rature, doivent
pourtant
e^tre compte?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
re?
s sous trois rapports
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? 360 HERDER.
diffe? rents, l'histoire, la litte? rature et la the? ologie. Il s'e? tait fort
occupe? de l'antiquite? en ge? ne? ral, et des langues orientales en par-
ticulier. Son livre intitule? la Philosophie de U Histoire est peut-e^tre le livre allemand e? crit avec le plus de charme. On n'y trouve
pas la me^me profondeur d'observations politiques que dans l'ou-
vrage de Montesquieu, sur les Causes de la grandeur et de la
de? cadence des Romains; mais comme Herder s'attachait a` pe? -
ne? trer le ge? nie des temps les plus recule? s, peut-e^tre que la qua-
lite? qu'il posse? dait au supre^me degre? , l'imagination, servait
mieux que toute autre a` les faire connai^tre. Il faut ce flambeau
pour marcher dans les te? ne`bres ; c'est une lecture de? licieuse que
les divers chapitres de Herder sur Perse? polis et Babylone , sur
les He? breux et sur les E? gyptiens; il semble qu'on se prome`ne au
milieu de l'ancien monde avec un poe`te historien, qui touche
les ruines de sa baguette, et reconstruit a` nos yeux les e? difices abattus. On exige en Allemagne, me^me des hommes du plus grand ta-
lent, une instruction si e? tendue, que des critiques ont accuse?
Herder de n'avoir pas une e? rudition assez approfondie. Mais ce
qui nous frapperait, au contraire, c'est la varie? te? de ses con-
naissances ; toutes les langues lui e? taient connues, et celui de
tous ses ouvrages ou` l'on reconnai^t le plus jusqu'a` quel point il
portait le tact des nations e? trange`res, c'est son Essai sur la
poe? sie he? brai? que. Jamais on n'a mieux exprime? le ge? nie d'un
peuple prophe`te, pour qui l'inspiration poe? tique e? tait un
rapport intime avec la Divinite? . La vie errante de ce peuple, ses
moeurs, les pense? es dont il e? taitcapable, les images qui lui e? taient
habituelles, sont indique? es par Herder avec une e? tonnante sa-
gacite? . A l'aide des rapprochements les plus inge? nieux, il cher-
che a` donner l'ide? e de la syme? trie du verset des He? breux, de ce
retour du me^me sentiment ou de la me^me image en des termes
diffe? rents, dont chaque stance offre l'exemple. Quelquefois il
compare cette brillante re? gularite? a` deux rangs de perles qui en-
tourent la chevelure d'une belle femme. << L'art et la nature, dit-
<< il, conservent toujours une imposante uniformite? a` travers leur
<< abondance. >> A moins de lire les psaumes des He? breux dans
l'original, il est impossible de mieux pressentir leur charme que
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? HERDEH. 36l
par ce qu'en dit Herder. Son imagination e? tait a` l'e? troit dans les
contre? es de l'Occident; il se plaisait a` respirer les parfums de
l'Asie, et transmettait dans ses ouvrages le pur encens que sou
Cime y avait recueilli. C'est lui qui le premier a fait connai^tre en Allemagne les poe? -
sies espagnoles et portugaises : les traductions de W. Schlegel
les y ont depuis naturalise? es. Herder a publie? un recueil intitule?
Chansons poputairets; ce recueil contient les romances et les
poe? sies de? tache? es ou` sont empreints le caracte`re national et
l'imagination des peuples. On y peut e? tudier la poe? sie naturelle,
relie qui pre? ce`de les lumie`res. La litte? rature cultive? e devient si
promptement factice, qu'il est bon de retourner quelquefois a`
l'origine de toute poe? sie, c'est-a`-dire a` l'impression de la nature
sur l'homme, avant qu'il eu^t analyse? l'univers et lui-me^me. La
flexibilite? de l'allemand permet seule peut-e^tre de traduire ces
nai? vete? s du langage de chaque pays, sans lesquelles on ne rec? oit
aucune impression des poe? sies populaires; les mots, dans ces
poe? sies, ont par eux-me^mes une certaine gra^ce qui nous e? meut
comme une fleur que nous avons vue, comme un air que nous
avons entendu dans notre enfance: ces impressions singulie`res
contiennent non-seulement les secrets de l'art, mais ceux de
l'a^me ou` l'art les a puise? s. Les Allemands, en litte? rature, ana-
lysent jusqu'a` l'extre? mite? des sensations, jusqu'a` ces nuances
de? licates qui se refusent a` la parole, et l'on pourrait leur repro-
cher de s'attacher tropen toutgenre a` faire comprendre l'inex-
primable.
Je parlerai dans la quatrie`me partie de cet ouvrage des e? crits de Herder sur la the? ologie; l'histoire et la litte? rature s'y trouvent
aussi souvent re? unies. Un homme d'un ge? nie aussi since`re que
Herder devait me^ler la religion a` toutes ses pense? es, et toutes ses
pense? es a` la religion. On a dit que ses e? crits ressemblaient a` une
conversation anime? e: il est vrai qu'il n'a pas dans ses ouvrages la forme me? thodique qu'on est convenu de donner aux livres. C'est
sous les portiques et dans les jardins de l'Acade? mie, que Platon
expliquait a` ses disciples le syste`me du monde intellectuel. On
retrouve dans Herder cette noble ne? gligence du talent, toujours
impatient de marcher a` des ide? es nouvelles. C'est une invention
JHI>\ME DE STAEL. 31
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? 362 LES C1UT1QUES A. Vf. ET F.
moderne, que ce qu'on appelle un livre bien fait. La de? couverte
de l'imprimerie a rendu ne? cessaires les divisions, les re? sume? s ,
tout l'appareil enfin de la logique. La plupart des ouvrages phi-
losophiques des anciens sont des traite? s ou des dialogues , qu'on
se repre? sente comme des entretiens e? crits. Montaigne aussi s'a-
bandonnait de me^me au cours naturel de ses pense? es. Il faut,
il est vrai, pour un tel laisser aller, la supe? riorite? la plus de? ci-
de? e : l'ordre supple? e a` la richesse, et si la me? diocrite? marchait
au hasard, elle ne ferait d'ordinaire que nous ramener au me^me
point, avec la fatigue de plus; mais un homme de ge? nie inte? resse
davantage, quand il se montre tel qu'il est, et que ses livres
semblent pluto^t improvise? s que compose? s.
Herder avait, dit-on, une conversation admirable, et l'on sent
dans ses e? crits que cela devait e^tre ainsi. L'on y sent bien aussi
ce que tous ses amis attestent, c'est qu'il n'e? tait point d'homme
meilleur. Quand le talent litte? raire peut inspirer a` ceux qui ne
nous connaissent point encore, du penchant a` nous aimer,
c'est le pre? sent du ciel dont on recueille les plus doux fruits sur
la terre.
CHAPITRE XXXI.
ncs richesses litte? raires de l'Allemagne, et de ses critiques les plus renomme? s,
Auguste Wilhelm et Fre? de? ric Schlegel.
Dans le tableau que je viens de pre? senter de la litte? rature alle-
mande, j'ai ta^che? de de? signer les ouvrages principaux; mais il
m'afallu renoncer me^me a` nommer un grand nombre d'hom-
mes , dont les e? crits moins connus servent plus efficacement
a` l'instruction de ceux qui les lisent qu'a` la gloire de leurs
auteurs.
Les traite? s sur les beaux-arts, les ouvrages d'e? rudition et de
philosophie, quoiqu'ils n'appartiennent pas imme? diatement a` la
litte?
rature, doivent pourtant e^tre compte? s parmi ses richesses.
Il y adans cette Allemagne des tre? sors d'ide? es et de connaissances
que le reste des nations de l'Europe n'e? puisera pas de long-
temps.
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? LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 361)
?
Le ge? nie poe? tique, si le ciel nous le rend, pourrait aussi re-
cevoir une impulsion heureuse de l'amour pour la nature, les
arts et la philosophie , qui fermente dans les contre? es germani-
ques; mais au moins j'ose affirmerque tout homme qui voudra se
vouer maintenant a` quelque travail se? rieux que ce soit, sur
l'histoire, la philosophie ou l'antiquite? , ne saurait se passer de
connai^tre les e? crivains allemands qui s'en sont occupe? s.
La France peut s'honorer d'un grand nombre d'e? rudits de la premie`re force, mais rarement les connaissances et la sagacite?
philosophique y ont e? te? re? unies, tandis qu'en Allemagne elles
sont maintenant presque inse? parables. Ceux qui plaident en
faveur de l'ignorance, comme d'un garant de la gra^ce, citent
un grand nombre d'hommes de beaucoup d'esprit qui n'avaient
aucune instruction; mais ils oublient que ces hommes ont pro-
fonde? ment e? tudie? le coeur humain tel qu'il se montre dans le
monde, et que c'e? tait sur ce sujet qu'ils avaient des ide? es. Mais
si ces savants , en fait de socie? te? , voulaient juger la litte? rature
sans la connai^tre, ils seraient ennuyeux comme les bourgeois
quand ils parlent de la cour.
Lorsque j'ai commence? l'e? tude de l'allemand, il m'a semble?
que j'entraisdans une sphe`re nouvelle, ou` se manifestaient les
lumie`res les plus frappantes sur tout ce que je sentais aupara-
vant d'une manie`re confuse. Depuis quelque temps on ne lit
gue`re en France que des me? moires ou des romans , et ce n'est
pas tout a` fait par frivolite? qu'on est devenu moins capable de
lectures plus se? rieuses, c'est parce que les e? ve? nements de la re? -
volution ont accoutume? a` ne mettre de prix qu'a` la connaissance
des faits et des hommes: on trouve dans les livres allemands,
sur les sujets les plus abstraits, le genre d'inte? re^t qui fait re-
chercher les bons romans, c'est-a`-dire ce qu'ils nous apprennent
sur notre propre coeur. Le caracte`re distinctif de la litte? rature
allemande est de rapporter tout a` l'existence inte? rieure; et
comme c'est la` le myste`re des myste`res, unecuriosite? sans bornes
s'y attache.
Avant de passer a` la philosophie, qui fait toujours partie des
lettres, dans les pays ou` la litte? rature est libre et puissante, je
dirai quelques mots de ce qu'on peut conside? rer comme la le? gis-
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? ?
36l" LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEt. lation de cet empire, la critique. Il n'est point de branche de la litte? rature allemande qui ait e? te? porte? e plus loin, et comme dans
de certaines villes l'on trouve plus de me? decins que de malades,
il y a quelquefois en Allemagne encore plus de critiques que d'au-
teurs; mais les analyses de Lessing, le cre? ateur du style, dans
la prose allemande, sont telles qu'on peut les conside? rer comme
des ouvrages.
Kant, Goethe, J. de Mu`ller, les plus grands e? crivains de
l'Allemagne, en tout genre, ont inse? re? dans les journaux ce qu'ils
appellent les recensions des divers e? crits qui ont paru, et ces
recensions renferment la the? orie philosophique et les connaissan-
ces positives les plus approfondies. Parmi les e? crivains plusjeu-nes, Schiller et les deux Schlegel se sont montre? s de beaucoup
supe? rieurs a` tous les autres critiques. Schiller est le premier,
parmi les disciples de Kant, qui ait applique? sa philosophie a` la
litte? rature; et en effet, partir de l'a^me pour juger les objets ex-
te? rieurs, ou des objets exte? rieurs pour savoir ce qui se passe dans
l'a^me, c'est une marche si diffe? rente que tout doit s'en ressen-
tir. Schiller a e? crit deux traite? s sur le nai? f et le sentimental,
dans lesquels le talent qui s'ignore et le talent qui s'observe lui-me^me sont analyse? s avec une sagacite? prodigieuse; mais dans
son essai sur la Gra^ce et la Dignite? , et dans ses lettres sur \'Es-
the? tique, c'est-a`-dire la the? orie du beau, il y a trop de me? taphysi-
que. Lorsqu'on veut parler des jouissances des arts, dont tous
les hommes sont susceptibles, il faut s'appuyer toujours sur les
impressions qu'ils ont rec? ues, et ne pas se permettre les formes
abstraites qui font perdre la trace de ces impressions. Schiller
tenait a` la litte? rature par son talent, et a` la philosophie par son
penchant pour la re? flexion ; ses e? crits en prose sont aux confins
des deux re? gions; mais il empie`te trop souvent sur la plus haute;
et, revenant sans cesse a` ce qu'il y a de plus abstrait dans la
the? orie, il de? daigne l'application comme une conse? quence inutile
des principes qu'il a pose? s.
La description anime? e des chefs-d'oeuvre donne bien plus d'in-
te? re^t a` la critique que les ide? es ge? ne? rales qui planent sur tous les
sujets, sans en caracte? riser aucun. La me? taphysique est, pour
ainsi dire, la science de l'immuable; mais tout ce qui est soumis
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? LES CHITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 360
;i? la succession du temps ne s'explique que par le me? lange des
faits et des re? flexions: les Allemands voudraient arriver sur tous
les sujets a` des the? ories comple`tes, et toujours inde? pendantes
des circonstances; mais comme cela est impossible, il ne faut
pas renoncer aux faits, dans la crainte qu'ils ne circonscrivent
les ide? es; et les exemples seuls, dans la the? orie comme dans la
pratique, gravent les pre? ceptes dans le souvenir.
La quintessence de pense? es que pre? sentent certains ouvrages
allemands ne concentre pas, comme celle des fleurs, les parfums
les plus odorife? rants; ou dirait au contraire qu'elle n'est qu'un
reste froid d'e? motions pleines de vie. On pourrait extraire cepen-
dant de ces ouvrages une foule d'observations d'un grand in-
te? re^t; mais elles se confondent les unes dans les autres. L'auteur,
a` force de pousser son esprit en avant, conduit ses lecteurs a` ce
point ou` les ide? es sont trop fines pour qu'on doive essayer de
les transmettre.
Les e? crits de A. W. Schlegel sont moins abstraits que ceux de Schiller; comme il posse`de en litte? rature des connaissances rares,
me^me dans sa patrie, il est ramene? sans cesse a` l'applicaticb
par le plaisir qu'il trouve a` comparer les diverses langues et les diffe? rentes poe? sies entre elles. Un point de vue si universel de-
\Tait presque e^tre conside? re? comme infaillible, si la partialite? ne
l'alte? rait pas quelquefois; mais cette partialite? n'est point arbi-
traire , et j'en indiquerai la marche et le but; cependant, comme
il y a des sujets dans lesquels elle ne se fait point sentir, c'est
d'abord de ceux-la` que je parlerai. W. Schlegel a donne? a` Vienne un cours de litte? rature dram;;-
tique ? qui embrasse ce qui a e? te? compose? de plus remarquable
pour le the? a^tre, depuis les Grecs jusqu'a` nos jours; ce n'est
point une nomencjature ste? rile des travaux des divers auteurs;
l'esprit de chaque litte? rature y est saisi avec l'imagination d'un
poe`te; l'on sent que, pour donner de tels re? sultats, il faut des
e? tudes extraordinaires; mais l'e? rudition ne s'aperc? oit dans cet
ouvrage que par la connaissance parfaite des chefs-d'oeuvre.
1 Cet ouvrage est traduit en franc? ais. L'auteur anonyme de la traduction
(madame Neckcrdc Saussure) y a joint une pre? face pleine de pense? es neuve>>
et inge? nieuses.
3l.
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? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 360 HERDER.
diffe? rents, l'histoire, la litte? rature et la the? ologie. Il s'e? tait fort
occupe? de l'antiquite? en ge? ne? ral, et des langues orientales en par-
ticulier. Son livre intitule? la Philosophie de U Histoire est peut-e^tre le livre allemand e? crit avec le plus de charme. On n'y trouve
pas la me^me profondeur d'observations politiques que dans l'ou-
vrage de Montesquieu, sur les Causes de la grandeur et de la
de? cadence des Romains; mais comme Herder s'attachait a` pe? -
ne? trer le ge? nie des temps les plus recule? s, peut-e^tre que la qua-
lite? qu'il posse? dait au supre^me degre? , l'imagination, servait
mieux que toute autre a` les faire connai^tre. Il faut ce flambeau
pour marcher dans les te? ne`bres ; c'est une lecture de? licieuse que
les divers chapitres de Herder sur Perse? polis et Babylone , sur
les He? breux et sur les E? gyptiens; il semble qu'on se prome`ne au
milieu de l'ancien monde avec un poe`te historien, qui touche
les ruines de sa baguette, et reconstruit a` nos yeux les e? difices abattus. On exige en Allemagne, me^me des hommes du plus grand ta-
lent, une instruction si e? tendue, que des critiques ont accuse?
Herder de n'avoir pas une e? rudition assez approfondie. Mais ce
qui nous frapperait, au contraire, c'est la varie? te? de ses con-
naissances ; toutes les langues lui e? taient connues, et celui de
tous ses ouvrages ou` l'on reconnai^t le plus jusqu'a` quel point il
portait le tact des nations e? trange`res, c'est son Essai sur la
poe? sie he? brai? que. Jamais on n'a mieux exprime? le ge? nie d'un
peuple prophe`te, pour qui l'inspiration poe? tique e? tait un
rapport intime avec la Divinite? . La vie errante de ce peuple, ses
moeurs, les pense? es dont il e? taitcapable, les images qui lui e? taient
habituelles, sont indique? es par Herder avec une e? tonnante sa-
gacite? . A l'aide des rapprochements les plus inge? nieux, il cher-
che a` donner l'ide? e de la syme? trie du verset des He? breux, de ce
retour du me^me sentiment ou de la me^me image en des termes
diffe? rents, dont chaque stance offre l'exemple. Quelquefois il
compare cette brillante re? gularite? a` deux rangs de perles qui en-
tourent la chevelure d'une belle femme. << L'art et la nature, dit-
<< il, conservent toujours une imposante uniformite? a` travers leur
<< abondance. >> A moins de lire les psaumes des He? breux dans
l'original, il est impossible de mieux pressentir leur charme que
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? HERDEH. 36l
par ce qu'en dit Herder. Son imagination e? tait a` l'e? troit dans les
contre? es de l'Occident; il se plaisait a` respirer les parfums de
l'Asie, et transmettait dans ses ouvrages le pur encens que sou
Cime y avait recueilli. C'est lui qui le premier a fait connai^tre en Allemagne les poe? -
sies espagnoles et portugaises : les traductions de W. Schlegel
les y ont depuis naturalise? es. Herder a publie? un recueil intitule?
Chansons poputairets; ce recueil contient les romances et les
poe? sies de? tache? es ou` sont empreints le caracte`re national et
l'imagination des peuples. On y peut e? tudier la poe? sie naturelle,
relie qui pre? ce`de les lumie`res. La litte? rature cultive? e devient si
promptement factice, qu'il est bon de retourner quelquefois a`
l'origine de toute poe? sie, c'est-a`-dire a` l'impression de la nature
sur l'homme, avant qu'il eu^t analyse? l'univers et lui-me^me. La
flexibilite? de l'allemand permet seule peut-e^tre de traduire ces
nai? vete? s du langage de chaque pays, sans lesquelles on ne rec? oit
aucune impression des poe? sies populaires; les mots, dans ces
poe? sies, ont par eux-me^mes une certaine gra^ce qui nous e? meut
comme une fleur que nous avons vue, comme un air que nous
avons entendu dans notre enfance: ces impressions singulie`res
contiennent non-seulement les secrets de l'art, mais ceux de
l'a^me ou` l'art les a puise? s. Les Allemands, en litte? rature, ana-
lysent jusqu'a` l'extre? mite? des sensations, jusqu'a` ces nuances
de? licates qui se refusent a` la parole, et l'on pourrait leur repro-
cher de s'attacher tropen toutgenre a` faire comprendre l'inex-
primable.
Je parlerai dans la quatrie`me partie de cet ouvrage des e? crits de Herder sur la the? ologie; l'histoire et la litte? rature s'y trouvent
aussi souvent re? unies. Un homme d'un ge? nie aussi since`re que
Herder devait me^ler la religion a` toutes ses pense? es, et toutes ses
pense? es a` la religion. On a dit que ses e? crits ressemblaient a` une
conversation anime? e: il est vrai qu'il n'a pas dans ses ouvrages la forme me? thodique qu'on est convenu de donner aux livres. C'est
sous les portiques et dans les jardins de l'Acade? mie, que Platon
expliquait a` ses disciples le syste`me du monde intellectuel. On
retrouve dans Herder cette noble ne? gligence du talent, toujours
impatient de marcher a` des ide? es nouvelles. C'est une invention
JHI>\ME DE STAEL. 31
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 362 LES C1UT1QUES A. Vf. ET F.
moderne, que ce qu'on appelle un livre bien fait. La de? couverte
de l'imprimerie a rendu ne? cessaires les divisions, les re? sume? s ,
tout l'appareil enfin de la logique. La plupart des ouvrages phi-
losophiques des anciens sont des traite? s ou des dialogues , qu'on
se repre? sente comme des entretiens e? crits. Montaigne aussi s'a-
bandonnait de me^me au cours naturel de ses pense? es. Il faut,
il est vrai, pour un tel laisser aller, la supe? riorite? la plus de? ci-
de? e : l'ordre supple? e a` la richesse, et si la me? diocrite? marchait
au hasard, elle ne ferait d'ordinaire que nous ramener au me^me
point, avec la fatigue de plus; mais un homme de ge? nie inte? resse
davantage, quand il se montre tel qu'il est, et que ses livres
semblent pluto^t improvise? s que compose? s.
Herder avait, dit-on, une conversation admirable, et l'on sent
dans ses e? crits que cela devait e^tre ainsi. L'on y sent bien aussi
ce que tous ses amis attestent, c'est qu'il n'e? tait point d'homme
meilleur. Quand le talent litte? raire peut inspirer a` ceux qui ne
nous connaissent point encore, du penchant a` nous aimer,
c'est le pre? sent du ciel dont on recueille les plus doux fruits sur
la terre.
CHAPITRE XXXI.
ncs richesses litte? raires de l'Allemagne, et de ses critiques les plus renomme? s,
Auguste Wilhelm et Fre? de? ric Schlegel.
Dans le tableau que je viens de pre? senter de la litte? rature alle-
mande, j'ai ta^che? de de? signer les ouvrages principaux; mais il
m'afallu renoncer me^me a` nommer un grand nombre d'hom-
mes , dont les e? crits moins connus servent plus efficacement
a` l'instruction de ceux qui les lisent qu'a` la gloire de leurs
auteurs.
Les traite? s sur les beaux-arts, les ouvrages d'e? rudition et de
philosophie, quoiqu'ils n'appartiennent pas imme? diatement a` la
litte?
rature, doivent pourtant e^tre compte? s parmi ses richesses.
Il y adans cette Allemagne des tre? sors d'ide? es et de connaissances
que le reste des nations de l'Europe n'e? puisera pas de long-
temps.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 361)
?
Le ge? nie poe? tique, si le ciel nous le rend, pourrait aussi re-
cevoir une impulsion heureuse de l'amour pour la nature, les
arts et la philosophie , qui fermente dans les contre? es germani-
ques; mais au moins j'ose affirmerque tout homme qui voudra se
vouer maintenant a` quelque travail se? rieux que ce soit, sur
l'histoire, la philosophie ou l'antiquite? , ne saurait se passer de
connai^tre les e? crivains allemands qui s'en sont occupe? s.
La France peut s'honorer d'un grand nombre d'e? rudits de la premie`re force, mais rarement les connaissances et la sagacite?
philosophique y ont e? te? re? unies, tandis qu'en Allemagne elles
sont maintenant presque inse? parables. Ceux qui plaident en
faveur de l'ignorance, comme d'un garant de la gra^ce, citent
un grand nombre d'hommes de beaucoup d'esprit qui n'avaient
aucune instruction; mais ils oublient que ces hommes ont pro-
fonde? ment e? tudie? le coeur humain tel qu'il se montre dans le
monde, et que c'e? tait sur ce sujet qu'ils avaient des ide? es. Mais
si ces savants , en fait de socie? te? , voulaient juger la litte? rature
sans la connai^tre, ils seraient ennuyeux comme les bourgeois
quand ils parlent de la cour.
Lorsque j'ai commence? l'e? tude de l'allemand, il m'a semble?
que j'entraisdans une sphe`re nouvelle, ou` se manifestaient les
lumie`res les plus frappantes sur tout ce que je sentais aupara-
vant d'une manie`re confuse. Depuis quelque temps on ne lit
gue`re en France que des me? moires ou des romans , et ce n'est
pas tout a` fait par frivolite? qu'on est devenu moins capable de
lectures plus se? rieuses, c'est parce que les e? ve? nements de la re? -
volution ont accoutume? a` ne mettre de prix qu'a` la connaissance
des faits et des hommes: on trouve dans les livres allemands,
sur les sujets les plus abstraits, le genre d'inte? re^t qui fait re-
chercher les bons romans, c'est-a`-dire ce qu'ils nous apprennent
sur notre propre coeur. Le caracte`re distinctif de la litte? rature
allemande est de rapporter tout a` l'existence inte? rieure; et
comme c'est la` le myste`re des myste`res, unecuriosite? sans bornes
s'y attache.
Avant de passer a` la philosophie, qui fait toujours partie des
lettres, dans les pays ou` la litte? rature est libre et puissante, je
dirai quelques mots de ce qu'on peut conside? rer comme la le? gis-
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36l" LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEt. lation de cet empire, la critique. Il n'est point de branche de la litte? rature allemande qui ait e? te? porte? e plus loin, et comme dans
de certaines villes l'on trouve plus de me? decins que de malades,
il y a quelquefois en Allemagne encore plus de critiques que d'au-
teurs; mais les analyses de Lessing, le cre? ateur du style, dans
la prose allemande, sont telles qu'on peut les conside? rer comme
des ouvrages.
Kant, Goethe, J. de Mu`ller, les plus grands e? crivains de
l'Allemagne, en tout genre, ont inse? re? dans les journaux ce qu'ils
appellent les recensions des divers e? crits qui ont paru, et ces
recensions renferment la the? orie philosophique et les connaissan-
ces positives les plus approfondies. Parmi les e? crivains plusjeu-nes, Schiller et les deux Schlegel se sont montre? s de beaucoup
supe? rieurs a` tous les autres critiques. Schiller est le premier,
parmi les disciples de Kant, qui ait applique? sa philosophie a` la
litte? rature; et en effet, partir de l'a^me pour juger les objets ex-
te? rieurs, ou des objets exte? rieurs pour savoir ce qui se passe dans
l'a^me, c'est une marche si diffe? rente que tout doit s'en ressen-
tir. Schiller a e? crit deux traite? s sur le nai? f et le sentimental,
dans lesquels le talent qui s'ignore et le talent qui s'observe lui-me^me sont analyse? s avec une sagacite? prodigieuse; mais dans
son essai sur la Gra^ce et la Dignite? , et dans ses lettres sur \'Es-
the? tique, c'est-a`-dire la the? orie du beau, il y a trop de me? taphysi-
que. Lorsqu'on veut parler des jouissances des arts, dont tous
les hommes sont susceptibles, il faut s'appuyer toujours sur les
impressions qu'ils ont rec? ues, et ne pas se permettre les formes
abstraites qui font perdre la trace de ces impressions. Schiller
tenait a` la litte? rature par son talent, et a` la philosophie par son
penchant pour la re? flexion ; ses e? crits en prose sont aux confins
des deux re? gions; mais il empie`te trop souvent sur la plus haute;
et, revenant sans cesse a` ce qu'il y a de plus abstrait dans la
the? orie, il de? daigne l'application comme une conse? quence inutile
des principes qu'il a pose? s.
La description anime? e des chefs-d'oeuvre donne bien plus d'in-
te? re^t a` la critique que les ide? es ge? ne? rales qui planent sur tous les
sujets, sans en caracte? riser aucun. La me? taphysique est, pour
ainsi dire, la science de l'immuable; mais tout ce qui est soumis
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? LES CHITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL. 360
;i? la succession du temps ne s'explique que par le me? lange des
faits et des re? flexions: les Allemands voudraient arriver sur tous
les sujets a` des the? ories comple`tes, et toujours inde? pendantes
des circonstances; mais comme cela est impossible, il ne faut
pas renoncer aux faits, dans la crainte qu'ils ne circonscrivent
les ide? es; et les exemples seuls, dans la the? orie comme dans la
pratique, gravent les pre? ceptes dans le souvenir.
La quintessence de pense? es que pre? sentent certains ouvrages
allemands ne concentre pas, comme celle des fleurs, les parfums
les plus odorife? rants; ou dirait au contraire qu'elle n'est qu'un
reste froid d'e? motions pleines de vie. On pourrait extraire cepen-
dant de ces ouvrages une foule d'observations d'un grand in-
te? re^t; mais elles se confondent les unes dans les autres. L'auteur,
a` force de pousser son esprit en avant, conduit ses lecteurs a` ce
point ou` les ide? es sont trop fines pour qu'on doive essayer de
les transmettre.
Les e? crits de A. W. Schlegel sont moins abstraits que ceux de Schiller; comme il posse`de en litte? rature des connaissances rares,
me^me dans sa patrie, il est ramene? sans cesse a` l'applicaticb
par le plaisir qu'il trouve a` comparer les diverses langues et les diffe? rentes poe? sies entre elles. Un point de vue si universel de-
\Tait presque e^tre conside? re? comme infaillible, si la partialite? ne
l'alte? rait pas quelquefois; mais cette partialite? n'est point arbi-
traire , et j'en indiquerai la marche et le but; cependant, comme
il y a des sujets dans lesquels elle ne se fait point sentir, c'est
d'abord de ceux-la` que je parlerai. W. Schlegel a donne? a` Vienne un cours de litte? rature dram;;-
tique ? qui embrasse ce qui a e? te? compose? de plus remarquable
pour le the? a^tre, depuis les Grecs jusqu'a` nos jours; ce n'est
point une nomencjature ste? rile des travaux des divers auteurs;
l'esprit de chaque litte? rature y est saisi avec l'imagination d'un
poe`te; l'on sent que, pour donner de tels re? sultats, il faut des
e? tudes extraordinaires; mais l'e? rudition ne s'aperc? oit dans cet
ouvrage que par la connaissance parfaite des chefs-d'oeuvre.
1 Cet ouvrage est traduit en franc? ais. L'auteur anonyme de la traduction
(madame Neckcrdc Saussure) y a joint une pre? face pleine de pense? es neuve>>
et inge? nieuses.
3l.
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