es, dont le premier conseil est
toujours le sacrifice de soi-me^me.
toujours le sacrifice de soi-me^me.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
tique.
Des difficulte?
s d'un autre genre se pre?
sentent quand
l'art dramatique parcourt le vaste champ de l'invention; on
dirait qu'il est plus libre ; cependant rien n'est plus rare que de
caracte? riser assez des personnages inconnus, pour qu'ils aient
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? ET DON CARLOS. 201
autant de consistance que des noms de? ja` ce? le`bres. Lear, Othello,
Orosmane, Taucre`de, ont rec? u de Shakespeare et de Voltaire
l'immortalite? , sans avoir joui dela vie; toutefois les sujets d'in-
vention sont d'ordinaire l'e? cueil du poe`te, par l'inde? pendance
me^me qu'ils lui laissent. Les sujets historiques semblent impo-
ser dela ge^ne; mais quand on saisit bien le point d'appui qu'offrent de certaines bornes, la carrie`re qu'elles tracent et l'e? lan
qu'elles permettent, ces bornes me^mes sont favorables au talent.
La poe? sie fide`le fait ressortir la ve? rite? comme le rayon du soleil
les couleurs, et donne aux e? ve? nements qu'elle retrace l'e? clat que
les te? ne`bres du temps leur avaient ravi.
L'on pre? fe`re en Allemagne les trage? dies historiques, lorsque
l'art s'y manifeste, comme le Prophe`te du passe? '. L'auteur
qui veut composer un tel ouvrage doit se transporter tout entier
dans le sie`cle et dans les moeurs des personnages qu'il repre? -
sente, et l'on aurait raison de critiquer plus se? ve`rement un ana-
chronisme dans les sentiments et dans les pense? es que dans les
dates.
C'est d'apre`s ces principes que quelques personnes ont bla^me?
Schiller d'avoir invente? le caracte`re du marquis de Posa, noble
Espagnol, partisan de la liberte? , de la tole? rance, passionne? pour
toutes les ide? es nouvelles qui commenc? aient alors a` fermenter
en Europe. Je crois qu'on peut reprocher a` Schiller d'avoir fait
e? noncer ses propres opinions par le marquis de Posa; mais ce
n'est pas, comme on l'a pre? tendu, l'esprit philosophique du
dix-huitie`me sie`cle qu'il lui a donne? . Le marquis de Posa, tel
que l'a peint Schiller, est un enthousiaste allemand; et ce carac-
te`re est si e? tranger a` notre temps, qu'on peut aussi bien le croire
du seizie`me sie`cle que du no^tre. Une plus grande erreur, peut-
e^tre , c'est de supposer que Philippe II pu^t e? couter longtemps
avec plaisir un tel homme, et qu'il lui ait donne? me^me pour un
instant sa confiance. Posa dit avec raison, en parlant de Phi-
lippe II :-- << Je faisais d'inutiles efforts pour exalter sou a^me ,
<< et, dans cette terre refroidie, les fleurs de ma pense? e ne pou-
<< valent prospe? rer. <<--Mais Philippe II ne se fu^t jamais entretenu
1 Expression de Fre? de? ric Schlegel, sur la pe? ne? tration d'un grand historien.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 202 LES RHIGANDS
avec un jeune homme tel que le marquis de Posa. Le vieux fils
de Charles-Quint ne devait voir dans la jeunesse et l'enthou-
siasme que le tort de la nature et le crime de la re? formation;
s'il avait pu se confier un jour a` un e^tre ge? ne? reux, il eu^t de? -
menti son caracte`re et me? rite? le pardon des sie`cles.
Il y a des inconse? quences dans le caracte`re de tous les hommes,
me^me dans celui des tyrans; mais elles tiennent par des liens
invisibles a` leur nature. Dans la pie`ce de Schiller, une de ces
inconse? quences est singulie`rement bien saisie. Le duc de Medina-Sidonia, ge? ne? ral avance? en a^ge, qui a commande? l'invincible
Armada dissipe? e par la flotte anglaise et les orages, revient,
et tout le monde croit que le courroux de Philippe II va l'ane? an-
tir. Les courtisans s'e? cartent de lui, nul n'ose l'approcher; il
se jette aux genoux de Philippe, et lui dit: << Sire, vous voyez
<< en moi tout ce qui reste de la flotte et de l'intre? pide arme? e
<< que vous m'aviez confie? es. --Dieu est au-dessus de moi, re? -
<< pond Philippe; je vous ai envoye? contre des hommes, mais
<< non pas contre des tempe^tes; soyez conside? re? comme mon
digne serviteur. >> Voila` de la magnanimite? ; et cependant a`
quoi tient-elle? a` un certain respect pour la vieillesse, dans un
monarque e? tonne? que la nature se soit permis de le faire vieux;
a` l'orgueil, qui ne permet pas a` Philippe de s'attribuer a` lui-
me^me ses revers , en s'accusant d'un mauvais choix; a` l'indul-
gence qu'il se sent pour un homme abaisse? par le sort; lui qui
voudrait qu'un joug quelconque courba^t tous les genres de fierte? ,
excepte? la sienne; enfin, au caracte`re me^me d'un despote, que
les obstacles naturels re? voltent moins que la plus faible re? sis-
tance volontaire. Cette sce`ne jette une lueur profonde sur le
caracte`re de Philippe II.
Sans doute le personnage du marquis de Posa peut e^tre con-
side? ri comme l'oeuvre d'un jeune poe`te qui a besoin de donner
son a^me a` son personnage favori; mais c'est une belle chose en
soi-me^me que ce caracte`re pur et exalte? , au milieu d'une cour
ou` le silence et la terreur ne sont trouble? s que par le bruit sou-
terrain de l'intrigue. Don Carlos ne peut e^tre un grand homme ,
son pe`re doit l'avoir opprime? de`s l'enfance : le marquis de Posa
est un interme? diaire qui semble indispensable entre Philippe et
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET DON CARLOS. 203
son fils. Don Carlos a tout l'enthousiasme des affections du
coeur; Posa, celui des vertus publiques : l'un devrait e^tre le roi,
l'autre l'ami ; et ce de? placement me^me dans les caracte`res est
une ide? e inge? nieuse : car serait-il possible que le fils d'un des-
pote sombre et cruel fu^t un he? ros citoyen ? ou` aurait-il appris a`
estimer les hommes? Est-ce par son pe`re, qui les me? prise, ou
parles courtisans de son pe`re, qui me? ritent ce me? pris? Don
Carlos doit e^tre faible pour e^tre bon, et la place me^me que son
amour tient dans sa vie exclut de son a^me toutes les pense? es
politiques. Je le re? pe`te donc, l'invention du personnage du mar-
quis de Posa me parai^t ne? cessaire pour repre? senter dans la pie`ce
les grands inte? re^ts des nations, et cette force chevaleresque qui
se transformait tout a` coup par les lumie`res du temps en amour
dela liberte? . De quelque manie`re qu'on eu^t pu modifier ces
sentiments , ils ne convenaient pas au prince royal; ils auraient
pris en lui le caracte`re de la ge? ne? rosite? , et il ne faut pas que la
liberte? soit jamais repre? sente? e comme un don du pouvoir.
La gravite? ce? re? monieuse dela cour de Philippe II est caracte? -
rise? e d'une manie`re bien frappante, dans la sce`ne d'E? lisabeth
avec ses dames d'honneur. Elle demande a` l'une d'elles ce qu'elle
aime le mieux, du se? jour d'Aranjuez ou de Madrid; la dame
d'honneur re? pond que les reines d'Espagne ont coutume, de-
puis des temps imme? moriaux, de rester trois mois a` Madrid,
et trois mois a` Aranjuez. Elle ne se permet pas le moindre signe
de pre? fe? rence pour un se? jour ou pour un autre; elle se croit
faite pour ne rien e? prouver, en aucun genre, qui ne lui soit com-
mande? . Elisabeth demande sa fille; on lui re? pond que l'heure
fixe? e pour qu'elle la voie n'est pas encore arrive? e. Enfin, le roi
parai^t, et il exile pour dix ans cette me^me dame d'honneur si re? -
signe? e, parce qu'elle a laisse? la reine une demi-heure seule.
Philippe II se re? concilie unmoment avec don Carlos, et re-
prend sur lui, par une parole de bonte? , tout l'ascendant pater-
nel. -- << Voyez, lui dit Carlos, les cieux s'abaissent pour assister
a` la re? conciliation d'un pe`re avec son fils. >> -- C'est un beau moment que celui ou` le marquis de Posa, n'es-
pe? rant plus e? chappera` la vengeance de Philippe II, prie Elisabeth de recommander a` don Carlos l'accomplissement des projets
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? J04 LES RRIGANDS
qu'ils ont forme? s ensemble pour la gloire et le bonheur de la
nation espagnole. << Rappelez-lui, dit-il, quand il sera dans
l'a^ge mu^r, rappelez-lui qu'il doit porter respect aux re^ves de
sa jeunesse. >> En effet, quand on avance dans la vie, la pru-
dence prend a` tort le pas sur toutes les autres vertus; on dirait
que tout est folie dans la chaleur de l'a^me; et cependant, si
l'homme pouvaitla conserver encore quand l'expe? rience l'e? claire,
s'il he? ritait du temps sans se courber sous son poids, il n'in-
sulterait jamais aux vertus exalte?
es, dont le premier conseil est
toujours le sacrifice de soi-me^me. Le marquis de Posa, par une suite de circonstances trop em-
brouille? es, a cru servir don Carlos aupre`s de Philippe, en pa-
raissant le sacrifier a` la fureur de son pe`re. Il n'a pu re? ussir dans ses projets; le prince est conduit en prison, le marquis de
Posa va l'y trouver, lui explique les motifs de sa conduite, et,
pendant qu'il se justifie, un assassin, envoye? par Philippe II, le
fait tomber, atteint d'une balle meurtrie`re, aux pieds de son
ami. La douleur de don Carlos est admirable; il redemande le
compagnon de sa jeunesse a` son pe`re qui l'a tue? , comme si
l'assassin conservait encore le pouvoir de rendre la vie a` sa
victime. Les regards fixe? s sur ce corps immobile qu'animaient
nague`re tant de pense? es, don Carlos, condamne? lui-me^me a`
pe? rir, apprend tout ce qu'est la mort dans les traits glace? s de
son ami.
Il y a dans cette trage? die deux moines, dont les caracte`res et
le genre de vie sont en contraste : l'un, c'est Domingo, le con-
fesseur du roi; et l'autre, un pre^tre retire? dans un couvent soli-
taire, a` la porte de Madrid. Domingo n'est qu'un moine intri-
gant, perfide et courtisan, confident du duc d'Albe, dont le caracte`re disparai^t ne? cessairement a` co^te? de celui de Philippe,
car Philippe prend a` lui seul tout ce qu'il y a de beau dans le
terrible. Le moine solitaire recoit,' sans les connai^tre, don Car-
los et Posa, qui se sont donne? rendez-vous dans son couvent,
au milieu de leurs plus grandes agitations. Le calme, la re? si-
gnation du prieur qui les accueille, produisent un effet tou-
chant. << A ces murs, dit le pieux solitaire, finit le monde. >>
Mais rien dans toute la pie`ce n'e? gale l'originalite? de Pavant-
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? ET DON CARLOS. 205
dernie`re sce`ne du cinquie`me acte, entre le roi et le grand inqui-
siteur. Philippe, poursuivi par sa jalouse haine contre son pro-
pre fils, et par la terreur du crime qu'il va commettre, Philippe
envie ses pages qui dorment paisiblement au pied de son lit,
tandis que l'enfer de son propre coeur le prive de tout repos. Il
envoie chercher le grand inquisiteur, pour le consulter sur la
condamnation de don Carlos. Ce moine cardinal a quatre-vingt-dix ans; il est plus a^ge? que ne le serait Charles-Quint, dont il
a e? te? le pre? cepteur; il est aveugle, et vit dans une solitude abso-
lue; les seuls espions de l'inquisition viennent lui apporter des
nouvelles de ce qui se passe dans le monde; il s'informe seule-
ment s'il y a des crimes, des fautes ou des pense? es a` punir. A
ses yeux, Philippe II, a^ge? de soixante ans, est encore jeune. Le
plus sombre, le plus prudent des despotes, lui parai^t un souve-
rain inconside? re? , dont la tole? rance introduira la re? formation en
Europe; c'est un homme de bonne foi, mais tellement desse? che?
par le temps, qu'il apparai^t comme un spectre vivant que la
mort a oublie? de frapper, parce qu'elle le croyait depuis long-
temps dans le tombeau.
Il demande compte a` Philippe II de la mort du marquis de
Posa : il la lui reproche, parce que c'e? tait a` l'inquisition a` le
faire pe? rir; et, s'il regrette la victime, c'est parce qu'on l'a
prive? du droit de l'immoler. Philippe II l'interroge sur la con-
damnation de son fils: -- << Ferez-vous passer en moi, lui dit-
<< il, une croyance qui de? pouille de son horreur le meurtre d'un
<< fils? >> -- Le grand inquisiteur lui re? pond : -- << Pour apaiser
<< l'e? ternelle justice , le fils de Dieu mourut sur la croix. >> --
Quel mot! quelle application sanguinaire du dogme le plus
touchant!
Ce vieillard aveugle fait apparai^tre avec lui tout un sie`cle.
La terreur profonde que l'inquisition et le fanatisme me^me de
ce temps devaient faire peser sur l'Espagne, tout est peint par
cette sce`ne laconique et rapide; nulle e? loquence ne pourrait
exprimer ainsi une telle foule de pense? es mises habilement en
action.
Je sais que l'on pourrait relever beaucoup d'inconvenances
dans la pie`ce de Don Carlos ; mais je ne me suis pas charge? e de 18
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? 206 WALS. TEIN
ce travail, pour lequel il y a beaucoup de concurrents. Les lit-
te? rateurs les plus ordinaires peuvent trouver des fautes de gou^t
dans Shakespeare, Schiller, Goethe, etc. ; mais quand il ne
s'agit, dans les ouvrages de l'art, que de retrancher, cela n'est pas
difficile: c'est l'a^me et le talent qu'aucune critique ne peut
donner: c'est la` ce qu'il faut respecter partout ou` l'on le trouve,
de quelque nuage que ces rayons ce? lestes soient environne? s.
Loin de sere? jouir des erreurs du ge? nie, l'on sent qu'elles dimi-
nuent le patrimoine de la race humaine, et les titres de gloire
dont elle s'enorgueillit. L'ange tute? laire que Sterne a peint avec
tant de gra^ce, ne pourrait-il pas verser une larme sur les de? -
fauts d'un bel ouvrage , comme sur les torts d'une noble vie,
afin d'en effacer le souvenir?
Je ne m'arre^terai pas davantage sur les pie`ces de la jeunesse
de Schiller; d'abord, parce qu'elles sont traduites en franc? ais,
et secondement, parce qu'il n'y manifeste pas encore ce ge? nie
historique qui l'a fait si justement admirer dans les trage? dies
de son a^ge mu^r. Don Carlos me^me, quoique fonde? sur un fait
historique, est presque un ouvrage d'imagination. L'intrigue
en est trop complique? e; un personnage de pure invention, le
marquis de Posa, y joue un trop grand ro^le; on dirait que
cette trage? die passe entre l'histoire et la poe? sie, sans satisfaire
entie`rement ni l'une ni l'autre: il n'en est certainement pas
ainsi de celles dont je vais essayer de donner une ide? e.
CHAPITRE XVIII.
Walstein et Marie Stuart.
IVahtein est la trage? die la plus nationale qui ait e? te? repre? -
sente? e sur le the? a^tre allemand ; la beaute? des vers et la gran-
deur du sujet transporte`rent d'enthousiasme tous les specta-
teurs a` Weimar, ou` elle a d'abord e? te? donne? e, et l'Allemagne se
flatta de posse? der un nouveau Shakespeare. Lessing, en bla^-
mant le gou^t franc? ais, et en se ralliant a` Diderot dans la ma-
nie`re de concevoir l'art dramatique, avait banni la poe? sie du
the? a^tre, et l'on n'y voyait plus que des romans dialogue? s, ou`
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? ET MARIE STUAHT. 207
l'on continuait la vie telle qu'elle est d'ordinaire, en multipliant
seulement sur les planches les e? ve? nements qui arrivent plus
rarement dans la re? alite? .
Schiller imagina de mettre sur la sce`ne une circonstance re-
marquahle de la guerre de trente ans, de cette guerre civile et
religieuse qui a fixe? pour plus d'un sie`cle, en Allemagne, l'e? qui-
libre des deux partis protestant et catholique. La nation alle-
mande est tellement divise? e, qu'on ne sait jamais si les exploits
d'une moitie? de cette nation sont un malheur ou une gloire pour
l'autre; ne? anmoins , le Walstein de Schiller a fait e? prouver a`
tous un e? gal enthousiasme. Le me^me sujet est partage? en trois
pie`ces diffe? rentes ; le Camp de Walstein, qui est la premie`re
des trois, repre? sente les effets de la guerre sur la masse du peu-
ple et de l'arme? e; la seconde, les Piccolomini, montre les
causes politiques qui pre? pare`rent les dissensions entre les chefs;
et la troisie`me, la Mort de Walstein, est le re? sultat de l'en-
thousiasme et de l'envie que la re? putation de Walstein avait
excite? s.
J'ai vu jouer le prologue , intitule? le Camp de Walstein; on
se croyait au milieu d'une arme? e, et d'une arme? e de partisans,
bien plus vive et bien moins discipline? e que les troupes re? gle? es.
Les paysans, les recrues, les vivandie`res, les soldats, tout
concourait a` l'effet de ce spectacle; l'impression qu'il produit
est si guerrie`re, que lorsqu'on le donna sur le the? a^tre de Berlin,
devant des officiers qui partaient pour l'arme? e, des cris d'en-
thousiasme se firent entendre de toutes parts. Il faut une ima-
gination bien puissante dans un homme de lettres pour se figurer
ainsi la vie des camps, l'inde? pendance, la joie turbulente excite? e
par le danger me^me. L'homme, de? gage? de tous ses liens, sans
regrets et sans pre? voyance, fait des anne? es un jour, et des jours
un instant; il joue tout ce qu'il posse`de, obe? it au hasard sous
la forme de son ge? ne? ral : la mort, toujours pre? sente, le de? livre
gaiement des soucis de la vie. Rien n'est plus original, dans le
camp de Walstein , que l'arrive? e d'un capucin au milieu de la
bande tumultueuse des soldats qui croient de? fendre la cause du
catholicisme. Le capucin leur pre^che la mode? ration et la justice
dans un langage plein de quolibets et de calembourgs, et qui
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? 208 WALSTE1N
ne diffe`re de celui des camps que par la recherche et l'usage de
quelques paroles latines : l'e? loquence bizarre et soldatesque du
pre^tre, la religion rude et grossie`re de ceux qui l'e? coutent,
tout cela pre? sente un spectacle de confusion tre`s-remarquable.
L'e? tat social en fermentation montre l'homme sous un singu-
lier aspect; ce qu'il a de sauvage reparai^t, et les restes de la ci-
vilisation errent comme un vaisseau brise? sur les vagues agite? es.
Le camp de Walstein est une inge? nieuse introduction aux
deux autres pie`ces; il pe? ne`tre d'admiration pour ce ge? ne? ral dont
les soldats parlent sans cesse, dans leurs jeux comme dans leurs
pe?
l'art dramatique parcourt le vaste champ de l'invention; on
dirait qu'il est plus libre ; cependant rien n'est plus rare que de
caracte? riser assez des personnages inconnus, pour qu'ils aient
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? ET DON CARLOS. 201
autant de consistance que des noms de? ja` ce? le`bres. Lear, Othello,
Orosmane, Taucre`de, ont rec? u de Shakespeare et de Voltaire
l'immortalite? , sans avoir joui dela vie; toutefois les sujets d'in-
vention sont d'ordinaire l'e? cueil du poe`te, par l'inde? pendance
me^me qu'ils lui laissent. Les sujets historiques semblent impo-
ser dela ge^ne; mais quand on saisit bien le point d'appui qu'offrent de certaines bornes, la carrie`re qu'elles tracent et l'e? lan
qu'elles permettent, ces bornes me^mes sont favorables au talent.
La poe? sie fide`le fait ressortir la ve? rite? comme le rayon du soleil
les couleurs, et donne aux e? ve? nements qu'elle retrace l'e? clat que
les te? ne`bres du temps leur avaient ravi.
L'on pre? fe`re en Allemagne les trage? dies historiques, lorsque
l'art s'y manifeste, comme le Prophe`te du passe? '. L'auteur
qui veut composer un tel ouvrage doit se transporter tout entier
dans le sie`cle et dans les moeurs des personnages qu'il repre? -
sente, et l'on aurait raison de critiquer plus se? ve`rement un ana-
chronisme dans les sentiments et dans les pense? es que dans les
dates.
C'est d'apre`s ces principes que quelques personnes ont bla^me?
Schiller d'avoir invente? le caracte`re du marquis de Posa, noble
Espagnol, partisan de la liberte? , de la tole? rance, passionne? pour
toutes les ide? es nouvelles qui commenc? aient alors a` fermenter
en Europe. Je crois qu'on peut reprocher a` Schiller d'avoir fait
e? noncer ses propres opinions par le marquis de Posa; mais ce
n'est pas, comme on l'a pre? tendu, l'esprit philosophique du
dix-huitie`me sie`cle qu'il lui a donne? . Le marquis de Posa, tel
que l'a peint Schiller, est un enthousiaste allemand; et ce carac-
te`re est si e? tranger a` notre temps, qu'on peut aussi bien le croire
du seizie`me sie`cle que du no^tre. Une plus grande erreur, peut-
e^tre , c'est de supposer que Philippe II pu^t e? couter longtemps
avec plaisir un tel homme, et qu'il lui ait donne? me^me pour un
instant sa confiance. Posa dit avec raison, en parlant de Phi-
lippe II :-- << Je faisais d'inutiles efforts pour exalter sou a^me ,
<< et, dans cette terre refroidie, les fleurs de ma pense? e ne pou-
<< valent prospe? rer. <<--Mais Philippe II ne se fu^t jamais entretenu
1 Expression de Fre? de? ric Schlegel, sur la pe? ne? tration d'un grand historien.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 202 LES RHIGANDS
avec un jeune homme tel que le marquis de Posa. Le vieux fils
de Charles-Quint ne devait voir dans la jeunesse et l'enthou-
siasme que le tort de la nature et le crime de la re? formation;
s'il avait pu se confier un jour a` un e^tre ge? ne? reux, il eu^t de? -
menti son caracte`re et me? rite? le pardon des sie`cles.
Il y a des inconse? quences dans le caracte`re de tous les hommes,
me^me dans celui des tyrans; mais elles tiennent par des liens
invisibles a` leur nature. Dans la pie`ce de Schiller, une de ces
inconse? quences est singulie`rement bien saisie. Le duc de Medina-Sidonia, ge? ne? ral avance? en a^ge, qui a commande? l'invincible
Armada dissipe? e par la flotte anglaise et les orages, revient,
et tout le monde croit que le courroux de Philippe II va l'ane? an-
tir. Les courtisans s'e? cartent de lui, nul n'ose l'approcher; il
se jette aux genoux de Philippe, et lui dit: << Sire, vous voyez
<< en moi tout ce qui reste de la flotte et de l'intre? pide arme? e
<< que vous m'aviez confie? es. --Dieu est au-dessus de moi, re? -
<< pond Philippe; je vous ai envoye? contre des hommes, mais
<< non pas contre des tempe^tes; soyez conside? re? comme mon
digne serviteur. >> Voila` de la magnanimite? ; et cependant a`
quoi tient-elle? a` un certain respect pour la vieillesse, dans un
monarque e? tonne? que la nature se soit permis de le faire vieux;
a` l'orgueil, qui ne permet pas a` Philippe de s'attribuer a` lui-
me^me ses revers , en s'accusant d'un mauvais choix; a` l'indul-
gence qu'il se sent pour un homme abaisse? par le sort; lui qui
voudrait qu'un joug quelconque courba^t tous les genres de fierte? ,
excepte? la sienne; enfin, au caracte`re me^me d'un despote, que
les obstacles naturels re? voltent moins que la plus faible re? sis-
tance volontaire. Cette sce`ne jette une lueur profonde sur le
caracte`re de Philippe II.
Sans doute le personnage du marquis de Posa peut e^tre con-
side? ri comme l'oeuvre d'un jeune poe`te qui a besoin de donner
son a^me a` son personnage favori; mais c'est une belle chose en
soi-me^me que ce caracte`re pur et exalte? , au milieu d'une cour
ou` le silence et la terreur ne sont trouble? s que par le bruit sou-
terrain de l'intrigue. Don Carlos ne peut e^tre un grand homme ,
son pe`re doit l'avoir opprime? de`s l'enfance : le marquis de Posa
est un interme? diaire qui semble indispensable entre Philippe et
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ET DON CARLOS. 203
son fils. Don Carlos a tout l'enthousiasme des affections du
coeur; Posa, celui des vertus publiques : l'un devrait e^tre le roi,
l'autre l'ami ; et ce de? placement me^me dans les caracte`res est
une ide? e inge? nieuse : car serait-il possible que le fils d'un des-
pote sombre et cruel fu^t un he? ros citoyen ? ou` aurait-il appris a`
estimer les hommes? Est-ce par son pe`re, qui les me? prise, ou
parles courtisans de son pe`re, qui me? ritent ce me? pris? Don
Carlos doit e^tre faible pour e^tre bon, et la place me^me que son
amour tient dans sa vie exclut de son a^me toutes les pense? es
politiques. Je le re? pe`te donc, l'invention du personnage du mar-
quis de Posa me parai^t ne? cessaire pour repre? senter dans la pie`ce
les grands inte? re^ts des nations, et cette force chevaleresque qui
se transformait tout a` coup par les lumie`res du temps en amour
dela liberte? . De quelque manie`re qu'on eu^t pu modifier ces
sentiments , ils ne convenaient pas au prince royal; ils auraient
pris en lui le caracte`re de la ge? ne? rosite? , et il ne faut pas que la
liberte? soit jamais repre? sente? e comme un don du pouvoir.
La gravite? ce? re? monieuse dela cour de Philippe II est caracte? -
rise? e d'une manie`re bien frappante, dans la sce`ne d'E? lisabeth
avec ses dames d'honneur. Elle demande a` l'une d'elles ce qu'elle
aime le mieux, du se? jour d'Aranjuez ou de Madrid; la dame
d'honneur re? pond que les reines d'Espagne ont coutume, de-
puis des temps imme? moriaux, de rester trois mois a` Madrid,
et trois mois a` Aranjuez. Elle ne se permet pas le moindre signe
de pre? fe? rence pour un se? jour ou pour un autre; elle se croit
faite pour ne rien e? prouver, en aucun genre, qui ne lui soit com-
mande? . Elisabeth demande sa fille; on lui re? pond que l'heure
fixe? e pour qu'elle la voie n'est pas encore arrive? e. Enfin, le roi
parai^t, et il exile pour dix ans cette me^me dame d'honneur si re? -
signe? e, parce qu'elle a laisse? la reine une demi-heure seule.
Philippe II se re? concilie unmoment avec don Carlos, et re-
prend sur lui, par une parole de bonte? , tout l'ascendant pater-
nel. -- << Voyez, lui dit Carlos, les cieux s'abaissent pour assister
a` la re? conciliation d'un pe`re avec son fils. >> -- C'est un beau moment que celui ou` le marquis de Posa, n'es-
pe? rant plus e? chappera` la vengeance de Philippe II, prie Elisabeth de recommander a` don Carlos l'accomplissement des projets
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? J04 LES RRIGANDS
qu'ils ont forme? s ensemble pour la gloire et le bonheur de la
nation espagnole. << Rappelez-lui, dit-il, quand il sera dans
l'a^ge mu^r, rappelez-lui qu'il doit porter respect aux re^ves de
sa jeunesse. >> En effet, quand on avance dans la vie, la pru-
dence prend a` tort le pas sur toutes les autres vertus; on dirait
que tout est folie dans la chaleur de l'a^me; et cependant, si
l'homme pouvaitla conserver encore quand l'expe? rience l'e? claire,
s'il he? ritait du temps sans se courber sous son poids, il n'in-
sulterait jamais aux vertus exalte?
es, dont le premier conseil est
toujours le sacrifice de soi-me^me. Le marquis de Posa, par une suite de circonstances trop em-
brouille? es, a cru servir don Carlos aupre`s de Philippe, en pa-
raissant le sacrifier a` la fureur de son pe`re. Il n'a pu re? ussir dans ses projets; le prince est conduit en prison, le marquis de
Posa va l'y trouver, lui explique les motifs de sa conduite, et,
pendant qu'il se justifie, un assassin, envoye? par Philippe II, le
fait tomber, atteint d'une balle meurtrie`re, aux pieds de son
ami. La douleur de don Carlos est admirable; il redemande le
compagnon de sa jeunesse a` son pe`re qui l'a tue? , comme si
l'assassin conservait encore le pouvoir de rendre la vie a` sa
victime. Les regards fixe? s sur ce corps immobile qu'animaient
nague`re tant de pense? es, don Carlos, condamne? lui-me^me a`
pe? rir, apprend tout ce qu'est la mort dans les traits glace? s de
son ami.
Il y a dans cette trage? die deux moines, dont les caracte`res et
le genre de vie sont en contraste : l'un, c'est Domingo, le con-
fesseur du roi; et l'autre, un pre^tre retire? dans un couvent soli-
taire, a` la porte de Madrid. Domingo n'est qu'un moine intri-
gant, perfide et courtisan, confident du duc d'Albe, dont le caracte`re disparai^t ne? cessairement a` co^te? de celui de Philippe,
car Philippe prend a` lui seul tout ce qu'il y a de beau dans le
terrible. Le moine solitaire recoit,' sans les connai^tre, don Car-
los et Posa, qui se sont donne? rendez-vous dans son couvent,
au milieu de leurs plus grandes agitations. Le calme, la re? si-
gnation du prieur qui les accueille, produisent un effet tou-
chant. << A ces murs, dit le pieux solitaire, finit le monde. >>
Mais rien dans toute la pie`ce n'e? gale l'originalite? de Pavant-
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? ET DON CARLOS. 205
dernie`re sce`ne du cinquie`me acte, entre le roi et le grand inqui-
siteur. Philippe, poursuivi par sa jalouse haine contre son pro-
pre fils, et par la terreur du crime qu'il va commettre, Philippe
envie ses pages qui dorment paisiblement au pied de son lit,
tandis que l'enfer de son propre coeur le prive de tout repos. Il
envoie chercher le grand inquisiteur, pour le consulter sur la
condamnation de don Carlos. Ce moine cardinal a quatre-vingt-dix ans; il est plus a^ge? que ne le serait Charles-Quint, dont il
a e? te? le pre? cepteur; il est aveugle, et vit dans une solitude abso-
lue; les seuls espions de l'inquisition viennent lui apporter des
nouvelles de ce qui se passe dans le monde; il s'informe seule-
ment s'il y a des crimes, des fautes ou des pense? es a` punir. A
ses yeux, Philippe II, a^ge? de soixante ans, est encore jeune. Le
plus sombre, le plus prudent des despotes, lui parai^t un souve-
rain inconside? re? , dont la tole? rance introduira la re? formation en
Europe; c'est un homme de bonne foi, mais tellement desse? che?
par le temps, qu'il apparai^t comme un spectre vivant que la
mort a oublie? de frapper, parce qu'elle le croyait depuis long-
temps dans le tombeau.
Il demande compte a` Philippe II de la mort du marquis de
Posa : il la lui reproche, parce que c'e? tait a` l'inquisition a` le
faire pe? rir; et, s'il regrette la victime, c'est parce qu'on l'a
prive? du droit de l'immoler. Philippe II l'interroge sur la con-
damnation de son fils: -- << Ferez-vous passer en moi, lui dit-
<< il, une croyance qui de? pouille de son horreur le meurtre d'un
<< fils? >> -- Le grand inquisiteur lui re? pond : -- << Pour apaiser
<< l'e? ternelle justice , le fils de Dieu mourut sur la croix. >> --
Quel mot! quelle application sanguinaire du dogme le plus
touchant!
Ce vieillard aveugle fait apparai^tre avec lui tout un sie`cle.
La terreur profonde que l'inquisition et le fanatisme me^me de
ce temps devaient faire peser sur l'Espagne, tout est peint par
cette sce`ne laconique et rapide; nulle e? loquence ne pourrait
exprimer ainsi une telle foule de pense? es mises habilement en
action.
Je sais que l'on pourrait relever beaucoup d'inconvenances
dans la pie`ce de Don Carlos ; mais je ne me suis pas charge? e de 18
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? 206 WALS. TEIN
ce travail, pour lequel il y a beaucoup de concurrents. Les lit-
te? rateurs les plus ordinaires peuvent trouver des fautes de gou^t
dans Shakespeare, Schiller, Goethe, etc. ; mais quand il ne
s'agit, dans les ouvrages de l'art, que de retrancher, cela n'est pas
difficile: c'est l'a^me et le talent qu'aucune critique ne peut
donner: c'est la` ce qu'il faut respecter partout ou` l'on le trouve,
de quelque nuage que ces rayons ce? lestes soient environne? s.
Loin de sere? jouir des erreurs du ge? nie, l'on sent qu'elles dimi-
nuent le patrimoine de la race humaine, et les titres de gloire
dont elle s'enorgueillit. L'ange tute? laire que Sterne a peint avec
tant de gra^ce, ne pourrait-il pas verser une larme sur les de? -
fauts d'un bel ouvrage , comme sur les torts d'une noble vie,
afin d'en effacer le souvenir?
Je ne m'arre^terai pas davantage sur les pie`ces de la jeunesse
de Schiller; d'abord, parce qu'elles sont traduites en franc? ais,
et secondement, parce qu'il n'y manifeste pas encore ce ge? nie
historique qui l'a fait si justement admirer dans les trage? dies
de son a^ge mu^r. Don Carlos me^me, quoique fonde? sur un fait
historique, est presque un ouvrage d'imagination. L'intrigue
en est trop complique? e; un personnage de pure invention, le
marquis de Posa, y joue un trop grand ro^le; on dirait que
cette trage? die passe entre l'histoire et la poe? sie, sans satisfaire
entie`rement ni l'une ni l'autre: il n'en est certainement pas
ainsi de celles dont je vais essayer de donner une ide? e.
CHAPITRE XVIII.
Walstein et Marie Stuart.
IVahtein est la trage? die la plus nationale qui ait e? te? repre? -
sente? e sur le the? a^tre allemand ; la beaute? des vers et la gran-
deur du sujet transporte`rent d'enthousiasme tous les specta-
teurs a` Weimar, ou` elle a d'abord e? te? donne? e, et l'Allemagne se
flatta de posse? der un nouveau Shakespeare. Lessing, en bla^-
mant le gou^t franc? ais, et en se ralliant a` Diderot dans la ma-
nie`re de concevoir l'art dramatique, avait banni la poe? sie du
the? a^tre, et l'on n'y voyait plus que des romans dialogue? s, ou`
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? ET MARIE STUAHT. 207
l'on continuait la vie telle qu'elle est d'ordinaire, en multipliant
seulement sur les planches les e? ve? nements qui arrivent plus
rarement dans la re? alite? .
Schiller imagina de mettre sur la sce`ne une circonstance re-
marquahle de la guerre de trente ans, de cette guerre civile et
religieuse qui a fixe? pour plus d'un sie`cle, en Allemagne, l'e? qui-
libre des deux partis protestant et catholique. La nation alle-
mande est tellement divise? e, qu'on ne sait jamais si les exploits
d'une moitie? de cette nation sont un malheur ou une gloire pour
l'autre; ne? anmoins , le Walstein de Schiller a fait e? prouver a`
tous un e? gal enthousiasme. Le me^me sujet est partage? en trois
pie`ces diffe? rentes ; le Camp de Walstein, qui est la premie`re
des trois, repre? sente les effets de la guerre sur la masse du peu-
ple et de l'arme? e; la seconde, les Piccolomini, montre les
causes politiques qui pre? pare`rent les dissensions entre les chefs;
et la troisie`me, la Mort de Walstein, est le re? sultat de l'en-
thousiasme et de l'envie que la re? putation de Walstein avait
excite? s.
J'ai vu jouer le prologue , intitule? le Camp de Walstein; on
se croyait au milieu d'une arme? e, et d'une arme? e de partisans,
bien plus vive et bien moins discipline? e que les troupes re? gle? es.
Les paysans, les recrues, les vivandie`res, les soldats, tout
concourait a` l'effet de ce spectacle; l'impression qu'il produit
est si guerrie`re, que lorsqu'on le donna sur le the? a^tre de Berlin,
devant des officiers qui partaient pour l'arme? e, des cris d'en-
thousiasme se firent entendre de toutes parts. Il faut une ima-
gination bien puissante dans un homme de lettres pour se figurer
ainsi la vie des camps, l'inde? pendance, la joie turbulente excite? e
par le danger me^me. L'homme, de? gage? de tous ses liens, sans
regrets et sans pre? voyance, fait des anne? es un jour, et des jours
un instant; il joue tout ce qu'il posse`de, obe? it au hasard sous
la forme de son ge? ne? ral : la mort, toujours pre? sente, le de? livre
gaiement des soucis de la vie. Rien n'est plus original, dans le
camp de Walstein , que l'arrive? e d'un capucin au milieu de la
bande tumultueuse des soldats qui croient de? fendre la cause du
catholicisme. Le capucin leur pre^che la mode? ration et la justice
dans un langage plein de quolibets et de calembourgs, et qui
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? 208 WALSTE1N
ne diffe`re de celui des camps que par la recherche et l'usage de
quelques paroles latines : l'e? loquence bizarre et soldatesque du
pre^tre, la religion rude et grossie`re de ceux qui l'e? coutent,
tout cela pre? sente un spectacle de confusion tre`s-remarquable.
L'e? tat social en fermentation montre l'homme sous un singu-
lier aspect; ce qu'il a de sauvage reparai^t, et les restes de la ci-
vilisation errent comme un vaisseau brise? sur les vagues agite? es.
Le camp de Walstein est une inge? nieuse introduction aux
deux autres pie`ces; il pe? ne`tre d'admiration pour ce ge? ne? ral dont
les soldats parlent sans cesse, dans leurs jeux comme dans leurs
pe?