_
Et, apres la promenade au bois.
Et, apres la promenade au bois.
Rimbaud - Poesie Completes
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The Project Gutenberg EBook of Poesies completes, by Arthur Rimbaud
This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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with this eBook or online at www. gutenberg. net
Title: Poesies completes
Author: Arthur Rimbaud
Commentator: Paul Verlaine
Release Date: July 3, 2009 [EBook #29302]
[Last updated: August 2, 2014]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POESIES COMPLETES ***
Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www. pgdp. net (This
file was produced from images generously made available
by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica. bnf. fr)
[Notes sur cette version electronique:
Le texte a ete etabli sur la base des epreuves de l'imprimerie de Ch.
Herissey a Evreux, revues avec les corrections de la main de Paul
Verlaine en 1895. Certains passages illisibles ou d'une reconstitution
hypothetique ont ete signales entre crochets.
On donne ici le texte apres application des corrections; le texte
original de la preface avec les corrections se trouve en annexe a la fin
de la version HTML. ]
ARTHUR RIMBAUD
POESIES
COMPLETES
AVEC PREFACE DE PAUL VERLAINE
ET NOTES DE L'EDITEUR
[Marque d'editeur: L. V. ]
PARIS
LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR
19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1895
Tous droits reserves
DU MEME AUTEUR
MEME EDITEUR
Les Illuminations, Une Saison en Enfer. . . 3 50
TIRAGE DE LUXE:
25 exemplaires numerotes sur Hollande, 6 fr.
PREFACE
ARTHUR RIMBAUD
SES POESIES COMPLETES
A mon avis tout a fait intime, j'eusse prefere, en depit de tant
d'interet s'attachant intrinsequement presque aussi bien que
chronologiquement a beaucoup de pieces du present recueil, que celui-ci
fut allege pour, surtout, des causes litteraires: trop de jeunesse
decidement, d'inexperiences mal savoureuses, point d'assez heureuses
naivetes. J'eusse, si le maitre, donne juste un dessus de panier, quitte
a regretter que le reste dut disparaitre, ou, alors, ajoute ce reste a
la fin du livre, apres la table des matieres et sans table des matieres
quant a ce qui l'eut concerne, sous la rubrique <<pieces attribuees a
l'auteur>>, encore excluant de cette peut-etre trop indulgente deja
hospitalite les tout a fait apocryphes sonnets publies, sous le nom
glorieux et desormais sacre, par de spirituels parodistes.
Quoi qu'il en soit, voici, seulement expurge des apocryphes en question
et classe aussi soigneusement que possible par ordre de dates, mais,
helas! prive de trop de choses qui furent, aux deplorables fins de
pueriles et criminelles rancunes, sans meme d'excuses suffisamment
betes, confisquees, confisquees? volees! pour tout et mieux dire, dans
les tiroirs fermes d'un absent, voici _le livre des poesies completes
d'Arthur Rimbaud_, avec ses additions inutiles a mon avis et ses
deplorables mutilations irreparables a jamais, il faut le craindre.
Justice est donc faite, et bonne et complete, car en outre du present
fragment de l'[illisible], il y a eu des reproductions par la Presse et
la Librairie des choses en prose si inappreciables, peut-etre meme si
superieures aux vers, dont quelques-uns pourtant incomparables, que je
sache!
Ici, avant de proceder plus avant, dans ce tres serieux et tres sincere
et penible et douloureux travail, il me sied et me plait de remercier
mes amis Dujardin et Kahn, Feneon, et ce trop meconnu, trop modeste
Anatole Baju, de leur intervention en un cas si beau, mais a l'epoque
periculeux, je vous l'assure, car je ne le sais que trop.
Kahn et Dujardin disposaient neanmoins de revues jeunes et d'aspect
presque imposant, un peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire,
pedantesques; depuis il y a eu encore du plomb dans l'aile de ces
periodiques changes de direction--et Baju, naif, eut aussi son
influence, vraiment.
Tous trois firent leur devoir en faveur de mes efforts pour Rimbaud,
Baju avec le tort, peut-etre inconscient, de publier, a l'appui de la
bonne these, des gloses farceuses de gens de talent et surtout d'esprit
qui auraient mieux fait certainement de travailler pour leur compte, qui
en valait, je le leur dis en toute sincerite,
La peine assurement!
Mais un devoir sacre m'incombe, en dehors de toute diversion meme
quasiment necessaire, vite. C'est de rectifier des faits d'abord--et
ensuite d'elucider un peu la disposition, a mon sens, mal litteraire,
mais concue dans un but tellement respectable! du present volume des
_Poesies completes d'Arthur Rimbaud. _
On a tout dit, en une preface abominable que la Justice a chatiee,
d'ailleurs par la saisie, sur la requete d'un galant homme de qui la
signature avait ete escroquee, M. Rodolphe Darzens, on a dit tout le
mauvais sur Rimbaud, homme et poete.
Ce mauvais-la, il faut malheureusement, mais carrement, l'amalgamer avec
celui qu'a ecrit, pense sans nul doute, un homme de talent dans un
journal d'irreprochable tenue. Je veux parler de M. Charles Maurras et
en appeler de lui a lui mieux informe.
Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles Maurras:
<<Au diner du Bon Bock>>, or il n'y avait pas alors, de _diner du Bon
Bock_ ou nous allassions, Valade, Merat, Silvestre, quelques autres
Parnassiens [et] moi, ni par consequent Rimbaud avec nous, mais bien un
diner mensuel des _Vilains Bonshommes_ [note illisible], fonde avant la
guerre et qu'avaient honore quelquefois Theodore de Banville et, de la
part de Sainte-Beuve, le secretaire de celui-ci, M. Jules Troubat. Au
moment dont il est question, fin 1871, nos <<assises>> se tenaient au
premier etage d'un marchand de vins etabli au coin de la rue Bonaparte
et de la place Saint-Sulpice, vis-a-vis d'un libraire d'occasion (rue
Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un negociant [en] objets
religieux. <<Au diner du Bon Bock, dit donc M. Maurras, ses reparties (a
Rimbaud) causaient de grands scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait
en vain a la raison. CARJAT LE MIT A LA PORTE. Rimbaud attendit
_patiemment_ a la porte et Carjat recut a la sortie un <<bon>> (je retiens
<<bon>>) coup de canne a epee DANS LE VENTRE. >>
Je n'ai pas a invoquer le temoignage de d'Hervilly qui est un cher poete
et un cher ami, parce qu'il n'a jamais ete plus l'auteur d'une
intervention absurdement inutile que l'objet d'une insulte ignoble
publiee sans la plus simple pudeur, non plus que sans la moindre
conscience du faux ou du vrai dans la preface de l'edition Genonceaux;
ni celui de M. Carjat lui-meme, par trop juge et partie, ni celui des
encore assez nombreux survivants d'une scene assurement peu glorieuse
pour Rimbaud, mais demesurement grossie et denaturee jusqu'a la plus
complete calomnie.
Voici donc un recit succinct, mais vrai jusque dans le moindre detail,
du <<drame>> en question: ce soir-la, aux _Vilains Bonshommes_, on avait
lu beaucoup de vers apres le dessert et le cafe. Beaucoup de vers, meme
a la fin d'un diner (plutot modeste), ce n'est pas toujours des moins
fatigants, particulierement quand ils sont un peu bien declamatoires
comme ceux dont _vraiment_ il s'agissait (et non du bon poete Jean
Aicard). Ces vers etaient d'un monsieur qui faisait beaucoup de sonnets
a l'epoque et de qui le nom m'echappe.
Et, sur le debut suivant, apres passablement d'autres choses d'autres
gens:
_On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigne
Alignes au cordeau par Philibert Delorme. . . _
Rimbaud eut le tort incontestable de protester d'abord entre haut et bas
contre la prolongation d'a la fin abusives recitations. Sur quoi M.
Etienne Carjat, le photographe poete de qui le recitateur etait l'ami
litteraire et artistique, s'interposa trop vite et trop vivement a mon
gre, traitant l'interrupteur de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter
la boisson, et que l'on avait contracte dans ces <<agapes>> pourtant
moderees, la mauvaise habitude de gater au point de vue du vin et des
liqueurs,--Rimbaud qui se trouvait gris, prit mal la chose, se saisit
d'une canne a epee a moi qui etait derriere nous, voisins immediats et,
par-dessus la table large de pres de deux metres, dirigea vers M. Carjat
qui se trouvait en face ou tout comme, la lame degainee qui ne fit pas
heureusement de tres grands ravages, puisque le sympathique ex-directeur
du _Boulevard_ ne recut, si j'en crois ma memoire qui est excellente
dans ce cas, qu'une eraflure tres legere a une main.
Neanmoins l'alarme fut grande et la tentative tres regrettable, vite et
plus vite encore reprimee. J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur
mon genou et confiai, devant rentrer de tres bonne heure chez moi, le
[<<gamin>>] a moitie degrise maintenant, au peintre bien connu, Michel de
l'Hay, alors deja un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme des
plus remarquablement beaux qu'il soit donne de voir, qui eut tot fait de
reconduire a son domicile de la rue Campagne-Premiere, en le chapitrant
d'importance, notre jeune intoxique de qui l'acces de colere ne tarda
pas a se dissiper tout a fait, avec les fumees du vin et de l'alcool,
dans le sommeil reparateur de la seizieme annee.
Avant de <<lacher>> tout a fait M. Charles Maurras, je lui demanderai de
expliquer sur un malheureux membre de phrase de lui me concernant.
A propos de la question d'ailleurs subsidiaire de savoir si Rimbaud
etait beau ou laid, M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve
laid, d'apres des temoins <<plus rassis>> que votre serviteur, me
blamerait presque, ma parole d'honneur! d'avoir dit qu'il avait
(Rimbaud) un visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte bouche
rouge au pli amer et (_in cauda venenum! _) des <<jambes sans rivales>>.
Ca c'est, je veux bien le croire, idiot sans plus, autrement, quoi?
Voici toujours _ma_ phrase sur les jambes en question, extraite des
_Homme d'aujourd'hui_. Au surplus, lisez toute la petite biographie.
Elle repond a tout d'_avance_, et coute deux sous.
<<. . . Des projets pour la Russie, une anicroche a Vienne (Autriche),
quelques mois en France, d'Arras et Douai a Marseille, et le Senegal
vers lequel berce par un naufrage[;] puis la Hollande, 1879-80; vu
decharger des voitures de moisson dans une ferme a sa mere, entre
Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses <<JAMBES SANS
RIVALES>>.
Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre
infatigabilite. . . et autre chose?
--Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de
regions pretendues uniquement litteraires, s'insinueraient dans la vie
privee pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de
m'etendre un peu, maintenant qu'on a brule quelque sucre, sur le pur
plaisir intellectuel de vous parler du present ouvrage qu'on peut ne pas
aimer, ni meme admirer, mais qui a droit a tout respect en tout
consciencieux examen?
On a laisse les pieces objectionables au point de vue bourgeois, car le
point de vue chretien et surtout catholique dont je m'honore d'etre un
des plus indignes peut-etre mais a coup sur le plus sincere tenant, me
semble superieur et doit etre ecarte--j'entends, notamment les
_Premieres Communions_, les _Pauvres a l'eglise_ (pour mon compte,
j'eusse neglige cette piece brutale ayant pourtant ceci:
_. . . Les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux benitiers. _
Quant aux _Premieres Communions_ dont j'ai severement parle dans mes
_Poetes maudits_ a cause de certains vers affreusement blasphemateurs,
c'est si beau! . . . n'est-ce pas? a travers tant de coup[ables] choses. . .
n'est ce pas?
Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le _Bateau ivre_, les
_Effares_, les _Chercheuses de poux_ et, bien apres, les _Assis_ aussi,
parbleu! un peu fumiste, mais si beau de details; _Sonnet de Voyelles_
qui a fait faire a M. Rene Ghill de ses mirobolantes theories, et
l'ardent _Faune_ [illisible] est parfait de fauves,--en liberte! et
encore une fois, je vous le presente, ce <<numero>>, comme autrefois dans
ce petit journal de combat mort en pleine breche _Lutece_, de tout mon
coeur, de toute mon ame et de toutes mes forces.
On a cru devoir, evidemment dans un but de rehabilitation qui n'a rien a
voir ni avec la vie honorable ni avec l'oeuvre tres interessante,
[illisible] ouvrir le volume par une piece intitulee _Etrennes des
Orphelins_, laquelle assez longue piece, dans le gout un peu Guiraud
avec deja des beautes tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore:
_Les tout petits enfants ont le coeur si sensible! _
Cela:
_La bise sous le seuil a fini par se taire. . . _
qui est d'un net et d'un vrai, quant a ce qui concerne un beau jour de
premier janvier. Surtout une facture solide, meme un peu trop, qui dit
l'extreme jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'apres la formule
parnassienne exageree.
On a cru aussi devoir intercaler de gre ou de force un trop long poeme:
_Le Forgeron_, date des _Tuileries vers le 10 aout 1792_, ou vraiment
c'est trop democ-soc [illisible], par trop demode, meme en 1870 ou ce
fut ecrit; mais l'auteur, direz-vous, etait si, si jeune! Mais,
repondrais-je, etait-ce une raison pour publier cette chose faite a
coups de <<mauvaises lectures>> dans des manuels surannes ou de trop
moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a la
encore de tres beaux vers. Parbleu! avec cet etre-la!
Cette caricature de Louis XVI, d'abord:
_Et prenant ce gros-la dans son regard farouche. _
Cette autre encore;
_Or le bon roi, debout sur son ventre, etait pale. _
Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici:
_On ne veut pas de nous dans les boulangeries_
Mais j'avoue preferer telles pieces purement jolies, mais alors tres
jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout a fait alors presque
aussi belles que les _Effares_ ou que les Assis.
Il y a, dans ce ton, _Ce qui relient Nina_, vingt-neuf strophes, plus de
cent vers, sur un [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse a tout bout
de champ:
_Dix-sept ans! tu seras heureuse!
O les grands pres,
La grande campagne amoureuse!
--Dis, viens plus pres! . . .
. . . . . . . . . . . . . .
Puis comme une petite morte
Le coeur pame
Tu me dirais que je te porte
L'oeil mi-ferme. . . _
Et, apres la promenade au bois. . . et la resurrection de la _petite
morte_, l'entree dans le village ou _ca sentirait le laitage_, une
etable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un
interieur a la Teniers:
_Les lunettes de la grand-mere
Et son nez long
Dans son missel. . . _
. . . . . . . . . . . . . .
Aussi la _Comedie en trois baisers:_
. . . . . . . . . . . . . .
_Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres. _
_Sensation_, ou le poete adolescent va loin, bien loin, <<comme un
bohemien>>
_Par la nature, heureux comme avec une femme. . . _
Roman:
_On n'est pas serieux quand on a dix-sept ans. _
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il ecrivait ce vers,
n'avait pas encore seize ans. Evidemment il se <<vieillissait>> pour mieux
plaire a quelque belle. . . de, tres probablement, son imagination.
_Ma Boheme_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses:
_Comme des lyres je tirai les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur_. . .
Mes _Petites amoureuses_, les _Poetes de sept ans_, freres franchement
douloureux des _Chercheuses de poux_:
_Et la mere fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminences
L'ame de son enfant livree aux repugnances. _
. . . . . . . . . . . . . .
_
Et, apres la promenade au bois. . . et la resurrection de la _petite
morte_, l'entree dans le village ou _ca sentirait le laitage_, une
etable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un
interieur a la Teniers:
_Les lunettes de la grand-mere
Et son nez long
Dans son missel. . . _
. . . . . . . . . . . . . .
Aussi la _Comedie en trois baisers:_
. . . . . . . . . . . . . .
_Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres. _
_Sensation_, ou le poete adolescent va loin, bien loin, <<comme un
bohemien>>
_Par la nature, heureux comme avec une femme. . . _
Roman:
_On n'est pas serieux quand on a dix-sept ans. _
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il ecrivait ce vers,
n'avait pas encore seize ans. Evidemment il se <<vieillissait>> pour mieux
plaire a quelque belle. . . de, tres probablement, son imagination.
_Ma Boheme_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses:
_Comme des lyres je tirai les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur_. . .
Mes _Petites amoureuses_, les _Poetes de sept ans_, freres franchement
douloureux des _Chercheuses de poux_:
_Et la mere fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminences
L'ame de son enfant livree aux repugnances. _
. . . . . . . . . . . . . .
Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les
eusse retenus pour les publier dans une nouvelle edition des oeuvres en
prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout a fait dans la note
des _Illuminations_ et de la _Saison en Enfer_. Je l'ai dit tout a
l'heure et je sais que je ne suis pas le seul a le penser: Rimbaud en
prose est peut-etre superieur a celui en vers. . .
J'ai termine, je crois avoir termine ma tache de prefacier. De la vie de
l'homme j'ai parle suffisamment. De son oeuvre je reparlerai peut-etre
encore.
Mon dernier mot ne peut-etre ici que ceci: Rimbaud fut un poete mort
jeune (a dix-huit ans, puisque ne a Charleville[--le 20] Octobre
1854--nous n'avons pas de vers de lui [posterieur] a 1872. ) mais vierge
de toute platitude ou decadence--comme il fut un homme mort jeune aussi
[(a trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 a l'hopital de la Conception
de Marseille), mais dans son voeu bien formule d'independance et de haut
dedain de n'importe quelle adhesion a ce qu'il ne lui plaisait pas de
faire ni d'etre.
Paul VERLAINE.
POESIES COMPLETES
DE CE LIVRE
IL A ETE TIRE
_25 exemplaires numerotes sur hollande. _
ARTHUR RIMBAUD
POESIES
COMPLETES
PARIS
LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1895
Tous droits reserves.
LES ETRENNES DES ORPHELlNS
I
La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encor, alourdi par le reve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se souleve. . .
--Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux;
Et la nouvelle annee, a la suite brumeuse,
Laissant trainer les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant. . .
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils ecoutent, pensifs, comme un lointain murmure. . .
Ils tressaillent souvent a la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain metallique en son globe de verre. . .
--Puis, la chambre est glacee. . . on voit trainer a terre,
Epars autour des lits, des vetements de deuil:
L'apre bise d'hiver qui se lamente au seuil,
Souffle dans le logis son haleine morose!
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose. . .
--Il n'est donc point de mere a ces petits enfants,
De mere au frais sourire, aux regards triomphants?
Elle a donc oublie, le soir, seule et penchee,
D'exciter une flamme a la cendre arrachee,
D'amonceler sur eux la laine et l'edredon
Avant de les quitter en leur criant: pardon.
Elle n'a point prevu la froideur matinale,
Ni bien ferme le seuil a la bise hivernale? . . .
--Le reve maternel, c'est le tiede tapis,
C'est le nid cotonneux ou les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.
--Et la,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur
Ou les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glace la bise amere. . .
III
Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mere,
Plus de mere au logis! --et le pere est bien loin! . . .
--Une vieille servante, alors, en a pris soin:
Les petits sont tout seuls en la maison glacee;
Orphelins de quatre ans, voila qu'en leur pensee
S'eveille, par degres, un souvenir riant. . .
C'est comme un chapelet qu'on egrene en priant:
--Ah! quel beau matin, que ce matin des etrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait reve des siennes
Dans quelque songe etrange ou l'on voyait joujoux,
Bonbons habilles d'or, etincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaitre encore!
On s'eveillait matin, on se levait joyeux,
La levre affriandee, en se frottant les yeux. . .
On allait, les cheveux emmeles sur la tete,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fete
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher. . .
On entrait! . . . Puis alors les souhaits. . . en chemise,
Les baisers repetes, et la gaite permise?
IV
Ah! c'etait si charmant, ces mots dits tant de fois!
--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer. . .
--L'armoire etait sans clefs! . . . sans clefs, la grande armoire
On regardait souvent sa porte brune et noire. . .
Sans clefs! . . . c'etait etrange! . . . On revait bien des fois
Aux mysteres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouir, au fond de la serrure
Beante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure
--La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
--Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus
Silencieusement tombe une larme amere,
ils murmurent: <<Quand donc reviendra notre mere? >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, a les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfles et leur souffle penible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
--Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un reve joyeux,
Un reve si joyeux, que leur levre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose. . .
Ils revent que, penches sur leur petit bras rond,
Doux geste du reveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux repose. . .
Ils se croient endormis dans un paradis rose. . .
Au foyer plein d'eclairs chante gaiment le feu. . .
Par la fenetre on voit la-bas un beau ciel bleu;
La nature s'eveille et de rayons s'enivre. .
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Verlaine en 1895. Certains passages illisibles ou d'une reconstitution
hypothetique ont ete signales entre crochets.
On donne ici le texte apres application des corrections; le texte
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POESIES
COMPLETES
AVEC PREFACE DE PAUL VERLAINE
ET NOTES DE L'EDITEUR
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PREFACE
ARTHUR RIMBAUD
SES POESIES COMPLETES
A mon avis tout a fait intime, j'eusse prefere, en depit de tant
d'interet s'attachant intrinsequement presque aussi bien que
chronologiquement a beaucoup de pieces du present recueil, que celui-ci
fut allege pour, surtout, des causes litteraires: trop de jeunesse
decidement, d'inexperiences mal savoureuses, point d'assez heureuses
naivetes. J'eusse, si le maitre, donne juste un dessus de panier, quitte
a regretter que le reste dut disparaitre, ou, alors, ajoute ce reste a
la fin du livre, apres la table des matieres et sans table des matieres
quant a ce qui l'eut concerne, sous la rubrique <<pieces attribuees a
l'auteur>>, encore excluant de cette peut-etre trop indulgente deja
hospitalite les tout a fait apocryphes sonnets publies, sous le nom
glorieux et desormais sacre, par de spirituels parodistes.
Quoi qu'il en soit, voici, seulement expurge des apocryphes en question
et classe aussi soigneusement que possible par ordre de dates, mais,
helas! prive de trop de choses qui furent, aux deplorables fins de
pueriles et criminelles rancunes, sans meme d'excuses suffisamment
betes, confisquees, confisquees? volees! pour tout et mieux dire, dans
les tiroirs fermes d'un absent, voici _le livre des poesies completes
d'Arthur Rimbaud_, avec ses additions inutiles a mon avis et ses
deplorables mutilations irreparables a jamais, il faut le craindre.
Justice est donc faite, et bonne et complete, car en outre du present
fragment de l'[illisible], il y a eu des reproductions par la Presse et
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superieures aux vers, dont quelques-uns pourtant incomparables, que je
sache!
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et penible et douloureux travail, il me sied et me plait de remercier
mes amis Dujardin et Kahn, Feneon, et ce trop meconnu, trop modeste
Anatole Baju, de leur intervention en un cas si beau, mais a l'epoque
periculeux, je vous l'assure, car je ne le sais que trop.
Kahn et Dujardin disposaient neanmoins de revues jeunes et d'aspect
presque imposant, un peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire,
pedantesques; depuis il y a eu encore du plomb dans l'aile de ces
periodiques changes de direction--et Baju, naif, eut aussi son
influence, vraiment.
Tous trois firent leur devoir en faveur de mes efforts pour Rimbaud,
Baju avec le tort, peut-etre inconscient, de publier, a l'appui de la
bonne these, des gloses farceuses de gens de talent et surtout d'esprit
qui auraient mieux fait certainement de travailler pour leur compte, qui
en valait, je le leur dis en toute sincerite,
La peine assurement!
Mais un devoir sacre m'incombe, en dehors de toute diversion meme
quasiment necessaire, vite. C'est de rectifier des faits d'abord--et
ensuite d'elucider un peu la disposition, a mon sens, mal litteraire,
mais concue dans un but tellement respectable! du present volume des
_Poesies completes d'Arthur Rimbaud. _
On a tout dit, en une preface abominable que la Justice a chatiee,
d'ailleurs par la saisie, sur la requete d'un galant homme de qui la
signature avait ete escroquee, M. Rodolphe Darzens, on a dit tout le
mauvais sur Rimbaud, homme et poete.
Ce mauvais-la, il faut malheureusement, mais carrement, l'amalgamer avec
celui qu'a ecrit, pense sans nul doute, un homme de talent dans un
journal d'irreprochable tenue. Je veux parler de M. Charles Maurras et
en appeler de lui a lui mieux informe.
Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles Maurras:
<<Au diner du Bon Bock>>, or il n'y avait pas alors, de _diner du Bon
Bock_ ou nous allassions, Valade, Merat, Silvestre, quelques autres
Parnassiens [et] moi, ni par consequent Rimbaud avec nous, mais bien un
diner mensuel des _Vilains Bonshommes_ [note illisible], fonde avant la
guerre et qu'avaient honore quelquefois Theodore de Banville et, de la
part de Sainte-Beuve, le secretaire de celui-ci, M. Jules Troubat. Au
moment dont il est question, fin 1871, nos <<assises>> se tenaient au
premier etage d'un marchand de vins etabli au coin de la rue Bonaparte
et de la place Saint-Sulpice, vis-a-vis d'un libraire d'occasion (rue
Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un negociant [en] objets
religieux. <<Au diner du Bon Bock, dit donc M. Maurras, ses reparties (a
Rimbaud) causaient de grands scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait
en vain a la raison. CARJAT LE MIT A LA PORTE. Rimbaud attendit
_patiemment_ a la porte et Carjat recut a la sortie un <<bon>> (je retiens
<<bon>>) coup de canne a epee DANS LE VENTRE. >>
Je n'ai pas a invoquer le temoignage de d'Hervilly qui est un cher poete
et un cher ami, parce qu'il n'a jamais ete plus l'auteur d'une
intervention absurdement inutile que l'objet d'une insulte ignoble
publiee sans la plus simple pudeur, non plus que sans la moindre
conscience du faux ou du vrai dans la preface de l'edition Genonceaux;
ni celui de M. Carjat lui-meme, par trop juge et partie, ni celui des
encore assez nombreux survivants d'une scene assurement peu glorieuse
pour Rimbaud, mais demesurement grossie et denaturee jusqu'a la plus
complete calomnie.
Voici donc un recit succinct, mais vrai jusque dans le moindre detail,
du <<drame>> en question: ce soir-la, aux _Vilains Bonshommes_, on avait
lu beaucoup de vers apres le dessert et le cafe. Beaucoup de vers, meme
a la fin d'un diner (plutot modeste), ce n'est pas toujours des moins
fatigants, particulierement quand ils sont un peu bien declamatoires
comme ceux dont _vraiment_ il s'agissait (et non du bon poete Jean
Aicard). Ces vers etaient d'un monsieur qui faisait beaucoup de sonnets
a l'epoque et de qui le nom m'echappe.
Et, sur le debut suivant, apres passablement d'autres choses d'autres
gens:
_On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigne
Alignes au cordeau par Philibert Delorme. . . _
Rimbaud eut le tort incontestable de protester d'abord entre haut et bas
contre la prolongation d'a la fin abusives recitations. Sur quoi M.
Etienne Carjat, le photographe poete de qui le recitateur etait l'ami
litteraire et artistique, s'interposa trop vite et trop vivement a mon
gre, traitant l'interrupteur de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter
la boisson, et que l'on avait contracte dans ces <<agapes>> pourtant
moderees, la mauvaise habitude de gater au point de vue du vin et des
liqueurs,--Rimbaud qui se trouvait gris, prit mal la chose, se saisit
d'une canne a epee a moi qui etait derriere nous, voisins immediats et,
par-dessus la table large de pres de deux metres, dirigea vers M. Carjat
qui se trouvait en face ou tout comme, la lame degainee qui ne fit pas
heureusement de tres grands ravages, puisque le sympathique ex-directeur
du _Boulevard_ ne recut, si j'en crois ma memoire qui est excellente
dans ce cas, qu'une eraflure tres legere a une main.
Neanmoins l'alarme fut grande et la tentative tres regrettable, vite et
plus vite encore reprimee. J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur
mon genou et confiai, devant rentrer de tres bonne heure chez moi, le
[<<gamin>>] a moitie degrise maintenant, au peintre bien connu, Michel de
l'Hay, alors deja un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme des
plus remarquablement beaux qu'il soit donne de voir, qui eut tot fait de
reconduire a son domicile de la rue Campagne-Premiere, en le chapitrant
d'importance, notre jeune intoxique de qui l'acces de colere ne tarda
pas a se dissiper tout a fait, avec les fumees du vin et de l'alcool,
dans le sommeil reparateur de la seizieme annee.
Avant de <<lacher>> tout a fait M. Charles Maurras, je lui demanderai de
expliquer sur un malheureux membre de phrase de lui me concernant.
A propos de la question d'ailleurs subsidiaire de savoir si Rimbaud
etait beau ou laid, M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve
laid, d'apres des temoins <<plus rassis>> que votre serviteur, me
blamerait presque, ma parole d'honneur! d'avoir dit qu'il avait
(Rimbaud) un visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte bouche
rouge au pli amer et (_in cauda venenum! _) des <<jambes sans rivales>>.
Ca c'est, je veux bien le croire, idiot sans plus, autrement, quoi?
Voici toujours _ma_ phrase sur les jambes en question, extraite des
_Homme d'aujourd'hui_. Au surplus, lisez toute la petite biographie.
Elle repond a tout d'_avance_, et coute deux sous.
<<. . . Des projets pour la Russie, une anicroche a Vienne (Autriche),
quelques mois en France, d'Arras et Douai a Marseille, et le Senegal
vers lequel berce par un naufrage[;] puis la Hollande, 1879-80; vu
decharger des voitures de moisson dans une ferme a sa mere, entre
Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses <<JAMBES SANS
RIVALES>>.
Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre
infatigabilite. . . et autre chose?
--Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de
regions pretendues uniquement litteraires, s'insinueraient dans la vie
privee pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de
m'etendre un peu, maintenant qu'on a brule quelque sucre, sur le pur
plaisir intellectuel de vous parler du present ouvrage qu'on peut ne pas
aimer, ni meme admirer, mais qui a droit a tout respect en tout
consciencieux examen?
On a laisse les pieces objectionables au point de vue bourgeois, car le
point de vue chretien et surtout catholique dont je m'honore d'etre un
des plus indignes peut-etre mais a coup sur le plus sincere tenant, me
semble superieur et doit etre ecarte--j'entends, notamment les
_Premieres Communions_, les _Pauvres a l'eglise_ (pour mon compte,
j'eusse neglige cette piece brutale ayant pourtant ceci:
_. . . Les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux benitiers. _
Quant aux _Premieres Communions_ dont j'ai severement parle dans mes
_Poetes maudits_ a cause de certains vers affreusement blasphemateurs,
c'est si beau! . . . n'est-ce pas? a travers tant de coup[ables] choses. . .
n'est ce pas?
Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le _Bateau ivre_, les
_Effares_, les _Chercheuses de poux_ et, bien apres, les _Assis_ aussi,
parbleu! un peu fumiste, mais si beau de details; _Sonnet de Voyelles_
qui a fait faire a M. Rene Ghill de ses mirobolantes theories, et
l'ardent _Faune_ [illisible] est parfait de fauves,--en liberte! et
encore une fois, je vous le presente, ce <<numero>>, comme autrefois dans
ce petit journal de combat mort en pleine breche _Lutece_, de tout mon
coeur, de toute mon ame et de toutes mes forces.
On a cru devoir, evidemment dans un but de rehabilitation qui n'a rien a
voir ni avec la vie honorable ni avec l'oeuvre tres interessante,
[illisible] ouvrir le volume par une piece intitulee _Etrennes des
Orphelins_, laquelle assez longue piece, dans le gout un peu Guiraud
avec deja des beautes tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore:
_Les tout petits enfants ont le coeur si sensible! _
Cela:
_La bise sous le seuil a fini par se taire. . . _
qui est d'un net et d'un vrai, quant a ce qui concerne un beau jour de
premier janvier. Surtout une facture solide, meme un peu trop, qui dit
l'extreme jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'apres la formule
parnassienne exageree.
On a cru aussi devoir intercaler de gre ou de force un trop long poeme:
_Le Forgeron_, date des _Tuileries vers le 10 aout 1792_, ou vraiment
c'est trop democ-soc [illisible], par trop demode, meme en 1870 ou ce
fut ecrit; mais l'auteur, direz-vous, etait si, si jeune! Mais,
repondrais-je, etait-ce une raison pour publier cette chose faite a
coups de <<mauvaises lectures>> dans des manuels surannes ou de trop
moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a la
encore de tres beaux vers. Parbleu! avec cet etre-la!
Cette caricature de Louis XVI, d'abord:
_Et prenant ce gros-la dans son regard farouche. _
Cette autre encore;
_Or le bon roi, debout sur son ventre, etait pale. _
Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici:
_On ne veut pas de nous dans les boulangeries_
Mais j'avoue preferer telles pieces purement jolies, mais alors tres
jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout a fait alors presque
aussi belles que les _Effares_ ou que les Assis.
Il y a, dans ce ton, _Ce qui relient Nina_, vingt-neuf strophes, plus de
cent vers, sur un [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse a tout bout
de champ:
_Dix-sept ans! tu seras heureuse!
O les grands pres,
La grande campagne amoureuse!
--Dis, viens plus pres! . . .
. . . . . . . . . . . . . .
Puis comme une petite morte
Le coeur pame
Tu me dirais que je te porte
L'oeil mi-ferme. . . _
Et, apres la promenade au bois. . . et la resurrection de la _petite
morte_, l'entree dans le village ou _ca sentirait le laitage_, une
etable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un
interieur a la Teniers:
_Les lunettes de la grand-mere
Et son nez long
Dans son missel. . . _
. . . . . . . . . . . . . .
Aussi la _Comedie en trois baisers:_
. . . . . . . . . . . . . .
_Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres. _
_Sensation_, ou le poete adolescent va loin, bien loin, <<comme un
bohemien>>
_Par la nature, heureux comme avec une femme. . . _
Roman:
_On n'est pas serieux quand on a dix-sept ans. _
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il ecrivait ce vers,
n'avait pas encore seize ans. Evidemment il se <<vieillissait>> pour mieux
plaire a quelque belle. . . de, tres probablement, son imagination.
_Ma Boheme_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses:
_Comme des lyres je tirai les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur_. . .
Mes _Petites amoureuses_, les _Poetes de sept ans_, freres franchement
douloureux des _Chercheuses de poux_:
_Et la mere fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminences
L'ame de son enfant livree aux repugnances. _
. . . . . . . . . . . . . .
_
Et, apres la promenade au bois. . . et la resurrection de la _petite
morte_, l'entree dans le village ou _ca sentirait le laitage_, une
etable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un
interieur a la Teniers:
_Les lunettes de la grand-mere
Et son nez long
Dans son missel. . . _
. . . . . . . . . . . . . .
Aussi la _Comedie en trois baisers:_
. . . . . . . . . . . . . .
_Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres. _
_Sensation_, ou le poete adolescent va loin, bien loin, <<comme un
bohemien>>
_Par la nature, heureux comme avec une femme. . . _
Roman:
_On n'est pas serieux quand on a dix-sept ans. _
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il ecrivait ce vers,
n'avait pas encore seize ans. Evidemment il se <<vieillissait>> pour mieux
plaire a quelque belle. . . de, tres probablement, son imagination.
_Ma Boheme_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses:
_Comme des lyres je tirai les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur_. . .
Mes _Petites amoureuses_, les _Poetes de sept ans_, freres franchement
douloureux des _Chercheuses de poux_:
_Et la mere fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminences
L'ame de son enfant livree aux repugnances. _
. . . . . . . . . . . . . .
Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les
eusse retenus pour les publier dans une nouvelle edition des oeuvres en
prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout a fait dans la note
des _Illuminations_ et de la _Saison en Enfer_. Je l'ai dit tout a
l'heure et je sais que je ne suis pas le seul a le penser: Rimbaud en
prose est peut-etre superieur a celui en vers. . .
J'ai termine, je crois avoir termine ma tache de prefacier. De la vie de
l'homme j'ai parle suffisamment. De son oeuvre je reparlerai peut-etre
encore.
Mon dernier mot ne peut-etre ici que ceci: Rimbaud fut un poete mort
jeune (a dix-huit ans, puisque ne a Charleville[--le 20] Octobre
1854--nous n'avons pas de vers de lui [posterieur] a 1872. ) mais vierge
de toute platitude ou decadence--comme il fut un homme mort jeune aussi
[(a trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 a l'hopital de la Conception
de Marseille), mais dans son voeu bien formule d'independance et de haut
dedain de n'importe quelle adhesion a ce qu'il ne lui plaisait pas de
faire ni d'etre.
Paul VERLAINE.
POESIES COMPLETES
DE CE LIVRE
IL A ETE TIRE
_25 exemplaires numerotes sur hollande. _
ARTHUR RIMBAUD
POESIES
COMPLETES
PARIS
LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1895
Tous droits reserves.
LES ETRENNES DES ORPHELlNS
I
La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encor, alourdi par le reve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se souleve. . .
--Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux;
Et la nouvelle annee, a la suite brumeuse,
Laissant trainer les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant. . .
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils ecoutent, pensifs, comme un lointain murmure. . .
Ils tressaillent souvent a la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain metallique en son globe de verre. . .
--Puis, la chambre est glacee. . . on voit trainer a terre,
Epars autour des lits, des vetements de deuil:
L'apre bise d'hiver qui se lamente au seuil,
Souffle dans le logis son haleine morose!
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose. . .
--Il n'est donc point de mere a ces petits enfants,
De mere au frais sourire, aux regards triomphants?
Elle a donc oublie, le soir, seule et penchee,
D'exciter une flamme a la cendre arrachee,
D'amonceler sur eux la laine et l'edredon
Avant de les quitter en leur criant: pardon.
Elle n'a point prevu la froideur matinale,
Ni bien ferme le seuil a la bise hivernale? . . .
--Le reve maternel, c'est le tiede tapis,
C'est le nid cotonneux ou les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.
--Et la,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur
Ou les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;
Un nid que doit avoir glace la bise amere. . .
III
Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mere,
Plus de mere au logis! --et le pere est bien loin! . . .
--Une vieille servante, alors, en a pris soin:
Les petits sont tout seuls en la maison glacee;
Orphelins de quatre ans, voila qu'en leur pensee
S'eveille, par degres, un souvenir riant. . .
C'est comme un chapelet qu'on egrene en priant:
--Ah! quel beau matin, que ce matin des etrennes!
Chacun, pendant la nuit, avait reve des siennes
Dans quelque songe etrange ou l'on voyait joujoux,
Bonbons habilles d'or, etincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaitre encore!
On s'eveillait matin, on se levait joyeux,
La levre affriandee, en se frottant les yeux. . .
On allait, les cheveux emmeles sur la tete,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fete
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher. . .
On entrait! . . . Puis alors les souhaits. . . en chemise,
Les baisers repetes, et la gaite permise?
IV
Ah! c'etait si charmant, ces mots dits tant de fois!
--Mais comme il est change, le logis d'autrefois:
Un grand feu petillait, clair, dans la cheminee,
Toute la vieille chambre etait illuminee;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient a tournoyer. . .
--L'armoire etait sans clefs! . . . sans clefs, la grande armoire
On regardait souvent sa porte brune et noire. . .
Sans clefs! . . . c'etait etrange! . . . On revait bien des fois
Aux mysteres dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouir, au fond de la serrure
Beante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure
--La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:
Partant point de baisers, point de douces surprises!
Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!
--Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus
Silencieusement tombe une larme amere,
ils murmurent: <<Quand donc reviendra notre mere? >>
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement:
Vous diriez, a les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfles et leur souffle penible!
Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!
--Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil mit un reve joyeux,
Un reve si joyeux, que leur levre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose. . .
Ils revent que, penches sur leur petit bras rond,
Doux geste du reveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux repose. . .
Ils se croient endormis dans un paradis rose. . .
Au foyer plein d'eclairs chante gaiment le feu. . .
Par la fenetre on voit la-bas un beau ciel bleu;
La nature s'eveille et de rayons s'enivre. .
