sir de
parai^tre
aimable conseille de prendre une
expression de gaiete?
expression de gaiete?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
noncer son avis sur rien avec
confiance , car aucune opinion n'e? tant admise comme incon-
testable , on ne peut en avancer aucune sans e^tre en e? tat de la
de? fendre; aussi les gens me? diocres sont-ils pour la plupart si-
lencieux, et ne re? pandent-ils d'autre agre? ment dans la socie? te?
quecelui d'une bienveillance aimable. En Allemagne, les hommes
distingue? s seuls savent causer, tandis qu'en France tout le
monde s'en tire. Les hommes supe? rieurs en France sont indul-
gents , les hommes supe? rieurs en Allemagne sont tre`s-se? ve`res;
mais en revanche les sots chez les Franc? ais sont de? nigrants et jaloux, etles Allemands, quelque borne? s qu'ils soient, savent
encore se montrer encourageants et admirateurs. Les ide? es qui
circulent en Allemagne surdivers sujets sont nouvelles et sou-
vent bizarres; il arrive de la` que ceux qui les re? pe`tent paraissent
avoir pendant quelque temps une sorte de profondeur usurpe? e.
EnFrance, c'est par les manie`res qu'on fait illusionsur ce qu'on
vaut. Ces manie`res sont agre? ables , mais uniformes , et la dis-
cipline du bon ton ache`ve de leur o^ter ce qu'elles pourraient
avoir de varie? . Un homme d'esprit me racontait qu'un soir, dans un bal mas-
que? , il passa devant une glace, et que, ne sachant comment se
distinguer lui-me^me , au milieu de tous ceux qui portaient un
domino pareil au sien, il se fit un signe de te^te pour se reconnai^-
tre; on en peut dire autant de la parure que l'esprit reve^t dans
le monde ; on se confond presque avec les autres, tantle carac-
te`re ve? ritable de chacun se montre peu! La sottise se trouve
bien de cette confusion, et voudrait en profiter pour contester le
vrai me? rite. La be^tise et la sottise diffe`rent essentiellement en
ceci, que les be^tes se soumettent volontiers a` la nature, et que
les sots se flattent toujours de dominer la socie? te? .
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? 54 DE L'ESPRIT D. : CONVERSATION.
CHAPITRE XI.
De l'esprit de conversation.
En Orient, quand on n'a rien a` se dire, on fume du tabac de rose ensemble, et de temps en temps on se salue les bras croi-
se? s sur la poitrine, pour se donner unte? moignage d'amitie? ;
mais dans l'Occident on a voulu se parler tout le jour, et le
foyer de l'a^me s'est souvent dissipe? dans ces entretiens ou`l'amour-
propre est sans cesse en mouvement pour faire effet tout de
suite, et selon le gou^t du moment et du cercle ou` l'on se trouve.
Il me semble reconnu que Paris est la ville du monde ou` l'es-
prit et le gou^t de la conversation sont le plus ge? ne? ralement re? -
pandus; et ce qu'on appelle le mal du pays, ce regret inde? finis-
sable de la patrie, qui est inde? pendant des a mis me^me qu'on y
a laisse? s, s'applique particulie`rement a` ce plaisir de causer, que
les Franc? ais ne retrouvent nulle part au me^me degre? que chez
eux. Volney raconte que des Franc? ais e? migre? s voulaient, pen-
dant la re? volution , e? tablir une colonie et de? fricher des terres
en Ame? rique ; mais de temps en temps ils quittaient toutes leurs
occupations pour aller, disaient-ils, causer a` la ville; et cette
ville, la Nouvelle-Orle? ans, e? tait a` six cents lieues de leur de-
meure. Dans toutes les classes, en France, on sent le besoin de
causer : la parole n'y est pas seulement, comme ailleurs , uit,
moyen de se communiquer ses ide? es , ses sentiments et ses affaires, mais c'est un instrument dont on aime a` jouer , et qui
ranime les esprits, comme la musique chez quelques peuples,
et les liqueurs fortes chez quelques autres.
Le genre de bien-e^tre que fait e? prouver une conversation ani-
me? e, ne consiste pas pre? cise? ment dans le sujet de cette conver-
sation; les ide? es ni les connaissances qu'on peut y de? velopper
n'en sont pas le principal inte? re^t; c'est une certaine manie`re
d'agir les uns sur les autres, de se faire plaisir re? ciproquement
et avec rapidite? , de parler aussito^t qu'on pense, de jouir a` l'ins-
tant de soi-me^me, d'e^tre applaudi sans travail, de manifester
son esprit dans toutes les nuances par l'accent, le geste, le re-
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? DE L'ESPRIT DE CONVERI? VTION. 55
gard, enfin de produire a` volonte? comme une sorte d'e? lectricite?
qui fait jaillir des e? tincelles, soulage les uns de l'exce`s me^me de
leur vivacite? , et re? veille les autres d'une apathie pe? nible. Rien n'est plus e? tranger a` ce talent que le caracte`re et le genre
d'esprit des Allemands; ils veulent un re? sultat se? rieux en tout.
Bacon a dit que la conversation n'e? tait pas un chemin qui conduisait a` la maison, mais un sentier ou` l'on se promenait
au hasard avec plaisir. Les Allemands donnent a` chaque chose
le temps ne? cessaire; mais le ne? cessaire en fait de conversation,
c'est l'amusement; si l'on de? passe cotte mesure l'on tombe dans
la discussion, dans l'entretien se? rieux, qui est pluto^t une oc-
cupation utile qu'un art agre? able. Il faut l'avouer aussi, le gou^t
et l'enivrement de l'esprit de socie? te? rendent singulie`rement in-
capable d'application et d'e? tude, et les qualite? s des Allemands
tiennent peut-e^tre sous quelques rapports a` l'absence me^me de
cet esprit.
Les anciennes formules depolitesse qui sont encore en vigueur
dans presque toute l'Allemagne, s'opposent a` l'aisance et a` la fa-
miliarite? de la conversation; le titre le plus mince, et pourtant le
plus long a` prononcer, y est donne? et re? pe? te? vingt fois dans le
me^me repas; il faut offrir de tous les mets, de tous les vins avec
un soin, avec une insistance qui fatigue mortellement les e? tran-
gers. Il y a de la bonhomie au fond de tous ces usages; mais
ils ne subsisteraient pas un instant dans un pays ou` l'on pourrait
hasarder la plaisanterie sans offenser la susceptibilite? ; et cont-
inent ne? anmoins peut-il y avoir de la gra^ce et du charme en so-
(ie? te? , si l'on n'y permet pas cette douce moquerie qui de? lasse
l'esprit, et donne a` la bienveillance elle-me^me une fac? on pi-
quante de s'exprimer?
Le cours des ide? es, depuis un sie`cle, a e? te? tout a` fait dirige?
par la conversation. On pensait pour parler, on parlait pour
e^tre applaudi, et tout ce qui ne pouvait pas se dire semblait
e^tre de trop dans l'a^me. C'est une disposition tre`s-agre? able que
le de? sir de plaire; mais elle diffe`re pourtant beaucoup du besoin
d'e^tre aime? : le de? sir de plaire rend de? pendant de l'opinion , le
besoin d'e^tre aime? en affranchit : on pourrait de? sirer de plaire a` ceux me^me a` qui l'on ferait beaucoup de mal, et c'est pre? cise? -
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? 56 DE L'ESPRIT DE CONVERSATION.
ment ce qu'on appelle de la coquetterie; cette coquetterie n'ap-
partient pas exclusivement aux femmes; il y en a dans toutes
les manie`res qui servent a` te? moigner plus d'affection qu'on n'en e? prouve re? ellement. La loyaute? des Allemands ne leur per-
met rien de semblable; ils prennent la gra^ce au pied dela let-
tre, ils conside`rent le charme de l'expression comme un enga-
gement pour la conduite, et de la` vient leur susceptibilite? ; car
ils n'entendent pas un mot sans en tirer une conse? quence, et
ne conc? oivent pas qu'on puisse traiter la parole en art libe? ral, qui n'a ni but ni re? sultat si ce n'est le plaisir qu'on y trouve.
L'esprit de conversation a quelquefois l'inconve? nient d'alte? rer
la since? rite? du^-caracte`re; ce n'est pas une tromperie combine? e,
mais improvise? e, si l'on peut s'exprimer ainsi. Les Franc? ais ont
mis dans ce genre une gaiete? qui les rend aimables, mais il n'en
est pas moins certain que ce qu'il y a de plus sacre? dans ce monde
a e? te? e? branle? par la gra^ce, du moins par celle qui n'attache de
l'importance a` rien, et tourne tout en ridicule.
Les bons mots des Franc? ais ont e? te? cite? s d'un boutde l'Europe
a` l'autre: de tout temps ils ont montre? leur brillante valeur, et
soulage? leurs chagrins d'une fac? on vive et piquante; de tout
temps ils ont eu besoin les uns des autres, comme d'auditeurs
alternatifs qui s'encourageaient mutuellement; de tout temps
ils ont excelle? dans l'art de ce qu'il faut dire, et me^me de ce qu'il
faut taire, quand un grand inte? re^t l'emporte sur leur vivacite? na-
turelle; de tout temps ils ont eu le talent de vivre vite, d'abre? ger
les longs discours, de faire place aux successeurs avides de
parler a` leur tour; de tout temps, enfin, ils ont su ne prendre
du sentiment et de la pense? e que ce qu'il en faut pour animer
l'entretien, sans lasser le frivole inte? re^t qu'on a l'ordinaire les
uns pour les autres.
Les Franc? ais parlent toujours le? ge`rement de leurs malheurs,
dans la crainte d'ennuyer leurs amis; ils devinent la fatigue
qu'ils pourraient causer, par celle dont ils seraient susceptibles:
ils se ha^tent de montrer e? le? gamment de l'insouciance pour leur
propre sort, afin d'en avoir l'honneur au lieu d'en recevoir
l'exemple. Le de?
sir de parai^tre aimable conseille de prendre une
expression de gaiete? , quelle que soit la disposition inte? rieure de
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? DE L ESPRIT DE CONVERSATION. 57
- l'a^me; la physionomie influe par degre? s sur ce qu'on e? prouve,
et ce qu'on fait pour plaire aux autres e? mousse biento^t en soi-
me^me ce qu'on ressent.
<< Une femme d'esprit a dit que Paris e? tait le lieu du monde ou
i l'on pouvait le mieux se passer de bonheur ' : >> c'est sous ce
rapport qu'il convient si bien a` la pauvre espe`ce humaine; mais
rien ne saurait faire qu'une ville d'Allemagne devi^nt Paris, ni
que les Allemands pussent, sans se ga^ter entie`rement, recevoir
comme nous le bienfait de la distraction. A force de s'e? chapper
a` eux-me^mes ils finiraient par ne plus se retrouver.
Le talent et l'habitude de la socie? te? servent beaucoup a` faire
connai^tre les hommes : pour re? ussir en parlant, il faut observer
avec perspicacite? l'impression qu'on produit a` chaque instant
sur eux, celle qu'ils veulent nous cacher, celle qu'ils cherchent a`
nous exage? rer, la satisfaction contenue des uns, le sourire force?
des autres; on voit passer sur le front de ceux qui nous e? cou-
tent des bla^mes a` demi forme? s, qu'on peut e? viter en se ha^tant de les dissiper avant que l'amour-propre y soit engage? . L'on y
voit nai^tre aussi l'approbation qu'il faut fortifier, sans cependant
exiger d'elle plus qu'elle ne veut donner. Il n'est point d'are`ne
ou` la vanite? se montre sous des formes plus varie? es que dans la
conversation.
J'ai connu un homme que les louanges agitaient au point que,
quand on lui en donnait, il exage? rait ce qu'il venait de dire,
et s'efforc? ait tellement d'ajouter a` son succe`s, qu'il finissait
toujours par le perdre. Je n'osais pas l'applaudir, de peur de le
porter a` l'affectation , et qu'il ne se rendi^t ridicule par le bon
coeur de son amour-propre. Un autre craignait tellement d'a-
voir l'air de de? sirer de faire effet, qu'il laissait tomber ses pa-
roles ne? gligemment et de? daigneusement. Sa feinte indolence
trahissait seulement une pre? tention de plus, celle de n'en point
avoir. Quand la vanite? se montre, elle est bienveillante; quand
elle se cache, la crainte d'e^tre de? couverte la rend ame`re, et elle
affecte l'indiffe? rence, la satie? te? , enfin tout ce qui peut persuader
aux autres qu'elle n'apas besoin d'eux. Ces difte? rentes combinai -
'Supprime? par la. censure snu`s prclexle i|u'il y avait tant de Ininhcur a`
Paris maintenant, qu'on n'avait pas besoin de s'en passer.
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? 58 DE L'ESPRIT DE CONVERSATION.
sons sont amusantes pour l'observateur, et l'on s'e? tonne toujours
que l'amour-propre ne prenne pas la route si simple d'avouer na-
turellement le de? sir de plaire , et d'employer autant qu'il est
possible la gra^ce et la ve? rite? pour y parvenir.
Le tact qu'exige la socie? te? , le besoin qu'elle donne de se mettre
a` la porte? e des diffe? rents esprits, tout ce travail de la pense? e,
dans ses rapports avec les hommes, serait certainement utile,
a` beaucoup d'e? gards, aux Allemands, en leur donnant plus de
mesure, de finesse et d'habilete? ; mais dans ce talent de causer,
il y a une sorte d'adresse qui fait perdre toujours quelque chose
a` l'inflexibilite? de la morale: si l'on pouvait se passer de tout ce
qui tient a` l'art de me? nager les hommes, le caracte`re en aurait
su^rement plus de grandeur et d'e? nergie.
Les Franc? ais sont les plus habiles diplomates de l'Europe, et
ces hommes, qu'on accuse d'indiscre? tion et d'impertinence, savent
mieux que personne cacher un secret, et captiver ceux dont ils
*ontbesoin. Ilsnede? plaisentjamaisque quand ils le veulent, c'est-
a`-dire, quand leur vanite? croit trouver mieux son compte dans
le de? dain que dans l'obligeance. L'esprit de conversation a sin-
gulie`rement de? veloppe? chez les Franc? ais l'esprit plus se? rieux
des ne? gociations politiques. Il n'est point d'ambassadeur e? tranger
qui pu^t lutter contre eux en ce genre, a` moins que, mettant abso-
lument de co^te? toute pre? tention a` la finesse, il n'alla^t droit en
affaires, comme celui qui se battrait sans savoir l'escrime.
Les rapports des diffe? rentes classes entre elles e? taient aussi
tre`s-propres a` de? velopper en France la sagacite? , la mesure et la convenance de l'espritde socie? te? . Les rangs n'y e? taient point mar-
que? s d'une manie`re positive, et les pre? tentions s'agitaient sans
cesse dans l'espace incertain que chacun pouvait tour a` tour ou
conque? rir ou perdre. Les droits du tiers-e? tat, des parlements,
dela noblesse, la puissance me^me du roi, rien n'e? tait de? ter-
mine? d'une fac? on invariable; tout se passait, pour ainsi dire,
en adresse de conversation : on esquivait les difficulte? s les plus
graves par les nuances de? licates des paroles et des manie`res, et
l'on arrivait rarement a` se heurter ou a` se ce? der, tant on e? vitait
avec soin l'un et l'autre! Les grandes familles avaient aussi
entre elles des pre? tentions jamais de? clare? es et toujours sous eu-
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? DE L ESFI1IT DE COINVERSATION. 59
tendues, et ce vague excitait beaucoup plus la vanite? que des
rangs marque? s n'auraient pu le faire. Il fallait e? tudier tout ce dont se composait l'existence d'un homme ou d'une femme, pour
savoir le genre d'e? gards qu'on leur devait; l'arbitraire , sous
toutes les formes, a toujours e? te? dans les habitudes, les moeurs
et les lois de la France: de la` vient que les Franc? ais ont eu, si
l'on peut s'exprimer ainsi, une si grande pe? danterie de frivolite? ;
les bases principales n'e? tant point affermies, on voulait donner
de la consistance aux moindres de? tails. En Angleterre, on permet l'originalite? aux individus, tant la masse est bien re? gle? e!
En France, il semble que l'esprit d'imitation soit comme un lien
social, et que tout serait en de? sordre si ce lien ne supple? ait pas
a` l'instabilite? des institutions.
En Allemagne, chacun est a` son rang, a` sa place, comme a`
son poste, et l'on n'a pas besoin de tournures habiles, depa-
renthe`ses, de demi-mots, pour exprimer les avantages de nais-
sance ou de titre que l'on se croit sur son voisin. La bonne compagnie, en Allemagne, c'est la cour; en France, c'e? taient
tous ceux qui pouvaient se mettre sur un pied d'e? galite? avec elle,
et tous pouvaient l'espe? rer, et tous aussi pouvaient craindre de
n'y jamais parvenir. Il en re? sultait que chacun voulait avoir les
manie`res de cette socie? te? -la`. En Allemagne, un diplo^me vous y
f;<<sait entrer; en France, une faute de gou^t vous en faisait sor-
tir; et l'on e? tait encore plus empresse? de ressembler aux gens du
inonde, que de se distinguer dans ce monde me^me par sa valeur
personnelle.
Une puissance aristocratique, le bon ton et l'e? le? gance, l'em-
portait sur l'e? nergie, la profondeur, la sensibilite? , l'esprit me^me.
Elle disait a` l'e? nergie:-- Vous mettez trop d'inte? re^t aux per-
sonnes et aux choses; -- a` la profondeur: -- Vous me prenez
trop de temps; --a` la sensibilite? : -- Vous e^tes trop exclusive;
--a` l'esprit enfin : -- Vous e^tes une distinction tropindividuelle.
-- Il fallaitdes avantages qui tinssent plus aux manie`res qu'aux
ide? es, et il importait de reconnai^tre dans un homme , pluto^t la
classe dont il e? tait, que le me? rite qu'il posse? dait. Cette espe`ce
d'e? galite? dans l'ine? galite? est tre`s-favorable aux gens me? diocres,
car elle doit ne? cessairement de? truire toute originalite? dans la
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? 60 DE L ESPRIT DE CON VERSATION.
facon do voir et de s'exprimer. Le mode`le choisi est noble,
agre? able et de bon gou^t, mais il est le me^me pour tous. C'est un
point de re? union que ce mode`le; chacun, en s'y conformant, se
croit plus en socie? te?
confiance , car aucune opinion n'e? tant admise comme incon-
testable , on ne peut en avancer aucune sans e^tre en e? tat de la
de? fendre; aussi les gens me? diocres sont-ils pour la plupart si-
lencieux, et ne re? pandent-ils d'autre agre? ment dans la socie? te?
quecelui d'une bienveillance aimable. En Allemagne, les hommes
distingue? s seuls savent causer, tandis qu'en France tout le
monde s'en tire. Les hommes supe? rieurs en France sont indul-
gents , les hommes supe? rieurs en Allemagne sont tre`s-se? ve`res;
mais en revanche les sots chez les Franc? ais sont de? nigrants et jaloux, etles Allemands, quelque borne? s qu'ils soient, savent
encore se montrer encourageants et admirateurs. Les ide? es qui
circulent en Allemagne surdivers sujets sont nouvelles et sou-
vent bizarres; il arrive de la` que ceux qui les re? pe`tent paraissent
avoir pendant quelque temps une sorte de profondeur usurpe? e.
EnFrance, c'est par les manie`res qu'on fait illusionsur ce qu'on
vaut. Ces manie`res sont agre? ables , mais uniformes , et la dis-
cipline du bon ton ache`ve de leur o^ter ce qu'elles pourraient
avoir de varie? . Un homme d'esprit me racontait qu'un soir, dans un bal mas-
que? , il passa devant une glace, et que, ne sachant comment se
distinguer lui-me^me , au milieu de tous ceux qui portaient un
domino pareil au sien, il se fit un signe de te^te pour se reconnai^-
tre; on en peut dire autant de la parure que l'esprit reve^t dans
le monde ; on se confond presque avec les autres, tantle carac-
te`re ve? ritable de chacun se montre peu! La sottise se trouve
bien de cette confusion, et voudrait en profiter pour contester le
vrai me? rite. La be^tise et la sottise diffe`rent essentiellement en
ceci, que les be^tes se soumettent volontiers a` la nature, et que
les sots se flattent toujours de dominer la socie? te? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 54 DE L'ESPRIT D. : CONVERSATION.
CHAPITRE XI.
De l'esprit de conversation.
En Orient, quand on n'a rien a` se dire, on fume du tabac de rose ensemble, et de temps en temps on se salue les bras croi-
se? s sur la poitrine, pour se donner unte? moignage d'amitie? ;
mais dans l'Occident on a voulu se parler tout le jour, et le
foyer de l'a^me s'est souvent dissipe? dans ces entretiens ou`l'amour-
propre est sans cesse en mouvement pour faire effet tout de
suite, et selon le gou^t du moment et du cercle ou` l'on se trouve.
Il me semble reconnu que Paris est la ville du monde ou` l'es-
prit et le gou^t de la conversation sont le plus ge? ne? ralement re? -
pandus; et ce qu'on appelle le mal du pays, ce regret inde? finis-
sable de la patrie, qui est inde? pendant des a mis me^me qu'on y
a laisse? s, s'applique particulie`rement a` ce plaisir de causer, que
les Franc? ais ne retrouvent nulle part au me^me degre? que chez
eux. Volney raconte que des Franc? ais e? migre? s voulaient, pen-
dant la re? volution , e? tablir une colonie et de? fricher des terres
en Ame? rique ; mais de temps en temps ils quittaient toutes leurs
occupations pour aller, disaient-ils, causer a` la ville; et cette
ville, la Nouvelle-Orle? ans, e? tait a` six cents lieues de leur de-
meure. Dans toutes les classes, en France, on sent le besoin de
causer : la parole n'y est pas seulement, comme ailleurs , uit,
moyen de se communiquer ses ide? es , ses sentiments et ses affaires, mais c'est un instrument dont on aime a` jouer , et qui
ranime les esprits, comme la musique chez quelques peuples,
et les liqueurs fortes chez quelques autres.
Le genre de bien-e^tre que fait e? prouver une conversation ani-
me? e, ne consiste pas pre? cise? ment dans le sujet de cette conver-
sation; les ide? es ni les connaissances qu'on peut y de? velopper
n'en sont pas le principal inte? re^t; c'est une certaine manie`re
d'agir les uns sur les autres, de se faire plaisir re? ciproquement
et avec rapidite? , de parler aussito^t qu'on pense, de jouir a` l'ins-
tant de soi-me^me, d'e^tre applaudi sans travail, de manifester
son esprit dans toutes les nuances par l'accent, le geste, le re-
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? DE L'ESPRIT DE CONVERI? VTION. 55
gard, enfin de produire a` volonte? comme une sorte d'e? lectricite?
qui fait jaillir des e? tincelles, soulage les uns de l'exce`s me^me de
leur vivacite? , et re? veille les autres d'une apathie pe? nible. Rien n'est plus e? tranger a` ce talent que le caracte`re et le genre
d'esprit des Allemands; ils veulent un re? sultat se? rieux en tout.
Bacon a dit que la conversation n'e? tait pas un chemin qui conduisait a` la maison, mais un sentier ou` l'on se promenait
au hasard avec plaisir. Les Allemands donnent a` chaque chose
le temps ne? cessaire; mais le ne? cessaire en fait de conversation,
c'est l'amusement; si l'on de? passe cotte mesure l'on tombe dans
la discussion, dans l'entretien se? rieux, qui est pluto^t une oc-
cupation utile qu'un art agre? able. Il faut l'avouer aussi, le gou^t
et l'enivrement de l'esprit de socie? te? rendent singulie`rement in-
capable d'application et d'e? tude, et les qualite? s des Allemands
tiennent peut-e^tre sous quelques rapports a` l'absence me^me de
cet esprit.
Les anciennes formules depolitesse qui sont encore en vigueur
dans presque toute l'Allemagne, s'opposent a` l'aisance et a` la fa-
miliarite? de la conversation; le titre le plus mince, et pourtant le
plus long a` prononcer, y est donne? et re? pe? te? vingt fois dans le
me^me repas; il faut offrir de tous les mets, de tous les vins avec
un soin, avec une insistance qui fatigue mortellement les e? tran-
gers. Il y a de la bonhomie au fond de tous ces usages; mais
ils ne subsisteraient pas un instant dans un pays ou` l'on pourrait
hasarder la plaisanterie sans offenser la susceptibilite? ; et cont-
inent ne? anmoins peut-il y avoir de la gra^ce et du charme en so-
(ie? te? , si l'on n'y permet pas cette douce moquerie qui de? lasse
l'esprit, et donne a` la bienveillance elle-me^me une fac? on pi-
quante de s'exprimer?
Le cours des ide? es, depuis un sie`cle, a e? te? tout a` fait dirige?
par la conversation. On pensait pour parler, on parlait pour
e^tre applaudi, et tout ce qui ne pouvait pas se dire semblait
e^tre de trop dans l'a^me. C'est une disposition tre`s-agre? able que
le de? sir de plaire; mais elle diffe`re pourtant beaucoup du besoin
d'e^tre aime? : le de? sir de plaire rend de? pendant de l'opinion , le
besoin d'e^tre aime? en affranchit : on pourrait de? sirer de plaire a` ceux me^me a` qui l'on ferait beaucoup de mal, et c'est pre? cise? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 56 DE L'ESPRIT DE CONVERSATION.
ment ce qu'on appelle de la coquetterie; cette coquetterie n'ap-
partient pas exclusivement aux femmes; il y en a dans toutes
les manie`res qui servent a` te? moigner plus d'affection qu'on n'en e? prouve re? ellement. La loyaute? des Allemands ne leur per-
met rien de semblable; ils prennent la gra^ce au pied dela let-
tre, ils conside`rent le charme de l'expression comme un enga-
gement pour la conduite, et de la` vient leur susceptibilite? ; car
ils n'entendent pas un mot sans en tirer une conse? quence, et
ne conc? oivent pas qu'on puisse traiter la parole en art libe? ral, qui n'a ni but ni re? sultat si ce n'est le plaisir qu'on y trouve.
L'esprit de conversation a quelquefois l'inconve? nient d'alte? rer
la since? rite? du^-caracte`re; ce n'est pas une tromperie combine? e,
mais improvise? e, si l'on peut s'exprimer ainsi. Les Franc? ais ont
mis dans ce genre une gaiete? qui les rend aimables, mais il n'en
est pas moins certain que ce qu'il y a de plus sacre? dans ce monde
a e? te? e? branle? par la gra^ce, du moins par celle qui n'attache de
l'importance a` rien, et tourne tout en ridicule.
Les bons mots des Franc? ais ont e? te? cite? s d'un boutde l'Europe
a` l'autre: de tout temps ils ont montre? leur brillante valeur, et
soulage? leurs chagrins d'une fac? on vive et piquante; de tout
temps ils ont eu besoin les uns des autres, comme d'auditeurs
alternatifs qui s'encourageaient mutuellement; de tout temps
ils ont excelle? dans l'art de ce qu'il faut dire, et me^me de ce qu'il
faut taire, quand un grand inte? re^t l'emporte sur leur vivacite? na-
turelle; de tout temps ils ont eu le talent de vivre vite, d'abre? ger
les longs discours, de faire place aux successeurs avides de
parler a` leur tour; de tout temps, enfin, ils ont su ne prendre
du sentiment et de la pense? e que ce qu'il en faut pour animer
l'entretien, sans lasser le frivole inte? re^t qu'on a l'ordinaire les
uns pour les autres.
Les Franc? ais parlent toujours le? ge`rement de leurs malheurs,
dans la crainte d'ennuyer leurs amis; ils devinent la fatigue
qu'ils pourraient causer, par celle dont ils seraient susceptibles:
ils se ha^tent de montrer e? le? gamment de l'insouciance pour leur
propre sort, afin d'en avoir l'honneur au lieu d'en recevoir
l'exemple. Le de?
sir de parai^tre aimable conseille de prendre une
expression de gaiete? , quelle que soit la disposition inte? rieure de
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? DE L ESPRIT DE CONVERSATION. 57
- l'a^me; la physionomie influe par degre? s sur ce qu'on e? prouve,
et ce qu'on fait pour plaire aux autres e? mousse biento^t en soi-
me^me ce qu'on ressent.
<< Une femme d'esprit a dit que Paris e? tait le lieu du monde ou
i l'on pouvait le mieux se passer de bonheur ' : >> c'est sous ce
rapport qu'il convient si bien a` la pauvre espe`ce humaine; mais
rien ne saurait faire qu'une ville d'Allemagne devi^nt Paris, ni
que les Allemands pussent, sans se ga^ter entie`rement, recevoir
comme nous le bienfait de la distraction. A force de s'e? chapper
a` eux-me^mes ils finiraient par ne plus se retrouver.
Le talent et l'habitude de la socie? te? servent beaucoup a` faire
connai^tre les hommes : pour re? ussir en parlant, il faut observer
avec perspicacite? l'impression qu'on produit a` chaque instant
sur eux, celle qu'ils veulent nous cacher, celle qu'ils cherchent a`
nous exage? rer, la satisfaction contenue des uns, le sourire force?
des autres; on voit passer sur le front de ceux qui nous e? cou-
tent des bla^mes a` demi forme? s, qu'on peut e? viter en se ha^tant de les dissiper avant que l'amour-propre y soit engage? . L'on y
voit nai^tre aussi l'approbation qu'il faut fortifier, sans cependant
exiger d'elle plus qu'elle ne veut donner. Il n'est point d'are`ne
ou` la vanite? se montre sous des formes plus varie? es que dans la
conversation.
J'ai connu un homme que les louanges agitaient au point que,
quand on lui en donnait, il exage? rait ce qu'il venait de dire,
et s'efforc? ait tellement d'ajouter a` son succe`s, qu'il finissait
toujours par le perdre. Je n'osais pas l'applaudir, de peur de le
porter a` l'affectation , et qu'il ne se rendi^t ridicule par le bon
coeur de son amour-propre. Un autre craignait tellement d'a-
voir l'air de de? sirer de faire effet, qu'il laissait tomber ses pa-
roles ne? gligemment et de? daigneusement. Sa feinte indolence
trahissait seulement une pre? tention de plus, celle de n'en point
avoir. Quand la vanite? se montre, elle est bienveillante; quand
elle se cache, la crainte d'e^tre de? couverte la rend ame`re, et elle
affecte l'indiffe? rence, la satie? te? , enfin tout ce qui peut persuader
aux autres qu'elle n'apas besoin d'eux. Ces difte? rentes combinai -
'Supprime? par la. censure snu`s prclexle i|u'il y avait tant de Ininhcur a`
Paris maintenant, qu'on n'avait pas besoin de s'en passer.
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? 58 DE L'ESPRIT DE CONVERSATION.
sons sont amusantes pour l'observateur, et l'on s'e? tonne toujours
que l'amour-propre ne prenne pas la route si simple d'avouer na-
turellement le de? sir de plaire , et d'employer autant qu'il est
possible la gra^ce et la ve? rite? pour y parvenir.
Le tact qu'exige la socie? te? , le besoin qu'elle donne de se mettre
a` la porte? e des diffe? rents esprits, tout ce travail de la pense? e,
dans ses rapports avec les hommes, serait certainement utile,
a` beaucoup d'e? gards, aux Allemands, en leur donnant plus de
mesure, de finesse et d'habilete? ; mais dans ce talent de causer,
il y a une sorte d'adresse qui fait perdre toujours quelque chose
a` l'inflexibilite? de la morale: si l'on pouvait se passer de tout ce
qui tient a` l'art de me? nager les hommes, le caracte`re en aurait
su^rement plus de grandeur et d'e? nergie.
Les Franc? ais sont les plus habiles diplomates de l'Europe, et
ces hommes, qu'on accuse d'indiscre? tion et d'impertinence, savent
mieux que personne cacher un secret, et captiver ceux dont ils
*ontbesoin. Ilsnede? plaisentjamaisque quand ils le veulent, c'est-
a`-dire, quand leur vanite? croit trouver mieux son compte dans
le de? dain que dans l'obligeance. L'esprit de conversation a sin-
gulie`rement de? veloppe? chez les Franc? ais l'esprit plus se? rieux
des ne? gociations politiques. Il n'est point d'ambassadeur e? tranger
qui pu^t lutter contre eux en ce genre, a` moins que, mettant abso-
lument de co^te? toute pre? tention a` la finesse, il n'alla^t droit en
affaires, comme celui qui se battrait sans savoir l'escrime.
Les rapports des diffe? rentes classes entre elles e? taient aussi
tre`s-propres a` de? velopper en France la sagacite? , la mesure et la convenance de l'espritde socie? te? . Les rangs n'y e? taient point mar-
que? s d'une manie`re positive, et les pre? tentions s'agitaient sans
cesse dans l'espace incertain que chacun pouvait tour a` tour ou
conque? rir ou perdre. Les droits du tiers-e? tat, des parlements,
dela noblesse, la puissance me^me du roi, rien n'e? tait de? ter-
mine? d'une fac? on invariable; tout se passait, pour ainsi dire,
en adresse de conversation : on esquivait les difficulte? s les plus
graves par les nuances de? licates des paroles et des manie`res, et
l'on arrivait rarement a` se heurter ou a` se ce? der, tant on e? vitait
avec soin l'un et l'autre! Les grandes familles avaient aussi
entre elles des pre? tentions jamais de? clare? es et toujours sous eu-
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? DE L ESFI1IT DE COINVERSATION. 59
tendues, et ce vague excitait beaucoup plus la vanite? que des
rangs marque? s n'auraient pu le faire. Il fallait e? tudier tout ce dont se composait l'existence d'un homme ou d'une femme, pour
savoir le genre d'e? gards qu'on leur devait; l'arbitraire , sous
toutes les formes, a toujours e? te? dans les habitudes, les moeurs
et les lois de la France: de la` vient que les Franc? ais ont eu, si
l'on peut s'exprimer ainsi, une si grande pe? danterie de frivolite? ;
les bases principales n'e? tant point affermies, on voulait donner
de la consistance aux moindres de? tails. En Angleterre, on permet l'originalite? aux individus, tant la masse est bien re? gle? e!
En France, il semble que l'esprit d'imitation soit comme un lien
social, et que tout serait en de? sordre si ce lien ne supple? ait pas
a` l'instabilite? des institutions.
En Allemagne, chacun est a` son rang, a` sa place, comme a`
son poste, et l'on n'a pas besoin de tournures habiles, depa-
renthe`ses, de demi-mots, pour exprimer les avantages de nais-
sance ou de titre que l'on se croit sur son voisin. La bonne compagnie, en Allemagne, c'est la cour; en France, c'e? taient
tous ceux qui pouvaient se mettre sur un pied d'e? galite? avec elle,
et tous pouvaient l'espe? rer, et tous aussi pouvaient craindre de
n'y jamais parvenir. Il en re? sultait que chacun voulait avoir les
manie`res de cette socie? te? -la`. En Allemagne, un diplo^me vous y
f;<<sait entrer; en France, une faute de gou^t vous en faisait sor-
tir; et l'on e? tait encore plus empresse? de ressembler aux gens du
inonde, que de se distinguer dans ce monde me^me par sa valeur
personnelle.
Une puissance aristocratique, le bon ton et l'e? le? gance, l'em-
portait sur l'e? nergie, la profondeur, la sensibilite? , l'esprit me^me.
Elle disait a` l'e? nergie:-- Vous mettez trop d'inte? re^t aux per-
sonnes et aux choses; -- a` la profondeur: -- Vous me prenez
trop de temps; --a` la sensibilite? : -- Vous e^tes trop exclusive;
--a` l'esprit enfin : -- Vous e^tes une distinction tropindividuelle.
-- Il fallaitdes avantages qui tinssent plus aux manie`res qu'aux
ide? es, et il importait de reconnai^tre dans un homme , pluto^t la
classe dont il e? tait, que le me? rite qu'il posse? dait. Cette espe`ce
d'e? galite? dans l'ine? galite? est tre`s-favorable aux gens me? diocres,
car elle doit ne? cessairement de? truire toute originalite? dans la
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? 60 DE L ESPRIT DE CON VERSATION.
facon do voir et de s'exprimer. Le mode`le choisi est noble,
agre? able et de bon gou^t, mais il est le me^me pour tous. C'est un
point de re? union que ce mode`le; chacun, en s'y conformant, se
croit plus en socie? te?