Ou
croit parvenir a` comprendre l'univers comme l'espace, en ren-
versant toujours les barrie`res, en reculant les difficulte?
croit parvenir a` comprendre l'univers comme l'espace, en ren-
versant toujours les barrie`res, en reculant les difficulte?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
rite?
de jugement qui ne se perdent jamais.
Fichte est dans les ide? es abstraites une te^te mathe? matique
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? 43S DES PHILOSOPHES ALLEHAM>S.
comme E"ler ou la Grange. Il me? prise singulie`rement toutes
les expressions un peu substantielles: l'existence est de? ja` un
mot trop prononce? pour lui. L'e^tre, le principe, l'essence, sont
a` peine des paroles assez e? the? re? es pour indiquer les subtiles
nuances de ses opinions. On dirait qu'il craint le contact des
choses re? elles, et qu'il tend toujours a` y e? chapper. A force de le
lire ou de s'entretenir avec lui, l'on perd la conscience de ce
monde, et l'on a besoin, comme les ombres que nous peint
Home`re, de rappeler en soi les souvenirs de la vie.
Le mate? rialisme absorbe l'a^me en la de? gradant; l'ide? alisme
de Fichte,a` force de l'exalter, la se? pare de la nature. Dans l'un
et l'autre extre^me, le sentiment, qui est la ve? ritable beaute? de
l'existence, n'a point le rang qu'il me? rite.
Schelling a bien plus de connaissance de la nature et des
beaux-arts que Fichte; et son imagination pleine de vie ne sau-
rait se contenter des ide? es abstraites; mais, de me^me que Fichte,
il a pour but de re? duire l'existence a` un seul principe. Il traite
avec un profond de? dain tous les philosophes qui en admettent
deux; et il ne veut accorder le nom de philosophie qu'au sys-
te`me dans lequel tout s'enchai^ne, et qui explique tout. Certaine-
ment il a raison d'affirmer que celui-la` serait le meilleur, mais
ou` est-il? Schelling pre? tend que rien n'est plus absurde que cette
expression commune? ment rec? ue: la philosophie de Platon, la
philosophie d'Aristote. Dirait-on la ge? ome? trie d'Euler, la ge? ome? -
trie de la Grange? Il n'y a qu'une philosophie, selon l'opinion de
Schelling, ou il n'y en a point. Certes, si l'on n'entendait par
philosophie que le mot de l'e? nigme de l'univers, on pourrait dire
avec ve? rite? qu'il n'y a point de philosophie.
Le syste`me de Kant parut insuffisant a` Schelling comme a`
Fichte, parce qu'il reconnai^t deux natures, deux sources de nos
ide? es, les objets exte? rieurs et les faculte? s de l'a^me. Mais pour
arriver a` cette unite? tant de? sire? e, pour se de? barrasser de cette
double vie physique et morale, qui de? plai^t tant aux partisans des
ide? es absolues, Schelling rapporte tout a` la nature, tandis queFichte fait tout ressortir de l'a^me. Fichte ne voit dans la nature
que l'oppose? de l'a^me: elle n'est a` ses yeux qu'une limite ou
qu'une chai^ne, dont il faut travailler sans cesse a` se de? gager. Le
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? DES PHILOSOPHES ALLEMANDS. 439
syste`me de Schelling repose et charme davantage l'imagination, ne? anmoins il rentre ne? cessairement dans celui de Spinosa ; mais,
au lieu de faire descendre l'a^me jusqu'a` la matie`re, comme cela
s'est pratique? de nos jours, Schelling ta^che d'e? lever la matie`re
jusqu'a` l'a^me; et quoique sa the? orie de? pende en entier de la na-
ture physique, elle est cependant tre`s-ide? aliste dans le fond, et
plus encore dans la forme.
L'ide? al et le re? el tiennent, dans son langage, la place de l'in-
telligence et de la matie`re, de l'imagination et de l'expe? rience;
et c'est dans la re? union de ces deux puissances en une harmouie
oomple`te que consiste, selon lui, le principe unique et absolu
de l'univers organise? . Cette harmonie, dont les deux po^les et le
centre sont l'image, et qui est renferme? e dans le nombre trois,
de tout temps si myste? rieux, fournit a` Schelling les applications
les plus inge? nieuses. Il croit la retrouver dans les beaux-arts
comme dans la nature, et ses ouvrages sur les sciences physiques
sont estime? s me^me des savants, qui ne conside`rent que les faits
et les re? sultats. Enfin, dans l'examen de l'a^me, il cherche a`
de? montrer comment les sensations et les conceptions intellec-
tuelles se confondent dans le sentiment qui re? unit ce qu'il y a
d'involontaire et de re? fle? chi dans les unes et dans les autres, et
contient ainsi tout le myste`re de la vie.
Ce qui inte? resse surtout dans ces syste`mes, ce sont leurs de? ve-
loppements. La base premie`re de la pre? tendue explication du
monde est e? galement vraie comme e? galement fausse dans la
plupart des the? ories, car toutes sont comprises dans l'immense
pense? e qu'elles veulent embrasser; mais dansl'application aux
chosesde ce monde , ces the? ories sont tre`s-spirituelles, et re? -
paudeut souvent de grandes lumie`res sur plusieurs objets en par-
ticulier.
Schelling s'approche beaucoup, on ne saurait le nier, des
philosophes appele? s panthe? istes, c'est-a`-dire, de ceux qui ac-
cordent a` la nature les attributs dela Divinite? . Mais ce qui le
distingue, c'est l'e? tonnante sagacite? avec laquelle il a su rallier
a` sa doctrine les sciences et les arts ; il instruit, il donne a` penser
dans chacune de ses observations, et la profondeur de son es-
prit e? tonne, surtout quand il ne pre? tend pas l'appliquer au secret
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? 440 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
de l'univers; car aucun homme ne peut atteindre a` un genre de
supe? riorite? qui ne saurait exister entre des e^tres de la me^me es-
pe`ce, a` quelque distance qu'ils soient l'un de l'autre.
Pour conserver des ide? es religieuses au milieu de l'apothe? ose
de la nature, l'e? cole de Schelling suppose que l'individu pe? rit
en nous, mais que les qualite? s intimes que nous posse? dons
rentrent dans le grand tout de la cre? ation e? ternelle. Cette im-
mortalite? -la` ressemble terriblement a` la mort; car la mort
physique elle-me^me n'est autre chose que la nature universelle
qui se ressaisit des dons qu'elle avait faits a` l'individu. Schelling tire de son syste`me des conclusions tre`s-nobles sur
la ne? cessite? de cultiver dans notre a^me les qualite? s immortelles,
celles qui sont en relation avec l'univers, etde me? priseren nous-me^mes tout ce qui ne tient qu'a` nos circonstances. Mais les affec-
tions du coeur et la conscience elle-me^me ne sont-elles pas atta-
che? es aux rapports de cette vie ? Nous e? prouvons dansla plupart des
situations deux mouvements tout a` fait distincts, celui qui nous
unit a` l'ordre ge? ne? ral, et celui qui nous rame`ne a` nos inte? re^ts particuliers; le sentiment du devoir, et la personnalite? . Le plus
noble de ces deux mouvements, c'est l'universel. Mais c'est pre? ci-
se? ment parce que nous avons un instinct conservateur de l'exis-
tence, qu'il est beau dela sacrifier; c'est parce que nous sommes
des e^tres concentre? s en nous-me^mes, que notre attraction vers
l'ensembleest ge? ne? reuse; enfm , c'est parce que nous subsistons
individuellement et se? pare? ment que nous pouvons nous choisir
et nous aimer les uns et les autres : que serait donc cette immor-
talite? abstraite qui nous de? pouillerait de nos souvenirs les plus
chers comme de modifications accidentelles?
Voulez-vous, disent-ils en Allemagne, ressusciter avec toutes
vos circonstances actuelles, renai^tre baron ou marquis? -- Non
sans doute; mais qui ne voudrait pas renai^tre fille et me`re, et
comment serait-on soi si l'on ne ressentait plus les me^mes ami-
tie? s! Les vagues ide? es de re? union avec la nature de? truisent a` la
longue l'empire de la religion sur les a^mes, car la religion s'a-
dresse a` chacun de nous en particulier. La Providence nous
prote? ge dans tous les de? tails de notre sort. Le christianisme se
proportionne a` tous les esprits, et re? pond comme un confident
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? DES PHILOSOPHES ALLEMANDS. 441
aux besoinsindividuels de notre coeur. Le panthe? isme, au con-
traire , c'est-a`-dire la nature divinise? e, a` force d'inspirer de la
religion pour tout, la disperse sur l'univers, et ne la concentre
point en nous-me^mes.
Ce syste`me a eu dans tous les temps beaucoup de partisans
parmi les philosophes. La pense? e tend toujoursa` se ge? ne? raliser de
plus en plus, et l'on prend quelquefois pour une ide? e nouvelle
ce travail de l'esprit qui s'en va toujours o^tant ses homes.
Ou
croit parvenir a` comprendre l'univers comme l'espace, en ren-
versant toujours les barrie`res, en reculant les difficulte? s sans les
re? soudre, et l'on n'approche pas davantage ainsi de l'infini. Le sentiment seul nous le re? ve`le sans nous l'expliquer.
Ce qui est vraiment admirable dans la philosophie allemande,
c'est l'examen qu'elle nous fait faire de nous-me^mes; elle re-
monte jusqu'a` l'origine dela volonte? , jusqu'a` cette source in-
connue du fleuve de notre vie ; et c'est la` que, pe? ne? trant dans les
secrets les plus intimes de la douleur et de la foi, elle nous e? claire
etnous affermit. Mais tous les syste`mes qui aspirent a` l'explication
de l'univers ne peuvent gue`re e^tre analyse? s clairement paraucuue
parole : les mots ne sont pas propres a` ce genre d'ide? es, et il en
re? sulte que, pour les y faire servir, on re? pand sur toutes choses
l'obscurite? qui pre? ce? da la cre? ation, mais non la lumie`re qui l'a
suivie. Les expressions scientifiques prodigue? es sur un sujet au-
quel tout le monde croit avoir des droits re? voltent l'amour-pro-
pre. Ces e? crits si difficiles a` comprendre pre^tent, quelque se? -
rieux qu'on soit, a` la plaisanterie, car il y a toujours des me? -
prises dans les te? ne`bres. L'on se plai^t a` re? duire a` quelques asser-
tions principales et faciles a` combattre, cette foule de nuances et
de restrictions qui paraissent toutes sacre? es a` l'auteur, mais que
biento^t les profanes oublient ou confondent.
Les Orientaux ont e? te? de tout temps ide? alistes, et l'Asie ne
ressemble en rien au midi de l'Europe. L'exce`s de la chaleur
porte dans l'Orient a` la contemplation, comme l'exce`s du froid
dans le Nord. Les syste`mes religieux de l'Inde sont tre`s-me? lan-
coliques, et tre`s-spiritualistes, tandis que les peuples du midi de
l'Europe ont toujours eu du penchant pour un paganisme assez
mate? riel. Les savants anglais qui ont voyage? dans l'Inde ont
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? 442 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
fait de profondes recherches sur l'Asie : et des Allemands, qui
n'avaient pas, comme les princes de la mer, les occasions de
s'instruire parleurs propres yeux, sont arrive? s, avec l'unique
secours de l'e? tude, a` des de? couvertes tre`s-inte? ressantes sur la
religion, la litte? rature et les langues des nations asiatiques; ils
sont porte? s a` croire, d'apre`s plusieurs indices, que des lumie`res
surnaturelles ont e? claire? jadis les peuples de ces contre? es, et
qu'il en est reste? des traces ineffac? ables. La philosophie des In-
diens ne peut e^tre bien comprise que parles ide? alistes allemands:
les rapports d'opinion les aident a` la concevoir.
Fre? de? ric Schlegel, non content de savoir presque toutes les
langues de l'Europe, a consacre? des travaux inoui? s a` la connais-
sance de ce pays, berceau du monde. L'ouvrage qu'il vient de
publier sur la langue et la philosophie des Indiens, contient
des vues profondes et des connaissances positives qui doivent
fixer l'attention des hommes e? claire? s de l'Europe. Il croit, et
plusieurs philosophes, au nombre desquels il faut compter
Bailly, ont soutenu la me^me opinion, qu'un peuple primitifa
occupe? quelques parties de la terre, et particulie`rement l'Asie,
dans une e? poque ante? rieure a` tous les documents de l'histoire.
Fre? de? ric Schlegel trouve des traces de ce peuple dans la culture
intellectuelle des nations et dans la formation des langues. Il
remarque une ressemblance extraordinaire entre les ide? es prin-
cipales , et me^me les mots qui les expriment chez plusieurs peu-
ples du monde, alors me^me que, d'apre`s ce que nous connais-
sons de l'histoire, ils n'ont jamais eu de rapport entre eux.
Fre? de? ric Schlegel n'admet point dans ses e? crits la supposition
assez ge? ne? ralement rec? ue, que les hommes ont commence? par
l'e? tat sauvage, et que les besoins mutuels ont forme? les langues
par degre? s. C'est donner une origine bien grossie`re au de? velop-
pement de l'esprit et de l'a^me, que de l'attribuer ainsi a` notre
nature animale, et la raison combat cette hypothe`se que l'ima-
gination repousse.
On ne conc? oit point par quelle gradation il serait possible
d'arriver du cri sauvage a` la perfection de la langue grecque;
l'on dirait que dans les progre`s ne? cessaires pour parcourir cette
dislance infmie, il faudrait que chaque pas franchi^t un abime;
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? DES PHILOSOIM1ES ALLEMANDS. . |43
nous voyons de nosjours que les sauvages ne se civilisent jamais
d'eux-me^mes, et que ce sont les nations voisines qui leur ensei-
gnent avec grande peine ce qu'ils ignorent. On est donc bien
tente? de croire que le peuple primitif a e? te? l'instituteur du genre
humain; et ce peuple, qui l'a forme? , si ce n'est une re? ve? lation?
Toutes les nations ont exprime? de tout temps des regrets sur la perte d'un e? tat heureux qui pre? ce? dait l'e? poque ou` elles se trou-
vaient: d'ou` vient cette ide? e si ge? ne? ralement re? pandue? dira-t-on
que c'est une erreur? Les erreurs universelles sont toujours fon-
de? es sur quelques ve? rite? s alte? re? es, de? figure? es peut-e^tre, mais qui
avaient pour base des faits cache? s dans la nuit des temps, ou
quelques forces myste? rieuses de la nature.
Ceux qui attribuent la civilisation du genre humain aux be-
soins physiques qui ont re? uni les hommes entre eux , explique-
ront difficilement comment il arrive que la culture morale des
peuples les plus anciens est plus poe? tique, plus favorable aux
beaux-arts, plus noblement inutile enfin, sous les rapports ma-
te? riels, que ne le sont les raffinements de la civilisation moderne.
La philosophie des Indiens est ide? aliste, et leur religion mysti-
que: ce n'est certes pas le besoin de maintenir l'ordre dans la
socie? te? qui a donne? naissance a` cette philosophie ni a` cette reli-
gion.
La poe? sie presque partout a pre? ce? de? la prose, et l'introduction
des me`tres, du rhythme, de l'harmonie, est ante? rieure a` la pre? -
cision rigoureuse, et par conse? quent a` l'utile emploi des lan-
gues. L'astronomie n'a pas e? te? e? tudie? e seulement pour servir a`
l'agriculture; mais les Chalde? ens, les E? gyptiens, etc. , ont
pousse? leurs recherches fort au dela` des avantages pratiques
qu'on pouvait en retirer, et l'on croit voir l'amour du ciel et le
culte du temps, dans ces observations si profondes et si exactes
sur les divisions de l'anne? e, le cours des astres et les pe? riodes
de leur jonction.
Les rois, chez les Chinois, e? taient les premiers astronomes
de leur pays; ils passaient les nuits a` contempler la marche des
e? toiles, et leur dignite? royale consistait dans ces belles connais-
sances , et dans ces occupations de? sinte? resse? es qui les e? levaient
au-dessus du vulgaire, l. e magnifique syste`me qui donne a` la
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? 444 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
civilisation pour origine une re? ve? lation religieuse, est appuye?
par une e? rudition dont les partisans des opinions mate? rialistes
sont rarement capables; c'est e^tre de? ja` presque ide? aliste que de
se vouer entie`rement a` l'e? tude.
Les Allemands, accoutume? s a` re? fle? chir profonde? ment et so-
litairement, pe? ne`trent si avant dans la ve? rite? , qu'il faut e^tre, ce
me semble, un ignorant ou un fat, pour de? daigner aucun de
leurs e? crits avant de s'en e^tre longtemps occupe? . Il y avait autre-
fois beaucoup d'erreurs et de superstitions qui tenaient au man-
que de connaissances; mais quand, avec les lumie`res de notre
temps et d'immenses travaux individuels, on e? nonce des opi-
nions hors du cercle des expe? riences communes, il faut s'en
re?
Fichte est dans les ide? es abstraites une te^te mathe? matique
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 43S DES PHILOSOPHES ALLEHAM>S.
comme E"ler ou la Grange. Il me? prise singulie`rement toutes
les expressions un peu substantielles: l'existence est de? ja` un
mot trop prononce? pour lui. L'e^tre, le principe, l'essence, sont
a` peine des paroles assez e? the? re? es pour indiquer les subtiles
nuances de ses opinions. On dirait qu'il craint le contact des
choses re? elles, et qu'il tend toujours a` y e? chapper. A force de le
lire ou de s'entretenir avec lui, l'on perd la conscience de ce
monde, et l'on a besoin, comme les ombres que nous peint
Home`re, de rappeler en soi les souvenirs de la vie.
Le mate? rialisme absorbe l'a^me en la de? gradant; l'ide? alisme
de Fichte,a` force de l'exalter, la se? pare de la nature. Dans l'un
et l'autre extre^me, le sentiment, qui est la ve? ritable beaute? de
l'existence, n'a point le rang qu'il me? rite.
Schelling a bien plus de connaissance de la nature et des
beaux-arts que Fichte; et son imagination pleine de vie ne sau-
rait se contenter des ide? es abstraites; mais, de me^me que Fichte,
il a pour but de re? duire l'existence a` un seul principe. Il traite
avec un profond de? dain tous les philosophes qui en admettent
deux; et il ne veut accorder le nom de philosophie qu'au sys-
te`me dans lequel tout s'enchai^ne, et qui explique tout. Certaine-
ment il a raison d'affirmer que celui-la` serait le meilleur, mais
ou` est-il? Schelling pre? tend que rien n'est plus absurde que cette
expression commune? ment rec? ue: la philosophie de Platon, la
philosophie d'Aristote. Dirait-on la ge? ome? trie d'Euler, la ge? ome? -
trie de la Grange? Il n'y a qu'une philosophie, selon l'opinion de
Schelling, ou il n'y en a point. Certes, si l'on n'entendait par
philosophie que le mot de l'e? nigme de l'univers, on pourrait dire
avec ve? rite? qu'il n'y a point de philosophie.
Le syste`me de Kant parut insuffisant a` Schelling comme a`
Fichte, parce qu'il reconnai^t deux natures, deux sources de nos
ide? es, les objets exte? rieurs et les faculte? s de l'a^me. Mais pour
arriver a` cette unite? tant de? sire? e, pour se de? barrasser de cette
double vie physique et morale, qui de? plai^t tant aux partisans des
ide? es absolues, Schelling rapporte tout a` la nature, tandis queFichte fait tout ressortir de l'a^me. Fichte ne voit dans la nature
que l'oppose? de l'a^me: elle n'est a` ses yeux qu'une limite ou
qu'une chai^ne, dont il faut travailler sans cesse a` se de? gager. Le
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES PHILOSOPHES ALLEMANDS. 439
syste`me de Schelling repose et charme davantage l'imagination, ne? anmoins il rentre ne? cessairement dans celui de Spinosa ; mais,
au lieu de faire descendre l'a^me jusqu'a` la matie`re, comme cela
s'est pratique? de nos jours, Schelling ta^che d'e? lever la matie`re
jusqu'a` l'a^me; et quoique sa the? orie de? pende en entier de la na-
ture physique, elle est cependant tre`s-ide? aliste dans le fond, et
plus encore dans la forme.
L'ide? al et le re? el tiennent, dans son langage, la place de l'in-
telligence et de la matie`re, de l'imagination et de l'expe? rience;
et c'est dans la re? union de ces deux puissances en une harmouie
oomple`te que consiste, selon lui, le principe unique et absolu
de l'univers organise? . Cette harmonie, dont les deux po^les et le
centre sont l'image, et qui est renferme? e dans le nombre trois,
de tout temps si myste? rieux, fournit a` Schelling les applications
les plus inge? nieuses. Il croit la retrouver dans les beaux-arts
comme dans la nature, et ses ouvrages sur les sciences physiques
sont estime? s me^me des savants, qui ne conside`rent que les faits
et les re? sultats. Enfin, dans l'examen de l'a^me, il cherche a`
de? montrer comment les sensations et les conceptions intellec-
tuelles se confondent dans le sentiment qui re? unit ce qu'il y a
d'involontaire et de re? fle? chi dans les unes et dans les autres, et
contient ainsi tout le myste`re de la vie.
Ce qui inte? resse surtout dans ces syste`mes, ce sont leurs de? ve-
loppements. La base premie`re de la pre? tendue explication du
monde est e? galement vraie comme e? galement fausse dans la
plupart des the? ories, car toutes sont comprises dans l'immense
pense? e qu'elles veulent embrasser; mais dansl'application aux
chosesde ce monde , ces the? ories sont tre`s-spirituelles, et re? -
paudeut souvent de grandes lumie`res sur plusieurs objets en par-
ticulier.
Schelling s'approche beaucoup, on ne saurait le nier, des
philosophes appele? s panthe? istes, c'est-a`-dire, de ceux qui ac-
cordent a` la nature les attributs dela Divinite? . Mais ce qui le
distingue, c'est l'e? tonnante sagacite? avec laquelle il a su rallier
a` sa doctrine les sciences et les arts ; il instruit, il donne a` penser
dans chacune de ses observations, et la profondeur de son es-
prit e? tonne, surtout quand il ne pre? tend pas l'appliquer au secret
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? 440 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
de l'univers; car aucun homme ne peut atteindre a` un genre de
supe? riorite? qui ne saurait exister entre des e^tres de la me^me es-
pe`ce, a` quelque distance qu'ils soient l'un de l'autre.
Pour conserver des ide? es religieuses au milieu de l'apothe? ose
de la nature, l'e? cole de Schelling suppose que l'individu pe? rit
en nous, mais que les qualite? s intimes que nous posse? dons
rentrent dans le grand tout de la cre? ation e? ternelle. Cette im-
mortalite? -la` ressemble terriblement a` la mort; car la mort
physique elle-me^me n'est autre chose que la nature universelle
qui se ressaisit des dons qu'elle avait faits a` l'individu. Schelling tire de son syste`me des conclusions tre`s-nobles sur
la ne? cessite? de cultiver dans notre a^me les qualite? s immortelles,
celles qui sont en relation avec l'univers, etde me? priseren nous-me^mes tout ce qui ne tient qu'a` nos circonstances. Mais les affec-
tions du coeur et la conscience elle-me^me ne sont-elles pas atta-
che? es aux rapports de cette vie ? Nous e? prouvons dansla plupart des
situations deux mouvements tout a` fait distincts, celui qui nous
unit a` l'ordre ge? ne? ral, et celui qui nous rame`ne a` nos inte? re^ts particuliers; le sentiment du devoir, et la personnalite? . Le plus
noble de ces deux mouvements, c'est l'universel. Mais c'est pre? ci-
se? ment parce que nous avons un instinct conservateur de l'exis-
tence, qu'il est beau dela sacrifier; c'est parce que nous sommes
des e^tres concentre? s en nous-me^mes, que notre attraction vers
l'ensembleest ge? ne? reuse; enfm , c'est parce que nous subsistons
individuellement et se? pare? ment que nous pouvons nous choisir
et nous aimer les uns et les autres : que serait donc cette immor-
talite? abstraite qui nous de? pouillerait de nos souvenirs les plus
chers comme de modifications accidentelles?
Voulez-vous, disent-ils en Allemagne, ressusciter avec toutes
vos circonstances actuelles, renai^tre baron ou marquis? -- Non
sans doute; mais qui ne voudrait pas renai^tre fille et me`re, et
comment serait-on soi si l'on ne ressentait plus les me^mes ami-
tie? s! Les vagues ide? es de re? union avec la nature de? truisent a` la
longue l'empire de la religion sur les a^mes, car la religion s'a-
dresse a` chacun de nous en particulier. La Providence nous
prote? ge dans tous les de? tails de notre sort. Le christianisme se
proportionne a` tous les esprits, et re? pond comme un confident
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES PHILOSOPHES ALLEMANDS. 441
aux besoinsindividuels de notre coeur. Le panthe? isme, au con-
traire , c'est-a`-dire la nature divinise? e, a` force d'inspirer de la
religion pour tout, la disperse sur l'univers, et ne la concentre
point en nous-me^mes.
Ce syste`me a eu dans tous les temps beaucoup de partisans
parmi les philosophes. La pense? e tend toujoursa` se ge? ne? raliser de
plus en plus, et l'on prend quelquefois pour une ide? e nouvelle
ce travail de l'esprit qui s'en va toujours o^tant ses homes.
Ou
croit parvenir a` comprendre l'univers comme l'espace, en ren-
versant toujours les barrie`res, en reculant les difficulte? s sans les
re? soudre, et l'on n'approche pas davantage ainsi de l'infini. Le sentiment seul nous le re? ve`le sans nous l'expliquer.
Ce qui est vraiment admirable dans la philosophie allemande,
c'est l'examen qu'elle nous fait faire de nous-me^mes; elle re-
monte jusqu'a` l'origine dela volonte? , jusqu'a` cette source in-
connue du fleuve de notre vie ; et c'est la` que, pe? ne? trant dans les
secrets les plus intimes de la douleur et de la foi, elle nous e? claire
etnous affermit. Mais tous les syste`mes qui aspirent a` l'explication
de l'univers ne peuvent gue`re e^tre analyse? s clairement paraucuue
parole : les mots ne sont pas propres a` ce genre d'ide? es, et il en
re? sulte que, pour les y faire servir, on re? pand sur toutes choses
l'obscurite? qui pre? ce? da la cre? ation, mais non la lumie`re qui l'a
suivie. Les expressions scientifiques prodigue? es sur un sujet au-
quel tout le monde croit avoir des droits re? voltent l'amour-pro-
pre. Ces e? crits si difficiles a` comprendre pre^tent, quelque se? -
rieux qu'on soit, a` la plaisanterie, car il y a toujours des me? -
prises dans les te? ne`bres. L'on se plai^t a` re? duire a` quelques asser-
tions principales et faciles a` combattre, cette foule de nuances et
de restrictions qui paraissent toutes sacre? es a` l'auteur, mais que
biento^t les profanes oublient ou confondent.
Les Orientaux ont e? te? de tout temps ide? alistes, et l'Asie ne
ressemble en rien au midi de l'Europe. L'exce`s de la chaleur
porte dans l'Orient a` la contemplation, comme l'exce`s du froid
dans le Nord. Les syste`mes religieux de l'Inde sont tre`s-me? lan-
coliques, et tre`s-spiritualistes, tandis que les peuples du midi de
l'Europe ont toujours eu du penchant pour un paganisme assez
mate? riel. Les savants anglais qui ont voyage? dans l'Inde ont
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? 442 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
fait de profondes recherches sur l'Asie : et des Allemands, qui
n'avaient pas, comme les princes de la mer, les occasions de
s'instruire parleurs propres yeux, sont arrive? s, avec l'unique
secours de l'e? tude, a` des de? couvertes tre`s-inte? ressantes sur la
religion, la litte? rature et les langues des nations asiatiques; ils
sont porte? s a` croire, d'apre`s plusieurs indices, que des lumie`res
surnaturelles ont e? claire? jadis les peuples de ces contre? es, et
qu'il en est reste? des traces ineffac? ables. La philosophie des In-
diens ne peut e^tre bien comprise que parles ide? alistes allemands:
les rapports d'opinion les aident a` la concevoir.
Fre? de? ric Schlegel, non content de savoir presque toutes les
langues de l'Europe, a consacre? des travaux inoui? s a` la connais-
sance de ce pays, berceau du monde. L'ouvrage qu'il vient de
publier sur la langue et la philosophie des Indiens, contient
des vues profondes et des connaissances positives qui doivent
fixer l'attention des hommes e? claire? s de l'Europe. Il croit, et
plusieurs philosophes, au nombre desquels il faut compter
Bailly, ont soutenu la me^me opinion, qu'un peuple primitifa
occupe? quelques parties de la terre, et particulie`rement l'Asie,
dans une e? poque ante? rieure a` tous les documents de l'histoire.
Fre? de? ric Schlegel trouve des traces de ce peuple dans la culture
intellectuelle des nations et dans la formation des langues. Il
remarque une ressemblance extraordinaire entre les ide? es prin-
cipales , et me^me les mots qui les expriment chez plusieurs peu-
ples du monde, alors me^me que, d'apre`s ce que nous connais-
sons de l'histoire, ils n'ont jamais eu de rapport entre eux.
Fre? de? ric Schlegel n'admet point dans ses e? crits la supposition
assez ge? ne? ralement rec? ue, que les hommes ont commence? par
l'e? tat sauvage, et que les besoins mutuels ont forme? les langues
par degre? s. C'est donner une origine bien grossie`re au de? velop-
pement de l'esprit et de l'a^me, que de l'attribuer ainsi a` notre
nature animale, et la raison combat cette hypothe`se que l'ima-
gination repousse.
On ne conc? oit point par quelle gradation il serait possible
d'arriver du cri sauvage a` la perfection de la langue grecque;
l'on dirait que dans les progre`s ne? cessaires pour parcourir cette
dislance infmie, il faudrait que chaque pas franchi^t un abime;
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? DES PHILOSOIM1ES ALLEMANDS. . |43
nous voyons de nosjours que les sauvages ne se civilisent jamais
d'eux-me^mes, et que ce sont les nations voisines qui leur ensei-
gnent avec grande peine ce qu'ils ignorent. On est donc bien
tente? de croire que le peuple primitif a e? te? l'instituteur du genre
humain; et ce peuple, qui l'a forme? , si ce n'est une re? ve? lation?
Toutes les nations ont exprime? de tout temps des regrets sur la perte d'un e? tat heureux qui pre? ce? dait l'e? poque ou` elles se trou-
vaient: d'ou` vient cette ide? e si ge? ne? ralement re? pandue? dira-t-on
que c'est une erreur? Les erreurs universelles sont toujours fon-
de? es sur quelques ve? rite? s alte? re? es, de? figure? es peut-e^tre, mais qui
avaient pour base des faits cache? s dans la nuit des temps, ou
quelques forces myste? rieuses de la nature.
Ceux qui attribuent la civilisation du genre humain aux be-
soins physiques qui ont re? uni les hommes entre eux , explique-
ront difficilement comment il arrive que la culture morale des
peuples les plus anciens est plus poe? tique, plus favorable aux
beaux-arts, plus noblement inutile enfin, sous les rapports ma-
te? riels, que ne le sont les raffinements de la civilisation moderne.
La philosophie des Indiens est ide? aliste, et leur religion mysti-
que: ce n'est certes pas le besoin de maintenir l'ordre dans la
socie? te? qui a donne? naissance a` cette philosophie ni a` cette reli-
gion.
La poe? sie presque partout a pre? ce? de? la prose, et l'introduction
des me`tres, du rhythme, de l'harmonie, est ante? rieure a` la pre? -
cision rigoureuse, et par conse? quent a` l'utile emploi des lan-
gues. L'astronomie n'a pas e? te? e? tudie? e seulement pour servir a`
l'agriculture; mais les Chalde? ens, les E? gyptiens, etc. , ont
pousse? leurs recherches fort au dela` des avantages pratiques
qu'on pouvait en retirer, et l'on croit voir l'amour du ciel et le
culte du temps, dans ces observations si profondes et si exactes
sur les divisions de l'anne? e, le cours des astres et les pe? riodes
de leur jonction.
Les rois, chez les Chinois, e? taient les premiers astronomes
de leur pays; ils passaient les nuits a` contempler la marche des
e? toiles, et leur dignite? royale consistait dans ces belles connais-
sances , et dans ces occupations de? sinte? resse? es qui les e? levaient
au-dessus du vulgaire, l. e magnifique syste`me qui donne a` la
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? 444 DES PHILOSOPHES ALLEMANDS.
civilisation pour origine une re? ve? lation religieuse, est appuye?
par une e? rudition dont les partisans des opinions mate? rialistes
sont rarement capables; c'est e^tre de? ja` presque ide? aliste que de
se vouer entie`rement a` l'e? tude.
Les Allemands, accoutume? s a` re? fle? chir profonde? ment et so-
litairement, pe? ne`trent si avant dans la ve? rite? , qu'il faut e^tre, ce
me semble, un ignorant ou un fat, pour de? daigner aucun de
leurs e? crits avant de s'en e^tre longtemps occupe? . Il y avait autre-
fois beaucoup d'erreurs et de superstitions qui tenaient au man-
que de connaissances; mais quand, avec les lumie`res de notre
temps et d'immenses travaux individuels, on e? nonce des opi-
nions hors du cercle des expe? riences communes, il faut s'en
re?