s dans la carrie`re de la philosophie; mais il me semble
que cette esquisse, quelque imparfaite qu'elle soit, suffit pour
servir d'introduction a` l'examen de l'influence que la philoso-
phie transcendante des Allemands a exerce?
que cette esquisse, quelque imparfaite qu'elle soit, suffit pour
servir d'introduction a` l'examen de l'influence que la philoso-
phie transcendante des Allemands a exerce?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ation, mais non la lumie`re qui l'a
suivie. Les expressions scientifiques prodigue? es sur un sujet au-
quel tout le monde croit avoir des droits re? voltent l'amour-pro-
pre. Ces e? crits si difficiles a` comprendre pre^tent, quelque se? -
rieux qu'on soit, a` la plaisanterie, car il y a toujours des me? -
prises dans les te? ne`bres. L'on se plai^t a` re? duire a` quelques asser-
tions principales et faciles a` combattre, cette foule de nuances et
de restrictions qui paraissent toutes sacre? es a` l'auteur, mais que
biento^t les profanes oublient ou confondent.
Les Orientaux ont e? te? de tout temps ide? alistes, et l'Asie ne
ressemble en rien au midi de l'Europe. L'exce`s de la chaleur
porte dans l'Orient a` la contemplation, comme l'exce`s du froid
dans le Nord. Les syste`mes religieux de l'Inde sont tre`s-me? lan-
coliques, et tre`s-spiritualistes, tandis que les peuples du midi de
l'Europe ont toujours eu du penchant pour un paganisme assez
mate? riel. Les savants anglais qui ont voyage? dans l'Inde ont
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? 442 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
fait de profondes recherches sur l'Asie : et des Allemands, qui
n'avaient pas, comme les princes de la mer, les occasions de
s'instruire parleurs propres yeux, sont arrive? s, avec l'unique
secours de l'e? tude, a` des de? couvertes tre`s-inte? ressantes sur la
religion, la litte? rature et les langues des nations asiatiques; ils
sont porte? s a` croire, d'apre`s plusieurs indices, que des lumie`res
surnaturelles ont e? claire? jadis les peuples de ces contre? es, et
qu'il en est reste? des traces ineffac? ables. La philosophie des In-
diens ne peut e^tre bien comprise que parles ide? alistes allemands:
les rapports d'opinion les aident a` la concevoir.
Fre? de? ric Schlegel, non content de savoir presque toutes les
langues de l'Europe, a consacre? des travaux inoui? s a` la connais-
sance de ce pays, berceau du monde. L'ouvrage qu'il vient de
publier sur la langue et la philosophie des Indiens, contient
des vues profondes et des connaissances positives qui doivent
fixer l'attention des hommes e? claire? s de l'Europe. Il croit, et
plusieurs philosophes, au nombre desquels il faut compter
Bailly, ont soutenu la me^me opinion, qu'un peuple primitifa
occupe? quelques parties de la terre, et particulie`rement l'Asie,
dans une e? poque ante? rieure a` tous les documents de l'histoire.
Fre? de? ric Schlegel trouve des traces de ce peuple dans la culture
intellectuelle des nations et dans la formation des langues. Il
remarque une ressemblance extraordinaire entre les ide? es prin-
cipales , et me^me les mots qui les expriment chez plusieurs peu-
ples du monde, alors me^me que, d'apre`s ce que nous connais-
sons de l'histoire, ils n'ont jamais eu de rapport entre eux.
Fre? de? ric Schlegel n'admet point dans ses e? crits la supposition
assez ge? ne? ralement rec? ue, que les hommes ont commence? par
l'e? tat sauvage, et que les besoins mutuels ont forme? les langues
par degre? s. C'est donner une origine bien grossie`re au de? velop-
pement de l'esprit et de l'a^me, que de l'attribuer ainsi a` notre
nature animale, et la raison combat cette hypothe`se que l'ima-
gination repousse.
On ne conc? oit point par quelle gradation il serait possible
d'arriver du cri sauvage a` la perfection de la langue grecque;
l'on dirait que dans les progre`s ne? cessaires pour parcourir cette
dislance infmie, il faudrait que chaque pas franchi^t un abime;
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? DES PHILOSOIM1ES ALLEMANDS. . |43
nous voyons de nosjours que les sauvages ne se civilisent jamais
d'eux-me^mes, et que ce sont les nations voisines qui leur ensei-
gnent avec grande peine ce qu'ils ignorent. On est donc bien
tente? de croire que le peuple primitif a e? te? l'instituteur du genre
humain; et ce peuple, qui l'a forme? , si ce n'est une re? ve? lation?
Toutes les nations ont exprime? de tout temps des regrets sur la perte d'un e? tat heureux qui pre? ce? dait l'e? poque ou` elles se trou-
vaient: d'ou` vient cette ide? e si ge? ne? ralement re? pandue? dira-t-on
que c'est une erreur? Les erreurs universelles sont toujours fon-
de? es sur quelques ve? rite? s alte? re? es, de? figure? es peut-e^tre, mais qui
avaient pour base des faits cache? s dans la nuit des temps, ou
quelques forces myste? rieuses de la nature.
Ceux qui attribuent la civilisation du genre humain aux be-
soins physiques qui ont re? uni les hommes entre eux , explique-
ront difficilement comment il arrive que la culture morale des
peuples les plus anciens est plus poe? tique, plus favorable aux
beaux-arts, plus noblement inutile enfin, sous les rapports ma-
te? riels, que ne le sont les raffinements de la civilisation moderne.
La philosophie des Indiens est ide? aliste, et leur religion mysti-
que: ce n'est certes pas le besoin de maintenir l'ordre dans la
socie? te? qui a donne? naissance a` cette philosophie ni a` cette reli-
gion.
La poe? sie presque partout a pre? ce? de? la prose, et l'introduction
des me`tres, du rhythme, de l'harmonie, est ante? rieure a` la pre? -
cision rigoureuse, et par conse? quent a` l'utile emploi des lan-
gues. L'astronomie n'a pas e? te? e? tudie? e seulement pour servir a`
l'agriculture; mais les Chalde? ens, les E? gyptiens, etc. , ont
pousse? leurs recherches fort au dela` des avantages pratiques
qu'on pouvait en retirer, et l'on croit voir l'amour du ciel et le
culte du temps, dans ces observations si profondes et si exactes
sur les divisions de l'anne? e, le cours des astres et les pe? riodes
de leur jonction.
Les rois, chez les Chinois, e? taient les premiers astronomes
de leur pays; ils passaient les nuits a` contempler la marche des
e? toiles, et leur dignite? royale consistait dans ces belles connais-
sances , et dans ces occupations de? sinte? resse? es qui les e? levaient
au-dessus du vulgaire, l. e magnifique syste`me qui donne a` la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 444 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
civilisation pour origine une re? ve? lation religieuse, est appuye?
par une e? rudition dont les partisans des opinions mate? rialistes
sont rarement capables; c'est e^tre de? ja` presque ide? aliste que de
se vouer entie`rement a` l'e? tude.
Les Allemands, accoutume? s a` re? fle? chir profonde? ment et so-
litairement, pe? ne`trent si avant dans la ve? rite? , qu'il faut e^tre, ce
me semble, un ignorant ou un fat, pour de? daigner aucun de
leurs e? crits avant de s'en e^tre longtemps occupe? . Il y avait autre-
fois beaucoup d'erreurs et de superstitions qui tenaient au man-
que de connaissances; mais quand, avec les lumie`res de notre
temps et d'immenses travaux individuels, on e? nonce des opi-
nions hors du cercle des expe? riences communes, il faut s'en
re? jouir pour l'espe`ce humaine, car son tre? sor actuel est assez
pauvre, du moins si l'on en juge par l'usage qu'elle en fait.
En lisant le compte que je viens de rendre des ide? es princi-
pales de quelques philosophes allemands, leurs partisans, d'une
part, trouveront avec raison que j'ai indique? bien superficielle-
ment des recherches tre`s importantes, et de l'autre, les gens du
monde se demanderont a` quoi sert tout cela? Mais a` quoi ser-
vent l'Apollon du Belve? de`re, les tableaux de Raphae? l, les tra-
ge? dies de Racine? a` quoi sert tout ce qui est beau, si ce n'esta`
l'a^me? Il en est de me^me de la philosophie, elle est la beaute?
de la pense? e, elle atteste la dignite? de l'homme , qui peut s'oc-
cuper de l'E? ternel et de l'invisible, quoique tout ce qu'il y a de
grossier dans sa nature l'en e? loigne.
Je pourrais encore citer beaucoup d'autres noms justement
honore?
s dans la carrie`re de la philosophie; mais il me semble
que cette esquisse, quelque imparfaite qu'elle soit, suffit pour
servir d'introduction a` l'examen de l'influence que la philoso-
phie transcendante des Allemands a exerce? e sur le de? veloppe-
ment de l'esprit, et sur le caracte`re et la moralite? de la nation
ou` re`gne cette philosophie; et c'est la` surtout le but que je me
suis propose? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. '(45
CHAPITRE VIII.
Influence de la nouvelle philosophie allemande sur le de? veloppement de l'esprit.
L'attention est peut-e^tre de toutes les faculte? s de l'esprit hu-
main celle qui a le plus de pouvoir; et l'on ne saurait nier que la
me? taphysique ide? aliste ne la fortifie d'une manie`re e? tonnante.
M. de Buffon pre? tendait que le ge? nie pouvait s'acque? rir par la
patience, c'e? tait trop dire; mais cet hommage rendu a` l'atten-
tion, sous le nom dela patience, honore beaucoup un homme
d'une imagination aussi brillante. Les ide? es abstraites exigent
de? ja` un grand effort de me? ditation; mais quand on y joint l'ob-
servation la plus exacte et la plus perse? ve? rante des actes inte? -
rieurs de la volonte? , toute la force de l'intelligence y est em-
ploye? e. La subtilite? de l'esprit est un grand de? faut dans les af-
faires de ce monde; mais certes les Allemands n'en sont pas
soupc? onne? s. La subtilite? philosophique qui nous fait de? me^ler
les moindres fils de nos pense? es, est pre? cise? ment ce qui doit
porter le plus loin le ge? nie, car une re? flexion dont il re? sulterait
peut-e^tre les plus sublimes inventions, les plus e? tonnantes de? -
couvertes, passe en nous-me^mes inaperc? ue, si nous n'avons
pas pris l'habitude d'examiner avec sagacite? les conse? quences et
les liaisons des ide? es les plus e? loigne? es en apparence.
En Allemagne, un homme supe? rieur se borne rarement a` une
seule carrie`re. Goethe fait des de? couvertes dans les sciences,
Schelling est un excellentlitte? rateur, Fre? de? ricSchlegel un poe`te
plein d'originalite? . On ne saurait peut-e^tre re? unir un grand
nombre de talents divers, mais la vue de l'entendement doit tout
embrasser.
La nouvelle philosophie allemande est ne? cessairement plus
favorable qu'aucune autre a` l'e? tendue de l'esprit; car, rapportant
tout au foyer de l'a^me, et conside? rant le monde lui-me^me comme
re? gi par des lois dont le type est en nous, elle ne saurait admettre
le pre? juge? qui destine chaque homme d'une manie`re exclusive a`
telle ou telle branche d'e? tudes. Les philosophes ide? alistes croient
qu'un art, qu'une science, qu'une partie quelconque ne saurait
e^tre comprise sans des connaissances universelles, etque, depuis 38
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 4-16 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
le moindre phe? nome`ne jusqu'au plus grand, rien ne peut e^tre
savamment examine? , ou poe? tiquement de? peint, sans cette hau-
teur d'esprit qui fait voir l'ensemble en de? crivant les de? tails.
Montesquieu dit que l'esprit consiste a` connai^tre la ressem-
blance des choses diverses et la diffe? rence des choses sembla-
bles. S'il pouvait exister une the? orie qui appri^t a` devenir un
homme d'esprit, ce serait celle de l'entendement telle que les
Allemands la conc? oivent; il n'en est pas de plus favorable aux
rapprochements inge? nieux entre les objets exte? rieurs etles facul-
te? s de l'esprit; ce sont les divers rayons d'un me^me centre. La
plupart des axiomes physiques correspondent a` des ve? rite? s mo-
rales, et la philosophie universelle pre? sente de mille manie`res
la nature toujours une et toujours varie? e, qui se re? fle? chit tout
entie`re dans chacun deses ouvrages,etfaitporteraubrind'herbe,
comme au ce`dre, l'empreinte de l'univers.
Cette philosophie donne un attrait singulier pour tous les gen-
res d'e? tude. Les de? couvertes qu'on fait en soi-me^me sont tou-
jours inte? ressantes; mais, s'il est vrai qu'elles doivent nous
e? clairer sur les myste`res me^mes du monde cre? e? a` notre image ,
quelle curiosite? n'inspirent-elles pas! L'entretien d'un philosophe
allemand, tel que ceux que j'ai nomme? s, rappelle les dialogues
de Platon, et quand vous interrogez un de ces hommes sur un
sujet quelconque, il y re? pand tant de lumie`res qu'en l'e? coutant
vous croyez penser pour la premie`re fois, si penser est, comme
le dit Spinosa, s'identifier avec la nature par l'intelligence, et
devenir un avec elle.
Il circule en Allemagne, depuis quelques anne? es, une telle
quantite? d'ide? es neuves sur les sujets litte? raires et philosophi-
ques, qu'un e? tranger pourrait tre`s-bien prendre pour un ge? nie
supe? rieur celui qui ne ferait que re? pe? ter ces ide? es. Il m'est quel-
quefois arrive? de croire un esprit prodigieux a` des hommes d'ail-
leurs assez communs, seulement parce qu'ils s'e? taient familia-
rise? s avec les syste`mes ide? alistes, aurore d'une vie nouvelle.
Les de? fauts qu'on reproche d'ordinaire aux Allemands dans la
conversation, la lenteur et la pe? danterie, se remarquent infini-
ment moins dans les disciples de l'e? cole moderne; les personnes
du premier rang, en Allemagne, se sont forme? es pour la plu-
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. -4^7
part d'apre`s les bonnes manie`res franc? aises; mais il s'e? tablit
maintenant parmi les philosophes hommes de lettres une e? duca-
tion qui est aussi de bon gou^t, quoique dans un tout autre genre.
On y conside`re la ve? ritable e? le? gance comme inse? parable de l'i-
magination poe? tique et de l'attrait pour les beaux-arts, et la po-
litesse comme fonde? e sur la connaissance et l'appre? ciation des
talents et du me? rite.
On ne saurait nier cependant que les nouveaux syste`mes philosophiques et litte? raires n'aient inspire? a` leurs partisans un
grand me? pris pourceux qui ne les comprennent pas. La plaisan-
terie franc? aise veut toujours humilier par le ridicule; sa tacti-
que est d'e? viter l'ide? e pour attaquer la personne, et le fond pour
se moquer de la forme. Les Allemands de la nouvelle e? cole con-
side`rent l'ignorance et la frivolite? comme les maladies d'une
enfance prolonge? e; ils ne s'en sont pas tenus a` combattre les
e? trangers, ils s'attaquent aussi eux-me^mes les unsles autres
avec amertume, et l'on dirait, a` les entendre, qu'un degre? de
plus en fait d'abstraction ou de profondeur, donne le droit de
traiter en esprit vulgaire et borne? quiconque ne voudrait pas ou
ne pourrait pas y atteindre.
Quand les obstacles ont irrite? les esprits, l'exage? ration s'est
me^le? e a` cette re? volution philosophique, d'ailleurs si salutaire.
Les Allemands de la nouvelle e? cole pe? ne`trent avec le flambeau
du ge? nie dans l'inte? rieur de l'a^me. Mais quand il s'agit de faire
entrer leurs ide? es dans la te^te des autres, ils en connaissent mal
les moyens; ils se mettent a` de? daigner, parce qu'ils ignorent,
non la ve? rite? , mais la manie`re de la dire. Le de? dain, excepte?
pour le vice, indique presque toujours une borne dans l'esprit;
car, avec plus d'esprit encore, on se serait fait comprendre me^me
des esprits vulgaires, ou du moins on l'aurait essaye? de bonne
foi.
Le talent de s'exprimer avec me? thode et clarte? est assez rare
en Allemagne: les e?
suivie. Les expressions scientifiques prodigue? es sur un sujet au-
quel tout le monde croit avoir des droits re? voltent l'amour-pro-
pre. Ces e? crits si difficiles a` comprendre pre^tent, quelque se? -
rieux qu'on soit, a` la plaisanterie, car il y a toujours des me? -
prises dans les te? ne`bres. L'on se plai^t a` re? duire a` quelques asser-
tions principales et faciles a` combattre, cette foule de nuances et
de restrictions qui paraissent toutes sacre? es a` l'auteur, mais que
biento^t les profanes oublient ou confondent.
Les Orientaux ont e? te? de tout temps ide? alistes, et l'Asie ne
ressemble en rien au midi de l'Europe. L'exce`s de la chaleur
porte dans l'Orient a` la contemplation, comme l'exce`s du froid
dans le Nord. Les syste`mes religieux de l'Inde sont tre`s-me? lan-
coliques, et tre`s-spiritualistes, tandis que les peuples du midi de
l'Europe ont toujours eu du penchant pour un paganisme assez
mate? riel. Les savants anglais qui ont voyage? dans l'Inde ont
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? 442 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
fait de profondes recherches sur l'Asie : et des Allemands, qui
n'avaient pas, comme les princes de la mer, les occasions de
s'instruire parleurs propres yeux, sont arrive? s, avec l'unique
secours de l'e? tude, a` des de? couvertes tre`s-inte? ressantes sur la
religion, la litte? rature et les langues des nations asiatiques; ils
sont porte? s a` croire, d'apre`s plusieurs indices, que des lumie`res
surnaturelles ont e? claire? jadis les peuples de ces contre? es, et
qu'il en est reste? des traces ineffac? ables. La philosophie des In-
diens ne peut e^tre bien comprise que parles ide? alistes allemands:
les rapports d'opinion les aident a` la concevoir.
Fre? de? ric Schlegel, non content de savoir presque toutes les
langues de l'Europe, a consacre? des travaux inoui? s a` la connais-
sance de ce pays, berceau du monde. L'ouvrage qu'il vient de
publier sur la langue et la philosophie des Indiens, contient
des vues profondes et des connaissances positives qui doivent
fixer l'attention des hommes e? claire? s de l'Europe. Il croit, et
plusieurs philosophes, au nombre desquels il faut compter
Bailly, ont soutenu la me^me opinion, qu'un peuple primitifa
occupe? quelques parties de la terre, et particulie`rement l'Asie,
dans une e? poque ante? rieure a` tous les documents de l'histoire.
Fre? de? ric Schlegel trouve des traces de ce peuple dans la culture
intellectuelle des nations et dans la formation des langues. Il
remarque une ressemblance extraordinaire entre les ide? es prin-
cipales , et me^me les mots qui les expriment chez plusieurs peu-
ples du monde, alors me^me que, d'apre`s ce que nous connais-
sons de l'histoire, ils n'ont jamais eu de rapport entre eux.
Fre? de? ric Schlegel n'admet point dans ses e? crits la supposition
assez ge? ne? ralement rec? ue, que les hommes ont commence? par
l'e? tat sauvage, et que les besoins mutuels ont forme? les langues
par degre? s. C'est donner une origine bien grossie`re au de? velop-
pement de l'esprit et de l'a^me, que de l'attribuer ainsi a` notre
nature animale, et la raison combat cette hypothe`se que l'ima-
gination repousse.
On ne conc? oit point par quelle gradation il serait possible
d'arriver du cri sauvage a` la perfection de la langue grecque;
l'on dirait que dans les progre`s ne? cessaires pour parcourir cette
dislance infmie, il faudrait que chaque pas franchi^t un abime;
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES PHILOSOIM1ES ALLEMANDS. . |43
nous voyons de nosjours que les sauvages ne se civilisent jamais
d'eux-me^mes, et que ce sont les nations voisines qui leur ensei-
gnent avec grande peine ce qu'ils ignorent. On est donc bien
tente? de croire que le peuple primitif a e? te? l'instituteur du genre
humain; et ce peuple, qui l'a forme? , si ce n'est une re? ve? lation?
Toutes les nations ont exprime? de tout temps des regrets sur la perte d'un e? tat heureux qui pre? ce? dait l'e? poque ou` elles se trou-
vaient: d'ou` vient cette ide? e si ge? ne? ralement re? pandue? dira-t-on
que c'est une erreur? Les erreurs universelles sont toujours fon-
de? es sur quelques ve? rite? s alte? re? es, de? figure? es peut-e^tre, mais qui
avaient pour base des faits cache? s dans la nuit des temps, ou
quelques forces myste? rieuses de la nature.
Ceux qui attribuent la civilisation du genre humain aux be-
soins physiques qui ont re? uni les hommes entre eux , explique-
ront difficilement comment il arrive que la culture morale des
peuples les plus anciens est plus poe? tique, plus favorable aux
beaux-arts, plus noblement inutile enfin, sous les rapports ma-
te? riels, que ne le sont les raffinements de la civilisation moderne.
La philosophie des Indiens est ide? aliste, et leur religion mysti-
que: ce n'est certes pas le besoin de maintenir l'ordre dans la
socie? te? qui a donne? naissance a` cette philosophie ni a` cette reli-
gion.
La poe? sie presque partout a pre? ce? de? la prose, et l'introduction
des me`tres, du rhythme, de l'harmonie, est ante? rieure a` la pre? -
cision rigoureuse, et par conse? quent a` l'utile emploi des lan-
gues. L'astronomie n'a pas e? te? e? tudie? e seulement pour servir a`
l'agriculture; mais les Chalde? ens, les E? gyptiens, etc. , ont
pousse? leurs recherches fort au dela` des avantages pratiques
qu'on pouvait en retirer, et l'on croit voir l'amour du ciel et le
culte du temps, dans ces observations si profondes et si exactes
sur les divisions de l'anne? e, le cours des astres et les pe? riodes
de leur jonction.
Les rois, chez les Chinois, e? taient les premiers astronomes
de leur pays; ils passaient les nuits a` contempler la marche des
e? toiles, et leur dignite? royale consistait dans ces belles connais-
sances , et dans ces occupations de? sinte? resse? es qui les e? levaient
au-dessus du vulgaire, l. e magnifique syste`me qui donne a` la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 444 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
civilisation pour origine une re? ve? lation religieuse, est appuye?
par une e? rudition dont les partisans des opinions mate? rialistes
sont rarement capables; c'est e^tre de? ja` presque ide? aliste que de
se vouer entie`rement a` l'e? tude.
Les Allemands, accoutume? s a` re? fle? chir profonde? ment et so-
litairement, pe? ne`trent si avant dans la ve? rite? , qu'il faut e^tre, ce
me semble, un ignorant ou un fat, pour de? daigner aucun de
leurs e? crits avant de s'en e^tre longtemps occupe? . Il y avait autre-
fois beaucoup d'erreurs et de superstitions qui tenaient au man-
que de connaissances; mais quand, avec les lumie`res de notre
temps et d'immenses travaux individuels, on e? nonce des opi-
nions hors du cercle des expe? riences communes, il faut s'en
re? jouir pour l'espe`ce humaine, car son tre? sor actuel est assez
pauvre, du moins si l'on en juge par l'usage qu'elle en fait.
En lisant le compte que je viens de rendre des ide? es princi-
pales de quelques philosophes allemands, leurs partisans, d'une
part, trouveront avec raison que j'ai indique? bien superficielle-
ment des recherches tre`s importantes, et de l'autre, les gens du
monde se demanderont a` quoi sert tout cela? Mais a` quoi ser-
vent l'Apollon du Belve? de`re, les tableaux de Raphae? l, les tra-
ge? dies de Racine? a` quoi sert tout ce qui est beau, si ce n'esta`
l'a^me? Il en est de me^me de la philosophie, elle est la beaute?
de la pense? e, elle atteste la dignite? de l'homme , qui peut s'oc-
cuper de l'E? ternel et de l'invisible, quoique tout ce qu'il y a de
grossier dans sa nature l'en e? loigne.
Je pourrais encore citer beaucoup d'autres noms justement
honore?
s dans la carrie`re de la philosophie; mais il me semble
que cette esquisse, quelque imparfaite qu'elle soit, suffit pour
servir d'introduction a` l'examen de l'influence que la philoso-
phie transcendante des Allemands a exerce? e sur le de? veloppe-
ment de l'esprit, et sur le caracte`re et la moralite? de la nation
ou` re`gne cette philosophie; et c'est la` surtout le but que je me
suis propose? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. '(45
CHAPITRE VIII.
Influence de la nouvelle philosophie allemande sur le de? veloppement de l'esprit.
L'attention est peut-e^tre de toutes les faculte? s de l'esprit hu-
main celle qui a le plus de pouvoir; et l'on ne saurait nier que la
me? taphysique ide? aliste ne la fortifie d'une manie`re e? tonnante.
M. de Buffon pre? tendait que le ge? nie pouvait s'acque? rir par la
patience, c'e? tait trop dire; mais cet hommage rendu a` l'atten-
tion, sous le nom dela patience, honore beaucoup un homme
d'une imagination aussi brillante. Les ide? es abstraites exigent
de? ja` un grand effort de me? ditation; mais quand on y joint l'ob-
servation la plus exacte et la plus perse? ve? rante des actes inte? -
rieurs de la volonte? , toute la force de l'intelligence y est em-
ploye? e. La subtilite? de l'esprit est un grand de? faut dans les af-
faires de ce monde; mais certes les Allemands n'en sont pas
soupc? onne? s. La subtilite? philosophique qui nous fait de? me^ler
les moindres fils de nos pense? es, est pre? cise? ment ce qui doit
porter le plus loin le ge? nie, car une re? flexion dont il re? sulterait
peut-e^tre les plus sublimes inventions, les plus e? tonnantes de? -
couvertes, passe en nous-me^mes inaperc? ue, si nous n'avons
pas pris l'habitude d'examiner avec sagacite? les conse? quences et
les liaisons des ide? es les plus e? loigne? es en apparence.
En Allemagne, un homme supe? rieur se borne rarement a` une
seule carrie`re. Goethe fait des de? couvertes dans les sciences,
Schelling est un excellentlitte? rateur, Fre? de? ricSchlegel un poe`te
plein d'originalite? . On ne saurait peut-e^tre re? unir un grand
nombre de talents divers, mais la vue de l'entendement doit tout
embrasser.
La nouvelle philosophie allemande est ne? cessairement plus
favorable qu'aucune autre a` l'e? tendue de l'esprit; car, rapportant
tout au foyer de l'a^me, et conside? rant le monde lui-me^me comme
re? gi par des lois dont le type est en nous, elle ne saurait admettre
le pre? juge? qui destine chaque homme d'une manie`re exclusive a`
telle ou telle branche d'e? tudes. Les philosophes ide? alistes croient
qu'un art, qu'une science, qu'une partie quelconque ne saurait
e^tre comprise sans des connaissances universelles, etque, depuis 38
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? 4-16 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
le moindre phe? nome`ne jusqu'au plus grand, rien ne peut e^tre
savamment examine? , ou poe? tiquement de? peint, sans cette hau-
teur d'esprit qui fait voir l'ensemble en de? crivant les de? tails.
Montesquieu dit que l'esprit consiste a` connai^tre la ressem-
blance des choses diverses et la diffe? rence des choses sembla-
bles. S'il pouvait exister une the? orie qui appri^t a` devenir un
homme d'esprit, ce serait celle de l'entendement telle que les
Allemands la conc? oivent; il n'en est pas de plus favorable aux
rapprochements inge? nieux entre les objets exte? rieurs etles facul-
te? s de l'esprit; ce sont les divers rayons d'un me^me centre. La
plupart des axiomes physiques correspondent a` des ve? rite? s mo-
rales, et la philosophie universelle pre? sente de mille manie`res
la nature toujours une et toujours varie? e, qui se re? fle? chit tout
entie`re dans chacun deses ouvrages,etfaitporteraubrind'herbe,
comme au ce`dre, l'empreinte de l'univers.
Cette philosophie donne un attrait singulier pour tous les gen-
res d'e? tude. Les de? couvertes qu'on fait en soi-me^me sont tou-
jours inte? ressantes; mais, s'il est vrai qu'elles doivent nous
e? clairer sur les myste`res me^mes du monde cre? e? a` notre image ,
quelle curiosite? n'inspirent-elles pas! L'entretien d'un philosophe
allemand, tel que ceux que j'ai nomme? s, rappelle les dialogues
de Platon, et quand vous interrogez un de ces hommes sur un
sujet quelconque, il y re? pand tant de lumie`res qu'en l'e? coutant
vous croyez penser pour la premie`re fois, si penser est, comme
le dit Spinosa, s'identifier avec la nature par l'intelligence, et
devenir un avec elle.
Il circule en Allemagne, depuis quelques anne? es, une telle
quantite? d'ide? es neuves sur les sujets litte? raires et philosophi-
ques, qu'un e? tranger pourrait tre`s-bien prendre pour un ge? nie
supe? rieur celui qui ne ferait que re? pe? ter ces ide? es. Il m'est quel-
quefois arrive? de croire un esprit prodigieux a` des hommes d'ail-
leurs assez communs, seulement parce qu'ils s'e? taient familia-
rise? s avec les syste`mes ide? alistes, aurore d'une vie nouvelle.
Les de? fauts qu'on reproche d'ordinaire aux Allemands dans la
conversation, la lenteur et la pe? danterie, se remarquent infini-
ment moins dans les disciples de l'e? cole moderne; les personnes
du premier rang, en Allemagne, se sont forme? es pour la plu-
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. -4^7
part d'apre`s les bonnes manie`res franc? aises; mais il s'e? tablit
maintenant parmi les philosophes hommes de lettres une e? duca-
tion qui est aussi de bon gou^t, quoique dans un tout autre genre.
On y conside`re la ve? ritable e? le? gance comme inse? parable de l'i-
magination poe? tique et de l'attrait pour les beaux-arts, et la po-
litesse comme fonde? e sur la connaissance et l'appre? ciation des
talents et du me? rite.
On ne saurait nier cependant que les nouveaux syste`mes philosophiques et litte? raires n'aient inspire? a` leurs partisans un
grand me? pris pourceux qui ne les comprennent pas. La plaisan-
terie franc? aise veut toujours humilier par le ridicule; sa tacti-
que est d'e? viter l'ide? e pour attaquer la personne, et le fond pour
se moquer de la forme. Les Allemands de la nouvelle e? cole con-
side`rent l'ignorance et la frivolite? comme les maladies d'une
enfance prolonge? e; ils ne s'en sont pas tenus a` combattre les
e? trangers, ils s'attaquent aussi eux-me^mes les unsles autres
avec amertume, et l'on dirait, a` les entendre, qu'un degre? de
plus en fait d'abstraction ou de profondeur, donne le droit de
traiter en esprit vulgaire et borne? quiconque ne voudrait pas ou
ne pourrait pas y atteindre.
Quand les obstacles ont irrite? les esprits, l'exage? ration s'est
me^le? e a` cette re? volution philosophique, d'ailleurs si salutaire.
Les Allemands de la nouvelle e? cole pe? ne`trent avec le flambeau
du ge? nie dans l'inte? rieur de l'a^me. Mais quand il s'agit de faire
entrer leurs ide? es dans la te^te des autres, ils en connaissent mal
les moyens; ils se mettent a` de? daigner, parce qu'ils ignorent,
non la ve? rite? , mais la manie`re de la dire. Le de? dain, excepte?
pour le vice, indique presque toujours une borne dans l'esprit;
car, avec plus d'esprit encore, on se serait fait comprendre me^me
des esprits vulgaires, ou du moins on l'aurait essaye? de bonne
foi.
Le talent de s'exprimer avec me? thode et clarte? est assez rare
en Allemagne: les e?