On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la derniere ligne du
poeme <>, doit etre
corrigee
en "la voile".
poeme <
Rimbaud - Poesie Completes
l'Homme a joue tous les roles!
Au grand jour, fatigue de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
L'Ideal, la pensee invincible, eternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brulera sous son front!
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Redemption sainte!
--Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire!
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le fremissement d'un immense baiser:
--Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IV
O splendeur de la chair! o splendeur ideale!
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Ou, courbant a leurs pieds les Dieux et les Heros
Kallipige la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds ecloses!
O grande Ariadne, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir la-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thesee,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisee,
Tais-toi! Sur son char d'or brode de noirs raisins,
Lysios, promene dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les pantheres rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant
Le corps nu d'Europe, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague,
Il tourne lentement vers elle son oeil vague;
Elle, laisse trainer sa pale joue en fleur
Au front de Zeus; ses yeux sont fermes; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son ecume d'or fleurit sa chevelure.
--Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne reveur
Embrassant la Leda des blancheurs de son aile;
--Et tandis que Cypris passe, etrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Etale fierement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brode de mousse noire,
--Heracles, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, a l'horizon!
Par la lune d'ete vaguement eclairee,
Debout, nue, et revant dans sa paleur doree
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairiere sombre ou la mousse s'etoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux. . .
--La blanche Selene laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pale rayon. . .
--La Source pleure au loin dans une longue extase. . .
C'est la Nymphe qui reve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a presse.
--Une brise d'amour dans la nuit a passe,
Et, dans les bois sacres, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
--Les Dieux ecoutent l'Homme et le Monde infini!
7 mai 1870.
LE DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure ou chante une riviere
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; ou le soleil, de la montagne fiere,
Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tete nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est etendu dans l'herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert ou la lumiere pleut.
Les pieds dans les glaieuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au cote droit.
7 octobre 1870.
AU CABARET-VERT
_Cinq heures du soir. _
Depuis huit jours, j'avais dechire mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais a Charleroi,
--_Au Cabaret-Vert_: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fut a moitie froid.
Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets tres naifs
De la tapisserie. --Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tetons enormes, aux yeux vifs,
--Celle-la, ce n'est pas un baiser qui l'epeure! --
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiede, dans un plat colorie,
Du jambon rose et blanc parfume d'une gousse
D'ail,--et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriere.
Octobre 1870.
LA MALINE
Dans la salle a manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, a mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'epatais dans mon immense chaise.
En mangeant, j'ecoutais l'horloge,--heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffee
--Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitie defait, malinement coiffee.
Et tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de peche rose et blanc,
En faisant, de sa levre enfantine, une moue,
Elle arrangeait les plats, pres de moi, pour m'aiser;
--Puis, comme ca,--bien sur pour avoir un baiser,--
Tout bas: <<Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue. . . >>
Charleroi, octobre 1870.
L'ECLATANTE VICTOIRE
DE SARREBRUCK
REMPORTEE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR!
(Gravure belge brillamment coloriee, se vend a Charleroi, 35 centimes. )
Au milieu, l'Empereur, dans une apotheose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant; tres heureux,--car il voit tout en rose,
Feroce comme Zeus et doux comme un papa;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Pres des tambours dores et des rouges canons,
Se levent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourne vers le Chef, s'etourdit de grands noms
A droite, Dumanet, appuye sur la crosse
De son chassepot, sent fremir sa nuque en brosse,
Et: <<Vive l'Empereur! ! >>--Son voisin reste coi. . .
Un schako surgit, comme un soleil noir. . . --Au centre
Boquillon, rouge et bleu, tres naif, sur son ventre
Se dresse, et,--presentant ses derrieres: <<De quoi? . . . >>
Octobre 1870.
REVE POUR L'HIVER
_A Elle. _
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosites hargneuses, populace
De demons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue egratignee. . .
Un petit baiser, comme une folle araignee,
Te courra par le cou. . .
Et tu me diras: <<Cherche! >> en inclinant la tete;
--Et nous prendons du temps a trouver cette bete!
--Qui voyage beaucoup. . .
En wagon, le 7 octobre 1870.
LE BUFFET
C'est un large buffet sculpte; le chene sombre,
Tres vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles fletries,
De fichus de grand'mere ou sont peints des griffons;
--C'est la qu'on trouverait les medaillons, les meches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs seches
Dont le parfum se mele a des parfums de fruits.
--O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires.
Octobre 1870.
MA BOHEME
(_Fantaisie_)
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevees;
Mon paletot aussi devenait ideal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'etais ton feal;
Oh! la la! que d'amours splendides j'ai revees!
Mon unique culotte avait un large trou.
--Petit Poucet reveur, j'egrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge etait a la Grande-Ourse;
--Mes etoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les ecoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre ou je sentais des gouttes
De rosee a mon front, comme un vin de vigueur;
Ou, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur!
Octobre 1870.
ENTENDS COMME BRAME
Entends, comme brame
pres des acacias
en avril la rame
viride du pois!
Dans sa vapeur nette,
Vers Phoebe! tu vois
s'agiter la tete
de saints d'autrefois. . .
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois. . .
Or ni feriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.
Neanmoins ils restent,
--Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blemi, justement!
CHANT DE GUERRE PARISIEN
Le printemps est evident, car
Du coeur des Proprietes vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.
O mai! Quels delirants cul-nus!
Sevres, Meudon, Bagneux, Asnieres,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanieres!
Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boite a bougies
Et des yoles qui n'ont jam. . . jam. . .
Fendent le lac aux eaux rougies! . . .
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanieres[1]
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulieres.
Thiers et Picard sont des Eros
Des enleveurs d'heliotropes
Au petrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes. . .
Ils sont familiers du grand turc! . . .
Et couche dans les glaieuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements a poivre!
La Grand-Ville a le pave chaud
Malgre vos douches de petrole
Et decidement il nous faut
Nous secouer dans votre role. . .
Et les ruraux qui se prelassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.
[1] Quand viennent sur nos fourmilieres (_var. de l'auteur_).
MES PETITES AMOUREUSES
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou:
Sous l'arbre tendronnier qui bave
Vos caoutchoucs.
Blancs de lunes particulieres
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouilleres
Mes laiderons!
Nous nous aimions a cette epoque,
Bleu laideron:
On mangeait des oeufs a la coque
Et du mouron!
Un soir tu me sacras poete,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron;
J'ai degueule ta bandoline
Noir laideron;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah! nos salives dessechees
Roux laideron
Infectent encor les tranchees
De ton sein rond!
O mes petites amoureuses
Que je vous hais!
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tetons laids!
Pietinez mes vieilles terrines
De sentiment;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment! . . .
Vos omoplates se deboitent
O mes amours!
Une etoile a vos reins qui boitent
Tournez vos tours.
Est-ce pourtant pour ces eclanches
Que j'ai rime!
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aime!
Fade amas d'etoiles ratees
Comblez les coins
--Vous creverez en Dieu, batees
D'ignobles soins!
Sous les lunes particulieres
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillieres,
Mes laiderons!
LES POETES DE SEPT ANS
_A M. P. Demeny. _
Et la Mere, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminence,
L'ame de son enfant livree aux repugnances.
Tout le jour il suait d'obeissance; tres
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'acres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermes voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir; a la lampe
On le voyait, la-haut qui ralait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'ete
Surtout, vaincu, stupide, il etait entete
A se renfermer dans la fraicheur des latrines:
Il pensait la, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lave des odeurs du jour, le jardinet
Derriere la maison, en hiver s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterre dans la marne
Et pour des visions ecrasant son oeil darne,
Il ecoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitie! Ces enfants seuls etaient ses familiers
Qui, chetifs, fronts nus, oeil deteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue,
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris a des pities immondes,
Sa mere s'effrayait; les tendresses profondes
De l'enfant se jetaient sur cet etonnement.
C'etait bon. Elle avait le bleu regard,--qui ment!
A sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand desert, ou luit la Liberte ravie,
Forets, soleils, rives, savanes! --Il s'aidait
De journaux illustres ou, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
--Huit ans,--la fille des ouvriers d'a cote,
La petite brutale, et qu'elle avait saute,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il etait sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
--Et, par elle meurtri des poings et des talons
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de decembre,
Ou, pommade, sur un gueridon d'acajou,
Il lisait une Bible a la tranche vert-chou;
Des reves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcove.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Ou les crieurs, en trois roulements de tambour
Font autour des edits rire et gronder les foules.
--Il revait la prairie amoureuse, ou des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, acrement prise d'humidite,
Il lisait son roman sans cesse medite,
Plein de lourds ciels ocreux et de forets noyees,
De fleurs de chair aux bois siderals deployees,
Vertige, ecroulements, deroutes et pitie!
--Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas,--seul, et couche sur des pieces de toile
Ecrue, et pressentant violemment le voile!
26 mai 1871.
[Note (Project Gutenberg).
On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la derniere ligne du
poeme <>, doit etre
corrigee
en "la voile".
D'apres nos recherches, le poeme ecrit en 1871 se terminait en effet sur
les mots "la voile".
La presente edition de 1895 a ete corrigee de la main de Verlaine, sur
des epreuves fournies par l'imprimerie Ch. Herissey a Evreux. Il nous
est difficile de savoir pourquoi Verlaine a corrige <<la voile>> en <<le
voile>>, ou s'agit-il d'un moment d'inattention?
Ce qui est certain, notre edition marque bien <<le voile>>. ]
LE COEUR VOLE
Mon pauvre coeur bave a la poupe,
Mon coeur est plein de caporal;
Ils lui lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave a la poupe.
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire general,
Mon triste coeur brave a la poupe
Mon coeur est plein de caporal!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont deprave.
A la vespree, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques,
O flots abracadabrantesques
Prenez mon coeur, qu'il soit sauve!
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont deprave!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, o coeur vole?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques.
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon coeur triste est ravale:
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, o coeur vole?
TETE DE FAUNE
Dans la feuillee, ecrin vert tache d'or,
Dans la feuillee incertaine et fleurie,
D'enormes fleurs ou l'acre baiser dort
Vif et devant l'exquise broderie,
Le Faune affole montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa levre eclate en rires par les branches;
Et quand il a fui, tel un ecureuil,
Son rire perle encore a chaque feuille
Et l'on croit epeure par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
POISON PERDU
Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n'est reste;
Pas une dentelle d'ete,
Pas une cravate commune.
Et sur le balcon, ou le the
Se prend aux heures de la lune,
Il n'est reste de trace aucune,
Aucun souvenir n'est reste,
Au bord d'un rideau bleu piquee,
Luit une epingle a tete d'or
Comme un gros insecte qui dort,
Pointe d'un fin poison trempee,
Je te prends, sois-moi preparee
Aux heures des desirs de mort.
LES CORBEAUX
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus
Sur la nature defleurie,
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux delicieux.
Armee etrange aux cris severes,
Les vents froids attaquent vos nids!
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fosses et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez-vous!
Par milliers, sur les champs de France,
Ou dorment les morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense!
Sois donc le crieur du devoir,
O notre funebre oiseau noir!
Mais, saints du ciel, en haut du chene,
Mat perdu dans le soir charme,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaine,
Dans l'herbe d'ou l'on ne peut fuir,
La defaite sans avenir.
1872.
PATIENCE
_D'un ete. _
Aux branches claires des tilleurs
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevetrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
Azur et Onde communient.
Je sors! Si un rayon me blesse,
Je succomberai sur la mousse.
Qu'on patiente et qu'on s'ennuie,
C'est si simple! . . . Fi de ces peines!
Je veux que l'ete dramatique
Me lie a son char de fortune.
Que par toi beaucoup, o Nature,
--Ah! moins nul et moins seul! je meure,
Au lieu que les bergers, c'est drole,
Meurent a peu pres par le monde.
Je veux bien que les saisons m'usent.
A toi, Nature! je me rends,
Et ma faim et toute ma soif;
Et s'il te plait, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m'illusionne;
C'est rire aux parents qu'au soleil;
Mais moi je ne veux rire a rien,
Et libre soit cette infortune.
JEUNE MENAGE
La chambre est ouverte au ciel bleu turquin;
Pas de place: des coffrets et des huches!
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Ou vibrent les gencives des lutins.
Que ce sont bien intrigues de genies
Cette depense et ces desordres vains!
C'est la fee africaine qui fournit
La mure, et les resilles dans les coins.
Plusieurs entrent, marraines mecontentes,
En pans de lumiere dans les buffets,
Puis y restent! le menage s'absente
Peu serieusement, et rien ne se fait.
Le marie a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Meme des esprits des eaux malfaisants
Entrent vaguer aux spheres de l'alcove.
La nuit, l'amie oh, la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.
--S'il n'arrive pas un feu follet bleme,
Comme un coup de fusil, apres des vepres.
--O spectres saints et blancs de Bethleem,
Charmez plutot le bleu de leur fenetre!
27 juin 1872.
MEMOIRE
I
L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance;
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
La soie, en foule et de lys pur des oriflammes
Sous les murs dont quelque pucelle eut la defense;
L'ebat des anges;--non. . . le courant d'or en marche,
Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle,
Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle
Pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.
II
Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides!
L'eau meuble d'or pale et sans fond les couches pretes.
Les robes vertes et deteintes des fillettes
Font les saules, d'ou sautent les oiseaux sans brides.
Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupiere
Le souci d'eau--ta foi conjugale, o l'Epouse! --
Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
Au ciel gris de chaleur la sphere rose et chere.
III
Madame se tient trop debout dans la prairie
Prochaine ou neigent les fils du travail; l'ombrelle
Aux doigts; foulant l'ombelle; trop fiere pour elle
Des enfants lisant dans la verdure fleurie
Leur livre de maroquin rouge! Helas, Lui, comme
Mille anges blancs qui se separent sur la route,
S'eloigne par dela la montagne! Elle, toute
Froide, et noire, court! apres le depart de l'homme!
IV
Regrets des bras epais et jeunes d'herbe pure!
Or des lunes d'avril au coeur du saint lit! Joie
Des chantiers riverains a l'abandon, en proie
Aux soirs d'aout qui faisaient germer ces pourritures!
Qu'elle pleure a present sous les remparts: l'haleine
Des peupliers d'en haut est pour la seule brise.
Amis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise--
Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine.
V
Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre,
O canot immobile! o bras trop courts! ni l'une
Ni l'autre fleur; ni la jaune qui m'importune,
La; ni la bleue, amis, a l'eau couleur de cendre.
Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue!
Les roses des roseaux des longtemps devorees! . . .
Mon canot toujours fixe; et sa chaine tiree
Au fond de cet oeil d'eau sans bords--a quelle boue?
Est-elle almee? . . . aux premieres heures bleues
Se detruira-t-elle comme les fleurs feues. . .
Devant la splendide etendue ou l'on sente
Souffler la ville enormement florissante!
C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est necessaire
--Pour la Pecheuse et la chanson du corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fetes de nuit sur la mer pure!
Juillet 1872
FETES DE LA FAIM
Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton ane.
Si j'ai du gout, ce n'est gueres
Que pour la terre et les pierres
Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l'air,
Le roc, les terres, le fer,
Charbons.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pre des sons!
Attirez le gai venin
Des liserons;
Mangez les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'eglises,
Les galets, fils des deluges,
Pains couches aux vallees grises!
Des faims, c'est les bouts d'air noir;
L'azur sonneur;
--C'est l'estomac qui me tire,
C'est le malheur.
Sur terre ont paru les feuilles:
Je vais aux chairs de fruit blettes,
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.
Ma faim, Anne, Anne!
Fuis sur ton ane.
Aout 1872.
PROSE
I
FLAIRY
Pour Helene se conjurerent les seves ornementales dans les ombres
vierges et les clartes impassibles dans le silence astral. L'ardeur de
l'ete fut confiee a des oiseaux muets et l'indolence requise a une
barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums
affaisses.
Apres le moment de l'air des bucheronnes a la rumeur du torrent sous la
ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux a l'echo des vals, et des
cris des steppes.
Pour l'enfance d'Helene frissonnerent les fourres et les ombres, et le
sein des pauvres, et les legendes du ciel.
Et ses yeux et sa danse superieurs encore aux eclats precieux, aux
influences froides, au plaisir du decor et de l'heure uniques.
II
GUERRE
Enfant, certains ciels ont affine mon optique, tous les caracteres
nuancerent ma physionomie. Les phenomenes s'emurent. A present
l'inflexion eternelle des moments de l'infini des mathematiques me
chassent par ce monde ou je subis tous les succes civils, respecte de
l'enfance etrange et des affections enormes. Je songe a une guerre, de
droit ou de force, de logique bien imprevue.
C'est aussi simple qu'une phrase musicale.
III
GENIE
Il est l'affection et le present puisqu'il a fait la maison ouverte a
l'hiver ecumeux et a la rumeur de l'ete, lui qui a purifie les boissons
et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyant et le delice
surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et
l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons
passer dans le ciel de tempete et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et reinventee, raison merveilleuse et
imprevue, et l'eternite: machine aimee des qualites fatales. Nous avons
tous eu l'epouvante de sa concession et de la notre: o jouissance de
notre sante, elan de nos facultes, affection egoiste et passion pour
lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie. . .
Et nous nous le rappelons et il voyage. . . Et si l'Adoration s'en va,
sonne, sa promesse sonne: <<Arriere ces superstitions, ces anciens corps,
ces menages et ces ages. C'est cette epoque-ci qui a sombre! >>
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas
la redemption des coleres de femmes et des gaites des hommes et de tout
ce peche: car c'est fait, lui etant, et etant aime.
O ses souffles, ses tetes, ses courses; la terrible celerite de la
perfection des formes et de l'action.
O fecondite de l'esprit et immensite de l'univers!
Son corps! Le degagement reve le brisement de la grace croisee de
violence nouvelle! sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les
peines _releves_ a sa suite.
Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la
musique plus intense.
Son pas! les migrations plus enormes que les anciennes invasions.
O Lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les charites perdues.
O monde! et le chant clair des malheurs nouveaux!
Il nous a connus tous et nous a tous tous aime. Sachons, cette nuit
d'hiver, de cap en cap, du pole tumultueux au chateau, de la foule a la
plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le heler et le
voir, et le renvoyer, et sous les marees et au haut des deserts de
neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.
IV
JEUNESSE
I
DIMANCHE
Les calculs de cote, l'inevitable descente du ciel, la visite des
souvenirs et la seance des rythmes occupent la demeure, la tete et le
monde de l'esprit.
--Un cheval detale sur le turf suburbain, le long des cultures et des
boisements, perce par la peste carbonique. Une miserable femme de drame,
quelque part dans le monde soupire apres les abandons improbables. Les
desperadves languissent apres l'orage, l'ivresse et les blessures. De
petits enfants etouffent des maledictions le long des rivieres.
Reprenons l'etude au bruit de l'oeuvre devorante qui se rassemble et se
monte dans les masses.
II
SONNET
_Homme_ de constitution ordinaire, la chair n'etait-elle pas un fruit
pendu dans le verger, o journees enfantes! le corps un tresor a
prodiguer; o aimer, le peril ou la force de Psyche? La terre avait des
versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la
race nous poussaient aux crimes et aux deuils: ce monde votre fortune et
votre peril. Mais a present, le labeur comble, toi, tes calculs, toi,
tes impatiences, ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixees
et point forcees, quoique d'un double evenement d'invention et de succes
une liaison, en l'humanite fraternelle est discrete par l'univers sans
images;--la force et le droit reflechissent la danse et la voix a
present seulement appreciees.
III
VINGT ANS
Les voix instructives exilees. . . L'ingenuite physique amerement
rassise. . . Adagio. Ah! l'egoisme infini de l'adolescence, l'optimisme
studieux: que le monde etait plein de fleurs cet ete! Les airs et les
formes mourant. . . Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence! Un
choeur de verres de melodies nocturnes. . . En effet les nerfs vont vite
chasser.
IV
Tu en es encore a la tentation d'Antoine. L'ebat du zele ecourte, les
tics d'orgueil, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras a ce
travail: toutes les possibilites harmoniques et architecturales
s'emouvront autour de ton siege. Des etres parfaits, imprevus,
s'offriront a tes experiences. Dans tes environs affluera reveusement la
curiosite d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta memoire et tes sens
ne seront que la nourriture de ton impulsion creatrice. Quant au monde,
quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des
apparences actuelles.
V
SOLDES
A vendre ce que les Juifs n'ont pas vendus, ce que noblesse ni crime
n'ont goute, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probite infernale des
masses; ce que le temps ni la science n'ont pas a reconnaitre:
Les voix reconstituees; l'eveil fraternel de toutes les energies
chorales et orchestrales, et leurs applications instantanees,
l'occasion, unique, de degager nos sens!
A vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout
sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant a chaque demarche!
Solde de diamants sans controle!
A vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction irrepressible pour
les amateurs superieurs; la mort atroce pour les fideles et les amants!
A vendre les habitations et les migrations, sports, feeries et conforts
parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font:
A vendre les applications de calcul et sauts d'harmonie inouis. Les
trouvailles et les termes non soupconnes, possession immediate.
Elan insense et infini aux splendeurs et invisibles aux delices
insensibles, et ses secrets affolants pour chaque vice, et sa gaite
effroyante pour la foule.
A vendre les corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce
qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas a bout de solde! Les
voyageurs n'ont pas a rendre leur commission de sitot!
TABLE
PREFACE
Les etrennes des orphelins
Voyelles
Oraison du soir
Les assis
Les effares
Les chercheuses de poux
Bateau ivre
Premieres communions
L'orgie parisienne ou Paris se repeuple
Accroupissements
Les pauvres a l'eglise
Ce qui retient Nina
Venus Anadyomene
Morts de quatre-vingt-douze
Comedie en trois baisers
Sensation
Bal des pendus
Roman
Rages de Cesars
Le mal
Ophelie
Le chatiment de Tartufe
A la musique
Le forgeron
Soleil et chair
Le dormeur du Val
Au Cabaret Vert
La Maline
L'eclatante victoire de Sarrebruck
Reve pour l'hiver
Le buffet
Ma boheme
Entends comme Brame
Chant de guerre parisien
Mes petites amoureuses
Les poetes de sept ans
Le coeur vole
Tete de faune
Poison perdu
Les corbeaux
Patience
Jeune menage
Memoire
. . . Est-elle almee?
Fetes de la faim (variante)
PROSE
Fairy
Guerre
Genie
Jeunesse
I.
Au grand jour, fatigue de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
L'Ideal, la pensee invincible, eternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brulera sous son front!
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Redemption sainte!
--Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire!
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le fremissement d'un immense baiser:
--Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IV
O splendeur de la chair! o splendeur ideale!
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Ou, courbant a leurs pieds les Dieux et les Heros
Kallipige la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds ecloses!
O grande Ariadne, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir la-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thesee,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisee,
Tais-toi! Sur son char d'or brode de noirs raisins,
Lysios, promene dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les pantheres rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant
Le corps nu d'Europe, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague,
Il tourne lentement vers elle son oeil vague;
Elle, laisse trainer sa pale joue en fleur
Au front de Zeus; ses yeux sont fermes; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son ecume d'or fleurit sa chevelure.
--Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne reveur
Embrassant la Leda des blancheurs de son aile;
--Et tandis que Cypris passe, etrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Etale fierement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brode de mousse noire,
--Heracles, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, a l'horizon!
Par la lune d'ete vaguement eclairee,
Debout, nue, et revant dans sa paleur doree
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairiere sombre ou la mousse s'etoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux. . .
--La blanche Selene laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pale rayon. . .
--La Source pleure au loin dans une longue extase. . .
C'est la Nymphe qui reve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a presse.
--Une brise d'amour dans la nuit a passe,
Et, dans les bois sacres, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
--Les Dieux ecoutent l'Homme et le Monde infini!
7 mai 1870.
LE DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure ou chante une riviere
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; ou le soleil, de la montagne fiere,
Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tete nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est etendu dans l'herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert ou la lumiere pleut.
Les pieds dans les glaieuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au cote droit.
7 octobre 1870.
AU CABARET-VERT
_Cinq heures du soir. _
Depuis huit jours, j'avais dechire mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais a Charleroi,
--_Au Cabaret-Vert_: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fut a moitie froid.
Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets tres naifs
De la tapisserie. --Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tetons enormes, aux yeux vifs,
--Celle-la, ce n'est pas un baiser qui l'epeure! --
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiede, dans un plat colorie,
Du jambon rose et blanc parfume d'une gousse
D'ail,--et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriere.
Octobre 1870.
LA MALINE
Dans la salle a manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, a mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'epatais dans mon immense chaise.
En mangeant, j'ecoutais l'horloge,--heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffee
--Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitie defait, malinement coiffee.
Et tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de peche rose et blanc,
En faisant, de sa levre enfantine, une moue,
Elle arrangeait les plats, pres de moi, pour m'aiser;
--Puis, comme ca,--bien sur pour avoir un baiser,--
Tout bas: <<Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue. . . >>
Charleroi, octobre 1870.
L'ECLATANTE VICTOIRE
DE SARREBRUCK
REMPORTEE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR!
(Gravure belge brillamment coloriee, se vend a Charleroi, 35 centimes. )
Au milieu, l'Empereur, dans une apotheose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant; tres heureux,--car il voit tout en rose,
Feroce comme Zeus et doux comme un papa;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Pres des tambours dores et des rouges canons,
Se levent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourne vers le Chef, s'etourdit de grands noms
A droite, Dumanet, appuye sur la crosse
De son chassepot, sent fremir sa nuque en brosse,
Et: <<Vive l'Empereur! ! >>--Son voisin reste coi. . .
Un schako surgit, comme un soleil noir. . . --Au centre
Boquillon, rouge et bleu, tres naif, sur son ventre
Se dresse, et,--presentant ses derrieres: <<De quoi? . . . >>
Octobre 1870.
REVE POUR L'HIVER
_A Elle. _
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosites hargneuses, populace
De demons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue egratignee. . .
Un petit baiser, comme une folle araignee,
Te courra par le cou. . .
Et tu me diras: <<Cherche! >> en inclinant la tete;
--Et nous prendons du temps a trouver cette bete!
--Qui voyage beaucoup. . .
En wagon, le 7 octobre 1870.
LE BUFFET
C'est un large buffet sculpte; le chene sombre,
Tres vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles fletries,
De fichus de grand'mere ou sont peints des griffons;
--C'est la qu'on trouverait les medaillons, les meches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs seches
Dont le parfum se mele a des parfums de fruits.
--O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires.
Octobre 1870.
MA BOHEME
(_Fantaisie_)
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevees;
Mon paletot aussi devenait ideal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'etais ton feal;
Oh! la la! que d'amours splendides j'ai revees!
Mon unique culotte avait un large trou.
--Petit Poucet reveur, j'egrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge etait a la Grande-Ourse;
--Mes etoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les ecoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre ou je sentais des gouttes
De rosee a mon front, comme un vin de vigueur;
Ou, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur!
Octobre 1870.
ENTENDS COMME BRAME
Entends, comme brame
pres des acacias
en avril la rame
viride du pois!
Dans sa vapeur nette,
Vers Phoebe! tu vois
s'agiter la tete
de saints d'autrefois. . .
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois. . .
Or ni feriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.
Neanmoins ils restent,
--Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blemi, justement!
CHANT DE GUERRE PARISIEN
Le printemps est evident, car
Du coeur des Proprietes vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.
O mai! Quels delirants cul-nus!
Sevres, Meudon, Bagneux, Asnieres,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanieres!
Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boite a bougies
Et des yoles qui n'ont jam. . . jam. . .
Fendent le lac aux eaux rougies! . . .
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanieres[1]
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulieres.
Thiers et Picard sont des Eros
Des enleveurs d'heliotropes
Au petrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes. . .
Ils sont familiers du grand turc! . . .
Et couche dans les glaieuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements a poivre!
La Grand-Ville a le pave chaud
Malgre vos douches de petrole
Et decidement il nous faut
Nous secouer dans votre role. . .
Et les ruraux qui se prelassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.
[1] Quand viennent sur nos fourmilieres (_var. de l'auteur_).
MES PETITES AMOUREUSES
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou:
Sous l'arbre tendronnier qui bave
Vos caoutchoucs.
Blancs de lunes particulieres
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouilleres
Mes laiderons!
Nous nous aimions a cette epoque,
Bleu laideron:
On mangeait des oeufs a la coque
Et du mouron!
Un soir tu me sacras poete,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron;
J'ai degueule ta bandoline
Noir laideron;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah! nos salives dessechees
Roux laideron
Infectent encor les tranchees
De ton sein rond!
O mes petites amoureuses
Que je vous hais!
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tetons laids!
Pietinez mes vieilles terrines
De sentiment;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment! . . .
Vos omoplates se deboitent
O mes amours!
Une etoile a vos reins qui boitent
Tournez vos tours.
Est-ce pourtant pour ces eclanches
Que j'ai rime!
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aime!
Fade amas d'etoiles ratees
Comblez les coins
--Vous creverez en Dieu, batees
D'ignobles soins!
Sous les lunes particulieres
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillieres,
Mes laiderons!
LES POETES DE SEPT ANS
_A M. P. Demeny. _
Et la Mere, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminence,
L'ame de son enfant livree aux repugnances.
Tout le jour il suait d'obeissance; tres
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'acres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermes voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir; a la lampe
On le voyait, la-haut qui ralait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'ete
Surtout, vaincu, stupide, il etait entete
A se renfermer dans la fraicheur des latrines:
Il pensait la, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lave des odeurs du jour, le jardinet
Derriere la maison, en hiver s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterre dans la marne
Et pour des visions ecrasant son oeil darne,
Il ecoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitie! Ces enfants seuls etaient ses familiers
Qui, chetifs, fronts nus, oeil deteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue,
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris a des pities immondes,
Sa mere s'effrayait; les tendresses profondes
De l'enfant se jetaient sur cet etonnement.
C'etait bon. Elle avait le bleu regard,--qui ment!
A sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand desert, ou luit la Liberte ravie,
Forets, soleils, rives, savanes! --Il s'aidait
De journaux illustres ou, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
--Huit ans,--la fille des ouvriers d'a cote,
La petite brutale, et qu'elle avait saute,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il etait sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
--Et, par elle meurtri des poings et des talons
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de decembre,
Ou, pommade, sur un gueridon d'acajou,
Il lisait une Bible a la tranche vert-chou;
Des reves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcove.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Ou les crieurs, en trois roulements de tambour
Font autour des edits rire et gronder les foules.
--Il revait la prairie amoureuse, ou des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, acrement prise d'humidite,
Il lisait son roman sans cesse medite,
Plein de lourds ciels ocreux et de forets noyees,
De fleurs de chair aux bois siderals deployees,
Vertige, ecroulements, deroutes et pitie!
--Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas,--seul, et couche sur des pieces de toile
Ecrue, et pressentant violemment le voile!
26 mai 1871.
[Note (Project Gutenberg).
On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la derniere ligne du
poeme <
D'apres nos recherches, le poeme ecrit en 1871 se terminait en effet sur
les mots "la voile".
La presente edition de 1895 a ete corrigee de la main de Verlaine, sur
des epreuves fournies par l'imprimerie Ch. Herissey a Evreux. Il nous
est difficile de savoir pourquoi Verlaine a corrige <<la voile>> en <<le
voile>>, ou s'agit-il d'un moment d'inattention?
Ce qui est certain, notre edition marque bien <<le voile>>. ]
LE COEUR VOLE
Mon pauvre coeur bave a la poupe,
Mon coeur est plein de caporal;
Ils lui lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave a la poupe.
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire general,
Mon triste coeur brave a la poupe
Mon coeur est plein de caporal!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont deprave.
A la vespree, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques,
O flots abracadabrantesques
Prenez mon coeur, qu'il soit sauve!
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont deprave!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, o coeur vole?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques.
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon coeur triste est ravale:
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, o coeur vole?
TETE DE FAUNE
Dans la feuillee, ecrin vert tache d'or,
Dans la feuillee incertaine et fleurie,
D'enormes fleurs ou l'acre baiser dort
Vif et devant l'exquise broderie,
Le Faune affole montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa levre eclate en rires par les branches;
Et quand il a fui, tel un ecureuil,
Son rire perle encore a chaque feuille
Et l'on croit epeure par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
POISON PERDU
Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n'est reste;
Pas une dentelle d'ete,
Pas une cravate commune.
Et sur le balcon, ou le the
Se prend aux heures de la lune,
Il n'est reste de trace aucune,
Aucun souvenir n'est reste,
Au bord d'un rideau bleu piquee,
Luit une epingle a tete d'or
Comme un gros insecte qui dort,
Pointe d'un fin poison trempee,
Je te prends, sois-moi preparee
Aux heures des desirs de mort.
LES CORBEAUX
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus
Sur la nature defleurie,
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux delicieux.
Armee etrange aux cris severes,
Les vents froids attaquent vos nids!
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fosses et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez-vous!
Par milliers, sur les champs de France,
Ou dorment les morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense!
Sois donc le crieur du devoir,
O notre funebre oiseau noir!
Mais, saints du ciel, en haut du chene,
Mat perdu dans le soir charme,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaine,
Dans l'herbe d'ou l'on ne peut fuir,
La defaite sans avenir.
1872.
PATIENCE
_D'un ete. _
Aux branches claires des tilleurs
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevetrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
Azur et Onde communient.
Je sors! Si un rayon me blesse,
Je succomberai sur la mousse.
Qu'on patiente et qu'on s'ennuie,
C'est si simple! . . . Fi de ces peines!
Je veux que l'ete dramatique
Me lie a son char de fortune.
Que par toi beaucoup, o Nature,
--Ah! moins nul et moins seul! je meure,
Au lieu que les bergers, c'est drole,
Meurent a peu pres par le monde.
Je veux bien que les saisons m'usent.
A toi, Nature! je me rends,
Et ma faim et toute ma soif;
Et s'il te plait, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m'illusionne;
C'est rire aux parents qu'au soleil;
Mais moi je ne veux rire a rien,
Et libre soit cette infortune.
JEUNE MENAGE
La chambre est ouverte au ciel bleu turquin;
Pas de place: des coffrets et des huches!
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Ou vibrent les gencives des lutins.
Que ce sont bien intrigues de genies
Cette depense et ces desordres vains!
C'est la fee africaine qui fournit
La mure, et les resilles dans les coins.
Plusieurs entrent, marraines mecontentes,
En pans de lumiere dans les buffets,
Puis y restent! le menage s'absente
Peu serieusement, et rien ne se fait.
Le marie a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Meme des esprits des eaux malfaisants
Entrent vaguer aux spheres de l'alcove.
La nuit, l'amie oh, la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.
--S'il n'arrive pas un feu follet bleme,
Comme un coup de fusil, apres des vepres.
--O spectres saints et blancs de Bethleem,
Charmez plutot le bleu de leur fenetre!
27 juin 1872.
MEMOIRE
I
L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance;
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
La soie, en foule et de lys pur des oriflammes
Sous les murs dont quelque pucelle eut la defense;
L'ebat des anges;--non. . . le courant d'or en marche,
Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle,
Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle
Pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.
II
Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides!
L'eau meuble d'or pale et sans fond les couches pretes.
Les robes vertes et deteintes des fillettes
Font les saules, d'ou sautent les oiseaux sans brides.
Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupiere
Le souci d'eau--ta foi conjugale, o l'Epouse! --
Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
Au ciel gris de chaleur la sphere rose et chere.
III
Madame se tient trop debout dans la prairie
Prochaine ou neigent les fils du travail; l'ombrelle
Aux doigts; foulant l'ombelle; trop fiere pour elle
Des enfants lisant dans la verdure fleurie
Leur livre de maroquin rouge! Helas, Lui, comme
Mille anges blancs qui se separent sur la route,
S'eloigne par dela la montagne! Elle, toute
Froide, et noire, court! apres le depart de l'homme!
IV
Regrets des bras epais et jeunes d'herbe pure!
Or des lunes d'avril au coeur du saint lit! Joie
Des chantiers riverains a l'abandon, en proie
Aux soirs d'aout qui faisaient germer ces pourritures!
Qu'elle pleure a present sous les remparts: l'haleine
Des peupliers d'en haut est pour la seule brise.
Amis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise--
Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine.
V
Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre,
O canot immobile! o bras trop courts! ni l'une
Ni l'autre fleur; ni la jaune qui m'importune,
La; ni la bleue, amis, a l'eau couleur de cendre.
Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue!
Les roses des roseaux des longtemps devorees! . . .
Mon canot toujours fixe; et sa chaine tiree
Au fond de cet oeil d'eau sans bords--a quelle boue?
Est-elle almee? . . . aux premieres heures bleues
Se detruira-t-elle comme les fleurs feues. . .
Devant la splendide etendue ou l'on sente
Souffler la ville enormement florissante!
C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est necessaire
--Pour la Pecheuse et la chanson du corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fetes de nuit sur la mer pure!
Juillet 1872
FETES DE LA FAIM
Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton ane.
Si j'ai du gout, ce n'est gueres
Que pour la terre et les pierres
Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l'air,
Le roc, les terres, le fer,
Charbons.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pre des sons!
Attirez le gai venin
Des liserons;
Mangez les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'eglises,
Les galets, fils des deluges,
Pains couches aux vallees grises!
Des faims, c'est les bouts d'air noir;
L'azur sonneur;
--C'est l'estomac qui me tire,
C'est le malheur.
Sur terre ont paru les feuilles:
Je vais aux chairs de fruit blettes,
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.
Ma faim, Anne, Anne!
Fuis sur ton ane.
Aout 1872.
PROSE
I
FLAIRY
Pour Helene se conjurerent les seves ornementales dans les ombres
vierges et les clartes impassibles dans le silence astral. L'ardeur de
l'ete fut confiee a des oiseaux muets et l'indolence requise a une
barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums
affaisses.
Apres le moment de l'air des bucheronnes a la rumeur du torrent sous la
ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux a l'echo des vals, et des
cris des steppes.
Pour l'enfance d'Helene frissonnerent les fourres et les ombres, et le
sein des pauvres, et les legendes du ciel.
Et ses yeux et sa danse superieurs encore aux eclats precieux, aux
influences froides, au plaisir du decor et de l'heure uniques.
II
GUERRE
Enfant, certains ciels ont affine mon optique, tous les caracteres
nuancerent ma physionomie. Les phenomenes s'emurent. A present
l'inflexion eternelle des moments de l'infini des mathematiques me
chassent par ce monde ou je subis tous les succes civils, respecte de
l'enfance etrange et des affections enormes. Je songe a une guerre, de
droit ou de force, de logique bien imprevue.
C'est aussi simple qu'une phrase musicale.
III
GENIE
Il est l'affection et le present puisqu'il a fait la maison ouverte a
l'hiver ecumeux et a la rumeur de l'ete, lui qui a purifie les boissons
et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyant et le delice
surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et
l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons
passer dans le ciel de tempete et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et reinventee, raison merveilleuse et
imprevue, et l'eternite: machine aimee des qualites fatales. Nous avons
tous eu l'epouvante de sa concession et de la notre: o jouissance de
notre sante, elan de nos facultes, affection egoiste et passion pour
lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie. . .
Et nous nous le rappelons et il voyage. . . Et si l'Adoration s'en va,
sonne, sa promesse sonne: <<Arriere ces superstitions, ces anciens corps,
ces menages et ces ages. C'est cette epoque-ci qui a sombre! >>
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas
la redemption des coleres de femmes et des gaites des hommes et de tout
ce peche: car c'est fait, lui etant, et etant aime.
O ses souffles, ses tetes, ses courses; la terrible celerite de la
perfection des formes et de l'action.
O fecondite de l'esprit et immensite de l'univers!
Son corps! Le degagement reve le brisement de la grace croisee de
violence nouvelle! sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les
peines _releves_ a sa suite.
Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la
musique plus intense.
Son pas! les migrations plus enormes que les anciennes invasions.
O Lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les charites perdues.
O monde! et le chant clair des malheurs nouveaux!
Il nous a connus tous et nous a tous tous aime. Sachons, cette nuit
d'hiver, de cap en cap, du pole tumultueux au chateau, de la foule a la
plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le heler et le
voir, et le renvoyer, et sous les marees et au haut des deserts de
neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.
IV
JEUNESSE
I
DIMANCHE
Les calculs de cote, l'inevitable descente du ciel, la visite des
souvenirs et la seance des rythmes occupent la demeure, la tete et le
monde de l'esprit.
--Un cheval detale sur le turf suburbain, le long des cultures et des
boisements, perce par la peste carbonique. Une miserable femme de drame,
quelque part dans le monde soupire apres les abandons improbables. Les
desperadves languissent apres l'orage, l'ivresse et les blessures. De
petits enfants etouffent des maledictions le long des rivieres.
Reprenons l'etude au bruit de l'oeuvre devorante qui se rassemble et se
monte dans les masses.
II
SONNET
_Homme_ de constitution ordinaire, la chair n'etait-elle pas un fruit
pendu dans le verger, o journees enfantes! le corps un tresor a
prodiguer; o aimer, le peril ou la force de Psyche? La terre avait des
versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la
race nous poussaient aux crimes et aux deuils: ce monde votre fortune et
votre peril. Mais a present, le labeur comble, toi, tes calculs, toi,
tes impatiences, ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixees
et point forcees, quoique d'un double evenement d'invention et de succes
une liaison, en l'humanite fraternelle est discrete par l'univers sans
images;--la force et le droit reflechissent la danse et la voix a
present seulement appreciees.
III
VINGT ANS
Les voix instructives exilees. . . L'ingenuite physique amerement
rassise. . . Adagio. Ah! l'egoisme infini de l'adolescence, l'optimisme
studieux: que le monde etait plein de fleurs cet ete! Les airs et les
formes mourant. . . Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence! Un
choeur de verres de melodies nocturnes. . . En effet les nerfs vont vite
chasser.
IV
Tu en es encore a la tentation d'Antoine. L'ebat du zele ecourte, les
tics d'orgueil, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras a ce
travail: toutes les possibilites harmoniques et architecturales
s'emouvront autour de ton siege. Des etres parfaits, imprevus,
s'offriront a tes experiences. Dans tes environs affluera reveusement la
curiosite d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta memoire et tes sens
ne seront que la nourriture de ton impulsion creatrice. Quant au monde,
quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des
apparences actuelles.
V
SOLDES
A vendre ce que les Juifs n'ont pas vendus, ce que noblesse ni crime
n'ont goute, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probite infernale des
masses; ce que le temps ni la science n'ont pas a reconnaitre:
Les voix reconstituees; l'eveil fraternel de toutes les energies
chorales et orchestrales, et leurs applications instantanees,
l'occasion, unique, de degager nos sens!
A vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout
sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant a chaque demarche!
Solde de diamants sans controle!
A vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction irrepressible pour
les amateurs superieurs; la mort atroce pour les fideles et les amants!
A vendre les habitations et les migrations, sports, feeries et conforts
parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font:
A vendre les applications de calcul et sauts d'harmonie inouis. Les
trouvailles et les termes non soupconnes, possession immediate.
Elan insense et infini aux splendeurs et invisibles aux delices
insensibles, et ses secrets affolants pour chaque vice, et sa gaite
effroyante pour la foule.
A vendre les corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce
qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas a bout de solde! Les
voyageurs n'ont pas a rendre leur commission de sitot!
TABLE
PREFACE
Les etrennes des orphelins
Voyelles
Oraison du soir
Les assis
Les effares
Les chercheuses de poux
Bateau ivre
Premieres communions
L'orgie parisienne ou Paris se repeuple
Accroupissements
Les pauvres a l'eglise
Ce qui retient Nina
Venus Anadyomene
Morts de quatre-vingt-douze
Comedie en trois baisers
Sensation
Bal des pendus
Roman
Rages de Cesars
Le mal
Ophelie
Le chatiment de Tartufe
A la musique
Le forgeron
Soleil et chair
Le dormeur du Val
Au Cabaret Vert
La Maline
L'eclatante victoire de Sarrebruck
Reve pour l'hiver
Le buffet
Ma boheme
Entends comme Brame
Chant de guerre parisien
Mes petites amoureuses
Les poetes de sept ans
Le coeur vole
Tete de faune
Poison perdu
Les corbeaux
Patience
Jeune menage
Memoire
. . . Est-elle almee?
Fetes de la faim (variante)
PROSE
Fairy
Guerre
Genie
Jeunesse
I.
