ne sont pas d'accord ; car ce qui est in-
volontaire est si beau, qu'il est affreux d'e^tre condamne?
volontaire est si beau, qu'il est affreux d'e^tre condamne?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ceptes, a jete?
Jacobi dans l'exce`s contraire.
Quand les moralistes franc? ais sont se? ve`res, ils le sont a` un de-
gre? qui tue le caracte`re individuel dans l'homme; il est dans
l'esprit de la nation d'aimer en tout l'autorite? . Les philosophes
allemands, et Jacobi principalement, respectent ce qui constitue
l'existence particulie`re de chaque e^tre, et jugent les actions a`
leur source, c'est a`-dire, d'apre`s l'impulsion bonne ou mauvaise
qui les a cause? es. Il y a mille moyens d'e^tre un tre`s-mauvais
homme, sans blesser aucune loi rec? ue, comme on peut faire une
de? testable trage? die, en observant toutes les re`gles et toutes les
convenances the? a^trales. Quand l'a^me n'a pas d'e? lan naturel, elle
voudrait savoir ce qu'on doit dire et ce qu'on doit faire dans cha-
que circonstance, afm d'e^tre quitte envers elle-me^me et envers
les autres, en se soumettant a` ce qui estordonne? . La loi, cepen-
dant, ne peut apprendre en morale, comme en poe? sie, que ce
qu'il ne faut pas faire; mais en toutes choses, ce qui est bon et
sublime ne nous est re? ve? le? que par la divinite? de notre coeur.
L'utilite? publique, telle que je l'ai de? veloppe? e dans les chapi-
tres pre? ce? dents, pourrait conduire a` e^tre immoral par moralite? .
Dans les rapports prive? s, au contraire, il peut arriver quelque-
fois qu'une conduite parfaite selon le monde vienne d'un mau-
vais principe, c'est-a`-dire qu'elle tienne a` quelque chose d'aride,
de haineux et d'impitoyable. Les passions naturelles etles ta-
lents supe? rieurs de? plaisent a` ces personnes qu'on honore trop
facilement du nom de se? ve`res : elles se saisissent de leur mo-
ralite? , qu'elles disent venir de Dieu, comme un ennemi pren-
drait l'e? pe? e du pe`re pour en frapper les enfants.
Cependant, l'aversion de Jacobi contre l'inflexible rigueur de
la loi le fait aller trop loin pour s'en affranchir. << Oui, dit-il, je
<< mentirais comme Desdemona mourante '; je tromperais
<< comme Oreste, quand il voulait mourir a` la place de Pylade;
j'assassinerais comme Timole? on; je serais parjure comme
1 Desdemona, afin de sauver "i son e? poux la honte et le danger du forfait
qu'il vient de commettre, de? clare, en mourant, que c'est elle qui s'est tue? e.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 492 JACOBI.
<< E? paminondas et comme Jean de Witt; je me de? terminerais au
suicide comme Caton; je serais sacrile? ge comme David; car
<< j'ai la certitude en moi-me^me qu'en pardonnant a` ces fautes
selon la lettre, l'homme exerce le droit souverain que la ma-
<<jeste? de son e^tre lui confe`re; il appose le sceau de sa dignite? ,
le sceau de sa divine nature, sur la gra^ce qu'il accorde.
<< Si vous voulez e? tablir un syste`me universel et rigoureuse-
<< ment scientifique, il faut que vous soumettiez la conscience a`
<< ce syste`me qui a pe? trifie? la vie : cette conscience doit devenir
sourde, muetteet insensible, il faut arracher jusqu'aux moindres
restes de sa racine, c'est-a`-dire, du coeur de l'homme. Oui,
aussi vrai que vos formules me? taphysiques vous tiennent lieu
<< d'Apollon et des Muses, ce n'est qu'en faisant taire votre
coeur que vous pourrez vous conformer implicitement aux lois
<< sans exception, et que vous adopterez l'obe? issance roide et
<< servile qu'elles demandent : alors la conscience ne servira
<< qu'a` vous enseigner, comme un professeur dans la chaire, ce
qui est vrai au dehors de vous; et ce fanal inte? rieur ne sera
biento^t plus qu'une main de bois qui, sur les grands chemins,
indique la route aux voyageurs. >>
Jacobi est si bien guide? par ses propres sentiments, qu'il n'a
peut-e^tre pas assez re? fle? chi aux conse? quences de cette morale
pour le commun des hommes. Car, que re? pondre a` ceux qui
pre? tendraient, en s'e? cartantdu devoir, qu'ils obe? issent aux
mouvements de leur conscience? Sans doute on pourra de? cou-
vrir qu'ils sont hypocrites en parlant ainsi; mais on leur a fourni
l'argument qui peut servir a` les justifier, quoi qu'ils fassent; et
c'est beaucoup pour les hommes d'avoir des phrases a` dire en
faveur de leur conduite: ils s'en servent d'abord pour tromper
les autres, et finissent par se tromper eux-me^mes.
Dira-t-on que cette doctrine inde? pendante ne peut convenir
qu'aux caracte`res vraiment vertueux? Il ne doit point y avoir
de privile? ges me^me pour la vertu; car du moment qu'elle en
de? sire, il est probable qu'elle n'en me? rite plus. Une e? galite? su-
blime re`gne dans l'empire du devoir, et il se passe quelque
chose au fond du coeur humain, qui donne a` chaque homme,
quand il le veut since`rement, les moyens d'accomplir tout ce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? WOLDEHAR. 493
que l'enthousiasme inspire, sans sortir des bornes de la loi
chre? tienne, qui est aussi l'oeuvre d'un saint enthousiasme.
La doctrine de Kant peut e^tre, en effet, conside? re? e comme
trop se`che, parce qu'il n'y donne pas assez d'influence a` la re-
ligion; mais il ne faut pas s'e? tonner qu'il ait e? te? porte? a` ne pas
faire du sentiment la base de sa morale, dans un temps ou` il
s'e? tait re? pandu, en Allemagne surtout, une affectation de sen-
sibilite? qui affaiblissait ne? cessairement le ressort des esprits
et des caracte`res. Un ge? nie tel que celui de Kant devait avoir
pour but de retremper les a^mes.
Les moralistes allemands dela nouvelle e? cole, si purs dans
leurs sentiments, a` quelques syste`mes abstraits qu'ils s'aban-
donnent, peuvent e^tre divise? s en trois classes: ceux qui, comme
Kant et Fichte, ont voulu donner a` la loi du devoir une the? orie
scientifique et une application inflexible; ceux, a` la te^te des-
quels Jacobi doit e^tre place? , qui prennent le sentiment religieux
et la conscience naturelle pour guides, et ceux qui, faisant de la
re? ve? lation la base de leur croyance, veulent re? unir le sentiment
et le devoir, et cherchent a` les lier ensemble par une interpre? -
tation philosophique. Ces trois classes de moralistes attaquent
tous e? galement la morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel. Elle
n'a presque plus de partisans en Allemagne; on peut y faire le
mal, mais du moins on y laisse intacte la the? orie du bien.
CHAPITRE XVII.
De Woldemar.
Le roman de Woldemar est l'ouvrage du me^me philosophe
Jacobi dont j'ai parle? dans le chapitre pre? ce? dent. Cet ouvrage
renferme des discussions philosophiques, dans lesquelles les
syste`mes de morale que professaient les e? crivains franc? ais sont
vivement attaque? s, et la doctrine de Jacobi y est de? veloppe? e
avec une admirable e? loquence. Sous ce rapport, Woldemar est
un tre`s-beau livre; mais , comme roman, je n'en aime ni la
marche ni le but.
L'auteur, qui, comme philosophe, rapporte toute la destine? e 42
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 494 WOLDEMAR.
humaine au sentiment, peint, ce me semble, dans son ouvrage,
la sensibilite? autrement qu'elle n'est en effet. Une de? licatesse
exage? re? e, ou pluto^t une fac? on bizarre de concevoir le coeur hu-
main, peut inte? resser en the? orie, mais non quand on la met en
action, et qu'on en veut faire ainsi quelque chose de re? el.
Woldemar ressent une amitie? vive pour une personne qui ne
veut pas l'e? pouser, quoiqu'elle partage son sentiment. Il se ma-
rie avec une femme qu'il n'aime pas, parce qu'il croit trouver
en elle un caracte`re soumis et doux, qui convient au mariage.
A peine l'a-t-il e? pouse? e, qu'il est au moment de se livrer a` l'a-
mour qu'il e? prouve pour l'autre. Celle qui n'a pas voulu s'unir a`
lui l'aime toujours, mais elle est re? volte? e de l'ide? e qu'il puisse
avoir de l'amour pour elle; et cependant elle veut vivre aupre`s
de lui, soigner ses enfants, traiter sa femme en soeur, et ne con-
nai^tre les affections de la nature que par la sympathie de l'ami-
tie? . C'est ainsi qu'une pie`ce de Goethe, assez vante? e, Stella, finit
par la re? solution que prennent deux femmes qui ont des liens
sacre? s avec le me^me homme, de vivre chez lui toutes deux en
bonne intelligence. De telles inventions ne re? ussissent en Alle-
magne que parce qu'il y a souvent dans ce pays plus d'imagi-
nation que de sensibilite? . Lesa^mes du Midi n'entendraient rien
a` cet he? roi? sme de sentiment: la passion est de? voue? e, mais ja-
louse; et la pre? tendue de? licatesse qui sacrifie l'amour a` l'amitie? ,
sans que le devoir le commande, n'est que de la froideur ma-
nie? re? e.
C'est un syste`me tout factice que ces ge? ne? rosite? s aux de? pens de
l'amour. Il ne faut admettre ni tole? rance, ni partage, dans un
sentiment qui n'est sublime que parce qu'il est, comme la ma-
ternite? , comme la tendresse filiale, exclusif et tout-puissant. On
ne doit pas se mettre par son choix dans une situation ou` la
morale et la sensibilite?
ne sont pas d'accord ; car ce qui est in-
volontaire est si beau, qu'il est affreux d'e^tre condamne? a` se
commander toutes ses actions, et a` vivre avec soi-me^me comme
avec sa victime.
Ce n'est assure? ment ni par hypocrisie, ni par se? cheresse
d'a^me, qu'un ge? nie bon et vrai a imagine? , dans le roman de
Woldemar, des situations ou` chaque personnage immole le
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA DISPOSITION ROMANESQUE. 495
sentiment par le sentiment, et cherche avec soin une raison de
ne pas aimer ce qu'il aime. Mais Jacobi, ayant e? prouve? de`s sa
jeunesse un vif penchant pour tous les genres d'enthousiasme.
a cherche? dans les liens du coeur une mysticite? romanesque
tre`s-inge? nieusement exprime? e, mais peu naturelle.
Il me semble que Jacobi entend moins bien l'amour que la
religion, parce qu'il veut trop les confondre; il n'est pas vrai
que l'amour puisse, comme la religion, trouver tout son bon-
heur dans l'abne? gation du bonheur me^me. L'on alte`re l'ide? e
qu'on doit avoir de la vertu, quand on la fait consister dans une
exaltation sans but, et dans des sacrifices sans ne? cessite? . Tous
les personnages du roman de Jacobi luttent sans cesse de ge? ne? ro-
site? aux de? pens de l'amour; non-seulement cela n'arrive gue`re
dans la vie, mais cela n'est pas me^me beau, quand la vertu ne
l'exige pas; carles sentiments forts et passionne? s honorent la na-
ture humaine, et la religion n'est si imposante que parce qu'elle
peut triompher de tels sentiments. Aurait-il fallu que Die i
me^me daigna^t parler a` notre coeur, s'il n'y avait trouve? que des
affections de? bonnaires auxquelles il fu^t si facile de renoncer?
CHAPITRE XVIII.
De la disposition romanesque dans les affections du coeur.
Les philosophes anglais ont fonde? , comme nous l'avons dit,
la vertu sur le sentiment, ou pluto^t sur le sens moral; mais ce
syste`me n'a nul rapport avec la moralite? sentimentale dont il
est ici question ; cette moralite? , dont le nom et l'ide? e n'existent
gue`re qu'en Allemagne, n'a rien de philosophique; elle fait
seulement un devoir de la sensibilite? , et porte a` me? sestimer ceux
qui n'en ont pas.
Sans doute la puissance d'aimer tient de tre`s-pre`s a` la morale
et a` la religion; il se peut donc que notre re? pugnance pour les
a^mes froides et dures soit un instinct sublime, un instinct qui
nous avertit que de tels e^tres, alors me^me que leur conduite est
estimable, agissent me? caniquement ou par calcul, mais sans
qu'il puisse jamais exister entre eux et nous aucune sympathie.
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? 406 DE LA DISPOSITION ROMANESQUE.
En Allemagne, ou` l'on veut re? duire en pre? ceptes toutes les im-
pressions , on a conside? re? comme immoral ce qui n'e? tait pas sen-
sible et me^me romanesque. Werther avait tellement mis en vo-
gue les sentiments exalte? s, que presque personne n'eu^t ose? se
montrer sec et froid, quand me^me on aurait eu ce caracte`re natu-
rellement. De la` cet enthousiasme oblige? pour la lune, les fo-
re^ts, la campagne et la solitude; dela` ces maux de nerfs, ces
sons de voix manie? re? s, ces regards qui veulent e^tre vus, tout
cet appareil enfin de la sensibilite? , que de? daignent les a^mes fortes
et since`res.
L'auteur de Werther s'est moque? le premier de ces affecta-
tions; ne? anmoins, comme il faut qu'il y ait en tout pays des ri-
dicules, peut-e^tre vaut-il mieux qu'ils consistent dans l'exage? -
ration un peu niaise de ce qui est bon, que dans l'e? le? gante
pre? tention a` ce qui est mal. Le de? sir du succe`s e? tant invincible
dans les hommes, et encore plus dans les femmes, les pre? ten-
tions de la me? diocrite? sont un signe certain du gou^t dominant a`
telle e? poque et dans telle socie? te? ; les me^mes personnes qui se
faisaient sentimentales en Allemagne, se seraient montre? es ail-
leurs le? ge`res et de? daigneuses.
L'extre^me susceptibilite? du caracte`re des Allemands est une
des grandes causes de l'importance qu'ils attachent aux moindres
nuances du sentiment, et cette susceptibilite? tient souvent a` la
ve? rite? des affections. Il est aise? d'e^tre ferme quand on n'est pas
sensible: la seule qualite? ne? cessaire alors, c'est le courage; car
il faut que la se? ve? rite? bien ordonne? e commence par soi-me^me;
mais quand les preuves d'inte? re^t que les autres nous refusent
ou nous donnent influent puissamment sur le bonheur, il est
impossible que l'on n'ait pas mille fois plus d'irritabilite? dans le
coeur que ceux qui exploitent leurs amis comme un domaine,
en cherchant seulement a`les rendre profitables.
Toutefois il faut se garder de ces codes desentiments, si subtils
et si nuance? s, que beaucoup d'e? crivains allemands ont multiplie? s
de tant de manie`res, et dont leurs romans sont remplis. Les
Allemands, il faut en convenir, ne sont pas toujours parfaite-
ment naturels. Certains de leur loyaute? , de leur since? rite? dans
tous les rapports re? els de la vie, ils sont tente? s de regarder l'af-
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? DE LA DISPOSITION ROMANESQUE. 497
fectation du beau comme un culte envers le bon, et de se per-
mettre quelquefois en ce genre des exage? rations qui ga^tent tout. Cette e? mulation de sensibilite? entre quelques femmes et quel-
ques e? crivains d'Allemagne, serait, dans le fond , assez inno-
cente , si le ridicule qu'on donne a` l'affectation ne jetait pas
toujours une sorte de de? faveur sur la since? rite? me^me. Les
hommes froids et e? goi? stes trouvent un plaisir particulier a` se
moquer des attachements passionne? s , et voudraient faire passer
pour factice tout ce qu'ils n'e? prouvent pas. Il y a me^me des per-
sonnes vraiment sensibles que l'exage? ration doucereuse affadit
sur leurs propres impressions, et qu'on blase sur le sentiment,
comme on pourrait les blaser sur la religion par les sermons
ennuyeux et les pratiques superstitieuses.
On a tort d'appliquer les ide? es positives que nous avons sur
le bien et le mal aux de? licatesses de la sensibilite? . Accuser tel
ou tel caracte`re de ce qui lui manque a` cet e? gard, c'est comme
faire un crime de n'e^tre pas poete. La susceptibilite? naturelle a`
ceux qui pensent plus qu'ils n'agissent, peut les rendre injustes
envers les personnes d'une autre nature. Il faut de l'imagination
pour deviner tout ce que le coeur peut faire souffrir, et les meil-
leures gens du monde sont souvent lourds etstupides a` cet e? gard:
ils vont a` travers les sentiments, comme s'ils marchaient sur
des fleurs, en s'e? tonnantde les fle? trir. N'y a-t-il pas des hommes
qui n'admirent pas Raphae`l, qui entendent la musique sans
e? motion, a` qui l'Oce? an et les cieux ne paraissent que monotones?
Comment donc comprendraient-ils les orages de l'a^me?
Les caracte`res me^me les plus sensibles ne sont-ils pas quel-
quefois de? courage? s dans leurs espe? rances? ne peuvent-ils pas
e^tre saisis par une sorte de se? cheresse inte? rieure, comme si la
Divinite? se retirait d'eux? Ils n'en restent pas moins fide`les a`
leurs affections; mais il n'y a plus de parfums dans le temple,
plus de musique dans le sanctuaire, plus d'e? motion dans le
coeur. Souvent aussi le malheur commande de faire taire en soi-
me^me cutte voix du sentiment, harmonieuse ou de? chirante ,
selon qu'elle s'accorde ou non avec la destine? e. Il est donc im-
possible de faire un devoir de la sensibilite? , car ceux qui l'e? prou-
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? 498 DE L'AMOUH DANS LE MARIAGE.
vent en souffrent assez pour avoir souvent le droit et le de? sir de
la re? primer.
Les nations ardentes ne parlent de la sensibilite? qu'avec ter-
reur; les nations paisibles et re^veuses croient pouvoir l'encoura-
ger sans crainte. Au reste, l'onn'a peut-e^tre jamais e? crit sur ce
sujet avec une ve? rite? parfaite, car chacun veut se faire honneur
de ce qu'il e? prouve ou de ce qu'il inspire. Les femmes cherchent
a` s'arranger comme un roman, et les hommes comme une his-
toire , mais le coeur humain est encore bien loin d'e^tre pe? ne? tre?
dans ses relations les plus intimes. Une fois peut-e^tre quelqu'un
dira since`rement tout ce qu'il a senti, et l'on sera tout e? tonna
d'apprendre que la plupart des maximes et des observations sont
errone? es, et qu'il y a une a^me inconnue dans le fond de celle
qu'on raconte.
Quand les moralistes franc? ais sont se? ve`res, ils le sont a` un de-
gre? qui tue le caracte`re individuel dans l'homme; il est dans
l'esprit de la nation d'aimer en tout l'autorite? . Les philosophes
allemands, et Jacobi principalement, respectent ce qui constitue
l'existence particulie`re de chaque e^tre, et jugent les actions a`
leur source, c'est a`-dire, d'apre`s l'impulsion bonne ou mauvaise
qui les a cause? es. Il y a mille moyens d'e^tre un tre`s-mauvais
homme, sans blesser aucune loi rec? ue, comme on peut faire une
de? testable trage? die, en observant toutes les re`gles et toutes les
convenances the? a^trales. Quand l'a^me n'a pas d'e? lan naturel, elle
voudrait savoir ce qu'on doit dire et ce qu'on doit faire dans cha-
que circonstance, afm d'e^tre quitte envers elle-me^me et envers
les autres, en se soumettant a` ce qui estordonne? . La loi, cepen-
dant, ne peut apprendre en morale, comme en poe? sie, que ce
qu'il ne faut pas faire; mais en toutes choses, ce qui est bon et
sublime ne nous est re? ve? le? que par la divinite? de notre coeur.
L'utilite? publique, telle que je l'ai de? veloppe? e dans les chapi-
tres pre? ce? dents, pourrait conduire a` e^tre immoral par moralite? .
Dans les rapports prive? s, au contraire, il peut arriver quelque-
fois qu'une conduite parfaite selon le monde vienne d'un mau-
vais principe, c'est-a`-dire qu'elle tienne a` quelque chose d'aride,
de haineux et d'impitoyable. Les passions naturelles etles ta-
lents supe? rieurs de? plaisent a` ces personnes qu'on honore trop
facilement du nom de se? ve`res : elles se saisissent de leur mo-
ralite? , qu'elles disent venir de Dieu, comme un ennemi pren-
drait l'e? pe? e du pe`re pour en frapper les enfants.
Cependant, l'aversion de Jacobi contre l'inflexible rigueur de
la loi le fait aller trop loin pour s'en affranchir. << Oui, dit-il, je
<< mentirais comme Desdemona mourante '; je tromperais
<< comme Oreste, quand il voulait mourir a` la place de Pylade;
j'assassinerais comme Timole? on; je serais parjure comme
1 Desdemona, afin de sauver "i son e? poux la honte et le danger du forfait
qu'il vient de commettre, de? clare, en mourant, que c'est elle qui s'est tue? e.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 492 JACOBI.
<< E? paminondas et comme Jean de Witt; je me de? terminerais au
suicide comme Caton; je serais sacrile? ge comme David; car
<< j'ai la certitude en moi-me^me qu'en pardonnant a` ces fautes
selon la lettre, l'homme exerce le droit souverain que la ma-
<<jeste? de son e^tre lui confe`re; il appose le sceau de sa dignite? ,
le sceau de sa divine nature, sur la gra^ce qu'il accorde.
<< Si vous voulez e? tablir un syste`me universel et rigoureuse-
<< ment scientifique, il faut que vous soumettiez la conscience a`
<< ce syste`me qui a pe? trifie? la vie : cette conscience doit devenir
sourde, muetteet insensible, il faut arracher jusqu'aux moindres
restes de sa racine, c'est-a`-dire, du coeur de l'homme. Oui,
aussi vrai que vos formules me? taphysiques vous tiennent lieu
<< d'Apollon et des Muses, ce n'est qu'en faisant taire votre
coeur que vous pourrez vous conformer implicitement aux lois
<< sans exception, et que vous adopterez l'obe? issance roide et
<< servile qu'elles demandent : alors la conscience ne servira
<< qu'a` vous enseigner, comme un professeur dans la chaire, ce
qui est vrai au dehors de vous; et ce fanal inte? rieur ne sera
biento^t plus qu'une main de bois qui, sur les grands chemins,
indique la route aux voyageurs. >>
Jacobi est si bien guide? par ses propres sentiments, qu'il n'a
peut-e^tre pas assez re? fle? chi aux conse? quences de cette morale
pour le commun des hommes. Car, que re? pondre a` ceux qui
pre? tendraient, en s'e? cartantdu devoir, qu'ils obe? issent aux
mouvements de leur conscience? Sans doute on pourra de? cou-
vrir qu'ils sont hypocrites en parlant ainsi; mais on leur a fourni
l'argument qui peut servir a` les justifier, quoi qu'ils fassent; et
c'est beaucoup pour les hommes d'avoir des phrases a` dire en
faveur de leur conduite: ils s'en servent d'abord pour tromper
les autres, et finissent par se tromper eux-me^mes.
Dira-t-on que cette doctrine inde? pendante ne peut convenir
qu'aux caracte`res vraiment vertueux? Il ne doit point y avoir
de privile? ges me^me pour la vertu; car du moment qu'elle en
de? sire, il est probable qu'elle n'en me? rite plus. Une e? galite? su-
blime re`gne dans l'empire du devoir, et il se passe quelque
chose au fond du coeur humain, qui donne a` chaque homme,
quand il le veut since`rement, les moyens d'accomplir tout ce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? WOLDEHAR. 493
que l'enthousiasme inspire, sans sortir des bornes de la loi
chre? tienne, qui est aussi l'oeuvre d'un saint enthousiasme.
La doctrine de Kant peut e^tre, en effet, conside? re? e comme
trop se`che, parce qu'il n'y donne pas assez d'influence a` la re-
ligion; mais il ne faut pas s'e? tonner qu'il ait e? te? porte? a` ne pas
faire du sentiment la base de sa morale, dans un temps ou` il
s'e? tait re? pandu, en Allemagne surtout, une affectation de sen-
sibilite? qui affaiblissait ne? cessairement le ressort des esprits
et des caracte`res. Un ge? nie tel que celui de Kant devait avoir
pour but de retremper les a^mes.
Les moralistes allemands dela nouvelle e? cole, si purs dans
leurs sentiments, a` quelques syste`mes abstraits qu'ils s'aban-
donnent, peuvent e^tre divise? s en trois classes: ceux qui, comme
Kant et Fichte, ont voulu donner a` la loi du devoir une the? orie
scientifique et une application inflexible; ceux, a` la te^te des-
quels Jacobi doit e^tre place? , qui prennent le sentiment religieux
et la conscience naturelle pour guides, et ceux qui, faisant de la
re? ve? lation la base de leur croyance, veulent re? unir le sentiment
et le devoir, et cherchent a` les lier ensemble par une interpre? -
tation philosophique. Ces trois classes de moralistes attaquent
tous e? galement la morale fonde? e sur l'inte? re^t personnel. Elle
n'a presque plus de partisans en Allemagne; on peut y faire le
mal, mais du moins on y laisse intacte la the? orie du bien.
CHAPITRE XVII.
De Woldemar.
Le roman de Woldemar est l'ouvrage du me^me philosophe
Jacobi dont j'ai parle? dans le chapitre pre? ce? dent. Cet ouvrage
renferme des discussions philosophiques, dans lesquelles les
syste`mes de morale que professaient les e? crivains franc? ais sont
vivement attaque? s, et la doctrine de Jacobi y est de? veloppe? e
avec une admirable e? loquence. Sous ce rapport, Woldemar est
un tre`s-beau livre; mais , comme roman, je n'en aime ni la
marche ni le but.
L'auteur, qui, comme philosophe, rapporte toute la destine? e 42
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? 494 WOLDEMAR.
humaine au sentiment, peint, ce me semble, dans son ouvrage,
la sensibilite? autrement qu'elle n'est en effet. Une de? licatesse
exage? re? e, ou pluto^t une fac? on bizarre de concevoir le coeur hu-
main, peut inte? resser en the? orie, mais non quand on la met en
action, et qu'on en veut faire ainsi quelque chose de re? el.
Woldemar ressent une amitie? vive pour une personne qui ne
veut pas l'e? pouser, quoiqu'elle partage son sentiment. Il se ma-
rie avec une femme qu'il n'aime pas, parce qu'il croit trouver
en elle un caracte`re soumis et doux, qui convient au mariage.
A peine l'a-t-il e? pouse? e, qu'il est au moment de se livrer a` l'a-
mour qu'il e? prouve pour l'autre. Celle qui n'a pas voulu s'unir a`
lui l'aime toujours, mais elle est re? volte? e de l'ide? e qu'il puisse
avoir de l'amour pour elle; et cependant elle veut vivre aupre`s
de lui, soigner ses enfants, traiter sa femme en soeur, et ne con-
nai^tre les affections de la nature que par la sympathie de l'ami-
tie? . C'est ainsi qu'une pie`ce de Goethe, assez vante? e, Stella, finit
par la re? solution que prennent deux femmes qui ont des liens
sacre? s avec le me^me homme, de vivre chez lui toutes deux en
bonne intelligence. De telles inventions ne re? ussissent en Alle-
magne que parce qu'il y a souvent dans ce pays plus d'imagi-
nation que de sensibilite? . Lesa^mes du Midi n'entendraient rien
a` cet he? roi? sme de sentiment: la passion est de? voue? e, mais ja-
louse; et la pre? tendue de? licatesse qui sacrifie l'amour a` l'amitie? ,
sans que le devoir le commande, n'est que de la froideur ma-
nie? re? e.
C'est un syste`me tout factice que ces ge? ne? rosite? s aux de? pens de
l'amour. Il ne faut admettre ni tole? rance, ni partage, dans un
sentiment qui n'est sublime que parce qu'il est, comme la ma-
ternite? , comme la tendresse filiale, exclusif et tout-puissant. On
ne doit pas se mettre par son choix dans une situation ou` la
morale et la sensibilite?
ne sont pas d'accord ; car ce qui est in-
volontaire est si beau, qu'il est affreux d'e^tre condamne? a` se
commander toutes ses actions, et a` vivre avec soi-me^me comme
avec sa victime.
Ce n'est assure? ment ni par hypocrisie, ni par se? cheresse
d'a^me, qu'un ge? nie bon et vrai a imagine? , dans le roman de
Woldemar, des situations ou` chaque personnage immole le
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? DE LA DISPOSITION ROMANESQUE. 495
sentiment par le sentiment, et cherche avec soin une raison de
ne pas aimer ce qu'il aime. Mais Jacobi, ayant e? prouve? de`s sa
jeunesse un vif penchant pour tous les genres d'enthousiasme.
a cherche? dans les liens du coeur une mysticite? romanesque
tre`s-inge? nieusement exprime? e, mais peu naturelle.
Il me semble que Jacobi entend moins bien l'amour que la
religion, parce qu'il veut trop les confondre; il n'est pas vrai
que l'amour puisse, comme la religion, trouver tout son bon-
heur dans l'abne? gation du bonheur me^me. L'on alte`re l'ide? e
qu'on doit avoir de la vertu, quand on la fait consister dans une
exaltation sans but, et dans des sacrifices sans ne? cessite? . Tous
les personnages du roman de Jacobi luttent sans cesse de ge? ne? ro-
site? aux de? pens de l'amour; non-seulement cela n'arrive gue`re
dans la vie, mais cela n'est pas me^me beau, quand la vertu ne
l'exige pas; carles sentiments forts et passionne? s honorent la na-
ture humaine, et la religion n'est si imposante que parce qu'elle
peut triompher de tels sentiments. Aurait-il fallu que Die i
me^me daigna^t parler a` notre coeur, s'il n'y avait trouve? que des
affections de? bonnaires auxquelles il fu^t si facile de renoncer?
CHAPITRE XVIII.
De la disposition romanesque dans les affections du coeur.
Les philosophes anglais ont fonde? , comme nous l'avons dit,
la vertu sur le sentiment, ou pluto^t sur le sens moral; mais ce
syste`me n'a nul rapport avec la moralite? sentimentale dont il
est ici question ; cette moralite? , dont le nom et l'ide? e n'existent
gue`re qu'en Allemagne, n'a rien de philosophique; elle fait
seulement un devoir de la sensibilite? , et porte a` me? sestimer ceux
qui n'en ont pas.
Sans doute la puissance d'aimer tient de tre`s-pre`s a` la morale
et a` la religion; il se peut donc que notre re? pugnance pour les
a^mes froides et dures soit un instinct sublime, un instinct qui
nous avertit que de tels e^tres, alors me^me que leur conduite est
estimable, agissent me? caniquement ou par calcul, mais sans
qu'il puisse jamais exister entre eux et nous aucune sympathie.
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? 406 DE LA DISPOSITION ROMANESQUE.
En Allemagne, ou` l'on veut re? duire en pre? ceptes toutes les im-
pressions , on a conside? re? comme immoral ce qui n'e? tait pas sen-
sible et me^me romanesque. Werther avait tellement mis en vo-
gue les sentiments exalte? s, que presque personne n'eu^t ose? se
montrer sec et froid, quand me^me on aurait eu ce caracte`re natu-
rellement. De la` cet enthousiasme oblige? pour la lune, les fo-
re^ts, la campagne et la solitude; dela` ces maux de nerfs, ces
sons de voix manie? re? s, ces regards qui veulent e^tre vus, tout
cet appareil enfin de la sensibilite? , que de? daignent les a^mes fortes
et since`res.
L'auteur de Werther s'est moque? le premier de ces affecta-
tions; ne? anmoins, comme il faut qu'il y ait en tout pays des ri-
dicules, peut-e^tre vaut-il mieux qu'ils consistent dans l'exage? -
ration un peu niaise de ce qui est bon, que dans l'e? le? gante
pre? tention a` ce qui est mal. Le de? sir du succe`s e? tant invincible
dans les hommes, et encore plus dans les femmes, les pre? ten-
tions de la me? diocrite? sont un signe certain du gou^t dominant a`
telle e? poque et dans telle socie? te? ; les me^mes personnes qui se
faisaient sentimentales en Allemagne, se seraient montre? es ail-
leurs le? ge`res et de? daigneuses.
L'extre^me susceptibilite? du caracte`re des Allemands est une
des grandes causes de l'importance qu'ils attachent aux moindres
nuances du sentiment, et cette susceptibilite? tient souvent a` la
ve? rite? des affections. Il est aise? d'e^tre ferme quand on n'est pas
sensible: la seule qualite? ne? cessaire alors, c'est le courage; car
il faut que la se? ve? rite? bien ordonne? e commence par soi-me^me;
mais quand les preuves d'inte? re^t que les autres nous refusent
ou nous donnent influent puissamment sur le bonheur, il est
impossible que l'on n'ait pas mille fois plus d'irritabilite? dans le
coeur que ceux qui exploitent leurs amis comme un domaine,
en cherchant seulement a`les rendre profitables.
Toutefois il faut se garder de ces codes desentiments, si subtils
et si nuance? s, que beaucoup d'e? crivains allemands ont multiplie? s
de tant de manie`res, et dont leurs romans sont remplis. Les
Allemands, il faut en convenir, ne sont pas toujours parfaite-
ment naturels. Certains de leur loyaute? , de leur since? rite? dans
tous les rapports re? els de la vie, ils sont tente? s de regarder l'af-
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? DE LA DISPOSITION ROMANESQUE. 497
fectation du beau comme un culte envers le bon, et de se per-
mettre quelquefois en ce genre des exage? rations qui ga^tent tout. Cette e? mulation de sensibilite? entre quelques femmes et quel-
ques e? crivains d'Allemagne, serait, dans le fond , assez inno-
cente , si le ridicule qu'on donne a` l'affectation ne jetait pas
toujours une sorte de de? faveur sur la since? rite? me^me. Les
hommes froids et e? goi? stes trouvent un plaisir particulier a` se
moquer des attachements passionne? s , et voudraient faire passer
pour factice tout ce qu'ils n'e? prouvent pas. Il y a me^me des per-
sonnes vraiment sensibles que l'exage? ration doucereuse affadit
sur leurs propres impressions, et qu'on blase sur le sentiment,
comme on pourrait les blaser sur la religion par les sermons
ennuyeux et les pratiques superstitieuses.
On a tort d'appliquer les ide? es positives que nous avons sur
le bien et le mal aux de? licatesses de la sensibilite? . Accuser tel
ou tel caracte`re de ce qui lui manque a` cet e? gard, c'est comme
faire un crime de n'e^tre pas poete. La susceptibilite? naturelle a`
ceux qui pensent plus qu'ils n'agissent, peut les rendre injustes
envers les personnes d'une autre nature. Il faut de l'imagination
pour deviner tout ce que le coeur peut faire souffrir, et les meil-
leures gens du monde sont souvent lourds etstupides a` cet e? gard:
ils vont a` travers les sentiments, comme s'ils marchaient sur
des fleurs, en s'e? tonnantde les fle? trir. N'y a-t-il pas des hommes
qui n'admirent pas Raphae`l, qui entendent la musique sans
e? motion, a` qui l'Oce? an et les cieux ne paraissent que monotones?
Comment donc comprendraient-ils les orages de l'a^me?
Les caracte`res me^me les plus sensibles ne sont-ils pas quel-
quefois de? courage? s dans leurs espe? rances? ne peuvent-ils pas
e^tre saisis par une sorte de se? cheresse inte? rieure, comme si la
Divinite? se retirait d'eux? Ils n'en restent pas moins fide`les a`
leurs affections; mais il n'y a plus de parfums dans le temple,
plus de musique dans le sanctuaire, plus d'e? motion dans le
coeur. Souvent aussi le malheur commande de faire taire en soi-
me^me cutte voix du sentiment, harmonieuse ou de? chirante ,
selon qu'elle s'accorde ou non avec la destine? e. Il est donc im-
possible de faire un devoir de la sensibilite? , car ceux qui l'e? prou-
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? 498 DE L'AMOUH DANS LE MARIAGE.
vent en souffrent assez pour avoir souvent le droit et le de? sir de
la re? primer.
Les nations ardentes ne parlent de la sensibilite? qu'avec ter-
reur; les nations paisibles et re^veuses croient pouvoir l'encoura-
ger sans crainte. Au reste, l'onn'a peut-e^tre jamais e? crit sur ce
sujet avec une ve? rite? parfaite, car chacun veut se faire honneur
de ce qu'il e? prouve ou de ce qu'il inspire. Les femmes cherchent
a` s'arranger comme un roman, et les hommes comme une his-
toire , mais le coeur humain est encore bien loin d'e^tre pe? ne? tre?
dans ses relations les plus intimes. Une fois peut-e^tre quelqu'un
dira since`rement tout ce qu'il a senti, et l'on sera tout e? tonna
d'apprendre que la plupart des maximes et des observations sont
errone? es, et qu'il y a une a^me inconnue dans le fond de celle
qu'on raconte.
