On peut diviser, ce me semble, en trois classes
principales
les
diffe?
diffe?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
couvert avec ravissement le riche
apanage de cette croyance, la chaleur vivifiante de cette fontaine
<< de naphthe.
Un songe.
<< Lorsque, dans l'enfance, on nous raconte que vers minuit,
<< a` l'heure ou` le sommeil atteint notre a^me de si pre`s , les songes
deviennent plus sinistres, les morts se rele`vent, et, dans les
e? glises solitaires, contrefont les pieuses pratiques des vivants,
la mort nous effraye a` cause des morts. Quand l'obscurite? s'ap-
>>proche, nous de? tournons nos regards de l'e? glise et de ses noirs
<< vitraux; les terreurs de l'enfance, plus encore que ses plai-
<< sirs, reprennent des ailes pour voltiger autour de nous, pen-
<< dant la nuit le? ge`re de l'a^me assoupie. Ah! n'e? teignez pas ces
<< e? tincelles; laissez-nous nos songes, me^me les plus sombres.
<< lis sont encore plus doux que notre existence actuelle; ils nous
rame`nent a` cet a^ge ou` le fleuve de la vie re? fle? chit encore le ciel. << Un soir d'e? te? , j'e? tais couche? sur le sommet d'une colline;
<< je m'y endormis, et je re^vai que je me re? veillais au milieu de la
nuit dans un cimetie`re. L'horloge sonnait onze heures. Toutes
les tombes e? taient entr'ouvertes, et les portes de fer de l'e? glise,
agite? es par une main invisible, s'ouvraient et se refermaient
a` grand bruit. Je voyais sur les murs s'enfuir des ombres, qui
n'y e? taient projete? es par aucun corps : d'autres ombres livides
<< s'e? levaient dans les airs, et les enfants seuls reposaient encore
dans les cercueils. 11 y avait dans le ciel comme un nuage gri-
<< sa^tre, lourd, e? touffant, qu'un fanto^me gigantesque serrait et
pressait a` longs plis. Au-dessus de moi, j'entendais la chute
lointaine des avalanches, et sous mes pas la premie`re cqmmo-
<< tion d'un vaste tremblement de terre. Toute l'e? glise vacillait,
et l'air e? tait e? branle? par des sons de? chirants qui cherchaient
vainement a` s'accorder. Quelques pa^les e? clairs jetaient une
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? 352 DES ROMANS.
<< lueur sombre. Je me sentis pousse? par la terreur me^me, a` cher-
'cher un abri dans le temple : deux basilics e? tincelants e? taient
<< place? s devant ses portes redoutables.
<< J'avanc? ai parmi la foule des ombres inconnues, sur qui le
<< sceau des vieux sie`cles e? tait imprime? ; toutes ces ombres se pres-
<<saient autour de l'autel de? pouille? , et leur poitrine seule respi-
<<rait et s'agitait avec violence; un mort seulement, qui depuis
peu e? tait enterre? dans l'e? glise, reposait sur son linceul ; il n'y
<< avait point encore de battement dans son sein, et un songe
heureux faisait sourire son visage; mais a` l'approche d'un vi-
<< vantil s'e? veilla, cessa de sourire, ouvrit avec un pe? nible ef-
<< fort ses paupie`res engourdies; la place de l'oeil e? tait vide, et a`
<< celle du coeur il n'y avait qu'une profonde blessure; il souleva
<< ses mains, les joignit pour prier; mais ses bras s'allonge`rent
<< se de? tache`rent du corps, et les mains jointes tombe`rent a` terre.
<< Au bout de la vou^te de l'e? glise e? tait le cadran de l'e? ternite? ;
<< on n'y voyait ni chiffres ni aiguilles, mais une main noire en
faisait le tour avec lenteur, et les morts s'efforc? aient d'y lire le
temps.
<< Alors descendit des hauts lieux sur l'autel une figure rayon-
<< nante, noble, e? leve? e, et qui portait l'empreinte d'une impe? ris-
<< sable douleur; les morts s'e? crie`rent: -- O Christ! n'est-il point
<< de Dieu? -- Il re? pondit : -- Il n'en est point. -- Toutes les
ombres se prirent a` trembler avec violence, et le Christ conti-
<<nua ainsi: -- J'ai parcouru les mondes, je me suis e? leve? au-
<<dessus des soleils, et la` aussi il n'est point de Dieu; je suis des-
<< cendu jusqu'aux dernie`res limites de l'univers, j'ai regarde?
dans l'abi^me et je me suis e? crie? : -- Pe`re, ou` es,tu ? -- Mais je
n'ai entendu que la pluie qui tombait goutte a` goutte dans l'a-
<< bi^me, et l'e? ternelle tempe^te, que nul ordre ne re? git, m'a seule
<< re? pondu. Relevant ensuite mes regards vers la vou^te des cieux,
<< je n'y ai trouve? qu'un orbite vide, noir et sans fond. L'e? ternite?
<< reposait sur le chaos et le rongeait, et se de? vorait lentement
<< elle-me^me : redoublez vos plaintes ame`res et de? chirantes; que
des cris aigus dispersent les ombres, car c'en est fait. --
<< Les ombres de? sole? es s'e? vanouirent comme la vapeur blan-
<< cha^tre que le froid a condense? e; l'e? glise fut biento^t de? serte;
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES HISTORIENS ALLEMANDS. 353
,i mais tout a` coup, spectacle affreux! les enfants morts, qui
<< s'e? taient re? veille? s a` leur tour dans le cimetie`re , accoururent
<< et se prosterne`rent devant la figure majestueuse qui e? tait sur
<< l'autel , et dirent : -- Je? sus , n'avons-nous pas de pe`re? -- Et
<< il re? pondit avec un torrent de larmes : -- Nous sommes tous
<< orphelins; moi et vous , nous n'avons point de pe`re. --A ces
. . mots , le temple et les enfants s'abi^me`rent , et tout l'e? difice du
<< monde s'e? croula devant moi dans son immensite? . >>
Je n'ajouterai point de re? flexions a` ce morceau , dont l'effet
de? pend absolument du genre d'imagination des lecteurs. Le
sombre talent qui s'y manifeste m'a frappe? e, et il me parai^t beau
de transporter ainsi au dela` de la tombe l'horrible effroi que doit
e? prouver la cre? ature prive? e de Dieu.
On n'en finirait point, si l'on voulait analyser la foule de
romans spirituels et touchants que l'Allemagne posse`de. Ceux
de Lafontaine en particulier, que tout le monde lit au moins
une fois avec tant de plaisir, sont en ge? ne? ral plus inte? ressants
parles de? tails que par la conception me^me du sujet. Inventer
devient tous les jours plus rare, et d'ailleurs il est tre`s-difficile
que les romans qui peignent les moeurs puissent plaire d'un
pays a` l'autre. Le grand avantage donc qu'on peut retirer de
l'e? tude de la litte? rature allemande, c'est le mouvement d'e? mu-
lation qu'elle donne; il faut y chercher des forces pour compo-
ser soi-me^me, pluto^t que des ouvrages tout faits qu'on puisse
transporter ailleurs. /
CHAPITRE XXIX.
De& historiens allemands, et de J. de Millier en particulier.
L'histoire est dans la litte? rature ce qui touche de plus pre`s a` la
connaissance des affaires publiques: c'est presque un homme
d'E? tat qu'un grand historien; car il est difficile de bien juger les
e? ve? nements politiques, sans e^tre, jusqu'a` un certain point, ca-
pable de les diriger soi-me^me; aussi voit-on que la plupart des
historiens sont a` la hauteur du gouvernement de leur pays, et
n'e? crivent gue`re que comme ils pourraient agir. Les historiens
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? ::', I DES IIIMOllILA-. ALLEMANDS.
de l'antiquite? sont les premiers de tous, parce qu'il n'est point
d'e? poque ou` les hommes supe? rieurs aient exerce? plus d'ascendant
sur leur patrie. Les historiens anglais occupent le second rang;
c'est la nation en Angleterre, plus encore que tel ou tel homme,
qui a de la grandeur; aussi les historiens y sont-ils moins dra-
matiques, mais plus philosophes que les anciens. Les ide? es ge? -
ne? rales ont, chez les Anglais,plus d'importance que les indi-
vidus. En Italie, le seul Machiavel, parmi les historiens, a
conside? re? les e? ve? nements de son pays d'une manie`re universelle,
mais terrible; tous les autres ont vu le monde dans leur ville:
ce patriotisme, quelque resserre? qu'il soit, donne encore de l'in-
te? re^t et du mouvement aux e? crits des Italiens '. On a remarque? de tout temps que les me? moires valaient beaucoup mieux en
France que les histoires; les intrigues de cour disposaient jadis
du sort du royaume; il e? tait donc naturel que dans un tel pays
les anecdotes particulie`res renfermassent le secret de l'his-
toire.
C'est sous le point de vue litte? raire qu'il faut conside? rer les
historiens allemands; l'existence politique du pays n'a point eu jusqu'a` pre? sent assez de force pour donner en ce genre un carac-
te`re national aux e? crivains. Le talent particulier a` chaque homme
et les principes ge? ne? raux de l'art d'e? crire l'histoire ont seuls in-
flue? sur les productions de l'esprit humain dans cette carrie`re.
On peut diviser, ce me semble, en trois classes principales les
diffe? rents e? crits historiques publie? s en Allemagne: l'histoire
savante, l'histoire philosophique, et l'histoire classique, entant
que l'acception de ce mot est borne? e a` l'art de raconter, tel que
les anciens l'ont conc? u.
L'Allemagne abonde en historiens savants, tels que Mascou,
Schoepflin, Schlcezer, Gatterer, Schmidt, etc. lisent fait des
recherches immenses, et nous ont donne? des ouvrages ou` tout
se trouve pour qui sait les e? tudier; mais de tels e? crivains ne sont
bons qu'a` consulter, et leurs travaux seraient les plus estimables
et les plus ge? ne? reux de tous, s'ils avaient eu seulement pour
1 M. de Sismondi a su faire revivre ces inte? re^ts partiels des re? publiques ita-
liennes, en les rattachant aux grandes questions qui inte? ressent l'humanite?
tout cntiiTc.
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? DES HISTORIENS ALLEMANDS: 355
but d'e? pargner de la peine aux hommes de ge? nie qui veulent e? crire
l'histoire.
Schiller est a` la te^te des historiens philosophiques, c'est-a`-dire
de ceux qui conside`rent les faits comme des raisonnements a`
l'appui de leurs opinions. La re? volution des Pays-Bas se lit
comme un plaidoyer plein d'inte? re^t et de chaleur. La guerre de
trente ans est l'une des e? poques dans laquelle la nation allemande
a montre? le plus d'e? nergie. Schiller en a fait l'histoire avec un
sentiment de patriotisme et d'amour pour les lumie`res et pour la
liberte? , qui honore tout a` la fois son a^me et son ge? nie; les traits
avec lesquels il caracte? rise les principaux personnages, sont
d'une e? tonnante supe? riorite? , et toutes ses re? flexions naissent du
recueillement d'une a^me e? leve? e; mais les Allemands reprochent
a` Schiller de n'avoir pas assez e? tudie? les faits dans leurs sources;
il ne pouvait suffire a` toutes les carrie`res auxquelles ses rares
talents l'appelaient, et son histoire n'est pas fonde? e sur une e? ru-
dition assez e? tendue. Ce sont les Allemands, j'ai souvent eu
occasion de le dire, qui ont senti les premiers tout le parti que
l'imagination pouvait tirer de l'e? rudition; les circonstances de
de? tail donnent seules de la couleur et de la vie a` l'histoire; on
ne trouve gue`re a` la superficie des connaissances qu'un pre? texte
pour le raisonnement et l'esprit.
L'histoire de Schiller a e? te? e? crite dans cette e? poque du dix-huitie`me sie`cle ou` l'on faisait de tout des armes, et son style se
sent un peu du genre pole? mique qui re? gnait alors dans la plu-
part des e? crits. Mais quand le but qu'on se propose est la tole? -
rance et la liberte? , et que l'on y tend par des moyens et des
sentiments aussi nobles que ceux de Schiller, on compose tou-
jours un bel ouvrage, quand me^me on pourrait de? sirer, dans la
part accorde? e aux faits et aux re? flexions, quelque chose de plus
ou de moins e? tendu '.
Par un contraste singulier, c'est Schiller, le grand auteur
dramatique, qui a mis peut-e^tre trop de philosophie, et par con-
'On ne peut oublier, parmi les historiens philosophiques, M. Heeren, qui
>>icnt de publier des Conside? rations sur les Croisades , dans lesquelles une
parfaite impartialite? est le re? sultat des connaissanees les plus rares et de la
force de la raison.
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? :U,'j IH-. HISTORIENS ALLEMANDS.
se? quent trop d'ide? es ge? ne? rales dans ses re? cits, et c'est Mu`lier, le
plus savant des historiens, qui a e? te? vraiment poete dans sa
manie`re de peindre les e? ve? nements et les hommes. 11 faut distin-
guer dans l'Histoire de la Suisse l'e? rudit et l'e? crivain d'un grand
talent: ce n'est qu'ainsi, ce me semble, qu'on peut parvenir a`
rendre justice a` Mu`ller. C'e? tait un homme d'un savoir inoui? , et
ses faculte? s en ce genre faisaient vraiment peur. On ne conc? oit
pas comment la te^te d'un homme a pu contenir ainsi un monde
de faits et de dates. Les six mille ans a` nous connus e? taient par-
faitement range? s dans sa me? moire, et ses e? tudes avaient e? te? si
profondes qu'elles e? taient vives comme des souvenirs. Il n'y a
pas un village de Suisse, pas une famille noble dont il ne su^t
l'histoire. Un jour, en conse? quence d'un pari, on lui demanda
la suite des comtes souverains du Bugey; il les dit a` l'instant
me^me, seulement il ne se rappelait pas bien si l'un de ceux qu'il
nommait avait e? te? re? gent ou re? gnant en titre, et il se faisait se? -
rieusement des reproches d'un tel manque de me? moire. Les hom-
mes de ge? nie, parmi les anciens, n'e? taient point asservis a` cet
immense travail d'e? rudition qui s'augmente avec les sie`cles, et
leur imagination n'e? tait point fatigue? e par l'e? tude. Il en cou^te
plus pour se distinguer de nos jours, et l'on doit du respect au
labeur immense qu'il faut pour se mettre en possession du sujet
que l'on veut traiter.
La mort de ce Mu`lier, dont la vie peut e^tre diversement juge? e,
est une perte irre? parable, et l'on croit voir pe? rir plus qu'un
homme, quand de telles faculte? s s'e? teignent '.
Mu`ller, qu'on peut conside? rer comme le ve? ritable historien
classique d'Allemagne, lisait habituellement les auteurs grecs et
latins dans leur langue originale; il cultivait la litte? rature et les
arts pour les faire servir a` l'histoire. Son e? rudition sans bornes,
loin de nuire a` sa vivacite? naturelle, e? tait comme la base d'ou`
'Parmi les disciples de Muller le baron de Ilormayr, qui a e? crit le Plutar-
que . Autrichien, doit e^tre conside? re? comme l'un des premiers ; on sent i|uc
son histoire est compose? e , non d'apre? s des livres, mais sur les manuscrits
originaux. Le docteur Decarro , un savant Genevois e? tabli a` Vienne, et dont
l'activite? bienfaisante a porte? la de? couverte de la vaccine jusqu'en Asie, Va
faire parai^tre une Iraihiction de ces Vies des Grands Hommes d'Autrictie.
qui doit exciter le plus grand inte? re^t.
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? DES HISTORIENS ALLEMANDS. 357
son imagination prenait l'essor, et la ve? rite? vivante de ses ta-
bleaux tenait a` leur fide? lite? scrupuleuse; mais s'il savait admira-
blement se servir de l'e? rudition, il ignorait l'art de s'en de? gager
quand il le fallait. Son histoire est beaucoup trop longue, il n'en
a pas assez resserre? l'ensemble. Les de? tails sont ne? cessaires pour
donner de l'inte? re^t au re? cit des e? ve? nements; mais on doit choisir
parmi les e? ve? nements ceux qui me? ritent d'e^tre raconte? s.
L'ouvrage de Mu`ller est une chronique e? loquente; si pour-
tant toutes les histoires e? taient ainsi conc? ues, la vie de l'homme
se consumerait tout entie`re a` lire la vie des hommes. Il serait
donc a` souhaiter que Mu^ller ne se fu^t pas laisse? se? duire par l'e? -
tendue me^me de ses connaissances. Ne? anmoins les lecteurs, qui
ont d'autant plus de temps a` donner qu'ils l'emploient mieux,
se pe? ne? treront toujours avec un plaisir nouveau de ces illustres
annales de la Suisse. Les discours pre? liminaires sont des chefs-
d'oeuvre d'e?
apanage de cette croyance, la chaleur vivifiante de cette fontaine
<< de naphthe.
Un songe.
<< Lorsque, dans l'enfance, on nous raconte que vers minuit,
<< a` l'heure ou` le sommeil atteint notre a^me de si pre`s , les songes
deviennent plus sinistres, les morts se rele`vent, et, dans les
e? glises solitaires, contrefont les pieuses pratiques des vivants,
la mort nous effraye a` cause des morts. Quand l'obscurite? s'ap-
>>proche, nous de? tournons nos regards de l'e? glise et de ses noirs
<< vitraux; les terreurs de l'enfance, plus encore que ses plai-
<< sirs, reprennent des ailes pour voltiger autour de nous, pen-
<< dant la nuit le? ge`re de l'a^me assoupie. Ah! n'e? teignez pas ces
<< e? tincelles; laissez-nous nos songes, me^me les plus sombres.
<< lis sont encore plus doux que notre existence actuelle; ils nous
rame`nent a` cet a^ge ou` le fleuve de la vie re? fle? chit encore le ciel. << Un soir d'e? te? , j'e? tais couche? sur le sommet d'une colline;
<< je m'y endormis, et je re^vai que je me re? veillais au milieu de la
nuit dans un cimetie`re. L'horloge sonnait onze heures. Toutes
les tombes e? taient entr'ouvertes, et les portes de fer de l'e? glise,
agite? es par une main invisible, s'ouvraient et se refermaient
a` grand bruit. Je voyais sur les murs s'enfuir des ombres, qui
n'y e? taient projete? es par aucun corps : d'autres ombres livides
<< s'e? levaient dans les airs, et les enfants seuls reposaient encore
dans les cercueils. 11 y avait dans le ciel comme un nuage gri-
<< sa^tre, lourd, e? touffant, qu'un fanto^me gigantesque serrait et
pressait a` longs plis. Au-dessus de moi, j'entendais la chute
lointaine des avalanches, et sous mes pas la premie`re cqmmo-
<< tion d'un vaste tremblement de terre. Toute l'e? glise vacillait,
et l'air e? tait e? branle? par des sons de? chirants qui cherchaient
vainement a` s'accorder. Quelques pa^les e? clairs jetaient une
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 352 DES ROMANS.
<< lueur sombre. Je me sentis pousse? par la terreur me^me, a` cher-
'cher un abri dans le temple : deux basilics e? tincelants e? taient
<< place? s devant ses portes redoutables.
<< J'avanc? ai parmi la foule des ombres inconnues, sur qui le
<< sceau des vieux sie`cles e? tait imprime? ; toutes ces ombres se pres-
<<saient autour de l'autel de? pouille? , et leur poitrine seule respi-
<<rait et s'agitait avec violence; un mort seulement, qui depuis
peu e? tait enterre? dans l'e? glise, reposait sur son linceul ; il n'y
<< avait point encore de battement dans son sein, et un songe
heureux faisait sourire son visage; mais a` l'approche d'un vi-
<< vantil s'e? veilla, cessa de sourire, ouvrit avec un pe? nible ef-
<< fort ses paupie`res engourdies; la place de l'oeil e? tait vide, et a`
<< celle du coeur il n'y avait qu'une profonde blessure; il souleva
<< ses mains, les joignit pour prier; mais ses bras s'allonge`rent
<< se de? tache`rent du corps, et les mains jointes tombe`rent a` terre.
<< Au bout de la vou^te de l'e? glise e? tait le cadran de l'e? ternite? ;
<< on n'y voyait ni chiffres ni aiguilles, mais une main noire en
faisait le tour avec lenteur, et les morts s'efforc? aient d'y lire le
temps.
<< Alors descendit des hauts lieux sur l'autel une figure rayon-
<< nante, noble, e? leve? e, et qui portait l'empreinte d'une impe? ris-
<< sable douleur; les morts s'e? crie`rent: -- O Christ! n'est-il point
<< de Dieu? -- Il re? pondit : -- Il n'en est point. -- Toutes les
ombres se prirent a` trembler avec violence, et le Christ conti-
<<nua ainsi: -- J'ai parcouru les mondes, je me suis e? leve? au-
<<dessus des soleils, et la` aussi il n'est point de Dieu; je suis des-
<< cendu jusqu'aux dernie`res limites de l'univers, j'ai regarde?
dans l'abi^me et je me suis e? crie? : -- Pe`re, ou` es,tu ? -- Mais je
n'ai entendu que la pluie qui tombait goutte a` goutte dans l'a-
<< bi^me, et l'e? ternelle tempe^te, que nul ordre ne re? git, m'a seule
<< re? pondu. Relevant ensuite mes regards vers la vou^te des cieux,
<< je n'y ai trouve? qu'un orbite vide, noir et sans fond. L'e? ternite?
<< reposait sur le chaos et le rongeait, et se de? vorait lentement
<< elle-me^me : redoublez vos plaintes ame`res et de? chirantes; que
des cris aigus dispersent les ombres, car c'en est fait. --
<< Les ombres de? sole? es s'e? vanouirent comme la vapeur blan-
<< cha^tre que le froid a condense? e; l'e? glise fut biento^t de? serte;
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES HISTORIENS ALLEMANDS. 353
,i mais tout a` coup, spectacle affreux! les enfants morts, qui
<< s'e? taient re? veille? s a` leur tour dans le cimetie`re , accoururent
<< et se prosterne`rent devant la figure majestueuse qui e? tait sur
<< l'autel , et dirent : -- Je? sus , n'avons-nous pas de pe`re? -- Et
<< il re? pondit avec un torrent de larmes : -- Nous sommes tous
<< orphelins; moi et vous , nous n'avons point de pe`re. --A ces
. . mots , le temple et les enfants s'abi^me`rent , et tout l'e? difice du
<< monde s'e? croula devant moi dans son immensite? . >>
Je n'ajouterai point de re? flexions a` ce morceau , dont l'effet
de? pend absolument du genre d'imagination des lecteurs. Le
sombre talent qui s'y manifeste m'a frappe? e, et il me parai^t beau
de transporter ainsi au dela` de la tombe l'horrible effroi que doit
e? prouver la cre? ature prive? e de Dieu.
On n'en finirait point, si l'on voulait analyser la foule de
romans spirituels et touchants que l'Allemagne posse`de. Ceux
de Lafontaine en particulier, que tout le monde lit au moins
une fois avec tant de plaisir, sont en ge? ne? ral plus inte? ressants
parles de? tails que par la conception me^me du sujet. Inventer
devient tous les jours plus rare, et d'ailleurs il est tre`s-difficile
que les romans qui peignent les moeurs puissent plaire d'un
pays a` l'autre. Le grand avantage donc qu'on peut retirer de
l'e? tude de la litte? rature allemande, c'est le mouvement d'e? mu-
lation qu'elle donne; il faut y chercher des forces pour compo-
ser soi-me^me, pluto^t que des ouvrages tout faits qu'on puisse
transporter ailleurs. /
CHAPITRE XXIX.
De& historiens allemands, et de J. de Millier en particulier.
L'histoire est dans la litte? rature ce qui touche de plus pre`s a` la
connaissance des affaires publiques: c'est presque un homme
d'E? tat qu'un grand historien; car il est difficile de bien juger les
e? ve? nements politiques, sans e^tre, jusqu'a` un certain point, ca-
pable de les diriger soi-me^me; aussi voit-on que la plupart des
historiens sont a` la hauteur du gouvernement de leur pays, et
n'e? crivent gue`re que comme ils pourraient agir. Les historiens
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ::', I DES IIIMOllILA-. ALLEMANDS.
de l'antiquite? sont les premiers de tous, parce qu'il n'est point
d'e? poque ou` les hommes supe? rieurs aient exerce? plus d'ascendant
sur leur patrie. Les historiens anglais occupent le second rang;
c'est la nation en Angleterre, plus encore que tel ou tel homme,
qui a de la grandeur; aussi les historiens y sont-ils moins dra-
matiques, mais plus philosophes que les anciens. Les ide? es ge? -
ne? rales ont, chez les Anglais,plus d'importance que les indi-
vidus. En Italie, le seul Machiavel, parmi les historiens, a
conside? re? les e? ve? nements de son pays d'une manie`re universelle,
mais terrible; tous les autres ont vu le monde dans leur ville:
ce patriotisme, quelque resserre? qu'il soit, donne encore de l'in-
te? re^t et du mouvement aux e? crits des Italiens '. On a remarque? de tout temps que les me? moires valaient beaucoup mieux en
France que les histoires; les intrigues de cour disposaient jadis
du sort du royaume; il e? tait donc naturel que dans un tel pays
les anecdotes particulie`res renfermassent le secret de l'his-
toire.
C'est sous le point de vue litte? raire qu'il faut conside? rer les
historiens allemands; l'existence politique du pays n'a point eu jusqu'a` pre? sent assez de force pour donner en ce genre un carac-
te`re national aux e? crivains. Le talent particulier a` chaque homme
et les principes ge? ne? raux de l'art d'e? crire l'histoire ont seuls in-
flue? sur les productions de l'esprit humain dans cette carrie`re.
On peut diviser, ce me semble, en trois classes principales les
diffe? rents e? crits historiques publie? s en Allemagne: l'histoire
savante, l'histoire philosophique, et l'histoire classique, entant
que l'acception de ce mot est borne? e a` l'art de raconter, tel que
les anciens l'ont conc? u.
L'Allemagne abonde en historiens savants, tels que Mascou,
Schoepflin, Schlcezer, Gatterer, Schmidt, etc. lisent fait des
recherches immenses, et nous ont donne? des ouvrages ou` tout
se trouve pour qui sait les e? tudier; mais de tels e? crivains ne sont
bons qu'a` consulter, et leurs travaux seraient les plus estimables
et les plus ge? ne? reux de tous, s'ils avaient eu seulement pour
1 M. de Sismondi a su faire revivre ces inte? re^ts partiels des re? publiques ita-
liennes, en les rattachant aux grandes questions qui inte? ressent l'humanite?
tout cntiiTc.
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? DES HISTORIENS ALLEMANDS: 355
but d'e? pargner de la peine aux hommes de ge? nie qui veulent e? crire
l'histoire.
Schiller est a` la te^te des historiens philosophiques, c'est-a`-dire
de ceux qui conside`rent les faits comme des raisonnements a`
l'appui de leurs opinions. La re? volution des Pays-Bas se lit
comme un plaidoyer plein d'inte? re^t et de chaleur. La guerre de
trente ans est l'une des e? poques dans laquelle la nation allemande
a montre? le plus d'e? nergie. Schiller en a fait l'histoire avec un
sentiment de patriotisme et d'amour pour les lumie`res et pour la
liberte? , qui honore tout a` la fois son a^me et son ge? nie; les traits
avec lesquels il caracte? rise les principaux personnages, sont
d'une e? tonnante supe? riorite? , et toutes ses re? flexions naissent du
recueillement d'une a^me e? leve? e; mais les Allemands reprochent
a` Schiller de n'avoir pas assez e? tudie? les faits dans leurs sources;
il ne pouvait suffire a` toutes les carrie`res auxquelles ses rares
talents l'appelaient, et son histoire n'est pas fonde? e sur une e? ru-
dition assez e? tendue. Ce sont les Allemands, j'ai souvent eu
occasion de le dire, qui ont senti les premiers tout le parti que
l'imagination pouvait tirer de l'e? rudition; les circonstances de
de? tail donnent seules de la couleur et de la vie a` l'histoire; on
ne trouve gue`re a` la superficie des connaissances qu'un pre? texte
pour le raisonnement et l'esprit.
L'histoire de Schiller a e? te? e? crite dans cette e? poque du dix-huitie`me sie`cle ou` l'on faisait de tout des armes, et son style se
sent un peu du genre pole? mique qui re? gnait alors dans la plu-
part des e? crits. Mais quand le but qu'on se propose est la tole? -
rance et la liberte? , et que l'on y tend par des moyens et des
sentiments aussi nobles que ceux de Schiller, on compose tou-
jours un bel ouvrage, quand me^me on pourrait de? sirer, dans la
part accorde? e aux faits et aux re? flexions, quelque chose de plus
ou de moins e? tendu '.
Par un contraste singulier, c'est Schiller, le grand auteur
dramatique, qui a mis peut-e^tre trop de philosophie, et par con-
'On ne peut oublier, parmi les historiens philosophiques, M. Heeren, qui
>>icnt de publier des Conside? rations sur les Croisades , dans lesquelles une
parfaite impartialite? est le re? sultat des connaissanees les plus rares et de la
force de la raison.
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? :U,'j IH-. HISTORIENS ALLEMANDS.
se? quent trop d'ide? es ge? ne? rales dans ses re? cits, et c'est Mu`lier, le
plus savant des historiens, qui a e? te? vraiment poete dans sa
manie`re de peindre les e? ve? nements et les hommes. 11 faut distin-
guer dans l'Histoire de la Suisse l'e? rudit et l'e? crivain d'un grand
talent: ce n'est qu'ainsi, ce me semble, qu'on peut parvenir a`
rendre justice a` Mu`ller. C'e? tait un homme d'un savoir inoui? , et
ses faculte? s en ce genre faisaient vraiment peur. On ne conc? oit
pas comment la te^te d'un homme a pu contenir ainsi un monde
de faits et de dates. Les six mille ans a` nous connus e? taient par-
faitement range? s dans sa me? moire, et ses e? tudes avaient e? te? si
profondes qu'elles e? taient vives comme des souvenirs. Il n'y a
pas un village de Suisse, pas une famille noble dont il ne su^t
l'histoire. Un jour, en conse? quence d'un pari, on lui demanda
la suite des comtes souverains du Bugey; il les dit a` l'instant
me^me, seulement il ne se rappelait pas bien si l'un de ceux qu'il
nommait avait e? te? re? gent ou re? gnant en titre, et il se faisait se? -
rieusement des reproches d'un tel manque de me? moire. Les hom-
mes de ge? nie, parmi les anciens, n'e? taient point asservis a` cet
immense travail d'e? rudition qui s'augmente avec les sie`cles, et
leur imagination n'e? tait point fatigue? e par l'e? tude. Il en cou^te
plus pour se distinguer de nos jours, et l'on doit du respect au
labeur immense qu'il faut pour se mettre en possession du sujet
que l'on veut traiter.
La mort de ce Mu`lier, dont la vie peut e^tre diversement juge? e,
est une perte irre? parable, et l'on croit voir pe? rir plus qu'un
homme, quand de telles faculte? s s'e? teignent '.
Mu`ller, qu'on peut conside? rer comme le ve? ritable historien
classique d'Allemagne, lisait habituellement les auteurs grecs et
latins dans leur langue originale; il cultivait la litte? rature et les
arts pour les faire servir a` l'histoire. Son e? rudition sans bornes,
loin de nuire a` sa vivacite? naturelle, e? tait comme la base d'ou`
'Parmi les disciples de Muller le baron de Ilormayr, qui a e? crit le Plutar-
que . Autrichien, doit e^tre conside? re? comme l'un des premiers ; on sent i|uc
son histoire est compose? e , non d'apre? s des livres, mais sur les manuscrits
originaux. Le docteur Decarro , un savant Genevois e? tabli a` Vienne, et dont
l'activite? bienfaisante a porte? la de? couverte de la vaccine jusqu'en Asie, Va
faire parai^tre une Iraihiction de ces Vies des Grands Hommes d'Autrictie.
qui doit exciter le plus grand inte? re^t.
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? DES HISTORIENS ALLEMANDS. 357
son imagination prenait l'essor, et la ve? rite? vivante de ses ta-
bleaux tenait a` leur fide? lite? scrupuleuse; mais s'il savait admira-
blement se servir de l'e? rudition, il ignorait l'art de s'en de? gager
quand il le fallait. Son histoire est beaucoup trop longue, il n'en
a pas assez resserre? l'ensemble. Les de? tails sont ne? cessaires pour
donner de l'inte? re^t au re? cit des e? ve? nements; mais on doit choisir
parmi les e? ve? nements ceux qui me? ritent d'e^tre raconte? s.
L'ouvrage de Mu`ller est une chronique e? loquente; si pour-
tant toutes les histoires e? taient ainsi conc? ues, la vie de l'homme
se consumerait tout entie`re a` lire la vie des hommes. Il serait
donc a` souhaiter que Mu^ller ne se fu^t pas laisse? se? duire par l'e? -
tendue me^me de ses connaissances. Ne? anmoins les lecteurs, qui
ont d'autant plus de temps a` donner qu'ils l'emploient mieux,
se pe? ne? treront toujours avec un plaisir nouveau de ces illustres
annales de la Suisse. Les discours pre? liminaires sont des chefs-
d'oeuvre d'e?
