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je ne veux pas que tu sortes
L'automne est plein de mains coupees
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains des cheres mortes
Ce sont tes mains coupees
Nous avons tant pleure aujourd'hui
Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes
Sous le ciel sans soleil
Au cimetiere plein de flammes

Puis dans le vent nous nous en retournames

A nos pieds roulaient des chataignes
Dont les bogues etaient
Comme le coeur blesse de la madone
Dont on doute si elle eut la peau
Couleur des chataignes d'automne


Les sapins

Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revetu
Comme des astrologues
Saluent leurs freres abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent

Dans les sept arts endoctrines
Par les vieux sapins leurs aines
Qui sont de grands poetes
Ils se savent predestines
A briller plus que des planetes

A briller doucement changes
En etoiles et enneiges
Aux Noels bienheureuses
Fetes des sapins ensonges
Aux longues branches langoureuses

Les sapins beaux musiciens
Chantent des noels anciens
Au vent des soirs d'automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne

Des rangees de blancs cherubins
Remplacent l'hiver les sapins
Et balancent leurs ailes
L'ete ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles

Sapins medecins divagants
Ils vont offrant leurs bons onguents
Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l'ouragan
Un vieux sapin geint et se couche


Les femmes

Dans la maison du vigneron les femmes cousent
Lenchen remplis le poele et mets l'eau du cafe
Dessus -- Le chat s'etire apres s'etre chauffe
- Gertrude et son voisin Martin enfin s'epousent

Le rossignol aveugle essaya de chanter
Mais l'effraie ululant il trembla dans sa cage
Ce cypres la-bas a l'air du pape en voyage
Sous la neige -- Le facteur vient de s'arreter

Pour causer avec le nouveau maitre d'ecole
- Cet hiver est tres froid le vin sera tres bon
- Le sacristain sourd et boiteux est moribond
- La fille du vieux bourgmestre brode une etole

Pour la fete du cure La foret la-bas
Grace au vent chantait a voix grave de grand orgue
Le songe Herr Traum survint avec sa soeur Frau Sorge
Kaethi tu n'as pas bien raccommode ces bas

- Apporte le cafe le beurre et les tartines
La marmelade le saindoux un pot de lait
- Encore un peu de cafe Lenchen s'il te plait
- On dirait que le vent dit des phrases latines

- Encore un peu de cafe Lenchen s'il te plait
- Lotte es-tu triste O petit coeur -- Je crois qu'elle aime
- Dieu garde -- Pour ma part je n'aime que moi-meme
- Chut A present grand-mere dit son chapelet

- Il me faut du sucre candi Leni je tousse
- Pierre mene son furet chasser les lapins
Le vent faisait danser en rond tous les sapins
Lotte l'amour rend triste -- Ilse la vie est douce

La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus
Devenaient dans l'obscurite des ossuaires
En neige et replies gisaient la des suaires
Et des chiens aboyaient aux passants morfondus

Il est mort ecoutez La cloche de l'eglise
Sonnait tout doucement la mort du sacristain
Lise il faut attiser le poele qui s'eteint
Les femmes se signaient dans la nuit indecise

Septembre 1901 -- mai 1902


SIGNE

Je suis soumis au Chef du Signe de l'Automne
Partant j'aime les fruits je deteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers que je donne
Tel un noyer gaule dit au vent ses douleurs

Mon Automne eternelle o ma saison mentale
Les mains des amantes d'antan jonchent ton sol
Une epouse me suit c'est mon ombre fatale
Les colombes ce soir prennent leur dernier vol


UN SOIR

Un aigle descendit de ce ciel blanc d'archanges
Et vous soutenez-moi
Laisserez-vous trembler longtemps toutes ces lampes
Priez priez pour moi

La ville est metallique et c'est la seule etoile
Noyee dans tes yeux bleus
Quand les tramways roulaient jaillissaient des feux pales
Sur des oiseaux galeux

Et tout ce qui           dans tes yeux de mes songes
Qu'un seul homme buvait
Sous les feux de gaz roux comme la fausse oronge
O vetue ton bras se lovait

Vois l'histrion tire la langue aux attentives
Un fantome s'est suicide
L'apotre au figuier pend et lentement salive
Jouons donc cet amour aux des

Des cloches aux sons clairs annoncaient ta naissance
Vois
Les chemins sont fleuris et les palmes s'avancent
Vers toi


LA DAME

Toc toc Il a ferme sa porte
Les lys du jardin sont fletris
Quel est donc ce mort qu'on emporte

Tu viens de toquer a sa porte
Et trotte trotte
Trotte la petite souris


LES FIANCAILLES

A Picasso

Le printemps laisse errer les fiances parjures
Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues
Que secoue le cypres ou niche l'oiseau bleu

Une Madone a l'aube a pris les eglantines
Elle viendra demain cueillir les giroflees
Pour mettre aux nids des colombes qu'elle destine
Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet

Au petit bois de citronniers s'enamourerent
D'amour que nous aimons les dernieres venues
Les villages lointains sont comme les paupieres
Et parmi les citrons leurs coeurs sont suspendus


Mes amis m'ont enfin avoue leur mepris

Mes amis m'ont enfin avoue leur mepris
Je buvais a pleins verres les etoiles
Un ange a extermine pendant que je dormais
Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries
De faux centurions emportaient le vinaigre
Et les gueux mal blesses par l'epurge dansaient
Etoiles de l'eveil je n'en connais aucune
Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune
Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas
A la clarte des bougies tombaient vaille que vaille
Des faux cols sur les flots de jupes mal brossees
Des accouchees masquees fetaient leurs relevailles
La ville cette nuit semblait un archipel
Des femmes demandaient l'amour et la dulie
Et sombre sombre fleuve je me rappelle
Les ombres qui passaient n'etaient jamais jolies


Je n'ai plus meme pitie de moi

Je n'ai plus meme pitie de moi
Et ne puis exprimer mon tourment de silence
Tous les mots que j'avais a dire se sont changes en etoiles
Un Icare tente de s'elever jusqu'a chacun de mes yeux
Et porteur de soleils je brule au centre de deux nebuleuses
Qu'ai-je fait aux betes theologales de l'intelligence
Jadis les morts sont revenus pour m'adorer
Et j'esperais la fin du monde
Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan


J'ai eu le courage de regarder en arriere

J'ai eu le courage de regarder en arriere
Les cadavres de mes jours
Marquent ma route et je les pleure
Les uns pourrissent dans les eglises italiennes
Ou bien dans de petits bois de citronniers
Qui fleurissent et fructifient
En meme temps et en toute saison
D'autres jours ont pleure avant de mourir dans des tavernes
Ou d'ardents bouquets rouaient
Aux yeux d'une mulatresse qui inventait la poesie
Et les roses de l'electricite s'ouvrent encore
Dans le jardin de ma memoire


Pardonnez-moi mon ignorance

Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaitre l'ancien jeu des vers
Je ne sais plus rien et j'aime uniquement
Les fleurs a mes yeux redeviennent des flammes
Je medite divinement
Et je souris des etres que je n'ai pas crees
Mais si le temps venait ou l'ombre enfin solide
Se multipliait en realisant la diversite formelle de mon amour
J'admirerais mon ouvrage


J'observe le repos du dimanche

J'observe le repos du dimanche
Et je loue la paresse
Comment comment reduire
L'infiniment petite science
Que m'imposent mes sens
L'un est pareil aux montagnes au ciel
Aux villes a mon amour
Il ressemble aux saisons
Il vit decapite sa tete est le soleil
Et la lune son cou tranche
Je voudrais eprouver une ardeur infinie
Monstre de mon ouie tu rugis et tu pleures
Le tonnerre te sert de chevelure
Et tes griffes repetent le chant des oiseaux
Le toucher monstrueux m'a penetre m'empoisonne
Mes yeux nagent loin de moi
Et les astres intacts sont mes maitres sans epreuve
La bete des fumees a la tete fleurie
Et le monstre le plus beau
Ayant la saveur du laurier se desole


A la fin les mensonges ne me font plus peur

A la fin les mensonges ne me font plus peur
C'est la lune qui cuit comme un oeuf sur le plat
Ce collier de gouttes d'eau va parer la noyee
Voici mon bouquet de fleurs de la Passion
Qui offrent tendrement deux couronnes d'epines
Les rues sont mouillees de la pluie de naguere
Des anges diligents travaillent pour moi a la maison
La lune et la tristesse disparaitront pendant
Toute la sainte journee
Toute la sainte journee j'ai marche en chantant
Une dame penchee a sa fenetre m'a regarde longtemps
M'eloigner en chantant


Au tournant d'une rue je vis des matelots

Au tournant d'une rue je vis des matelots
Qui dansaient le cou nu au son d'un accordeon
J'ai tout donne au soleil
Tout sauf mon ombre

Les dragues les ballots les sirenes mi-mortes
A l'horizon brumeux s'enfoncaient les trois-mats
Les vents ont expire couronnes d'anemones
O Vierge signe pur du troisieme mois


Templiers flamboyants je brule parmi vous

Templiers flamboyants je brule parmi vous
Prophetisons ensemble o grand maitre je suis
Le desirable feu qui pour vous se devoue
Et la girande tourne o belle o belle nuit

Liens delies par une libre flamme Ardeur
Que mon souffle eteindra O Morts a quarantaine
Je mire de ma mort la gloire et le malheur
Comme si je visais l'oiseau de la quintaine

Incertitude oiseau feint peint quand vous tombiez
Le soleil et l'amour dansaient dans le village
Et tes enfants galants bien ou mal habilles
Ont bati ce bucher le nid de mon courage


CLAIR DE LUNE

Lune mellifluente aux levres des dements
Les vergers et les bourgs cette nuit sont gourmands
Les astres assez bien figurent les abeilles
De ce miel lumineux qui degoutte des treilles
Car voici que tout doux et leur tombant du ciel
Chaque rayon de lune est un rayon de miel
Or cache je concois la tres douce aventure
J'ai peur du dard de feu de cette abeille Arcture
Qui posa dans mes mains des rayons decevants
Et prit son miel lunaire a la rose des vents


1909

La dame avait une robe
En ottoman violine
Et sa tunique brodee d'or
Etait composee de deux panneaux
S'attachant sur l'epaule

Les yeux dansants comme des anges
Elle riait elle riait
Elle avait un visage aux couleurs de France
Les yeux bleus les dents blanches et les levres tres rouges
Elle avait un visage aux couleurs de France

Elle etait decolletee en rond
Et coiffee a la Recamier
Avec de beaux bras nus

N'entendra-t-on jamais sonner minuit

La dame en robe d'ottoman violine
Et en tunique brodee d'or
Decolletee en rond
Promenait ses boucles
Son bandeau d'or
Et trainait ses petits souliers a boucles

Elle etait si belle
Que tu n'aurais pas ose l'aimer

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers enormes
Ou naissaient chaque jour quelques etres nouveaux
Le fer etait leur sang la flamme leur cerveau
J'aimais j'aimais le peuple habile des machines
Le luxe et la beaute ne sont que son ecume
Cette femme etait si belle
Qu'elle me faisait peur


A LA SANTE

I

Avant d'entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu'es-tu devenu

Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d'en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
O mes annees o jeunes filles

II

Non je ne me sens plus la
Moi-meme
Je suis le quinze de la
Onzieme

Le soleil filtre a travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres

Et dansent sur le papier
J'ecoute
Quelqu'un qui frappe du pied
La voute

III

Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promene
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaine
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promene

Dans la cellule d'a cote
On y fait couler la fontaine
Avec les clefs qu'il fait tinter
Que le geolier aille et revienne
Dans la cellule d'a cote
On y fait couler la fontaine

IV

Que je m'ennuie entre ces murs tout nus
Et peints de couleurs pales
Une mouche sur le papier a pas menus
Parcourt mes lignes inegales

Que deviendrai-je o Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l'as donnee
Prends en pitie mes yeux sans larmes ma paleur
Le bruit de ma chaise enchainee

Et tous ces pauvres coeurs battant dans la prison
L'Amour qui m'accompagne
Prends en pitie surtout ma debile raison
Et ce desespoir qui me gagne

V

Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement

Tu pleureras l'heure ou tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures

VI

J'ecoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu'un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison

Le jour s'en va voici que brule
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarte Chere raison

Septembre 1911.