es comme
vraiment
bonnes.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
de la foi, a` tout l'e?
clat des vertus que colore le soleil de
l'a^me.
J'e? tais a` Vienne quand W. Schlegel y donna son cours pu-
1blic. Je n'attendais que de l'esprit et de l'instruction dans des
lec? ons qui avaient l'enseignement pour but; je fus confondue
d'entendre un critique e? loquent comme un orateur, et qui, loin
de s'acharner aux de? fauts, e? ternel aliment de la me? diocrite? ja-
louse, cherchait seulement a` faire revivre le ge? nie cre? ateur.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET J? . SCULEGEL. 307
La litte? rature espagnole est peu connue, c'est elle qui fut
l'objet d'un des plus beaux morceaux prononce? s dans la se? ance
a` laquelle j'assistai. W. Schlegel nous peignit cette nation che-
valeresque dont les poe`tes e? taient guerriers, et les guerrier*
poe^les. Il cita ce comte Ercilla, << qui composa sous une tente
<< son poe`me de l'Araucana, tanto^t sur les plages de l'Oce? an .
<< tanto^t au pied des Cordillie`res, pendant qu'il faisait la guerre
<< aux sauvages re? volte? s. Garcillasse, un des descendants des
<< Incas, e? crivait des poe? sies d'amour sur les ruines de Car-
<< thage , et pe? rit a` l'assaut de Tunis. Cervantes fut grie`vement
<< blesse? a` la bataille de Le? pante; Lope`s de Vega e? chappa comme
par miracle a` la de? faite de la flotte invincible; et Calde? ron
<< servit en intre? pide soldat dans les guerres de Flandre et d'I-
<< talie.
<< La religion et la guerre se me^le`rent chez les Espagnols plus
<< que dans toute autre nation; ce sont eux qui, par des com-
<< bats continuels, repousse`rent les Maures de leur sein, et l'on
pouvait les conside? rer comme l'avant-garde de la chre? tiente?
<< europe? enne; ils conquirent leurs e? glises sur les Arabes; un
acte de leur culte e? tait un trophe? e pour leurs armes, et leur
foi triomphante, quelquefois porte? e jusqu'au fanatisme, s'al-
<< liait avec le sentiment de l'honneur, et donnait a` leur carac-
<< 1e`re une imposante dignite? . Cette gravite? me^le? e d'imagination,
<< cette gaiete? me^me qui ne fait rien perdre au se? rieux de toutes
<< les affections profondes, se montrent dans la litte? rature
espagnole, toute compose? e de fictions et de poe? sies, dont la
<< religion, l'amour et les exploits guerriers sont l'objet. On di-
<< rait que dans ces temps ou` le nouveau monde fut de? couvert,
<< les tre? sors d'un autre he? misphe`re servaient aux richesses de
<< l'imagination aussi bien qu'a` celles de l'E? tat, et que dans
<< l'empire de la poe? sie, comme dans celui de Charles-Quint, le
<< soleil ne cessait jamais d'e? clairer l'horizon, >>
Les auditeurs de W. Schlegel furent vivement e? mus par ce
tableau , et la langue allemande, dont il se servait avec e? le? gance,
entourait de pense? es profondes et d'expressions sensibles, les
noms retentissants de l'espagnol, ces noms qui ne peuvent e^tre
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 368 LES CBI11QUES A. W. ET F. SCHLEGEI. .
prononce? s sans que de? ja` l'imagination croie voir les orangers du
royaume de Grenade et les palais des rois maures '.
On peut comparer la manie`re de W. Schlegel, en parlant de poe? sie, a` celle de VVinckelmann, en de? crivant les statues; et
c'est ainsi seulement qu'il est honorable d'e^tre un critique; tous
les hommes du me? tier suffisent pour enseigner les fautes ou les
ne? gligences qu'on doit e? viter: mais apre`s le ge? nie, ce qu'il y a
de plus semblable a` lui, c'est la puissance de le connai^tre et de
l'admirer.
Fre? de? ric Schlegel, s'e? tant occupe? de philosophie, s'est voue?
moins exclusivement que son fre`re a` la litte? rature; cependant
le morceau qu'il a e? crit sur la culture intellectuelle des Grecs et
des Romains, rassemble en un court espace des aperc? us et des
re? sultats du premier ordre. Fre? de? ric Schlegel est l'un des hom-
mes ce? le`bres de l'Allemagne dont l'esprit a le plus d'originalite? ;
et loin de se fier a` cette originalite? qui lui promettait tant de suc-
ce`s, il a voulu l'appuyer sur des e? tudes immenses :c'est une
grande preuve de respect pour l'espe`ce humaine , que de ne ja-
mais lui parler d'apre`s soi seul, et sans s'e^tre informe? conscien-
cieusement de tout ce que nos pre? de? cesseurs nous ont laisse? pour
he? ritage. Les Allemands, dans les richesses de l'esprit humain ,
sont de ve? ritables proprie? taires : ceux qui s'en tiennent a` leurs
lumie`res naturelles, ne sont que des prole? taires en comparaison
d'eux.
Apre`s avoir rendu justice aux rares talents des deux Schlegel,
il faut examiner pourtant en quoi consiste la partialite? qu'on leur
reproche, et dont il est vrai que plusieurs de leurs e? crits ne sont
pas exempts: ils penchent visiblement pour le moyen a^ge, et
pour les opinions de cette e? poque; la chevalerie sans taches, la
1 Wilhelm Schlegel, que je cite ici comme le premier critique litte? raire de
l'Allemagne, est l'auteur d'une brochure franc? aise nouvellement publie? e,
sous le titre de Re? flexions sur le Syste? mr continental. -- Ce me^me W. ScUi^cgel
a fait aussi imprimer a` Paris, il y a quelques anne? es, une comparaison de
la Phe? dre d'Euripide et de celle de Racine : elle excita une grande rumeur
parmi les litte? rateurs parisiens; mais personne ne put nier que W. Schlegcl,
quoique Allemand, n'e? crivit assez bien le franc? ais pour qu'il lui fu^t permis de
parler de Racine.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 369
foi sans bornes, et la poe? sie sans re? flexions leur paraissent in-
se? parables, et ils s'appliquent a` tout ce qui pourrait diriger dans
ce sens les esprits et les a^mes. W. Schlegel exprime son admi-
ration pour le moyen a^ge dans plusieurs de ses e? crits, et parti-
culie`rement dans deux stances dont voici la traduction:
<< L'Europe e? tait une dans ces grands sie`cles, et le sol de cette
<< patrie universelle e? tait fe? cond en ge? ne? reuses pense? es, qui peu-
<<vent servir de guide dans la vie et dans la mort. Une me^me
chevalerie changeait les combattants en fre`res d'armes : c'e? tait
pour de? fendre une me^me foi qu'ils s'armaient; un me^me
amour inspirait tous les coeurs, et la poe? sie qui chantait cette
? ? alliance exprimait le me^me sentiment dans les langages di-
<< vers.
<< Ah ! la noble e? nergie des a^ges anciens est perdue: notre
<< sie`cle est l'inventeur d'une e? troite sagesse, et ce que les hom-
<< mes faibles ne sauraient concevoir, n'est a` leurs yeux qu'une
<< chime`re; toutefois rien de divin ne peut re? ussir, entrepris avec
un coeur profane He? las! nos temps ne connaissent plus ni la
foi, ni l'amour; comment pourrait-il leur rester l'espe? rance! >>
Des opinions dont la tendance est si marque? e doivent ne? ces-
sairement alte? rer l'impartialite? des jugements sur les ouvrages de
l'art : sans doute, et je n'ai cesse? de le re? pe? ter dans le cours de
cet e? crit, il est a` de? sirer que la litte? rature moderne soit fonde? e
sur notre histoire et sur notre croyance; ne? anmoins il ne s'en-
suit pas que les productions litte? raires du moyen a^ge puissent
e^tre conside? re?
es comme vraiment bonnes. Leur e? nergique sim-
plicite? , le caracte`re pur etloyal qui s'y manifeste, excitent un
vif inte? re^t; mais la connaissance de l'antique et les progre`s de
la civilisation , nous ont valu des avantages qu'on ne doit pas
de? daigner. Il ne s'agit pas de faire reculer l'art, mais de re? unir
autant qu'on le peut les qualite? s diverses de? veloppe? es dans l'es-
prit humain a` diffe? rentes e? poques.
On a fort accuse? les deux Schlegel de ne pas rendre justice a`
la litte? rature franc? aise; il n'est point d'e? crivains cependant qui
aient parle? avec plus d'enthousiasme du ge? nie de nos trouba-
dours, et de cette chevalerie franc? aise, sans pareille en Europe, lorsqu'elle re? unissait au plus haut point l'esprit et la loyaute? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 370 LES CRIT1QIJES A. W. ET F. SCHLEGEL.
la gra^ce et la franchise, le courage et la gaiete? , la simplicite? la
plus touchante et la nai? vete? la plus inge? nieuse; mais les criti-
ques allemands ont pre? tendu que les traits distinctifs du ca-
racte`re franc? ais s'e? taient efface? s pendant le cours du re`gne de
Louis XIV: la litte? rature, disent-ils, dans les sie`cles appele? s
classiques, perd en originalite? ce qu'elle gagne en correction;
ils ont attaque? nos poe`tes en particulier, avec une grande force
d'arguments et de moyens. L'esprit ge? ne? ral de ces critiques est
'e me^me que celui de Rousseau, dans sa lettre contre la musi-
que francaise. Ils croient trouver dans plusieurs de nos trage? -
dies l'espe`ce d'affectation pompeuse que Rousseau reproche a`
Lulli et a` Rameau, et ils pre? tendent que le me^me gou^t qui fai-
sait pre? fe? rer Coypel et Boucher dans la peinture, et le chevalier
Bernin dans la sculpture, interdit a` la poe? sie l'e? lan qui seul en
fait une jouissance divine; enfin ils seraient tente? s d'appliquer
a` notre manie`re de concevoir et d'aimer les beaux-arts, ces
vers tant cite? s de Corneille:
Othon a` la princesse a fait un compliment,
Plus en homme d'esprit qu'en ve? ritable amant.
AV. Schlegel rend hommage cependant a` la plupart de nos
grands auteurs; mais ce qu'il s'attache a` prouver seulement,
c'est que depuis le milieu du dix-septie`me sie`cle le genre manie? re? a domine? dans toute l'Europe; et que cette tendance a fait
perdre la verve audacieuse qui animait les e? crivains et les artis-
tes , a` la renaissance des lettres. Dans les tableaux et les bas-reliefs ou` Louis XIV est peint, tanto^t en Jupiter, tanto^t en Her-
cule, il est repre? sente? nu, ou reve^tu seulement d'une peau de
lion, mais avec sa grande perruque sur la te^te. Les e? crivains de
la nouvelle e? cole pre? tendent que l'on pourrait appliquer cette
grande perruque a` la physionomie des beaux-arts, dans le dix-septie`me sie`cle: il s'y me^lait toujours une politesse affecte? e,
dont une grandeur factice e? tait la cause.
Il est inte? ressant d'examiner cette manie`re de voir, malgre? les
objections sans nombre qu'on peut y opposer; ce qui est certain
au moins, c'est que les aristarques allemands sont parvenus a`
leur but, puisqu'ils sont de tous les e? crivains, depuis Lessing ,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 371
ceux qui ont le plus efficacement contribue? a` rendre l'imitation
de la litte? rature franc? aise tout a` fait hors de mode en Allemagne;
mais de peur du gou^t franc? ais, ils n'ont pas assez perfectionne?
le gou^t allemand, et souvent ils ont rejete? des observations plei-
nes de justesse, seulement parce que nos e? crivains les avaient
faites.
On ne sait pas faire un livre en Allemagne; rarement on y
met l'ordre et la me? thode qui classent les ide? es dans la te^te du
lecteur; et ce n'est point parce que les Franc? ais sont impatients,
mais parce qu'ils ont l'esprit juste , qu'ils se fatiguent de ce de? -
faut; les fictions ne sont pas dessine? es , dans les poe? sies alle-
mandes , avec ces contours fermes et pre? cis qui en assurent l'ef-
fet, et le vague de l'imagination correspond a` l'obscurite? de la
pense? e. Enfin, si les plaisanteries bizarres et vulgaires de quel-
ques ouvrages pre? tendus comiques manquent de gou^t, ce n'est
pas a` force de naturel, c'est parce que l'affectation de l'e? nergie
est au moins aussi ridicule que celle de la gra^ce. Je mefais vif,
disait un Allemand en sautant par la fene^tre: quand on se fait,
on n'est rien : il faut recourir au bon gou^t franc? ais, contre la
vigoureuse exage? ration de quelques Allemands, comme a` la
profondeur des Allemands, contre la frivolite? dogmatique de
quelques Franc? ais.
Les nations doivent se servir de guide les unes aux autres, et
toutes auraient tort de se priver des lumie`res qu'elles peuvent
mutuellement se pre^ter. Il y a quelque chose de tre`s-singulier
dans la diffe? rence d'un peuple a` un autre : le climat, l'aspect de
la nature, la langue, le gouvernement, enfin surtout les e? ve? ne-
ments de l'histoire, puissance plus extraordinaire encore que
toutes les autres, contribuent a` ces diversite? s, et nul homme,
quelque supe? rieur qu'il soit, ne peut deviner ce qui se de? veloppe
naturellement dans l'esprit de celui qui vit sur un autre sol, et
respire un autre air: on se trouvera donc bien en tout pays d'ac-
cueillir les pense? es e? trange`res; car, dans ce genre, l'hospitalite?
fait la fortune de celui qui rec? oit.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 372 DKS REAUX-AHTS KM ALLEMAGNE.
CHAPITRE XXXII.
Des beaux-arts en Allemagne.
Les Allemands en ge? ne? ral conc? oivent mieux l'art qu'ils ne le
mettent en pratique : a` peine ont-ils une impression, qu'ils en
tirent une foule d'ide? es. Ils vantent beaucoup le myste`re , mais.
c'est pour le re? ve? ler, et l'on ne peut montrer aucun genre d'ori-
ginalite? en Allemagne, sans que chacun vous explique comment
cette originalite? vous est venue; c'est un grand inconve? nient,
surtout pour les arts, ou` tout est sensation; ils sont analyse? s
avant d'e^tre sentis, et l'on a beau dire apre`s qu'il faut renoncer
a` l'analyse, l'on a gou^te? du fruit de l'arbre de la science, et
l'innocence du talent est perdue. Ce n'est pas assure? ment que je conseille, relativement aux
arts, l'ignorance que je n'ai cesse? de bla^mer en litte? rature; mais
il faut distinguer les e? tudes relatives a` la pratique de l'art, de
celles qui ont uniquement pour objet la the? orie du talent; celles-
ci , pousse? es trop loin, e? touffent l'invention; l'on est trouble?
par le souvenir de tout ce quia e? te? dit sur chaque chef-d'oeuvre;
on croit sentir entre soi et l'objet que l'on veut peindre une
foule de traite? s sur la peinture et la sculpture, l'ide? al et le re? el,
et l'artiste n'est plus seul avec la nature. Sans doute l'esprit de
ces divers traite? s est toujours l'encouragement; mais a` force
d'encouragement on lasse le ge? nie, comme a` force de ge^ne on
l'e? teint; et dans tout ce qui tient a` l'imagination, il faut une si
heureuse combinaison d'obstacles et de facilite? , que des sie`cles
peuvent s'e? couler sans que l'on arrive a` ce point juste qui fait
e? clore l'esprit humain dans toute sa force.
Avant l'e? poque de la re? formation , les Allemands avaient une
e? cole de peinture que ne de? daignait pas l'e? cole italienne. Albert
Durer, Lucas Cranach, Holbein,ont, dans leur manie`re de pein-
dre, des rapports avec les pre? de? cesseurs de Raphae`l, Perugin,
Andre? Mantegne, etc. Holbein se rapproche davantage de Le? o-
nard de Vinci ; en ge? ne? ral cependant, il y a plus de durete? dans
l'e? cole allemande que dans celle des Italiens, mais non moins
d'expression et de recueillement dans les physionomies. Les
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES REAUX-ARTS EN ALLEMAGNE.
l'a^me.
J'e? tais a` Vienne quand W. Schlegel y donna son cours pu-
1blic. Je n'attendais que de l'esprit et de l'instruction dans des
lec? ons qui avaient l'enseignement pour but; je fus confondue
d'entendre un critique e? loquent comme un orateur, et qui, loin
de s'acharner aux de? fauts, e? ternel aliment de la me? diocrite? ja-
louse, cherchait seulement a` faire revivre le ge? nie cre? ateur.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET J? . SCULEGEL. 307
La litte? rature espagnole est peu connue, c'est elle qui fut
l'objet d'un des plus beaux morceaux prononce? s dans la se? ance
a` laquelle j'assistai. W. Schlegel nous peignit cette nation che-
valeresque dont les poe`tes e? taient guerriers, et les guerrier*
poe^les. Il cita ce comte Ercilla, << qui composa sous une tente
<< son poe`me de l'Araucana, tanto^t sur les plages de l'Oce? an .
<< tanto^t au pied des Cordillie`res, pendant qu'il faisait la guerre
<< aux sauvages re? volte? s. Garcillasse, un des descendants des
<< Incas, e? crivait des poe? sies d'amour sur les ruines de Car-
<< thage , et pe? rit a` l'assaut de Tunis. Cervantes fut grie`vement
<< blesse? a` la bataille de Le? pante; Lope`s de Vega e? chappa comme
par miracle a` la de? faite de la flotte invincible; et Calde? ron
<< servit en intre? pide soldat dans les guerres de Flandre et d'I-
<< talie.
<< La religion et la guerre se me^le`rent chez les Espagnols plus
<< que dans toute autre nation; ce sont eux qui, par des com-
<< bats continuels, repousse`rent les Maures de leur sein, et l'on
pouvait les conside? rer comme l'avant-garde de la chre? tiente?
<< europe? enne; ils conquirent leurs e? glises sur les Arabes; un
acte de leur culte e? tait un trophe? e pour leurs armes, et leur
foi triomphante, quelquefois porte? e jusqu'au fanatisme, s'al-
<< liait avec le sentiment de l'honneur, et donnait a` leur carac-
<< 1e`re une imposante dignite? . Cette gravite? me^le? e d'imagination,
<< cette gaiete? me^me qui ne fait rien perdre au se? rieux de toutes
<< les affections profondes, se montrent dans la litte? rature
espagnole, toute compose? e de fictions et de poe? sies, dont la
<< religion, l'amour et les exploits guerriers sont l'objet. On di-
<< rait que dans ces temps ou` le nouveau monde fut de? couvert,
<< les tre? sors d'un autre he? misphe`re servaient aux richesses de
<< l'imagination aussi bien qu'a` celles de l'E? tat, et que dans
<< l'empire de la poe? sie, comme dans celui de Charles-Quint, le
<< soleil ne cessait jamais d'e? clairer l'horizon, >>
Les auditeurs de W. Schlegel furent vivement e? mus par ce
tableau , et la langue allemande, dont il se servait avec e? le? gance,
entourait de pense? es profondes et d'expressions sensibles, les
noms retentissants de l'espagnol, ces noms qui ne peuvent e^tre
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 368 LES CBI11QUES A. W. ET F. SCHLEGEI. .
prononce? s sans que de? ja` l'imagination croie voir les orangers du
royaume de Grenade et les palais des rois maures '.
On peut comparer la manie`re de W. Schlegel, en parlant de poe? sie, a` celle de VVinckelmann, en de? crivant les statues; et
c'est ainsi seulement qu'il est honorable d'e^tre un critique; tous
les hommes du me? tier suffisent pour enseigner les fautes ou les
ne? gligences qu'on doit e? viter: mais apre`s le ge? nie, ce qu'il y a
de plus semblable a` lui, c'est la puissance de le connai^tre et de
l'admirer.
Fre? de? ric Schlegel, s'e? tant occupe? de philosophie, s'est voue?
moins exclusivement que son fre`re a` la litte? rature; cependant
le morceau qu'il a e? crit sur la culture intellectuelle des Grecs et
des Romains, rassemble en un court espace des aperc? us et des
re? sultats du premier ordre. Fre? de? ric Schlegel est l'un des hom-
mes ce? le`bres de l'Allemagne dont l'esprit a le plus d'originalite? ;
et loin de se fier a` cette originalite? qui lui promettait tant de suc-
ce`s, il a voulu l'appuyer sur des e? tudes immenses :c'est une
grande preuve de respect pour l'espe`ce humaine , que de ne ja-
mais lui parler d'apre`s soi seul, et sans s'e^tre informe? conscien-
cieusement de tout ce que nos pre? de? cesseurs nous ont laisse? pour
he? ritage. Les Allemands, dans les richesses de l'esprit humain ,
sont de ve? ritables proprie? taires : ceux qui s'en tiennent a` leurs
lumie`res naturelles, ne sont que des prole? taires en comparaison
d'eux.
Apre`s avoir rendu justice aux rares talents des deux Schlegel,
il faut examiner pourtant en quoi consiste la partialite? qu'on leur
reproche, et dont il est vrai que plusieurs de leurs e? crits ne sont
pas exempts: ils penchent visiblement pour le moyen a^ge, et
pour les opinions de cette e? poque; la chevalerie sans taches, la
1 Wilhelm Schlegel, que je cite ici comme le premier critique litte? raire de
l'Allemagne, est l'auteur d'une brochure franc? aise nouvellement publie? e,
sous le titre de Re? flexions sur le Syste? mr continental. -- Ce me^me W. ScUi^cgel
a fait aussi imprimer a` Paris, il y a quelques anne? es, une comparaison de
la Phe? dre d'Euripide et de celle de Racine : elle excita une grande rumeur
parmi les litte? rateurs parisiens; mais personne ne put nier que W. Schlegcl,
quoique Allemand, n'e? crivit assez bien le franc? ais pour qu'il lui fu^t permis de
parler de Racine.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 369
foi sans bornes, et la poe? sie sans re? flexions leur paraissent in-
se? parables, et ils s'appliquent a` tout ce qui pourrait diriger dans
ce sens les esprits et les a^mes. W. Schlegel exprime son admi-
ration pour le moyen a^ge dans plusieurs de ses e? crits, et parti-
culie`rement dans deux stances dont voici la traduction:
<< L'Europe e? tait une dans ces grands sie`cles, et le sol de cette
<< patrie universelle e? tait fe? cond en ge? ne? reuses pense? es, qui peu-
<<vent servir de guide dans la vie et dans la mort. Une me^me
chevalerie changeait les combattants en fre`res d'armes : c'e? tait
pour de? fendre une me^me foi qu'ils s'armaient; un me^me
amour inspirait tous les coeurs, et la poe? sie qui chantait cette
? ? alliance exprimait le me^me sentiment dans les langages di-
<< vers.
<< Ah ! la noble e? nergie des a^ges anciens est perdue: notre
<< sie`cle est l'inventeur d'une e? troite sagesse, et ce que les hom-
<< mes faibles ne sauraient concevoir, n'est a` leurs yeux qu'une
<< chime`re; toutefois rien de divin ne peut re? ussir, entrepris avec
un coeur profane He? las! nos temps ne connaissent plus ni la
foi, ni l'amour; comment pourrait-il leur rester l'espe? rance! >>
Des opinions dont la tendance est si marque? e doivent ne? ces-
sairement alte? rer l'impartialite? des jugements sur les ouvrages de
l'art : sans doute, et je n'ai cesse? de le re? pe? ter dans le cours de
cet e? crit, il est a` de? sirer que la litte? rature moderne soit fonde? e
sur notre histoire et sur notre croyance; ne? anmoins il ne s'en-
suit pas que les productions litte? raires du moyen a^ge puissent
e^tre conside? re?
es comme vraiment bonnes. Leur e? nergique sim-
plicite? , le caracte`re pur etloyal qui s'y manifeste, excitent un
vif inte? re^t; mais la connaissance de l'antique et les progre`s de
la civilisation , nous ont valu des avantages qu'on ne doit pas
de? daigner. Il ne s'agit pas de faire reculer l'art, mais de re? unir
autant qu'on le peut les qualite? s diverses de? veloppe? es dans l'es-
prit humain a` diffe? rentes e? poques.
On a fort accuse? les deux Schlegel de ne pas rendre justice a`
la litte? rature franc? aise; il n'est point d'e? crivains cependant qui
aient parle? avec plus d'enthousiasme du ge? nie de nos trouba-
dours, et de cette chevalerie franc? aise, sans pareille en Europe, lorsqu'elle re? unissait au plus haut point l'esprit et la loyaute? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 370 LES CRIT1QIJES A. W. ET F. SCHLEGEL.
la gra^ce et la franchise, le courage et la gaiete? , la simplicite? la
plus touchante et la nai? vete? la plus inge? nieuse; mais les criti-
ques allemands ont pre? tendu que les traits distinctifs du ca-
racte`re franc? ais s'e? taient efface? s pendant le cours du re`gne de
Louis XIV: la litte? rature, disent-ils, dans les sie`cles appele? s
classiques, perd en originalite? ce qu'elle gagne en correction;
ils ont attaque? nos poe`tes en particulier, avec une grande force
d'arguments et de moyens. L'esprit ge? ne? ral de ces critiques est
'e me^me que celui de Rousseau, dans sa lettre contre la musi-
que francaise. Ils croient trouver dans plusieurs de nos trage? -
dies l'espe`ce d'affectation pompeuse que Rousseau reproche a`
Lulli et a` Rameau, et ils pre? tendent que le me^me gou^t qui fai-
sait pre? fe? rer Coypel et Boucher dans la peinture, et le chevalier
Bernin dans la sculpture, interdit a` la poe? sie l'e? lan qui seul en
fait une jouissance divine; enfin ils seraient tente? s d'appliquer
a` notre manie`re de concevoir et d'aimer les beaux-arts, ces
vers tant cite? s de Corneille:
Othon a` la princesse a fait un compliment,
Plus en homme d'esprit qu'en ve? ritable amant.
AV. Schlegel rend hommage cependant a` la plupart de nos
grands auteurs; mais ce qu'il s'attache a` prouver seulement,
c'est que depuis le milieu du dix-septie`me sie`cle le genre manie? re? a domine? dans toute l'Europe; et que cette tendance a fait
perdre la verve audacieuse qui animait les e? crivains et les artis-
tes , a` la renaissance des lettres. Dans les tableaux et les bas-reliefs ou` Louis XIV est peint, tanto^t en Jupiter, tanto^t en Her-
cule, il est repre? sente? nu, ou reve^tu seulement d'une peau de
lion, mais avec sa grande perruque sur la te^te. Les e? crivains de
la nouvelle e? cole pre? tendent que l'on pourrait appliquer cette
grande perruque a` la physionomie des beaux-arts, dans le dix-septie`me sie`cle: il s'y me^lait toujours une politesse affecte? e,
dont une grandeur factice e? tait la cause.
Il est inte? ressant d'examiner cette manie`re de voir, malgre? les
objections sans nombre qu'on peut y opposer; ce qui est certain
au moins, c'est que les aristarques allemands sont parvenus a`
leur but, puisqu'ils sont de tous les e? crivains, depuis Lessing ,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 371
ceux qui ont le plus efficacement contribue? a` rendre l'imitation
de la litte? rature franc? aise tout a` fait hors de mode en Allemagne;
mais de peur du gou^t franc? ais, ils n'ont pas assez perfectionne?
le gou^t allemand, et souvent ils ont rejete? des observations plei-
nes de justesse, seulement parce que nos e? crivains les avaient
faites.
On ne sait pas faire un livre en Allemagne; rarement on y
met l'ordre et la me? thode qui classent les ide? es dans la te^te du
lecteur; et ce n'est point parce que les Franc? ais sont impatients,
mais parce qu'ils ont l'esprit juste , qu'ils se fatiguent de ce de? -
faut; les fictions ne sont pas dessine? es , dans les poe? sies alle-
mandes , avec ces contours fermes et pre? cis qui en assurent l'ef-
fet, et le vague de l'imagination correspond a` l'obscurite? de la
pense? e. Enfin, si les plaisanteries bizarres et vulgaires de quel-
ques ouvrages pre? tendus comiques manquent de gou^t, ce n'est
pas a` force de naturel, c'est parce que l'affectation de l'e? nergie
est au moins aussi ridicule que celle de la gra^ce. Je mefais vif,
disait un Allemand en sautant par la fene^tre: quand on se fait,
on n'est rien : il faut recourir au bon gou^t franc? ais, contre la
vigoureuse exage? ration de quelques Allemands, comme a` la
profondeur des Allemands, contre la frivolite? dogmatique de
quelques Franc? ais.
Les nations doivent se servir de guide les unes aux autres, et
toutes auraient tort de se priver des lumie`res qu'elles peuvent
mutuellement se pre^ter. Il y a quelque chose de tre`s-singulier
dans la diffe? rence d'un peuple a` un autre : le climat, l'aspect de
la nature, la langue, le gouvernement, enfin surtout les e? ve? ne-
ments de l'histoire, puissance plus extraordinaire encore que
toutes les autres, contribuent a` ces diversite? s, et nul homme,
quelque supe? rieur qu'il soit, ne peut deviner ce qui se de? veloppe
naturellement dans l'esprit de celui qui vit sur un autre sol, et
respire un autre air: on se trouvera donc bien en tout pays d'ac-
cueillir les pense? es e? trange`res; car, dans ce genre, l'hospitalite?
fait la fortune de celui qui rec? oit.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 372 DKS REAUX-AHTS KM ALLEMAGNE.
CHAPITRE XXXII.
Des beaux-arts en Allemagne.
Les Allemands en ge? ne? ral conc? oivent mieux l'art qu'ils ne le
mettent en pratique : a` peine ont-ils une impression, qu'ils en
tirent une foule d'ide? es. Ils vantent beaucoup le myste`re , mais.
c'est pour le re? ve? ler, et l'on ne peut montrer aucun genre d'ori-
ginalite? en Allemagne, sans que chacun vous explique comment
cette originalite? vous est venue; c'est un grand inconve? nient,
surtout pour les arts, ou` tout est sensation; ils sont analyse? s
avant d'e^tre sentis, et l'on a beau dire apre`s qu'il faut renoncer
a` l'analyse, l'on a gou^te? du fruit de l'arbre de la science, et
l'innocence du talent est perdue. Ce n'est pas assure? ment que je conseille, relativement aux
arts, l'ignorance que je n'ai cesse? de bla^mer en litte? rature; mais
il faut distinguer les e? tudes relatives a` la pratique de l'art, de
celles qui ont uniquement pour objet la the? orie du talent; celles-
ci , pousse? es trop loin, e? touffent l'invention; l'on est trouble?
par le souvenir de tout ce quia e? te? dit sur chaque chef-d'oeuvre;
on croit sentir entre soi et l'objet que l'on veut peindre une
foule de traite? s sur la peinture et la sculpture, l'ide? al et le re? el,
et l'artiste n'est plus seul avec la nature. Sans doute l'esprit de
ces divers traite? s est toujours l'encouragement; mais a` force
d'encouragement on lasse le ge? nie, comme a` force de ge^ne on
l'e? teint; et dans tout ce qui tient a` l'imagination, il faut une si
heureuse combinaison d'obstacles et de facilite? , que des sie`cles
peuvent s'e? couler sans que l'on arrive a` ce point juste qui fait
e? clore l'esprit humain dans toute sa force.
Avant l'e? poque de la re? formation , les Allemands avaient une
e? cole de peinture que ne de? daignait pas l'e? cole italienne. Albert
Durer, Lucas Cranach, Holbein,ont, dans leur manie`re de pein-
dre, des rapports avec les pre? de? cesseurs de Raphae`l, Perugin,
Andre? Mantegne, etc. Holbein se rapproche davantage de Le? o-
nard de Vinci ; en ge? ne? ral cependant, il y a plus de durete? dans
l'e? cole allemande que dans celle des Italiens, mais non moins
d'expression et de recueillement dans les physionomies. Les
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES REAUX-ARTS EN ALLEMAGNE.
