d'un hommed'un si grand
talent est toujours une honorable circonstance de sa vie;la
millie`me partie de l'esprit qui rend illustre suffirait assure?
talent est toujours une honorable circonstance de sa vie;la
millie`me partie de l'esprit qui rend illustre suffirait assure?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
re?
comme l'un des premiers ; on sent i|uc
son histoire est compose? e , non d'apre? s des livres, mais sur les manuscrits
originaux. Le docteur Decarro , un savant Genevois e? tabli a` Vienne, et dont
l'activite? bienfaisante a porte? la de? couverte de la vaccine jusqu'en Asie, Va
faire parai^tre une Iraihiction de ces Vies des Grands Hommes d'Autrictie.
qui doit exciter le plus grand inte? re^t.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES HISTORIENS ALLEMANDS. 357
son imagination prenait l'essor, et la ve? rite? vivante de ses ta-
bleaux tenait a` leur fide? lite? scrupuleuse; mais s'il savait admira-
blement se servir de l'e? rudition, il ignorait l'art de s'en de? gager
quand il le fallait. Son histoire est beaucoup trop longue, il n'en
a pas assez resserre? l'ensemble. Les de? tails sont ne? cessaires pour
donner de l'inte? re^t au re? cit des e? ve? nements; mais on doit choisir
parmi les e? ve? nements ceux qui me? ritent d'e^tre raconte? s.
L'ouvrage de Mu`ller est une chronique e? loquente; si pour-
tant toutes les histoires e? taient ainsi conc? ues, la vie de l'homme
se consumerait tout entie`re a` lire la vie des hommes. Il serait
donc a` souhaiter que Mu^ller ne se fu^t pas laisse? se? duire par l'e? -
tendue me^me de ses connaissances. Ne? anmoins les lecteurs, qui
ont d'autant plus de temps a` donner qu'ils l'emploient mieux,
se pe? ne? treront toujours avec un plaisir nouveau de ces illustres
annales de la Suisse. Les discours pre? liminaires sont des chefs-
d'oeuvre d'e? loquence. Nul n'a su mieux que Mu`ller montrer dans
ses e? crits le patriotisme le plus e? nergique; et maintenant qu'il
n'est plus, c'est par ses e? crits seuls qu'il faut l'appre? cier.
Il de? crit en peintre la contre? e ou` se sont passe? s les principaux
e? ve? nements de la confe? de? ration helve? tique. On aurait tort de se
faire l'historien d'un pays qu'on n'aurait pas vu soi-me^me. Les
sites, les lieux, la nature, sont comme le fond du tableau; et les
faits, quelque bien raconte? s qu'ils puissent e^tre, n'ont pas tous
les caracte`res de la ve? rite? , quand on ne vous fait pas voir les
objets exte? rieurs dont les hommes e? taient environne? s.
L'e? rudition qui a induit Mu^ller a` mettre trop d'importance a`
chaque fait, lui est bien utile, quand il s'agit d'un e? ve? nement
vraiment digne d'e^tre anime? par l'imagination. Il le raconte alors
comme s'il s'e? tait passe? la veille, et sait lui donner l'inte? re^t qu'une
circonstance encore pre? sente ferait e? prouver. Il faut, autant
qu'on le peut, dans l'histoire comme dans les fictions, laisser
au lecteur le plaisir et l'occasion de pressentir lui-me^me les ca-
racte`res et la marche des e? ve? nements. Il se lasse facilement de ce
qu'on lui dit, mais il est ravi de ce qu'il de? couvre; et l'on assi-
mile la litte? rature aux inte? re^ts de la vie, quand on sait exciter
par le re? cit l'anxie? te? de l'attente ; le jugement du lecteur s'exerce
sur un mot, sur une action qui fait tout a` coup comprendre un
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 358 DES HISTOHIEiVS ALLEMANDS.
homme, et souvent l'esprit me^me d'une nation et d'un sie`cle.
La conjuration du Ru`tli, telle qu'elle est raconte? e dans l'his-
toire de Mu`ller, inspire un inte? re^t prodigieux. Cette valle? e paisi-
ble ou` des hommes paisibles aussi comme elle se de? termine`rent
aux plus pe? rilleuses actions que la conscience puisse commander;
le calme dans la de? libe? ration, la solennite? du serment, l'ardeur
dans l'exe? cution; l'irre? vocable qui se fonde sur la volonte? de
l'homme, tandis qu'audehors tout peutchanger, quel tableau! Les
images seules y font nai^tre les pense? es: les he? ros de cet e? ve? nement,
comme l'auteur qui le rapporte, sont absorbe? s par la grandeur
me^me de l'objet. Aucune ide? e ge? ne? rale ne se pre? sente a` leur
esprit, aucune re? flexion n'alte`re la fermete? de l'action ni la
beaute? du re? cit.
A la bataille de Gransoa, dans laquelle le duc de Bourgogne
attaqua la faible arme? e des cantons suisses, un trait simple
donne la plus touchante ide? e de ces temps et de ces moeurs.
Charles occupait de? ja` les hauteurs, et se croyait mai^tre de l'arme? e
qu'il voyait de loin dans la plaine; tout a` coup, au lever du so-
leil, il aperc? ut les Suisses qui, suivant la coutume de leurs pe`-
res, se mettaient tous a` genoux, pour invoquer avant le combat
la protection du Seigneur des seigneurs; les Bourguignons cru-
rent qu'ils se mettaient a` genoux ainsi pour rendre les armes, et
pousse`rent des cris de triomphe; mais tout a` coup ces chre? tiens,
fortifie? s par la prie`re, se rele`vent, se pre? cipitent sur leurs ad-
versaires, et remportent a` la fin la victoire dont leur pieuse ar-
deur les avait rendus dignes. Des circonstances de ce genre se
retrouvent souvent dans l'histoire de Mu`ller, et son langage
e? branle l'a^me, lorsme? i? ne que ce qu'il dit n'est point pathe? tique:
il y a quelque chose de grave, de noble et de se? ve`re dans son
style, qui re? veille puissamment le souvenir des vieux sie`cles.
C'e? tait cependant un homme mobileavant tout, que Mu`ller;
mais le talent prend toutes les formes, sans avoir pour cela un
moment d'hypocrisie. Il est ce qu'il parai^t, seulement il ne peut
se maintenir toujours dans la me^me disposition, et les circons-
tances exte? rieures le modifient. C'est surtout a` la couleur de son
style que Mu`ller doit sa puissance sur l'imagination; les mots
anciens dont il se sert si a` propos ont un air de loyaute? germani-
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? DES HlSTOHll-^S ALI. M11 \. M>. S. 369
que qui inspire de la confiance. Ne? anmoins il a tort de vouloir
quelquefois me^ler la concision de Tacite a` la nai? vete? du moyen
a^ge : ces deux imitations se contredisent. Il n'y a me^me que Mu`l-
ler a` qui les tournures du vieux allemand re? ussissent quelque-
fois : pour tout autre ce serait de l'affectation. Salluste seul, parmi
les e? crivains de l'antiquite? , a imagine? d'employer les formes et
les termes d'un temps ante? rieur au sien; en :e? ne? ral le naturel
s'oppose a` cette sorte d'imitation; cependant les chroniques du
moyen a^ge e? taient si familie`res a` Mu`ller, que c'est spontane? ment
qu'il e? crit souvent du me^me style. Il faut bien que ses expres-
sions soient vraies, puisqu'elles inspirent ce qu'il veut faire
e? prouver.
On est bien aise de croire, en lisant Mu`ller, que parmi toutes
les vertus qu'il a si bien senties, il en est qu'il a posse? de? es. Son
testament, qu'on vient de publier, est au moins une preuve de
son de? sinte? ressement. Il ne laisse point de fortune, et il demande
que l'on vendeses manuscrits pour payer ses dettes. Il ajoute
que si cela suffit pour les acquitter, il se permet de disposer de
sa montre en faveur de son domestique. << Ce n'est pas sans at-
<< tendrissement, dit-il, qu'il recevra la montre qu'il a monte? e
<< pendant vingt anne? es. >> La pauvrete?
d'un hommed'un si grand
talent est toujours une honorable circonstance de sa vie;la
millie`me partie de l'esprit qui rend illustre suffirait assure? ment
pour faire re? ussir tous les calculs de l'avidite? . Il est beau d'avoir
consacre? ses faculte? s au culte de la gloire, et l'on ressent tou-
jours de l'estime pour ceux dont le but le plus cher est au dela`
du tombeau.
CHAPITRE XXX.
Herder.
Les hommes de lettres, en Allemagne, sont a` beaucoup d'e? -
gards la re? union la plus respectable que le monde e? claire? puisse
offrir, et parmi ces hommes, Herder me? rite encore une place a`
part : son a^me , son ge? nie et sa moralite? tout ensemble, ont illus-
tre? sa vie. Ses e? crits peuvent e^tre conside? re? s sous trois rapports
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? 360 HERDER.
diffe? rents, l'histoire, la litte? rature et la the? ologie. Il s'e? tait fort
occupe? de l'antiquite? en ge? ne? ral, et des langues orientales en par-
ticulier. Son livre intitule? la Philosophie de U Histoire est peut-e^tre le livre allemand e? crit avec le plus de charme. On n'y trouve
pas la me^me profondeur d'observations politiques que dans l'ou-
vrage de Montesquieu, sur les Causes de la grandeur et de la
de? cadence des Romains; mais comme Herder s'attachait a` pe? -
ne? trer le ge? nie des temps les plus recule? s, peut-e^tre que la qua-
lite? qu'il posse? dait au supre^me degre? , l'imagination, servait
mieux que toute autre a` les faire connai^tre. Il faut ce flambeau
pour marcher dans les te? ne`bres ; c'est une lecture de? licieuse que
les divers chapitres de Herder sur Perse? polis et Babylone , sur
les He? breux et sur les E? gyptiens; il semble qu'on se prome`ne au
milieu de l'ancien monde avec un poe`te historien, qui touche
les ruines de sa baguette, et reconstruit a` nos yeux les e? difices abattus. On exige en Allemagne, me^me des hommes du plus grand ta-
lent, une instruction si e? tendue, que des critiques ont accuse?
Herder de n'avoir pas une e? rudition assez approfondie. Mais ce
qui nous frapperait, au contraire, c'est la varie? te? de ses con-
naissances ; toutes les langues lui e? taient connues, et celui de
tous ses ouvrages ou` l'on reconnai^t le plus jusqu'a` quel point il
portait le tact des nations e? trange`res, c'est son Essai sur la
poe? sie he? brai? que. Jamais on n'a mieux exprime? le ge? nie d'un
peuple prophe`te, pour qui l'inspiration poe? tique e? tait un
rapport intime avec la Divinite? . La vie errante de ce peuple, ses
moeurs, les pense? es dont il e? taitcapable, les images qui lui e? taient
habituelles, sont indique? es par Herder avec une e? tonnante sa-
gacite? . A l'aide des rapprochements les plus inge? nieux, il cher-
che a` donner l'ide? e de la syme? trie du verset des He? breux, de ce
retour du me^me sentiment ou de la me^me image en des termes
diffe? rents, dont chaque stance offre l'exemple. Quelquefois il
compare cette brillante re? gularite? a` deux rangs de perles qui en-
tourent la chevelure d'une belle femme. << L'art et la nature, dit-
<< il, conservent toujours une imposante uniformite? a` travers leur
<< abondance. >> A moins de lire les psaumes des He? breux dans
l'original, il est impossible de mieux pressentir leur charme que
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? HERDEH. 36l
par ce qu'en dit Herder. Son imagination e? tait a` l'e? troit dans les
contre? es de l'Occident; il se plaisait a` respirer les parfums de
l'Asie, et transmettait dans ses ouvrages le pur encens que sou
Cime y avait recueilli. C'est lui qui le premier a fait connai^tre en Allemagne les poe? -
sies espagnoles et portugaises : les traductions de W. Schlegel
les y ont depuis naturalise? es. Herder a publie? un recueil intitule?
Chansons poputairets; ce recueil contient les romances et les
poe? sies de? tache? es ou` sont empreints le caracte`re national et
l'imagination des peuples. On y peut e? tudier la poe? sie naturelle,
relie qui pre? ce`de les lumie`res. La litte? rature cultive? e devient si
promptement factice, qu'il est bon de retourner quelquefois a`
l'origine de toute poe? sie, c'est-a`-dire a` l'impression de la nature
sur l'homme, avant qu'il eu^t analyse? l'univers et lui-me^me. La
flexibilite? de l'allemand permet seule peut-e^tre de traduire ces
nai? vete? s du langage de chaque pays, sans lesquelles on ne rec? oit
aucune impression des poe? sies populaires; les mots, dans ces
poe? sies, ont par eux-me^mes une certaine gra^ce qui nous e? meut
comme une fleur que nous avons vue, comme un air que nous
avons entendu dans notre enfance: ces impressions singulie`res
contiennent non-seulement les secrets de l'art, mais ceux de
l'a^me ou` l'art les a puise? s. Les Allemands, en litte? rature, ana-
lysent jusqu'a` l'extre? mite? des sensations, jusqu'a` ces nuances
de? licates qui se refusent a` la parole, et l'on pourrait leur repro-
cher de s'attacher tropen toutgenre a` faire comprendre l'inex-
primable.
Je parlerai dans la quatrie`me partie de cet ouvrage des e? crits de Herder sur la the? ologie; l'histoire et la litte? rature s'y trouvent
aussi souvent re? unies. Un homme d'un ge? nie aussi since`re que
Herder devait me^ler la religion a` toutes ses pense? es, et toutes ses
pense? es a` la religion. On a dit que ses e? crits ressemblaient a` une
conversation anime? e: il est vrai qu'il n'a pas dans ses ouvrages la forme me? thodique qu'on est convenu de donner aux livres. C'est
sous les portiques et dans les jardins de l'Acade? mie, que Platon
expliquait a` ses disciples le syste`me du monde intellectuel. On
retrouve dans Herder cette noble ne? gligence du talent, toujours
impatient de marcher a` des ide? es nouvelles. C'est une invention
JHI>\ME DE STAEL. 31
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? 362 LES C1UT1QUES A. Vf. ET F.
moderne, que ce qu'on appelle un livre bien fait. La de? couverte
de l'imprimerie a rendu ne? cessaires les divisions, les re? sume? s ,
tout l'appareil enfin de la logique. La plupart des ouvrages phi-
losophiques des anciens sont des traite? s ou des dialogues , qu'on
se repre? sente comme des entretiens e? crits. Montaigne aussi s'a-
bandonnait de me^me au cours naturel de ses pense? es. Il faut,
il est vrai, pour un tel laisser aller, la supe? riorite? la plus de? ci-
de? e : l'ordre supple? e a` la richesse, et si la me? diocrite? marchait
au hasard, elle ne ferait d'ordinaire que nous ramener au me^me
point, avec la fatigue de plus; mais un homme de ge? nie inte? resse
davantage, quand il se montre tel qu'il est, et que ses livres
semblent pluto^t improvise? s que compose? s.
Herder avait, dit-on, une conversation admirable, et l'on sent
dans ses e? crits que cela devait e^tre ainsi. L'on y sent bien aussi
ce que tous ses amis attestent, c'est qu'il n'e? tait point d'homme
meilleur.
son histoire est compose? e , non d'apre? s des livres, mais sur les manuscrits
originaux. Le docteur Decarro , un savant Genevois e? tabli a` Vienne, et dont
l'activite? bienfaisante a porte? la de? couverte de la vaccine jusqu'en Asie, Va
faire parai^tre une Iraihiction de ces Vies des Grands Hommes d'Autrictie.
qui doit exciter le plus grand inte? re^t.
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? DES HISTORIENS ALLEMANDS. 357
son imagination prenait l'essor, et la ve? rite? vivante de ses ta-
bleaux tenait a` leur fide? lite? scrupuleuse; mais s'il savait admira-
blement se servir de l'e? rudition, il ignorait l'art de s'en de? gager
quand il le fallait. Son histoire est beaucoup trop longue, il n'en
a pas assez resserre? l'ensemble. Les de? tails sont ne? cessaires pour
donner de l'inte? re^t au re? cit des e? ve? nements; mais on doit choisir
parmi les e? ve? nements ceux qui me? ritent d'e^tre raconte? s.
L'ouvrage de Mu`ller est une chronique e? loquente; si pour-
tant toutes les histoires e? taient ainsi conc? ues, la vie de l'homme
se consumerait tout entie`re a` lire la vie des hommes. Il serait
donc a` souhaiter que Mu^ller ne se fu^t pas laisse? se? duire par l'e? -
tendue me^me de ses connaissances. Ne? anmoins les lecteurs, qui
ont d'autant plus de temps a` donner qu'ils l'emploient mieux,
se pe? ne? treront toujours avec un plaisir nouveau de ces illustres
annales de la Suisse. Les discours pre? liminaires sont des chefs-
d'oeuvre d'e? loquence. Nul n'a su mieux que Mu`ller montrer dans
ses e? crits le patriotisme le plus e? nergique; et maintenant qu'il
n'est plus, c'est par ses e? crits seuls qu'il faut l'appre? cier.
Il de? crit en peintre la contre? e ou` se sont passe? s les principaux
e? ve? nements de la confe? de? ration helve? tique. On aurait tort de se
faire l'historien d'un pays qu'on n'aurait pas vu soi-me^me. Les
sites, les lieux, la nature, sont comme le fond du tableau; et les
faits, quelque bien raconte? s qu'ils puissent e^tre, n'ont pas tous
les caracte`res de la ve? rite? , quand on ne vous fait pas voir les
objets exte? rieurs dont les hommes e? taient environne? s.
L'e? rudition qui a induit Mu^ller a` mettre trop d'importance a`
chaque fait, lui est bien utile, quand il s'agit d'un e? ve? nement
vraiment digne d'e^tre anime? par l'imagination. Il le raconte alors
comme s'il s'e? tait passe? la veille, et sait lui donner l'inte? re^t qu'une
circonstance encore pre? sente ferait e? prouver. Il faut, autant
qu'on le peut, dans l'histoire comme dans les fictions, laisser
au lecteur le plaisir et l'occasion de pressentir lui-me^me les ca-
racte`res et la marche des e? ve? nements. Il se lasse facilement de ce
qu'on lui dit, mais il est ravi de ce qu'il de? couvre; et l'on assi-
mile la litte? rature aux inte? re^ts de la vie, quand on sait exciter
par le re? cit l'anxie? te? de l'attente ; le jugement du lecteur s'exerce
sur un mot, sur une action qui fait tout a` coup comprendre un
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 358 DES HISTOHIEiVS ALLEMANDS.
homme, et souvent l'esprit me^me d'une nation et d'un sie`cle.
La conjuration du Ru`tli, telle qu'elle est raconte? e dans l'his-
toire de Mu`ller, inspire un inte? re^t prodigieux. Cette valle? e paisi-
ble ou` des hommes paisibles aussi comme elle se de? termine`rent
aux plus pe? rilleuses actions que la conscience puisse commander;
le calme dans la de? libe? ration, la solennite? du serment, l'ardeur
dans l'exe? cution; l'irre? vocable qui se fonde sur la volonte? de
l'homme, tandis qu'audehors tout peutchanger, quel tableau! Les
images seules y font nai^tre les pense? es: les he? ros de cet e? ve? nement,
comme l'auteur qui le rapporte, sont absorbe? s par la grandeur
me^me de l'objet. Aucune ide? e ge? ne? rale ne se pre? sente a` leur
esprit, aucune re? flexion n'alte`re la fermete? de l'action ni la
beaute? du re? cit.
A la bataille de Gransoa, dans laquelle le duc de Bourgogne
attaqua la faible arme? e des cantons suisses, un trait simple
donne la plus touchante ide? e de ces temps et de ces moeurs.
Charles occupait de? ja` les hauteurs, et se croyait mai^tre de l'arme? e
qu'il voyait de loin dans la plaine; tout a` coup, au lever du so-
leil, il aperc? ut les Suisses qui, suivant la coutume de leurs pe`-
res, se mettaient tous a` genoux, pour invoquer avant le combat
la protection du Seigneur des seigneurs; les Bourguignons cru-
rent qu'ils se mettaient a` genoux ainsi pour rendre les armes, et
pousse`rent des cris de triomphe; mais tout a` coup ces chre? tiens,
fortifie? s par la prie`re, se rele`vent, se pre? cipitent sur leurs ad-
versaires, et remportent a` la fin la victoire dont leur pieuse ar-
deur les avait rendus dignes. Des circonstances de ce genre se
retrouvent souvent dans l'histoire de Mu`ller, et son langage
e? branle l'a^me, lorsme? i? ne que ce qu'il dit n'est point pathe? tique:
il y a quelque chose de grave, de noble et de se? ve`re dans son
style, qui re? veille puissamment le souvenir des vieux sie`cles.
C'e? tait cependant un homme mobileavant tout, que Mu`ller;
mais le talent prend toutes les formes, sans avoir pour cela un
moment d'hypocrisie. Il est ce qu'il parai^t, seulement il ne peut
se maintenir toujours dans la me^me disposition, et les circons-
tances exte? rieures le modifient. C'est surtout a` la couleur de son
style que Mu`ller doit sa puissance sur l'imagination; les mots
anciens dont il se sert si a` propos ont un air de loyaute? germani-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES HlSTOHll-^S ALI. M11 \. M>. S. 369
que qui inspire de la confiance. Ne? anmoins il a tort de vouloir
quelquefois me^ler la concision de Tacite a` la nai? vete? du moyen
a^ge : ces deux imitations se contredisent. Il n'y a me^me que Mu`l-
ler a` qui les tournures du vieux allemand re? ussissent quelque-
fois : pour tout autre ce serait de l'affectation. Salluste seul, parmi
les e? crivains de l'antiquite? , a imagine? d'employer les formes et
les termes d'un temps ante? rieur au sien; en :e? ne? ral le naturel
s'oppose a` cette sorte d'imitation; cependant les chroniques du
moyen a^ge e? taient si familie`res a` Mu`ller, que c'est spontane? ment
qu'il e? crit souvent du me^me style. Il faut bien que ses expres-
sions soient vraies, puisqu'elles inspirent ce qu'il veut faire
e? prouver.
On est bien aise de croire, en lisant Mu`ller, que parmi toutes
les vertus qu'il a si bien senties, il en est qu'il a posse? de? es. Son
testament, qu'on vient de publier, est au moins une preuve de
son de? sinte? ressement. Il ne laisse point de fortune, et il demande
que l'on vendeses manuscrits pour payer ses dettes. Il ajoute
que si cela suffit pour les acquitter, il se permet de disposer de
sa montre en faveur de son domestique. << Ce n'est pas sans at-
<< tendrissement, dit-il, qu'il recevra la montre qu'il a monte? e
<< pendant vingt anne? es. >> La pauvrete?
d'un hommed'un si grand
talent est toujours une honorable circonstance de sa vie;la
millie`me partie de l'esprit qui rend illustre suffirait assure? ment
pour faire re? ussir tous les calculs de l'avidite? . Il est beau d'avoir
consacre? ses faculte? s au culte de la gloire, et l'on ressent tou-
jours de l'estime pour ceux dont le but le plus cher est au dela`
du tombeau.
CHAPITRE XXX.
Herder.
Les hommes de lettres, en Allemagne, sont a` beaucoup d'e? -
gards la re? union la plus respectable que le monde e? claire? puisse
offrir, et parmi ces hommes, Herder me? rite encore une place a`
part : son a^me , son ge? nie et sa moralite? tout ensemble, ont illus-
tre? sa vie. Ses e? crits peuvent e^tre conside? re? s sous trois rapports
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 360 HERDER.
diffe? rents, l'histoire, la litte? rature et la the? ologie. Il s'e? tait fort
occupe? de l'antiquite? en ge? ne? ral, et des langues orientales en par-
ticulier. Son livre intitule? la Philosophie de U Histoire est peut-e^tre le livre allemand e? crit avec le plus de charme. On n'y trouve
pas la me^me profondeur d'observations politiques que dans l'ou-
vrage de Montesquieu, sur les Causes de la grandeur et de la
de? cadence des Romains; mais comme Herder s'attachait a` pe? -
ne? trer le ge? nie des temps les plus recule? s, peut-e^tre que la qua-
lite? qu'il posse? dait au supre^me degre? , l'imagination, servait
mieux que toute autre a` les faire connai^tre. Il faut ce flambeau
pour marcher dans les te? ne`bres ; c'est une lecture de? licieuse que
les divers chapitres de Herder sur Perse? polis et Babylone , sur
les He? breux et sur les E? gyptiens; il semble qu'on se prome`ne au
milieu de l'ancien monde avec un poe`te historien, qui touche
les ruines de sa baguette, et reconstruit a` nos yeux les e? difices abattus. On exige en Allemagne, me^me des hommes du plus grand ta-
lent, une instruction si e? tendue, que des critiques ont accuse?
Herder de n'avoir pas une e? rudition assez approfondie. Mais ce
qui nous frapperait, au contraire, c'est la varie? te? de ses con-
naissances ; toutes les langues lui e? taient connues, et celui de
tous ses ouvrages ou` l'on reconnai^t le plus jusqu'a` quel point il
portait le tact des nations e? trange`res, c'est son Essai sur la
poe? sie he? brai? que. Jamais on n'a mieux exprime? le ge? nie d'un
peuple prophe`te, pour qui l'inspiration poe? tique e? tait un
rapport intime avec la Divinite? . La vie errante de ce peuple, ses
moeurs, les pense? es dont il e? taitcapable, les images qui lui e? taient
habituelles, sont indique? es par Herder avec une e? tonnante sa-
gacite? . A l'aide des rapprochements les plus inge? nieux, il cher-
che a` donner l'ide? e de la syme? trie du verset des He? breux, de ce
retour du me^me sentiment ou de la me^me image en des termes
diffe? rents, dont chaque stance offre l'exemple. Quelquefois il
compare cette brillante re? gularite? a` deux rangs de perles qui en-
tourent la chevelure d'une belle femme. << L'art et la nature, dit-
<< il, conservent toujours une imposante uniformite? a` travers leur
<< abondance. >> A moins de lire les psaumes des He? breux dans
l'original, il est impossible de mieux pressentir leur charme que
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? HERDEH. 36l
par ce qu'en dit Herder. Son imagination e? tait a` l'e? troit dans les
contre? es de l'Occident; il se plaisait a` respirer les parfums de
l'Asie, et transmettait dans ses ouvrages le pur encens que sou
Cime y avait recueilli. C'est lui qui le premier a fait connai^tre en Allemagne les poe? -
sies espagnoles et portugaises : les traductions de W. Schlegel
les y ont depuis naturalise? es. Herder a publie? un recueil intitule?
Chansons poputairets; ce recueil contient les romances et les
poe? sies de? tache? es ou` sont empreints le caracte`re national et
l'imagination des peuples. On y peut e? tudier la poe? sie naturelle,
relie qui pre? ce`de les lumie`res. La litte? rature cultive? e devient si
promptement factice, qu'il est bon de retourner quelquefois a`
l'origine de toute poe? sie, c'est-a`-dire a` l'impression de la nature
sur l'homme, avant qu'il eu^t analyse? l'univers et lui-me^me. La
flexibilite? de l'allemand permet seule peut-e^tre de traduire ces
nai? vete? s du langage de chaque pays, sans lesquelles on ne rec? oit
aucune impression des poe? sies populaires; les mots, dans ces
poe? sies, ont par eux-me^mes une certaine gra^ce qui nous e? meut
comme une fleur que nous avons vue, comme un air que nous
avons entendu dans notre enfance: ces impressions singulie`res
contiennent non-seulement les secrets de l'art, mais ceux de
l'a^me ou` l'art les a puise? s. Les Allemands, en litte? rature, ana-
lysent jusqu'a` l'extre? mite? des sensations, jusqu'a` ces nuances
de? licates qui se refusent a` la parole, et l'on pourrait leur repro-
cher de s'attacher tropen toutgenre a` faire comprendre l'inex-
primable.
Je parlerai dans la quatrie`me partie de cet ouvrage des e? crits de Herder sur la the? ologie; l'histoire et la litte? rature s'y trouvent
aussi souvent re? unies. Un homme d'un ge? nie aussi since`re que
Herder devait me^ler la religion a` toutes ses pense? es, et toutes ses
pense? es a` la religion. On a dit que ses e? crits ressemblaient a` une
conversation anime? e: il est vrai qu'il n'a pas dans ses ouvrages la forme me? thodique qu'on est convenu de donner aux livres. C'est
sous les portiques et dans les jardins de l'Acade? mie, que Platon
expliquait a` ses disciples le syste`me du monde intellectuel. On
retrouve dans Herder cette noble ne? gligence du talent, toujours
impatient de marcher a` des ide? es nouvelles. C'est une invention
JHI>\ME DE STAEL. 31
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? 362 LES C1UT1QUES A. Vf. ET F.
moderne, que ce qu'on appelle un livre bien fait. La de? couverte
de l'imprimerie a rendu ne? cessaires les divisions, les re? sume? s ,
tout l'appareil enfin de la logique. La plupart des ouvrages phi-
losophiques des anciens sont des traite? s ou des dialogues , qu'on
se repre? sente comme des entretiens e? crits. Montaigne aussi s'a-
bandonnait de me^me au cours naturel de ses pense? es. Il faut,
il est vrai, pour un tel laisser aller, la supe? riorite? la plus de? ci-
de? e : l'ordre supple? e a` la richesse, et si la me? diocrite? marchait
au hasard, elle ne ferait d'ordinaire que nous ramener au me^me
point, avec la fatigue de plus; mais un homme de ge? nie inte? resse
davantage, quand il se montre tel qu'il est, et que ses livres
semblent pluto^t improvise? s que compose? s.
Herder avait, dit-on, une conversation admirable, et l'on sent
dans ses e? crits que cela devait e^tre ainsi. L'on y sent bien aussi
ce que tous ses amis attestent, c'est qu'il n'e? tait point d'homme
meilleur.
