Luther est, de tous les grands hommes que l'Allemagne a pro-
duits, celui dont le caracte`re e?
duits, celui dont le caracte`re e?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
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? SUU LA RELIGION. 5(7
vient de faire parai^tre un ouvrage sur la nouvelle philosophie de
l'Allemagne, qui re? unit la lucidite? de l'esprit franc? ais a` la pro-
fondeur du ge? nie allemand. M. Ancillon s'est de? ja` acquis un nom
ce? le`bre comme historien; il est incontestablement ce qu'on a cou-
tume d'appeler en France une bonne te^te; son esprit me^me est
positif et me? thodique, et c'est par son a^me qu'il a saisi tout ce
que la pense? e de l'infini peut pre? senter de plus vaste et de plus
e? leve? . Ce qu'il a e? crit sur ce sujet porte un caracte`re tout a` fait
original; c'est, pour ainsi dire, le sublime mis a` la porte? e de la
logique: il trace avec pre? cision la ligne ou` les connaissances ex-
pe? rimentales s'arre^tent, soit dans les arts, soit dans la philoso-
phie, soit dans la religion; il montre que le sentiment va beau-
coup plus loin que les connaissances, et que par-dela` les preuves
de? monstratives, il y a l'e? vidence naturelle; par-dela` l'analyse,
l'inspiration; par-dela` les mots, les ide? es; par-dela` les ide? es, les
e? motions, et que le sentiment de l'infini est un fait de l'a^me, un
fait primitif, sans lequel il n'y aurait riendans l'homme quede
l'instinct physique et du calcul.
Il est difficile d'e^tre religieux a` la manie`re introduite par les
esprits secs, ou parles hommes de bonne volonte? qui voudraient
faire arriver la religion aux honneurs de la de? monstration scien-
tifique. Ce qui touche si intimement au myste`re de l'existence
ne peut e^tre exprime? par les formes re? gulie`res de la parole. Le
raisonnement dans de tels sujets sert a` montrer ou` finit le raison-
nement, et la` ou` il finit commence la ve? ritable certitude; car les
ve? rite? s de sentiment ont une force d'intensite? qui appelle tout
notre e^tre a` leur appui. L'infini agit sur l'a^me pour l'e? lever et la
de? gager du temps. L'oeuvre de la vie, c'est de sacrifier les inte? -
re^ts de notre existence passage`re a` cette immortalite? qui com-
mence pour nous de`s a` pre? sent, si nous en sommes de? ja` dignes;
et non-seulement la plupart des religions ont ce me^me but, mais
les beaux-arts, la poe? sie, la gloire et l'amour, sont des religions
dans lesquelles il entre plus ou moinsd'alliage.
Cette expression : c'est divin, qui est passe? e en usage pour
vanter les beaute? s de la nature et de l'art, cette expression est
une croyance parmi les Allemands; ce n'est point par indiffe? -
rence qu'ils sont tole? rants, c'est parce qu'ils ont de l'universalite?
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? 518 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
dans leur manie`re de sentir et de concevoir la religion. En effet,
chaque homme peut trouver dans une des merveilles de l'uni-
vers celle qui parle plus puissamment a` son a^me : l'un admire
la Divinite? dans les traits d'un pe`re; l'autre, dans l'innocence
d'un enfant; l'autre, dans le ce? leste regard des vierges de Ra-
phae? l, dans la musique, dans la poe? sie, dans la nature, n'im-
porte : car tous s'entendent, si tous sont anime? s par le principe
religieux, ge? nie du monde et de chaque homme.
Des esprits supe? rieurs ont e? leve? des doutes sur tel ou tel
dogme; et c'e? tait un grand malheur que la subtilite? de la dia-
lectique ou les pre? tentions de l'amour-propre pussent troubler
et refroidir le sentiment de la foi. Souvent aussi la re? flexion se
trouvait a` l'e? troit dans ces religions intole? rantes dont on avait
fait, pour ainsi dire, un code pe? nal, et qui donnaient a` la the? o-
logie toutes les formes d'un gouvernement despotique. Mais
qu'il est sublime, ce culte qui nous fait pressentir une jouissance
ce? leste dans l'inspiration du ge? nie, comme dans la vertu la plus
obscure; dans les affections les plus tendres, comme dans les
peines les plus ame`res; dans la tempe^te, comme dans les beaux
jours ; dans la fleur, comme dans le che^ne; dans tout, hors le
calcul, hors le froid mortel de l'e? goi? sme, qui nous se? pare de la
nature bienfaisante, et nous donne la vanite? seule pour mobile,
la vanite? dont la racine est toujours venimeuse! qu'elle est belle
la religion qui consacre le monde entier a` son auteur, et se sert
de toutes nos faculte? s pour ce? le? brer les rites saints du merveil-
leux univers!
Loin qu'une telle croyance interdise les lettres ni les sciences,
la the? orie de toutes les ide? es et le secret de tous les talents lui
appartiennent; il faudrait que la nature et la Divinite? fussent
en contradiction, si la pie? te? since`re de? fendait aux hommes de se
servir de leurs faculte? s, et de gou^ter les plaisirs qu'elles don-
nent. Il y a de la religion dans toutes les oeuvres du ge? nie; il y a
du ge? nie dans toutes les pense? es religieuses. L'esprit est d'une
moins illustre origine, il sert a` contester; mais le ge? nie est cre? a-
teur. La source ine? puisable des talents et des vertus, c'est le
sentiment de l'infini, qui a sa part dans toutes les actions ge? ne? -
reuses et dans toutes les conceptions profondes.
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? SUH LA RELIGION. 519
La religion n'est rien si elle n'est pas tout, si l'existence n'en
est pas remplie, si l'on n'entretient pas sans cesse dans l'a^me
cette foi a` l'invisible, ce de? vouement, cette e? le? vation de de? sirs,
qui doivent triompher des penchants vulgaires auxquels notre
nature nous expose.
Ne? anmoins, comment la religion pourrait-elle nous e^tre sans
cesse pre? sente, si nous ne la rattachions pas a` tout ce qui doit
occuper une belle vie, les affections de? voue? es, les me? ditations
philosophiques et les plaisirs de l'imagination? Un grand nom-
bre de pratiques sont recommande? es aux fide`les, afin qu'a` tous
les moments du jour la religion leur soit rappele? e par les obli-
gations qu'elle impose; mais si la vie entie`re pouvait e^tre natu-
rellement et sans effort un culte de tous les instants, ne serait-ce
pas mieux encore? puisque l'admiration pour le beau se rapporte
toujours a` la Divinite? , et que l'e? lan me^me des pense? es fortes
nous fait remonter vers notre origine, pourquoi donc la puissance
d'aimer, la poe? sie, la philosophie, ne seraient-elles pas les co~
Jcnnes du temple dela foi?
CHAPITRE II. Du Protestantisme.
C'e? tait chez les Allemands qu'une re? volution ope? re? e parles
ide? es devait avoir lieu; car le trait saillant de cette nation me? -
ditative est l'e? nergie de la conviction inte? rieure. Quand une fois
une opinion s'est empare? e des te^tes allemandes, leur patience et
leur perse? ve? rance a` la soutenir font singulie`rement honneur a` la
force de la volonte? dans l'homme.
En lisant les de? tails de la mort de Jean Hus et de Je? ro^me de
Prague, les pre? curseurs de la re? formation, on voit un exemple
frappant de ce qui caracte? rise les chefs du protestantisme en Al-
lemagne, la re? union d'une foi vive avec l'esprit d'examen. Leur
raison n'a point fait tort a` leur croyance, ni leur croyance a` leur
raison; et leurs faculte? s morales ont agi toujours ensemble.
Partout, en Allemagne, on trouve des traces des diverses
luttes religieuses qui, pendant plusieurs sie`cles, ont occupe? la
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? 520 DU PROTESTANTISME.
nation entie`re. On montre encore dans la cathe? drale de Prague
des bas-reliefs ou` les de? vastations commises par les hussites sont
repre? sente? es, et la partie de l'e? glise que les Sue? dois ont incen-
die? e dans la guerre de trente ans n'est point reba^tie. Non loin
de la`, sur le pont, est place? e la statue de saint Jean Ne? pomuce`ne, qui aima mieux pe? rir dans les flots que de re? ve? ler les fai-
blesses qu'une reine infortune? e lui avait confesse? es. Les monu-
ments , et me^me les ruines qui attestent l'influence de la religion
sur les hommes inte? ressent vivement notre a^me; car les guerres
d'opinion, quelque cruelles qu'elles soient, font plus d'hon-
neur aux nations que les guerres d'inte? re^t.
Luther est, de tous les grands hommes que l'Allemagne a pro-
duits, celui dont le caracte`re e? tait le plus allemand: sa fermete?
avait quelque chose de rude; sa conviction allaitjusqu'a` l'ente^te-
ment; le courage de l'esprit e? tait en lui le principe du courage
de l'action : ce qu'il avait de passionne? dans l'a^me ne le de? tour-
nait point des e? tudes abstraites; et quoiqu'il attaqua^t de certains
abus et de certains dogmes comme des pre? juge? s, ce n'e? tait point
l'incre? dulite? philosophique, mais un fanatisme a` lui qui l'inspi-
rait.
Ne? anmoins la re? formation a introduit dans le monde l'exa-
men en fait de religion. Il en est re? sulte? pour les uns le scep-
ticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des ve? -
rite? s religieuses : l'esprit humain e? tait arrive? a` une e? poque ou`
il devait ne? cessairement examiner pour croire. La de? couverte de
l'imprimerie, la multiplicite? des connaissances et l'investigation
philosophique de la ve? rite? , ne permettaient plus cette foi aveu-
gle dont on s'e? tait jadis si bien trouve? . L'enthousiasme religieux
ne pouvait renai^tre que par l'examen et la me? ditation. C'est
Luther qui a mis la Bible et l'E? vangile entre les mains de tout
le monde; c'est lui qui a donne? l'impulsion a` l'e? tude de l'anti-
quite? ; car en apprenant l'he? breu pour lire la Bible, etle grec
pour lire le Nouveau Testament, on a cultive? les langues an-
ciennes, et les esprits se sont tourne? s vers les recherches histo-
riques.
L'examen peut affaiblir cette foi d'habitude que leshommes
font bien de conserver tant qu'ils le peuvent; mais quand
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? DU PROTESTANTISME. 521
l'homme sort de l'examen plus religieux qu'il n'y e? tait entre? ,
c'est alors que la religion est invariablement fonde? e; c'est alors
qu'il y a paix entre elle et les lumie`res, et qu'elles se servent
mutuellement.
Quelques e? crivains ont beaucoup de? clame? contre le syste`me
de la perfectibilite? , et l'on aurait dit, a` les entendre, que c'e? tait
une ve? ritable atrocite? , de croire notre espe`ce perfectible. Il suf-
fit, en France, qu'un homme de tel parti ait soutenu telle opinion,
pour qu'il ne soit plus du bon gou^t de l'adopter; et tous les mou-
tons du me^me troupeau viennent donner, les uns apre`s les autres,
leurs coups de te^te aux ide? es, qui n'en restent pas moins ce qu'el-
les sont.
Il est tre`s-probable que le genre humain est susceptible d'e? du-
cation, aussi bien que chaque homme, et qu'il y a des e? poques
marque? es pour les progre`s de la pense? e dans la route e? ternelle du
temps. La re? formation fut l'e`re de l'examen, et de la conviction
e? claire? e qui lui succe`de. Le christianisme a d'abord e? te? fonde? ,
puis alte? re? , puis examine? , puis compris , et ces diverses pe? riodes
e? taient ne? cessaires a` son de? veloppement; elles ont dure? quelque-
fois cent ans, quelquefois mille ans. L'E^tre supre^me, qui puise
dans l'e? ternite? , n'est pas e? conome du temps a` notre manie`re.
Quand Luther a paru, la religion n'e? tait plus qu'une puissance
politique, attaque? e ou de? fendue comme un inte? re^t de ce monde.
Luther l'a rappele? e sur le terrain de la pense? e. La marche histo-
rique de l'esprit humain a` cet e? gard, en Allemagne, est digne
de remarque. Lorsque les guerres cause? es par la re? formation
furent apaise? es , et que les re? fugie? s protestants se furent natura-
lise? s dans les divers E? tats du nord de l'empire germanique, les
e? tudes philosophiques, qui avaient toujours pour objet l'inte? rieur
de l'a^me, se dirige`rent naturellement vers la religion; et il
n'existe pas, dans le dix-huitie`me sie`cle , de litte? rature ou` l'on
trouve sur ce sujet une aussi grande quantite? de livres que dans la
litte? rature allemande.
Lessing, l'un des esprits les plus vigoureux de l'Allemagne ,
n'a cesse? d'attaquer, avec toute la force desa logique, cette maxi-
me si commune? ment re? pe? te? e, qu'il y a des ve? rite? s dangereu-
ses. En effet, c'est une singulie`re pre? somption, dans quelques
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? 522 OU PROTESTANTISME.
individus, de se croire le droit de cacher la ve? rite? a` leurs sembla-
bles, et de s'attribuer la pre? rogative de se placer, comme
Alexandre devant Dioge`ne, pour nous de? rober les rayons de ce
soleil qui appartient a` tous e? galement; cette prudence pre? tendue
n'est que la the? orie du charlatanisme; on veut escamoter les ide? es,
pour mieux asservir les hommes. La ve? rite? est l'oeuvre de Dieu,
les mensonges sont l'oeuvrede l'homme. Si l'on e? tudie les e? po-
ques de l'histoire ou` l'on a craint la ve? rite? , l'on verra toujours
que c'est quand l'inte? re^t particulier luttait de quelque manie`re
contre la tendance universelle.
La recherche de la ve? rite? est la plus noble des occupations,
et sa publication un devoir. Il n'y a rien a` craindre pour la re-
ligion ni pour la socie? te? dans cette recherche, si elle est since`re;
et si elle ne l'est pas, ce n'est plus alors la ve? rite? , c'est le men-
songe qui fait du mal. Il n'y a pas un sentiment dans l'homme
dont on ne puisse trouver la raison philosophique: pas une opi-
nion , pas me^me un pre? juge? ge? ne? ralement re? pandu, qui n'ait sa
racine dans la nature. Il faut donc examiner, non dans le but
de de? truire, mais pour fonder lacroyance sur la conviction intime,
et non sur la conviction de? robe? e.
On voit des erreurs durer longtemps ; mais elles causent tou-
jours une inquie? tude pe? nible. En contemplant la tour de Pise,
qui penche sur sa base, on se figure qu'elle va tomber, quoi-
qu'elle ait subsiste? pendant des sie`cles, et l'imagination n'est en
repos qu'en pre? sence des e? difices fermes et re? guliers. Il en est de
me^me de la croyance a` certains principes; ce qui est fonde? sur
les pre? juge? s inquie`te, et l'on aime a` voir la raison appuyer de
tout son pouvoir les conceptions e? leve? es de l'a^me.
L'intelligence contient en elle-me^me le principe de tout ce
qu'elle acquiert par l'expe? rience ; Fontenelle disait avec justesse,
qu'on croyait reconnai^tre une ve? rite? , la premie`re fois qu'elle
nous e? tait annonce? e. Comment donc pourrait-on imaginer que
to^t ou tard les ide? es justes et la persuasion intime qu'elles font
nai^tre, ne se rencontreront pas ? Il y a une harmonie pre? e? tablie
entre la ve? rite? et la raison humaine, qui finit toujours par les
rapprocher l'une de l'autre.
Proposer aux hommes de ne pas se dire mutuellement ce
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? SUU LA RELIGION. 5(7
vient de faire parai^tre un ouvrage sur la nouvelle philosophie de
l'Allemagne, qui re? unit la lucidite? de l'esprit franc? ais a` la pro-
fondeur du ge? nie allemand. M. Ancillon s'est de? ja` acquis un nom
ce? le`bre comme historien; il est incontestablement ce qu'on a cou-
tume d'appeler en France une bonne te^te; son esprit me^me est
positif et me? thodique, et c'est par son a^me qu'il a saisi tout ce
que la pense? e de l'infini peut pre? senter de plus vaste et de plus
e? leve? . Ce qu'il a e? crit sur ce sujet porte un caracte`re tout a` fait
original; c'est, pour ainsi dire, le sublime mis a` la porte? e de la
logique: il trace avec pre? cision la ligne ou` les connaissances ex-
pe? rimentales s'arre^tent, soit dans les arts, soit dans la philoso-
phie, soit dans la religion; il montre que le sentiment va beau-
coup plus loin que les connaissances, et que par-dela` les preuves
de? monstratives, il y a l'e? vidence naturelle; par-dela` l'analyse,
l'inspiration; par-dela` les mots, les ide? es; par-dela` les ide? es, les
e? motions, et que le sentiment de l'infini est un fait de l'a^me, un
fait primitif, sans lequel il n'y aurait riendans l'homme quede
l'instinct physique et du calcul.
Il est difficile d'e^tre religieux a` la manie`re introduite par les
esprits secs, ou parles hommes de bonne volonte? qui voudraient
faire arriver la religion aux honneurs de la de? monstration scien-
tifique. Ce qui touche si intimement au myste`re de l'existence
ne peut e^tre exprime? par les formes re? gulie`res de la parole. Le
raisonnement dans de tels sujets sert a` montrer ou` finit le raison-
nement, et la` ou` il finit commence la ve? ritable certitude; car les
ve? rite? s de sentiment ont une force d'intensite? qui appelle tout
notre e^tre a` leur appui. L'infini agit sur l'a^me pour l'e? lever et la
de? gager du temps. L'oeuvre de la vie, c'est de sacrifier les inte? -
re^ts de notre existence passage`re a` cette immortalite? qui com-
mence pour nous de`s a` pre? sent, si nous en sommes de? ja` dignes;
et non-seulement la plupart des religions ont ce me^me but, mais
les beaux-arts, la poe? sie, la gloire et l'amour, sont des religions
dans lesquelles il entre plus ou moinsd'alliage.
Cette expression : c'est divin, qui est passe? e en usage pour
vanter les beaute? s de la nature et de l'art, cette expression est
une croyance parmi les Allemands; ce n'est point par indiffe? -
rence qu'ils sont tole? rants, c'est parce qu'ils ont de l'universalite?
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? 518 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
dans leur manie`re de sentir et de concevoir la religion. En effet,
chaque homme peut trouver dans une des merveilles de l'uni-
vers celle qui parle plus puissamment a` son a^me : l'un admire
la Divinite? dans les traits d'un pe`re; l'autre, dans l'innocence
d'un enfant; l'autre, dans le ce? leste regard des vierges de Ra-
phae? l, dans la musique, dans la poe? sie, dans la nature, n'im-
porte : car tous s'entendent, si tous sont anime? s par le principe
religieux, ge? nie du monde et de chaque homme.
Des esprits supe? rieurs ont e? leve? des doutes sur tel ou tel
dogme; et c'e? tait un grand malheur que la subtilite? de la dia-
lectique ou les pre? tentions de l'amour-propre pussent troubler
et refroidir le sentiment de la foi. Souvent aussi la re? flexion se
trouvait a` l'e? troit dans ces religions intole? rantes dont on avait
fait, pour ainsi dire, un code pe? nal, et qui donnaient a` la the? o-
logie toutes les formes d'un gouvernement despotique. Mais
qu'il est sublime, ce culte qui nous fait pressentir une jouissance
ce? leste dans l'inspiration du ge? nie, comme dans la vertu la plus
obscure; dans les affections les plus tendres, comme dans les
peines les plus ame`res; dans la tempe^te, comme dans les beaux
jours ; dans la fleur, comme dans le che^ne; dans tout, hors le
calcul, hors le froid mortel de l'e? goi? sme, qui nous se? pare de la
nature bienfaisante, et nous donne la vanite? seule pour mobile,
la vanite? dont la racine est toujours venimeuse! qu'elle est belle
la religion qui consacre le monde entier a` son auteur, et se sert
de toutes nos faculte? s pour ce? le? brer les rites saints du merveil-
leux univers!
Loin qu'une telle croyance interdise les lettres ni les sciences,
la the? orie de toutes les ide? es et le secret de tous les talents lui
appartiennent; il faudrait que la nature et la Divinite? fussent
en contradiction, si la pie? te? since`re de? fendait aux hommes de se
servir de leurs faculte? s, et de gou^ter les plaisirs qu'elles don-
nent. Il y a de la religion dans toutes les oeuvres du ge? nie; il y a
du ge? nie dans toutes les pense? es religieuses. L'esprit est d'une
moins illustre origine, il sert a` contester; mais le ge? nie est cre? a-
teur. La source ine? puisable des talents et des vertus, c'est le
sentiment de l'infini, qui a sa part dans toutes les actions ge? ne? -
reuses et dans toutes les conceptions profondes.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? SUH LA RELIGION. 519
La religion n'est rien si elle n'est pas tout, si l'existence n'en
est pas remplie, si l'on n'entretient pas sans cesse dans l'a^me
cette foi a` l'invisible, ce de? vouement, cette e? le? vation de de? sirs,
qui doivent triompher des penchants vulgaires auxquels notre
nature nous expose.
Ne? anmoins, comment la religion pourrait-elle nous e^tre sans
cesse pre? sente, si nous ne la rattachions pas a` tout ce qui doit
occuper une belle vie, les affections de? voue? es, les me? ditations
philosophiques et les plaisirs de l'imagination? Un grand nom-
bre de pratiques sont recommande? es aux fide`les, afin qu'a` tous
les moments du jour la religion leur soit rappele? e par les obli-
gations qu'elle impose; mais si la vie entie`re pouvait e^tre natu-
rellement et sans effort un culte de tous les instants, ne serait-ce
pas mieux encore? puisque l'admiration pour le beau se rapporte
toujours a` la Divinite? , et que l'e? lan me^me des pense? es fortes
nous fait remonter vers notre origine, pourquoi donc la puissance
d'aimer, la poe? sie, la philosophie, ne seraient-elles pas les co~
Jcnnes du temple dela foi?
CHAPITRE II. Du Protestantisme.
C'e? tait chez les Allemands qu'une re? volution ope? re? e parles
ide? es devait avoir lieu; car le trait saillant de cette nation me? -
ditative est l'e? nergie de la conviction inte? rieure. Quand une fois
une opinion s'est empare? e des te^tes allemandes, leur patience et
leur perse? ve? rance a` la soutenir font singulie`rement honneur a` la
force de la volonte? dans l'homme.
En lisant les de? tails de la mort de Jean Hus et de Je? ro^me de
Prague, les pre? curseurs de la re? formation, on voit un exemple
frappant de ce qui caracte? rise les chefs du protestantisme en Al-
lemagne, la re? union d'une foi vive avec l'esprit d'examen. Leur
raison n'a point fait tort a` leur croyance, ni leur croyance a` leur
raison; et leurs faculte? s morales ont agi toujours ensemble.
Partout, en Allemagne, on trouve des traces des diverses
luttes religieuses qui, pendant plusieurs sie`cles, ont occupe? la
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? 520 DU PROTESTANTISME.
nation entie`re. On montre encore dans la cathe? drale de Prague
des bas-reliefs ou` les de? vastations commises par les hussites sont
repre? sente? es, et la partie de l'e? glise que les Sue? dois ont incen-
die? e dans la guerre de trente ans n'est point reba^tie. Non loin
de la`, sur le pont, est place? e la statue de saint Jean Ne? pomuce`ne, qui aima mieux pe? rir dans les flots que de re? ve? ler les fai-
blesses qu'une reine infortune? e lui avait confesse? es. Les monu-
ments , et me^me les ruines qui attestent l'influence de la religion
sur les hommes inte? ressent vivement notre a^me; car les guerres
d'opinion, quelque cruelles qu'elles soient, font plus d'hon-
neur aux nations que les guerres d'inte? re^t.
Luther est, de tous les grands hommes que l'Allemagne a pro-
duits, celui dont le caracte`re e? tait le plus allemand: sa fermete?
avait quelque chose de rude; sa conviction allaitjusqu'a` l'ente^te-
ment; le courage de l'esprit e? tait en lui le principe du courage
de l'action : ce qu'il avait de passionne? dans l'a^me ne le de? tour-
nait point des e? tudes abstraites; et quoiqu'il attaqua^t de certains
abus et de certains dogmes comme des pre? juge? s, ce n'e? tait point
l'incre? dulite? philosophique, mais un fanatisme a` lui qui l'inspi-
rait.
Ne? anmoins la re? formation a introduit dans le monde l'exa-
men en fait de religion. Il en est re? sulte? pour les uns le scep-
ticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des ve? -
rite? s religieuses : l'esprit humain e? tait arrive? a` une e? poque ou`
il devait ne? cessairement examiner pour croire. La de? couverte de
l'imprimerie, la multiplicite? des connaissances et l'investigation
philosophique de la ve? rite? , ne permettaient plus cette foi aveu-
gle dont on s'e? tait jadis si bien trouve? . L'enthousiasme religieux
ne pouvait renai^tre que par l'examen et la me? ditation. C'est
Luther qui a mis la Bible et l'E? vangile entre les mains de tout
le monde; c'est lui qui a donne? l'impulsion a` l'e? tude de l'anti-
quite? ; car en apprenant l'he? breu pour lire la Bible, etle grec
pour lire le Nouveau Testament, on a cultive? les langues an-
ciennes, et les esprits se sont tourne? s vers les recherches histo-
riques.
L'examen peut affaiblir cette foi d'habitude que leshommes
font bien de conserver tant qu'ils le peuvent; mais quand
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? DU PROTESTANTISME. 521
l'homme sort de l'examen plus religieux qu'il n'y e? tait entre? ,
c'est alors que la religion est invariablement fonde? e; c'est alors
qu'il y a paix entre elle et les lumie`res, et qu'elles se servent
mutuellement.
Quelques e? crivains ont beaucoup de? clame? contre le syste`me
de la perfectibilite? , et l'on aurait dit, a` les entendre, que c'e? tait
une ve? ritable atrocite? , de croire notre espe`ce perfectible. Il suf-
fit, en France, qu'un homme de tel parti ait soutenu telle opinion,
pour qu'il ne soit plus du bon gou^t de l'adopter; et tous les mou-
tons du me^me troupeau viennent donner, les uns apre`s les autres,
leurs coups de te^te aux ide? es, qui n'en restent pas moins ce qu'el-
les sont.
Il est tre`s-probable que le genre humain est susceptible d'e? du-
cation, aussi bien que chaque homme, et qu'il y a des e? poques
marque? es pour les progre`s de la pense? e dans la route e? ternelle du
temps. La re? formation fut l'e`re de l'examen, et de la conviction
e? claire? e qui lui succe`de. Le christianisme a d'abord e? te? fonde? ,
puis alte? re? , puis examine? , puis compris , et ces diverses pe? riodes
e? taient ne? cessaires a` son de? veloppement; elles ont dure? quelque-
fois cent ans, quelquefois mille ans. L'E^tre supre^me, qui puise
dans l'e? ternite? , n'est pas e? conome du temps a` notre manie`re.
Quand Luther a paru, la religion n'e? tait plus qu'une puissance
politique, attaque? e ou de? fendue comme un inte? re^t de ce monde.
Luther l'a rappele? e sur le terrain de la pense? e. La marche histo-
rique de l'esprit humain a` cet e? gard, en Allemagne, est digne
de remarque. Lorsque les guerres cause? es par la re? formation
furent apaise? es , et que les re? fugie? s protestants se furent natura-
lise? s dans les divers E? tats du nord de l'empire germanique, les
e? tudes philosophiques, qui avaient toujours pour objet l'inte? rieur
de l'a^me, se dirige`rent naturellement vers la religion; et il
n'existe pas, dans le dix-huitie`me sie`cle , de litte? rature ou` l'on
trouve sur ce sujet une aussi grande quantite? de livres que dans la
litte? rature allemande.
Lessing, l'un des esprits les plus vigoureux de l'Allemagne ,
n'a cesse? d'attaquer, avec toute la force desa logique, cette maxi-
me si commune? ment re? pe? te? e, qu'il y a des ve? rite? s dangereu-
ses. En effet, c'est une singulie`re pre? somption, dans quelques
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? 522 OU PROTESTANTISME.
individus, de se croire le droit de cacher la ve? rite? a` leurs sembla-
bles, et de s'attribuer la pre? rogative de se placer, comme
Alexandre devant Dioge`ne, pour nous de? rober les rayons de ce
soleil qui appartient a` tous e? galement; cette prudence pre? tendue
n'est que la the? orie du charlatanisme; on veut escamoter les ide? es,
pour mieux asservir les hommes. La ve? rite? est l'oeuvre de Dieu,
les mensonges sont l'oeuvrede l'homme. Si l'on e? tudie les e? po-
ques de l'histoire ou` l'on a craint la ve? rite? , l'on verra toujours
que c'est quand l'inte? re^t particulier luttait de quelque manie`re
contre la tendance universelle.
La recherche de la ve? rite? est la plus noble des occupations,
et sa publication un devoir. Il n'y a rien a` craindre pour la re-
ligion ni pour la socie? te? dans cette recherche, si elle est since`re;
et si elle ne l'est pas, ce n'est plus alors la ve? rite? , c'est le men-
songe qui fait du mal. Il n'y a pas un sentiment dans l'homme
dont on ne puisse trouver la raison philosophique: pas une opi-
nion , pas me^me un pre? juge? ge? ne? ralement re? pandu, qui n'ait sa
racine dans la nature. Il faut donc examiner, non dans le but
de de? truire, mais pour fonder lacroyance sur la conviction intime,
et non sur la conviction de? robe? e.
On voit des erreurs durer longtemps ; mais elles causent tou-
jours une inquie? tude pe? nible. En contemplant la tour de Pise,
qui penche sur sa base, on se figure qu'elle va tomber, quoi-
qu'elle ait subsiste? pendant des sie`cles, et l'imagination n'est en
repos qu'en pre? sence des e? difices fermes et re? guliers. Il en est de
me^me de la croyance a` certains principes; ce qui est fonde? sur
les pre? juge? s inquie`te, et l'on aime a` voir la raison appuyer de
tout son pouvoir les conceptions e? leve? es de l'a^me.
L'intelligence contient en elle-me^me le principe de tout ce
qu'elle acquiert par l'expe? rience ; Fontenelle disait avec justesse,
qu'on croyait reconnai^tre une ve? rite? , la premie`re fois qu'elle
nous e? tait annonce? e. Comment donc pourrait-on imaginer que
to^t ou tard les ide? es justes et la persuasion intime qu'elles font
nai^tre, ne se rencontreront pas ? Il y a une harmonie pre? e? tablie
entre la ve? rite? et la raison humaine, qui finit toujours par les
rapprocher l'une de l'autre.
Proposer aux hommes de ne pas se dire mutuellement ce
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