lui dit-il, comme tu
bouillonnes!
Madame de Stael - De l'Allegmagne
tu ne respectes pas
<< assez les saints sacrements. FAUST.
<< Je les respecte.
MARGUERITE.
<< Mais sans en approcher; depuis longtemps, tu ne t'es point
<< confesse? , tu n'as point e? te? a` la messe; crois-tu en Dieu?
FAUST.
<< Ma che`re amie, qui ose dire : Je crois en Dieu? --Si tu
<< fais cette question aux pre^tres et aux sages, ils re? pondront
<< comme s'ils voulaient se moquer de celui qui les interroge.
MARGUERITE.
<< Ainsi donc, tu ne crois rien. FAUST.
<< N'interpre`te pas mal ce que je dis, charmante cre? ature:
<< qui peut nommer la Divinite? et dire : Je la concois ? qui peut
<< e^tre sensible et ne pas y croire? Le soutien de cet univers
<< n'embrasse-t-il pas toi, moi, la nature entie`re? Le ciel ne
s'abaisse-t-il pas en pavillon sur nos te^tes? La terre 11'est-elle
<< pas ine? branlable sous nos pieds, et les e? toiles e? ternelles,
<< du haut de leur sphe`re, ne nous regardent-elles pas avec
amour? Tes yeux ne se re? fle? chissent-ils pas dans mes yeux
attendris? Un myste`re e? ternel, invisible et visible, n'attire-
<< t-il pas mon coeur vers le tien? Remplis tona^me de ce myste`re,
? ? et quand tu e? prouves la fe? licite? supre^me du sentiment, appelle-
<< la, cette fe? licite? , coeur, amour, Dieu, n'importe. Le senti-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 280 FAUST.
<< ment est tout, les noms ue sont qu'un vain bruit, une vaine
<< fume? e, qui obscurcit la clarte? des cieux. >>
Ce morceau, d'une e? loquence inspire? e , ne conviendrait pas
a` la disposition de . Faust, si dans ce moment il n'e? tait pas meil-
leur, parce qu'il aime, et si l'intention de l'auteur n'avait pas
e? te? , sans doute, de montrer combien une croyance ferme et posi-
tive est ne? cessaire, puisque ceux me^me que la nature a faits sen-
sibles et bons, n'en sont pas moins capables des plus funestes
e? garements , quand ce secours leur manque.
Faust se lasse de l'amour de Marguerite comme de toutes les
jouissances de la vie; rien n'est plus beau, en allemand, que les
vers dans lesquels il exprime tout a` la fois l'enthousiasme de la
science et la satie? te? du bonheur.
FAUST, seul.
<< Esprit sublime! tu m'as accorde? tout ce que je t'ai demande? .
<< Ce n'est pas en vain que tu as tourne? vers moi ton visage en-
<<toure? de flammes; tu m'as donne? la magique nature pour em-
<<pire, tu m'as donne? la force de la sentir et d'en jouir. Ce n'est
pas une froide admiration que tu m'as permise, mais une in-
<< time connaissance, et tu m'as fait pe? ne? trer dans le sein d<<
<< l'univers, comme dans celui d'un ami; tu as conduit devant
moi la troupe varie? e des vivants, et tu m'as appris a` connai^tre
<< mes fre`res dans les habitants des bois, des airs et des eaux.
Quand l'orage gronde dans la fore^t, quand il de? racine et ren-
<< verse les pins gigantesques dont la chute fait retentir la mon-
<< tagne, tu me guides dans un su^r asile, et tu me re? ve`les les
<< secre`tes merveilles de mon propre coeur. Lorsque la lune trau-
<< quille monte lentement vers les cieux, les ombres argente? es
<< des temps antiques planent a` mes yeux sur les rochers, dans
les bois, et semblent m'adoucir le se? ve`re plaisir de la me? dita-
<< tion.
<< Mais je le sens, he? las! l'homme ne peut atteindre a` rien
<< de parfait; a` co^te? de ces de? lices qui me rapprochent des dieux,
<< il faut que je supporte ce compagnon froid , indiffe? rent, hai:-
<< tain, qui m'humilie a` mes propres yeux, et d'un mot re? duit
au ne? ant tous les dons que tu m'as laits. Il allume dans mon
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? FAUST.
<< sein un feu de? sordonne? qui m'attire vers la beaute? ; je passe.
<< avec ivresse du de? sir au bonheur; mais au sein du bonheur
<< me^me, biento^t un vague ennui nie fait regretter le de? sir. >>
L'histoire de Marguerite serre douloureusement le coeur. Son
e? tat vulgaire, son esprit borne? , tout ce qui la soumet au malheur,
sans qu'elle puisse y re? sister, inspire encore plus de pitie? pour
elle. Goethe, dans ses romans et dans ses pie`ces, n'a presque
jamais donne? des qualite? s supe? rieures aux femmes; mais il peint
a` merveille le caracte`re de faiblesse qui leur rend la protection
si ne? cessaire. Marguerite veut recevoir chez elle Faust a` l'insu
de sa me`re, et donne a` cette pauvre femme, d'apre`s le conseil
de Me? phistophe? le`s, une potion assoupissante qu'elle ne peut
supporter, et qui la fait mourir. La coupable Marguerite devient
grosse, sa honte est publique, tout le quartier qu'elle habite la montre au doigt. Le de? shonneur semble avoir plus de prise sur
les personnes d'un rang e? leve? , et peut-e^tre cependant est-il en-
core plus redoutable dans la classe du peuple. Tout est si tran-
che? , si positif, si irre? parable parmi les hommes qui n'ont pour
rien des paroles nuance? es! Goethe saisit admirablement ces
moeurs, tout a` la fois si pre`s et loin de nous; il posse`de au su-
pre^me degre? l'art d'e^tre parfaitement naturel dans mille natures
diffe? rentes.
Valentin, soldat, fre`re de Marguerite, arrive de la guerre
pour la revoir; et quand il apprend sa honte, la souffrance qu'il
e? prouve, et dont il rougit, se trahit par un langage a^pre et tou-
chant tout a` la fois. L'homme dur en apparence, et sensible au
fond de l'a^me, cause une e? motion inattendue et poignante. Goe-
the a peint avec une admirable ve? rite? le courage qu'un soldat
peut employer contre la douleur morale, contre cet ennemi
nouveau qu'il sent en lui-me^me, et que ses armes ne sauraient
combattre. Enfin, le besoin de la vengeance le saisit, et porte
vers l'action tous les sentiments qui lede? voraient inte? rieurement.
Il rencontre Me? phistophe? le`s et Faust, au momentou` ils vont
donner un concert sous les fene^tres de sa soeur. Valentin provo-
que Faust, se bat avec lui, et rec? oit une blessure mortelle. Ses
adversaires disparaissent, pour e? viter la fureur du peuple.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 282 FALST.
, Marguerite arrive, demande qui est la` tout sanglantsur la
terre. Le peuple lui re? pond : Le fils de ta me`re. Et son fre`re,
en mourant, lui adresse des reproches plus terribles et plus
de? chirants que jamais la langue police? e n'en pourrait exprimer.
La dignite? de la trage? die ne saurait permettre d'enfoncer si avant
les traits de la nature dans le coeur.
Me? phistophe? le`s oblige Faust a` quitter la ville, et le de? sespoir
que lui fait e? prouver le sort de Marguerite inte? resse a` lui de
nouveau.
<< He? las! s'e? crie Faust, elle eu^t e? te? si facilement heureuse! une
<< simple cabane dans une valle? e des Alpes, quelques occupa-
<< tions domestiques, auraient suffi pour satisfaire ses de? sirs
<< borne? s, et remplir sa douce vie : mais moi, l'ennemi de Dieu,
je n'ai pas eu de repos que je n'eusse brise? son coeur, et fait
tomber en ruines sa pauvre destine? e. Ainsi donc la paix doit
lui e^tre ravie pour toujours. Il faut qu'elle soit la victime de
<< l'enfer. Eh bien! de? mon, abre? ge mon angoisse; fais arriver
<< ce qui doit arriver. Que le sort de cette infortune? e s'accom-
<< plisse, et pre? cipite-moi du moins avec elle dans l'abi^me. >>
L'amertume et le sang-froid de la re? ponse de Me? phistophe? le`s
sont vraiment diaboliques.
<< Comme tu t'enflammes!
lui dit-il, comme tu bouillonnes!
<< je ne sais comment te consoler, et sur mon honneur je me
<< donnerais au diable si je ne l'e? tais pas moi-me^me: mais pen-
<< ses-tu donc, insense? , que parce que ta pauvre te^te ne voit plus
d'issue, il n'y en ait plus ve? ritablement? Vive celui qui sait
tout supporter avec courage! Je t'ai de? ja` rendu passablement
<< semblable a` moi, et songe, je t'en prie, qu'il n'y a rien de
plus fastidieux dans ce monde qu'un diable qui se de? ses-
<< pe`re. >>
Marguerite va seule a` l'e? glise, l'unique refuge qui lui reste:
une foule immense remplit le temple, et le service des morts est
ce? le? bre? dans ce lieu solennel. Marguerite est couverte d'un
voile: elle prieavec ardeur; et lorsqu'elle commence a` se flatter
de la mise? ricorde divine, le mauvais esprit lui parle d'une voix
basse, et lui dit : --
<< Te souviens-tu, Marguerite, de ce temps ou` tu venais ici te
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? FAUST. 983
? prosterner devant l'autel? tu e? tais alors pleine d'innocence, tu
<< balbutiais timidement les psaumes, et Dieu re? gnait dans ton
coeur. Marguerite, qu'as-tu fait ? Que de crimes tu as commis!
>> Viens-tu prier pour l'a^me de ta me`re, dont la mort pe`se sur
ta te^te? Sur le seuil de ta porte, vois-tu quel est ce sang? c'est
celui de ton fre`re, et ne sens-tu pas s'agiter dans ton sein une
<< cre? ature infortune? e qui te pre? sage de? ja` de nouvelles dou-
<< leurs?
MARGUERITE.
<< Malheur! malheur ! comment e? chapper aux pense? es qui nais-
<< sent dans mon a^me et se soule`vent contre moi? '
LE CHOEUR chante dans l'e? glise.
< Diesirae, dies illa,
< Solvet saeclum in favilla '.
LE MAUVAIS ESPRIT.
<<Le courroux ce? leste te menace, Marguerite; les trompettes
<< de la re? surrection retentissent : les tombeaux s'e? branlent, et
<< ton coeur va se re? veiller pour sentir les flammes e? ternelles.
MARGUEHITE.
<< Ah! si je pouvais m'e? loigner d'ici! Les sons de cet orgue
<< m'empe^chent de respirer, et les chants des pre^tres font pe? ne? -
<< trer dans mon a^me une e? motion qui la de? chire.
LE CHOEUR.
<< . 1 in le\ ergo cum sedebit,
<< Quiquid latet apparebit,
<< Nil inultum remanebit 2.
MARGUERITE.
<< On dirait que ces murs se rapprochent pour m'e? touffer; la
<< vou^te du temple m'oppresse: de l'air! de l'air!
LE MAUVAIS ESPRIT.
<< Cache-toi; le crime et la honte te poursuivent. Tu demandes
>> de l'air et de la lumie`re, mise? rable! qu'en espe`res-tu?
'II viendra le jour de la cole? re, et le sie? cle sera riklnit en cendres.
1 Quand te Juge supre^me paraitra. il de? couvrira tout ce qui est cachd, cl
rien ne pourra demeurer impuni.
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? 284
LE CHOEUU. . . . '
<< Quid sum miser tune dicturus?
<< Quem patronum rogaturus?
<< Cum vix justus sit securus '?
LE MAUVAIS ESPRIT.
<< Les saints de? tournent leur visage de ta pre? sence; ils rougi-
<< raient de tendre leurs mains pures vers toi. >>
LE CHOEUR.
<< Quid sum miser tune dicturus ? >>
Marguerite crie au secours, et s'e? vanouit.
Quelle sce`ne! Cette infortune? e, qui, dans l'asile de la consola-
tion, trouve le de? sespoir; cette foule rassemble? e priant Dieu
avec confiance, tandis qu'une malheureuse femme, dans le
temple me^me du Seigneur, rencontre l'esprit de l'enfer! Les pa-
roles se? ve`res de l'hymne sainte sont interpre? te? es par l'inflexible
me? chancete? du mauvais ge? nie. Quel de? sordre dans le coeur! que
de maux entasse? s sur une faible et pauvre te^te! et quel talent,
que celui qui sait ainsi repre? sentera` l'imagination ces moments
ou` la vie s'allume en nous comme un feu sombre, et jette sur
nos jours passagers la terrible lueur de l'e? ternite? des peines!
Me? phistophe? le`s imagine de transporter Faust dans le sabbat
des sorcie`res, pour le distraire de ses peines; et il y a la` une
sce`ne dont il est impossible de donner l'ide? e, quoiqu'il s'y trouve
un grand nombre de pense? es a` retenir: ce sont vraiment les
Saturnales de l'esprit, que cette fe^te du sabbat. La marche de
la pie`ce est suspendue par cet interme`de, et plus on trouve la
situation forte, plus il est impossible de se soumettre me^me aux
inventions du ge? nie, lorsqu'elles interrompent ainsi l'inte? re^t. Au
milieu du tourbillon de tout ce qu'on peut imaginer et dire,
quand les images et les ide? es se pre? cipitent, se confondent, et
semblent retomber dans les abi^mes dont la raison les a fait sor-
tir, il vient une sce`ne qui se rattache a` la situation d'une manie`re
terrible. Les conjurations de la magie font apparai^tre divers
1 Malheureux! que dirai-je alors? A quel protecteur m'adresscrai-je, lors-
qu'a` peine le juste peut se croire sauve? ?
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? FAUST. 28:>
tableaux , et tout a` coup Faust s'approche de Me? phistophe? le`s,
et lui dit: << Ne vois-tu pas la`-bas une jeune fille belle et pa^le,
<< qui se tient seule dans l'e? loignement? Elle s'avance lentement,
<< ses pieds semblent attache? s l'un a` l'autre; ne trouves-tu pus
<< qu'elle ressemble a` Marguerite?
ME? PHISTOPHE? LE`S.
<< C'est un effet de la magie, rien qu'une illusion. Il n'est pas
<< bon d'y arre^ter tes regards. Ces yeux fixes glacent le sang des
hommes. C'est ainsi que la te^te de Me? duse changeait jadis en
pierre ceux qui la conside? raient.
FAUST.
<< Il est vrai que cette image a les yeux ouverts comme un mort
<< a` qui la main d'un ami ne les aurait pas ferme? s. Voila` le sein
sur lequel j'ai repose? ma te^te ; voila` les charmes que mon coeur
a posse? de? s.
ME? PHISTOPHE? LE`S.
<< Insense? ! Tout cela n'est que de la sorcellerie; chacun dans
<< ce fanto^me croit voir sa bien-aime? e.
FAUST.
<< Quel de? lire! quelle souffrance! Je ne peux m'e? loigner de ce
<< regard; mais autour de ce beau cou, que signifie ce collier
<< rouge, large comme le tranchant d'un couteau?
ME? PHISTOPHE? LE`S.
<< C'est vrai : mais qu'y veux-tu faire? Ne t'abi^me pas dans
<< tes re^veries; viens sur cette montagne, on t'y pre? pare une fe^te.
Viens. >>
Faust apprend que Marguerite a tue? l'enfant qu'elle a mis au
jour, espe? rant ainsi se de? rober a` la honte. Son crime a e? te? de? -
couvert; on l'a mise en prison, et le lendemain elle doit pe? rir
sur l'e? chafaud. Faust maudit Me?
<< assez les saints sacrements. FAUST.
<< Je les respecte.
MARGUERITE.
<< Mais sans en approcher; depuis longtemps, tu ne t'es point
<< confesse? , tu n'as point e? te? a` la messe; crois-tu en Dieu?
FAUST.
<< Ma che`re amie, qui ose dire : Je crois en Dieu? --Si tu
<< fais cette question aux pre^tres et aux sages, ils re? pondront
<< comme s'ils voulaient se moquer de celui qui les interroge.
MARGUERITE.
<< Ainsi donc, tu ne crois rien. FAUST.
<< N'interpre`te pas mal ce que je dis, charmante cre? ature:
<< qui peut nommer la Divinite? et dire : Je la concois ? qui peut
<< e^tre sensible et ne pas y croire? Le soutien de cet univers
<< n'embrasse-t-il pas toi, moi, la nature entie`re? Le ciel ne
s'abaisse-t-il pas en pavillon sur nos te^tes? La terre 11'est-elle
<< pas ine? branlable sous nos pieds, et les e? toiles e? ternelles,
<< du haut de leur sphe`re, ne nous regardent-elles pas avec
amour? Tes yeux ne se re? fle? chissent-ils pas dans mes yeux
attendris? Un myste`re e? ternel, invisible et visible, n'attire-
<< t-il pas mon coeur vers le tien? Remplis tona^me de ce myste`re,
? ? et quand tu e? prouves la fe? licite? supre^me du sentiment, appelle-
<< la, cette fe? licite? , coeur, amour, Dieu, n'importe. Le senti-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 280 FAUST.
<< ment est tout, les noms ue sont qu'un vain bruit, une vaine
<< fume? e, qui obscurcit la clarte? des cieux. >>
Ce morceau, d'une e? loquence inspire? e , ne conviendrait pas
a` la disposition de . Faust, si dans ce moment il n'e? tait pas meil-
leur, parce qu'il aime, et si l'intention de l'auteur n'avait pas
e? te? , sans doute, de montrer combien une croyance ferme et posi-
tive est ne? cessaire, puisque ceux me^me que la nature a faits sen-
sibles et bons, n'en sont pas moins capables des plus funestes
e? garements , quand ce secours leur manque.
Faust se lasse de l'amour de Marguerite comme de toutes les
jouissances de la vie; rien n'est plus beau, en allemand, que les
vers dans lesquels il exprime tout a` la fois l'enthousiasme de la
science et la satie? te? du bonheur.
FAUST, seul.
<< Esprit sublime! tu m'as accorde? tout ce que je t'ai demande? .
<< Ce n'est pas en vain que tu as tourne? vers moi ton visage en-
<<toure? de flammes; tu m'as donne? la magique nature pour em-
<<pire, tu m'as donne? la force de la sentir et d'en jouir. Ce n'est
pas une froide admiration que tu m'as permise, mais une in-
<< time connaissance, et tu m'as fait pe? ne? trer dans le sein d<<
<< l'univers, comme dans celui d'un ami; tu as conduit devant
moi la troupe varie? e des vivants, et tu m'as appris a` connai^tre
<< mes fre`res dans les habitants des bois, des airs et des eaux.
Quand l'orage gronde dans la fore^t, quand il de? racine et ren-
<< verse les pins gigantesques dont la chute fait retentir la mon-
<< tagne, tu me guides dans un su^r asile, et tu me re? ve`les les
<< secre`tes merveilles de mon propre coeur. Lorsque la lune trau-
<< quille monte lentement vers les cieux, les ombres argente? es
<< des temps antiques planent a` mes yeux sur les rochers, dans
les bois, et semblent m'adoucir le se? ve`re plaisir de la me? dita-
<< tion.
<< Mais je le sens, he? las! l'homme ne peut atteindre a` rien
<< de parfait; a` co^te? de ces de? lices qui me rapprochent des dieux,
<< il faut que je supporte ce compagnon froid , indiffe? rent, hai:-
<< tain, qui m'humilie a` mes propres yeux, et d'un mot re? duit
au ne? ant tous les dons que tu m'as laits. Il allume dans mon
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? FAUST.
<< sein un feu de? sordonne? qui m'attire vers la beaute? ; je passe.
<< avec ivresse du de? sir au bonheur; mais au sein du bonheur
<< me^me, biento^t un vague ennui nie fait regretter le de? sir. >>
L'histoire de Marguerite serre douloureusement le coeur. Son
e? tat vulgaire, son esprit borne? , tout ce qui la soumet au malheur,
sans qu'elle puisse y re? sister, inspire encore plus de pitie? pour
elle. Goethe, dans ses romans et dans ses pie`ces, n'a presque
jamais donne? des qualite? s supe? rieures aux femmes; mais il peint
a` merveille le caracte`re de faiblesse qui leur rend la protection
si ne? cessaire. Marguerite veut recevoir chez elle Faust a` l'insu
de sa me`re, et donne a` cette pauvre femme, d'apre`s le conseil
de Me? phistophe? le`s, une potion assoupissante qu'elle ne peut
supporter, et qui la fait mourir. La coupable Marguerite devient
grosse, sa honte est publique, tout le quartier qu'elle habite la montre au doigt. Le de? shonneur semble avoir plus de prise sur
les personnes d'un rang e? leve? , et peut-e^tre cependant est-il en-
core plus redoutable dans la classe du peuple. Tout est si tran-
che? , si positif, si irre? parable parmi les hommes qui n'ont pour
rien des paroles nuance? es! Goethe saisit admirablement ces
moeurs, tout a` la fois si pre`s et loin de nous; il posse`de au su-
pre^me degre? l'art d'e^tre parfaitement naturel dans mille natures
diffe? rentes.
Valentin, soldat, fre`re de Marguerite, arrive de la guerre
pour la revoir; et quand il apprend sa honte, la souffrance qu'il
e? prouve, et dont il rougit, se trahit par un langage a^pre et tou-
chant tout a` la fois. L'homme dur en apparence, et sensible au
fond de l'a^me, cause une e? motion inattendue et poignante. Goe-
the a peint avec une admirable ve? rite? le courage qu'un soldat
peut employer contre la douleur morale, contre cet ennemi
nouveau qu'il sent en lui-me^me, et que ses armes ne sauraient
combattre. Enfin, le besoin de la vengeance le saisit, et porte
vers l'action tous les sentiments qui lede? voraient inte? rieurement.
Il rencontre Me? phistophe? le`s et Faust, au momentou` ils vont
donner un concert sous les fene^tres de sa soeur. Valentin provo-
que Faust, se bat avec lui, et rec? oit une blessure mortelle. Ses
adversaires disparaissent, pour e? viter la fureur du peuple.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 282 FALST.
, Marguerite arrive, demande qui est la` tout sanglantsur la
terre. Le peuple lui re? pond : Le fils de ta me`re. Et son fre`re,
en mourant, lui adresse des reproches plus terribles et plus
de? chirants que jamais la langue police? e n'en pourrait exprimer.
La dignite? de la trage? die ne saurait permettre d'enfoncer si avant
les traits de la nature dans le coeur.
Me? phistophe? le`s oblige Faust a` quitter la ville, et le de? sespoir
que lui fait e? prouver le sort de Marguerite inte? resse a` lui de
nouveau.
<< He? las! s'e? crie Faust, elle eu^t e? te? si facilement heureuse! une
<< simple cabane dans une valle? e des Alpes, quelques occupa-
<< tions domestiques, auraient suffi pour satisfaire ses de? sirs
<< borne? s, et remplir sa douce vie : mais moi, l'ennemi de Dieu,
je n'ai pas eu de repos que je n'eusse brise? son coeur, et fait
tomber en ruines sa pauvre destine? e. Ainsi donc la paix doit
lui e^tre ravie pour toujours. Il faut qu'elle soit la victime de
<< l'enfer. Eh bien! de? mon, abre? ge mon angoisse; fais arriver
<< ce qui doit arriver. Que le sort de cette infortune? e s'accom-
<< plisse, et pre? cipite-moi du moins avec elle dans l'abi^me. >>
L'amertume et le sang-froid de la re? ponse de Me? phistophe? le`s
sont vraiment diaboliques.
<< Comme tu t'enflammes!
lui dit-il, comme tu bouillonnes!
<< je ne sais comment te consoler, et sur mon honneur je me
<< donnerais au diable si je ne l'e? tais pas moi-me^me: mais pen-
<< ses-tu donc, insense? , que parce que ta pauvre te^te ne voit plus
d'issue, il n'y en ait plus ve? ritablement? Vive celui qui sait
tout supporter avec courage! Je t'ai de? ja` rendu passablement
<< semblable a` moi, et songe, je t'en prie, qu'il n'y a rien de
plus fastidieux dans ce monde qu'un diable qui se de? ses-
<< pe`re. >>
Marguerite va seule a` l'e? glise, l'unique refuge qui lui reste:
une foule immense remplit le temple, et le service des morts est
ce? le? bre? dans ce lieu solennel. Marguerite est couverte d'un
voile: elle prieavec ardeur; et lorsqu'elle commence a` se flatter
de la mise? ricorde divine, le mauvais esprit lui parle d'une voix
basse, et lui dit : --
<< Te souviens-tu, Marguerite, de ce temps ou` tu venais ici te
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? FAUST. 983
? prosterner devant l'autel? tu e? tais alors pleine d'innocence, tu
<< balbutiais timidement les psaumes, et Dieu re? gnait dans ton
coeur. Marguerite, qu'as-tu fait ? Que de crimes tu as commis!
>> Viens-tu prier pour l'a^me de ta me`re, dont la mort pe`se sur
ta te^te? Sur le seuil de ta porte, vois-tu quel est ce sang? c'est
celui de ton fre`re, et ne sens-tu pas s'agiter dans ton sein une
<< cre? ature infortune? e qui te pre? sage de? ja` de nouvelles dou-
<< leurs?
MARGUERITE.
<< Malheur! malheur ! comment e? chapper aux pense? es qui nais-
<< sent dans mon a^me et se soule`vent contre moi? '
LE CHOEUR chante dans l'e? glise.
< Diesirae, dies illa,
< Solvet saeclum in favilla '.
LE MAUVAIS ESPRIT.
<<Le courroux ce? leste te menace, Marguerite; les trompettes
<< de la re? surrection retentissent : les tombeaux s'e? branlent, et
<< ton coeur va se re? veiller pour sentir les flammes e? ternelles.
MARGUEHITE.
<< Ah! si je pouvais m'e? loigner d'ici! Les sons de cet orgue
<< m'empe^chent de respirer, et les chants des pre^tres font pe? ne? -
<< trer dans mon a^me une e? motion qui la de? chire.
LE CHOEUR.
<< . 1 in le\ ergo cum sedebit,
<< Quiquid latet apparebit,
<< Nil inultum remanebit 2.
MARGUERITE.
<< On dirait que ces murs se rapprochent pour m'e? touffer; la
<< vou^te du temple m'oppresse: de l'air! de l'air!
LE MAUVAIS ESPRIT.
<< Cache-toi; le crime et la honte te poursuivent. Tu demandes
>> de l'air et de la lumie`re, mise? rable! qu'en espe`res-tu?
'II viendra le jour de la cole? re, et le sie? cle sera riklnit en cendres.
1 Quand te Juge supre^me paraitra. il de? couvrira tout ce qui est cachd, cl
rien ne pourra demeurer impuni.
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LE CHOEUU. . . . '
<< Quid sum miser tune dicturus?
<< Quem patronum rogaturus?
<< Cum vix justus sit securus '?
LE MAUVAIS ESPRIT.
<< Les saints de? tournent leur visage de ta pre? sence; ils rougi-
<< raient de tendre leurs mains pures vers toi. >>
LE CHOEUR.
<< Quid sum miser tune dicturus ? >>
Marguerite crie au secours, et s'e? vanouit.
Quelle sce`ne! Cette infortune? e, qui, dans l'asile de la consola-
tion, trouve le de? sespoir; cette foule rassemble? e priant Dieu
avec confiance, tandis qu'une malheureuse femme, dans le
temple me^me du Seigneur, rencontre l'esprit de l'enfer! Les pa-
roles se? ve`res de l'hymne sainte sont interpre? te? es par l'inflexible
me? chancete? du mauvais ge? nie. Quel de? sordre dans le coeur! que
de maux entasse? s sur une faible et pauvre te^te! et quel talent,
que celui qui sait ainsi repre? sentera` l'imagination ces moments
ou` la vie s'allume en nous comme un feu sombre, et jette sur
nos jours passagers la terrible lueur de l'e? ternite? des peines!
Me? phistophe? le`s imagine de transporter Faust dans le sabbat
des sorcie`res, pour le distraire de ses peines; et il y a la` une
sce`ne dont il est impossible de donner l'ide? e, quoiqu'il s'y trouve
un grand nombre de pense? es a` retenir: ce sont vraiment les
Saturnales de l'esprit, que cette fe^te du sabbat. La marche de
la pie`ce est suspendue par cet interme`de, et plus on trouve la
situation forte, plus il est impossible de se soumettre me^me aux
inventions du ge? nie, lorsqu'elles interrompent ainsi l'inte? re^t. Au
milieu du tourbillon de tout ce qu'on peut imaginer et dire,
quand les images et les ide? es se pre? cipitent, se confondent, et
semblent retomber dans les abi^mes dont la raison les a fait sor-
tir, il vient une sce`ne qui se rattache a` la situation d'une manie`re
terrible. Les conjurations de la magie font apparai^tre divers
1 Malheureux! que dirai-je alors? A quel protecteur m'adresscrai-je, lors-
qu'a` peine le juste peut se croire sauve? ?
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? FAUST. 28:>
tableaux , et tout a` coup Faust s'approche de Me? phistophe? le`s,
et lui dit: << Ne vois-tu pas la`-bas une jeune fille belle et pa^le,
<< qui se tient seule dans l'e? loignement? Elle s'avance lentement,
<< ses pieds semblent attache? s l'un a` l'autre; ne trouves-tu pus
<< qu'elle ressemble a` Marguerite?
ME? PHISTOPHE? LE`S.
<< C'est un effet de la magie, rien qu'une illusion. Il n'est pas
<< bon d'y arre^ter tes regards. Ces yeux fixes glacent le sang des
hommes. C'est ainsi que la te^te de Me? duse changeait jadis en
pierre ceux qui la conside? raient.
FAUST.
<< Il est vrai que cette image a les yeux ouverts comme un mort
<< a` qui la main d'un ami ne les aurait pas ferme? s. Voila` le sein
sur lequel j'ai repose? ma te^te ; voila` les charmes que mon coeur
a posse? de? s.
ME? PHISTOPHE? LE`S.
<< Insense? ! Tout cela n'est que de la sorcellerie; chacun dans
<< ce fanto^me croit voir sa bien-aime? e.
FAUST.
<< Quel de? lire! quelle souffrance! Je ne peux m'e? loigner de ce
<< regard; mais autour de ce beau cou, que signifie ce collier
<< rouge, large comme le tranchant d'un couteau?
ME? PHISTOPHE? LE`S.
<< C'est vrai : mais qu'y veux-tu faire? Ne t'abi^me pas dans
<< tes re^veries; viens sur cette montagne, on t'y pre? pare une fe^te.
Viens. >>
Faust apprend que Marguerite a tue? l'enfant qu'elle a mis au
jour, espe? rant ainsi se de? rober a` la honte. Son crime a e? te? de? -
couvert; on l'a mise en prison, et le lendemain elle doit pe? rir
sur l'e? chafaud. Faust maudit Me?
