noc-
turne de la nature, en attendant qu'on puisse y re?
turne de la nature, en attendant qu'on puisse y re?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
459
Parmi les savants anglais, il n'y a gue`re que Hartley et son
disciple Priestley, qui aient pris la me? taphysique comme la phy-
sique sous un point de vue tout a` fait mate? rialiste. On dira que
la physique ne peut e^tre que mate? rialiste; j'ose ne pas e^tre de
cet avis. Ceux qui font de l'a^me me^me un e^tre passif, bannis-
sent a` plus forte raison des sciences positives l'inexplicable as-
cendant de la volonte? de l'homme; et cependant il est plusieurs
circonstances dans lesquelles cette volonte? agit sur l'intensite?
de la vie, et la vie sur la matie`re. Le principe de l'existence est
comme un interme? diaire entre le corps et l'a^me, dont la puis-
sance ne saurait e^tre calcule? e, mais ne peut e^tre nie? e sans me? -
connai^tre ce qui constitue la nature anime? e, et sans re? duire ses
lois purement au me? canisme.
Le docteur Gall, de quelque manie`re que son syste`me soit
juge? , est respecte? de tous les savants pour les e? tudes et les de? -
couvertes qu'il a faites dans la science de l'anatomie; et si l'on
conside`re les organes de la pense? e comme diffe? rents d'elle-me^me,
c'est-a`dire, comme les moyens qu'elle emploie, on peut, ce
me semble, admettre que la me? moire et le calcul, l'aptitude a`
telle ou telle science, le talent pour tel ou tel art, enfin tout ce
qui sert d'instrument a` l'intelligence, de? pend en quelque sorte
de la structure du cerveau. S'il existe une e? chelle gradue? e de-
puis la pierre jusqu'a` la vie humaine, il doit y avoir de certai-
nes faculte? s en nous qui tiennent de l'a^me et du corps tout a` la
fois; et de ce nombre sont la me? moire et le calcul, les plus phy-
siques de nos faculte? s intellectuelles, et les plus intellectuelles
de nos faculte? s physiques. Mais l'erreur commencerait au mo-
ment ou` l'on voudrait attribuer a` la structure du cerveau une
influence sur les qualite? s morales, car la volonte? est tout a` fait
inde? pendante des faculte? s physiques: c'est dans l'action pure-
ment intellectuelle de cette volonte? que consiste la conscience,
et la conscience est et doit e^tre affranchie de l'organisation cor-
porelle. Tout ce qui tendrait a` nous o^ter la responsabilite? de nos
actions serait faux et mauvais.
tin jeune me? decin d'un grand talent, Koreff, attire de? ja` l'at-
tention de ceux qui l'ont entendu, par des conside? rations toutes
nouvelles sur le principe de la vie, sur l'action de la mort, sur
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? ? 460 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
les causes de la folie; tout ce mouvement dans les esprits an-
nonce une re? volution quelconque, me^me dans la manie`re de
conside? rer les sciences. Il est impossible d'en pre? voir encore
les re? sultats; mais ce qu'on peut affirmer avec ve? rite? , c'est que
si les Allemands se laissent guider par l'imagination, ils ne s'e? -
pargnent aucun travail, aucune recherche, aucune e? tude, et
re? unissent au plus haut degre? deux qualite? s qui semblent s'ex-
clure, la patience et l'enthousiasme.
Quelques savants allemands, poussant encore plus loin l'ide? a-
lisme physique, combattent l'axiome qu'il n'y a pas d'action a`
distance, et veulent, au contraire, re? tablir partout le mouve-
ment spontane? dans la nature. Ils rejettent l'hypothe`se des
fluides, dont les effets tiendraient a` quelques e? gards des forces
me? caniques, qui se pressent et se refoulent, sans qu'aucune or-
ganisation inde? pendante les dirige.
Ceux qui conside`rent la nature comme une intelligence ne
donnent pas a` ce mot le me^me sens qu'on a coutume d'y atta-
cher; car la pense? e de l'homme consiste dans la faculte? de se re-
plier sur soi-me^me, et l'intelligence de la nature marche en
avant, comme l'instinct des animaux. La pense? e se posse`de elle-
me^me, puisqu'elle se juge; l'intelligence sans re? flexion est une
puissance toujours attire? e au dehors. Quand la nature cristallise
selon les formes les plus re? gulie`res, il ne s'ensuit pas qu'elle
sache les mathe? matiques, ou du moins elle ne sait pas qu'elle
les sait, et la conscience d'elle-me^me lui manque. Les savants
allemands attribuent aux forces physiques une certaine origi-
nalite? individuelle, et, d'autre part, ils paraissent admettre,
dans leur manie`re de pre? senter quelques phe? nome`nes du magne? -
tisme animal, que la volonte? de l'homme, sans acte exte? rieur,
exerce une tre`s-grande influence sur la matie`re, et spe? cialement
sur les me? taux.
Pascal dit que les astrologues et les alchimistes ont quelques
principes, mais qu'ils en abusent. Il y a eu peut-e^tre dans l'an-
tiquite? des rapports plus intimes entre l'homme et la nature
qu'il n'en existe de nos jours. Les myste`res d'Eleusis, le culte
des E? gyptiens, le syste`me des e? manations, chez les Indiens,
l'adoration des e? le? ments et du soleil, chez les Persans, l'harmo-
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 461
nie des nombres, qui fonda la doctrine de Pythagore, sont des traces d'un attrait singulier qui re? unissait l'homme avec l'uni-
vers.
Le spiritualisme, en fortifiant la puissance de la re? flexion, a
se? pare? davantage l'homme des influences physiques, et la re? for-
mation, en portant plus loin encore le penchant vers l'analyse,
amis la raison en garde contre les impressions primitives de
l'imagination: les Allemands tendent vers le ve? ritable perfec-
tionnement de l'esprit humain, lorsqu'ils cherchent a` re? veiller
les inspirations de la nature par les lumie`res de la pense? e.
L'expe? rience conduit chaque jour les savants a` reconnai^tre des
phe? nome`nes auxquels on ne croyait plus, parce qu'ils e? taient me? -
lange? s avec des superstitions, et que l'on en faisait jadis des
pre? sages. Les anciens ont raconte? que des pierres tombaient du
ciel, et de nos jours on a constate? l'exactitude de ce fait dont
on avait nie? l'existence. Les anciens ont parle? depluies rouges
comme du sang et des foudres de la terre; on s'est assure? nou-
vellement de la ve? rite? de leurs assertions a` cet e? gard. L'astronomie et la musique sont la science et l'art que les
hommes ont connus de toute antiquite? : pourquoi les sons et les
astres ne seraient-ils pas re? unis par des rapports que les an-
ciens auraient sentis, et que nous pourrions retrouver? Pytha-
gore avait soutenu que les plane`tes e? taient entre elles a` la me^me
distance que les sept cordes de la lyre, et l'on affirme qu'il a
pressenti les nouvelles plane`tes qui ont e? te? de? couvertes entre
Mars et Jupiter". Il parai^t qu'il n'ignorait pas le vrai syste`me
des cieux, l'immobilite? du soleil, puisque Copernic s'appuie a`
cet e? gard de son opinion, cite? e par Cice? ron. D'ou` venaient donc
ces e? tonnantes de? couvertes, sans le secours des expe? riences et
des machines nouvelles dont les modernes sont en possession?
C'est que les anciens marchaient hardiment, e? claire? s parle ge? -
nie. Ils se servaient de la raison, sur laquelle repose l'intelligence
humaine; mais ils consultaient aussi l'imagination, qui est la
pre? tresse de la nature.
1 M. Pre? vost professeur de philosophie a` Gene? ve, a publie? sur ce sujet une
brochure d'un tre? s-grand inte? re^t. Cet e? crivain philosophe est aussi connu en
Europe qu'estime? dans sa patrie.
? 19.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ? 162 <<NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
Ce que nous appelons des erreurs et des superstitions tenait
peut-e^tre a` des lois de l'univers qui nous sont encore inconnues.
Les rapports des plane`tes avec les me? taux, l'influence de ces
rapports, les oracles me^mes, et les pre? sages, ne pourraient-ils
pas avoir pour cause des puissances occultes dont nous n'avons
plus aucune ide? e? Et qui sait s'il n'y a pas un germe de ve? rite?
cache? dans tous les apologues, dans toutes les croyances, qu'on
a fle? tris du nom de folie? Il ne s'ensuit pas assure? ment qu'il faille
renoncer a` la me? thode expe? rimentale, si ne? cessaire dans les
sciences ; mais pourquoi ne donnerait-on pas pour guide supre^me
a` cette me? thode une philosophie plus e? tendue, qui embrasserait
l'univers dans son ensemble, et ne me? priserait pas le cote?
noc-
turne de la nature, en attendant qu'on puisse y re? pandre de la
clarte? ?
C'est de la poe? sie, re? pondra-t-on, que toute cette manie`re de
conside? rer le monde physique; mais on ne parvient a` le con-
nai^tre d'une manie`re certaine que par l'expe? rience, et tout ce qui
n'est pas susceptible de preuves peut e^tre un amusement de
l'esprit, mais ne conduit jamais a` des progre`s solides. -- Sans
doute les Franc? ais ont raison de recommander aux Allemands le
respect pour l'expe? rience, mais ils ont tort de tourner en ridi-
cule les pressentiments de la re? flexion, qui seront peut-e^tre un
jour confirme? s par la connaissance des faits. La plupart des
grandes de? couvertes ont commence? par parai^tre absurdes, et
l'homme de ge? nie ne fera jamais rien, s'il a peur des plaisante-
ries; elles sont sans force quand on les de? daigne, et prennent toujours plus d'ascendant quand on les redoute. On voit dans
les contes de fe? es des fanto^mes qui s'opposent aux entreprises
des chevaliers, et les tourmentent jusqu'a` ce que ces chevaliers
aient passe? outre. Alors tous les sortile? ges s'e? vanouissent, et la
campagne fe? conde s'offre a` leurs regards. L'envie et la me? dio-
crite? ont bien aussi leurs sortile? ges: mais il faut marcher vers
la ve? rite? , sans s'inquie? ter des obstacles apparents qui se pre? sen-
tent.
Lorsque Keppler eut de? couvert les lois harmoniques du mouvement des corps ce? lestes, c'est ainsi qu'il exprima sa joie: << En-
<< fin , apre`s dix-huit mois, une premie`re lueur m'a e? claire? , et,
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 463
<< dans ce jour remarquable, j'ai senti les purs rayons des ve? ri-
<< (e? s sublimes. Rien a` pre? sent ne me retient : j'ose me livrer a`
<< ma sainte ardeur, j'ose insulter aux mortels, en leur avouant
, que je me suis servi de la science mondaine , quej'ai de? robe? les
>> vases d'E? gypte, pour en construire un temple a` mon Dieu. Si
l'on me pardonne, je m'en re? jouirai; si l'on me bla^me, je le
<< supporterai. Le sort en est jete? , j'e? cris ce livre: qu'il soit lu
<< par mes contemporaius ou par la poste? rite? , n'importe : il peut
<< bien attendre un lecteur pendant un sie`cle, puisque Dieu
>> lui me^me a manque? , durant six mille anne? es, d'un contem-
<< plateur tel que moi. >> Cette expression hardie d'un orgueil-
leux enthousiasme prouve la force inte? rieure du ge? nie.
Goethe a dit sur la perfectibilite? de l'esprit humain un mot
plein de sagacite? : Il avance toujours, mais en ligne spirale.
Cette comparaison est d'autant plus juste, qu'a` beaucoup d'e? -
poques il semble reculer, et revient ensuite sur ses pas, en ayant
gagne? quelques degre? s de plus. Il y a des moments ou` le
scepticisme est ne? cessaire aux progre`s des sciences; il en est
d'autres ou`, selon Hemsterhuis, l'esprit merveilleux doit l'em-
porter sur l'esprit ge? ome? trique. Quand l'homme est de? vore? , ou
pluto^t re? duit en poussie`re par l'incre? dulite? , cet esprit merveil-
leux est le seul qui rende a` rame une puissance d'admiration sans laquelle on ne peut comprendre la nature.
La the? orie des sciences, en Allemagne, a donne? aux esprits
un e? lan semblable a` celui que la me? taphysique avait imprime?
dans l'e? tude de l'a^me. La vie tient dans les phe? nome`nes physi-
ques le me^me rang que la volonte? dans l'ordre moral. Si les
rapports de ces deux syste`mes les font bannir tous deux par de
certaines gens, il y en a qui verraient dans ces rapports la dou-
ble garantie de la me^me ve? rite? . Ce qui est certain au moins,
c'est que l'inte? re^t des sciences est singulie`rement augmente? par
cette manie`re de les rattacher toutes a` quelques ide? es principa-
les. Les poetes pourraient trouver dans les sciences une foule
de pense? es a` leur usage, si elles communiquaient entre elles par
la philosophie de l'univers, et si cette philosophie de l'univers,
au lieu d'e^tre abstraite, e? tait anime? e par l'ine? puisable source du
sentiment. L'univers ressemble plus a` un poe`me qu'a` une ma-
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? 464 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
c'hiue: et s'il fallait choisir, pour le concevoir, de l'imagination ou de l'esprit mathe? matique, l'imagination approcherait davan-
tage dela` ve? rite? . Mais encore une fois, il ne faut pas choisir, puis-
que c'est la totalite? de notre e^tre moral qui doit e^tre employe? e
dans une si importante me? ditation.
Le nouveau syste`me de physique ge? ne? rale, qui sert de guide
en Allemagne a` la physique expe? rimentale, ne peut e^tre juge?
que par ses re? sultats. Il faut voir s'il conduira l'esprit humain a`
des de? couvertes nouvelles et constate? es. Mais ce qu'on ne peut
nier, ce sont les rapports qu'il e? tablit entre les diffe? rentes bran-
ches d'e? tude. On se fuit les uns les autres d'ordinaire, quand on
a des occupations diffe? rentes, parce qu'on s'ennuie re? ciproque-
ment. L'e? ruditn'a rien a` dire au poe`te, le poe`te au physicien;
et me^me, entre les savants, ceux qui s'occupent de sciences di-
verses ne s'inte? ressent gue`re a` leurs travaux mutuels : cela ne
peut e^tre ainsi, depuis que la philosophie centrale e? tablit une
relation d'une nature sublime entre toutes les pense? es. Les sa-
vants pe? ne`trent la nature a` l'aide de l'imagination. Les poe`tes
trouvent dans les sciences les ve? ritables beaute? s de l'univers. Les
e? ruditsenrichissent les poe`tes par les souvenirs, et les savants
par les analogies. Les sciences pre? sente? es isole? ment, et comme un domaine
e? tranger a` l'a^me, n'attirent pas les esprits exalte? s. Laplupart
des hommes qui s'y sont voue? s, a` quelques honorables exceptions
pre`s, ont donne? a` notre sie`cle cette tendance vers le calcul qui
sert si bien a` connai^tre dans tous les cas quel est le plus fort. La
philosophie allemande fait entrer les sciences physiques dans
cette sphe`re universelle des ide? es, ou` les moindres observations,
comme les plus grands re? sultats, tiennent a` l'inte? re^t de l'en-
semble.
CHAPITRE XI.
De l'influence de la nouvelle philosophie sur le caracte`re des Allemands.
Il semblerait qu'un syste`me de philosophie qui attribue a` ce.
. qui de? pend de nous, a` notre volonte? , une action route-puissante,
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 465
devrait fortifier le caracte`re, et le rendre inde? pendant des cir-
constances exte? rieures; mais il y a lieu de croire que les institu-
tions politiques et religieuses peuvent seules former l'esprit
public, et que nulle the? orie abstraite n'est assez efficace pour
donner a` une nation de l'e? nergie : car il faut l'avouer, les Alle-
mands de nos jours n'ont pas ce qu'on peut appeler du caracte`re-
Us sont vertueux, inte`gres, comme hommes prive? s, comme
pe`res de famille, comme administrateurs; mais leur empresse-
ment gracieux et complaisant pour le pouvoir fait de la peine .
surtout quand on les aime, et qu'on les croit les de? fenseurs spe? -
culatifs les plus e? claire? s de la dignite? humaine. La sagacite? de l'esprit philosophique leur a seulement appris a` connai^tre en toutes circonstances la cause et les conse? quences
de ce qui arrive, et il leur semble que, de`s qu'ils ont trouve? une
the? orie pour un fait, il est justifie? . L'esprit militaire et l'amour
de la patrie ont porte? diverses nations au plus haut degre? possible
d'e? nergie; maintenant, ces deux sources de de? vouement existent
a` peine chez les Allemands pris en masse.
Parmi les savants anglais, il n'y a gue`re que Hartley et son
disciple Priestley, qui aient pris la me? taphysique comme la phy-
sique sous un point de vue tout a` fait mate? rialiste. On dira que
la physique ne peut e^tre que mate? rialiste; j'ose ne pas e^tre de
cet avis. Ceux qui font de l'a^me me^me un e^tre passif, bannis-
sent a` plus forte raison des sciences positives l'inexplicable as-
cendant de la volonte? de l'homme; et cependant il est plusieurs
circonstances dans lesquelles cette volonte? agit sur l'intensite?
de la vie, et la vie sur la matie`re. Le principe de l'existence est
comme un interme? diaire entre le corps et l'a^me, dont la puis-
sance ne saurait e^tre calcule? e, mais ne peut e^tre nie? e sans me? -
connai^tre ce qui constitue la nature anime? e, et sans re? duire ses
lois purement au me? canisme.
Le docteur Gall, de quelque manie`re que son syste`me soit
juge? , est respecte? de tous les savants pour les e? tudes et les de? -
couvertes qu'il a faites dans la science de l'anatomie; et si l'on
conside`re les organes de la pense? e comme diffe? rents d'elle-me^me,
c'est-a`dire, comme les moyens qu'elle emploie, on peut, ce
me semble, admettre que la me? moire et le calcul, l'aptitude a`
telle ou telle science, le talent pour tel ou tel art, enfin tout ce
qui sert d'instrument a` l'intelligence, de? pend en quelque sorte
de la structure du cerveau. S'il existe une e? chelle gradue? e de-
puis la pierre jusqu'a` la vie humaine, il doit y avoir de certai-
nes faculte? s en nous qui tiennent de l'a^me et du corps tout a` la
fois; et de ce nombre sont la me? moire et le calcul, les plus phy-
siques de nos faculte? s intellectuelles, et les plus intellectuelles
de nos faculte? s physiques. Mais l'erreur commencerait au mo-
ment ou` l'on voudrait attribuer a` la structure du cerveau une
influence sur les qualite? s morales, car la volonte? est tout a` fait
inde? pendante des faculte? s physiques: c'est dans l'action pure-
ment intellectuelle de cette volonte? que consiste la conscience,
et la conscience est et doit e^tre affranchie de l'organisation cor-
porelle. Tout ce qui tendrait a` nous o^ter la responsabilite? de nos
actions serait faux et mauvais.
tin jeune me? decin d'un grand talent, Koreff, attire de? ja` l'at-
tention de ceux qui l'ont entendu, par des conside? rations toutes
nouvelles sur le principe de la vie, sur l'action de la mort, sur
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ? 460 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
les causes de la folie; tout ce mouvement dans les esprits an-
nonce une re? volution quelconque, me^me dans la manie`re de
conside? rer les sciences. Il est impossible d'en pre? voir encore
les re? sultats; mais ce qu'on peut affirmer avec ve? rite? , c'est que
si les Allemands se laissent guider par l'imagination, ils ne s'e? -
pargnent aucun travail, aucune recherche, aucune e? tude, et
re? unissent au plus haut degre? deux qualite? s qui semblent s'ex-
clure, la patience et l'enthousiasme.
Quelques savants allemands, poussant encore plus loin l'ide? a-
lisme physique, combattent l'axiome qu'il n'y a pas d'action a`
distance, et veulent, au contraire, re? tablir partout le mouve-
ment spontane? dans la nature. Ils rejettent l'hypothe`se des
fluides, dont les effets tiendraient a` quelques e? gards des forces
me? caniques, qui se pressent et se refoulent, sans qu'aucune or-
ganisation inde? pendante les dirige.
Ceux qui conside`rent la nature comme une intelligence ne
donnent pas a` ce mot le me^me sens qu'on a coutume d'y atta-
cher; car la pense? e de l'homme consiste dans la faculte? de se re-
plier sur soi-me^me, et l'intelligence de la nature marche en
avant, comme l'instinct des animaux. La pense? e se posse`de elle-
me^me, puisqu'elle se juge; l'intelligence sans re? flexion est une
puissance toujours attire? e au dehors. Quand la nature cristallise
selon les formes les plus re? gulie`res, il ne s'ensuit pas qu'elle
sache les mathe? matiques, ou du moins elle ne sait pas qu'elle
les sait, et la conscience d'elle-me^me lui manque. Les savants
allemands attribuent aux forces physiques une certaine origi-
nalite? individuelle, et, d'autre part, ils paraissent admettre,
dans leur manie`re de pre? senter quelques phe? nome`nes du magne? -
tisme animal, que la volonte? de l'homme, sans acte exte? rieur,
exerce une tre`s-grande influence sur la matie`re, et spe? cialement
sur les me? taux.
Pascal dit que les astrologues et les alchimistes ont quelques
principes, mais qu'ils en abusent. Il y a eu peut-e^tre dans l'an-
tiquite? des rapports plus intimes entre l'homme et la nature
qu'il n'en existe de nos jours. Les myste`res d'Eleusis, le culte
des E? gyptiens, le syste`me des e? manations, chez les Indiens,
l'adoration des e? le? ments et du soleil, chez les Persans, l'harmo-
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nie des nombres, qui fonda la doctrine de Pythagore, sont des traces d'un attrait singulier qui re? unissait l'homme avec l'uni-
vers.
Le spiritualisme, en fortifiant la puissance de la re? flexion, a
se? pare? davantage l'homme des influences physiques, et la re? for-
mation, en portant plus loin encore le penchant vers l'analyse,
amis la raison en garde contre les impressions primitives de
l'imagination: les Allemands tendent vers le ve? ritable perfec-
tionnement de l'esprit humain, lorsqu'ils cherchent a` re? veiller
les inspirations de la nature par les lumie`res de la pense? e.
L'expe? rience conduit chaque jour les savants a` reconnai^tre des
phe? nome`nes auxquels on ne croyait plus, parce qu'ils e? taient me? -
lange? s avec des superstitions, et que l'on en faisait jadis des
pre? sages. Les anciens ont raconte? que des pierres tombaient du
ciel, et de nos jours on a constate? l'exactitude de ce fait dont
on avait nie? l'existence. Les anciens ont parle? depluies rouges
comme du sang et des foudres de la terre; on s'est assure? nou-
vellement de la ve? rite? de leurs assertions a` cet e? gard. L'astronomie et la musique sont la science et l'art que les
hommes ont connus de toute antiquite? : pourquoi les sons et les
astres ne seraient-ils pas re? unis par des rapports que les an-
ciens auraient sentis, et que nous pourrions retrouver? Pytha-
gore avait soutenu que les plane`tes e? taient entre elles a` la me^me
distance que les sept cordes de la lyre, et l'on affirme qu'il a
pressenti les nouvelles plane`tes qui ont e? te? de? couvertes entre
Mars et Jupiter". Il parai^t qu'il n'ignorait pas le vrai syste`me
des cieux, l'immobilite? du soleil, puisque Copernic s'appuie a`
cet e? gard de son opinion, cite? e par Cice? ron. D'ou` venaient donc
ces e? tonnantes de? couvertes, sans le secours des expe? riences et
des machines nouvelles dont les modernes sont en possession?
C'est que les anciens marchaient hardiment, e? claire? s parle ge? -
nie. Ils se servaient de la raison, sur laquelle repose l'intelligence
humaine; mais ils consultaient aussi l'imagination, qui est la
pre? tresse de la nature.
1 M. Pre? vost professeur de philosophie a` Gene? ve, a publie? sur ce sujet une
brochure d'un tre? s-grand inte? re^t. Cet e? crivain philosophe est aussi connu en
Europe qu'estime? dans sa patrie.
? 19.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ? 162 <<NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
Ce que nous appelons des erreurs et des superstitions tenait
peut-e^tre a` des lois de l'univers qui nous sont encore inconnues.
Les rapports des plane`tes avec les me? taux, l'influence de ces
rapports, les oracles me^mes, et les pre? sages, ne pourraient-ils
pas avoir pour cause des puissances occultes dont nous n'avons
plus aucune ide? e? Et qui sait s'il n'y a pas un germe de ve? rite?
cache? dans tous les apologues, dans toutes les croyances, qu'on
a fle? tris du nom de folie? Il ne s'ensuit pas assure? ment qu'il faille
renoncer a` la me? thode expe? rimentale, si ne? cessaire dans les
sciences ; mais pourquoi ne donnerait-on pas pour guide supre^me
a` cette me? thode une philosophie plus e? tendue, qui embrasserait
l'univers dans son ensemble, et ne me? priserait pas le cote?
noc-
turne de la nature, en attendant qu'on puisse y re? pandre de la
clarte? ?
C'est de la poe? sie, re? pondra-t-on, que toute cette manie`re de
conside? rer le monde physique; mais on ne parvient a` le con-
nai^tre d'une manie`re certaine que par l'expe? rience, et tout ce qui
n'est pas susceptible de preuves peut e^tre un amusement de
l'esprit, mais ne conduit jamais a` des progre`s solides. -- Sans
doute les Franc? ais ont raison de recommander aux Allemands le
respect pour l'expe? rience, mais ils ont tort de tourner en ridi-
cule les pressentiments de la re? flexion, qui seront peut-e^tre un
jour confirme? s par la connaissance des faits. La plupart des
grandes de? couvertes ont commence? par parai^tre absurdes, et
l'homme de ge? nie ne fera jamais rien, s'il a peur des plaisante-
ries; elles sont sans force quand on les de? daigne, et prennent toujours plus d'ascendant quand on les redoute. On voit dans
les contes de fe? es des fanto^mes qui s'opposent aux entreprises
des chevaliers, et les tourmentent jusqu'a` ce que ces chevaliers
aient passe? outre. Alors tous les sortile? ges s'e? vanouissent, et la
campagne fe? conde s'offre a` leurs regards. L'envie et la me? dio-
crite? ont bien aussi leurs sortile? ges: mais il faut marcher vers
la ve? rite? , sans s'inquie? ter des obstacles apparents qui se pre? sen-
tent.
Lorsque Keppler eut de? couvert les lois harmoniques du mouvement des corps ce? lestes, c'est ainsi qu'il exprima sa joie: << En-
<< fin , apre`s dix-huit mois, une premie`re lueur m'a e? claire? , et,
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 463
<< dans ce jour remarquable, j'ai senti les purs rayons des ve? ri-
<< (e? s sublimes. Rien a` pre? sent ne me retient : j'ose me livrer a`
<< ma sainte ardeur, j'ose insulter aux mortels, en leur avouant
, que je me suis servi de la science mondaine , quej'ai de? robe? les
>> vases d'E? gypte, pour en construire un temple a` mon Dieu. Si
l'on me pardonne, je m'en re? jouirai; si l'on me bla^me, je le
<< supporterai. Le sort en est jete? , j'e? cris ce livre: qu'il soit lu
<< par mes contemporaius ou par la poste? rite? , n'importe : il peut
<< bien attendre un lecteur pendant un sie`cle, puisque Dieu
>> lui me^me a manque? , durant six mille anne? es, d'un contem-
<< plateur tel que moi. >> Cette expression hardie d'un orgueil-
leux enthousiasme prouve la force inte? rieure du ge? nie.
Goethe a dit sur la perfectibilite? de l'esprit humain un mot
plein de sagacite? : Il avance toujours, mais en ligne spirale.
Cette comparaison est d'autant plus juste, qu'a` beaucoup d'e? -
poques il semble reculer, et revient ensuite sur ses pas, en ayant
gagne? quelques degre? s de plus. Il y a des moments ou` le
scepticisme est ne? cessaire aux progre`s des sciences; il en est
d'autres ou`, selon Hemsterhuis, l'esprit merveilleux doit l'em-
porter sur l'esprit ge? ome? trique. Quand l'homme est de? vore? , ou
pluto^t re? duit en poussie`re par l'incre? dulite? , cet esprit merveil-
leux est le seul qui rende a` rame une puissance d'admiration sans laquelle on ne peut comprendre la nature.
La the? orie des sciences, en Allemagne, a donne? aux esprits
un e? lan semblable a` celui que la me? taphysique avait imprime?
dans l'e? tude de l'a^me. La vie tient dans les phe? nome`nes physi-
ques le me^me rang que la volonte? dans l'ordre moral. Si les
rapports de ces deux syste`mes les font bannir tous deux par de
certaines gens, il y en a qui verraient dans ces rapports la dou-
ble garantie de la me^me ve? rite? . Ce qui est certain au moins,
c'est que l'inte? re^t des sciences est singulie`rement augmente? par
cette manie`re de les rattacher toutes a` quelques ide? es principa-
les. Les poetes pourraient trouver dans les sciences une foule
de pense? es a` leur usage, si elles communiquaient entre elles par
la philosophie de l'univers, et si cette philosophie de l'univers,
au lieu d'e^tre abstraite, e? tait anime? e par l'ine? puisable source du
sentiment. L'univers ressemble plus a` un poe`me qu'a` une ma-
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? 464 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
c'hiue: et s'il fallait choisir, pour le concevoir, de l'imagination ou de l'esprit mathe? matique, l'imagination approcherait davan-
tage dela` ve? rite? . Mais encore une fois, il ne faut pas choisir, puis-
que c'est la totalite? de notre e^tre moral qui doit e^tre employe? e
dans une si importante me? ditation.
Le nouveau syste`me de physique ge? ne? rale, qui sert de guide
en Allemagne a` la physique expe? rimentale, ne peut e^tre juge?
que par ses re? sultats. Il faut voir s'il conduira l'esprit humain a`
des de? couvertes nouvelles et constate? es. Mais ce qu'on ne peut
nier, ce sont les rapports qu'il e? tablit entre les diffe? rentes bran-
ches d'e? tude. On se fuit les uns les autres d'ordinaire, quand on
a des occupations diffe? rentes, parce qu'on s'ennuie re? ciproque-
ment. L'e? ruditn'a rien a` dire au poe`te, le poe`te au physicien;
et me^me, entre les savants, ceux qui s'occupent de sciences di-
verses ne s'inte? ressent gue`re a` leurs travaux mutuels : cela ne
peut e^tre ainsi, depuis que la philosophie centrale e? tablit une
relation d'une nature sublime entre toutes les pense? es. Les sa-
vants pe? ne`trent la nature a` l'aide de l'imagination. Les poe`tes
trouvent dans les sciences les ve? ritables beaute? s de l'univers. Les
e? ruditsenrichissent les poe`tes par les souvenirs, et les savants
par les analogies. Les sciences pre? sente? es isole? ment, et comme un domaine
e? tranger a` l'a^me, n'attirent pas les esprits exalte? s. Laplupart
des hommes qui s'y sont voue? s, a` quelques honorables exceptions
pre`s, ont donne? a` notre sie`cle cette tendance vers le calcul qui
sert si bien a` connai^tre dans tous les cas quel est le plus fort. La
philosophie allemande fait entrer les sciences physiques dans
cette sphe`re universelle des ide? es, ou` les moindres observations,
comme les plus grands re? sultats, tiennent a` l'inte? re^t de l'en-
semble.
CHAPITRE XI.
De l'influence de la nouvelle philosophie sur le caracte`re des Allemands.
Il semblerait qu'un syste`me de philosophie qui attribue a` ce.
. qui de? pend de nous, a` notre volonte? , une action route-puissante,
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devrait fortifier le caracte`re, et le rendre inde? pendant des cir-
constances exte? rieures; mais il y a lieu de croire que les institu-
tions politiques et religieuses peuvent seules former l'esprit
public, et que nulle the? orie abstraite n'est assez efficace pour
donner a` une nation de l'e? nergie : car il faut l'avouer, les Alle-
mands de nos jours n'ont pas ce qu'on peut appeler du caracte`re-
Us sont vertueux, inte`gres, comme hommes prive? s, comme
pe`res de famille, comme administrateurs; mais leur empresse-
ment gracieux et complaisant pour le pouvoir fait de la peine .
surtout quand on les aime, et qu'on les croit les de? fenseurs spe? -
culatifs les plus e? claire? s de la dignite? humaine. La sagacite? de l'esprit philosophique leur a seulement appris a` connai^tre en toutes circonstances la cause et les conse? quences
de ce qui arrive, et il leur semble que, de`s qu'ils ont trouve? une
the? orie pour un fait, il est justifie? . L'esprit militaire et l'amour
de la patrie ont porte? diverses nations au plus haut degre? possible
d'e? nergie; maintenant, ces deux sources de de? vouement existent
a` peine chez les Allemands pris en masse.