heureusement revenu. C'est pour faire
admettre les choeurs sur la sce`ne qu'il a choisi un sujet dans
lequel il n'y a de nouveau que les noms; car c'est, au fond, la
me^me chose que les Fre`res ennemis. Seulement Schiller a intro-
duit deplus une soeur dont les deux fre`res deviennent amoureux,
sans savoir qu'elle est leur soeur, et l'un tue l'autre par jalou-
sie. Cette situation terrible en elle-me^me est entreme^le? e de
choeurs qui font partie de la pie`ce. Ce sont les serviteurs des
deux fre`res qui interrompent et glacent l'inte? re^t par leurs dis-
cussions mutuelles. La poe? sie lyrique qu'ils re? citent tous a` la
fois est superbe; mais ils n'en sont pas moins, quoi qu'ils di-
sent, des choeurs de chambellans. Le peuple entier peut seul avoir cette dignite? inde? pendante, qui lui permet d'e^tre un spec-
tateur impartial. Le choeur doit repre? senter la poste? rite? . Si des
affections personnelles l'animaient, il serait ne? cessairement ri-
dicule; car on ne concevrait pas comment plusieurs personnes
diraient la me^me chose en me^me temps, si leurs voix n'e? taient
pas cense? es e^tre l'interpre`te impassible des ve? rite? s e? ternelles.
Schiller, dans la pre? face qui pre? ce`de la Fiance? e de Messine,
se plaint avec raison de ce que nos usages modernes n'ont plus
ces formes populaires qui les rendaient si poe? tiques chez les an-
ciens.
<< Les palais, dit-il, sont ferme? s; les tribunaux ne se tiennent
<< plus en plein air, devant les portes des villes; les e? crits ont
<< pris la place de la parole vivante; le peuple lui-me^me, cette
<< masse si forte et si visible, n'est presque plus qu'une ide? e abs-
<<traite, et les divinite? s des mortels n'existent plus que dans leur
? ?
<<tant.
JEANNE.
<< Tu m'accuses de magie! tu crois voir en moi les artifices de
l'enfer! Fonder la paix, re? concilier les haines, est-ce donc la
<< l'oeuvre de l'enfer? La concorde viendrait elle du se? jour des
damne? s? Qu'y a-t-il d'innocent, de sacre? , d'humainement
<< bon, si ce n'est de se de? vouer pour sa patrie? Depuis quaud
<< la nature est-elle si fort en combat avec elle-me^me, que le ciel
<< abandonne la bonne cause et que le de? mon la de? fende? Si ce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? JEANNE 1) AHC. 235
<< que je te dis est vrai, dans quelle source l'ai-je puise? ? qui fut
<< la compagne de ma vie pastorale? qui donc instruisit la sim-
<< pie fille d'un berger dans les choses royales? Jamais je ne m'e? -
<< tais pre? sente? e devant les souverains, l'art de la parole m'est
? e? tranger; mais a` pre? sent que j'ai besoin de t'e? mouvoir, une
<< pe? ne? tration profonde m'e? claire; je m'e? le`ve aux pense? es les
. , plus hautes; la destine? e des empires et des rois apparai^t lumi-
<< neusea` mes regards, et, a` peine sortie de l'enfance, je puis
<< diriger la foudre du ciel contre ton coeur. >> ?
A ces mots, le duc de Bourgogne est e? mu, trouble? . Jeanne
d'Arc s'en aperc? oit, et s'e? crie: << Il a pleure? , il est vaincu; il
est a` nous. >> Les Franc? ais inclinent devant lui leurs e? pe? es et
leurs drapeaux. Charles VII parai^t, et le duc de Bourgogne se
pre? cipite a` ses pieds.
Je regrette pour nous que ce ne soit pas un Franc? ais qui ait
conc? u cette sce`ne; mais que de ge? nie, et surtout que de naturel
ne faut-il pas pour s'identifier ainsi avec tout ce qu'il y a de
beau et de vrai dans tous les pays et dans tous les sie`cles!
Talbot, que Schiller repre? sente comme un guerrier athe? e, in-
tre? pide contre le ciel me^me, me? prisant la mort, bien qu'il la
trouve horrible; Talbot, blesse? par Jeanne d'Arc, meurt sur le
the? a^tre en blasphe? mant. Peut-e^tre eu^t-il mieux valu suivre la
tradition, qui dit que Jeanne d'Arc n'avait jamais verse? le sang
(-unuiin , et triomphait sans tuer. Un critique, d'un gou^t pur et
se? ve`re, a reproche? aussi a` Schiller d'avoir montre? Jeanne d'Arc
sensible a` l'amour, au lieu de la faire mourir martyre, sans
qu'aucun sentiment l'eu^t jamais distraite de sa mission divine:
c'est ainsi qu'il aurait fallu la peindre dans un poe`me; mais je
ne sais si une a^me tout a` fait sainte ne produirait pas dans une
pie`ce de the? a^tre le me^me effet que des e^tres merveilleux ou al-
le? goriques, dont on pre? voit d'avance toutes les actions, et qui
n'e? tant point agite? s par les passions humaines, ne nous pre? sen-
tent point le combat ni l'inte? re^t dramatique.
Parmi les nobles chevaliers de la cour de France, le preux
Dunois s'empresse le premier a` demander a` Jeanne d'Arc de
l'e? pouser, et, fide`le a` ses voeux, elle le refuse. Un jeune Mont-
gommery, au milieu d'une bataille, la supplie de l'e? pargner,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 236 JEANNE D'ARC.
et lui peint la douleur que sa mort va causer a` son vieux pe`re ,
Jeanne d'Arc rejette sa prie`re, et montre dans cette occa-
sion plus d'inflexibilite? que son devoir ne l'exige; mais au mo-
ment de frapper un jeune Anglais, Lionel, elle se sent tout a`
coup attendrie par sa figure, et l'amour entre dans son coeur.
Alors toute sa puissance est de? truite. Un chevalier noir comme
le destinlui apparai^t dans le combat, etlui conseillede ne pas al-
ler a` Reims. Elle y va ne? anmoins; la pompe solennelle du cou-
ronnement passe sur le the? a^tre; Jeanne d'Arc marche au pre? -mier rang, mais ses pas sont chancelants; elle porte en tremblant
l'e? tendard sacre? , et l'on sent que l'esprit divin ne la prote? ge plus.
Avant d'entrer dans l'e? glise, elle s'arre^te et reste seule sur la
sce`ne. On entend de loin les instruments de fe^te qui accompa-
gnent la ce? re? monie du sacre, et Jeanne d'Arc prononce des
plaintes harmonieuses, pendant que le son des flu^tes et des haut-
bois plane doucement dans les airs.
<< Les armes sont de? pose? es, la tempe^te de la guerre se tai^t,
<< les chants et les danses succe`dent aux combats sanguinaires.
<< Des refrains joyeux se font entendre dans les rues; l'autel et
l'e? glise sont pare? s dans tout l'e? clat d'une fe^te; des couronnes
de fleurs sont suspendues aux colonnes : cette vaste ville ne
contient qu'a` peine le nombre des ho^tes e? trangers qui se
pre? cipitent pour e^tre les te? moins de l'alle? gresse populaire; un
me^me sentiment remplit tous les coeurs; et ceux que se? parait
jadis une haine meurtrie`re, se re? unissent maintenant dans la
<< fe? licite? universelle : celui qui peut se nommer Franc? ais en est
<< lier ; l'antique e? clat de la couronne est renouvele? , et la France
i obe? it avec gloire au petit-fils de ses rois.
<< C'est par moi que ce jour magnifique est arrive? , et cepen-
<< dant je ne partage point le bonheur public. Mon coeur est
<< change? , mon coupable coeur s'e? loigne de cette solennite? sainte,
<< et c'est vers le camp des Anglais, c'est vers nos ennemis que
<< se tournent toutes mes pense? es. Je dois me de? rober au cercle
<< joyeux qui m'entoure, pour cacher a` tous la faute qui pe`se
sur mon coeur. Qui? moi! libe? ratrice de mon pays, anime? e
par le rayon du ciel, dois-je sentir une flamme terrestre?
<< Moi, guerrie`re du Tre`s-Haut, bru^ler pour l'ennemi de la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? JEANNE D'ARC. 237
<<France! Puis-je encore regarder la chaste lumie`re du soleil!
<<He? las! comme cette musique m'enivre! Les sons les plus
? doux me rappellent sa voix, et leur enchantement semble
? m'offrir ses traits. Que l'orage de la guerre e? clate de nouveau;
? que le bruit des lances retentisse autour de moi ; dans l'ardeur
du combat je retrouverai mon courage; mais ces accords har-
? monieux s'insinuent dans mon sein , et changent en me? lanco-
? lie toutes les puissances de mon coeur.
<< Ah ! pourquoi donc ai-je vu ce noble visage ? De`s cet instant
<<j'ai e? te? coupable. Malheureuse! Dieu veut un instrument
? aveugle; c'est avec des yeux aveugles que tu devais obe? ir. Tu-
, l'as regarde? , c'en est fait, la paix de Dieu s'est retire? e de toi;
, et les pie? ges de l'enfer t'ont saisie. Ah! simple houlette des
? bergers, pourquoi vous ai-je e? change? e contre une e? pe? e? Pour-
<< quoi, reine du ciel, m'es-tu jamais apparue ? Pourquoi donc
? ai-je entendu ta voix dans la fore^t des che^nes ? Reprends ta
? couronne, je ne puis la me? riter. Oui, je vois le ciel ouvert, je
? vois les bienheureux , et mes espe? rances sont dirige? es vers
? la terre!
O Vierge sainte, tu m'imposas cette vocation cruelle;
? pouvais-je endurcir ce coeur que le ciel avait cre? e? pour aimer?
, Situ veux manifester ta puissance, prends pour organes ceux
<<qui, de? gage? s du pe? che? , habitent dans ta demeure e? ternelle;
"envoie tes esprits immortels et purs, e? trangers aux passions
? comme aux larmes. Mais ne choisis pas la faible fille, ne
? choisis point le coeur sans force d'une berge`re. Que me faisaient
<< les destins des combats et les querelles des rois! Tu as trou-
<< ble? ma vie, tu m'as entrai^ne? e dans les palais des princes , et
"la` j'ai trouve? la se? duction et l'erreur. Ah! ce n'e? tait pas moi
? qui avais voulu ce sort. >>
Ce monologue est un chef-d'oeuvre de poe? sie; un me^me senti-
ment rame`ne naturellement aux me^mes expressions, et c'est en
cela que les vers s'accordent si bien avec les affections de l'a^me:
far ils transforment en une harmonie de? licieuse ce qui pourrait
parai^tre monotone dans le simple langage de la prose. Le trou-
ble de Jeanne d'Arc va toujours croissant. Les honneurs qu'on
lui rend, la reconnaissance qu'on lui te? moigne, rien ne peut la
rassurer, quand elle se sent abandonne? e par la main toute-puis-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 238 JEANNE D'ARC.
sante qui l'avait e? leve? e. Enfin, ses funestes pressentiments s'ac-
complissent, et de quelle manie`re!
Il faut, pour concevoir l'effet terrible de l'accusation de sor-
cellerie , se transporter dans les sie`cles ou` le soupc? on de ce crime
myste? rieux planait sur toutes les choses extraordinaires. La
croyance au mauvais principe, telle qu'elle existait alors, sup-
posait la possibilite? d'un culte affreux envers l'enfer; les objets
effrayants de la nature en e? taient le symbole, et des signes bizar-
res le langage. On attribuait a` cette alliance avec le de? mon toutes
les prospe? rite? s de la terre dont la cause n'e? tait pas bien connue.
Le mot de magie de? signait l'empire du mal sans bornes, comme
la Providence le re`gne du bonheur infini. Cette impre? cation,
elle est sorcie`re, il est sorcier, devenue ridicule de nos jours,
faisait frissonner il y a quelques sie`cles; tous les liens les plus
sacre? s se brisaient, quand ces paroles e? taient prononce? es : nul
courage ne les bravait, et le de? sordre qu'elles mettaient dans
les esprits e? tait tel, qu'on eu^t dit que les de? mons de l'enfer ap-
paraissaient re? ellement, quand on croyait les voir apparai^tre.
Le malheureux fanatique pe`re de Jeanne, d'Arc est saisi par
la superstition du temps; et, loin d'e^tre fier de la gloire de sa fille,
il se pre? sente lui-me^me au milieu des chevaliers et des seigneurs
de la cour, pour accuser Jeanne d'Arc de sorcellerie. A l'instant,
tous les coeurs se glacent d'effroi; les chevaliers, compagnons
d'armes de Jeanne d'Arc, la pressent de se justifier, et elle se
tait. Le roi l'interroge, et elle se tait. L'archeve^que la supplie
de jurer sur le crucifix qu'elle est innocente, et elle se tait. Elle
ne veut pas se de? fendre du crime dont elle est faussement accu-
se? e, quand elle se sent coupable d'un autre crime que son coeur
ne peut se pardonner. Le tonnerre se fait entendre, l'e? pouvante
s'empare du peuple, Jeanne d'Arc est bannie de l'empire qu'elle
vient de sauver. Nul n'ose s'approcher d'elle. La foule se disperse;
l'infortune? e sort de la ville ;- elle erre dans la campagne, et lors-
que, abi^me? e de fatigue, elle accepte une boisson rafrai^chissante,
un enfant qui la reconnai^t arrache de ses mains ce faible soula-
gement. On dirait que le souffle infernal dont on la croit envi-
ronne? e peut souiller tout ce qu'elle touche, et pre? cipiter dans
l'abi^me e? ternel quiconque oserait la secourir. Enfin, poursuivie
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? JEANNE D'ARC. 239
d'asile en asile, la libe? ratrice de la France tombe au pouvoir de
ses ennemis.
Jusque-la` cette trage? die romantique, c'est ainsi que Schiller
l'a nomme? e, est remplie de beaute? s du premier ordre; on peut
bien y trouver quelques longueurs (jamais les auteurs allemands
ne sont exempts de ce de? faut); mais on voit passer devant soi
des e? ve? nements si remarquables, que l'imagination s'exalte a`
leur hauteur, et que, ne jugeant plus cette pie`ce comme ou-
vrage de l'art, on conside`re le merveilleux tableau qu'elle ren-
ferme comme un nouveau reflet de la sainte inspiration de l'he? -
roi? ne. Le seul de? faut grave qu'on puisse reprocher a` ce drame
lyrique, c'est le de? nou^ment : au lieu de prendre celui qui e? tait
donne? par l'histoire, Schiller suppose que Jeanne d'Arc, en-
chai^ne? e par les Anglais, brise miraculeusement ses fers, va
rejoindre le camp des Franc? ais, de? cide la victoire en leur faveur,
et rec? oit une blessure mortelle. Le merveilleux d'invention, a`
co^te? du merveilleux transmis par l'histoire, o^te a` ce sujet quel-
que chose de sa gravite? . D'ailleurs, qu'y avait-il de plus beau
que la conduite et les re? ponses me^mes de Jeanne d'Arc, lors-
qu'elle fut condamne? e a` Rouen par les grands seigneurs anglais
et les e? ve^ques normands?
L'histoire raconte que cette jeune fille re? unit le courage le
plus ine? branlable a` la douleur la plus touchante; elle pleurait
comme une femme, mais elle se conduisait comme un he? ros. On
l'accusa de s'e^tre livre? e a` des pratiques superstitieuses, et elle
repoussa cette inculpation avec les arguments dont une personne
e? claire? e pourrait se servir de nos jours; mais elle persista tou-
jours a` de? clarer qu'elle avait eu des re? ve? lations intimes, qui
l'avaient de? cide? e dans le choix de sa carrie`re. Abattue par l'hor-
reur du supplice qui la menac? ait, elle rendit constamment te? -
moignage devant les Anglais a` l'e? nergie des Franc? ais, aux vertus
du roi de France, qui cependant l'avait abandonne? e. Sa mort-
nc fut ni celle d'un guerrier ni celle d'un martyr; mais, a` travers
la douceur et la timidite? de son sexe, elle montra dans les der-
niers moments une force d'inspiration presque aussi e? tonnante
que celle dont on l'accusait comme d'une sorcellerie. Quoi qu'il
en soit, le simple re? cit de sa fin e? meut bien plus que le de? nou-
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? 240 LA FIANCE? E DE MESSINE.
ment de Schiller. Lorsque la poe? sie veut ajouter a` l'e? clat d'un
personnage historique, il faut du moins qu'elle lui conserve
avec soin la physionomie qui le caracte? rise; car la grandeur
n'est vraiment frappante que quand on sait lui donner l'air na-
turel. Or, dans le sujet de Jeanne d'Arc, c'est le fait ve? ritable
qui non-seulement a plus de naturel, mais plus de grandeur
que la fiction.
La Fiance? e de Messinea e? te? compose? e d'apre`sun syste`me dra-
matique tout a` fait diffe? rent de celui que Schiller avait suivi jus-
qu'alors, et auquel il est heureusement revenu. C'est pour faire
admettre les choeurs sur la sce`ne qu'il a choisi un sujet dans
lequel il n'y a de nouveau que les noms; car c'est, au fond, la
me^me chose que les Fre`res ennemis. Seulement Schiller a intro-
duit deplus une soeur dont les deux fre`res deviennent amoureux,
sans savoir qu'elle est leur soeur, et l'un tue l'autre par jalou-
sie. Cette situation terrible en elle-me^me est entreme^le? e de
choeurs qui font partie de la pie`ce. Ce sont les serviteurs des
deux fre`res qui interrompent et glacent l'inte? re^t par leurs dis-
cussions mutuelles. La poe? sie lyrique qu'ils re? citent tous a` la
fois est superbe; mais ils n'en sont pas moins, quoi qu'ils di-
sent, des choeurs de chambellans. Le peuple entier peut seul avoir cette dignite? inde? pendante, qui lui permet d'e^tre un spec-
tateur impartial. Le choeur doit repre? senter la poste? rite? . Si des
affections personnelles l'animaient, il serait ne? cessairement ri-
dicule; car on ne concevrait pas comment plusieurs personnes
diraient la me^me chose en me^me temps, si leurs voix n'e? taient
pas cense? es e^tre l'interpre`te impassible des ve? rite? s e? ternelles.
Schiller, dans la pre? face qui pre? ce`de la Fiance? e de Messine,
se plaint avec raison de ce que nos usages modernes n'ont plus
ces formes populaires qui les rendaient si poe? tiques chez les an-
ciens.
<< Les palais, dit-il, sont ferme? s; les tribunaux ne se tiennent
<< plus en plein air, devant les portes des villes; les e? crits ont
<< pris la place de la parole vivante; le peuple lui-me^me, cette
<< masse si forte et si visible, n'est presque plus qu'une ide? e abs-
<<traite, et les divinite? s des mortels n'existent plus que dans leur
? ?