, au nom de ce
sentiment
e?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
thode de Pestalozzi, comme tout ce qui est vraiment
bon, n'est pas une de? couverte entie`rement nouvelle, mais une
application e? claire? e et perse? ve? rante de ve? rite? s de? ja` connues. La
patience, l'observation, et l'e? tude philosophique des proce? de? s de
l'esprit humain, lui ont fait connai^tre ce qu'il y a d'e? le? mentaire
dans les pense? es, et de successif dans leur de? veloppement; et
il a pousse? plus loin qu'un autre la the? orie et la pratique de la
gradation dans l'enseignement. On a applique? avec succe`s sa
me? thode a` la grammaire, a` la ge? ographie, a` la musique; mais
il serait fort a` de? sirer que les professeurs distingue? s qui ont
adopte? ses principes, les fissent servira` tous les genres de con-
naissances. Celle de l'histoire en particulier n'est pas encore bien
conc? ue. On n'a point observe? la gradation des impressions dans
la litte? rature, comme celle des proble`mes dans les sciences. En-
fin, il reste beaucoup de choses a` faire pour porter au plus haut
point l'e? ducation, c'est-a`-dire, l'art de se placer en arrie`re de
ce qu'on sait pour le faire comprendre aux autres.
Pestalozzi se sert de la ge? ome? trie pour apprendre aux enfants
le calcul arithme? tique; c'e? tait aussi la me? thode des anciens. La
ge? ome? trie parle plus a` l'imagination que les mathe? matiques abs-
traites. C'est bien fait de re? unir autant qu'il est possible la pre? -
cision de l'enseignement a` la vivacite? des impressions, si l'on
veut se rendre mai^tre de l'esprit humain tout entier ; car ce n'est
pas la profondeur me^me de la science, mais l'obscurite? dans la
manie`re de la pre? senter, qui seule peut empe^cher les enfants de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION. ! >S
la saisir: ils comprennent tout de degre? en degre? : l'essentiel
est de mesurer les progre`s sur la marche de la raison dans l'en-
fance. Cette marche lente, mais su^re,conduit aussi loin qu'il
est possible, de`s qu'on s'astreint a` ne la jamais ha^ter. C'est chez Pestalozzi un spectacle attachant et singulier, que
ces visages d'enfants dont les traits arrondis, vagues et de? licats,
prennent naturellement une expression re? fle? chie: ils sont atten-
tifs par eux-me^mes, et conside`rent leurs e? tudes comme un homme
d'un a^ge mu^r s'occuperait de ses propres affaires. Une chose re-
marquable, c'est que ni la punition ni la re? compense ne sont ne? -
cessaires pour les exciter dans leurs travaux. C'est peut-e^tre la
premie`re fois qu'une e? cole de cent cinquante enfants va sans le.
ressopt de l'e? mulation et de la crainte. Combien de mauvais sen-
timents sont e? pargne? s a` l'homme, quand on e? loigne de son coeur la jalousie et l'humiliation, quand il ne voit point dans
ses camarades des rivaux, ni dans ses mai^tres des juges! Rous-
seau voulait soumettre l'enfant a` la loi de la destine? e; Pestalozzi
cre? e lui-me^me cette destine? e, pendant le cours de l'e? ducation
de l'enfant, et dirige ses de? crets pour son bonheur et son per-
fectionnement. L'enfant se sent libre, parce qu'il se plai^t dans l'ordre ge? ne? ral qui l'entoure,et dont l'e? galite? parfaite n'est point
de? range? e me^me par les talents plus ou moins distingue? s de quel-
ques-uns. Il ne s'agit pas la` de succe`s, mais de progre`s vers un
but auquel tous tendent avec une me^me bonne foi. Les e? coliers
deviennent mai^tres quand ils en savent plus que leurs camarades;
les mai^tres redeviennent e? coliers quand ils trouvent quelques
imperfections dans leur me? thode, et recommencent leur propre
e? ducation pour mieux juger des difficulte? s de l'enseignement.
On craint assez ge? ne? ralement que la me? thode de Pestalozzi
n'e? touffe l'imagination, et ne s'oppose a` l'originalite? de l'es-
prit; il est difficile qu'il y ait une e? ducation pour le ge? nie, et
ce n'est gue`re que la nature et le gouvernement qui l'inspirent
ou l'excitent. Mais ce ne peut e^tre un obstacle au ge? nie, que des
connaissances primitives parfaitement claires et su^res; elles
donnent a` l'esprit un genre de fermete? qui lui rend ensuite fa-
ciles toutes les e? tudes les plus hautes. Il faut conside? rer l'e? cole
de Pestalozzi comme borne? e jusqu'a` pre? sent a` l'enfance. L'e? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 94 DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION.
ducation qu'il donne n'est de? finitive que pour les gens du peu-
ple; mais c'est par cela me^me qu'elle peut exercer une influence
tre`s-salutaire sur l'esprit national. L'e? ducation, pour les hom-
mes riches , doit e^tre partage? e en deux e? poques: dans la pre-
mie`re, les enfants sont guide? s par leurs mai^tres; dans la se-
conde, ils s'instruisent volontairement, et cette e? ducation de
choix, c'est dans les grandes universite? s qu'il faut la recevoir.
L'instruction qu'on acquiert chez Pestalozzi donne a` chaque
homme, de quelque classe qu'il soit, une base sur laquelle
il peut ba^tir a` son gre? la chaumie`re du pauvre ou les palais des
rois.
On aurait tort si l'on croyait en France qu'il n'y a rien de bon
a` prendre dans l'e? cole de Pestalozzi, que sa me? thode rapide
pour apprendre a` calculer. Pestalozzi lui-me^me n'est pas mathe? -
maticien; il sait mal les langues; il n'a que le ge? nie et l'ins-
tinct du de? veloppement inte? rieur de l'intelligence des enfants;
il voit quel chemin leur pense? e suit pour arriver au but. Cette
loyaute? de caracte`re, qui re? pand un si noble calme sur les affec-
tions du coeur, Pestalozzi l'a juge? e ne? cessaire aussi dans les
ope? rations de l'esprit. Il pense qu'il y a un plaisir de moralite?
dans des e? tudes comple`tes. En effet, nous voyons sans cesse
que les connaissances superficielles inspirent une sorte d'arro-
gance de? daigneuse, qui fait repousser comme inutile, ou dange-
reux , ou ridicule, tout ce qu'on ne sait pas. Nous voyons aussi
que ces connaissances superficielles obligent a` cacher habile-
ment ce qu'on ignore. La candeur souffre de tous ces de? fauts
d'instruction, dont on ne peut s'empe^cher d'e^tre honteux. Sa-
voir parfaitement ce qu'on sait, donne un repos a` l'esprit, qui
ressemble a` la satisfaction dela conscience. La bonne foi de
Pestalozzi, cette bonne foi porte? e dans la sphe`re de l'intelli-
gence, et qui traite avec les ide? es aussi scrupuleusement qu'a-
vec les hommes, est le principal me? rite de son e? cole; c'est par
la` qu'il rassemble autour de lui des hommes consacre? s au bien-e^tre des enfants d'une fac? on tout a` fait de? sinte? resse? e. Quand,
dans un e? tablissement public, aucun des calculs personnels
des chefs n'est satisfait, il faut chercher le mobile de cet e? ta-
blissement dans leur amour de la vertu : les jouissances qu'elle
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? DE? S INSTITUTIONS D'E? DUCATION. 95
dou ne . peuvent seules se passer de tre? sors et de pouvoir.
On n'imiterait point l'institut de Pestalozzi, en transpor-
tant ailleurs sa me? thode d'enseignement; il faut e? tablir avec elle
la perse? ve? rance dans les mai^tres, la simplicite? dans les e? coliers,
la re? gularite? dans le genre de vie, enfin surtout, les sentiments
religieux qui animent cette e? cole. Les pratiques du culte n'y
sont pas suivies avec plus d'exactitude qu'ailleurs; mais tout
s'y passe au nom de la Divinite?
, au nom de ce sentiment e? leve? ,
noble et pur, qui est la religion habituelle du coeur. La ve? rite? ,
la bonte? , la confiance, l'affection, entourent les enfants; c'est
dans cette atmosphe`re qu'ils vivent, et, pour quelque temps
du moins, ils restent e? trangers a` toutes lespassoins haineuses,
a tous les pre? juge? s orgueilleux du monde. Un e? loquent philo-
sophe, Fichte, a dit qu'il attendait la re? ge? ne? ration de la na-
tion allemande de l'institut de Pestalozzi: il faut convenir au
moins qu'une re? volution fonde? e sur de pareils moyens ne serait
ni violente ni rapide; car l'e? ducation, quelque bonne qu'elle
puisse e^tre, n'est rien en comparaison de l'influence des e? ve? ne-
ments publics : l'instruction perce goutte a` goutte le rocher,
mais le torrent l'enle`ve en un jour. Il faut rendre surtout hommage a` Pestalozzi, pour le soin
qu'il a pris de mettre son institut a` la porte? e des personnes sans
fortune, en re? duisant le prix de sa pension autantqu'il e? tait pos-
sible. Il s'est constamment occupe? dela classe des pauvres, et
veut lui assurer le bienfait des lumie`res pures et de l'instruction
solide. Les ouvrages de Pestalozzi sont, sous ce rapport, une
lecture tre`s-curieuse : il a fait des romans dans lesquels les si-
tuations de la vie des gens du peuple sont peintes avec un inte? -
re^t, une ve? rite? et une moralite? parfaites. Les sentiments qu'il
exprime dans ces e? crits sont, pour ainsi dire, aussi e? le? mentaires
que les principes de sa me? thode. On est e? tonne? de pleurer pour
un mot, pour un de? tail si simple, si vulgaire me^me, que la pro-
fondeur seule des e? motions le rele`ve. Les gens du peuple sont
un e? tat interme? diaire entre les sauvages et les hommes civili-
se? s; quand ils sont vertueux, ils ont un genre d'innocence et
de bonte? qui ne peut se rencontrer dans le monde. La socie? te?
pe`se sur eux, ils luttent avec la nature, et leur confiance en
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? 96 DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION.
Dieu est plus anime? e, plus constante que celle des riches. Sans
cesse menace? s par le malheur, recourant sans cesse a` la prie`re,
inquiets chaque jour, sauve? s chaque soir, les pauvres se sen-
tent sous la main imme? diate de celui qui prote? ge ce que les
hommes ont de? laisse? , et leur probite? , quandils en ont, estsingulie`rement scrupuleuse.
Je me rappelle, dans un roman de Pestalozzi, la restitution
de quelques pommes de terre par un enfant qui les avait vole? es:
sa grand'me`re mourante lui ordonne de les reporter au pro-
prie? taire du jardin ou` il les a prises, et cette sce`ne attendrit
jusqu'au fond du coeur. Ce pauvre crime, si l'on peut s'exprimer
ainsi, causant de tels remords; la solennite? de la mort, a` tra-
vers les mise`res de la vie; la vieillesse et l'enfance rapproche? es
par la voix de Dieu, qui parle e? galement a` l'une et a` l'autre,
tout cela fait mal, et bien mal : cardans nos fictions poe? tiques,
les pompes de la destine? e soulagent un peu de la pitie? que cau-
sent les revers; mais l'on croit voir dans ces romans populaires
une faible lampe e? clairer une petite cabane, et la bonte? de l'a^me
ressort au milieu de toutes les douleurs qui la mettent a` l'e? -
preuve.
L'art du dessin pouvant e^tre conside? re? sous des rapports d'u-
tilite? , l'on peut dire que, parmi les arts d'agre? ment, le seul
introduit dans l'e? cole de Pestalozzi, c'est la musique, et il faut
le louer encore de ce choix. Il y a tout un ordre de sentiments,
je dirais me^me tout un ordre de vertus, qui appartiennent a` la
connaissance, ou-du moins au gou^t dela musique; et c'est une
grande barbarie que de priver de telles impressions une portion
nombreuse de la race humaine. Les anciens pre? tendaient que
les nations avaient e? te? civilise? es par la musique, et cette alle? -
gorie a un sens tre`s-profond; car il faut toujours supposer que
le lien de la socie? te? s'est forme? par la sympathie ou par l'inte? re^t,
et certes la premie`re origine est plus noble que l'autre.
Pestalozzi n'est pas le seul, dans la Suisse allemande , qui
s'occupe avec ze`le de cultiver l'a^me du peuple ; c'est sous ce rapport que l'e? tablissement de M. de Fellemberg m'a frappe? e.
Beaucoup de gens y sont venus chercher de nouvelles lumie`res
sur l'agriculture, et l'on dit qu'a` cet e? gard ils ont e? te? satisfaits;
,-
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? DES INSTITUTIONS D EDUCATION. 97
mais ce qui me? rite principalement l'estime des amis de l'huma-
nite? , c'est le soin que prend M. de Fellemberg de l'e? ducation
des gens du peuple; il fait instruire, selon la me? thode de Pes-
talozzi, les mai^tres d'e? cole des villages, afin qu'ils enseignent
a` leur tour les enfants ; les ouvriers qui labourent ses terres ap-
prennent la musique des psaumes, et biento^t on entendra dans
la campagne les louanges divines chante? es avec des voix simples,
mais harmonieuses, qui ce? le? breront a` la fois la nature et son
auteur. Enfin M. de Fellemberg cherche, par tous les moyens
possibles, a` former entre la classe infe? rieure et la no^tre un lien
libe? ral, un lien qui ne soit pas uniquement fonde? sur les inte? -
re^ts pe? cuniaires des riches et des pauvres.
L'exemple de l'Angleterre etdel'Atne? rique nous apprend qu'il
suffit des institutions libres pour de? velopper l'intelligence et la
sagesse du peuple; mais c'est un pas de plus que de lui donner
par dela` le ne? cessaire, en fait d'instruction. Le ne? cessaire en tout genre a quelque chose de re? voltant quand ce sont les pos-
sesseurs du superflu qui le mesurent. Ce n'est pas assez de s'oc-
cuper des gens du peuple sous un point de vue d'utilite? , il faut
aussi qu'ils participent aux jouissances de l'imagination et du
coeur. C'est dans le me^me esprit que des philanthropes tre`s-
e? claire? s se sont occupe? s de la mendicite? a` Hambourg. Ils n'ont
mis dans leurs e? tablissements de charite? , ni despotisme , ni
spe? culation e? conomique : ils ont voulu que les hommes malheu-
reux souhaitassent eux-me^mes le travail qu'on leur demande ,
autant que les bienfaits qu'on leur accorde. Comme ils ne fai-
saient point des pauvres un moyen, mais un but, ils ne leur ont
pas ordonne? l'occupation, mais ils la leur ont fait de? sirer.
Sans cesse on voit, dans les diffe? rents comptes rendus de ces
e? tablissements de charite? , qu'il importait bien plus a` leurs
fondateurs de rendre les hommes meilleurs que de les rendre
plus utiles; et c'est ce haut point de vue philosophique qui ca-
racte? rise l'esprit de sagesse et de liberte? de cette ancienne ville
anse? a tique.
II y a beaucoup de bienfaisance dans le monde, et celui qui
n'est pas capable de servir ses semblables par le sacrifice de son
temps et de ses penchants, leur fait volontiers du bien avec de
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? 98 LA FE^TE D'INTERLAKRN.
l'argent : c'est toujours quelque chose, et nulle vertu n'est a`
de? daigner. Mais la masse conside? rable des aumo^nes particu-
lie`res n'est point sagement dirige? e dans la plupart des pays, et
l'un des services les plus e? minents que le baron de Voght et ses
excellents compatriotes aient rendus a` l'humanite? , c'est de mon-
trer que, sans nouveaux sacrifices, sans que l'E? tat intervi^nt, la
bienfaisance particulie`re suffisait au soulagement du malheur.
Ce qui s'ope`re par les individus convient singulie`rement a` l'Al-
lemagne, ou` chaque chose, prise se? pare? ment, vaut mieux que
l'ensemble.
Les entreprises charitables doivent prospe? rer dans la ville de
Hambourg; il y a tant de moralite? parmi ses habitants , que
pendant longtemps on y a paye? les impo^ts dans une espe`ce de
tronc, sans que jamais personne surveilla^t ce qu'on y portait;
ces impo^ts devaient e^tre proportionne? s a` la fortune de chacun ,
et, calcul fait, ils ont toujours e? te? scrupuleusement acquitte? s.
Ne croit-on pas raconter un trait de l'a^ge d'or, si toutefois, dans
l'a^ge d'or, il y avait des richesses prive? es et des impo^ts publics?
On ne saurait assez admirer combien, sous le rapport de l'en-
seignement comme sous celui de l'administration, la bonne foi
rend tout facile. On devrait bien lui accorder tous les honneurs
qu'obtient l'habilete? ; car en re? sultat elle s'entend mieux me^me
aux affaires de ce monde.
CHAPITRE XX.
La fe^te d'Interlaken.
Il faut attribuer au caracte`re germanique une grande partie
des vertus de la Suisse allemande. Ne? anmoins il y a plus d'es-
prit public en Suisse qu'en Allemagne, plus de patriotisme,
plus d'e? nergie, plus d'accord dans les opinions et les sentiments;
mais aussi la petitesse des E? tats et la pauvrete?
bon, n'est pas une de? couverte entie`rement nouvelle, mais une
application e? claire? e et perse? ve? rante de ve? rite? s de? ja` connues. La
patience, l'observation, et l'e? tude philosophique des proce? de? s de
l'esprit humain, lui ont fait connai^tre ce qu'il y a d'e? le? mentaire
dans les pense? es, et de successif dans leur de? veloppement; et
il a pousse? plus loin qu'un autre la the? orie et la pratique de la
gradation dans l'enseignement. On a applique? avec succe`s sa
me? thode a` la grammaire, a` la ge? ographie, a` la musique; mais
il serait fort a` de? sirer que les professeurs distingue? s qui ont
adopte? ses principes, les fissent servira` tous les genres de con-
naissances. Celle de l'histoire en particulier n'est pas encore bien
conc? ue. On n'a point observe? la gradation des impressions dans
la litte? rature, comme celle des proble`mes dans les sciences. En-
fin, il reste beaucoup de choses a` faire pour porter au plus haut
point l'e? ducation, c'est-a`-dire, l'art de se placer en arrie`re de
ce qu'on sait pour le faire comprendre aux autres.
Pestalozzi se sert de la ge? ome? trie pour apprendre aux enfants
le calcul arithme? tique; c'e? tait aussi la me? thode des anciens. La
ge? ome? trie parle plus a` l'imagination que les mathe? matiques abs-
traites. C'est bien fait de re? unir autant qu'il est possible la pre? -
cision de l'enseignement a` la vivacite? des impressions, si l'on
veut se rendre mai^tre de l'esprit humain tout entier ; car ce n'est
pas la profondeur me^me de la science, mais l'obscurite? dans la
manie`re de la pre? senter, qui seule peut empe^cher les enfants de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION. ! >S
la saisir: ils comprennent tout de degre? en degre? : l'essentiel
est de mesurer les progre`s sur la marche de la raison dans l'en-
fance. Cette marche lente, mais su^re,conduit aussi loin qu'il
est possible, de`s qu'on s'astreint a` ne la jamais ha^ter. C'est chez Pestalozzi un spectacle attachant et singulier, que
ces visages d'enfants dont les traits arrondis, vagues et de? licats,
prennent naturellement une expression re? fle? chie: ils sont atten-
tifs par eux-me^mes, et conside`rent leurs e? tudes comme un homme
d'un a^ge mu^r s'occuperait de ses propres affaires. Une chose re-
marquable, c'est que ni la punition ni la re? compense ne sont ne? -
cessaires pour les exciter dans leurs travaux. C'est peut-e^tre la
premie`re fois qu'une e? cole de cent cinquante enfants va sans le.
ressopt de l'e? mulation et de la crainte. Combien de mauvais sen-
timents sont e? pargne? s a` l'homme, quand on e? loigne de son coeur la jalousie et l'humiliation, quand il ne voit point dans
ses camarades des rivaux, ni dans ses mai^tres des juges! Rous-
seau voulait soumettre l'enfant a` la loi de la destine? e; Pestalozzi
cre? e lui-me^me cette destine? e, pendant le cours de l'e? ducation
de l'enfant, et dirige ses de? crets pour son bonheur et son per-
fectionnement. L'enfant se sent libre, parce qu'il se plai^t dans l'ordre ge? ne? ral qui l'entoure,et dont l'e? galite? parfaite n'est point
de? range? e me^me par les talents plus ou moins distingue? s de quel-
ques-uns. Il ne s'agit pas la` de succe`s, mais de progre`s vers un
but auquel tous tendent avec une me^me bonne foi. Les e? coliers
deviennent mai^tres quand ils en savent plus que leurs camarades;
les mai^tres redeviennent e? coliers quand ils trouvent quelques
imperfections dans leur me? thode, et recommencent leur propre
e? ducation pour mieux juger des difficulte? s de l'enseignement.
On craint assez ge? ne? ralement que la me? thode de Pestalozzi
n'e? touffe l'imagination, et ne s'oppose a` l'originalite? de l'es-
prit; il est difficile qu'il y ait une e? ducation pour le ge? nie, et
ce n'est gue`re que la nature et le gouvernement qui l'inspirent
ou l'excitent. Mais ce ne peut e^tre un obstacle au ge? nie, que des
connaissances primitives parfaitement claires et su^res; elles
donnent a` l'esprit un genre de fermete? qui lui rend ensuite fa-
ciles toutes les e? tudes les plus hautes. Il faut conside? rer l'e? cole
de Pestalozzi comme borne? e jusqu'a` pre? sent a` l'enfance. L'e? -
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ducation qu'il donne n'est de? finitive que pour les gens du peu-
ple; mais c'est par cela me^me qu'elle peut exercer une influence
tre`s-salutaire sur l'esprit national. L'e? ducation, pour les hom-
mes riches , doit e^tre partage? e en deux e? poques: dans la pre-
mie`re, les enfants sont guide? s par leurs mai^tres; dans la se-
conde, ils s'instruisent volontairement, et cette e? ducation de
choix, c'est dans les grandes universite? s qu'il faut la recevoir.
L'instruction qu'on acquiert chez Pestalozzi donne a` chaque
homme, de quelque classe qu'il soit, une base sur laquelle
il peut ba^tir a` son gre? la chaumie`re du pauvre ou les palais des
rois.
On aurait tort si l'on croyait en France qu'il n'y a rien de bon
a` prendre dans l'e? cole de Pestalozzi, que sa me? thode rapide
pour apprendre a` calculer. Pestalozzi lui-me^me n'est pas mathe? -
maticien; il sait mal les langues; il n'a que le ge? nie et l'ins-
tinct du de? veloppement inte? rieur de l'intelligence des enfants;
il voit quel chemin leur pense? e suit pour arriver au but. Cette
loyaute? de caracte`re, qui re? pand un si noble calme sur les affec-
tions du coeur, Pestalozzi l'a juge? e ne? cessaire aussi dans les
ope? rations de l'esprit. Il pense qu'il y a un plaisir de moralite?
dans des e? tudes comple`tes. En effet, nous voyons sans cesse
que les connaissances superficielles inspirent une sorte d'arro-
gance de? daigneuse, qui fait repousser comme inutile, ou dange-
reux , ou ridicule, tout ce qu'on ne sait pas. Nous voyons aussi
que ces connaissances superficielles obligent a` cacher habile-
ment ce qu'on ignore. La candeur souffre de tous ces de? fauts
d'instruction, dont on ne peut s'empe^cher d'e^tre honteux. Sa-
voir parfaitement ce qu'on sait, donne un repos a` l'esprit, qui
ressemble a` la satisfaction dela conscience. La bonne foi de
Pestalozzi, cette bonne foi porte? e dans la sphe`re de l'intelli-
gence, et qui traite avec les ide? es aussi scrupuleusement qu'a-
vec les hommes, est le principal me? rite de son e? cole; c'est par
la` qu'il rassemble autour de lui des hommes consacre? s au bien-e^tre des enfants d'une fac? on tout a` fait de? sinte? resse? e. Quand,
dans un e? tablissement public, aucun des calculs personnels
des chefs n'est satisfait, il faut chercher le mobile de cet e? ta-
blissement dans leur amour de la vertu : les jouissances qu'elle
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE? S INSTITUTIONS D'E? DUCATION. 95
dou ne . peuvent seules se passer de tre? sors et de pouvoir.
On n'imiterait point l'institut de Pestalozzi, en transpor-
tant ailleurs sa me? thode d'enseignement; il faut e? tablir avec elle
la perse? ve? rance dans les mai^tres, la simplicite? dans les e? coliers,
la re? gularite? dans le genre de vie, enfin surtout, les sentiments
religieux qui animent cette e? cole. Les pratiques du culte n'y
sont pas suivies avec plus d'exactitude qu'ailleurs; mais tout
s'y passe au nom de la Divinite?
, au nom de ce sentiment e? leve? ,
noble et pur, qui est la religion habituelle du coeur. La ve? rite? ,
la bonte? , la confiance, l'affection, entourent les enfants; c'est
dans cette atmosphe`re qu'ils vivent, et, pour quelque temps
du moins, ils restent e? trangers a` toutes lespassoins haineuses,
a tous les pre? juge? s orgueilleux du monde. Un e? loquent philo-
sophe, Fichte, a dit qu'il attendait la re? ge? ne? ration de la na-
tion allemande de l'institut de Pestalozzi: il faut convenir au
moins qu'une re? volution fonde? e sur de pareils moyens ne serait
ni violente ni rapide; car l'e? ducation, quelque bonne qu'elle
puisse e^tre, n'est rien en comparaison de l'influence des e? ve? ne-
ments publics : l'instruction perce goutte a` goutte le rocher,
mais le torrent l'enle`ve en un jour. Il faut rendre surtout hommage a` Pestalozzi, pour le soin
qu'il a pris de mettre son institut a` la porte? e des personnes sans
fortune, en re? duisant le prix de sa pension autantqu'il e? tait pos-
sible. Il s'est constamment occupe? dela classe des pauvres, et
veut lui assurer le bienfait des lumie`res pures et de l'instruction
solide. Les ouvrages de Pestalozzi sont, sous ce rapport, une
lecture tre`s-curieuse : il a fait des romans dans lesquels les si-
tuations de la vie des gens du peuple sont peintes avec un inte? -
re^t, une ve? rite? et une moralite? parfaites. Les sentiments qu'il
exprime dans ces e? crits sont, pour ainsi dire, aussi e? le? mentaires
que les principes de sa me? thode. On est e? tonne? de pleurer pour
un mot, pour un de? tail si simple, si vulgaire me^me, que la pro-
fondeur seule des e? motions le rele`ve. Les gens du peuple sont
un e? tat interme? diaire entre les sauvages et les hommes civili-
se? s; quand ils sont vertueux, ils ont un genre d'innocence et
de bonte? qui ne peut se rencontrer dans le monde. La socie? te?
pe`se sur eux, ils luttent avec la nature, et leur confiance en
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? 96 DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION.
Dieu est plus anime? e, plus constante que celle des riches. Sans
cesse menace? s par le malheur, recourant sans cesse a` la prie`re,
inquiets chaque jour, sauve? s chaque soir, les pauvres se sen-
tent sous la main imme? diate de celui qui prote? ge ce que les
hommes ont de? laisse? , et leur probite? , quandils en ont, estsingulie`rement scrupuleuse.
Je me rappelle, dans un roman de Pestalozzi, la restitution
de quelques pommes de terre par un enfant qui les avait vole? es:
sa grand'me`re mourante lui ordonne de les reporter au pro-
prie? taire du jardin ou` il les a prises, et cette sce`ne attendrit
jusqu'au fond du coeur. Ce pauvre crime, si l'on peut s'exprimer
ainsi, causant de tels remords; la solennite? de la mort, a` tra-
vers les mise`res de la vie; la vieillesse et l'enfance rapproche? es
par la voix de Dieu, qui parle e? galement a` l'une et a` l'autre,
tout cela fait mal, et bien mal : cardans nos fictions poe? tiques,
les pompes de la destine? e soulagent un peu de la pitie? que cau-
sent les revers; mais l'on croit voir dans ces romans populaires
une faible lampe e? clairer une petite cabane, et la bonte? de l'a^me
ressort au milieu de toutes les douleurs qui la mettent a` l'e? -
preuve.
L'art du dessin pouvant e^tre conside? re? sous des rapports d'u-
tilite? , l'on peut dire que, parmi les arts d'agre? ment, le seul
introduit dans l'e? cole de Pestalozzi, c'est la musique, et il faut
le louer encore de ce choix. Il y a tout un ordre de sentiments,
je dirais me^me tout un ordre de vertus, qui appartiennent a` la
connaissance, ou-du moins au gou^t dela musique; et c'est une
grande barbarie que de priver de telles impressions une portion
nombreuse de la race humaine. Les anciens pre? tendaient que
les nations avaient e? te? civilise? es par la musique, et cette alle? -
gorie a un sens tre`s-profond; car il faut toujours supposer que
le lien de la socie? te? s'est forme? par la sympathie ou par l'inte? re^t,
et certes la premie`re origine est plus noble que l'autre.
Pestalozzi n'est pas le seul, dans la Suisse allemande , qui
s'occupe avec ze`le de cultiver l'a^me du peuple ; c'est sous ce rapport que l'e? tablissement de M. de Fellemberg m'a frappe? e.
Beaucoup de gens y sont venus chercher de nouvelles lumie`res
sur l'agriculture, et l'on dit qu'a` cet e? gard ils ont e? te? satisfaits;
,-
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? DES INSTITUTIONS D EDUCATION. 97
mais ce qui me? rite principalement l'estime des amis de l'huma-
nite? , c'est le soin que prend M. de Fellemberg de l'e? ducation
des gens du peuple; il fait instruire, selon la me? thode de Pes-
talozzi, les mai^tres d'e? cole des villages, afin qu'ils enseignent
a` leur tour les enfants ; les ouvriers qui labourent ses terres ap-
prennent la musique des psaumes, et biento^t on entendra dans
la campagne les louanges divines chante? es avec des voix simples,
mais harmonieuses, qui ce? le? breront a` la fois la nature et son
auteur. Enfin M. de Fellemberg cherche, par tous les moyens
possibles, a` former entre la classe infe? rieure et la no^tre un lien
libe? ral, un lien qui ne soit pas uniquement fonde? sur les inte? -
re^ts pe? cuniaires des riches et des pauvres.
L'exemple de l'Angleterre etdel'Atne? rique nous apprend qu'il
suffit des institutions libres pour de? velopper l'intelligence et la
sagesse du peuple; mais c'est un pas de plus que de lui donner
par dela` le ne? cessaire, en fait d'instruction. Le ne? cessaire en tout genre a quelque chose de re? voltant quand ce sont les pos-
sesseurs du superflu qui le mesurent. Ce n'est pas assez de s'oc-
cuper des gens du peuple sous un point de vue d'utilite? , il faut
aussi qu'ils participent aux jouissances de l'imagination et du
coeur. C'est dans le me^me esprit que des philanthropes tre`s-
e? claire? s se sont occupe? s de la mendicite? a` Hambourg. Ils n'ont
mis dans leurs e? tablissements de charite? , ni despotisme , ni
spe? culation e? conomique : ils ont voulu que les hommes malheu-
reux souhaitassent eux-me^mes le travail qu'on leur demande ,
autant que les bienfaits qu'on leur accorde. Comme ils ne fai-
saient point des pauvres un moyen, mais un but, ils ne leur ont
pas ordonne? l'occupation, mais ils la leur ont fait de? sirer.
Sans cesse on voit, dans les diffe? rents comptes rendus de ces
e? tablissements de charite? , qu'il importait bien plus a` leurs
fondateurs de rendre les hommes meilleurs que de les rendre
plus utiles; et c'est ce haut point de vue philosophique qui ca-
racte? rise l'esprit de sagesse et de liberte? de cette ancienne ville
anse? a tique.
II y a beaucoup de bienfaisance dans le monde, et celui qui
n'est pas capable de servir ses semblables par le sacrifice de son
temps et de ses penchants, leur fait volontiers du bien avec de
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? 98 LA FE^TE D'INTERLAKRN.
l'argent : c'est toujours quelque chose, et nulle vertu n'est a`
de? daigner. Mais la masse conside? rable des aumo^nes particu-
lie`res n'est point sagement dirige? e dans la plupart des pays, et
l'un des services les plus e? minents que le baron de Voght et ses
excellents compatriotes aient rendus a` l'humanite? , c'est de mon-
trer que, sans nouveaux sacrifices, sans que l'E? tat intervi^nt, la
bienfaisance particulie`re suffisait au soulagement du malheur.
Ce qui s'ope`re par les individus convient singulie`rement a` l'Al-
lemagne, ou` chaque chose, prise se? pare? ment, vaut mieux que
l'ensemble.
Les entreprises charitables doivent prospe? rer dans la ville de
Hambourg; il y a tant de moralite? parmi ses habitants , que
pendant longtemps on y a paye? les impo^ts dans une espe`ce de
tronc, sans que jamais personne surveilla^t ce qu'on y portait;
ces impo^ts devaient e^tre proportionne? s a` la fortune de chacun ,
et, calcul fait, ils ont toujours e? te? scrupuleusement acquitte? s.
Ne croit-on pas raconter un trait de l'a^ge d'or, si toutefois, dans
l'a^ge d'or, il y avait des richesses prive? es et des impo^ts publics?
On ne saurait assez admirer combien, sous le rapport de l'en-
seignement comme sous celui de l'administration, la bonne foi
rend tout facile. On devrait bien lui accorder tous les honneurs
qu'obtient l'habilete? ; car en re? sultat elle s'entend mieux me^me
aux affaires de ce monde.
CHAPITRE XX.
La fe^te d'Interlaken.
Il faut attribuer au caracte`re germanique une grande partie
des vertus de la Suisse allemande. Ne? anmoins il y a plus d'es-
prit public en Suisse qu'en Allemagne, plus de patriotisme,
plus d'e? nergie, plus d'accord dans les opinions et les sentiments;
mais aussi la petitesse des E? tats et la pauvrete?