Echouages hideux au fond des golfes bruns
Ou les serpents geants devores des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!
Ou les serpents geants devores des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!
Rimbaud - Poesie Completes
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--Le reve maternel, c'est le tiede tapis,
C'est le nid cotonneux ou les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.
--Et la,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur
Ou les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glace la bise amere. . .
III
Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mere,
Plus de mere au logis! --et le pere est bien loin! . . .
--Une vieille servante, alors, en a pris soin:
Les petits sont tout seuls en la maison glacee;
Orphelins de quatre ans, voila qu'en leur pensee
S'eveille, par degres, un souvenir riant. . .
C'est comme un chapelet qu'on egrene en priant:
--Ah! quel beau matin, que ce matin des etrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait reve des siennes
Dans quelque songe etrange ou l'on voyait joujoux,
Bonbons habilles d'or, etincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaitre encore!
On s'eveillait matin, on se levait joyeux,
La levre affriandee, en se frottant les yeux. . .
On allait, les cheveux emmeles sur la tete,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fete
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher. . .
On entrait! . . . Puis alors les souhaits. . . en chemise,
Les baisers repetes, et la gaite permise?
IV
Ah! c'etait si charmant, ces mots dits tant de fois!
--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer. . .
--L'armoire etait sans clefs! . . . sans clefs, la grande armoire
On regardait souvent sa porte brune et noire. . .
Sans clefs! . . . c'etait etrange! . . . On revait bien des fois
Aux mysteres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouir, au fond de la serrure
Beante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure
--La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
--Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus
Silencieusement tombe une larme amere,
ils murmurent: <<Quand donc reviendra notre mere? >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, a les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfles et leur souffle penible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
--Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un reve joyeux,
Un reve si joyeux, que leur levre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose. . .
Ils revent que, penches sur leur petit bras rond,
Doux geste du reveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux repose. . .
Ils se croient endormis dans un paradis rose. . .
Au foyer plein d'eclairs chante gaiment le feu. . .
Par la fenetre on voit la-bas un beau ciel bleu;
La nature s'eveille et de rayons s'enivre. . .
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil. . .
Et dans le vieux logis tout est tiede et vermeil:
Des sombres vetements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire.
On dirait qu'une fee a passe dans cela! . . .
--Les enfants, tout joyeux, ont jete deux cris. . . La,
Pres du lit maternel, sous un beau rayon rose,
La, sur le grand tapis, resplendit quelque chose. . .
Ce sont des medaillons argentes, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants:
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots graves en or: <<A NOTRE MERE! >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 janvier 1870
VOYELLES
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes,
A, noir corset velu des mouches eclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,
Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles
I, pourpres, sang crache, rire des levres belles
Dans la colere ou les ivresses penitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des patis semes d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, supreme Clairon plein de strideurs etranges,
Silences traverses des Mondes et des Anges:
--O l'Omega, rayon violet de Ses Yeux!
ORAISON DU SOIR
Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope a fortes cannelures,
L'hypogastre et le col cambres, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonfle d'impalpables voilures.
Tels que les excrements chauds d'un vieux colombier
Mille reves en moi font de douces brulures;
Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures.
Puis quand j'ai ravale mes reves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille pour lacher l'acre besoin.
Doux comme le Seigneur du cedre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns tres haut et tres loin,
Avec l'assentiment des grands heliotropes.
LES ASSIS
Noirs de loupes, greles, les yeux cercles de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispes a leurs femurs,
Le sinciput plaque de hargnosites vagues
Comme les floraisons lepreuses des vieux murs,
Ils ont greffe dans des amours epileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs.
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sieges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux,
Ou les yeux a la vitre ou se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.
Et les Sieges leur ont des bontes; culottee
De brun, la paille cede aux angles de leurs reins.
L'ame des vieux soleils s'allume, emmaillotee
Dans ces tresses d'epis ou fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siege aux rumeurs de tambour
S'ecoutent clapoter des barcarolles tristes
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage.
Ils surgissent, grondant comme des chats giffles,
Ouvrant lentement leurs omoplates, o rage!
Tout leur pantalon bouffe a leurs reins boursoufles.
Et vous les ecoutez cognant leurs tetes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors.
Puis ils ont une main invisible qui tue;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Assis, les poings crispes dans des manchettes sales,
Ils songent a ceux-la qui les ont fait lever,
Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chetifs s'agitent a crever.
Quand l'austere sommeil a baisse leurs visieres
Ils revent sur leurs bras de sieges fecondes,
De vrais petits amours de chaises en lisieres
Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordes.
Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis,
Tels qu'au fil des glaieuls le vol des libellules,
--Et leur membre s'agace a des barbes d'epis!
LES EFFARES
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits,--misere! --
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond. . .
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Peninsules demarrees,
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempete a beni mes eveils maritimes.
Plus leger qu'un bouchon j'ai danse sur les flots
Qu'on appelle rouleurs eternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte penetra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et des lors je me suis baigne dans le poeme
De la mer, infuse d'astres et latescent,
Devorant les azurs verts ou, flottaison bleme
Et ravie, un noye pensif parfois descend,
Ou, teignant tout a coup les bleuites, delires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs ameres de l'amour.
Je sais les cieux crevant en eclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltee ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas tache d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils a des acteurs de drames tres antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;
J'ai reve la nuit verte aux neiges eblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des seves inouies
Et l'eveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hysteriques, la houle a l'assaut des recifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Oceans poussifs;
J'ai heurte, savez-vous? d'incroyables Florides,
Melant aux fleurs des yeux de pantheres, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, a de glauques troupeaux;
J'ai vu fermenter les marais enormes, nasses
Ou pourrit dans les joncs tout un Leviathan,
Des ecroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Ou les serpents geants devores des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants,
Des ecumes de fleurs ont beni mes derades
Et d'ineffables vents m'ont aile par instants.
Parfois, martyr lasse des poles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais ainsi qu'une femme a genoux,
Presqu'ile ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,
Et je voguais lorsqu'a travers mes liens freles
Des noyes descendaient dormir a reculons.
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jete par l'ouragan dans l'ether sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repeche la carcasse ivre d'eau,
Libre, fumant, monte de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poetes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur,
Qui courais tache de lunules electriques,
Plante folle, escorte des hippocampes noirs,
Quand les Juillets faisaient crouler a coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,
Moi qui tremblais, sentant geindre a cinquante lieues
Le rut des Behemots et des Maelstroms epais,
Fileur eternel des immobilites bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets.
J'ai vu des archipels sideraux! Et des iles
Dont les cieux delirants sont ouverts au vogueur:
--Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, o future Vigueur?
Mais, vrai, j'ai trop pleure! Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L'acre amour m'a gonfle de torpeurs enivrantes.
Oh! que ma quille eclate! Oh! que j'aille a la mer!
Si je desire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide ou, vers le crepuscule embaume,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lache
Un bateau frele comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigne de vos langueurs, o lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons!
LES PREMIERES COMMUNIONS
I
Vraiment, c'est bete, ces eglises de villages
Ou quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Ecoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers.
Mais le soleil eveille, a travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleilles,
La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui fremit, solennelle,
Portant, pres des bles lourds, dans les sentiers sereux,
Ces arbrisseaux brules ou bleuit la prunelle,
Des noeuds de muriers noirs ou de rosiers furieux.
Tous les cent ans, on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caille.
Si des mysticites grotesques sont notables
Pres de la Notre-Dame ou du saint empaille,
Des mouches sentant bon l'auberge et les etables
Se gorgent de cire au plancher ensoleille.
L'enfant se doit surtout a la maison, famille
Des soins naifs, des bons travaux abrutissants,
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Ou le Pretre du Christ a mis ses doigts puissants.
On paie au Pretre un toit ombre d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napoleon ou le Petit Tambour,
Quelque enluminure ou les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront aux jours de science deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.
Les filles vont toujours a l'eglise, contentes
De s'entendre appeler garces par les garcons
Qui font du genre, apres messe et vepres chantantes,
Eux, qui sont destines au chic des garnisons,
Ils narguent au cafe les maisons importantes,
Blouses neuf et gueulant d'effroyables chansons.
Cependant le cure choisit, pour les enfances,
Des dessins; dans son clos, les vepres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en depit des celestes defenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant. . .
--La nuit vient, noir pirate au ciel noir debarquant.
II
Le pretre a distingue, parmi les catechistes
Congreges des faubourgs ou des riches quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers.
Au grand jour, la marquant parmi les catechistes,
Dieu fera, sur son front, neiger ses benitiers.
La veille du grand jour, l'enfant se fait malade
Mieux qu'a l'eglise haute aux funebres rumeurs.
D'abord le frisson vient, le lit n'etant pas fade,
Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs. . .
Et, comme un vol d'amour fait a ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur,
Ses Anges, ses Jesus et ses Vierges nitides,
Et, calmement, son ame a bu tout son vainqueur.
Adonai! . . . Dans les terminaisons latines
Des cieux moires de vert baignent les Fronts vermeils
Et taches du sang pur des celestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils.
Pour ses virginites presentes et futures
Elle mord aux fraicheurs de ta Remission;
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures
Tes pardons sont glaces, o Reine de Sion.
III
Puis la Vierge n'est plus que la Vierge du livre;
Les mystiques elans se cassent quelquefois,
Et vient la pauvrete des images que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois.
Des curiosites vaguement impudiques
Epouvantent le reve aux chastes bleuites
Qui sont surpris autour des celestes tuniques
Du linge dont Jesus voile ses nudites.
Elle veut, elle veut pourtant, l'ame en detresse,
Le front dans l'oreiller creuse par les cris sourds,
Prolonger les eclairs supremes de tendresse
Et bave. . . --L'ombre emplit les maisons et les cours,
Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite et cambre
Les reins, et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraicheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu.
IV
A son reveil,--minuit,--la fenetre etait blanche
Devant le soleil bleu des rideaux illunes;
La vision la prit des langueurs du Dimanche,
Elle avait reve rouge. Elle saigna du nez,
Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse,
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit ou s'exalte et s'abaisse
Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant;
De la nuit, Vierge-Mere impalpable qui baigne
Tous les jeunes emois de ses silences gris;
Elle eut soif de la nuit forte ou le coeur qui saigne
Ecoute sans temoin sa revolte sans cris.
Et, faisant la victime et la petite epouse,
Son etoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour ou sechait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.
V
Elle passa sa nuit Sainte dans les latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l'air blanc
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines
En deca d'une cour voisine s'ecroulant.
La lucarne faisait un coeur de lueur vive
Dans la cour ou les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres; les paves puant l'eau de lessive
Souffraient l'ombre des toits bordes de noirs sommeils.
VI
Qui dira ces langueurs et ces pities immondes
Et ce qui lui viendra de haine, o sales fous,
Dont le travail divin deforme encor les mondes
Quand la lepre, a la fin, rongera ce corps doux,
Et quand, ayant rentre tous ces noeuds d'hysteries
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rever au blanc million de Maries
Au matin de la nuit d'amour, avec douleur!
VII
Sais-tu que je t'ai fait mourir? J'ai pris ta bouche,
Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez,
Et moi je suis malade. Oh! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuves!
J'etais bien jeune, et Christ a souille mes haleines,
Il me bonda jusqu'a la gorge de degouts;
Tu baisais mes cheveux profonds comme des laines,
Et je me laissais faire! . . . Oh! va. . . c'est bon pour vous,
Hommes! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs
La plus prostituee et la plus douloureuse
Et que tous nos elans vers vous sont des erreurs.
Car ma communion premiere est bien passee!
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus.
Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassee
Fourmillent du baiser putride de Jesus. . .
VIII
Alors l'ame pourrie et l'ame desolee
Sentiront ruisseler tes maledictions.
--Ils avaient couche sur ta haine inviolee
Echappes, pour la mort, des justes passions.
Christ, o Christ, eternel voleur des energies,
Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, a ta paleur,
Cloues au sol, de honte et de cephalalgies,
Ou renverses, les fronts des Femmes de douleur.
Juillet 1871.
L'ORGIE PARISIENNE
OU
PARIS SE REPEUPLE
O laches, la voila! degorgez dans les gares!
Le soleil expia de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblerent les Barbares
Voila la Cite belle assise a l'occident!
Allez! on previendra les reflux d'incendie,
Voila les quais! voila les boulevards! voila,
Sur les maisons, l'azur leger qui s'irradie,
Et qu'un soir la rougeur des bombes etoila.
Cachez les palais morts dans des niches de planches
L'ancien jour effare rafraichit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches,
Soyez fous, vous serez droles, etant hagards!
Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous reclame. Volez!
Mangez! voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue, o buveurs desoles,
Buvez. Quand La lumiere arrive intense et folle
Fouillant a vos cotes les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs,
Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes!
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Dechirants. Ecoutez, sauter aux nuits ardentes
Les idiots raleux, vieillards, pantins, laquais!
O coeurs de salete, bouches epouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs!
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables. . .
Vos ventres sont fondus de hontes, o Vainqueurs!
Ouvrez votre narine aux superbes nausees!
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous!
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisees
Le Poete vous dit: o laches, soyez fous!
Parce que vous fouillez le ventre de la Femme
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichee infame
Sur sa poitrine, en une horrible pression.
Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que ca peut faire a la pudeur Paris,
Vos ames et vos corps, vos poisons et vos loques?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris!
Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles
Les flancs morts, reclamant votre argent, eperdus,
La rouge courtisane aux seins gros des batailles,
Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus!
Quand tes pieds ont danse si fort dans les coleres,
Paris! quand tu recus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires,
Un peu de la bonte du fauve renouveau,
O cite douloureuse, o cite quasi morte,
La tete et les deux seins jetes vers l'Avenir
Ouvrant sur ta paleur ses milliards de portes,
Cite que le Passe sombre pourrait benir:
Corps remagnetise pour les enormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour roder les doigts glacants!
Et ce n'est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides
Ne generont pas plus ton souffle de Progres
Que les Stryx n'eteignaient l'oeil des Cariatides
Ou des pleurs d'or astral tombaient des bleus degres.
Quoique ce soit affreux de te revoir couverte
Ainsi; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cite
Ulcere plus puant a la Nature verte,
Le Poete te dit <<Splendide est ta Beaute! >>
L'orage t'a sacree supreme poesie;
L'immense remuement des forces te secourt;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cite choisie!
Amasse les strideurs au coeur du clairon lourd.
Le Poete prendra le sanglot des Infames,
La haine des Forcats, la clameur des maudits;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront, voila! voila! bandits!
--Societe, tout est retabli:--les orgies
Pleurent leur ancien rale aux anciens lupanars:
Et les gaz en delire aux murailles rougies
Flambent sinistrement vers les azurs blafards!
Mai 1871.
ACCROUPISSEMENTS
Bien tard, quand il se sent l'estomac ecoeure,
Le frere Milotus un oeil a la lucarne
D'ou le soleil, clair comme un chaudron recure,
Lui darde une migraine et fait son regard darne,
Deplace dans les draps son ventre de cure.
Il se demene sous sa couverture grise
Et descend ses genoux a son ventre tremblant,
Effare comme un vieux qui mangerait sa prise,
Car il lui faut, le poing a l'anse d'un pot blanc,
A ses reins largement retrousser sa chemise!
Or, il s'est accroupi frileux, les doigts de pied
Replies grelottant au clair soleil qui plaque
Des jaunes de brioches aux vitres de papiers,
Et le nez du bonhomme ou s'allume la laque
Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe
Au ventre: il sent glisser ses cuisses dans le feu
Et ses chausses roussir et s'eteindre sa pipe;
Quelque chose comme un oiseau remue un peu
A son ventre serein comme un morceau de tripe!
Autour, dort un fouillis de meubles abrutis
Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres,
Des escabeaux, crapauds etranges, sont blottis
Aux coins noirs: des buffets ont des gueules de chantres
Qu'entr'ouvre un sommeil plein d'horribles appetits.
L'ecoeurante chaleur gorge la chambre etroite,
Le cerveau du bonhomme est bourre de chiffons,
Il ecoute les poils pousser dans sa peau moite
Et parfois en hoquets fort gravement bouffons
S'echappe, secouant son escabeau qui boite. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et le soir aux rayons de lune qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumiere,
Une ombre avec details s'accroupit sur un fond
De neige rose ainsi qu'une rose tremiere. . .
Fantasque, un nez poursuit Venus au ciel profond.
LES PAUVRES A L'EGLISE
Parques entre des bancs de chene, aux coins d'eglise
Qu'attiedit puamment leur souffle, tous leurs yeux
Vers le coeur ruisselant d'orrie et la maitrise
Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux;
Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire,
Heureux, humilies comme des chiens battus,
Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire,
Tendent leurs oremus risibles et tetus.
Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses;
Apres les six jours noirs ou Dieu les fait souffrir!
Elles bercent, tordus dans d'etranges pelisses,
Des especes d'enfants qui pleurent a mourir;
Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Une priere aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux deformes.
Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote:
C'est bon. Encore une heure; apres, les maux sans nom
--Cependant, alentour, geint, nazille, chuchote
Une collection de vieilles a fanons;
Ces effares y sont et ces epileptiques
Dont on se detournait hier aux carrefours;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques
Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours.
Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Recitent la complainte infinie a Jesus
Qui reve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des mechants pansus,
Loin des senteurs de viande et d'etoffes moisies,
Farce prostree et sombre aux gestes repoussants;
--Et l'oraison fleurit d'expressions choisies,
Et les mysticites prennent des tons pressants,
Quand, des nefs ou perit le soleil, plis de soie
Banals, sourires verts, les Dames des quartiers
Distingues,--o Jesus! --les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux benitiers.
1871
CE QUI RETIENT NINA
LUI
Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu qui vous baigne
Du vin de jour? . . .
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Fremir des chairs;
Tu plongerais dans la luzerne
Ton long peignoir,
Divine avec ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou!
Riant a moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela,--la belle tresse,
Oh! --qui boirais
Ton gout de framboise et de fraise,
O chair de fleur!
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur!
Au rose eglantier qui t'embete
Aimablement. . .
Riant surtout, o folle tete,
A ton amant! .
--Le reve maternel, c'est le tiede tapis,
C'est le nid cotonneux ou les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.
--Et la,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur
Ou les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glace la bise amere. . .
III
Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mere,
Plus de mere au logis! --et le pere est bien loin! . . .
--Une vieille servante, alors, en a pris soin:
Les petits sont tout seuls en la maison glacee;
Orphelins de quatre ans, voila qu'en leur pensee
S'eveille, par degres, un souvenir riant. . .
C'est comme un chapelet qu'on egrene en priant:
--Ah! quel beau matin, que ce matin des etrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait reve des siennes
Dans quelque songe etrange ou l'on voyait joujoux,
Bonbons habilles d'or, etincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaitre encore!
On s'eveillait matin, on se levait joyeux,
La levre affriandee, en se frottant les yeux. . .
On allait, les cheveux emmeles sur la tete,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fete
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher. . .
On entrait! . . . Puis alors les souhaits. . . en chemise,
Les baisers repetes, et la gaite permise?
IV
Ah! c'etait si charmant, ces mots dits tant de fois!
--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer. . .
--L'armoire etait sans clefs! . . . sans clefs, la grande armoire
On regardait souvent sa porte brune et noire. . .
Sans clefs! . . . c'etait etrange! . . . On revait bien des fois
Aux mysteres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouir, au fond de la serrure
Beante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure
--La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
--Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus
Silencieusement tombe une larme amere,
ils murmurent: <<Quand donc reviendra notre mere? >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, a les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfles et leur souffle penible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
--Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un reve joyeux,
Un reve si joyeux, que leur levre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose. . .
Ils revent que, penches sur leur petit bras rond,
Doux geste du reveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux repose. . .
Ils se croient endormis dans un paradis rose. . .
Au foyer plein d'eclairs chante gaiment le feu. . .
Par la fenetre on voit la-bas un beau ciel bleu;
La nature s'eveille et de rayons s'enivre. . .
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil. . .
Et dans le vieux logis tout est tiede et vermeil:
Des sombres vetements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire.
On dirait qu'une fee a passe dans cela! . . .
--Les enfants, tout joyeux, ont jete deux cris. . . La,
Pres du lit maternel, sous un beau rayon rose,
La, sur le grand tapis, resplendit quelque chose. . .
Ce sont des medaillons argentes, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants:
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots graves en or: <<A NOTRE MERE! >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 janvier 1870
VOYELLES
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes,
A, noir corset velu des mouches eclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,
Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles
I, pourpres, sang crache, rire des levres belles
Dans la colere ou les ivresses penitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des patis semes d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, supreme Clairon plein de strideurs etranges,
Silences traverses des Mondes et des Anges:
--O l'Omega, rayon violet de Ses Yeux!
ORAISON DU SOIR
Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope a fortes cannelures,
L'hypogastre et le col cambres, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonfle d'impalpables voilures.
Tels que les excrements chauds d'un vieux colombier
Mille reves en moi font de douces brulures;
Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures.
Puis quand j'ai ravale mes reves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille pour lacher l'acre besoin.
Doux comme le Seigneur du cedre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns tres haut et tres loin,
Avec l'assentiment des grands heliotropes.
LES ASSIS
Noirs de loupes, greles, les yeux cercles de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispes a leurs femurs,
Le sinciput plaque de hargnosites vagues
Comme les floraisons lepreuses des vieux murs,
Ils ont greffe dans des amours epileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs.
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sieges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux,
Ou les yeux a la vitre ou se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.
Et les Sieges leur ont des bontes; culottee
De brun, la paille cede aux angles de leurs reins.
L'ame des vieux soleils s'allume, emmaillotee
Dans ces tresses d'epis ou fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siege aux rumeurs de tambour
S'ecoutent clapoter des barcarolles tristes
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage.
Ils surgissent, grondant comme des chats giffles,
Ouvrant lentement leurs omoplates, o rage!
Tout leur pantalon bouffe a leurs reins boursoufles.
Et vous les ecoutez cognant leurs tetes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors.
Puis ils ont une main invisible qui tue;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Assis, les poings crispes dans des manchettes sales,
Ils songent a ceux-la qui les ont fait lever,
Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chetifs s'agitent a crever.
Quand l'austere sommeil a baisse leurs visieres
Ils revent sur leurs bras de sieges fecondes,
De vrais petits amours de chaises en lisieres
Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordes.
Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis,
Tels qu'au fil des glaieuls le vol des libellules,
--Et leur membre s'agace a des barbes d'epis!
LES EFFARES
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits,--misere! --
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond. . .
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Peninsules demarrees,
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempete a beni mes eveils maritimes.
Plus leger qu'un bouchon j'ai danse sur les flots
Qu'on appelle rouleurs eternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte penetra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et des lors je me suis baigne dans le poeme
De la mer, infuse d'astres et latescent,
Devorant les azurs verts ou, flottaison bleme
Et ravie, un noye pensif parfois descend,
Ou, teignant tout a coup les bleuites, delires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs ameres de l'amour.
Je sais les cieux crevant en eclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltee ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas tache d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils a des acteurs de drames tres antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;
J'ai reve la nuit verte aux neiges eblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des seves inouies
Et l'eveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hysteriques, la houle a l'assaut des recifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Oceans poussifs;
J'ai heurte, savez-vous? d'incroyables Florides,
Melant aux fleurs des yeux de pantheres, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, a de glauques troupeaux;
J'ai vu fermenter les marais enormes, nasses
Ou pourrit dans les joncs tout un Leviathan,
Des ecroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Ou les serpents geants devores des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants,
Des ecumes de fleurs ont beni mes derades
Et d'ineffables vents m'ont aile par instants.
Parfois, martyr lasse des poles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais ainsi qu'une femme a genoux,
Presqu'ile ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,
Et je voguais lorsqu'a travers mes liens freles
Des noyes descendaient dormir a reculons.
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jete par l'ouragan dans l'ether sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repeche la carcasse ivre d'eau,
Libre, fumant, monte de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poetes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur,
Qui courais tache de lunules electriques,
Plante folle, escorte des hippocampes noirs,
Quand les Juillets faisaient crouler a coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,
Moi qui tremblais, sentant geindre a cinquante lieues
Le rut des Behemots et des Maelstroms epais,
Fileur eternel des immobilites bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets.
J'ai vu des archipels sideraux! Et des iles
Dont les cieux delirants sont ouverts au vogueur:
--Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, o future Vigueur?
Mais, vrai, j'ai trop pleure! Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L'acre amour m'a gonfle de torpeurs enivrantes.
Oh! que ma quille eclate! Oh! que j'aille a la mer!
Si je desire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide ou, vers le crepuscule embaume,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lache
Un bateau frele comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigne de vos langueurs, o lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons!
LES PREMIERES COMMUNIONS
I
Vraiment, c'est bete, ces eglises de villages
Ou quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Ecoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers.
Mais le soleil eveille, a travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleilles,
La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui fremit, solennelle,
Portant, pres des bles lourds, dans les sentiers sereux,
Ces arbrisseaux brules ou bleuit la prunelle,
Des noeuds de muriers noirs ou de rosiers furieux.
Tous les cent ans, on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caille.
Si des mysticites grotesques sont notables
Pres de la Notre-Dame ou du saint empaille,
Des mouches sentant bon l'auberge et les etables
Se gorgent de cire au plancher ensoleille.
L'enfant se doit surtout a la maison, famille
Des soins naifs, des bons travaux abrutissants,
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Ou le Pretre du Christ a mis ses doigts puissants.
On paie au Pretre un toit ombre d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napoleon ou le Petit Tambour,
Quelque enluminure ou les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront aux jours de science deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.
Les filles vont toujours a l'eglise, contentes
De s'entendre appeler garces par les garcons
Qui font du genre, apres messe et vepres chantantes,
Eux, qui sont destines au chic des garnisons,
Ils narguent au cafe les maisons importantes,
Blouses neuf et gueulant d'effroyables chansons.
Cependant le cure choisit, pour les enfances,
Des dessins; dans son clos, les vepres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en depit des celestes defenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant. . .
--La nuit vient, noir pirate au ciel noir debarquant.
II
Le pretre a distingue, parmi les catechistes
Congreges des faubourgs ou des riches quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers.
Au grand jour, la marquant parmi les catechistes,
Dieu fera, sur son front, neiger ses benitiers.
La veille du grand jour, l'enfant se fait malade
Mieux qu'a l'eglise haute aux funebres rumeurs.
D'abord le frisson vient, le lit n'etant pas fade,
Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs. . .
Et, comme un vol d'amour fait a ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur,
Ses Anges, ses Jesus et ses Vierges nitides,
Et, calmement, son ame a bu tout son vainqueur.
Adonai! . . . Dans les terminaisons latines
Des cieux moires de vert baignent les Fronts vermeils
Et taches du sang pur des celestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils.
Pour ses virginites presentes et futures
Elle mord aux fraicheurs de ta Remission;
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures
Tes pardons sont glaces, o Reine de Sion.
III
Puis la Vierge n'est plus que la Vierge du livre;
Les mystiques elans se cassent quelquefois,
Et vient la pauvrete des images que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois.
Des curiosites vaguement impudiques
Epouvantent le reve aux chastes bleuites
Qui sont surpris autour des celestes tuniques
Du linge dont Jesus voile ses nudites.
Elle veut, elle veut pourtant, l'ame en detresse,
Le front dans l'oreiller creuse par les cris sourds,
Prolonger les eclairs supremes de tendresse
Et bave. . . --L'ombre emplit les maisons et les cours,
Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite et cambre
Les reins, et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraicheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu.
IV
A son reveil,--minuit,--la fenetre etait blanche
Devant le soleil bleu des rideaux illunes;
La vision la prit des langueurs du Dimanche,
Elle avait reve rouge. Elle saigna du nez,
Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse,
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit ou s'exalte et s'abaisse
Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant;
De la nuit, Vierge-Mere impalpable qui baigne
Tous les jeunes emois de ses silences gris;
Elle eut soif de la nuit forte ou le coeur qui saigne
Ecoute sans temoin sa revolte sans cris.
Et, faisant la victime et la petite epouse,
Son etoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour ou sechait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.
V
Elle passa sa nuit Sainte dans les latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l'air blanc
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines
En deca d'une cour voisine s'ecroulant.
La lucarne faisait un coeur de lueur vive
Dans la cour ou les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres; les paves puant l'eau de lessive
Souffraient l'ombre des toits bordes de noirs sommeils.
VI
Qui dira ces langueurs et ces pities immondes
Et ce qui lui viendra de haine, o sales fous,
Dont le travail divin deforme encor les mondes
Quand la lepre, a la fin, rongera ce corps doux,
Et quand, ayant rentre tous ces noeuds d'hysteries
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rever au blanc million de Maries
Au matin de la nuit d'amour, avec douleur!
VII
Sais-tu que je t'ai fait mourir? J'ai pris ta bouche,
Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez,
Et moi je suis malade. Oh! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuves!
J'etais bien jeune, et Christ a souille mes haleines,
Il me bonda jusqu'a la gorge de degouts;
Tu baisais mes cheveux profonds comme des laines,
Et je me laissais faire! . . . Oh! va. . . c'est bon pour vous,
Hommes! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs
La plus prostituee et la plus douloureuse
Et que tous nos elans vers vous sont des erreurs.
Car ma communion premiere est bien passee!
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus.
Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassee
Fourmillent du baiser putride de Jesus. . .
VIII
Alors l'ame pourrie et l'ame desolee
Sentiront ruisseler tes maledictions.
--Ils avaient couche sur ta haine inviolee
Echappes, pour la mort, des justes passions.
Christ, o Christ, eternel voleur des energies,
Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, a ta paleur,
Cloues au sol, de honte et de cephalalgies,
Ou renverses, les fronts des Femmes de douleur.
Juillet 1871.
L'ORGIE PARISIENNE
OU
PARIS SE REPEUPLE
O laches, la voila! degorgez dans les gares!
Le soleil expia de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblerent les Barbares
Voila la Cite belle assise a l'occident!
Allez! on previendra les reflux d'incendie,
Voila les quais! voila les boulevards! voila,
Sur les maisons, l'azur leger qui s'irradie,
Et qu'un soir la rougeur des bombes etoila.
Cachez les palais morts dans des niches de planches
L'ancien jour effare rafraichit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches,
Soyez fous, vous serez droles, etant hagards!
Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous reclame. Volez!
Mangez! voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue, o buveurs desoles,
Buvez. Quand La lumiere arrive intense et folle
Fouillant a vos cotes les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs,
Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes!
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Dechirants. Ecoutez, sauter aux nuits ardentes
Les idiots raleux, vieillards, pantins, laquais!
O coeurs de salete, bouches epouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs!
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables. . .
Vos ventres sont fondus de hontes, o Vainqueurs!
Ouvrez votre narine aux superbes nausees!
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous!
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisees
Le Poete vous dit: o laches, soyez fous!
Parce que vous fouillez le ventre de la Femme
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichee infame
Sur sa poitrine, en une horrible pression.
Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que ca peut faire a la pudeur Paris,
Vos ames et vos corps, vos poisons et vos loques?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris!
Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles
Les flancs morts, reclamant votre argent, eperdus,
La rouge courtisane aux seins gros des batailles,
Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus!
Quand tes pieds ont danse si fort dans les coleres,
Paris! quand tu recus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires,
Un peu de la bonte du fauve renouveau,
O cite douloureuse, o cite quasi morte,
La tete et les deux seins jetes vers l'Avenir
Ouvrant sur ta paleur ses milliards de portes,
Cite que le Passe sombre pourrait benir:
Corps remagnetise pour les enormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour roder les doigts glacants!
Et ce n'est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides
Ne generont pas plus ton souffle de Progres
Que les Stryx n'eteignaient l'oeil des Cariatides
Ou des pleurs d'or astral tombaient des bleus degres.
Quoique ce soit affreux de te revoir couverte
Ainsi; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cite
Ulcere plus puant a la Nature verte,
Le Poete te dit <<Splendide est ta Beaute! >>
L'orage t'a sacree supreme poesie;
L'immense remuement des forces te secourt;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cite choisie!
Amasse les strideurs au coeur du clairon lourd.
Le Poete prendra le sanglot des Infames,
La haine des Forcats, la clameur des maudits;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront, voila! voila! bandits!
--Societe, tout est retabli:--les orgies
Pleurent leur ancien rale aux anciens lupanars:
Et les gaz en delire aux murailles rougies
Flambent sinistrement vers les azurs blafards!
Mai 1871.
ACCROUPISSEMENTS
Bien tard, quand il se sent l'estomac ecoeure,
Le frere Milotus un oeil a la lucarne
D'ou le soleil, clair comme un chaudron recure,
Lui darde une migraine et fait son regard darne,
Deplace dans les draps son ventre de cure.
Il se demene sous sa couverture grise
Et descend ses genoux a son ventre tremblant,
Effare comme un vieux qui mangerait sa prise,
Car il lui faut, le poing a l'anse d'un pot blanc,
A ses reins largement retrousser sa chemise!
Or, il s'est accroupi frileux, les doigts de pied
Replies grelottant au clair soleil qui plaque
Des jaunes de brioches aux vitres de papiers,
Et le nez du bonhomme ou s'allume la laque
Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe
Au ventre: il sent glisser ses cuisses dans le feu
Et ses chausses roussir et s'eteindre sa pipe;
Quelque chose comme un oiseau remue un peu
A son ventre serein comme un morceau de tripe!
Autour, dort un fouillis de meubles abrutis
Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres,
Des escabeaux, crapauds etranges, sont blottis
Aux coins noirs: des buffets ont des gueules de chantres
Qu'entr'ouvre un sommeil plein d'horribles appetits.
L'ecoeurante chaleur gorge la chambre etroite,
Le cerveau du bonhomme est bourre de chiffons,
Il ecoute les poils pousser dans sa peau moite
Et parfois en hoquets fort gravement bouffons
S'echappe, secouant son escabeau qui boite. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et le soir aux rayons de lune qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumiere,
Une ombre avec details s'accroupit sur un fond
De neige rose ainsi qu'une rose tremiere. . .
Fantasque, un nez poursuit Venus au ciel profond.
LES PAUVRES A L'EGLISE
Parques entre des bancs de chene, aux coins d'eglise
Qu'attiedit puamment leur souffle, tous leurs yeux
Vers le coeur ruisselant d'orrie et la maitrise
Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux;
Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire,
Heureux, humilies comme des chiens battus,
Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire,
Tendent leurs oremus risibles et tetus.
Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses;
Apres les six jours noirs ou Dieu les fait souffrir!
Elles bercent, tordus dans d'etranges pelisses,
Des especes d'enfants qui pleurent a mourir;
Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Une priere aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux deformes.
Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote:
C'est bon. Encore une heure; apres, les maux sans nom
--Cependant, alentour, geint, nazille, chuchote
Une collection de vieilles a fanons;
Ces effares y sont et ces epileptiques
Dont on se detournait hier aux carrefours;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques
Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours.
Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Recitent la complainte infinie a Jesus
Qui reve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des mechants pansus,
Loin des senteurs de viande et d'etoffes moisies,
Farce prostree et sombre aux gestes repoussants;
--Et l'oraison fleurit d'expressions choisies,
Et les mysticites prennent des tons pressants,
Quand, des nefs ou perit le soleil, plis de soie
Banals, sourires verts, les Dames des quartiers
Distingues,--o Jesus! --les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux benitiers.
1871
CE QUI RETIENT NINA
LUI
Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu qui vous baigne
Du vin de jour? . . .
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Fremir des chairs;
Tu plongerais dans la luzerne
Ton long peignoir,
Divine avec ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou!
Riant a moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela,--la belle tresse,
Oh! --qui boirais
Ton gout de framboise et de fraise,
O chair de fleur!
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur!
Au rose eglantier qui t'embete
Aimablement. . .
Riant surtout, o folle tete,
A ton amant! .
