Je
répondis
que j'étais absolument sûr et qu'il fallait que M.
Proust - A La Recherche du Temps Perdu - Le Côté de Guermantes - Deuxième partie - v1
», elle me répondit, ce qui était peut-être vrai, mais
seulement depuis deux minutes et pour quelques heures:
--Je vous crois toujours.
Elle me parla de moi, de ma famille, de mon milieu social. Elle me dit:
«Oh! je sais que vos parents connaissent des gens très bien. Vous êtes
ami de Robert Forestier et de Suzanne Delage. » A la première minute, ces
noms ne me dirent absolument rien. Mais tout d'un coup je me rappelai
que j'avais en effet joué aux Champs-Élysées avec Robert Forestier que
je n'avais jamais revu. Quant à Suzanne Delage, c'était la petite nièce
de Mme Blandais, et j'avais dû une fois aller à une leçon de danse, et
même tenir un petit rôle dans une comédie de salon, chez ses parents.
Mais la peur d'avoir le fou rire, et des saignements de nez m'en avaient
empêché, de sorte que je ne l'avais jamais vue. J'avais tout au plus cru
comprendre autrefois que l'institutrice à plumet des Swann avait été
chez ses parents, mais peut-être n'était-ce qu'une soeur de cette
institutrice ou une amie. Je protestai à Albertine que Robert Forestier
et Suzanne Delage tenaient peu de place dans ma vie. «C'est possible,
vos mères sont liées, cela permet de vous situer. Je croise souvent
Suzanne Delage avenue de Messine, elle a du chic. » Nos mères ne se
connaissaient que dans l'imagination de Mme Bontemps qui, ayant su que
j'avais joué jadis avec Robert Forestier auquel, paraît-il, je récitais
des vers, en avait conclu que nous étions liés par des relations de
famille. Elle ne laissait jamais, m'a-t-on dit, passer le nom de maman
sans dire: «Ah! oui, c'est le milieu des Delage, des Forestier, etc. »,
donnant à mes parents un bon point qu'ils ne méritaient pas.
Du reste les notions sociales d'Albertine étaient d'une sottise extrême.
Elle croyait les Simonnet avec deux _n_ inférieurs non seulement aux
Simonet avec un seul _n_, mais à toutes les autres personnes possibles.
Que quelqu'un ait le même nom que vous, sans être de votre famille, est
une grande raison de le dédaigner. Certes il y a des exceptions. Il peut
arriver que deux Simonnet (présentés l'un à l'autre dans une de ces
réunions où l'on éprouve le besoin de parler de n'importe quoi et où on
se sent d'ailleurs plein de dispositions optimistes, par exemple dans le
cortège d'un enterrement qui se rend au cimetière), voyant qu'ils
s'appellent de même, cherchent avec une bienveillance réciproque, et
sans résultat, s'ils n'ont aucun lien de parenté. Mais ce n'est qu'une
exception. Beaucoup d'hommes sont peu honorables, mais nous l'ignorons
ou n'en avons cure. Mais si l'homonymie fait qu'on nous remet des
lettres à eux destinées, ou _vice versa_ nous commençons par une
méfiance, souvent justifiée, quant à ce qu'ils valent. Nous craignons
des confusions, nous les prévenons par une moue de dégoût si l'on nous
parle d'eux. En lisant notre nom porté par eux, dans le journal, ils
nous semblent l'avoir usurpé. Les péchés des autres membres du corps
social nous sont indifférents. Nous en chargeons plus lourdement nos
homonymes. La haine que nous portons aux autres Simonnet est d'autant
plus forte qu'elle n'est pas individuelle, mais se transmet
héréditairement. Au bout de deux générations on se souvient seulement de
la moue insultante que les grands-parents avaient à l'égard des autres
Simonnet; on ignore la cause; on ne serait pas étonné d'apprendre que
cela a commencé par un assassinat. Jusqu'au jour fréquent où, entre une
Simonnet et un Simonnet qui ne sont pas parents du tout, cela finit par
un mariage.
Non seulement Albertine me parla de Robert Forestier et de Suzanne
Delage, mais spontanément, par un devoir de confidence que le
rapprochement des corps crée, au début du moins, avant qu'il ait
engendré une duplicité spéciale et le secret envers le même être,
Albertine me raconta sur sa famille et un oncle d'Andrée une histoire
dont elle avait, à Balbec, refusé de me dire un seul mot, mais elle ne
pensait pas qu'elle dût paraître avoir encore des secrets à mon égard.
Maintenant sa meilleure amie lui eût raconté quelque chose contre moi
qu'elle se fût fait un devoir de me le rapporter. J'insistai pour
qu'elle rentrât, elle finit par partir, mais si confuse pour moi de ma
grossièreté, qu'elle riait presque pour m'excuser, comme une maîtresse
de maison chez qui on va en veston, qui vous accepte ainsi mais à qui
cela n'est pas indifférent.
--Vous riez? lui dis-je.
--Je ne ris pas, je vous souris, me répondit-elle tendrement. Quand
est-ce que je vous revois? ajouta-t-elle comme n'admettant pas que ce
que nous venions de faire, puisque c'en est d'habitude le couronnement,
ne fût pas au moins le prélude d'une amitié grande, d'une amitié
préexistante et que nous nous devions de découvrir, de confesser et qui
seule pouvait expliquer ce à quoi nous nous étions livrés.
--Puisque vous m'y autorisez, quand je pourrai je vous ferai chercher.
Je n'osai lui dire que je voulais tout subordonner à la possibilité de
voir Mme de Stermaria.
--Hélas! ce sera à l'improviste, je ne sais jamais d'avance, lui dis-je.
Serait-ce possible que je vous fisse chercher le soir quand je serai
libre?
--Ce sera très possible bientôt car j'aurai une entrée indépendante de
celle de ma tante. Mais en ce moment c'est impraticable. En tout cas je
viendrai à tout hasard demain ou après-demain dans l'après-midi. Vous ne
me recevrez que si vous le pouvez.
Arrivée à la porte, étonnée que je ne l'eusse pas devancée, elle me
tendit sa joue, trouvant qu'il n'y avait nul besoin d'un grossier désir
physique pour que maintenant nous nous embrassions. Comme les courtes
relations que nous avions eues tout à l'heure ensemble étaient de celles
auxquelles conduisent parfois une intimité absolue et un choix du coeur,
Albertine avait cru devoir improviser et ajouter momentanément aux
baisers que nous avions échangés sur mon lit, le sentiment dont ils
eussent été le signe pour un chevalier et sa dame tels que pouvait les
concevoir un jongleur gothique.
Quand m'eut quitté la jeune Picarde, qu'aurait pu sculpter à son porche
l'imagier de Saint-André-des-Champs, Françoise m'apporta une lettre qui
me remplit de joie, car elle était de Mme de Stermaria, laquelle
acceptait à dîner. De Mme de Stermaria, c'est-à-dire, pour moi, plus
que de la Mme de Stermaria réelle, de celle à qui j'avais pensé toute la
journée avant l'arrivée d'Albertine. C'est la terrible tromperie de
l'amour qu'il commence par nous faire jouer avec une femme non du monde
extérieur, mais avec une poupée intérieure à notre cerveau, la seule
d'ailleurs que nous ayons toujours à notre disposition, la seule que
nous posséderons, que l'arbitraire du souvenir, presque aussi absolu que
celui de l'imagination, peut avoir fait aussi différente de la femme
réelle que du Balbec réel avait été pour moi le Balbec rêvé; création
factice à laquelle peu à peu, pour notre souffrance, nous forcerons la
femme réelle à ressembler.
Albertine m'avait tant retardé que la comédie venait de finir quand
j'arrivai chez Mme de Villeparisis; et peu désireux de prendre à revers
le flot des invités qui s'écoulait en commentant la grande nouvelle: la
séparation qu'on disait déjà accomplie entre le duc et la duchesse de
Guermantes, je m'étais, en attendant de pouvoir saluer la maîtresse de
maison, assis sur une bergère vide dans le deuxième salon, quand du
premier, où sans doute elle avait été assise tout à fait au premier rang
de chaises, je vis déboucher, majestueuse, ample et haute dans une
longue robe de satin jaune à laquelle étaient attachés en relief
d'énormes pavots noirs, la duchesse. Sa vue ne me causait plus aucun
trouble. Un certain jour, m'imposant les mains sur le front (comme
c'était son habitude quand elle avait peur de me faire de la peine), en
me disant: «Ne continue pas tes sorties pour rencontrer Mme de
Guermantes, tu es la fable de la maison. D'ailleurs, vois comme ta
grand'mère est souffrante, tu as vraiment des choses plus sérieuses à
faire que de te poster sur le chemin d'une femme qui se moque de toi»,
d'un seul coup, comme un hypnotiseur qui vous fait revenir du lointain
pays où vous vous imaginiez être, et vous rouvre les yeux, ou comme le
médecin qui, vous rappelant au sentiment du devoir et de la réalité,
vous guérit d'un mal imaginaire dans lequel vous vous complaisiez, ma
mère m'avait réveillé d'un trop long songe. La journée qui avait suivi
avait été consacrée à dire un dernier adieu à ce mal auquel je
renonçais; j'avais chanté des heures de suite en pleurant l'«Adieu» de
Schubert:
. . . _Adieu, des voix étranges
T'appellent loin de moi, céleste soeur des Anges_.
Et puis ç'avait été fini. J'avais cessé mes sorties du matin, et si
facilement que je tirai alors le pronostic, qu'on verra se trouver faux,
plus tard, que je m'habituerais aisément, dans le cours de ma vie, à ne
plus voir une femme. Et quand ensuite Françoise m'eut raconté que
Jupien, désireux de s'agrandir, cherchait une boutique dans le quartier,
désireux de lui en trouver une (tout heureux aussi, en flânant dans la
rue que déjà de mon lit j'entendais crier lumineusement comme une plage,
de voir, sous le rideau de fer levé des crémeries, les petites laitières
à manches blanches), j'avais pu recommencer ces sorties. Fort librement
du reste; car j'avais conscience de ne plus les faire dans le but de
voir Mme de Guermantes; telle une femme qui prend des précautions
infinies tant qu'elle a un amant, du jour qu'elle a rompu avec lui
laisse traîner ses lettres, au risque de découvrir à son mari le secret
d'une faute dont elle a fini de s'effrayer en même temps que de la
commettre. Ce qui me faisait de la peine c'était d'apprendre que presque
toutes les maisons étaient habitées par des gens malheureux. Ici la
femme pleurait sans cesse parce que son mari la trompait. Là c'était
l'inverse. Ailleurs une mère travailleuse, rouée de coups par un fils
ivrogne, tâchait de cacher sa souffrance aux yeux des voisins. Toute une
moitié de l'humanité pleurait. Et quand je la connus, je vis qu'elle
était si exaspérante que je me demandai si ce n'était pas le mari ou la
femme adultères, qui l'étaient seulement parce que le bonheur légitime
leur avait été refusé, et se montraient charmants et loyaux envers tout
autre que leur femme ou leur mari, qui avaient raison. Bientôt je
n'avais même plus eu la raison d'être utile à Jupien pour continuer mes
pérégrinations matinales. Car on apprit que l'ébéniste de notre cour,
dont les ateliers n'étaient séparés de la boutique de Jupien que par une
cloison fort mince, allait recevoir congé du gérant parce qu'il frappait
des coups trop bruyants. Jupien ne pouvait espérer mieux, les ateliers
avaient un sous-sol où mettre les boiseries, et qui communiquait avec
nos caves. Jupien y mettrait son charbon, ferait abattre la cloison et
aurait une seule et vaste boutique. Mais même sans l'amusement de
chercher pour lui, j'avais continué à sortir avant déjeuner. Même comme
Jupien, trouvant le prix que M. de Guermantes faisait très élevé,
laissait visiter pour que, découragé de ne pas trouver de locataire, le
duc se résignât à lui faire une diminution, Françoise, ayant remarqué
que, même après l'heure où on ne visitait pas, le concierge laissait
«contre» la porte de la boutique à louer, flaira un piège dressé par le
concierge pour attirer la fiancée du valet de pied des Guermantes (ils y
trouveraient une retraite d'amour), et ensuite les surprendre.
Quoi qu'il en fût, bien que n'ayant plus à chercher une boutique pour
Jupien, je continuai à sortir avant le déjeuner. Souvent, dans ces
sorties, je rencontrais M. de Norpois. Il arrivait que, causant avec un
collègue, il jetait sur moi des regards qui, après m'avoir entièrement
examiné, se détournaient vers son interlocuteur sans m'avoir plus souri
ni salué que s'il ne m'avait pas connu du tout. Car chez ces importants
diplomates, regarder d'une certaine manière n'a pas pour but de vous
faire savoir qu'ils vous ont vu, mais qu'ils ne vous ont pas vu et
qu'ils ont à parler avec leur collègue de quelque question sérieuse.
Une grande femme que je croisais souvent près de la maison était moins
discrète avec moi. Car bien que je ne la connusse pas, elle se
retournait vers moi, m'attendait--inutilement--devant les vitrines des
marchands, me souriait, comme si elle allait m'embrasser, faisait le
geste de s'abandonner. Elle reprenait un air glacial à mon égard si elle
rencontrait quelqu'un qu'elle connût. Depuis longtemps déjà dans ces
courses du matin, selon ce que j'avais à faire, fût-ce acheter le plus
insignifiant journal, je choisissais le chemin le plus direct, sans
regret s'il était en dehors du parcours habituel que suivaient les
promenades de la duchesse et, s'il en faisait au contraire partie, sans
scrupules et sans dissimulation parce qu'il ne me paraissait plus le
chemin défendu où j'arrachais à une ingrate la faveur de la voir malgré
elle. Mais je n'avais pas songé que ma guérison, en me donnant à l'égard
de Mme de Guermantes une attitude normale, accomplirait parallèlement la
même oeuvre en ce qui la concernait et rendrait possible une amabilité,
une amitié qui ne m'importaient plus. Jusque-là les efforts du monde
entier ligués pour me rapprocher d'elle eussent expiré devant le mauvais
sort que jette un amour malheureux. Des fées plus puissantes que les
hommes ont décrété que, dans ces cas-là, rien ne pourra servir jusqu'au
jour où nous aurons dit sincèrement dans notre coeur la parole: «Je
n'aime plus. » J'en avais voulu à Saint-Loup de ne m'avoir pas mené chez
sa tante. Mais pas plus que n'importe qui, il n'était capable de briser
un enchantement. Tandis que j'aimais Mme de Guermantes, les marques de
gentillesse que je recevais des autres, les compliments, me faisaient de
la peine, non seulement parce que cela ne venait pas d'elle, mais parce
qu'elle ne les apprenait pas. Or, les eût-elle sus que cela n'eût été
d'aucune utilité. Même dans les détails d'une affection, une absence,
le refus d'un dîner, une rigueur involontaire, inconsciente, servent
plus que tous les cosmétiques et les plus beaux habits. Il y aurait des
parvenus, si on enseignait dans ce sens l'art de parvenir.
Au moment où elle traversait le salon où j'étais assis, la pensée pleine
du souvenir des amis que je ne connaissais pas et qu'elle allait
peut-être retrouver tout à l'heure dans une autre soirée, Mme de
Guermantes m'aperçut sur ma bergère, véritable indifférent qui ne
cherchais qu'à être aimable, alors que, tandis que j'aimais, j'avais
tant essayé de prendre, sans y réussir, l'air d'indifférence; elle
obliqua, vint à moi et retrouvant le sourire du soir de l'Opéra-Comique
et que le sentiment pénible d'être aimée par quelqu'un qu'elle n'aimait
pas n'effaçait plus:
--Non, ne vous dérangez pas, vous permettez que je m'asseye un instant à
côté de vous? me dit-elle en relevant gracieusement son immense jupe qui
sans cela eût occupé la bergère dans son entier.
Plus grande que moi et accrue encore de tout le volume de sa robe,
j'étais presque effleuré par son admirable bras nu autour duquel un
duvet imperceptible et innombrable faisait fumer perpétuellement comme
une vapeur dorée, et par la torsade blonde de ses cheveux qui
m'envoyaient leur odeur. N'ayant guère de place, elle ne pouvait se
tourner facilement vers moi et, obligée de regarder plutôt devant elle
que de mon côté, prenait une expression rêveuse et douce, comme dans un
portrait.
--Avez-vous des nouvelles de Robert? me dit-elle.
Mme de Villeparisis passa à ce moment-là.
--Eh bien! vous arrivez à une jolie heure, monsieur, pour une fois qu'on
vous voit.
Et remarquant que je parlais avec sa nièce, supposant peut-être que nous
étions plus liés qu'elle ne savait:
--Mais je ne veux pas déranger votre conversation avec Oriane,
ajouta-t-elle (car les bons offices de l'entremetteuse font partie des
devoirs d'une maîtresse de maison). Vous ne voulez pas venir dîner
mercredi avec elle?
C'était le jour où je devais dîner avec Mme de Stermaria, je refusai.
--Et samedi?
Ma mère revenant le samedi ou le dimanche, c'eût été peu gentil de ne
pas rester tous les soirs à dîner avec elle; je refusai donc encore.
--Ah! vous n'êtes pas un homme facile à avoir chez soi.
--Pourquoi ne venez-vous jamais me voir? me dit Mme de Guermantes quand
Mme de Villeparisis se fut éloignée pour féliciter les artistes et
remettre à la diva un bouquet de roses dont la main qui l'offrait
faisait seule tout le prix, car il n'avait coûté que vingt francs.
(C'était du reste son prix maximum quand on n'avait chanté qu'une fois.
Celles qui prêtaient leur concours à toutes les matinées et soirées
recevaient des roses peintes par la marquise. )
--C'est ennuyeux de ne jamais se voir que chez les autres. Puisque vous
ne voulez pas dîner avec moi chez ma tante, pourquoi ne viendriez-vous
pas dîner chez moi?
Certaines personnes, étant restées le plus longtemps possible, sous des
prétextes quelconques, mais qui sortaient enfin, voyant la duchesse
assise pour causer avec un jeune homme, sur un meuble si étroit qu'on
n'y pouvait tenir que deux, pensèrent qu'on les avait mal renseignées,
que c'était la duchesse, non le duc, qui demandait la séparation, à
cause de moi. Puis elles se hâtèrent de répandre cette nouvelle. J'étais
plus à même que personne d'en connaître la fausseté. Mais j'étais
surpris que, dans ces périodes difficiles où s'effectue une séparation
non encore consommée, la duchesse, au lieu de s'isoler, invitât
justement quelqu'un qu'elle connaissait aussi peu. J'eus le soupçon que
le duc avait été seul à ne pas vouloir qu'elle me reçût et que,
maintenant qu'il la quittait, elle ne voyait plus d'obstacles à
s'entourer des gens qui lui plaisaient.
Deux minutes auparavant j'eusse été stupéfait si on m'avait dit que Mme
de Guermantes allait me demander d'aller la voir, encore plus de venir
dîner. J'avais beau savoir que le salon Guermantes ne pouvait pas
présenter les particularités que j'avais extraites de ce nom, le fait
qu'il m'avait été interdit d'y pénétrer, en m'obligeant à lui donner le
même genre d'existence qu'aux salons dont nous avons lu la description
dans un roman, ou vu l'image dans un rêve, me le faisait, même quand
j'étais certain qu'il était pareil à tous les autres, imaginer tout
différent; entre moi et lui il y avait la barrière où finit le réel.
Dîner chez les Guermantes, c'était comme entreprendre un voyage
longtemps désiré, faire passer un désir de ma tête devant mes yeux et
lier connaissance avec un songe. Du moins eussé-je pu croire qu'il
s'agissait d'un de ces dîners auxquels les maîtres de maison invitent
quelqu'un en disant: «Venez, il n'y aura _absolument_ que nous»,
feignant d'attribuer au paria la crainte qu'ils éprouvent de le voir
mêlé à leurs autres amis, et cherchant même à transformer en un enviable
privilège réservé aux seuls intimes la quarantaine de l'exclu, malgré
lui sauvage et favorisé. Je sentis, au contraire, que Mme de Guermantes
avait le désir de me faire goûter à ce qu'elle avait de plus agréable
quand elle me dit, mettant d'ailleurs devant mes yeux comme la beauté
violâtre d'une arrivée chez la tante de Fabrice et le miracle d'une
présentation au comte Mosca:
--Vendredi vous ne seriez pas libre, en petit comité? Ce serait gentil.
Il y aura la princesse de Parme qui est charmante; d'abord je ne vous
inviterais pas si ce n'était pas pour rencontrer des gens agréables.
Désertée dans les milieux mondains intermédiaires qui sont livrés à un
mouvement perpétuel d'ascension, la famille joue au contraire un rôle
important dans les milieux immobiles comme la petite bourgeoisie et
comme l'aristocratie princière, qui ne peut chercher à s'élever puisque,
au-dessus d'elle, à son point de vue spécial, il n'y a rien. L'amitié
que me témoignaient «la tante Villeparisis» et Robert avait peut-être
fait de moi pour Mme de Guermantes et ses amis, vivant toujours sur
eux-mêmes et dans une même coterie, l'objet d'une attention curieuse que
je ne soupçonnais pas.
Elle avait de ces parents-là une connaissance familiale, quotidienne,
vulgaire, fort différente de ce que nous imaginons, et dans laquelle, si
nous nous y trouvons compris, loin que nos actions en soient expulsées
comme le grain de poussière de l'oeil ou la goutte d'eau de la
trachée-artère, elles peuvent rester gravées, être commentées, racontées
encore des années après que nous les avons oubliées nous-mêmes, dans le
palais où nous sommes étonnés de les retrouver comme une lettre de nous
dans une précieuse collection d'autographes.
De simples gens élégants peuvent défendre leur porte trop envahie. Mais
celle des Guermantes ne l'était pas. Un étranger n'avait presque jamais
l'occasion de passer devant elle. Pour une fois que la duchesse s'en
voyait désigner un, elle ne songeait pas à se préoccuper de la valeur
mondaine qu'il apporterait, puisque c'était chose qu'elle conférait et
ne pouvait recevoir. Elle ne pensait qu'à ses qualités réelles, Mme de
Villeparisis et Saint-Loup lui avaient dit que j'en possédais. Et sans
doute ne les eût-elle pas crus, si elle n'avait remarqué qu'ils ne
pouvaient jamais arriver à me faire venir quand ils le voulaient, donc
que je ne tenais pas au monde, ce qui semblait à la duchesse le signe
qu'un étranger faisait partie des «gens agréables».
Il fallait voir, parlant de femmes qu'elle n'aimait guère, comme elle
changeait de visage aussitôt si on nommait, à propos de l'une, par
exemple sa belle-soeur. «Oh! elle est charmante», disait-elle d'un air
de finesse et de certitude. La seule raison qu'elle en donnât était que
cette dame avait refusé d'être présentée à la marquise de Chaussegros et
à la princesse de Silistrie. Elle n'ajoutait pas que cette dame avait
refusé de lui être présentée à elle-même, duchesse de Guermantes. Cela
avait eu lieu pourtant, et depuis ce jour, l'esprit de la duchesse
travaillait sur ce qui pouvait bien se passer chez la dame si difficile
à connaître. Elle mourait d'envie d'être reçue chez elle. Les gens du
monde ont tellement l'habitude qu'on les recherche que qui les fuit leur
semble un phénix et accapare leur attention.
Le motif véritable de m'inviter était-il, dans l'esprit de Mme de
Guermantes (depuis que je ne l'aimais plus), que je ne recherchais pas
ses parents quoique étant recherché d'eux? Je ne sais. En tout cas,
s'étant décidée à m'inviter, elle voulait me faire les honneurs de ce
qu'elle avait de meilleur chez elle, et éloigner ceux de ses amis qui
auraient pu m'empêcher de revenir, ceux qu'elle savait ennuyeux. Je
n'avais pas su à quoi attribuer le changement de route de la duchesse
quand je l'avais vue dévier de sa marche stellaire, venir s'asseoir à
côté de moi et m'inviter à dîner, effet de causes ignorées, faute de
sens spécial qui nous renseigne à cet égard. Nous nous figurons les
gens que nous connaissons à peine--comme moi la duchesse--comme ne
pensant à nous que dans les rares moments où ils nous voient. Or, cet
oubli idéal où nous nous figurons qu'ils nous tiennent est absolument
arbitraire. De sorte que, pendant que dans le silence de la solitude
pareil à celui d'une belle nuit nous nous imaginons les différentes
reines de la société poursuivant leur route dans le ciel à une distance
infinie, nous ne pouvons nous défendre d'un sursaut de malaise ou de
plaisir s'il nous tombe de là-haut, comme un aérolithe portant gravé
notre nom, que nous croyions inconnu dans Vénus ou Cassiopée, une
invitation à dîner ou un méchant potin.
Peut-être parfois, quand, à l'imitation des princes persans qui, au dire
du _Livre d'Esther_, se faisaient lire les registres où étaient inscrits
les noms de ceux de leurs sujets qui leur avaient témoigné du zèle, Mme
de Guermantes consultait la liste des gens bien intentionnés, elle
s'était dit de moi: «Un à qui nous demanderons de venir dîner. » Mais
d'autres pensées l'avaient distraite
_(De soins tumultueux un prince environné
Vers de nouveaux objets est sans cesse entraîné)_
jusqu'au moment où elle m'avait aperçu seul comme Mardochée à la porte
du palais; et ma vue ayant rafraîchi sa mémoire elle voulait, tel
Assuérus, me combler de ses dons.
Cependant je dois dire qu'une surprise d'un genre opposé allait suivre
celle que j'avais eue au moment où Mme de Guermantes m'avait invité.
Cette première surprise, comme j'avais trouvé plus modeste de ma part et
plus reconnaissant de ne pas la dissimuler et d'exprimer au contraire
avec exagération ce qu'elle avait de joyeux, Mme de Guermantes, qui se
disposait à partir pour une dernière soirée, venait de me dire, presque
comme une justification, et par peur que je ne susse pas bien qui elle
était, pour avoir l'air si étonné d'être invité chez elle: «Vous savez
que je suis la tante de Robert de Saint-Loup qui vous aime beaucoup, et
du reste nous nous sommes déjà vus ici. » En répondant que je le savais,
j'ajoutai que je connaissais aussi M. de Charlus, lequel «avait été très
bon pour moi à Balbec et à Paris». Mme de Guermantes parut étonnée et
ses regards semblèrent se reporter, comme pour une vérification, à une
page déjà plus ancienne du livre intérieur. «Comment! vous connaissez
Palamède? » Ce prénom prenait dans la bouche de Mme de Guermantes une
grande douceur à cause de la simplicité involontaire avec laquelle elle
parlait d'un homme si brillant, mais qui n'était pour elle que son
beau-frère et le cousin avec lequel elle avait été élevée. Et dans le
gris confus qu'était pour moi la vie de la duchesse de Guermantes, ce
nom de Palamède mettait comme la clarté des longues journées d'été où
elle avait joué avec lui, jeune fille, à Guermantes, au jardin. De plus,
dans cette partie depuis longtemps écoulée de leur vie, Oriane de
Guermantes et son cousin Palamède avaient été fort différents de ce
qu'ils étaient devenus depuis; M. de Charlus notamment, tout entier
livré à des goûts d'art qu'il avait si bien refrénés par la suite que je
fus stupéfait d'apprendre que c'était par lui qu'avait été peint
l'immense éventail d'iris jaunes et noirs que déployait en ce moment la
duchesse. Elle eût pu aussi me montrer une petite sonatine qu'il avait
autrefois composée pour elle. J'ignorais absolument que le baron eût
tous ces talents dont il ne parlait jamais. Disons en passant que M. de
Charlus n'était pas enchanté que dans sa famille on l'appelât Palamède.
Pour Mémé, on eût pu comprendre encore que cela ne lui plût pas. Ces
stupides abréviations sont un signe de l'incompréhension que
l'aristocratie a de sa propre poésie (le judaïsme a d'ailleurs la même
puisqu'un neveu de Lady Rufus Israël, qui s'appelait Moïse, était
couramment appelé dans le monde: «Momo») en même temps que de sa
préoccupation de ne pas avoir l'air d'attacher d'importance à ce qui est
aristocratique. Or, M. de Charlus avait sur ce point plus d'imagination
poétique et plus d'orgueil exhibé. Mais la raison qui lui faisait peu
goûter Mémé n'était pas celle-là puisqu'elle s'étendait aussi au beau
prénom de Palamède. La vérité est que se jugeant, se sachant d'une
famille princière, il aurait voulu que son frère et sa belle-soeur
disent de lui: «Charlus», comme la reine Marie-Amélie ou le duc
d'Orléans pouvaient dire de leurs fils, petits-fils, neveux et frères:
«Joinville, Nemours, Chartres, Paris».
--Quel cachottier que ce Mémé, s'écria-t-elle. Nous lui avons parlé
longuement de vous, il nous a dit qu'il serait très heureux de faire
votre connaissance, absolument comme s'il ne vous avait jamais vu.
Avouez qu'il est drôle! et, ce qui n'est pas très gentil de ma part à
dire d'un beau-frère que j'adore et dont j'admire la rare valeur, par
moments un peu fou.
Je fus très frappé de ce mot appliqué à M. de Charlus et je me dis que
cette demi-folie expliquait peut-être certaines choses, par exemple
qu'il eût paru si enchanté du projet de demander à Bloch de battre sa
propre mère. Je m'avisai que non seulement par les choses qu'il disait,
mais par la manière dont il les disait, M. de Charlus était un peu fou.
La première fois qu'on entend un avocat ou un acteur, on est surpris de
leur ton tellement différent de la conversation. Mais comme on se rend
compte que tout le monde trouve cela tout naturel, on ne dit rien aux
autres, on ne se dit rien à soi-même, on se contente d'apprécier le
degré de talent. Tout au plus pense-t-on d'un acteur du
Théâtre-Français: «Pourquoi au lieu de laisser retomber son bras levé
l'a-t-il fait descendre par petites saccades coupées de repos, pendant
au moins dix minutes? » ou d'un Labori: «Pourquoi, dès qu'il a ouvert la
bouche, a-t-il émis ces sons tragiques, inattendus, pour dire la chose
la plus simple? » Mais comme tout le monde admet cela _a priori_, on
n'est pas choqué. De même, en y réfléchissant, on se disait que M. de
Charlus parlait de soi avec emphase, sur un ton qui n'était nullement
celui du débit ordinaire. Il semblait qu'on eût dû à toute minute lui
dire: «Mais pourquoi criez-vous si fort? pourquoi êtes-vous si
insolent? » Seulement tout le monde semblait bien avoir admis tacitement
que c'était bien ainsi. Et on entrait dans la ronde qui lui faisait fête
pendant qu'il pérorait. Mais certainement à de certains moments un
étranger eût cru entendre crier un dément.
--Mais vous êtes sûr que vous ne confondez pas, que vous parlez bien de
mon beau-frère Palamède? ajouta la duchesse avec une légère impertinence
qui se greffait chez elle sur la simplicité.
Je répondis que j'étais absolument sûr et qu'il fallait que M. de
Charlus eût mal entendu mon nom.
--Eh bien! je vous quitte, me dit comme à regret Mme de Guermantes. Il
faut que j'aille une seconde chez la princesse de Ligne. Vous n'y allez
pas? Non, vous n'aimez pas le monde? Vous avez bien raison, c'est
assommant. Si je n'étais pas obligée! Mais c'est ma cousine, ce ne
serait pas gentil. Je regrette égoïstement, pour moi, parce que
j'aurais pu vous conduire, même vous ramener. Alors je vous dis au
revoir et je me réjouis pour mercredi.
Que M. de Charlus eût rougi de moi devant M. d'Argencourt, passe encore.
Mais qu'à sa propre belle-soeur, et qui avait une si haute idée de lui,
il niât me connaître, fait si naturel puisque je connaissais à la fois
sa tante et son neveu, c'est ce que je ne pouvais comprendre.
Je terminerai ceci en disant qu'à un certain point de vue il y avait
chez Mme de Guermantes une véritable grandeur qui consistait à effacer
entièrement tout ce que d'autres n'eussent qu'incomplètement oublié.
Elle ne m'eût jamais rencontré la harcelant, la suivant, la pistant,
dans ses promenades matinales, elle n'eût jamais répondu à mon salut
quotidien avec une impatience excédée, elle n'eût jamais envoyé promener
Saint-Loup quand il l'avait suppliée de m'inviter, qu'elle n'aurait pas
pu avoir avec moi des façons plus noblement et naturellement aimables.
Non seulement elle ne s'attardait pas à des explications
rétrospectives, à des demi-mots, à des sourires ambigus, à des
sous-entendus, non seulement elle avait dans son affabilité actuelle,
sans retours en arrière, sans réticences, quelque chose d'aussi
fièrement rectiligne que sa majestueuse stature, mais les griefs qu'elle
avait pu ressentir contre quelqu'un dans le passé étaient si entièrement
réduits en cendres, ces cendres étaient elles-mêmes rejetées si loin de
sa mémoire ou tout au moins de sa manière d'être, qu'à regarder son
visage chaque fois qu'elle avait à traiter par la plus belle des
simplifications ce qui chez tant d'autres eût été prétexte à des restes
de froideur, à des récriminations, on avait l'impression d'une sorte de
purification.
Mais si j'étais surpris de la modification qui s'était opérée en elle à
mon égard, combien je l'étais plus d'en trouver en moi une tellement
plus grande au sien. N'y avait-il pas eu un moment où je ne reprenais
vie et force que si j'avais, échafaudant toujours de nouveaux projets,
cherché quelqu'un qui me ferait recevoir par elle et, après ce premier
bonheur, en procurerait bien d'autres à mon coeur de plus en plus
exigeant? C'était l'impossibilité de rien trouver qui m'avait fait
partir à Doncières voir Robert de Saint-Loup. Et maintenant, c'était
bien par les conséquences dérivant d'une lettre de lui que j'étais
agité, mais à cause de Mme de Stermaria et non de Mme de Guermantes.
Ajoutons, pour en finir avec cette soirée, qu'il s'y passa un fait,
démenti quelques jours après, qui ne laissa pas de m'étonner, me
brouilla pour quelque temps avec Bloch, et qui constitue en soi une de
ces curieuses contradictions dont on va trouver l'explication à la fin
de ce volume[1] (Sodome I). Donc, chez Mme de Villeparisis, Bloch ne
cessa de me vanter l'air d'amabilité de M. de Charlus, lequel Charlus,
quand il le rencontrait dans la rue, le regardait dans les yeux comme
s'il le connaissait, avait envie de le connaître, savait très bien qui
il était. J'en souris d'abord, Bloch s'étant exprimé avec tant de
violence à Balbec sur le compte du même M. de Charlus. Et je pensai
simplement que Bloch, à l'instar de son père pour Bergotte, connaissait
le baron «sans le connaître». Et que ce qu'il prenait pour un regard
aimable était un regard distrait. Mais enfin Bloch vint à tant de
précisions, et sembla si certain qu'à deux ou trois reprises M. de
Charlus avait voulu l'aborder, que, me rappelant que j'avais parlé de
mon camarade au baron, lequel m'avait justement, en revenant d'une
visite chez Mme de Villeparisis, posé sur lui diverses questions, je fis
la supposition que Bloch ne mentait pas, que M. de Charlus avait appris
son nom, qu'il était mon ami, etc. . . . Aussi quelque temps après, au
théâtre, je demandai à M. de Charlus de lui présenter Bloch, et sur son
acquiescement allai le chercher. Mais dès que M. de Charlus l'aperçut,
un étonnement aussitôt réprimé se peignit sur sa figure où il fut
remplacé par une étincelante fureur. Non seulement il ne tendit pas la
main à Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui
répondit de l'air le plus insolent, d'une voix irritée et blessante. De
sorte que Bloch, qui, à ce qu'il disait, n'avait eu jusque-là du baron
que des sourires, crut que je l'avais non pas recommandé mais desservi,
pendant le court entretien où, sachant le goût de M. de Charlus pour les
protocoles, je lui avais parlé de mon camarade avant de l'amener à lui.
Bloch nous quitta, éreinté comme qui a voulu monter un cheval tout le
temps prêt à prendre le mors aux dents, ou nager contre des vagues qui
vous rejettent sans cesse sur le galet, et ne me reparla pas de six
mois.
[Footnote 1: Dans l'édition originale «Sodome et Gomorrhe I» se
trouvait compris dans le même volume que cette 2e partie du Côté de
Guermantes, ce qui explique la phrase et la parenthèse. Mais, dans cette
édition in-octavo, le titre de Sodome est reporté au volume suivant. ]
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WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
1.
seulement depuis deux minutes et pour quelques heures:
--Je vous crois toujours.
Elle me parla de moi, de ma famille, de mon milieu social. Elle me dit:
«Oh! je sais que vos parents connaissent des gens très bien. Vous êtes
ami de Robert Forestier et de Suzanne Delage. » A la première minute, ces
noms ne me dirent absolument rien. Mais tout d'un coup je me rappelai
que j'avais en effet joué aux Champs-Élysées avec Robert Forestier que
je n'avais jamais revu. Quant à Suzanne Delage, c'était la petite nièce
de Mme Blandais, et j'avais dû une fois aller à une leçon de danse, et
même tenir un petit rôle dans une comédie de salon, chez ses parents.
Mais la peur d'avoir le fou rire, et des saignements de nez m'en avaient
empêché, de sorte que je ne l'avais jamais vue. J'avais tout au plus cru
comprendre autrefois que l'institutrice à plumet des Swann avait été
chez ses parents, mais peut-être n'était-ce qu'une soeur de cette
institutrice ou une amie. Je protestai à Albertine que Robert Forestier
et Suzanne Delage tenaient peu de place dans ma vie. «C'est possible,
vos mères sont liées, cela permet de vous situer. Je croise souvent
Suzanne Delage avenue de Messine, elle a du chic. » Nos mères ne se
connaissaient que dans l'imagination de Mme Bontemps qui, ayant su que
j'avais joué jadis avec Robert Forestier auquel, paraît-il, je récitais
des vers, en avait conclu que nous étions liés par des relations de
famille. Elle ne laissait jamais, m'a-t-on dit, passer le nom de maman
sans dire: «Ah! oui, c'est le milieu des Delage, des Forestier, etc. »,
donnant à mes parents un bon point qu'ils ne méritaient pas.
Du reste les notions sociales d'Albertine étaient d'une sottise extrême.
Elle croyait les Simonnet avec deux _n_ inférieurs non seulement aux
Simonet avec un seul _n_, mais à toutes les autres personnes possibles.
Que quelqu'un ait le même nom que vous, sans être de votre famille, est
une grande raison de le dédaigner. Certes il y a des exceptions. Il peut
arriver que deux Simonnet (présentés l'un à l'autre dans une de ces
réunions où l'on éprouve le besoin de parler de n'importe quoi et où on
se sent d'ailleurs plein de dispositions optimistes, par exemple dans le
cortège d'un enterrement qui se rend au cimetière), voyant qu'ils
s'appellent de même, cherchent avec une bienveillance réciproque, et
sans résultat, s'ils n'ont aucun lien de parenté. Mais ce n'est qu'une
exception. Beaucoup d'hommes sont peu honorables, mais nous l'ignorons
ou n'en avons cure. Mais si l'homonymie fait qu'on nous remet des
lettres à eux destinées, ou _vice versa_ nous commençons par une
méfiance, souvent justifiée, quant à ce qu'ils valent. Nous craignons
des confusions, nous les prévenons par une moue de dégoût si l'on nous
parle d'eux. En lisant notre nom porté par eux, dans le journal, ils
nous semblent l'avoir usurpé. Les péchés des autres membres du corps
social nous sont indifférents. Nous en chargeons plus lourdement nos
homonymes. La haine que nous portons aux autres Simonnet est d'autant
plus forte qu'elle n'est pas individuelle, mais se transmet
héréditairement. Au bout de deux générations on se souvient seulement de
la moue insultante que les grands-parents avaient à l'égard des autres
Simonnet; on ignore la cause; on ne serait pas étonné d'apprendre que
cela a commencé par un assassinat. Jusqu'au jour fréquent où, entre une
Simonnet et un Simonnet qui ne sont pas parents du tout, cela finit par
un mariage.
Non seulement Albertine me parla de Robert Forestier et de Suzanne
Delage, mais spontanément, par un devoir de confidence que le
rapprochement des corps crée, au début du moins, avant qu'il ait
engendré une duplicité spéciale et le secret envers le même être,
Albertine me raconta sur sa famille et un oncle d'Andrée une histoire
dont elle avait, à Balbec, refusé de me dire un seul mot, mais elle ne
pensait pas qu'elle dût paraître avoir encore des secrets à mon égard.
Maintenant sa meilleure amie lui eût raconté quelque chose contre moi
qu'elle se fût fait un devoir de me le rapporter. J'insistai pour
qu'elle rentrât, elle finit par partir, mais si confuse pour moi de ma
grossièreté, qu'elle riait presque pour m'excuser, comme une maîtresse
de maison chez qui on va en veston, qui vous accepte ainsi mais à qui
cela n'est pas indifférent.
--Vous riez? lui dis-je.
--Je ne ris pas, je vous souris, me répondit-elle tendrement. Quand
est-ce que je vous revois? ajouta-t-elle comme n'admettant pas que ce
que nous venions de faire, puisque c'en est d'habitude le couronnement,
ne fût pas au moins le prélude d'une amitié grande, d'une amitié
préexistante et que nous nous devions de découvrir, de confesser et qui
seule pouvait expliquer ce à quoi nous nous étions livrés.
--Puisque vous m'y autorisez, quand je pourrai je vous ferai chercher.
Je n'osai lui dire que je voulais tout subordonner à la possibilité de
voir Mme de Stermaria.
--Hélas! ce sera à l'improviste, je ne sais jamais d'avance, lui dis-je.
Serait-ce possible que je vous fisse chercher le soir quand je serai
libre?
--Ce sera très possible bientôt car j'aurai une entrée indépendante de
celle de ma tante. Mais en ce moment c'est impraticable. En tout cas je
viendrai à tout hasard demain ou après-demain dans l'après-midi. Vous ne
me recevrez que si vous le pouvez.
Arrivée à la porte, étonnée que je ne l'eusse pas devancée, elle me
tendit sa joue, trouvant qu'il n'y avait nul besoin d'un grossier désir
physique pour que maintenant nous nous embrassions. Comme les courtes
relations que nous avions eues tout à l'heure ensemble étaient de celles
auxquelles conduisent parfois une intimité absolue et un choix du coeur,
Albertine avait cru devoir improviser et ajouter momentanément aux
baisers que nous avions échangés sur mon lit, le sentiment dont ils
eussent été le signe pour un chevalier et sa dame tels que pouvait les
concevoir un jongleur gothique.
Quand m'eut quitté la jeune Picarde, qu'aurait pu sculpter à son porche
l'imagier de Saint-André-des-Champs, Françoise m'apporta une lettre qui
me remplit de joie, car elle était de Mme de Stermaria, laquelle
acceptait à dîner. De Mme de Stermaria, c'est-à-dire, pour moi, plus
que de la Mme de Stermaria réelle, de celle à qui j'avais pensé toute la
journée avant l'arrivée d'Albertine. C'est la terrible tromperie de
l'amour qu'il commence par nous faire jouer avec une femme non du monde
extérieur, mais avec une poupée intérieure à notre cerveau, la seule
d'ailleurs que nous ayons toujours à notre disposition, la seule que
nous posséderons, que l'arbitraire du souvenir, presque aussi absolu que
celui de l'imagination, peut avoir fait aussi différente de la femme
réelle que du Balbec réel avait été pour moi le Balbec rêvé; création
factice à laquelle peu à peu, pour notre souffrance, nous forcerons la
femme réelle à ressembler.
Albertine m'avait tant retardé que la comédie venait de finir quand
j'arrivai chez Mme de Villeparisis; et peu désireux de prendre à revers
le flot des invités qui s'écoulait en commentant la grande nouvelle: la
séparation qu'on disait déjà accomplie entre le duc et la duchesse de
Guermantes, je m'étais, en attendant de pouvoir saluer la maîtresse de
maison, assis sur une bergère vide dans le deuxième salon, quand du
premier, où sans doute elle avait été assise tout à fait au premier rang
de chaises, je vis déboucher, majestueuse, ample et haute dans une
longue robe de satin jaune à laquelle étaient attachés en relief
d'énormes pavots noirs, la duchesse. Sa vue ne me causait plus aucun
trouble. Un certain jour, m'imposant les mains sur le front (comme
c'était son habitude quand elle avait peur de me faire de la peine), en
me disant: «Ne continue pas tes sorties pour rencontrer Mme de
Guermantes, tu es la fable de la maison. D'ailleurs, vois comme ta
grand'mère est souffrante, tu as vraiment des choses plus sérieuses à
faire que de te poster sur le chemin d'une femme qui se moque de toi»,
d'un seul coup, comme un hypnotiseur qui vous fait revenir du lointain
pays où vous vous imaginiez être, et vous rouvre les yeux, ou comme le
médecin qui, vous rappelant au sentiment du devoir et de la réalité,
vous guérit d'un mal imaginaire dans lequel vous vous complaisiez, ma
mère m'avait réveillé d'un trop long songe. La journée qui avait suivi
avait été consacrée à dire un dernier adieu à ce mal auquel je
renonçais; j'avais chanté des heures de suite en pleurant l'«Adieu» de
Schubert:
. . . _Adieu, des voix étranges
T'appellent loin de moi, céleste soeur des Anges_.
Et puis ç'avait été fini. J'avais cessé mes sorties du matin, et si
facilement que je tirai alors le pronostic, qu'on verra se trouver faux,
plus tard, que je m'habituerais aisément, dans le cours de ma vie, à ne
plus voir une femme. Et quand ensuite Françoise m'eut raconté que
Jupien, désireux de s'agrandir, cherchait une boutique dans le quartier,
désireux de lui en trouver une (tout heureux aussi, en flânant dans la
rue que déjà de mon lit j'entendais crier lumineusement comme une plage,
de voir, sous le rideau de fer levé des crémeries, les petites laitières
à manches blanches), j'avais pu recommencer ces sorties. Fort librement
du reste; car j'avais conscience de ne plus les faire dans le but de
voir Mme de Guermantes; telle une femme qui prend des précautions
infinies tant qu'elle a un amant, du jour qu'elle a rompu avec lui
laisse traîner ses lettres, au risque de découvrir à son mari le secret
d'une faute dont elle a fini de s'effrayer en même temps que de la
commettre. Ce qui me faisait de la peine c'était d'apprendre que presque
toutes les maisons étaient habitées par des gens malheureux. Ici la
femme pleurait sans cesse parce que son mari la trompait. Là c'était
l'inverse. Ailleurs une mère travailleuse, rouée de coups par un fils
ivrogne, tâchait de cacher sa souffrance aux yeux des voisins. Toute une
moitié de l'humanité pleurait. Et quand je la connus, je vis qu'elle
était si exaspérante que je me demandai si ce n'était pas le mari ou la
femme adultères, qui l'étaient seulement parce que le bonheur légitime
leur avait été refusé, et se montraient charmants et loyaux envers tout
autre que leur femme ou leur mari, qui avaient raison. Bientôt je
n'avais même plus eu la raison d'être utile à Jupien pour continuer mes
pérégrinations matinales. Car on apprit que l'ébéniste de notre cour,
dont les ateliers n'étaient séparés de la boutique de Jupien que par une
cloison fort mince, allait recevoir congé du gérant parce qu'il frappait
des coups trop bruyants. Jupien ne pouvait espérer mieux, les ateliers
avaient un sous-sol où mettre les boiseries, et qui communiquait avec
nos caves. Jupien y mettrait son charbon, ferait abattre la cloison et
aurait une seule et vaste boutique. Mais même sans l'amusement de
chercher pour lui, j'avais continué à sortir avant déjeuner. Même comme
Jupien, trouvant le prix que M. de Guermantes faisait très élevé,
laissait visiter pour que, découragé de ne pas trouver de locataire, le
duc se résignât à lui faire une diminution, Françoise, ayant remarqué
que, même après l'heure où on ne visitait pas, le concierge laissait
«contre» la porte de la boutique à louer, flaira un piège dressé par le
concierge pour attirer la fiancée du valet de pied des Guermantes (ils y
trouveraient une retraite d'amour), et ensuite les surprendre.
Quoi qu'il en fût, bien que n'ayant plus à chercher une boutique pour
Jupien, je continuai à sortir avant le déjeuner. Souvent, dans ces
sorties, je rencontrais M. de Norpois. Il arrivait que, causant avec un
collègue, il jetait sur moi des regards qui, après m'avoir entièrement
examiné, se détournaient vers son interlocuteur sans m'avoir plus souri
ni salué que s'il ne m'avait pas connu du tout. Car chez ces importants
diplomates, regarder d'une certaine manière n'a pas pour but de vous
faire savoir qu'ils vous ont vu, mais qu'ils ne vous ont pas vu et
qu'ils ont à parler avec leur collègue de quelque question sérieuse.
Une grande femme que je croisais souvent près de la maison était moins
discrète avec moi. Car bien que je ne la connusse pas, elle se
retournait vers moi, m'attendait--inutilement--devant les vitrines des
marchands, me souriait, comme si elle allait m'embrasser, faisait le
geste de s'abandonner. Elle reprenait un air glacial à mon égard si elle
rencontrait quelqu'un qu'elle connût. Depuis longtemps déjà dans ces
courses du matin, selon ce que j'avais à faire, fût-ce acheter le plus
insignifiant journal, je choisissais le chemin le plus direct, sans
regret s'il était en dehors du parcours habituel que suivaient les
promenades de la duchesse et, s'il en faisait au contraire partie, sans
scrupules et sans dissimulation parce qu'il ne me paraissait plus le
chemin défendu où j'arrachais à une ingrate la faveur de la voir malgré
elle. Mais je n'avais pas songé que ma guérison, en me donnant à l'égard
de Mme de Guermantes une attitude normale, accomplirait parallèlement la
même oeuvre en ce qui la concernait et rendrait possible une amabilité,
une amitié qui ne m'importaient plus. Jusque-là les efforts du monde
entier ligués pour me rapprocher d'elle eussent expiré devant le mauvais
sort que jette un amour malheureux. Des fées plus puissantes que les
hommes ont décrété que, dans ces cas-là, rien ne pourra servir jusqu'au
jour où nous aurons dit sincèrement dans notre coeur la parole: «Je
n'aime plus. » J'en avais voulu à Saint-Loup de ne m'avoir pas mené chez
sa tante. Mais pas plus que n'importe qui, il n'était capable de briser
un enchantement. Tandis que j'aimais Mme de Guermantes, les marques de
gentillesse que je recevais des autres, les compliments, me faisaient de
la peine, non seulement parce que cela ne venait pas d'elle, mais parce
qu'elle ne les apprenait pas. Or, les eût-elle sus que cela n'eût été
d'aucune utilité. Même dans les détails d'une affection, une absence,
le refus d'un dîner, une rigueur involontaire, inconsciente, servent
plus que tous les cosmétiques et les plus beaux habits. Il y aurait des
parvenus, si on enseignait dans ce sens l'art de parvenir.
Au moment où elle traversait le salon où j'étais assis, la pensée pleine
du souvenir des amis que je ne connaissais pas et qu'elle allait
peut-être retrouver tout à l'heure dans une autre soirée, Mme de
Guermantes m'aperçut sur ma bergère, véritable indifférent qui ne
cherchais qu'à être aimable, alors que, tandis que j'aimais, j'avais
tant essayé de prendre, sans y réussir, l'air d'indifférence; elle
obliqua, vint à moi et retrouvant le sourire du soir de l'Opéra-Comique
et que le sentiment pénible d'être aimée par quelqu'un qu'elle n'aimait
pas n'effaçait plus:
--Non, ne vous dérangez pas, vous permettez que je m'asseye un instant à
côté de vous? me dit-elle en relevant gracieusement son immense jupe qui
sans cela eût occupé la bergère dans son entier.
Plus grande que moi et accrue encore de tout le volume de sa robe,
j'étais presque effleuré par son admirable bras nu autour duquel un
duvet imperceptible et innombrable faisait fumer perpétuellement comme
une vapeur dorée, et par la torsade blonde de ses cheveux qui
m'envoyaient leur odeur. N'ayant guère de place, elle ne pouvait se
tourner facilement vers moi et, obligée de regarder plutôt devant elle
que de mon côté, prenait une expression rêveuse et douce, comme dans un
portrait.
--Avez-vous des nouvelles de Robert? me dit-elle.
Mme de Villeparisis passa à ce moment-là.
--Eh bien! vous arrivez à une jolie heure, monsieur, pour une fois qu'on
vous voit.
Et remarquant que je parlais avec sa nièce, supposant peut-être que nous
étions plus liés qu'elle ne savait:
--Mais je ne veux pas déranger votre conversation avec Oriane,
ajouta-t-elle (car les bons offices de l'entremetteuse font partie des
devoirs d'une maîtresse de maison). Vous ne voulez pas venir dîner
mercredi avec elle?
C'était le jour où je devais dîner avec Mme de Stermaria, je refusai.
--Et samedi?
Ma mère revenant le samedi ou le dimanche, c'eût été peu gentil de ne
pas rester tous les soirs à dîner avec elle; je refusai donc encore.
--Ah! vous n'êtes pas un homme facile à avoir chez soi.
--Pourquoi ne venez-vous jamais me voir? me dit Mme de Guermantes quand
Mme de Villeparisis se fut éloignée pour féliciter les artistes et
remettre à la diva un bouquet de roses dont la main qui l'offrait
faisait seule tout le prix, car il n'avait coûté que vingt francs.
(C'était du reste son prix maximum quand on n'avait chanté qu'une fois.
Celles qui prêtaient leur concours à toutes les matinées et soirées
recevaient des roses peintes par la marquise. )
--C'est ennuyeux de ne jamais se voir que chez les autres. Puisque vous
ne voulez pas dîner avec moi chez ma tante, pourquoi ne viendriez-vous
pas dîner chez moi?
Certaines personnes, étant restées le plus longtemps possible, sous des
prétextes quelconques, mais qui sortaient enfin, voyant la duchesse
assise pour causer avec un jeune homme, sur un meuble si étroit qu'on
n'y pouvait tenir que deux, pensèrent qu'on les avait mal renseignées,
que c'était la duchesse, non le duc, qui demandait la séparation, à
cause de moi. Puis elles se hâtèrent de répandre cette nouvelle. J'étais
plus à même que personne d'en connaître la fausseté. Mais j'étais
surpris que, dans ces périodes difficiles où s'effectue une séparation
non encore consommée, la duchesse, au lieu de s'isoler, invitât
justement quelqu'un qu'elle connaissait aussi peu. J'eus le soupçon que
le duc avait été seul à ne pas vouloir qu'elle me reçût et que,
maintenant qu'il la quittait, elle ne voyait plus d'obstacles à
s'entourer des gens qui lui plaisaient.
Deux minutes auparavant j'eusse été stupéfait si on m'avait dit que Mme
de Guermantes allait me demander d'aller la voir, encore plus de venir
dîner. J'avais beau savoir que le salon Guermantes ne pouvait pas
présenter les particularités que j'avais extraites de ce nom, le fait
qu'il m'avait été interdit d'y pénétrer, en m'obligeant à lui donner le
même genre d'existence qu'aux salons dont nous avons lu la description
dans un roman, ou vu l'image dans un rêve, me le faisait, même quand
j'étais certain qu'il était pareil à tous les autres, imaginer tout
différent; entre moi et lui il y avait la barrière où finit le réel.
Dîner chez les Guermantes, c'était comme entreprendre un voyage
longtemps désiré, faire passer un désir de ma tête devant mes yeux et
lier connaissance avec un songe. Du moins eussé-je pu croire qu'il
s'agissait d'un de ces dîners auxquels les maîtres de maison invitent
quelqu'un en disant: «Venez, il n'y aura _absolument_ que nous»,
feignant d'attribuer au paria la crainte qu'ils éprouvent de le voir
mêlé à leurs autres amis, et cherchant même à transformer en un enviable
privilège réservé aux seuls intimes la quarantaine de l'exclu, malgré
lui sauvage et favorisé. Je sentis, au contraire, que Mme de Guermantes
avait le désir de me faire goûter à ce qu'elle avait de plus agréable
quand elle me dit, mettant d'ailleurs devant mes yeux comme la beauté
violâtre d'une arrivée chez la tante de Fabrice et le miracle d'une
présentation au comte Mosca:
--Vendredi vous ne seriez pas libre, en petit comité? Ce serait gentil.
Il y aura la princesse de Parme qui est charmante; d'abord je ne vous
inviterais pas si ce n'était pas pour rencontrer des gens agréables.
Désertée dans les milieux mondains intermédiaires qui sont livrés à un
mouvement perpétuel d'ascension, la famille joue au contraire un rôle
important dans les milieux immobiles comme la petite bourgeoisie et
comme l'aristocratie princière, qui ne peut chercher à s'élever puisque,
au-dessus d'elle, à son point de vue spécial, il n'y a rien. L'amitié
que me témoignaient «la tante Villeparisis» et Robert avait peut-être
fait de moi pour Mme de Guermantes et ses amis, vivant toujours sur
eux-mêmes et dans une même coterie, l'objet d'une attention curieuse que
je ne soupçonnais pas.
Elle avait de ces parents-là une connaissance familiale, quotidienne,
vulgaire, fort différente de ce que nous imaginons, et dans laquelle, si
nous nous y trouvons compris, loin que nos actions en soient expulsées
comme le grain de poussière de l'oeil ou la goutte d'eau de la
trachée-artère, elles peuvent rester gravées, être commentées, racontées
encore des années après que nous les avons oubliées nous-mêmes, dans le
palais où nous sommes étonnés de les retrouver comme une lettre de nous
dans une précieuse collection d'autographes.
De simples gens élégants peuvent défendre leur porte trop envahie. Mais
celle des Guermantes ne l'était pas. Un étranger n'avait presque jamais
l'occasion de passer devant elle. Pour une fois que la duchesse s'en
voyait désigner un, elle ne songeait pas à se préoccuper de la valeur
mondaine qu'il apporterait, puisque c'était chose qu'elle conférait et
ne pouvait recevoir. Elle ne pensait qu'à ses qualités réelles, Mme de
Villeparisis et Saint-Loup lui avaient dit que j'en possédais. Et sans
doute ne les eût-elle pas crus, si elle n'avait remarqué qu'ils ne
pouvaient jamais arriver à me faire venir quand ils le voulaient, donc
que je ne tenais pas au monde, ce qui semblait à la duchesse le signe
qu'un étranger faisait partie des «gens agréables».
Il fallait voir, parlant de femmes qu'elle n'aimait guère, comme elle
changeait de visage aussitôt si on nommait, à propos de l'une, par
exemple sa belle-soeur. «Oh! elle est charmante», disait-elle d'un air
de finesse et de certitude. La seule raison qu'elle en donnât était que
cette dame avait refusé d'être présentée à la marquise de Chaussegros et
à la princesse de Silistrie. Elle n'ajoutait pas que cette dame avait
refusé de lui être présentée à elle-même, duchesse de Guermantes. Cela
avait eu lieu pourtant, et depuis ce jour, l'esprit de la duchesse
travaillait sur ce qui pouvait bien se passer chez la dame si difficile
à connaître. Elle mourait d'envie d'être reçue chez elle. Les gens du
monde ont tellement l'habitude qu'on les recherche que qui les fuit leur
semble un phénix et accapare leur attention.
Le motif véritable de m'inviter était-il, dans l'esprit de Mme de
Guermantes (depuis que je ne l'aimais plus), que je ne recherchais pas
ses parents quoique étant recherché d'eux? Je ne sais. En tout cas,
s'étant décidée à m'inviter, elle voulait me faire les honneurs de ce
qu'elle avait de meilleur chez elle, et éloigner ceux de ses amis qui
auraient pu m'empêcher de revenir, ceux qu'elle savait ennuyeux. Je
n'avais pas su à quoi attribuer le changement de route de la duchesse
quand je l'avais vue dévier de sa marche stellaire, venir s'asseoir à
côté de moi et m'inviter à dîner, effet de causes ignorées, faute de
sens spécial qui nous renseigne à cet égard. Nous nous figurons les
gens que nous connaissons à peine--comme moi la duchesse--comme ne
pensant à nous que dans les rares moments où ils nous voient. Or, cet
oubli idéal où nous nous figurons qu'ils nous tiennent est absolument
arbitraire. De sorte que, pendant que dans le silence de la solitude
pareil à celui d'une belle nuit nous nous imaginons les différentes
reines de la société poursuivant leur route dans le ciel à une distance
infinie, nous ne pouvons nous défendre d'un sursaut de malaise ou de
plaisir s'il nous tombe de là-haut, comme un aérolithe portant gravé
notre nom, que nous croyions inconnu dans Vénus ou Cassiopée, une
invitation à dîner ou un méchant potin.
Peut-être parfois, quand, à l'imitation des princes persans qui, au dire
du _Livre d'Esther_, se faisaient lire les registres où étaient inscrits
les noms de ceux de leurs sujets qui leur avaient témoigné du zèle, Mme
de Guermantes consultait la liste des gens bien intentionnés, elle
s'était dit de moi: «Un à qui nous demanderons de venir dîner. » Mais
d'autres pensées l'avaient distraite
_(De soins tumultueux un prince environné
Vers de nouveaux objets est sans cesse entraîné)_
jusqu'au moment où elle m'avait aperçu seul comme Mardochée à la porte
du palais; et ma vue ayant rafraîchi sa mémoire elle voulait, tel
Assuérus, me combler de ses dons.
Cependant je dois dire qu'une surprise d'un genre opposé allait suivre
celle que j'avais eue au moment où Mme de Guermantes m'avait invité.
Cette première surprise, comme j'avais trouvé plus modeste de ma part et
plus reconnaissant de ne pas la dissimuler et d'exprimer au contraire
avec exagération ce qu'elle avait de joyeux, Mme de Guermantes, qui se
disposait à partir pour une dernière soirée, venait de me dire, presque
comme une justification, et par peur que je ne susse pas bien qui elle
était, pour avoir l'air si étonné d'être invité chez elle: «Vous savez
que je suis la tante de Robert de Saint-Loup qui vous aime beaucoup, et
du reste nous nous sommes déjà vus ici. » En répondant que je le savais,
j'ajoutai que je connaissais aussi M. de Charlus, lequel «avait été très
bon pour moi à Balbec et à Paris». Mme de Guermantes parut étonnée et
ses regards semblèrent se reporter, comme pour une vérification, à une
page déjà plus ancienne du livre intérieur. «Comment! vous connaissez
Palamède? » Ce prénom prenait dans la bouche de Mme de Guermantes une
grande douceur à cause de la simplicité involontaire avec laquelle elle
parlait d'un homme si brillant, mais qui n'était pour elle que son
beau-frère et le cousin avec lequel elle avait été élevée. Et dans le
gris confus qu'était pour moi la vie de la duchesse de Guermantes, ce
nom de Palamède mettait comme la clarté des longues journées d'été où
elle avait joué avec lui, jeune fille, à Guermantes, au jardin. De plus,
dans cette partie depuis longtemps écoulée de leur vie, Oriane de
Guermantes et son cousin Palamède avaient été fort différents de ce
qu'ils étaient devenus depuis; M. de Charlus notamment, tout entier
livré à des goûts d'art qu'il avait si bien refrénés par la suite que je
fus stupéfait d'apprendre que c'était par lui qu'avait été peint
l'immense éventail d'iris jaunes et noirs que déployait en ce moment la
duchesse. Elle eût pu aussi me montrer une petite sonatine qu'il avait
autrefois composée pour elle. J'ignorais absolument que le baron eût
tous ces talents dont il ne parlait jamais. Disons en passant que M. de
Charlus n'était pas enchanté que dans sa famille on l'appelât Palamède.
Pour Mémé, on eût pu comprendre encore que cela ne lui plût pas. Ces
stupides abréviations sont un signe de l'incompréhension que
l'aristocratie a de sa propre poésie (le judaïsme a d'ailleurs la même
puisqu'un neveu de Lady Rufus Israël, qui s'appelait Moïse, était
couramment appelé dans le monde: «Momo») en même temps que de sa
préoccupation de ne pas avoir l'air d'attacher d'importance à ce qui est
aristocratique. Or, M. de Charlus avait sur ce point plus d'imagination
poétique et plus d'orgueil exhibé. Mais la raison qui lui faisait peu
goûter Mémé n'était pas celle-là puisqu'elle s'étendait aussi au beau
prénom de Palamède. La vérité est que se jugeant, se sachant d'une
famille princière, il aurait voulu que son frère et sa belle-soeur
disent de lui: «Charlus», comme la reine Marie-Amélie ou le duc
d'Orléans pouvaient dire de leurs fils, petits-fils, neveux et frères:
«Joinville, Nemours, Chartres, Paris».
--Quel cachottier que ce Mémé, s'écria-t-elle. Nous lui avons parlé
longuement de vous, il nous a dit qu'il serait très heureux de faire
votre connaissance, absolument comme s'il ne vous avait jamais vu.
Avouez qu'il est drôle! et, ce qui n'est pas très gentil de ma part à
dire d'un beau-frère que j'adore et dont j'admire la rare valeur, par
moments un peu fou.
Je fus très frappé de ce mot appliqué à M. de Charlus et je me dis que
cette demi-folie expliquait peut-être certaines choses, par exemple
qu'il eût paru si enchanté du projet de demander à Bloch de battre sa
propre mère. Je m'avisai que non seulement par les choses qu'il disait,
mais par la manière dont il les disait, M. de Charlus était un peu fou.
La première fois qu'on entend un avocat ou un acteur, on est surpris de
leur ton tellement différent de la conversation. Mais comme on se rend
compte que tout le monde trouve cela tout naturel, on ne dit rien aux
autres, on ne se dit rien à soi-même, on se contente d'apprécier le
degré de talent. Tout au plus pense-t-on d'un acteur du
Théâtre-Français: «Pourquoi au lieu de laisser retomber son bras levé
l'a-t-il fait descendre par petites saccades coupées de repos, pendant
au moins dix minutes? » ou d'un Labori: «Pourquoi, dès qu'il a ouvert la
bouche, a-t-il émis ces sons tragiques, inattendus, pour dire la chose
la plus simple? » Mais comme tout le monde admet cela _a priori_, on
n'est pas choqué. De même, en y réfléchissant, on se disait que M. de
Charlus parlait de soi avec emphase, sur un ton qui n'était nullement
celui du débit ordinaire. Il semblait qu'on eût dû à toute minute lui
dire: «Mais pourquoi criez-vous si fort? pourquoi êtes-vous si
insolent? » Seulement tout le monde semblait bien avoir admis tacitement
que c'était bien ainsi. Et on entrait dans la ronde qui lui faisait fête
pendant qu'il pérorait. Mais certainement à de certains moments un
étranger eût cru entendre crier un dément.
--Mais vous êtes sûr que vous ne confondez pas, que vous parlez bien de
mon beau-frère Palamède? ajouta la duchesse avec une légère impertinence
qui se greffait chez elle sur la simplicité.
Je répondis que j'étais absolument sûr et qu'il fallait que M. de
Charlus eût mal entendu mon nom.
--Eh bien! je vous quitte, me dit comme à regret Mme de Guermantes. Il
faut que j'aille une seconde chez la princesse de Ligne. Vous n'y allez
pas? Non, vous n'aimez pas le monde? Vous avez bien raison, c'est
assommant. Si je n'étais pas obligée! Mais c'est ma cousine, ce ne
serait pas gentil. Je regrette égoïstement, pour moi, parce que
j'aurais pu vous conduire, même vous ramener. Alors je vous dis au
revoir et je me réjouis pour mercredi.
Que M. de Charlus eût rougi de moi devant M. d'Argencourt, passe encore.
Mais qu'à sa propre belle-soeur, et qui avait une si haute idée de lui,
il niât me connaître, fait si naturel puisque je connaissais à la fois
sa tante et son neveu, c'est ce que je ne pouvais comprendre.
Je terminerai ceci en disant qu'à un certain point de vue il y avait
chez Mme de Guermantes une véritable grandeur qui consistait à effacer
entièrement tout ce que d'autres n'eussent qu'incomplètement oublié.
Elle ne m'eût jamais rencontré la harcelant, la suivant, la pistant,
dans ses promenades matinales, elle n'eût jamais répondu à mon salut
quotidien avec une impatience excédée, elle n'eût jamais envoyé promener
Saint-Loup quand il l'avait suppliée de m'inviter, qu'elle n'aurait pas
pu avoir avec moi des façons plus noblement et naturellement aimables.
Non seulement elle ne s'attardait pas à des explications
rétrospectives, à des demi-mots, à des sourires ambigus, à des
sous-entendus, non seulement elle avait dans son affabilité actuelle,
sans retours en arrière, sans réticences, quelque chose d'aussi
fièrement rectiligne que sa majestueuse stature, mais les griefs qu'elle
avait pu ressentir contre quelqu'un dans le passé étaient si entièrement
réduits en cendres, ces cendres étaient elles-mêmes rejetées si loin de
sa mémoire ou tout au moins de sa manière d'être, qu'à regarder son
visage chaque fois qu'elle avait à traiter par la plus belle des
simplifications ce qui chez tant d'autres eût été prétexte à des restes
de froideur, à des récriminations, on avait l'impression d'une sorte de
purification.
Mais si j'étais surpris de la modification qui s'était opérée en elle à
mon égard, combien je l'étais plus d'en trouver en moi une tellement
plus grande au sien. N'y avait-il pas eu un moment où je ne reprenais
vie et force que si j'avais, échafaudant toujours de nouveaux projets,
cherché quelqu'un qui me ferait recevoir par elle et, après ce premier
bonheur, en procurerait bien d'autres à mon coeur de plus en plus
exigeant? C'était l'impossibilité de rien trouver qui m'avait fait
partir à Doncières voir Robert de Saint-Loup. Et maintenant, c'était
bien par les conséquences dérivant d'une lettre de lui que j'étais
agité, mais à cause de Mme de Stermaria et non de Mme de Guermantes.
Ajoutons, pour en finir avec cette soirée, qu'il s'y passa un fait,
démenti quelques jours après, qui ne laissa pas de m'étonner, me
brouilla pour quelque temps avec Bloch, et qui constitue en soi une de
ces curieuses contradictions dont on va trouver l'explication à la fin
de ce volume[1] (Sodome I). Donc, chez Mme de Villeparisis, Bloch ne
cessa de me vanter l'air d'amabilité de M. de Charlus, lequel Charlus,
quand il le rencontrait dans la rue, le regardait dans les yeux comme
s'il le connaissait, avait envie de le connaître, savait très bien qui
il était. J'en souris d'abord, Bloch s'étant exprimé avec tant de
violence à Balbec sur le compte du même M. de Charlus. Et je pensai
simplement que Bloch, à l'instar de son père pour Bergotte, connaissait
le baron «sans le connaître». Et que ce qu'il prenait pour un regard
aimable était un regard distrait. Mais enfin Bloch vint à tant de
précisions, et sembla si certain qu'à deux ou trois reprises M. de
Charlus avait voulu l'aborder, que, me rappelant que j'avais parlé de
mon camarade au baron, lequel m'avait justement, en revenant d'une
visite chez Mme de Villeparisis, posé sur lui diverses questions, je fis
la supposition que Bloch ne mentait pas, que M. de Charlus avait appris
son nom, qu'il était mon ami, etc. . . . Aussi quelque temps après, au
théâtre, je demandai à M. de Charlus de lui présenter Bloch, et sur son
acquiescement allai le chercher. Mais dès que M. de Charlus l'aperçut,
un étonnement aussitôt réprimé se peignit sur sa figure où il fut
remplacé par une étincelante fureur. Non seulement il ne tendit pas la
main à Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui
répondit de l'air le plus insolent, d'une voix irritée et blessante. De
sorte que Bloch, qui, à ce qu'il disait, n'avait eu jusque-là du baron
que des sourires, crut que je l'avais non pas recommandé mais desservi,
pendant le court entretien où, sachant le goût de M. de Charlus pour les
protocoles, je lui avais parlé de mon camarade avant de l'amener à lui.
Bloch nous quitta, éreinté comme qui a voulu monter un cheval tout le
temps prêt à prendre le mors aux dents, ou nager contre des vagues qui
vous rejettent sans cesse sur le galet, et ne me reparla pas de six
mois.
[Footnote 1: Dans l'édition originale «Sodome et Gomorrhe I» se
trouvait compris dans le même volume que cette 2e partie du Côté de
Guermantes, ce qui explique la phrase et la parenthèse. Mais, dans cette
édition in-octavo, le titre de Sodome est reporté au volume suivant. ]
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