Et cette maison de santé où j'ai trouvé hier un
poète qui ne tournait pas le cou, j'y allais retenir une chambre, car,
ceci entre nous, j'y passe mes vacances à me soigner quand j'ai augmenté
mes maux en me fatiguant trop à guérir ceux des autres.
poète qui ne tournait pas le cou, j'y allais retenir une chambre, car,
ceci entre nous, j'y passe mes vacances à me soigner quand j'ai augmenté
mes maux en me fatiguant trop à guérir ceux des autres.
Proust - A La Recherche du Temps Perdu - Le Côté de Guermantes - Deuxième partie - v1
«Mme de Villeparisis, n'étant que Mme Thirion, acheva la chute qu'elle
avait commencée dans mon esprit quand j'avais vu la composition mêlée
de son salon. Je trouvais injuste qu'une femme dont même le titre et le
nom étaient presque tout récents pût faire illusion aux contemporains et
dût faire illusion à la postérité grâce à des amitiés royales. Mme de
Villeparisis redevenant ce qu'elle m'avait paru être dans mon enfance,
une personne qui n'avait rien d'aristocratique, ces grandes parentés qui
l'entouraient me semblèrent lui rester étrangères. Elle ne cessa dans la
suite d'être charmante pour nous. J'allais quelquefois la voir et elle
m'envoyait de temps en temps un souvenir. Mais je n'avais nullement
l'impression qu'elle fût du faubourg Saint-Germain, et si j'avais eu
quelque renseignement à demander sur lui, elle eût été une des dernières
personnes à qui je me fusse adressé.
«Actuellement, continua M. de Charlus, en allant dans le monde, vous ne
feriez que nuire à votre situation, déformer votre intelligence et votre
caractère. Du reste il faudrait surveiller, même et surtout, vos
camaraderies. Ayez des maîtresses si votre famille n'y voit pas
d'inconvénient, cela ne me regarde pas et même je ne peux que vous y
encourager, jeune polisson, jeune polisson qui allez avoir bientôt
besoin de vous faire raser, me dit-il en me touchant le menton. Mais le
choix des amis hommes a une autre importance. Sur dix jeunes gens, huit
sont de petites fripouilles, de petits misérables capables de vous faire
un tort que vous ne réparerez jamais. Tenez, mon neveu Saint-Loup est à
la rigueur un bon camarade pour vous. Au point de vue de votre avenir,
il ne pourra vous être utile en rien; mais pour cela, moi je suffis. Et,
somme toute, pour sortir avec vous, aux moments où vous aurez assez de
moi, il me semble ne pas présenter d'inconvénient sérieux, à ce que je
crois. Du moins, lui c'est un homme, ce n'est pas un de ces efféminés
comme on en rencontre tant aujourd'hui qui ont l'air de petits truqueurs
et qui mèneront peut-être demain à l'échafaud leurs innocentes
victimes. (Je ne savais pas le sens de cette expression d'argot:
«truqueur». Quiconque l'eût connue eût été aussi surpris que moi. Les
gens du monde aiment volontiers à parler argot, et les gens à qui on
peut reprocher certaines choses à montrer qu'ils ne craignent nullement
de parler d'elles. Preuve d'innocence à leurs yeux. Mais ils ont perdu
l'échelle, ne se rendent plus compte du degré à partir duquel une
certaine plaisanterie deviendra trop spéciale, trop choquante, sera
plutôt une preuve de corruption que de naïveté. ) Il n'est pas comme les
autres, il est très gentil, très sérieux.
Je ne pus m'empêcher de sourire de cette épithète de «sérieux» à
laquelle l'intonation que lui prêta M. de Charlus semblait donner le
sens de «vertueux», de «rangé», comme on dit d'une petite ouvrière
qu'elle est «sérieuse». A ce moment un fiacre passa qui allait tout de
travers; un jeune cocher, ayant déserté son siège, le conduisait du fond
de la voiture où il était assis sur les coussins, l'air à moitié gris.
M. de Charlus l'arrêta vivement. Le cocher parlementa un moment.
--De quel côté allez-vous?
--Du vôtre (cela m'étonnait, car M. de Charlus avait déjà refusé
plusieurs fiacres ayant des lanternes de la même couleur).
--Mais je ne veux pas remonter sur le siège. Ça vous est égal que je
reste dans la voiture?
--Oui, seulement baissez la capote. Enfin pensez à ma proposition, me
dit M. de Charlus avant de me quitter, je vous donne quelques jours pour
y réfléchir, écrivez-moi. Je vous le répète, il faudra que je vous voie
chaque jour et que je reçoive de vous des garanties de loyauté, de
discrétion que d'ailleurs, je dois le dire, vous semblez offrir. Mais,
au cours de ma vie, j'ai été si souvent trompé par les apparences que je
ne veux plus m'y fier. Sapristi! c'est bien le moins qu'avant
d'abandonner un trésor je sache en quelles mains je le remets. Enfin,
rappelez-vous bien ce que je vous offre, vous êtes comme Hercule dont,
malheureusement pour vous, vous ne me semblez pas avoir la forte
musculature, au carrefour de deux routes. Tâchez de ne pas avoir à
regretter toute votre vie de n'avoir pas choisi celle qui conduisait à
la vertu. Comment, dit-il au cocher, vous n'avez pas encore, baissé la
capote? je vais plier les ressorts moi-même Je crois du reste qu'il
faudra aussi que je conduise, étant donné l'état où vous semblez être.
Et il sauta à côté du cocher, au fond du fiacre qui partit au grand
trot.
Pour ma part, à peine rentré à la maison, j'y retrouvai le pendant de la
conversation qu'avaient échangée un peu auparavant Bloch et M. de
Norpois, mais sous une forme brève, invertie et cruelle: c'était une
dispute entre notre maître d'hôtel, qui était dreyfusard, et celui des
Guermantes, qui était antidreyfusard. Les vérités et contre-vérités qui
s'opposaient en haut chez les intellectuels de la Ligue de la Patrie
française et celle des Droits de l'homme se propageaient en effet jusque
dans les profondeurs du peuple. M. Reinach manoeuvrait par le sentiment
des gens qui ne l'avaient jamais vu, alors que pour lui l'affaire
Dreyfus se posait seulement devant sa raison comme un théorème
irréfutable et qu'il démontra, en effet, par la plus étonnante réussite
de politique rationnelle (réussite contre la France, dirent certains)
qu'on ait jamais vue. En deux ans il remplaça un ministère Billot par un
ministère Clemenceau, changea de fond en comble l'opinion publique, tira
de sa prison Picquart pour le mettre, ingrat, au Ministère de la Guerre.
Peut-être ce rationaliste manoeuvreur de foules était-il lui-même
manoeuvré par son ascendance. Quand les systèmes philosophiques qui
contiennent le plus de vérités sont dictés à leurs auteurs, en dernière
analyse, par une raison de sentiment, comment supposer que, dans une
simple affaire politique comme l'affaire Dreyfus, des raisons de ce
genre ne puissent, à l'insu du raisonneur, gouverner sa raison? Bloch
croyait avoir logiquement choisi son dreyfusisme, et savait pourtant que
son nez, sa peau et ses cheveux lui avaient été imposés par sa race.
Sans doute la raison est plus libre; elle obéit pourtant à certaines
lois qu'elle ne s'est pas données. Le cas du maître d'hôtel des
Guermantes et du nôtre était particulier. Les vagues des deux courants
de dreyfusisme et d'antidreyfusisme, qui de haut en bas divisaient la
France, étaient assez silencieuses, mais les rares échos qu'elles
émettaient étaient sincères. En entendant quelqu'un, au milieu d'une
causerie qui s'écartait volontairement de l'Affaire, annoncer
furtivement une nouvelle politique, généralement fausse mais toujours
souhaitée, on pouvait induire de l'objet de ses prédictions
l'orientation de ses désirs. Ainsi s'affrontaient sur quelques points,
d'un côté un timide apostolat, de l'autre, une sainte indignation. Les
deux maîtres d'hôtel que j'entendis en rentrant faisaient exception à la
règle. Le nôtre laissa entendre que Dreyfus était coupable, celui des
Guermantes qu'il était innocent. Ce n'était pas pour dissimuler leurs
convictions, mais par méchanceté et âpreté au jeu. Notre maître d'hôtel,
incertain si la révision se ferait, voulait d'avance, pour le cas d'un
échec, ôter au maître d'hôtel des Guermantes la joie de croire une juste
cause battue. Le maître d'hôtel des Guermantes pensait qu'en cas de
refus de révision, le nôtre serait plus ennuyé de voir maintenir à l'île
du Diable un innocent.
Je remontai et trouvai ma grand'mère plus souffrante. Depuis quelque
temps, sans trop savoir ce qu'elle avait, elle se plaignait de sa santé.
C'est dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons
pas seuls, mais enchaînés à un être d'un règne différent, dont des
abîmes nous séparent, qui ne nous connaît pas et duquel il est
impossible de nous faire comprendre: notre corps. Quelque brigand que
nous rencontrions sur une route, peut-être pourrons-nous arriver à le
rendre sensible à son intérêt personnel sinon à notre malheur. Mais
demander pitié à notre corps, c'est discourir devant une pieuvre, pour
qui nos paroles ne peuvent pas avoir plus de sens que le bruit de l'eau,
et avec laquelle nous serions épouvantés d'être condamnés à vivre. Les
malaises de ma grand'mère passaient souvent inaperçus à son attention
toujours détournée vers nous. Quand elle en souffrait trop, pour arriver
à les guérir, elle s'efforçait en vain de les comprendre. Si les
phénomènes morbides dont son corps était le théâtre restaient obscurs et
insaisissables à la pensée de ma grand'mère, ils étaient clairs et
intelligibles pour des êtres appartenant au même règne physique qu'eux,
de ceux à qui l'esprit humain a fini par s'adresser pour comprendre ce
que lui dit son corps, comme devant les réponses d'un étranger on va
chercher quelqu'un du même pays qui servira d'interprète. Eux peuvent
causer avec notre corps, nous dire si sa colère est grave ou s'apaisera
bientôt. Cottard, qu'on avait appelé auprès de ma grand'mère et qui nous
avait agacés en nous demandant avec un sourire fin, dès la première
minute où nous lui avions dit que ma grand'mère était malade: «Malade?
Ce n'est pas au moins une maladie diplomatique? », Cottard essaya, pour
calmer l'agitation de sa malade, le régime lacté. Mais les perpétuelles
soupes au lait ne firent pas d'effet parce que ma grand'mère y mettait
beaucoup de sel (Widal n'ayant pas encore fait ses découvertes), dont on
ignorait l'inconvénient en ce temps-là. Car la médecine étant un
compendium des erreurs successives et contradictoires des médecins, en
appelant à soi les meilleurs d'entre eux on a grande chance d'implorer
une vérité qui sera reconnue fausse quelques années plus tard. De sorte
que croire à la médecine serait la suprême folie, si n'y pas croire n'en
était pas une plus grande, car de cet amoncellement d'erreurs se sont
dégagées à la longue quelques vérités. Cottard avait recommandé qu'on
prît sa température. On alla chercher un thermomètre. Dans presque toute
sa hauteur le tube était vide de mercure. A peine si l'on distinguait,
tapie au fond dans sa petite cuve, la salamandre d'argent. Elle semblait
morte. On plaça le chalumeau de verre dans la bouche de ma grand'mère.
Nous n'eûmes pas besoin de l'y laisser longtemps; la petite sorcière
n'avait pas été longue à tirer son horoscope. Nous la trouvâmes
immobile, perchée à mi-hauteur de sa tour et n'en bougeant plus, nous
montrant avec exactitude le chiffre que nous lui avions demandé et que
toutes les réflexions qu'ait pu faire sur soi-même l'âme de ma
grand'mère eussent été bien incapables de lui fournir: 38°3. Pour la
première fois nous ressentîmes quelque inquiétude. Nous secouâmes bien
fort le thermomètre pour effacer le signe fatidique, comme si nous
avions pu par là abaisser la fièvre en même temps que la température
marquée. Hélas! il fut bien clair que la petite sibylle dépourvue de
raison n'avait pas donné arbitrairement cette réponse, car le lendemain,
à peine le thermomètre fut-il replacé entre les lèvres de ma grand'mère
que presque aussitôt, comme d'un seul bond, belle de certitude et de
l'intuition d'un fait pour nous invisible, la petite prophétesse était
venue s'arrêter au même point, en une immobilité implacable, et nous
montrait encore ce chiffre 38°3, de sa verge étincelante. Elle ne disait
rien d'autre, mais nous avions eu beau désirer, vouloir, prier, sourde,
il semblait que ce fût son dernier mot avertisseur et menaçant. Alors,
pour tâcher de la contraindre à modifier sa réponse, nous nous
adressâmes à une autre créature du même règne, mais plus puissante, qui
ne se contente pas d'interroger le corps mais peut lui commander, un
fébrifuge du même ordre que l'aspirine, non encore employée alors. Nous
n'avions pas fait baisser le thermomètre au delà de 37°1/2 dans l'espoir
qu'il n'aurait pas ainsi à remonter. Nous fîmes prendre ce fébrifuge à
ma grand'mère et remîmes alors le thermomètre. Comme un gardien
implacable à qui on montre l'ordre d'une autorité supérieure auprès de
laquelle on a fait jouer une protection, et qui le trouvant en règle
répond: «C'est bien, je n'ai rien à dire, du moment que c'est comme ça,
passez», la vigilante tourière ne bougea pas cette fois. Mais, morose,
elle semblait dire: «A quoi cela vous servira-t-il? Puisque vous
connaissez la quinine, elle me donnera l'ordre de ne pas bouger, une
fois, dix fois, vingt fois. Et puis elle se lassera, je la connais,
allez. Cela ne durera pas toujours. Alors vous serez bien avancés. »
Alors ma grand'mère éprouva la présence, en elle, d'une créature qui
connaissait mieux le corps humain que ma grand'mère, la présence d'une
contemporaine des races disparues, la présence du premier occupant--bien
antérieur à la création de l'homme qui pense;--elle sentit cet allié
millénaire qui la tâtait, un peu durement même, à la tête, au coeur, au
coude; il reconnaissait les lieux, organisait tout pour le combat
préhistorique qui eut lieu aussitôt après. En un moment, Python écrasé,
la fièvre fut vaincue par le puissant élément chimique, que ma
grand'mère, à travers les règnes, passant par-dessus tous les animaux et
les végétaux, aurait voulu pouvoir remercier. Et elle restait émue de
cette entrevue qu'elle venait d'avoir, à travers tant de siècles, avec
un climat antérieur à la création même des plantes. De son côté le
thermomètre, comme une Parque momentanément vaincue par un dieu plus
ancien, tenait immobile son fuseau d'argent. Hélas! d'autres créatures
inférieures, que l'homme a dressées à la chasse de ces gibiers
mystérieux qu'il ne peut pas poursuivre au fond de lui-même, nous
apportaient cruellement tous les jours un chiffre d'albumine faible,
mais assez fixe pour que lui aussi parût en rapport avec quelque état
persistant que nous n'apercevions pas. Bergotte avait choqué en moi
l'instinct scrupuleux qui me faisait subordonner mon intelligence, quand
il m'avait parlé du docteur du Boulbon comme d'un médecin qui ne
m'ennuierait pas, qui trouverait des traitements, fussent-ils en
apparence bizarres, mais s'adapteraient à la singularité de mon
intelligence. Mais les idées se transforment en nous, elles triomphent
des résistances que nous leur opposions d'abord et se nourrissent de
riches réserves intellectuelles toutes prêtes, que nous ne savions pas
faites pour elles. Maintenant, comme il arrive chaque fois que les
propos entendus au sujet de quelqu'un que nous ne connaissons pas ont eu
la vertu d'éveiller en nous l'idée d'un grand talent, d'une sorte de
génie, au fond de mon esprit je faisais bénéficier le docteur du Boulbon
de cette confiance sans limites que nous inspire celui qui d'un oeil
plus profond qu'un autre perçoit la vérité. Je savais certes qu'il était
plutôt un spécialiste des maladies nerveuses, celui à qui Charcot avant
de mourir avait prédit qu'il régnerait sur la neurologie et la
psychiatrie. «Ah! je ne sais pas, c'est très possible», dit Françoise
qui était là et qui entendait pour la première fois le nom de Charcot
comme celui de du Boulbon. Mais cela ne l'empêchait nullement de dire:
«C'est possible. » Ses «c'est possible», ses «peut-être», ses «je ne sais
pas» étaient exaspérants en pareil cas. On avait envie de lui répondre:
«Bien entendu que vous ne le saviez pas puisque vous ne connaissez rien
à la chose dont il s'agit, comment pouvez-vous même dire que c'est
possible ou pas, vous n'en savez rien? En tout cas maintenant vous ne
pouvez pas dire que vous ne savez pas ce que Charcot a dit à du Boulbon,
etc. , vous le savez puisque nous vous l'avons dit, et vos «peut-être»,
vos «c'est possible» ne sont pas de mise puisque c'est certain. »
Malgré cette compétence plus particulière en matière cérébrale et
nerveuse, comme je savais que du Boulbon était un grand médecin, un
homme supérieur, d'une intelligence inventive et profonde, je suppliai
ma mère de le faire venir, et l'espoir que, par une vue juste du mal, il
le guérirait peut-être, finit par l'emporter sur la crainte que nous
avions, si nous appelions un consultant, d'effrayer ma grand'mère. Ce
qui décida ma mère fut que, inconsciemment encouragée par Cottard, ma
grand'mère ne sortait plus, ne se levait guère. Elle avait beau nous
répondre par la lettre de Mme de Sévigné sur Mme de la Fayette: «On
disait qu'elle était folle de ne vouloir point sortir. Je disais à ces
personnes si précipitées dans leur jugement: «Mme de la Fayette n'est
pas folle» et je m'en tenais là. Il a fallu qu'elle soit morte pour
faire voir qu'elle avait raison de ne pas sortir. » Du Boulbon appelé
donna tort, sinon à Mme de Sévigné qu'on ne lui cita pas, du moins à ma
grand'mère. Au lieu de l'ausculter, tout en posant sur elle ses
admirables regards où il y avait peut-être l'illusion de scruter
profondément la malade, ou le désir de lui donner cette illusion, qui
semblait spontanée mais devait être tenue machinale, ou de ne pas lui
laisser voir qu'il pensait à tout autre chose, ou de prendre de l'empire
sur elle,--il commença à parler de Bergotte.
--Ah! je crois bien, Madame, c'est admirable; comme vous avez raison de
l'aimer! Mais lequel de ses livres préférez-vous? Ah! vraiment! Mon
Dieu, c'est peut-être en effet le meilleur. C'est en tout cas son roman
le mieux composé: Claire y est bien charmante; comme personnage d'homme
lequel vous y est le plus sympathique?
Je crus d'abord qu'il la faisait ainsi parler littérature parce que,
lui, la médecine l'ennuyait, peut-être aussi pour faire montre de sa
largeur d'esprit, et même, dans un but plus thérapeutique, pour rendre
confiance à la malade, lui montrer qu'il n'était pas inquiet, la
distraire de son état. Mais, depuis, j'ai compris que, surtout
particulièrement remarquable comme aliéniste et pour ses études sur le
cerveau, il avait voulu se rendre compte par ses questions si la mémoire
de ma grand'mère était bien intacte. Comme à contre-coeur il
l'interrogea un peu sur sa vie, l'oeil sombre et fixe. Puis tout à coup,
comme apercevant la vérité et décidé à l'atteindre coûte que coûte, avec
un geste préalable qui semblait avoir peine à s'ébrouer, en les
écartant, du flot des dernières hésitations qu'il pouvait avoir et de
toutes les objections que nous aurions pu faire, regardant ma grand'mère
d'un oeil lucide, librement et comme enfin sur la terre ferme, ponctuant
les mots sur un ton doux et prenant, dont l'intelligence nuançait toutes
les inflexions (sa voix du reste, pendant toute la visite, resta ce
qu'elle était naturellement, caressante, et sous ses sourcils
embroussaillés, ses yeux ironiques étaient remplis de bonté):
--Vous irez bien, Madame, le jour lointain ou proche, et il dépend de
vous que ce soit aujourd'hui même, où vous comprendrez que vous n'avez
rien et où vous aurez repris la vie commune. Vous m'avez dit que vous ne
mangiez pas, que vous ne sortiez pas?
--Mais, Monsieur, j'ai un peu de fièvre.
Il toucha sa main.
--Pas en ce moment en tout cas. Et puis la belle excuse! Ne savez-vous
pas que nous laissons au grand air, que nous suralimentons, des
tuberculeux qui ont jusqu'à 39°?
--Mais j'ai aussi un peu d'albumine.
--Vous ne devriez pas le savoir. Vous avez ce que j'ai décrit sous le
nom d'albumine mentale. Nous avons tous eu, au cours d'une
indisposition, notre petite crise d'albumine que notre médecin s'est
empressé de rendre durable en nous la signalant. Pour une affection que
les médecins guérissent avec des médicaments (on assure, du moins, que
cela est arrivé quelquefois), ils en produisent dix chez des sujets bien
portants, en leur inoculant cet agent pathogène, plus virulent mille
fois que tous les microbes, l'idée qu'on est malade. Une telle croyance,
puissante sur le tempérament de tous, agit avec une efficacité
particulière chez les nerveux. Dites-leur qu'une fenêtre fermée est
ouverte dans leur dos, ils commencent à éternuer; faites-leur croire que
vous avez mis de la magnésie dans leur potage, ils seront pris de
coliques; que leur café était plus fort que d'habitude, ils ne fermeront
pas l'oeil de la nuit. Croyez-vous, Madame, qu'il ne m'a pas suffi de
voir vos yeux, d'entendre seulement la façon dont vous vous exprimez,
que dis-je? de voir Madame votre fille et votre petit-fils qui vous
ressemblent tant, pour connaître à qui j'avais affaire? «Ta grand'mère
pourrait peut-être aller s'asseoir, si le docteur le lui permet, dans
une allée calme des Champs-Élysées, près de ce massif de lauriers devant
lequel tu jouais autrefois», me dit ma mère consultant ainsi
indirectement du Boulbon et de laquelle la voix prenait, à cause de
cela, quelque chose de timide et de déférent qu'elle n'aurait pas eu si
elle s'était adressée à moi seul. Le docteur se tourna vers ma
grand'mère et, comme il n'était pas moins lettré que savant: «Allez aux
Champs-Élysées, Madame, près du massif de lauriers qu'aime votre
petit-fils. Le laurier vous sera salutaire. Il purifie. Après avoir
exterminé le serpent Python, c'est une branche de laurier à la main
qu'Apollon fit son entrée dans Delphes. Il voulait ainsi se préserver
des germes mortels de la bête venimeuse. Vous voyez que le laurier est
le plus ancien, le plus vénérable, et j'ajouterai--ce qui a sa valeur en
thérapeutique, comme en prophylaxie--le plus beau des antiseptiques. »
Comme une grande partie de ce que savent les médecins leur est enseignée
par les malades, ils sont facilement portés à croire que ce savoir des
«patients» est le même chez tous, et ils se flattent d'étonner celui
auprès de qui ils se trouvent avec quelque remarque apprise de ceux
qu'ils ont auparavant soignés. Aussi fut-ce avec le fin sourire d'un
Parisien qui, causant avec un paysan, espérerait l'étonner en se servant
d'un mot de patois, que le docteur du Boulbon dit à ma grand'mère:
«Probablement les temps de vent réussissent à vous faire dormir là où
échoueraient les, plus puissants hypnotiques. --Au contraire, Monsieur,
le vent m'empêche absolument de dormir. » Mais les médecins sont
susceptibles. «Ach! » murmura du Boulbon en fronçant les sourcils, comme
si on lui avait marché sur le pied et si les insomnies de ma grand'mère
par les nuits de tempête étaient pour lui une injure personnelle. Il
n'avait pas tout de même trop d'amour-propre, et comme, en tant
qu'«esprit supérieur», il croyait de son devoir de ne pas ajouter foi à
la médecine, il reprit vite sa sérénité philosophique.
Ma mère, par désir passionné d'être rassurée par l'ami de Bergotte,
ajouta à l'appui de son dire qu'une cousine germaine de ma grand'mère,
en proie à une affection nerveuse, était restée sept ans cloîtrée dans
sa chambre à coucher de Combray, sans se lever qu'une fois ou deux par
semaine.
--Vous voyez, Madame, je ne le savais pas, et j'aurais pu vous le dire.
--Mais, Monsieur, je ne suis nullement comme elle, au contraire; mon
médecin ne peut pas me faire rester couchée, dit ma grand'mère, soit
qu'elle fût un peu agacée par les théories du docteur ou désireuse de
lui soumettre les objections qu'on y pouvait faire, dans l'espoir qu'il
les réfuterait, et que, une fois qu'il serait parti, elle n'aurait plus
en elle-même aucun doute à élever sur son heureux diagnostic.
--Mais naturellement, Madame, on ne peut pas avoir, pardonnez-moi le
mot, toutes les vésanies; vous en avez d'autres, vous n'avez pas
celle-là. Hier, j'ai visité une maison de santé pour neurasthéniques.
Dans le jardin, un homme était debout sur un banc, immobile comme un
fakir, le cou incliné dans une position qui devait être fort pénible.
Comme je lui demandais ce qu'il faisait là, il me répondit sans faire un
mouvement ni tourner la tête: «Docteur, je suis extrêmement rhumatisant
et enrhumable, je viens de prendre trop d'exercice, et pendant que je me
donnais bêtement chaud ainsi, mon cou était appuyé contre mes flanelles.
Si maintenant je l'éloignais de ces flanelles avant d'avoir laissé
tomber ma chaleur, je suis sûr de prendre un torticolis et peut-être une
bronchite. » Et il l'aurait pris, en effet. «Vous êtes un joli
neurasthénique, voilà ce que vous êtes», lui dis-je. Savez-vous la
raison qu'il me donna pour me prouver que non? C'est que, tandis que
tous les malades de l'établissement avaient la manie de prendre leur
poids, au point qu'on avait dû mettre un cadenas à la balance pour
qu'ils ne passassent pas toute la journée à se peser, lui on était
obligé de le forcer à monter sur la bascule, tant il en avait peu envie.
Il triomphait de n'avoir pas la manie des autres, sans penser qu'il
avait aussi la sienne et que c'était elle qui le préservait d'une autre.
Ne soyez pas blessée de la comparaison, Madame, car cet homme qui
n'osait pas tourner le cou de peur de s'enrhumer est le plus grand poète
de notre temps. Ce pauvre maniaque est la plus haute intelligence que je
connaisse. Supportez d'être appelée une nerveuse. Vous appartenez à
cette famille magnifique et lamentable qui est le sel de la terre. Tout
ce que nous connaissons de grand nous vient des nerveux. Ce sont eux et
non pas d'autres qui ont fondé les religions et composé les
chefs-d'oeuvre. Jamais le monde ne saura tout ce qu'il leur doit et
surtout ce qu'eux ont souffert pour le lui donner. Nous goûtons les
fines musiques, les beaux tableaux, mille délicatesses, mais nous ne
savons pas ce qu'elles ont coûté, à ceux qui les inventèrent,
d'insomnies, de pleurs, de rires spasmodiques, d'urticaires, d'asthmes,
d'épilepsies, d'une angoisse de mourir qui est pire que tout cela, et
que vous connaissez peut-être, Madame, ajouta-t-il en souriant à ma
grand'mère, car, avouez-le, quand je suis venu, vous n'étiez pas très
rassurée. Vous vous croyiez malade, dangereusement malade peut-être.
Dieu sait de quelle affection vous croyiez découvrir en vous les
symptômes. Et vous ne vous trompiez pas, vous les aviez. Le nervosisme
est un pasticheur de génie. Il n'y a pas de maladie qu'il ne contrefasse
à merveille. Il imite à s'y méprendre la dilatation des dyspeptiques,
les nausées de la grossesse, l'arythmie du cardiaque, la fébricité du
tuberculeux. Capable de tromper le médecin, comment ne tromperait-il pas
le malade? Ah! ne croyez pas que je raille vos maux, je n'entreprendrais
pas de les soigner si je ne savais pas les comprendre. Et, tenez, il n'y
a de bonne confession que réciproque. Je vous ai dit que sans maladie
nerveuse il n'est pas de grand artiste, qui plus est, ajouta-t-il en
élevant gravement l'index, il n'y a pas de grand savant. J'ajouterai
que, sans qu'il soit atteint lui-même de maladie nerveuse, il n'est pas,
ne me faites pas dire de bon médecin, mais seulement de médecin correct
des maladies nerveuses. Dans la pathologie nerveuse, un médecin qui ne
dit pas trop de bêtises, c'est un malade à demi guéri, comme un critique
est un poète qui ne fait plus de vers, un policier un voleur qui
n'exerce plus. Moi, Madame, je ne me crois pas comme vous albuminurique,
je n'ai pas la peur nerveuse de la nourriture, du grand air, mais je ne
peux pas m'endormir sans m'être relevé plus de vingt fois pour voir si
ma porte est fermée.
Et cette maison de santé où j'ai trouvé hier un
poète qui ne tournait pas le cou, j'y allais retenir une chambre, car,
ceci entre nous, j'y passe mes vacances à me soigner quand j'ai augmenté
mes maux en me fatiguant trop à guérir ceux des autres.
--Mais, Monsieur, devrais-je faire une cure semblable? dit avec effroi
ma grand'mère.
--C'est inutile, Madame. Les manifestations que vous accusez céderont
devant ma parole. Et puis vous avez près de vous quelqu'un de très
puissant que je constitue désormais votre médecin. C'est votre mal,
votre suractivité nerveuse. Je saurais la manière de vous en guérir, je
me garderais bien de le faire. Il me suffit de lui commander. Je vois
sur votre table un ouvrage de Bergotte. Guérie de votre nervosisme, vous
ne l'aimeriez plus. Or, me sentirais-je le droit d'échanger les joies
qu'il procure contre une intégrité nerveuse qui serait bien incapable de
vous les donner? Mais ces joies mêmes, c'est un puissant remède, le plus
puissant de tous peut-être. Non, je n'en veux pas à votre énergie
nerveuse. Je lui demande seulement de m'écouter; je vous confie à elle.
Qu'elle fasse machine en arrière. La force qu'elle mettait pour vous
empêcher de vous promener, de prendre assez de nourriture, qu'elle
l'emploie à vous faire manger, à vous faire lire, à vous faire sortir, à
vous distraire de toutes façons. Ne me dites pas que vous êtes fatiguée.
La fatigue est la réalisation organique d'une idée préconçue. Commencez
par ne pas la penser. Et si jamais vous avez une petite indisposition,
ce qui peut arriver à tout le monde, ce sera comme si vous ne l'aviez
pas, car elle aura fait de vous, selon un mot profond de M. de
Talleyrand, un bien portant imaginaire. Tenez, elle a commencé à vous
guérir, vous m'écoutez toute droite, sans vous être appuyée une fois,
l'oeil vif, la mine bonne, et il y a de cela une demi-heure d'horloge et
vous ne vous en êtes pas aperçue. Madame, j'ai bien l'honneur de vous
saluer.
Quand, après avoir reconduit le docteur du Boulbon, je rentrai dans la
chambre où ma mère était seule, le chagrin qui m'oppressait depuis
plusieurs semaines s'envola, je sentis que ma mère allait laisser
éclater sa joie et qu'elle allait voir la mienne, j'éprouvai cette
impossibilité de supporter l'attente de l'instant prochain où, près de
nous, une personne va être émue qui, dans un autre ordre, est un peu
comme la peur qu'on éprouve quand on sait que quelqu'un va entrer pour
vous effrayer par une porte qui est encore fermée; je voulus dire un mot
à maman, mais ma voix se brisa, et fondant en larmes, je restai
longtemps, la tête sur son épaule, à pleurer, à goûter, à accepter, à
chérir la douleur, maintenant que je savais qu'elle était sortie de ma
vie, comme nous aimons à nous exalter de vertueux projets que les
circonstances ne nous permettent pas de mettre à exécution. Françoise
m'exaspéra en ne prenant pas part à notre joie. Elle était tout émue
parce qu'une scène terrible avait éclaté entre le valet de pied et le
concierge rapporteur. Il avait fallu que la duchesse, dans sa bonté,
intervînt, rétablît un semblant de paix et pardonnât au valet de pied.
Car elle était bonne, et ç'aurait été la place idéale si elle n'avait
pas écouté les «racontages».
On commençait déjà depuis plusieurs jours à savoir ma grand'mère
souffrante et à prendre de ses nouvelles. Saint-Loup m'avait écrit: «Je
ne veux pas profiter de ces heures où ta chère grand'mère n'est pas bien
pour te faire ce qui est beaucoup plus que des reproches et où elle
n'est pour rien. Mais je mentirais en te disant, fût-ce par
prétérition, que je n'oublierai jamais la perfidie de ta conduite et
qu'il n'y aura jamais un pardon pour ta fourberie et ta trahison. » Mais
des amis, jugeant ma grand'mère peu souffrante (on ignorait même qu'elle
le fût du tout), m'avaient demandé de les prendre le lendemain aux
Champs-Élysées pour aller de là faire une visite et assister, à la
campagne, à un dîner qui m'amusait. Je n'avais plus aucune raison de
renoncer à ces deux plaisirs. Quand on avait dit à ma grand'mère qu'il
faudrait maintenant, pour obéir au docteur du Boulbon, qu'elle se
promenât beaucoup, on a vu qu'elle avait tout de suite parlé des
Champs-Élysées. Il me serait aisé de l'y conduire; pendant qu'elle
serait assise à lire, de m'entendre avec mes amis sur le lieu où nous
retrouver, et j'aurais encore le temps, en me dépêchant, de prendre avec
eux le train pour Ville-d'Avray. Au moment convenu, ma grand'mère ne
voulut pas sortir, se trouvant fatiguée. Mais ma mère, instruite par du
Boulbon, eut l'énergie de se fâcher et de se faire obéir. Elle pleurait
presque à la pensée que ma grand'mère allait retomber dans sa faiblesse
nerveuse, et ne s'en relèverait plus. Jamais un temps aussi beau et
chaud ne se prêterait si bien à sa sortie. Le soleil changeant de place
intercalait ça et là dans la solidité rompue du balcon ses
inconsistantes mousselines et donnait à la pierre de taille un tiède
épiderme, un halo d'or imprécis. Comme Françoise n'avait pas eu le temps
d'envoyer un «tube» à sa fille, elle nous quitta dès après le déjeuner.
Ce fut déjà bien beau qu'avant elle entrât chez Jupien pour faire faire
un point au mantelet que ma grand'mère mettrait pour sortir. Rentrant
moi-même à ce moment-là de ma promenade matinale, j'allai avec elle chez
le giletier. «Est-ce votre jeune maître qui vous amène ici, dit Jupien à
Françoise, est-ce vous qui me l'amenez, ou bien est-ce quelque bon vent
et la fortune qui vous amènent tous les deux? » Bien qu'il n'eût pas
fait ses classes, Jupien respectait aussi naturellement la syntaxe que
M. de Guermantes, malgré bien des efforts, la violait. Une fois
Françoise partie et le mantelet réparé, il fallut que ma grand-mère
s'habillât; Ayant refusé obstinément que maman restât avec elle, elle
mit, toute seule, un temps infini à sa toilette, et maintenant que je
savais qu'elle était bien portante, et avec cette étrange indifférence
que nous avons pour nos parents tant qu'ils vivent, qui fait que nous
les faisons passer après tout le monde, je la trouvais bien égoïste
d'être si longue, de risquer de me mettre en retard quand elle savait
que j'avais rendez-vous avec des amis et devais dîner à Ville-d'Avray.
D'impatience, je finis par descendre d'avance, après qu'on m'eut dit
deux fois qu'elle allait être prête. Enfin elle me rejoignit, sans me
demander pardon de son retard comme elle faisait d'habitude dans ces
cas-là, rouge et distraite comme une personne qui est pressée et qui a
oublié la moitié de ses affaires, comme j'arrivais près de la porte
vitrée entr'ouverte qui, sans les en réchauffer le moins du monde,
laissait entrer l'air liquide, gazouillant et tiède du dehors, comme si
on avait ouvert un réservoir, entre les glaciales parois de l'hôtel.
--Mon Dieu, puisque tu vas voir des amis, j'aurais pu mettre un autre
mantelet. J'ai l'air un peu malheureux avec cela.
Je fus frappé comme elle était congestionnée et compris que, s'étant
mise en retard, elle avait dû beaucoup se dépêcher. Comme nous venions
de quitter le fiacre à l'entrée de l'avenue Gabriel, dans les
Champs-Élysées, je vis ma grand'mère qui, sans me parler, s'était
détournée et se dirigeait vers le petit pavillon ancien, grillagé de
vert, où un jour j'avais attendu Françoise. Le même garde forestier qui
s'y trouvait alors y était encore auprès de la «marquise», quand,
suivant ma grand'mère qui, parce qu'elle avait sans doute une nausée,
tenait sa main devant sa bouche, je montai les degrés du petit théâtre
rustique édifié au milieu des jardins. Au contrôle, comme dans ces
cirques forains où le clown, prêt à entrer en scène et tout enfariné,
reçoit lui-même à la porte le prix des places, la «marquise», percevant
les entrées, était toujours là avec son museau énorme et irrégulier
enduit de plâtre grossier, et son petit bonnet de fleurs rouges et de
dentelle noire surmontant sa perruque rousse. Mais je ne crois pas
qu'elle me reconnut. Le garde, délaissant la surveillance des verdures,
à la couleur desquelles était assorti son uniforme, causait, assis à
côté d'elle.
--Alors, disait-il, vous êtes toujours là. Vous ne pensez pas à vous
retirer.
--Et pourquoi que je me retirerais, Monsieur? Voulez-vous me dire où je
serais mieux qu'ici, où j'aurais plus mes aises et tout le confortable?
Et puis toujours du va-et-vient, de la distraction; c'est ce que
j'appelle mon petit Paris: mes clients me tiennent au courant de ce qui
se passe. Tenez, Monsieur, il y en a un qui est sorti il n'y a pas plus
de cinq minutes, c'est un magistrat tout ce qu'il y a de plus haut
placé. Eh bien! Monsieur, s'écria-t-elle avec ardeur comme prête à
soutenir cette assertion par la violence--si l'agent de l'autorité avait
fait mine d'en contester l'exactitude,--depuis huit ans, vous m'entendez
bien, tous les jours que Dieu a faits, sur le coup de 3 heures, il est
ici, toujours poli, jamais un mot plus haut que l'autre, ne salissant
jamais rien, il reste plus d'une demi-heure pour lire ses journaux en
faisant ses petits besoins. Un seul jour il n'est pas venu. Sur le
moment je ne m'en suis pas aperçue, mais le soir tout d'un coup je me
suis dit: «Tiens, mais ce monsieur n'est pas venu, il est peut-être
mort. » Ça m'a fait quelque chose parce que je m'attache quand le monde
est bien. Aussi j'ai été bien contente quand je l'ai revu le lendemain,
je lui ai dit: «Monsieur, il ne vous était rien arrivé hier? » Alors il
m'a dit comme ça qu'il ne lui était rien arrivé à lui, que c'était sa
femme qui était morte, et qu'il avait été si retourné qu'il n'avait pas
pu venir. Il avait l'air triste assurément, vous comprenez, des gens qui
étaient mariés depuis vingt-cinq ans, mais il avait l'air content tout
de même de revenir. On sentait qu'il avait été tout dérangé dans ses
petites habitudes. J'ai tâché de le remonter, je lui ai dit: «Il ne faut
pas se laisser aller. Venez comme avant, dans votre chagrin ça vous fera
une petite distraction. »
La «marquise» reprit un ton plus doux, car elle avait constaté que le
protecteur des massifs et des pelouses l'écoutait avec bonhomie sans
songer à la contredire, gardant inoffensive au fourreau une épée qui
avait plutôt l'air de quelque instrument de jardinage ou de quelque
attribut horticole.
--Et puis, dit-elle, je choisis mes clients, je ne reçois pas tout le
monde dans ce que j'appelle mes salons. Est-ce que ça n'a pas l'air d'un
salon, avec mes fleurs? Comme j'ai des clients très aimables, toujours
l'un ou l'autre veut m'apporter une petite branche de beau lilas, de
jasmin, ou des roses, ma fleur préférée.
L'idée que nous étions peut-être mal jugés par cette dame en ne lui
apportant jamais ni lilas, ni belles roses me fit rougir, et pour tâcher
d'échapper physiquement--ou de n'être jugé par elle que par contumace--à
un mauvais jugement, je m'avançai vers la porte de sortie. Mais ce ne
sont pas toujours dans la vie les personnes qui apportent les belles
roses pour qui on est le plus aimable, car la «marquise», croyant que je
m'ennuyais, s'adressa à moi:
--Vous ne voulez pas que je vous ouvre une petite cabine?
Et comme je refusais:
--Non, vous ne voulez pas? ajouta-t-elle avec un sourire; c'était de
bon coeur, mais je sais bien que ce sont des besoins qu'il ne suffit pas
de ne pas payer pour les avoir.
A ce moment une femme mal vêtue entra précipitamment qui semblait
précisément les éprouver. Mais elle ne faisait pas partie du monde de la
«marquise», car celle-ci, avec une férocité de snob, lui dit sèchement:
--Il n'y a rien de libre, Madame.
--Est-ce que ce sera long? demanda la pauvre dame, rouge sous ses fleurs
jaunes.
--Ah! Madame, je vous conseille d'aller ailleurs, car, vous voyez, il y
a encore ces deux messieurs qui attendent, dit-elle en nous montrant moi
et le garde, et je n'ai qu'un cabinet, les autres sont en réparation.
«Ça a une tête de mauvais payeur, dit la «marquise». Ce n'est pas le
genre d'ici, ça n'a pas de propreté, pas de respect, il aurait fallu que
ce soit moi qui passe une heure à nettoyer pour madame. Je ne regrette
pas ses deux sous. »
Enfin ma grand'mère sortit, et songeant qu'elle ne chercherait pas à
effacer par un pourboire l'indiscrétion qu'elle avait montrée en restant
un temps pareil, je battis en retraite pour ne pas avoir une part du
dédain que lui témoignerait sans doute la «marquise», et je m'engageai
dans une allée, mais lentement, pour que ma grand'mère pût facilement me
rejoindre et continuer avec moi. C'est ce qui arriva bientôt. Je pensais
que ma grand'mère allait me dire: «Je t'ai fait bien attendre, j'espère
que tu ne manqueras tout de même pas tes amis», mais elle ne prononça
pas une seule parole, si bien qu'un peu déçu, je ne voulus pas lui
parler le premier; enfin levant les yeux vers elle, je vis que, tout en
marchant auprès de moi, elle tenait la tête tournée de l'autre côté. Je
craignais qu'elle n'eût encore mal au coeur. Je la regardai mieux et
fus frappé de sa démarche saccadée. Son chapeau était de travers, son
manteau sale, elle avait l'aspect désordonné et mécontent, la figure
rouge et préoccupée d'une personne qui vient d'être bousculée par une
voiture ou qu'on a retirée d'un fossé.
--J'ai eu peur que tu n'aies eu une nausée, grand'mère; te sens-tu
mieux? lui dis-je.
Sans doute pensa-t-elle qu'il lui était impossible, sans m'inquiéter, de
ne pas me répondre.
--J'ai entendu toute la conversation entre la «marquise» et le garde, me
dit-elle. C'était on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin.
Dieu! qu'en termes galants ces choses-là étaient mises. Et elle ajouta
encore, avec application, ceci de sa marquise à elle, Mme de Sévigné:
«En les écoutant je pensais qu'ils me préparaient les délices d'un
adieu. »
Voilà le propos qu'elle me tint et où elle avait mis toute sa finesse,
son goût des citations, sa mémoire des classiques, un peu plus même
qu'elle n'eût fait d'habitude et comme pour montrer qu'elle gardait bien
tout cela en sa possession. Mais ces phrases, je les devinai plutôt que
je ne les entendis, tant elle les prononça d'une voix ronchonnante et en
serrant les dents plus que ne pouvait l'expliquer la peur de vomir.
--Allons, lui dis-je assez légèrement pour n'avoir pas l'air de prendre
trop au sérieux son malaise, puisque tu as un peu mal au coeur, si tu
veux bien nous allons rentrer, je ne veux pas promener aux
Champs-Élysées une grand'mère qui a une indigestion.
--Je n'osais pas te le proposer à cause de tes amis, me répondit-elle.
Pauvre petit! Mais puisque tu le veux bien, c'est plus sage.
J'eus peur qu'elle ne remarquât la façon dont elle prononçait ces mots.
--Voyons, lui dis-je brusquement, ne te fatigue donc pas à parler,
puisque tu as mal au coeur; c'est absurde, attends au moins que nous
soyons rentrés.
Elle me sourit tristement et me serra la main. Elle avait compris qu'il
n'y avait pas à me cacher ce que j'avais deviné tout de suite: qu'elle
venait d'avoir une petite attaque.
CHAPITRE PREMIER
MALADIE DE MA GRAND'MÈRE. MALADIE DE BERGOTTE. LE DUC ET LE MÉDECIN.
DÉCLIN DE MA GRAND'MÈRE. SA MORT.
Nous retraversâmes l'avenue Gabriel, au milieu de la foule des
promeneurs. Je fis asseoir ma grand'mère sur un banc et j'allai chercher
un fiacre. Elle, au coeur de qui je me plaçais toujours pour juger la
personne la plus insignifiante, elle m'était maintenant fermée, elle
était devenue une partie du monde extérieur, et plus qu'à de simples
passants, j'étais forcé de lui taire ce que je pensais de son état, de
lui taire mon inquiétude. Je n'aurais pu lui en parler avec plus de
confiance qu'à une étrangère. Elle venait de me restituer les pensées,
les chagrins que depuis mon enfance je lui avais confiés pour toujours.
Elle n'était pas morte encore. J'étais déjà seul. Et même ces allusions
qu'elle avait faites aux Guermantes, à Molière, à nos conversations sur
le petit noyau, prenaient un air sans appui, sans cause, fantastique,
parce qu'elles sortaient du néant de ce même être qui, demain
peut-être, n'existerait plus, pour lequel elles n'auraient plus aucun
sens, de ce néant--incapable de les concevoir--que ma grand'mère serait
bientôt.
--Monsieur, je ne dis pas, mais vous n'avez pas pris de rendez-vous avec
moi, vous n'avez pas de numéro. D'ailleurs, ce n'est pas mon jour de
consultation. Vous devez avoir votre médecin. Je ne peux pas me
substituer, à moins qu'il ne me fasse appeler en consultation. C'est une
question de déontologie. . . .
Au moment où je faisais signe à un fiacre, j'avais rencontré le fameux
professeur E. . . , presque ami de mon père et de mon grand-père, en tout
cas en relations avec eux, lequel demeurait avenue Gabriel, et, pris
d'une inspiration subite, je l'avais arrêté au moment où il rentrait,
pensant qu'il serait peut-être d'un excellent conseil pour ma
grand'mère. Mais, pressé, après avoir pris ses lettres, il voulait
m'éconduire, et je ne pus lui parler qu'en montant avec lui dans
l'ascenseur, dont il me pria de le laisser manoeuvrer les boutons,
c'était chez lui une manie.
--Mais, Monsieur, je ne demande pas que vous receviez ma grand'mère,
vous comprendrez après ce que je vais vous dire, qu'elle est peu en
état, je vous demande au contraire de passer d'ici une demi-heure chez
nous, où elle sera rentrée.
--Passer chez vous? mais, Monsieur, vous n'y pensez pas. Je dîne chez le
Ministre du Commerce, il faut que je fasse une visite avant, je vais
m'habiller tout de suite; pour comble de malheur mon habit a été déchiré
et l'autre n'a pas de boutonnière pour passer les décorations. Je vous
en prie, faites-moi le plaisir de ne pas toucher les boutons de
l'ascenseur, vous ne savez pas le manoeuvrer, il faut être prudent en
tout. Cette boutonnière va me retarder encore. Enfin, par amitié pour
les vôtres, si votre grand'mère vient tout de suite je la recevrai.
Mais je vous préviens que je n'aurai qu'un quart d'heure bien juste à
lui donner.
J'étais reparti aussitôt, n'étant même pas sorti de l'ascenseur que le
professeur E. . . avait mis lui-même en marche pour me faire descendre,
non sans me regarder avec méfiance.
Nous disons bien que l'heure de la mort est incertaine, mais quand nous
disons cela, nous nous représentons cette heure comme située dans un
espace vague et lointain, nous ne pensons pas qu'elle ait un rapport
quelconque avec la journée déjà commencée et puisse signifier que la
mort--ou sa première prise de possession partielle de nous, après
laquelle elle ne nous lâchera plus--pourra se produire dans cet
après-midi même, si peu incertain, cet après-midi où l'emploi de toutes
les heures est réglé d'avance. On tient à sa promenade pour avoir dans
un mois le total de bon air nécessaire, on a hésité sur le choix d'un
manteau à emporter, du cocher à appeler, on est en fiacre, la journée
est tout entière devant vous, courte, parce qu'on veut être rentré à
temps pour recevoir une amie; on voudrait qu'il fît aussi beau le
lendemain; et on ne se doute pas que la mort, qui cheminait en vous dans
un autre plan, au milieu d'une impénétrable obscurité, a choisi
précisément ce jour-là pour entrer en scène, dans quelques minutes, à
peu près à l'instant où la voiture atteindra les Champs-Élysées.
Peut-être ceux que hante d'habitude l'effroi de la singularité
particulière à la mort, trouveront-ils quelque chose de rassurant à ce
genre de mort-là--à ce genre de premier contact avec la mort--parce
qu'elle y revêt une apparence connue, familière, quotidienne. Un bon
déjeuner l'a précédée et la même sortie que font des gens bien portants.
Un retour en voiture découverte se superpose à sa première atteinte; si
malade que fût ma grand'mère, en somme plusieurs personnes auraient pu
dire qu'à six heures, quand nous revînmes des Champs-Élysées, elles
l'avaient saluée, passant en voiture découverte, par un temps superbe.
Legrandin, qui se dirigeait vers la place de la Concorde, nous donna un
coup de chapeau, en s'arrêtant, l'air étonné. Moi qui n'étais pas encore
détaché de la vie, je demandai à ma grand'mère si elle lui avait
répondu, lui rappelant qu'il était susceptible. Ma grand'mère, me
trouvant sans doute bien léger, leva sa main en l'air comme pour dire:
«Qu'est-ce que cela fait? cela n'a aucune importance. »
Oui, on aurait pu dire tout à l'heure, pendant que je cherchais un
fiacre, que ma grand'mère était assise sur un banc, avenue Gabriel,
qu'un peu après elle avait passé en voiture découverte. Mais eût-ce été
bien vrai? Le banc, lui, pour qu'il se tienne dans une avenue--bien
qu'il soit soumis aussi à certaines conditions d'équilibre--n'a pas
besoin d'énergie. Mais pour qu'un être vivant soit stable, même appuyé
sur un banc ou dans une voiture, il faut une tension de forces que nous
ne percevons pas, d'habitude, plus que nous ne percevons (parce qu'elle
s'exerce dans tous les sens) la pression atmosphérique. Peut-être si on
faisait le vide en nous et qu'on nous laissât supporter la pression de
l'air, sentirions-nous, pendant l'instant qui précéderait notre
destruction, le poids terrible que rien ne neutraliserait plus. De même,
quand les abîmes de la maladie et de la mort s'ouvrent en nous et que
nous n'avons plus rien à opposer au tumulte avec lequel le monde et
notre propre corps se ruent sur nous, alors soutenir même la pesée de
nos muscles, même le frisson qui dévaste nos moelles, alors, même nous
tenir immobiles dans ce que nous croyons d'habitude n'être rien que la
simple position négative d'une chose, exige, si l'on veut que la tête
reste droite et le regard calme, de l'énergie vitale, et devient l'objet
d'une lutte épuisante.
Et si Legrandin nous avait regardés de cet air étonné, c'est qu'à lui
comme à ceux qui passaient alors, dans le fiacre où ma grand'mère
semblait assise sur la banquette, elle était apparue sombrant, glissant
à l'abîme, se retenant désespérément aux coussins qui pouvaient à peine
retenir son corps précipité, les cheveux en désordre, l'oeil égaré,
incapable de plus faire face à l'assaut des images que ne réussissait
plus à porter sa prunelle. Elle était apparue, bien qu'à côté de moi,
plongée dans ce monde inconnu au sein duquel elle avait déjà reçu les
coups dont elle portait les traces quand je l'avais vue tout à l'heure
aux Champs-Élysées, son chapeau, son visage, son manteau dérangés par la
main de l'ange invisible avec lequel elle avait lutté. J'ai pensé,
depuis, que ce moment de son attaque n'avait pas dû surprendre
entièrement ma grand'mère, que peut-être même elle l'avait prévu
longtemps d'avance, avait vécu dans son attente. Sans doute, elle
n'avait pas su quand ce moment fatal viendrait, incertaine, pareille aux
amants qu'un doute du même genre porte tour à tour à fonder des espoirs
déraisonnables et des soupçons injustifiés sur la fidélité de leur
maîtresse. Mais il est rare que ces grandes maladies, telles que celle
qui venait enfin de la frapper en plein visage, n'élisent pas pendant
longtemps domicile chez le malade avant de le tuer, et durant cette
période ne se fassent pas assez vite, comme un voisin ou un locataire
«liant», connaître de lui. C'est une terrible connaissance, moins par
les souffrances qu'elle cause que par l'étrange nouveauté des
restrictions définitives qu'elle impose à la vie. On se voit mourir,
dans ce cas, non pas à l'instant même de la mort, mais des mois,
quelquefois des années auparavant, depuis qu'elle est hideusement venue
habiter chez nous. La malade fait la connaissance de l'étranger qu'elle
entend aller et venir dans son cerveau. Certes elle ne le connaît pas de
vue, mais des bruits qu'elle l'entend régulièrement faire elle déduit
ses habitudes. Est-ce un malfaiteur? Un matin, elle ne l'entend plus. Il
est parti. Ah! si c'était pour toujours! Le soir, il est revenu. Quels
sont ses desseins? Le médecin consultant, soumis à la question, comme
une maîtresse adorée, répond par des serments tel jour crus, tel jour
mis en doute. Au reste, plutôt que celui de la maîtresse, le médecin
joue le rôle des serviteurs interrogés. Ils ne sont que des tiers. Celle
que nous pressons, dont nous soupçonnons qu'elle est sur le point de
nous trahir, c'est la vie elle-même, et malgré que nous ne la sentions
plus la même, nous croyons encore en elle, nous demeurons en tout cas
dans le doute jusqu'au jour qu'elle nous a enfin abandonnés.
Je mis ma grand'mère dans l'ascenseur du professeur E. . . , et au bout
d'un instant il vint à nous et nous fit passer dans son cabinet. Mais
là, si pressé qu'il fût, son air rogue changea, tant les habitudes sont
fortes, et il avait celle d'être aimable, voire enjoué, avec ses
malades. Comme il savait ma grand'mère très lettrée et qu'il l'était
aussi, il se mit à lui citer pendant deux ou trois minutes de beaux vers
sur l'Été radieux qu'il faisait. Il l'avait assise dans un fauteuil, lui
à contre-jour, de manière à bien la voir. Son examen fut minutieux,
nécessita même que je sortisse un instant. Il le continua encore, puis
ayant fini, se mit, bien que le quart d'heure touchât à sa fin, à
refaire quelques citations à ma grand'mère. Il lui adressa même quelques
plaisanteries assez fines, que j'eusse préféré entendre un autre jour,
mais qui me rassurèrent complètement par le ton amusé du docteur. Je me
rappelai alors que M. Fallières, président du Sénat, avait eu, il y
avait nombre d'années, une fausse attaque, et qu'au désespoir de ses
concurrents, il s'était mis trois jours après à reprendre ses fonctions
et préparait, disait-on, une candidature plus ou moins lointaine à la
présidence de la République.
