aliste, au contraire,
toujours
attire?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
gi par des lois dont le type est en nous, elle ne saurait admettre
le pre? juge? qui destine chaque homme d'une manie`re exclusive a`
telle ou telle branche d'e? tudes. Les philosophes ide? alistes croient
qu'un art, qu'une science, qu'une partie quelconque ne saurait
e^tre comprise sans des connaissances universelles, etque, depuis 38
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 4-16 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
le moindre phe? nome`ne jusqu'au plus grand, rien ne peut e^tre
savamment examine? , ou poe? tiquement de? peint, sans cette hau-
teur d'esprit qui fait voir l'ensemble en de? crivant les de? tails.
Montesquieu dit que l'esprit consiste a` connai^tre la ressem-
blance des choses diverses et la diffe? rence des choses sembla-
bles. S'il pouvait exister une the? orie qui appri^t a` devenir un
homme d'esprit, ce serait celle de l'entendement telle que les
Allemands la conc? oivent; il n'en est pas de plus favorable aux
rapprochements inge? nieux entre les objets exte? rieurs etles facul-
te? s de l'esprit; ce sont les divers rayons d'un me^me centre. La
plupart des axiomes physiques correspondent a` des ve? rite? s mo-
rales, et la philosophie universelle pre? sente de mille manie`res
la nature toujours une et toujours varie? e, qui se re? fle? chit tout
entie`re dans chacun deses ouvrages,etfaitporteraubrind'herbe,
comme au ce`dre, l'empreinte de l'univers.
Cette philosophie donne un attrait singulier pour tous les gen-
res d'e? tude. Les de? couvertes qu'on fait en soi-me^me sont tou-
jours inte? ressantes; mais, s'il est vrai qu'elles doivent nous
e? clairer sur les myste`res me^mes du monde cre? e? a` notre image ,
quelle curiosite? n'inspirent-elles pas! L'entretien d'un philosophe
allemand, tel que ceux que j'ai nomme? s, rappelle les dialogues
de Platon, et quand vous interrogez un de ces hommes sur un
sujet quelconque, il y re? pand tant de lumie`res qu'en l'e? coutant
vous croyez penser pour la premie`re fois, si penser est, comme
le dit Spinosa, s'identifier avec la nature par l'intelligence, et
devenir un avec elle.
Il circule en Allemagne, depuis quelques anne? es, une telle
quantite? d'ide? es neuves sur les sujets litte? raires et philosophi-
ques, qu'un e? tranger pourrait tre`s-bien prendre pour un ge? nie
supe? rieur celui qui ne ferait que re? pe? ter ces ide? es. Il m'est quel-
quefois arrive? de croire un esprit prodigieux a` des hommes d'ail-
leurs assez communs, seulement parce qu'ils s'e? taient familia-
rise? s avec les syste`mes ide? alistes, aurore d'une vie nouvelle.
Les de? fauts qu'on reproche d'ordinaire aux Allemands dans la
conversation, la lenteur et la pe? danterie, se remarquent infini-
ment moins dans les disciples de l'e? cole moderne; les personnes
du premier rang, en Allemagne, se sont forme? es pour la plu-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. -4^7
part d'apre`s les bonnes manie`res franc? aises; mais il s'e? tablit
maintenant parmi les philosophes hommes de lettres une e? duca-
tion qui est aussi de bon gou^t, quoique dans un tout autre genre.
On y conside`re la ve? ritable e? le? gance comme inse? parable de l'i-
magination poe? tique et de l'attrait pour les beaux-arts, et la po-
litesse comme fonde? e sur la connaissance et l'appre? ciation des
talents et du me? rite.
On ne saurait nier cependant que les nouveaux syste`mes philosophiques et litte? raires n'aient inspire? a` leurs partisans un
grand me? pris pourceux qui ne les comprennent pas. La plaisan-
terie franc? aise veut toujours humilier par le ridicule; sa tacti-
que est d'e? viter l'ide? e pour attaquer la personne, et le fond pour
se moquer de la forme. Les Allemands de la nouvelle e? cole con-
side`rent l'ignorance et la frivolite? comme les maladies d'une
enfance prolonge? e; ils ne s'en sont pas tenus a` combattre les
e? trangers, ils s'attaquent aussi eux-me^mes les unsles autres
avec amertume, et l'on dirait, a` les entendre, qu'un degre? de
plus en fait d'abstraction ou de profondeur, donne le droit de
traiter en esprit vulgaire et borne? quiconque ne voudrait pas ou
ne pourrait pas y atteindre.
Quand les obstacles ont irrite? les esprits, l'exage? ration s'est
me^le? e a` cette re? volution philosophique, d'ailleurs si salutaire.
Les Allemands de la nouvelle e? cole pe? ne`trent avec le flambeau
du ge? nie dans l'inte? rieur de l'a^me. Mais quand il s'agit de faire
entrer leurs ide? es dans la te^te des autres, ils en connaissent mal
les moyens; ils se mettent a` de? daigner, parce qu'ils ignorent,
non la ve? rite? , mais la manie`re de la dire. Le de? dain, excepte?
pour le vice, indique presque toujours une borne dans l'esprit;
car, avec plus d'esprit encore, on se serait fait comprendre me^me
des esprits vulgaires, ou du moins on l'aurait essaye? de bonne
foi.
Le talent de s'exprimer avec me? thode et clarte? est assez rare
en Allemagne: les e? tudes spe? culatives ne le donnent pas. Il faut
se placer, pour ainsi dire, en dehors de ses propres pense? es,
pour juger de la forme qu'on doit leur donner. La philosophie
fait connai^tre l'homme pluto^t que les hommes. C'est l'habitude
de la socie? te? qui seule nous apprend quels sont les rapports de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ? 448 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALI. EMAiVDE.
notre esprit avec celui des autres. La candeur d'abord , et l'or-
gueil ensuite, portent les philosophes since`res et se? rieux a` s'in-
digner contre ceux qui ne pensent pas ou ne sentent pas comme
eux. Les Allemands recherchent le vrai consciencieusement;
mais ils ont un esprit de secte tre`s-ardent en faveur de la doc-
trine qu'ils adoptent; car tout se change en passion dans le coeur
de l'homme.
Cependant, malgre? les diversite? s d'opinions qui forment en
Allemagne diffe? rentes e? coles oppose? es l'une a` l'autre, elles ten-
dent e? galement, pour la plupart, a` de? velopper l'activite? de l'a^me:
aussi n'est-il point de pays ou` chaque homme tire plus de parti
de lui-me^me, au moins sous le rapport des travaux intellectuels.
CHAPITRE IX.
Influence de la nouvelle philosophie allemande sur la litte? rature et les arts.
Ce que je viens dedire sur le de? veloppement de l'esprit s'ap-
plique aussi a` la litte? rature; cependant il est peut-e^tre inte? res-
sant d'ajouterquelques observations particulie`res a` ces re? flexions
ge? ne? rales.
Dans les pays ou` l'on croit que toutes les ide? es nous viennent
par les objets exte? rieurs, il est naturel d'attacher un plus grand
prix aux convenances, dont l'empire est au dehors; mais lors-
qu'au contraire on est convaincu des lois immuables del'existence
morale, la socie? te? a moins de pouvoir sur chaque homme: l'on
traite de tout avec soi-me^me; et l'essentiel, dans les productions
de la pense? e comme dans les actions de la vie, c'est de s'assurer
qu'elles partent de notre conviction intime et de nos e? motions
spontane? es.
Il y a dans le style des qualite? s qui tiennent a` la ve? rite? me^me du
sentiment, il y en a qui de? pendent de la correction grammaticale.
On aurait de la peine a` faire comprendre a` des Allemands que
la premie`re chose a` examiner dans un ouvrage, c'est la manie`re dont il est e? crit, et que l'exe? cution doit l'emporter sur la concep-
tion. La philosophie expe? rimentale estime un ouvrage surtout
par la forme inge? nieuse et lucide sous laquelle il est pre? sente? ; la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? . NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 449
philosophie ide?
aliste, au contraire, toujours attire? e vers le foyer
de l'a^me, n'admire que les e? crivains qui s'en rapprochent.
Il faut l'avouer aussi, l'habitude de creuser dans les myste`res
les plus cache? s de notre e^tre donne du penchant pour ce qu'il y
a de plus profond et quelquefois de plus obscur dans la pense? e.
Aussi les Allemands me^lent-ils trop souvent la me? taphysique a` la ?
poe? sie,
? La nouvelle philosophie inspire le besoin de s'e? lever jusqu'aux
pense? es et aux sentiments sans bornes. Cette impulsion peut e^tre
favorable au ge? nie, mais elle ne l'est qu'a` lui, et souvent elle
donne a` ceux qui n'en ont pas des pre? tentions assez ridicules. En
France,la me? diocrite? trouve tout trop fort et trop exalte? ; en
Allemagne, rien ne lui parai^ta` la hauteur de la nouvelle doctrine.
EnFrance, la me? diocrite? se moque de l'enthousiasme; en Alle-
magne, ellede? daigne un certain genre de raison. Un e? crivain n'en
saurait jamais faire assez pour convaincre les lecteurs allemands
qu'il n'est pas superficiel, qu'il s'occupe en toutes choses de l'im-
mortel et de l'infini. Mais comme les faculte? s de l'esprit ne re? -
pondent pas toujours a` de si vastes de? sirs, il arrive souvent que
des efforts gigantesques ne conduisent qu'a` des re? sultats com-
muns. Ne? anmoins cette disposition ge? ne? rale seconde l'essor de la pense? e; et il est plus facile, en litte? rature, de poser des limites
que de donner de l'e? mulation.
Legou^tque les Allemands manifestent pour legenre nai? f, et dont
j'ai de? ja` eu l'occasion de parler, semble en contradiction avec
leur penchant pour la me? taphysique, penchant qui nai^t du be-
soin de se connai^tre et de s'analyser soi-me^me; cependant c'est
aussi a` l'influence d'un syste`me qu'il faut rapporter ce gou^t pour
le nai? f; car il y a de la philosophie dans tout en Allemagne,
me^me dans l'imagination. L'un des premiers caracte`res du nai? f,
c'est d'exprimer ce qu'on sent ou ce qu'on pense, sans re? fle? chir
a` aucun re? sultat ni tendre vers aucun but; et c'est en cela qu'il
s'accorde avec la the? orie des Allemands sur la litte? rature.
Kant, en se? parant le beau de l'utile, prouve clairement qu'il
n'est point du tout dans la nature des beaux-arts de donner
des lec? ons. Sans doute tout ce qui est beau doit faire nai^tre des
sentiments ge? ne? reux, et ces sentiments excitent a` la vertu; mais 38.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 450 NOUVELLE PHILOSOPHIE \LI. EM\NUE.
de`s qu'on a pour objet de mettre en e? vidence un pre? cepte de mo-
rale, la libre impression que produisent les chefs-d'oeuvre de
l'art est ne? cessairement de? truite; car le but, quel qu'il soit, quand
il est connu, borne et ge^ne l'imagination. On pre? tend que
Louis XIV disait a` un pre? dicateur qui avait dirige? son sermon
contre lui: << Je veux bien me faire ma part; mais je ne veux pas
<< qu'on me la fasse. >> L'on pourrait appliquer ces paroles aux
beaux-arts en ge? ne? ral: ils doivent e? lever l'a^me, et non pas
l'endoctriner.
La nature de? ploie ses magnificences souvent sans but, souvent
avec un luxe que les partisans de l'utilite? appelleraient prodigue.
Elle semble se plaire a` donner plus d'e? clat aux fleurs, aux arbres
des fore^ts, qu'aux ve? ge? taux qui servent d'aliment a` l'homme. Si
l'utile avait le premier rang dans la nature, ne reve^tirait-elle pas
de plus de charmes les plantes nutritives que les roses, qui ne sont
que belles? Et d'ou` vient cependant que, pour parer l'autel de la
Divinite? , l'on chercherait pluto^t les inutiles fleurs que les pro-
ductions ne? cessaires? D'ou` vient que ce qui sert au maintien de
notre vie a moins de dignite? que les beaute? s sans but? C'est que le
beau nous rappelle une existence immortelle et divine, dont le
souvenir et le regret vivent a` la fois dans notre coeur.
Ce n'est certainement pas pour me? connai^tre la valeur morale
de ce qui est utile que Kant en a se? pare? le beau ; c'est pour fonder
l'admiration en tout genre sur un de? sinte? ressement absolu; c'est
pour donner aux sentiments qui rendent le vice impossible la pre? -
fe? rence sur les lec? ons qui servent a`le corriger.
Rarement les fables mythologiques des anciens ont e? te? dirige? es
dans le sens des exhortations de morale ou des exemples e? difiants,
et ce n'est pas du tout parce que les modernes valent mieux
qu'eux qu'ils cherchent souvent a` donner a` leurs fictions un re? -
sultat utile; c'est pluto^t parce qu'ils ont moins d'imagination, et
qu'ils transportent dans la litte? rature l'habitude que donnent les
affaires, de toujours tendre vers un but. Les e? ve? nements, tels
qu'ils existent dans la re? alite? , ne sont pointcalcule? s comme
une fiction dont le de? nou^ment est moral. La vie elle-me^me est
conc? ue d'une manie`re tout a` fait poe? tique : car ce n'est point d'or-
dinaire parce que le coupable est puni, et l'homme vertueux re? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 451
compense? , qu'elle produit sur nous une impression morale, c'est
parce qu'elle de? veloppe dans notre a^me l'indignation contre le
coupable, et l'enthousiasme pour l'homme vertueux.
Les Allemands ne conside`rent point, ainsi qu'on le fait d'or-
dinaire, l'imitation de la nature comme le principal objet de l'art;
c'estla beaute? ide? ale qui leur parai^t le principe de tous les chefs-d'oeuvre, et leur the? orie poe? tique est, a` cet e? gard, tout a` fait d'ac-
cord avecleur philosophie. L'impression qu'on rec? oit par les beaux-arts n'a pas le moindre rapport avec le plaisir que fait e? prouver
une imitation quelconque; l'homme a dans son a^me des senti-
ments inne? s que les objets re? els ne satisferont jamais, et c'est a`
ces sentiments que l'imagination des peintres et des poetes sait
donner une forme et une vie. Le premier des arts, la musique,
qu'imite-t-il? De tous les dons de la Divinite? cependant, c'est le
plus magnifique, car il semble, pour ainsi dire,superflu. Le so-
leil nous e? claire, nous respirons l'air d'un ciel serein, toutes les
beaute? s de la nature servent en quelque fac? on a` l'homme: la mu-
sique seule est d'une noble inutilite? , et c'est pour cela qu'elle
nous e? meut si profonde? ment; plus elle est loin de tout but, plus
elle se rapproche de cette source intime de nos pense? es que l'ap-
plication a` un objet quelconque resserre dans son cours. La the? orie litte? raire des Allemands diffe`re de toutes les autres,
en ce qu'elle n'assujettit point les e? crivains a` des usages ni a` des
restrictions tyranniques. C'est une the? orie toute cre? atrice, c'est
une philosophie des beaux-arts qui, loin de les contraindre,
cherche, comme Prome? the? e, a` de? rober le feu du ciel pour en
faire don aux poe`tes. Home`re, le Dante, Shakespeare, me dira-t-on, savaient-ils rien de tout cela? ont-ils eu besoin de cette
me? taphysique pour e^tre de grands e? crivains? Sans doute la na-
ture n'a point attendu la philosophie, ce qui se re? duit a` dire que
lefait a pre? ce? de? l'observation du fait; mais, puisque nous som-
mes arrive? s a` l'e? poque des the? ories, ne faut-il pas au moins se
garder de celles qui peuvent e? touffer le talent?
Il faut avouer cependant qu'il re? sulte assez souvent quelques
inconve? nients essentiels de ces syste`mes de philosophie applique? s a` la litte? rature; les lecteurs allemands, accoutume? s a` lire Kant,
Fichte, etc. , conside`rent un moindre degre? d'obscurite? comme
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 452 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
la clarte? me^me, et les e? crivains ne donnent pas toujours aux ou-
vrages de l'art cette lucidite? frappante qui leur est si ne? cessaire.
On peut, on doit me^me exiger une attention soutenue, quand il
s'agit d'ide? es abstraites; mais les e?
le pre? juge? qui destine chaque homme d'une manie`re exclusive a`
telle ou telle branche d'e? tudes. Les philosophes ide? alistes croient
qu'un art, qu'une science, qu'une partie quelconque ne saurait
e^tre comprise sans des connaissances universelles, etque, depuis 38
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 4-16 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
le moindre phe? nome`ne jusqu'au plus grand, rien ne peut e^tre
savamment examine? , ou poe? tiquement de? peint, sans cette hau-
teur d'esprit qui fait voir l'ensemble en de? crivant les de? tails.
Montesquieu dit que l'esprit consiste a` connai^tre la ressem-
blance des choses diverses et la diffe? rence des choses sembla-
bles. S'il pouvait exister une the? orie qui appri^t a` devenir un
homme d'esprit, ce serait celle de l'entendement telle que les
Allemands la conc? oivent; il n'en est pas de plus favorable aux
rapprochements inge? nieux entre les objets exte? rieurs etles facul-
te? s de l'esprit; ce sont les divers rayons d'un me^me centre. La
plupart des axiomes physiques correspondent a` des ve? rite? s mo-
rales, et la philosophie universelle pre? sente de mille manie`res
la nature toujours une et toujours varie? e, qui se re? fle? chit tout
entie`re dans chacun deses ouvrages,etfaitporteraubrind'herbe,
comme au ce`dre, l'empreinte de l'univers.
Cette philosophie donne un attrait singulier pour tous les gen-
res d'e? tude. Les de? couvertes qu'on fait en soi-me^me sont tou-
jours inte? ressantes; mais, s'il est vrai qu'elles doivent nous
e? clairer sur les myste`res me^mes du monde cre? e? a` notre image ,
quelle curiosite? n'inspirent-elles pas! L'entretien d'un philosophe
allemand, tel que ceux que j'ai nomme? s, rappelle les dialogues
de Platon, et quand vous interrogez un de ces hommes sur un
sujet quelconque, il y re? pand tant de lumie`res qu'en l'e? coutant
vous croyez penser pour la premie`re fois, si penser est, comme
le dit Spinosa, s'identifier avec la nature par l'intelligence, et
devenir un avec elle.
Il circule en Allemagne, depuis quelques anne? es, une telle
quantite? d'ide? es neuves sur les sujets litte? raires et philosophi-
ques, qu'un e? tranger pourrait tre`s-bien prendre pour un ge? nie
supe? rieur celui qui ne ferait que re? pe? ter ces ide? es. Il m'est quel-
quefois arrive? de croire un esprit prodigieux a` des hommes d'ail-
leurs assez communs, seulement parce qu'ils s'e? taient familia-
rise? s avec les syste`mes ide? alistes, aurore d'une vie nouvelle.
Les de? fauts qu'on reproche d'ordinaire aux Allemands dans la
conversation, la lenteur et la pe? danterie, se remarquent infini-
ment moins dans les disciples de l'e? cole moderne; les personnes
du premier rang, en Allemagne, se sont forme? es pour la plu-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. -4^7
part d'apre`s les bonnes manie`res franc? aises; mais il s'e? tablit
maintenant parmi les philosophes hommes de lettres une e? duca-
tion qui est aussi de bon gou^t, quoique dans un tout autre genre.
On y conside`re la ve? ritable e? le? gance comme inse? parable de l'i-
magination poe? tique et de l'attrait pour les beaux-arts, et la po-
litesse comme fonde? e sur la connaissance et l'appre? ciation des
talents et du me? rite.
On ne saurait nier cependant que les nouveaux syste`mes philosophiques et litte? raires n'aient inspire? a` leurs partisans un
grand me? pris pourceux qui ne les comprennent pas. La plaisan-
terie franc? aise veut toujours humilier par le ridicule; sa tacti-
que est d'e? viter l'ide? e pour attaquer la personne, et le fond pour
se moquer de la forme. Les Allemands de la nouvelle e? cole con-
side`rent l'ignorance et la frivolite? comme les maladies d'une
enfance prolonge? e; ils ne s'en sont pas tenus a` combattre les
e? trangers, ils s'attaquent aussi eux-me^mes les unsles autres
avec amertume, et l'on dirait, a` les entendre, qu'un degre? de
plus en fait d'abstraction ou de profondeur, donne le droit de
traiter en esprit vulgaire et borne? quiconque ne voudrait pas ou
ne pourrait pas y atteindre.
Quand les obstacles ont irrite? les esprits, l'exage? ration s'est
me^le? e a` cette re? volution philosophique, d'ailleurs si salutaire.
Les Allemands de la nouvelle e? cole pe? ne`trent avec le flambeau
du ge? nie dans l'inte? rieur de l'a^me. Mais quand il s'agit de faire
entrer leurs ide? es dans la te^te des autres, ils en connaissent mal
les moyens; ils se mettent a` de? daigner, parce qu'ils ignorent,
non la ve? rite? , mais la manie`re de la dire. Le de? dain, excepte?
pour le vice, indique presque toujours une borne dans l'esprit;
car, avec plus d'esprit encore, on se serait fait comprendre me^me
des esprits vulgaires, ou du moins on l'aurait essaye? de bonne
foi.
Le talent de s'exprimer avec me? thode et clarte? est assez rare
en Allemagne: les e? tudes spe? culatives ne le donnent pas. Il faut
se placer, pour ainsi dire, en dehors de ses propres pense? es,
pour juger de la forme qu'on doit leur donner. La philosophie
fait connai^tre l'homme pluto^t que les hommes. C'est l'habitude
de la socie? te? qui seule nous apprend quels sont les rapports de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ? 448 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALI. EMAiVDE.
notre esprit avec celui des autres. La candeur d'abord , et l'or-
gueil ensuite, portent les philosophes since`res et se? rieux a` s'in-
digner contre ceux qui ne pensent pas ou ne sentent pas comme
eux. Les Allemands recherchent le vrai consciencieusement;
mais ils ont un esprit de secte tre`s-ardent en faveur de la doc-
trine qu'ils adoptent; car tout se change en passion dans le coeur
de l'homme.
Cependant, malgre? les diversite? s d'opinions qui forment en
Allemagne diffe? rentes e? coles oppose? es l'une a` l'autre, elles ten-
dent e? galement, pour la plupart, a` de? velopper l'activite? de l'a^me:
aussi n'est-il point de pays ou` chaque homme tire plus de parti
de lui-me^me, au moins sous le rapport des travaux intellectuels.
CHAPITRE IX.
Influence de la nouvelle philosophie allemande sur la litte? rature et les arts.
Ce que je viens dedire sur le de? veloppement de l'esprit s'ap-
plique aussi a` la litte? rature; cependant il est peut-e^tre inte? res-
sant d'ajouterquelques observations particulie`res a` ces re? flexions
ge? ne? rales.
Dans les pays ou` l'on croit que toutes les ide? es nous viennent
par les objets exte? rieurs, il est naturel d'attacher un plus grand
prix aux convenances, dont l'empire est au dehors; mais lors-
qu'au contraire on est convaincu des lois immuables del'existence
morale, la socie? te? a moins de pouvoir sur chaque homme: l'on
traite de tout avec soi-me^me; et l'essentiel, dans les productions
de la pense? e comme dans les actions de la vie, c'est de s'assurer
qu'elles partent de notre conviction intime et de nos e? motions
spontane? es.
Il y a dans le style des qualite? s qui tiennent a` la ve? rite? me^me du
sentiment, il y en a qui de? pendent de la correction grammaticale.
On aurait de la peine a` faire comprendre a` des Allemands que
la premie`re chose a` examiner dans un ouvrage, c'est la manie`re dont il est e? crit, et que l'exe? cution doit l'emporter sur la concep-
tion. La philosophie expe? rimentale estime un ouvrage surtout
par la forme inge? nieuse et lucide sous laquelle il est pre? sente? ; la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? . NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 449
philosophie ide?
aliste, au contraire, toujours attire? e vers le foyer
de l'a^me, n'admire que les e? crivains qui s'en rapprochent.
Il faut l'avouer aussi, l'habitude de creuser dans les myste`res
les plus cache? s de notre e^tre donne du penchant pour ce qu'il y
a de plus profond et quelquefois de plus obscur dans la pense? e.
Aussi les Allemands me^lent-ils trop souvent la me? taphysique a` la ?
poe? sie,
? La nouvelle philosophie inspire le besoin de s'e? lever jusqu'aux
pense? es et aux sentiments sans bornes. Cette impulsion peut e^tre
favorable au ge? nie, mais elle ne l'est qu'a` lui, et souvent elle
donne a` ceux qui n'en ont pas des pre? tentions assez ridicules. En
France,la me? diocrite? trouve tout trop fort et trop exalte? ; en
Allemagne, rien ne lui parai^ta` la hauteur de la nouvelle doctrine.
EnFrance, la me? diocrite? se moque de l'enthousiasme; en Alle-
magne, ellede? daigne un certain genre de raison. Un e? crivain n'en
saurait jamais faire assez pour convaincre les lecteurs allemands
qu'il n'est pas superficiel, qu'il s'occupe en toutes choses de l'im-
mortel et de l'infini. Mais comme les faculte? s de l'esprit ne re? -
pondent pas toujours a` de si vastes de? sirs, il arrive souvent que
des efforts gigantesques ne conduisent qu'a` des re? sultats com-
muns. Ne? anmoins cette disposition ge? ne? rale seconde l'essor de la pense? e; et il est plus facile, en litte? rature, de poser des limites
que de donner de l'e? mulation.
Legou^tque les Allemands manifestent pour legenre nai? f, et dont
j'ai de? ja` eu l'occasion de parler, semble en contradiction avec
leur penchant pour la me? taphysique, penchant qui nai^t du be-
soin de se connai^tre et de s'analyser soi-me^me; cependant c'est
aussi a` l'influence d'un syste`me qu'il faut rapporter ce gou^t pour
le nai? f; car il y a de la philosophie dans tout en Allemagne,
me^me dans l'imagination. L'un des premiers caracte`res du nai? f,
c'est d'exprimer ce qu'on sent ou ce qu'on pense, sans re? fle? chir
a` aucun re? sultat ni tendre vers aucun but; et c'est en cela qu'il
s'accorde avec la the? orie des Allemands sur la litte? rature.
Kant, en se? parant le beau de l'utile, prouve clairement qu'il
n'est point du tout dans la nature des beaux-arts de donner
des lec? ons. Sans doute tout ce qui est beau doit faire nai^tre des
sentiments ge? ne? reux, et ces sentiments excitent a` la vertu; mais 38.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 450 NOUVELLE PHILOSOPHIE \LI. EM\NUE.
de`s qu'on a pour objet de mettre en e? vidence un pre? cepte de mo-
rale, la libre impression que produisent les chefs-d'oeuvre de
l'art est ne? cessairement de? truite; car le but, quel qu'il soit, quand
il est connu, borne et ge^ne l'imagination. On pre? tend que
Louis XIV disait a` un pre? dicateur qui avait dirige? son sermon
contre lui: << Je veux bien me faire ma part; mais je ne veux pas
<< qu'on me la fasse. >> L'on pourrait appliquer ces paroles aux
beaux-arts en ge? ne? ral: ils doivent e? lever l'a^me, et non pas
l'endoctriner.
La nature de? ploie ses magnificences souvent sans but, souvent
avec un luxe que les partisans de l'utilite? appelleraient prodigue.
Elle semble se plaire a` donner plus d'e? clat aux fleurs, aux arbres
des fore^ts, qu'aux ve? ge? taux qui servent d'aliment a` l'homme. Si
l'utile avait le premier rang dans la nature, ne reve^tirait-elle pas
de plus de charmes les plantes nutritives que les roses, qui ne sont
que belles? Et d'ou` vient cependant que, pour parer l'autel de la
Divinite? , l'on chercherait pluto^t les inutiles fleurs que les pro-
ductions ne? cessaires? D'ou` vient que ce qui sert au maintien de
notre vie a moins de dignite? que les beaute? s sans but? C'est que le
beau nous rappelle une existence immortelle et divine, dont le
souvenir et le regret vivent a` la fois dans notre coeur.
Ce n'est certainement pas pour me? connai^tre la valeur morale
de ce qui est utile que Kant en a se? pare? le beau ; c'est pour fonder
l'admiration en tout genre sur un de? sinte? ressement absolu; c'est
pour donner aux sentiments qui rendent le vice impossible la pre? -
fe? rence sur les lec? ons qui servent a`le corriger.
Rarement les fables mythologiques des anciens ont e? te? dirige? es
dans le sens des exhortations de morale ou des exemples e? difiants,
et ce n'est pas du tout parce que les modernes valent mieux
qu'eux qu'ils cherchent souvent a` donner a` leurs fictions un re? -
sultat utile; c'est pluto^t parce qu'ils ont moins d'imagination, et
qu'ils transportent dans la litte? rature l'habitude que donnent les
affaires, de toujours tendre vers un but. Les e? ve? nements, tels
qu'ils existent dans la re? alite? , ne sont pointcalcule? s comme
une fiction dont le de? nou^ment est moral. La vie elle-me^me est
conc? ue d'une manie`re tout a` fait poe? tique : car ce n'est point d'or-
dinaire parce que le coupable est puni, et l'homme vertueux re? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 451
compense? , qu'elle produit sur nous une impression morale, c'est
parce qu'elle de? veloppe dans notre a^me l'indignation contre le
coupable, et l'enthousiasme pour l'homme vertueux.
Les Allemands ne conside`rent point, ainsi qu'on le fait d'or-
dinaire, l'imitation de la nature comme le principal objet de l'art;
c'estla beaute? ide? ale qui leur parai^t le principe de tous les chefs-d'oeuvre, et leur the? orie poe? tique est, a` cet e? gard, tout a` fait d'ac-
cord avecleur philosophie. L'impression qu'on rec? oit par les beaux-arts n'a pas le moindre rapport avec le plaisir que fait e? prouver
une imitation quelconque; l'homme a dans son a^me des senti-
ments inne? s que les objets re? els ne satisferont jamais, et c'est a`
ces sentiments que l'imagination des peintres et des poetes sait
donner une forme et une vie. Le premier des arts, la musique,
qu'imite-t-il? De tous les dons de la Divinite? cependant, c'est le
plus magnifique, car il semble, pour ainsi dire,superflu. Le so-
leil nous e? claire, nous respirons l'air d'un ciel serein, toutes les
beaute? s de la nature servent en quelque fac? on a` l'homme: la mu-
sique seule est d'une noble inutilite? , et c'est pour cela qu'elle
nous e? meut si profonde? ment; plus elle est loin de tout but, plus
elle se rapproche de cette source intime de nos pense? es que l'ap-
plication a` un objet quelconque resserre dans son cours. La the? orie litte? raire des Allemands diffe`re de toutes les autres,
en ce qu'elle n'assujettit point les e? crivains a` des usages ni a` des
restrictions tyranniques. C'est une the? orie toute cre? atrice, c'est
une philosophie des beaux-arts qui, loin de les contraindre,
cherche, comme Prome? the? e, a` de? rober le feu du ciel pour en
faire don aux poe`tes. Home`re, le Dante, Shakespeare, me dira-t-on, savaient-ils rien de tout cela? ont-ils eu besoin de cette
me? taphysique pour e^tre de grands e? crivains? Sans doute la na-
ture n'a point attendu la philosophie, ce qui se re? duit a` dire que
lefait a pre? ce? de? l'observation du fait; mais, puisque nous som-
mes arrive? s a` l'e? poque des the? ories, ne faut-il pas au moins se
garder de celles qui peuvent e? touffer le talent?
Il faut avouer cependant qu'il re? sulte assez souvent quelques
inconve? nients essentiels de ces syste`mes de philosophie applique? s a` la litte? rature; les lecteurs allemands, accoutume? s a` lire Kant,
Fichte, etc. , conside`rent un moindre degre? d'obscurite? comme
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 452 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
la clarte? me^me, et les e? crivains ne donnent pas toujours aux ou-
vrages de l'art cette lucidite? frappante qui leur est si ne? cessaire.
On peut, on doit me^me exiger une attention soutenue, quand il
s'agit d'ide? es abstraites; mais les e?
