e de tout le
monde; mais on y peut puiser des consolations qui agissent sur
l'a^me inte?
monde; mais on y peut puiser des consolations qui agissent sur
l'a^me inte?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
La purete?
touchante, qui est le principal charme du poe`me de Voss, se
fait sentir surtout, ce me semble, dans la be? ne? diction nuptiale
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? DES POEMES ALLEMANDS. 161
du pasteur, en mariant sa fille : << Ma fille, lui dit-il avec une voix
<< e? mue, que la be? ne? diction de Dieu soit avec toi. Aimable et ver-
<< tueux enfant, que la be? ne? diction de Dieu t'accompagne sur la
<< terre et dans le ciel. J'ai e? te? jeune et je suis devenu vieux, et
<< dans cette vie incertaine le Tout-Puissant m'a envoye? beaucoup
<< de joie et de douleur. Qu'il soit be? ni pour toutes deux! Je vais
<< biento^t reposer sans regret ma te^te blanchie dans le tombeau de
mes pe`res, car ma fille est heureuse ; elle l'est, parce qu'elle sait
qu'un Dieu paternel soigne notre a^me par la douleur comme par
le plaisir. Quel spectacle plus touchant que celui de cette jeune
<< et belle fiance? e! Dans la simplicite? de son coeur, elle s'appuie
<< sur la main de l'ami qui doit la conduire dans le sentier de la vie;
<< c'est avec lui que, dans une intimite? sainte, elle partagera le
bonheur et-l'infortune; c'est celle qui, si Dieu le veut, doit
<< essuyer la dernie`re sueursur le front de son e? poux mortel. Mon
<< a^me e? tait aussi remplie de pressentiments, lorsque, le jour de
<< mes noces, j'amenai dans ces lieux ma timide compagne : con-
<< tent, mais se? rieux, je lui montrai de loin la borne de nos
champs, la tour de l'e? glise, et l'habitation du pasteur ou` nous
avons e? prouve? tant de biens et de maux. Mon unique enfant,
car il ne me reste que toi, d'autres a` qui j'avais donne? la vie
<< dorment la`-bas sous le gazon du cimetie`re ; mon unique enfant,
<< tu vas t'en aller en suivant la route par laquelle je suis venu.
<< La chambre de ma fille sera de? serte; sa place a` notre table nt
<< sera plus occupe? e; c'est en vain que je pre^terai l'oreille a` ses
pas, a` sa voix. Oui, quand ton e? poux t'emme`nera loin de moi,
des sanglots m'e? chapperont, et mes yeux mouille? s de pleurs te
suivront longtemps encore ; car je suis homme et pe`re, et j'aime
<< avec tendresse cette fille qui m'aime aussi since`rement. Mais
<< biento^t, re? primant mes larmes J'e? le`verai vers le ciel mes mains
<< suppliantes, et je me prosternerai devant la volonte? de Dieu,
qui commande a` la femme de quitter sa me`re et son pe`re pour
suivre son e? poux. Va donc en paix, mon enfant, abandonne ta
famille et la maison paternelle ; suis le jeune homme qui main-
<<tenant te tiendra lieu de ceux a` qui tu dois le jour; sois dans
<< sa maison comme une vigne fe? conde, entoure-la de nobles re-
<<jetons. Un mariage religieux est la plus belle des fe? licite? s ter-
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? |62 DES POEMES \Ll. t. MAMlS.
<< restres; mais si le Seigneur ne fonde pas lui-me^me l'e? difice de
<< l'homme, qu'importent ses vains travaux? >>
Voila` dela vraie simplicite? , celle de l'a^me, celle qui convient
au peuple comme aux rois, aux pauvres comme aux riches, en-
lin a` toutes les cre? atures de Dieu. On se lasse promptement de
la poe? sie descriptive , quand elle s'applique a` des objets qui n'ont
rien de grand en eux-me^mes; mais les sentiments descendent du
ciel, et dans quelque humble se? jour que pe? ne`trent leurs rayons,
ils ne perdent rien de leur beaute? .
L'extre^me admiration qu'inspire Goethe en Allemagne a fait
donner a` son poe`me d'Hermann et Dorothe? e le nom de poe`me
e? pique; et l'un des hommes les plus spirituels en tout pays,
M. de Humboldt, le fre`re du ce? le`bre voyageur, a compose? sur ce
poe`me un ouvragequi contient les remarques les plus philosophi-
ques et les plus piquantes. Hermann et Dorothe? e est traduit en
franc? ais et en anglais; toutefois on ne peut avoir l'ide? e, par la
traduction, du charme qui re`gne dans cet ouvrage: une e? motion
douce, mais continuelle, se fait sentir depuis le premier vers jus-
qu'au dernier, et il y a, dans les moindres de? tails, une dignite?
naturelle, qui ne de? parerait pas les he? ros d'Home`re. Ne? anmoins,
il faut en convenir, les personnages et les e? ve? nements sont de
trop peu d'importance ; le sujet suffit a` l'inte? re^t quand on le lit
dans l'original; dans la traduction cet inte? re^t se dissipe. En fait
de poe`me e? pique, il me semble qu'il est permis d'exiger une
certaine aristocratie litte? raire; la dignite? des personnages et des
souvenirs historiques qui s'y rattachent, peut seule e? lever l'ima-!
gination a` la hauteur de ce genre d'ouvrage. Un poe`me ancien du treizie`me sie`cle, les Niebelungs, dont
j'ai de? ja` parle? , parai^t avoir eu dans son temps tous lescaracte`res
d'un ve? ritable poe`me e? pique. Les grandes actions du he? ros de l'Al-
lemagne du Nord, Sigefroi, assassine? par un roi bourguignon, la
vengeance que les siens en tire`rent dans le camp d'Attila, et qui
mit fin au premier royaume de Bourgogne, sont le sujet de ce
poe`me. Un poe`me e? pique n'est presque jamais l'ouvrage d'un
homme, et les sie`cles me^mes , pour ainsi dire, y travaillent: le
patriotisme, la religion, enfin la totalite? del'existence d'un peu-
ple , ne peut e^tre mise eu action que par quelques-uns de ces
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? DR LA POESIE ALLEMANDE. I 63
e? ve? nements immenses que le poe`te ne cre? e pas, mais qui lui ap-
paraissent agrandis par la nuit des temps: les personnages du
poe`me e? pique doivent repre? senter le caracte`re primitif de la
nation. Il faut trouver en eux le moule indestructible dont est
sortie toute l'histoire.
Ce qu'il y avait de beau eu Allemagne. c'e? tait l'ancienne che-
valerie, sa force, sa loyaute? , sa bonhomie, et la rudesse du Nord,
qui s'alliait avec une sensibilite? sublime. Ce qu'il y avait aussi
de beau, c'e? tait le christianisme ente? sur la mythologie scandi-
nave; cet honneur sauvage que la foi rendait pur et sacre? ; ce
respect pour les femmes, qui devenait plus touchant encore par
la protection accorde? e a` tous les faibles; cet enthousiasme de la
mort, ce paradis guerrier ou` la religion la plus humaine a pris
place. Tels sont les e? le? ments d'un poe`me e? pique en Allemagne.
Il faut que le ge? nie s'en empare, et qu'il sache, comme Me? de? e,
ranimer par un nouveau sang d'anciens souvenirs.
CHAPITRE XIII.
De la poe? sie allemande.
Les poe? sies allemandes de? tache? es sont, ce me semble, plus
remarquables encore que les poe`mes, et c'est surtout dans ce
genre que le cachet de l'originalite? est empreint: il est vrai aussi
que les auteurs les plus cite? s a` cet e? gard, Goethe, Schiller, Bu`r-
ger, etc. , sont de l'e? cole moderne, qui seule porte un caracte`re
vraiment national. Goethe a plus d'imagination, Schiller plus
de sensibilite? , et Bu^rger est de tous celui qui posse`de le talent
le plus populaire. En examinant successivement quelques poe? -
sies de ces trois hommes, on se fera mieux l'ide? e de ce qui les
distingue. Schiller a de l'analogie avec le gou^t franc? ais; toutefois
on ne trouve dans ses poe? sies de? tache? es rien qui ressemble aux
poe? sies fugitives de Voltaire; cette e? le? gance de conversation et
presque de manie`res, transporte? e dans la poe? sie, n'appartenait
qu'a` la France; et Voltaire, en fait de gra^ce, e? tait le premier des
e? crivains franc? ais. Il serait inte? ressant de comparer les stances
de Schiller sur la perte de la jeunesse, intitule? es f Ide? al, avec cel-
les de Voltaire:
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? 16-1 DE LA POESIE ALLEMANDE.
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'a^ge des amours, etc.
On voit dans le poete franc? ais l'expression d'un regret ai-
mable, dont les plaisirs de l'amour et les joies de la vie sont
l'objet : le poete allemand pleure la perte de l'enthousiasme et
de l'innocente purete? des pense? es du premier a^ge; et c'est par la
poe? sie et la pense? e qu'il se flatte d'embellir encore le de? clin de
ses ans. Il n'y a pas dans les stances de Schiller cette clarte? facile
et brillante que permet un genre d'esprit a` la porte?
e de tout le
monde; mais on y peut puiser des consolations qui agissent sur
l'a^me inte? rieurement. Schiller ne pre? sente jamais les re? flexions
les plus profondes que reve^tues de nobles images : il parle a`
l'homme comme la nature elle-me^me; car la nature est tout a`
la fois penseur et poete. Pour peindre l'ide? e du temps, elle fait
couler devant nos yeux les flots d'un fleuve ine? puisable; et pour
que sa jeunesse e? ternelle nous fasse songera notre existence pas-
sage`re , elle se reve^t de fleurs qui doivent pe? rir, elle fait tomber
en automne les feuilles des arbres que le printemps a vues dans
tout leur e? clat : la poe? sie doit e^tre le miroir terrestre de la Di-
viuite? , et re? fle? chir, par les couleurs, les sons et les rhythmes,
toutes les beaute? s de l'univers.
La pie`ce de vers intitule? e ta Cloche consiste en deux parties
parfaitement distinctes : les strophes en refrain expriment le
travail qui se fait dans la forge, et entre chacune de ces strophes
il y a des vers ravissants sur les circonstances solennelles, ou
sur les e? ve? nements extraordinaires annonce? s par les cloches, tels
que la naissance, le mariage, la mort, l'incendie, la re? volte, etc.
On pourrait traduire en franc? ais les pense? es fortes, les images
belles et touchantes qu'inspirent a` Schiller les grandes e? po-
ques de la destine? e humaine; mais il est impossible d'imiter
noblement les strophes en petits vers, et compose? es de mots dont
le son bizarre et pre? cipite? semble faire entendre les coups re-
double? s et les pas rapides des ouvriers qui dirigent la lave bru^-
lante de l'airain. Peut-on avoir l'ide? e d'un poe`me de ce genre
par une traduction en prose? c'est lire la musique au lieu de
l'entendre; encore est-il plus aise? de se figurer, par l'imagina-
tion, l'effet des instruments que l'on connai^t, que les accords et
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. IfiS
les contrastes d'un rhythme et d'une langue qu'on ignore. Tan-
to^t la brie`vete? re? gulie`re du me`tre fait sentir l'activite? des forge-
rons , l'e? nergie borne? e, mais continue, qui s'exerce dans les oc-
cupations mate? rielles; et tanto^t, a` co^te? de ce bruit dur et fort,
l'on entend les chants ae? riens de l'enthousiasme et de la me? lan-
colie.
L'originalite? de ce poe`me est perdue quand on le se? pare de
l'impression que produisent une mesure de vers habilement
choisie, et des rimes qui se re? pondent comme des e? chos intelli-
gents que la pense? e modifie ; et cependant ces effets pittoresques
des sons seraient tre`s-hasarde? s en franc? ais. L'ignoble nous me-
nace sans cesse : nous n'avons pas , comme presque tous les au-
tres peuples, deux langues , celle de la prose et celle des vers;
et il en est des mots comme des personnes, la` ou` les rangs sonl
confondus, la familiarite? est dangereuse.
Une autre pie`ce de Schiller, Cassandre, pourrait plus faci-
lement se traduire en franc? ais, quoique le langage poe? tique y soit
d'une grande hardiesse. Cassandre, au moment ou` la fe^te des
noces de Polyxe`ne avec Achille va commencer, est saisie par le
pressentiment des malheurs qui re? sulteront de cette fe^te : elle se
prome`ne triste et sombre dans les bois d'Apollon, et se plaint
de connai^tre l'avenir qui trouble toutes les jouissances. On voit
dans cette ode le mal que fait e? prouver a` un e^tre mortel la pre-
science d'un dieu. La douleur de la prophe? tesse n'est-elle pas
ressentie par tous ceux dont l'esprit est supe? rieur et le caracte`re
passionne? ? Schiller a su montrer, sous une forme toute poe? tique,
une grande ide? e morale : c'est que le ve? ritable ge? nie, celui du
sentiment, est victime de lui-me^me, quand il ne le serait pas
des autres. Il n'y a point d'hymen pour Cassandre, non qu'elle
soit insensible, non qu'elle soit de? daigne? e; mais son a^me pe? ne? -
trante de? passe en peu d'instants et la vie et la mort, et ne se re-
posera que dans le ciel.
Je ne finirais point si je voulais parler de toutes les poe? sies de
Schiller qui renferment des pense? es et des beaute? s nouvelles. Il
a fait sur le de? part des Grecs apre`s la prise de Troie un hymne
qu'on pourrait croire d'un poete d'alors, tant la couleur du
temps y est fide`lement observe? e. J'examinerai, sous le rapport
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? 160 DE LA POE? SIE ALLEMANDE.
de l'art dramatique, le talent admirable des Allemands pour se
transporter dans les sie`cles, dans les pays, dans les caracte`res
les plus diffe? rents du leur : superbe faculte? , sans laquelle les
personnages qu'on met eu sce`ne ressemblent a` des marionnettes
qu'un me^me fil remue, et qu'une me^me voix, celle de l'auteur,
fait parler. Schiller me? rite surtout d'e^tre admire? comme poe`te
dramatique : Goethe est tout seul au premier rang, dans l'art de
composer des e? le? gies, des romances, des stances, etc. ; ses poe? -
sies de? tache? es ont un me? rite tre`s-diffe? rent de celles de Voltaire.
Le poete franc? ais a su mettre en vers l'esprit de la socie? te? la plus
brillante; le poe`te allemand re? veille dans l'a^me, par quelques
traits rapides, des impressions solitaires et profondes.
Goethe, dans ce genre d'ouvrages, est naturel au supre^me
degre? ; non-seulement il estnaturel quand il parle d'apre`s ses
propres impressions, mais aussi quand il se transporte dans des
pays, des moeurs et des situations toutes nouvelles; sapoe? sie
prend facilement la couleur des contre? es e? trange`res; il saisit avec
un talent unique ce qui plai^t dans les chansons nationales de
chaque peuple; il devient, quand il le veut, un Grec, un Indien,
un Morlaque. Nous avons souvent parle? de ce qui caracte? rise
les poe`tes du Nord, la me? lancolie et la me? ditation : Goethe,
comme tous les hommes de ge? nie, re? unit en lui d'e? tonnants
contrastes; on retrouve dans ses poe? sies beaucoup de traces du
caracte`re des habitants du Midi; il est plus en train de l'exis-
tence que les Septentrionaux ; il sent la nature avec plus de vi-
gueur et de se? re? nite? ; son esprit n'en a pas moins de profondeur,
mais son talent a plus de vie; on y trouve un certain genre de
nai? vete? qui re? veille a` la fois le souvenir de la simplicite? antique
et de celle du moyen a^ge: ce n'est pas la nai? vete? de l'innocence,
c'est celle de la force. On aperc? oit dans les poe? sies de Goethe
qu'il de? daigne une foule d'obstacles, de convenances, de criti-
ques et d'observations qui pourraient lui e^tre oppose? es. 11 suit
son imagination ou` elle le me`ne, et un certain orgueil en masse
l'affranchit des scrupules de l'amour-propre. Goethe est en poe? sie
un artiste puissamment mai^tre de la nature, et plus admirable
encore quand il n'ache`ve pas ses tableaux; car ses esquisses ren-
ferment toutes le germe d'une belle fiction : mais ses fictions
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. 167
termine? es ne supposent pas toujours une heureuse esquisse.
Dans ses e? le? gies, compose? es a` Rome, il ne faut pas chercher
des descriptions de l'Italie ; Goethe nefaitpresque jamais ce qu'on
attend de lui, et quand il y a de la pompe dans une ide? e, elle
lui de? plai^t; il veut produire de l'effet par une route de? tourne? e,
et comme a` l'insu de l'auteur et du lecteur. Ses e? le? gies peignent
l'effet de l'Italie sur toute son existence, cette ivresse du bon-
heur, dont un beau ciel le pe? ne`tre. Il raconte ses plaisirs, me^me
les plus vulgaires, a` la manie`re de Properce; et de temps en
temps quelques beaux souvenirs de la ville mai^tresse du monde
donnent a` l'imagination un e? lan d'autant plus vif qu'elle n'y
e? tait pas pre? pare? e.
Une fois il raconte comment il rencontra, dans la campagne
de Rome, une jeune femme qui allaitait son enfant, assise sur
un de? bris de colonne antique: il voulut la questionner sur les
ruines dont sa cabane e? tait environne? e; elle ignorait ce dont il
lui parlait ; tout entie`re aux affections dont son a^me e? tait rem-
plie, elle aimait, et le moment pre? sent existait seul pour elle.
On lit dans un auteur grec, qu'une jeune fille, habile dans
l'art de tresser les fleurs, lutta contre son amant Pausias, qui
savait les peindre. Goethe a compose? sur ce sujet une idylle char-
mante. L'auteur de cette idylle est aussi celui de Werther.
Depuis le sentiment qui donne de la gra^ce, jusqu'au de? sespoir
qui exalte le ge? nie, Goethe a parcouru toutes les nuances de
l'amour.
Apre`s s'e^tre fait grec dans Pausias, Goethe nous conduit en
Asie, par une romance pleine de charmes, la Bayade`re. Un
dieu de l'Inde (Mahadoeh) se reve^t de la forme mortelle, pour
juger des peines et des plaisirs des hommes, apre`s les avoir
<<prouve? s. Il voyage a` travers l'Asie, observe les grands et le
peuple; et comme un soir, au sortir d'une ville, il se prome`ne
sur les bords du Gange, une bayade`re l'arre^te, et l'engage a` se
reposer dans sa demeure. Il y a tant de poe? sie, une couleur si
orientale, dans la peinture des danses de cette bayade`re, des
parfums et des fleurs dont elle s'entoure, qu'on ne peut juger
d'apre`s nos moeurs un tableau qui leur est tout a` fait e?
touchante, qui est le principal charme du poe`me de Voss, se
fait sentir surtout, ce me semble, dans la be? ne? diction nuptiale
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? DES POEMES ALLEMANDS. 161
du pasteur, en mariant sa fille : << Ma fille, lui dit-il avec une voix
<< e? mue, que la be? ne? diction de Dieu soit avec toi. Aimable et ver-
<< tueux enfant, que la be? ne? diction de Dieu t'accompagne sur la
<< terre et dans le ciel. J'ai e? te? jeune et je suis devenu vieux, et
<< dans cette vie incertaine le Tout-Puissant m'a envoye? beaucoup
<< de joie et de douleur. Qu'il soit be? ni pour toutes deux! Je vais
<< biento^t reposer sans regret ma te^te blanchie dans le tombeau de
mes pe`res, car ma fille est heureuse ; elle l'est, parce qu'elle sait
qu'un Dieu paternel soigne notre a^me par la douleur comme par
le plaisir. Quel spectacle plus touchant que celui de cette jeune
<< et belle fiance? e! Dans la simplicite? de son coeur, elle s'appuie
<< sur la main de l'ami qui doit la conduire dans le sentier de la vie;
<< c'est avec lui que, dans une intimite? sainte, elle partagera le
bonheur et-l'infortune; c'est celle qui, si Dieu le veut, doit
<< essuyer la dernie`re sueursur le front de son e? poux mortel. Mon
<< a^me e? tait aussi remplie de pressentiments, lorsque, le jour de
<< mes noces, j'amenai dans ces lieux ma timide compagne : con-
<< tent, mais se? rieux, je lui montrai de loin la borne de nos
champs, la tour de l'e? glise, et l'habitation du pasteur ou` nous
avons e? prouve? tant de biens et de maux. Mon unique enfant,
car il ne me reste que toi, d'autres a` qui j'avais donne? la vie
<< dorment la`-bas sous le gazon du cimetie`re ; mon unique enfant,
<< tu vas t'en aller en suivant la route par laquelle je suis venu.
<< La chambre de ma fille sera de? serte; sa place a` notre table nt
<< sera plus occupe? e; c'est en vain que je pre^terai l'oreille a` ses
pas, a` sa voix. Oui, quand ton e? poux t'emme`nera loin de moi,
des sanglots m'e? chapperont, et mes yeux mouille? s de pleurs te
suivront longtemps encore ; car je suis homme et pe`re, et j'aime
<< avec tendresse cette fille qui m'aime aussi since`rement. Mais
<< biento^t, re? primant mes larmes J'e? le`verai vers le ciel mes mains
<< suppliantes, et je me prosternerai devant la volonte? de Dieu,
qui commande a` la femme de quitter sa me`re et son pe`re pour
suivre son e? poux. Va donc en paix, mon enfant, abandonne ta
famille et la maison paternelle ; suis le jeune homme qui main-
<<tenant te tiendra lieu de ceux a` qui tu dois le jour; sois dans
<< sa maison comme une vigne fe? conde, entoure-la de nobles re-
<<jetons. Un mariage religieux est la plus belle des fe? licite? s ter-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? |62 DES POEMES \Ll. t. MAMlS.
<< restres; mais si le Seigneur ne fonde pas lui-me^me l'e? difice de
<< l'homme, qu'importent ses vains travaux? >>
Voila` dela vraie simplicite? , celle de l'a^me, celle qui convient
au peuple comme aux rois, aux pauvres comme aux riches, en-
lin a` toutes les cre? atures de Dieu. On se lasse promptement de
la poe? sie descriptive , quand elle s'applique a` des objets qui n'ont
rien de grand en eux-me^mes; mais les sentiments descendent du
ciel, et dans quelque humble se? jour que pe? ne`trent leurs rayons,
ils ne perdent rien de leur beaute? .
L'extre^me admiration qu'inspire Goethe en Allemagne a fait
donner a` son poe`me d'Hermann et Dorothe? e le nom de poe`me
e? pique; et l'un des hommes les plus spirituels en tout pays,
M. de Humboldt, le fre`re du ce? le`bre voyageur, a compose? sur ce
poe`me un ouvragequi contient les remarques les plus philosophi-
ques et les plus piquantes. Hermann et Dorothe? e est traduit en
franc? ais et en anglais; toutefois on ne peut avoir l'ide? e, par la
traduction, du charme qui re`gne dans cet ouvrage: une e? motion
douce, mais continuelle, se fait sentir depuis le premier vers jus-
qu'au dernier, et il y a, dans les moindres de? tails, une dignite?
naturelle, qui ne de? parerait pas les he? ros d'Home`re. Ne? anmoins,
il faut en convenir, les personnages et les e? ve? nements sont de
trop peu d'importance ; le sujet suffit a` l'inte? re^t quand on le lit
dans l'original; dans la traduction cet inte? re^t se dissipe. En fait
de poe`me e? pique, il me semble qu'il est permis d'exiger une
certaine aristocratie litte? raire; la dignite? des personnages et des
souvenirs historiques qui s'y rattachent, peut seule e? lever l'ima-!
gination a` la hauteur de ce genre d'ouvrage. Un poe`me ancien du treizie`me sie`cle, les Niebelungs, dont
j'ai de? ja` parle? , parai^t avoir eu dans son temps tous lescaracte`res
d'un ve? ritable poe`me e? pique. Les grandes actions du he? ros de l'Al-
lemagne du Nord, Sigefroi, assassine? par un roi bourguignon, la
vengeance que les siens en tire`rent dans le camp d'Attila, et qui
mit fin au premier royaume de Bourgogne, sont le sujet de ce
poe`me. Un poe`me e? pique n'est presque jamais l'ouvrage d'un
homme, et les sie`cles me^mes , pour ainsi dire, y travaillent: le
patriotisme, la religion, enfin la totalite? del'existence d'un peu-
ple , ne peut e^tre mise eu action que par quelques-uns de ces
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DR LA POESIE ALLEMANDE. I 63
e? ve? nements immenses que le poe`te ne cre? e pas, mais qui lui ap-
paraissent agrandis par la nuit des temps: les personnages du
poe`me e? pique doivent repre? senter le caracte`re primitif de la
nation. Il faut trouver en eux le moule indestructible dont est
sortie toute l'histoire.
Ce qu'il y avait de beau eu Allemagne. c'e? tait l'ancienne che-
valerie, sa force, sa loyaute? , sa bonhomie, et la rudesse du Nord,
qui s'alliait avec une sensibilite? sublime. Ce qu'il y avait aussi
de beau, c'e? tait le christianisme ente? sur la mythologie scandi-
nave; cet honneur sauvage que la foi rendait pur et sacre? ; ce
respect pour les femmes, qui devenait plus touchant encore par
la protection accorde? e a` tous les faibles; cet enthousiasme de la
mort, ce paradis guerrier ou` la religion la plus humaine a pris
place. Tels sont les e? le? ments d'un poe`me e? pique en Allemagne.
Il faut que le ge? nie s'en empare, et qu'il sache, comme Me? de? e,
ranimer par un nouveau sang d'anciens souvenirs.
CHAPITRE XIII.
De la poe? sie allemande.
Les poe? sies allemandes de? tache? es sont, ce me semble, plus
remarquables encore que les poe`mes, et c'est surtout dans ce
genre que le cachet de l'originalite? est empreint: il est vrai aussi
que les auteurs les plus cite? s a` cet e? gard, Goethe, Schiller, Bu`r-
ger, etc. , sont de l'e? cole moderne, qui seule porte un caracte`re
vraiment national. Goethe a plus d'imagination, Schiller plus
de sensibilite? , et Bu^rger est de tous celui qui posse`de le talent
le plus populaire. En examinant successivement quelques poe? -
sies de ces trois hommes, on se fera mieux l'ide? e de ce qui les
distingue. Schiller a de l'analogie avec le gou^t franc? ais; toutefois
on ne trouve dans ses poe? sies de? tache? es rien qui ressemble aux
poe? sies fugitives de Voltaire; cette e? le? gance de conversation et
presque de manie`res, transporte? e dans la poe? sie, n'appartenait
qu'a` la France; et Voltaire, en fait de gra^ce, e? tait le premier des
e? crivains franc? ais. Il serait inte? ressant de comparer les stances
de Schiller sur la perte de la jeunesse, intitule? es f Ide? al, avec cel-
les de Voltaire:
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? 16-1 DE LA POESIE ALLEMANDE.
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'a^ge des amours, etc.
On voit dans le poete franc? ais l'expression d'un regret ai-
mable, dont les plaisirs de l'amour et les joies de la vie sont
l'objet : le poete allemand pleure la perte de l'enthousiasme et
de l'innocente purete? des pense? es du premier a^ge; et c'est par la
poe? sie et la pense? e qu'il se flatte d'embellir encore le de? clin de
ses ans. Il n'y a pas dans les stances de Schiller cette clarte? facile
et brillante que permet un genre d'esprit a` la porte?
e de tout le
monde; mais on y peut puiser des consolations qui agissent sur
l'a^me inte? rieurement. Schiller ne pre? sente jamais les re? flexions
les plus profondes que reve^tues de nobles images : il parle a`
l'homme comme la nature elle-me^me; car la nature est tout a`
la fois penseur et poete. Pour peindre l'ide? e du temps, elle fait
couler devant nos yeux les flots d'un fleuve ine? puisable; et pour
que sa jeunesse e? ternelle nous fasse songera notre existence pas-
sage`re , elle se reve^t de fleurs qui doivent pe? rir, elle fait tomber
en automne les feuilles des arbres que le printemps a vues dans
tout leur e? clat : la poe? sie doit e^tre le miroir terrestre de la Di-
viuite? , et re? fle? chir, par les couleurs, les sons et les rhythmes,
toutes les beaute? s de l'univers.
La pie`ce de vers intitule? e ta Cloche consiste en deux parties
parfaitement distinctes : les strophes en refrain expriment le
travail qui se fait dans la forge, et entre chacune de ces strophes
il y a des vers ravissants sur les circonstances solennelles, ou
sur les e? ve? nements extraordinaires annonce? s par les cloches, tels
que la naissance, le mariage, la mort, l'incendie, la re? volte, etc.
On pourrait traduire en franc? ais les pense? es fortes, les images
belles et touchantes qu'inspirent a` Schiller les grandes e? po-
ques de la destine? e humaine; mais il est impossible d'imiter
noblement les strophes en petits vers, et compose? es de mots dont
le son bizarre et pre? cipite? semble faire entendre les coups re-
double? s et les pas rapides des ouvriers qui dirigent la lave bru^-
lante de l'airain. Peut-on avoir l'ide? e d'un poe`me de ce genre
par une traduction en prose? c'est lire la musique au lieu de
l'entendre; encore est-il plus aise? de se figurer, par l'imagina-
tion, l'effet des instruments que l'on connai^t, que les accords et
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. IfiS
les contrastes d'un rhythme et d'une langue qu'on ignore. Tan-
to^t la brie`vete? re? gulie`re du me`tre fait sentir l'activite? des forge-
rons , l'e? nergie borne? e, mais continue, qui s'exerce dans les oc-
cupations mate? rielles; et tanto^t, a` co^te? de ce bruit dur et fort,
l'on entend les chants ae? riens de l'enthousiasme et de la me? lan-
colie.
L'originalite? de ce poe`me est perdue quand on le se? pare de
l'impression que produisent une mesure de vers habilement
choisie, et des rimes qui se re? pondent comme des e? chos intelli-
gents que la pense? e modifie ; et cependant ces effets pittoresques
des sons seraient tre`s-hasarde? s en franc? ais. L'ignoble nous me-
nace sans cesse : nous n'avons pas , comme presque tous les au-
tres peuples, deux langues , celle de la prose et celle des vers;
et il en est des mots comme des personnes, la` ou` les rangs sonl
confondus, la familiarite? est dangereuse.
Une autre pie`ce de Schiller, Cassandre, pourrait plus faci-
lement se traduire en franc? ais, quoique le langage poe? tique y soit
d'une grande hardiesse. Cassandre, au moment ou` la fe^te des
noces de Polyxe`ne avec Achille va commencer, est saisie par le
pressentiment des malheurs qui re? sulteront de cette fe^te : elle se
prome`ne triste et sombre dans les bois d'Apollon, et se plaint
de connai^tre l'avenir qui trouble toutes les jouissances. On voit
dans cette ode le mal que fait e? prouver a` un e^tre mortel la pre-
science d'un dieu. La douleur de la prophe? tesse n'est-elle pas
ressentie par tous ceux dont l'esprit est supe? rieur et le caracte`re
passionne? ? Schiller a su montrer, sous une forme toute poe? tique,
une grande ide? e morale : c'est que le ve? ritable ge? nie, celui du
sentiment, est victime de lui-me^me, quand il ne le serait pas
des autres. Il n'y a point d'hymen pour Cassandre, non qu'elle
soit insensible, non qu'elle soit de? daigne? e; mais son a^me pe? ne? -
trante de? passe en peu d'instants et la vie et la mort, et ne se re-
posera que dans le ciel.
Je ne finirais point si je voulais parler de toutes les poe? sies de
Schiller qui renferment des pense? es et des beaute? s nouvelles. Il
a fait sur le de? part des Grecs apre`s la prise de Troie un hymne
qu'on pourrait croire d'un poete d'alors, tant la couleur du
temps y est fide`lement observe? e. J'examinerai, sous le rapport
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? 160 DE LA POE? SIE ALLEMANDE.
de l'art dramatique, le talent admirable des Allemands pour se
transporter dans les sie`cles, dans les pays, dans les caracte`res
les plus diffe? rents du leur : superbe faculte? , sans laquelle les
personnages qu'on met eu sce`ne ressemblent a` des marionnettes
qu'un me^me fil remue, et qu'une me^me voix, celle de l'auteur,
fait parler. Schiller me? rite surtout d'e^tre admire? comme poe`te
dramatique : Goethe est tout seul au premier rang, dans l'art de
composer des e? le? gies, des romances, des stances, etc. ; ses poe? -
sies de? tache? es ont un me? rite tre`s-diffe? rent de celles de Voltaire.
Le poete franc? ais a su mettre en vers l'esprit de la socie? te? la plus
brillante; le poe`te allemand re? veille dans l'a^me, par quelques
traits rapides, des impressions solitaires et profondes.
Goethe, dans ce genre d'ouvrages, est naturel au supre^me
degre? ; non-seulement il estnaturel quand il parle d'apre`s ses
propres impressions, mais aussi quand il se transporte dans des
pays, des moeurs et des situations toutes nouvelles; sapoe? sie
prend facilement la couleur des contre? es e? trange`res; il saisit avec
un talent unique ce qui plai^t dans les chansons nationales de
chaque peuple; il devient, quand il le veut, un Grec, un Indien,
un Morlaque. Nous avons souvent parle? de ce qui caracte? rise
les poe`tes du Nord, la me? lancolie et la me? ditation : Goethe,
comme tous les hommes de ge? nie, re? unit en lui d'e? tonnants
contrastes; on retrouve dans ses poe? sies beaucoup de traces du
caracte`re des habitants du Midi; il est plus en train de l'exis-
tence que les Septentrionaux ; il sent la nature avec plus de vi-
gueur et de se? re? nite? ; son esprit n'en a pas moins de profondeur,
mais son talent a plus de vie; on y trouve un certain genre de
nai? vete? qui re? veille a` la fois le souvenir de la simplicite? antique
et de celle du moyen a^ge: ce n'est pas la nai? vete? de l'innocence,
c'est celle de la force. On aperc? oit dans les poe? sies de Goethe
qu'il de? daigne une foule d'obstacles, de convenances, de criti-
ques et d'observations qui pourraient lui e^tre oppose? es. 11 suit
son imagination ou` elle le me`ne, et un certain orgueil en masse
l'affranchit des scrupules de l'amour-propre. Goethe est en poe? sie
un artiste puissamment mai^tre de la nature, et plus admirable
encore quand il n'ache`ve pas ses tableaux; car ses esquisses ren-
ferment toutes le germe d'une belle fiction : mais ses fictions
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. 167
termine? es ne supposent pas toujours une heureuse esquisse.
Dans ses e? le? gies, compose? es a` Rome, il ne faut pas chercher
des descriptions de l'Italie ; Goethe nefaitpresque jamais ce qu'on
attend de lui, et quand il y a de la pompe dans une ide? e, elle
lui de? plai^t; il veut produire de l'effet par une route de? tourne? e,
et comme a` l'insu de l'auteur et du lecteur. Ses e? le? gies peignent
l'effet de l'Italie sur toute son existence, cette ivresse du bon-
heur, dont un beau ciel le pe? ne`tre. Il raconte ses plaisirs, me^me
les plus vulgaires, a` la manie`re de Properce; et de temps en
temps quelques beaux souvenirs de la ville mai^tresse du monde
donnent a` l'imagination un e? lan d'autant plus vif qu'elle n'y
e? tait pas pre? pare? e.
Une fois il raconte comment il rencontra, dans la campagne
de Rome, une jeune femme qui allaitait son enfant, assise sur
un de? bris de colonne antique: il voulut la questionner sur les
ruines dont sa cabane e? tait environne? e; elle ignorait ce dont il
lui parlait ; tout entie`re aux affections dont son a^me e? tait rem-
plie, elle aimait, et le moment pre? sent existait seul pour elle.
On lit dans un auteur grec, qu'une jeune fille, habile dans
l'art de tresser les fleurs, lutta contre son amant Pausias, qui
savait les peindre. Goethe a compose? sur ce sujet une idylle char-
mante. L'auteur de cette idylle est aussi celui de Werther.
Depuis le sentiment qui donne de la gra^ce, jusqu'au de? sespoir
qui exalte le ge? nie, Goethe a parcouru toutes les nuances de
l'amour.
Apre`s s'e^tre fait grec dans Pausias, Goethe nous conduit en
Asie, par une romance pleine de charmes, la Bayade`re. Un
dieu de l'Inde (Mahadoeh) se reve^t de la forme mortelle, pour
juger des peines et des plaisirs des hommes, apre`s les avoir
<<prouve? s. Il voyage a` travers l'Asie, observe les grands et le
peuple; et comme un soir, au sortir d'une ville, il se prome`ne
sur les bords du Gange, une bayade`re l'arre^te, et l'engage a` se
reposer dans sa demeure. Il y a tant de poe? sie, une couleur si
orientale, dans la peinture des danses de cette bayade`re, des
parfums et des fleurs dont elle s'entoure, qu'on ne peut juger
d'apre`s nos moeurs un tableau qui leur est tout a` fait e?