maladive
des nerfs qui, en affaiblis-
?
?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
rielle que de la donner pour dernier but a`
la cre? ation.
Ceux qui, malgre? la foule immense des malheurs particuliers,
attribuent un certain genre de bonte? a` la nature, la conside`rent
comme un spe? culateur en grand qui se retire sur le nombre. Ce
syste`me ne convient pas me^me a` un gouvernement, et des e? cri-
vains scrupuleux en e? conomie politique l'ont combattu. Que se-
rait-ce donc, lorsqu'il s'agit des intentions de la Divinite? ? Un
homme, religieusement conside? re? , est autant que la race hu-
maine entie`re, et de`s qu'on a conc? u l'ide? e d'une a^me immortelle,
il ne doit pas e^tre possible d'admettre le plus ou le moins d'im-
portance d'un individu relativement a` tous. Chaque e^tre intel-
ligent est d'une valeur infinie, puisqu'il doit durer toujours.
C'est doncdapre`s un point de vue plus e? leve? que les philosophes
allemands ont conside? re? l'univers.
Il en est qui croient voir en tout deux principes, celui du bien
et celui du mal, se combattant sans cesse ; et soit qu'on attribue
ce combat a` une puissance infernale, soit, ce qui est plus sim-
ple a` penser, que le monde physique puisse e^tre l'image des bons
et des mauvais penchants de l'homme, toujours est-il vrai que
ce monde offre a` l'observation deux faces absolument contraires,
48
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? 56fi CONTEMPLAI ION DE LA NATURE.
Il y a, l'on ne saurait le nier, un co^te? terrible dans la nature,
comme dans le coeur humain, et l'on y sent une redoutable
puissance de cole`re. Quelle que soit la bonne intention des par-
tisans de l'optimisme, plus de profondeur se fait remarquer, ce
me semble, dans ceux qui ne nient pas le mal, mais qui com-
prennent la connexion de ce mal avec la liberte? de l'homme,
avec l'immortalite? qu'elle peut lui me? riter.
Les e? crivains mystiques, dont j'ai parle? dans les chapitres
pre? ce? dents, voient dans l'homme l'abre? ge? du monde, et dans le
monde l'emble`me des dogmes du christianisme. La nature leur
parai^t l'image corporelle de la Divinite? , et ils se plongent tou-
jours plus avant dans la signification profonde des choses et des
e^tres.
Parmi les e? crivains allemands qui se sont occupe? s de la contem-
plation de la nature sous des rapports religieux, deux me? ritent
une attention particulie`re: Novalis comme poe`te, et Schubert
comme physicien. Novalis, homme d'une naissance illustre,
e? tait initie? de`s sa jeunesse dans les e? tudes de tout genre que la
nouvelle e? cole a de? veloppe? es en Allemagne; mais son a^me pieuse
a donne? un grand caracte`re de simplicite? a` ses poe? sies. Il est
mort a` vingt-six ans; et c'est lorsqu'il n'e? tait de? ja` plus que les
chants religieux qu'il a compose? s ont acquis en Allemagne une
ce? le? brite? touchante. Le pe`rede ce jeune homme est morave; et,
quelque temps apre`s la mort de son fils, il alla visiter une com-
munaute? de ses fre`res en religion, et dans leur e? glise il entendit
chanter les poe? sies de son fils, que les moraves avaient choisies
pour s'e? difier, sans en connai^tre l'auteur.
Parmi les oeuvres de Novalis, on distingue des hymnes a` la
nuit, qui peignent avec une grande force le recueillement qu'elle
fait nai^tre dans l'a^me. L'e? clat du jour peut convenir a` la joyeuse
doctrine du paganisme; mais le ciele? toile? parai^t le ve? ritable tem-
ple du culte le plus pur. C'est dans l'obscurite? des nuits, dit un
poe`te allemand, que l'immortalite? s'est re? ve? le? e a` l'homme : la lu-
mie`re du soleil e? blouit les yeux qui croient voir. Des stances de
Novalis sur la vie des mineurs renferment une poe? sie anime? e,
d'un tre`s-grand effet; il interroge la terre qu'on rencontre dans
les profondeurs, parce qu'elle fut le te? moin des diverses re? volu-
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? CONTEMPLATION DE LA NATURE. 507
tions que la nature a subies ; et il exprime un de? sir e? nergique de
pe? ne? trer toujours plus avantvers le centre du globe. Le contraste
de cette immense curiosite? , avec la vie si fragile qu'il faut expo-
ser pour la satisfaire, cause une e? motion sublime. L'homme est
place? sur la terre entre l'infini des cieux et l'infini des abi^mes;
et sa vie, dans le temps, est aussi de me^me entre deux e? terni-
te? s. De toutes parts entoure? par des ide? es et des objets sans bor-
nes, des pense? es innombrables lui apparaissent, comme des
milliers de lumie`res qui se confondent et l'e? blouisseut.
IVovalis a beaucoup e? crit sur la nature en ge? ne? ral ; il se nomme lui-me^me, avec raison, le disciple de Sai? s , parce que ces', uans
cette ville qu'e? tait fonde? le temple d'Isis; et que les traditions
qui nous restent des myste`res des E? gyptiens portent a` croire
que leurs pre^tres avaient une connaissance approfondie des lois
de l'univers.
<< L'homme est avec la nature, dit Novalis, dans des rela-
<< tions presque aussi varie? es, presque aussi inconcevables que
<< celles qu'il entretient avec ses semblables, et comme elle se
<< met a` la porte? e des enfants, et se complai^t avec leurs simples
(i coeurs, de me^me elle se montre sublime aux esprits e? leve? s, et
<< divine aux e^tres divins. L'amour de la nature prend diverses
<< formes , et tandis qu'elle n' excite dans les uns que la joie et
la volonte? , elle inspire aux autres la religion la plus pieuse,
celle qui donne a` toute la vie une direction et un appui. De? ja`
chez les peuples anciens, il y avait des a^mes se? rieuses pour
<< qui l'univers e? tait l'image de la Divinite? , et d'autres qui se
<< croyaient seulement invite? es au festin qu'elle donne: l'air
<< n'e? tait, pour ces convives de l'existence, qu'une boisson rafrai^-
<< chissante; les e? toiles, que des flambeaux qui pre? sidaient aux
? danses pendant la nuit; et les plantes et les animaux, que les
magnifiques appre^ts d'un splendide repas: la nature ne s'of-
? trait pas a` leurs yeux comme un temple majestueux et tran-
>> quille, mais comme le the? a^tre brillant de fe^tes toujours non -
<< velles.
<< Dans ce me^me temps ne? anmoins, des esprits plus profonds
<< s'occupaient sans rela^che a` reconstruire le monde ide? al, dont
les traces avaient de? ja` disparu; ils se partageaient en fre`res le>>
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? 568 CONTEMPLATION DE LA NATURE.
<< travaux les plus sacre? s: les uns cherchaient a` reproduire par
<< la musique les voix de la fore^t et de l'air; les autres impri-
<<maient l'image et le pressentiment d'une race plus noble sur
la pierre et sur l'airain, changeaient les rochers en e? difices , et
<< mettaient au jour les tre? sors cache? s dans la terre. La nature,
<< civilise? e par l'homme, sembla re? pondre a` ses souhaits : l'ima-
<< gination de l'artiste osa l'interroger, et l'a^ge d'or parut renai^tre
<< a` l'aide de la pense? e.
<< Il faut, pour connai^tre la nature, devenir un avec elle. Une
? vie poe? tique et recueillie, uae a^me sainte et religieuse, toute
la force et toute la fleur de l'existence humaine, sont ne? cessai-
<< res pour la comprendre, et le ve? ritable observateur est celui
qui sait de? couvrir l'analogie de cette nature avec l'homme, et
celle de l'homme avec le ciel. >>
Schubert a compose? sur la nature un livre qu'on ne saurait
se lasser de lire, tant il est rempli d'ide? es qui excitent a` la me? -
ditation; il pre? sente le tableau des effets nouveaux, dont l'en-
chai^nement est conc? u sous de nouveaux rapports. Deux ide? es
principales restent de sou ouvrage; les Indiens croient a` la me? -
tempsycose descendante, c'est-a`-dire a` celle qui condamne l'a^me
de l'homme a` passer dans les animaux et dans les plantes, pour
le punir d'avoir mal use? de la vie. L'on peut difficilement se
figurer un syste`me d'une plus profonde tristesse, et les ouvrages
des Indiens en portent la douloureuse empreinte. On croit voir
partout, dans les animaux et les plantes, la pense? e captive et le
sentiment r-enferme? , s'efforcer en vain de se de? gager des formes
grossie`res et muettes qui les enchai^nent. Le syste`me de Schubert
est plus consolant; il se repre? sente la nature comme une me? -
tempsycose ascendante, dans laquelle, depuis la pierre jusqu'a`
l'existence humaine, il y a une promotion continuelle qui fait
avancer le principe vital de degre? s en degre? s, jusqu'au perfection-
nement le plus complet.
Schubert croit aussi qu'il a existe? des e? poques ou` l'homme
avait un sentiment si vif et si de? licat des phe? nome`nes existants,
qu'il devinait, par ses propres impressions, les secrets les plus
cache? s de la nature. Ces faculte? s primitives se sont e? mousse? es,
tt c'est souvent l'irritabilite?
maladive des nerfs qui, en affaiblis-
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? CONTEMPLATION DE LA SATURE. JIV. I
sant la puissance du raisonnement, rend a` l'homme l'instinct
qu'il devait jadis a` la ple? nitude me^me de ses forces. Les travaux
des philosophes, des savants et des poetes, en Allemagne, ont
pour but de diminuer l'aride puissance du raisonnement, sans
obscurcir en rien les lumie`res. C'est ainsi que l'imagination du
monde ancien peut renai^tre, comme le phe? nix, des cendres de toutes les erreurs.
La plupart des physiciens ont voulu expliquer, ainsi que je
l'ai de? ja` dit, la nature comme un bon gouvernement, dans lequel
tout est conduit d'apre`s de sages principes administratifs; mais
c'est en vain qu'on veut transporter ce syste`me prosai? que dans
la cre? ation. Le terrible ni me^me le beau ne sauraient e^tre ex-
plique? s par cette the? orie circonscrite, et la nature est tour a` tour
trop cruelle et trop magnifique pour qu'on puisse la soumettre au genre de calcul admis dans le jugement des choses de ce monde.
Il y a des objets hideux en eux-me^mes, dont l'impression sur
nous est inexplicable; de certaines figures d'animaux, de certai-
nes formes de plantes, de certaines combinaisons de couleurs,
re? voltent nos sens, bien que nous ne puissions nous rendre
compte des causes de cette re? pugnance; on dirait que ces con-
tours disgracieux, que ces images rebutantes rappellent la bas-
sesse et la perfidie, quoique rien dans les analogies du raisonne-
ment ne puisse expliquer une telle association d'ide? es. La phy-
sionomie de l'homme ne tient point uniquement, comme l'ont
pre? tendu quelques e? crivains, au dessin plus ou moins prononce? des traits; il passe dans le regard et dans les mouvements du
visage, je ne sais quelle expression de l'a^me impossible a` me? -
connai^tre, et c'est surtout dans la figure humaine qu'on apprend
ce qu'il y a d'extraordinaire et d'inconnu dans les harmonies de
l'esprit et du corps.
Les accidents et les malheurs, dans l'ordre physique, ont
quelque chose de si rapide, de si impitoyable, de si inattendu,
qu'ils paraissent tenir du prodige; la maladie et ses fureurs sont
comme une vie me? chante qui s'empare tout a` coup de la vie pai-
sible. Les affections du coeur nous font sentir la barbarie de
cette nature qu'on veut nous repre? senter comme si douce. Que41.
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? 570 CODTEMPLATIOM DE LA N4T1IBE.
de dangers menacent une te^te che? rie! Sous combien de me? ta-
morphoses la mort ne se de? guise-t-elle pas autour de nous ! Il
n'y a pas un beau jour qui ne puisse rece? ler la foudre; pas une
fleur dont les sucs ne puissent e^tre empoisonne? s, pas un souffle de l'air qui ne puisse apporter avec lui une contagion funeste,
et la nature semble une amante jalouse pre^te a` percer le sein de
l'homme , au moment me^me ou` il s'enivre de ses dons.
Comment comprendre le but de tous ces phe? nome`nes, si l'on
s'en tient a` l'enchai^nement ordinaire de nos manie`res de juger?
Comment peut-on conside? rer les animaux, sans se plonger dans
l'e? tonnement que fait nai^tre leur myste? rieuse existence? Un
poe`te les a nomme? s les re^ves de la nature, dont l'homme est le re? veil. Dans quel but ont-ils e? te? cre? e? s? Que signifient ces
regards qui semblent couverts d'un nuage obscur, derrie`re lequel
une ide? e voudrait se faire jour ? Quels rapports ont-ils avec nous?
Qu'est-ce que la part de vie dont ils jouissent? Un oiseau survit
a` l'homme de ge? nie, et je ne sais quel bizarre de? sespoir saisit
le coeur, quand on a perdu ce qu'on aime, et qu'on voit le souffle
de l'existence animer encore un insecte, qui se meut sur la terre,
d'ou` le plus noble objet a disparu.
La contemplation de la nature accable la pense? e; ou se sent
avec elle des rapports qui ne tiennent ni au bien ni au mal qu'elle
peut nous faire; mais son a^me visible vient chercher la no^tre
dans notre sein, et s'entretient avec nous. Quand les te? ne`bres
nous e? pouvantent, ce ne sont pas toujours les pe? rils auxquels
ils nous exposent que nous redoutons, mais c'est la sympathie
de la nuit avec tous les genres de privations et dedouleurs dont
nous sommes pe? ne? tre? s. Le soleil, au contraire, est comme une
e? manation de la Divinite? , comme le messager e? clatant d'une
prie`re exauce? e; ses rayons descendent sur la terre, non-seule-
ment pour guider les travaux de l'homme, mais pour exprimer
de l'amour a` la nature.
Les fleurs se tournent vers la lumie`re, afin de l'accueillir; elles
se referment pendant la nuit, et le matin et le soir elles semblent
exhaler en parfums leurs hymnes de louanges. Quand on e? le`ve
ces fleurs dans l'obscurite? , pa^les, ellesne reve^tent plus leurs cou-
leurs accoutume? es; mais quand on les rend au jour, le soleil
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? CONTEMPLATION DE LA NATUHE. 571
re? fle? chit en elles ses rayons varie? s comme dans l'arc-en-ciel, et
l'on dirait qu'il se mire avec orgueil dans la beaute? dont il les a pare? es. Le sommeil des ve? ge? taux, pendant de certaines heures
et de certaines saisons de l'anne? e, est d'accord avec le mouve-
ment de la terre; elle entrai^ne dans les re? gions qu'elle parcourt
la moitie? des plantes, des animaux et des hommes endormis. Les
passagers de ce grand vaisseau qu'on appelle le monde se lais-
sent bercer dans le cercle que de? crit leur voyageuse demeure.
La paix et la discorde, l'harmonie et la dissonance qu'un lien
secret re? unit, sont les premie`res lois de la nature; et, soit qu'elle
se montre redoutable ou charmante, l'unite? sublime qui la carac-
te? rise se fait toujours reconnai^tre. La flamme se pre? cipite en
vagues commeles torrents; les nuages qui parcourent les airs pren-
nent quelquefois la forme des montagnes et des valle? es, et sem-
blent imiter en se jouant l'image de la terre. Il est dit dans la
Gene`se, << que le Tout-Puissant se? para les eaux de la terre des eaux
du ciel, et les suspendit dans les airs. >> Le ciel est en effet un
noble allie? de l'Oce? an; l'azur du firmament se fait voir dans les
ondes, et les vagues se peignent dans les nues. Quelquefois,
quand l'orage se pre? pare dans l'atmosphe`re, la mer fre? mit au
loin, et l'on dirait qu'elle re? pond, par le trouble de ses flots, au
myste? rieux signal qu'elle a rec? u de la tempe^te.
M. de Humboldtdit, dans ses fitesscientifitjutset poe? tiques
sur l'Ame? rique me? ridionale, qu'il a e? te? te? moin d'un phe? nome`ne
observe? dans l'E? gypte, et qu'on appelle mirage. Tout a` coup,
dans les de? serts les plus arides, la re? verbe? ration de l'air prend
l'apparence des lacs ou de la mer, et les animaux eux-me^mes,
haletant de soif, s'e? lancent vers ces images trompeuses, espe? rant
s'y de? salte? rer. Les diverses figures que la gele? e trace sur le verre
offrent encore un nouvel exemple de ces analogies merveilleuses;
les vapeurs condense? es par le froid dessinent des paysages sem-
blables a` ceux qui se font remarquer dans les contre? es septen-
trionales : des fore^ts de pins, des montagnes he? risse? es reparais-
sent sous ces blanches couleurs, et la nature glace? e se plai^t a`
contrefaire ce que la nature anime? e a produit.
Non-seulement la nature se re? pe`te elle-me^me, mais elle sem-
ble vouloir imiter les ouvrages des hommes, et leur donner ainsi
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? 572 CONTEMPLATION DE LA NATURE.
un te? moignage singulier de sa correspondance avec eux. On ra-
conte que dans les i^les voisines du Japon les nuages pre? sen-
tent aux regards l'aspect de ba^timents re? guliers. Les beaux-arts
ont aussi leur type dans la nature, et ce luxe de l'existence est
plus soigne? par elle encore que l'existence me^me : la syme? trie des
formes, dans le re`gne ve? ge? tal et mine? ral, a servi de mode`le aux
architectes, et le reflet des objets et des couleurs dans l'onde
donne l'ide? e des illusions de la peinture; levent, dont le murmure
se prolonge sous les feuilles tremblantes, nous re? ve`le la musique;
et l'on dit me^me que sur les co^tes de l'Asie, ou` l'atmosphe`re est
plus pure, on entend quelquefois le soir une harmonie plaintive
et douce, que la nature semble adresser a` l'homme, afin de lui
apprendre qu'elle respire, qu'elle aime et qu'elle souffre.
Souvent, a` l'aspect d'une belle contre? e, on est tente? de croire
qu'elle a pour unique but d'exciter en nous des sentiments e? leve? s
et nobles. Je ne sais quel rapport existe entre les cieux et lafierte?
du coeur, entre les rayons de la lune qui reposent sur la monta-
gne et le calme de la conscience ; mais ces objets nous parlent un beau langage, et l'on peut s'abandonner au tressaillement qu'ils
causent; l'a^me s'en trouvera bien. Quand, le soir, a` l'extre? mite?
du paysage, le ciel semble toucher de si pre`s a` la terre, l'imagi-
nation se figure, par-dela` l'horizon, un asile de l'espe? rance, une
patrie de l'amour, et la nature semble re? pe? ter silencieusement
que l'homme est immortel.
La succession continuelle de mort et de naissance, dont le
monde physique est le the? a^tre, produirait l'impression la plus
douloureuse, si l'on ne croyait pas y voir la trace de la re? surrec-
tion de toutes choses, et c'est le ve? ritable point de vue religieux
de la contemplation de la nature, que cette manie`re de la cousi-
de? rer.
la cre? ation.
Ceux qui, malgre? la foule immense des malheurs particuliers,
attribuent un certain genre de bonte? a` la nature, la conside`rent
comme un spe? culateur en grand qui se retire sur le nombre. Ce
syste`me ne convient pas me^me a` un gouvernement, et des e? cri-
vains scrupuleux en e? conomie politique l'ont combattu. Que se-
rait-ce donc, lorsqu'il s'agit des intentions de la Divinite? ? Un
homme, religieusement conside? re? , est autant que la race hu-
maine entie`re, et de`s qu'on a conc? u l'ide? e d'une a^me immortelle,
il ne doit pas e^tre possible d'admettre le plus ou le moins d'im-
portance d'un individu relativement a` tous. Chaque e^tre intel-
ligent est d'une valeur infinie, puisqu'il doit durer toujours.
C'est doncdapre`s un point de vue plus e? leve? que les philosophes
allemands ont conside? re? l'univers.
Il en est qui croient voir en tout deux principes, celui du bien
et celui du mal, se combattant sans cesse ; et soit qu'on attribue
ce combat a` une puissance infernale, soit, ce qui est plus sim-
ple a` penser, que le monde physique puisse e^tre l'image des bons
et des mauvais penchants de l'homme, toujours est-il vrai que
ce monde offre a` l'observation deux faces absolument contraires,
48
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 56fi CONTEMPLAI ION DE LA NATURE.
Il y a, l'on ne saurait le nier, un co^te? terrible dans la nature,
comme dans le coeur humain, et l'on y sent une redoutable
puissance de cole`re. Quelle que soit la bonne intention des par-
tisans de l'optimisme, plus de profondeur se fait remarquer, ce
me semble, dans ceux qui ne nient pas le mal, mais qui com-
prennent la connexion de ce mal avec la liberte? de l'homme,
avec l'immortalite? qu'elle peut lui me? riter.
Les e? crivains mystiques, dont j'ai parle? dans les chapitres
pre? ce? dents, voient dans l'homme l'abre? ge? du monde, et dans le
monde l'emble`me des dogmes du christianisme. La nature leur
parai^t l'image corporelle de la Divinite? , et ils se plongent tou-
jours plus avant dans la signification profonde des choses et des
e^tres.
Parmi les e? crivains allemands qui se sont occupe? s de la contem-
plation de la nature sous des rapports religieux, deux me? ritent
une attention particulie`re: Novalis comme poe`te, et Schubert
comme physicien. Novalis, homme d'une naissance illustre,
e? tait initie? de`s sa jeunesse dans les e? tudes de tout genre que la
nouvelle e? cole a de? veloppe? es en Allemagne; mais son a^me pieuse
a donne? un grand caracte`re de simplicite? a` ses poe? sies. Il est
mort a` vingt-six ans; et c'est lorsqu'il n'e? tait de? ja` plus que les
chants religieux qu'il a compose? s ont acquis en Allemagne une
ce? le? brite? touchante. Le pe`rede ce jeune homme est morave; et,
quelque temps apre`s la mort de son fils, il alla visiter une com-
munaute? de ses fre`res en religion, et dans leur e? glise il entendit
chanter les poe? sies de son fils, que les moraves avaient choisies
pour s'e? difier, sans en connai^tre l'auteur.
Parmi les oeuvres de Novalis, on distingue des hymnes a` la
nuit, qui peignent avec une grande force le recueillement qu'elle
fait nai^tre dans l'a^me. L'e? clat du jour peut convenir a` la joyeuse
doctrine du paganisme; mais le ciele? toile? parai^t le ve? ritable tem-
ple du culte le plus pur. C'est dans l'obscurite? des nuits, dit un
poe`te allemand, que l'immortalite? s'est re? ve? le? e a` l'homme : la lu-
mie`re du soleil e? blouit les yeux qui croient voir. Des stances de
Novalis sur la vie des mineurs renferment une poe? sie anime? e,
d'un tre`s-grand effet; il interroge la terre qu'on rencontre dans
les profondeurs, parce qu'elle fut le te? moin des diverses re? volu-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? CONTEMPLATION DE LA NATURE. 507
tions que la nature a subies ; et il exprime un de? sir e? nergique de
pe? ne? trer toujours plus avantvers le centre du globe. Le contraste
de cette immense curiosite? , avec la vie si fragile qu'il faut expo-
ser pour la satisfaire, cause une e? motion sublime. L'homme est
place? sur la terre entre l'infini des cieux et l'infini des abi^mes;
et sa vie, dans le temps, est aussi de me^me entre deux e? terni-
te? s. De toutes parts entoure? par des ide? es et des objets sans bor-
nes, des pense? es innombrables lui apparaissent, comme des
milliers de lumie`res qui se confondent et l'e? blouisseut.
IVovalis a beaucoup e? crit sur la nature en ge? ne? ral ; il se nomme lui-me^me, avec raison, le disciple de Sai? s , parce que ces', uans
cette ville qu'e? tait fonde? le temple d'Isis; et que les traditions
qui nous restent des myste`res des E? gyptiens portent a` croire
que leurs pre^tres avaient une connaissance approfondie des lois
de l'univers.
<< L'homme est avec la nature, dit Novalis, dans des rela-
<< tions presque aussi varie? es, presque aussi inconcevables que
<< celles qu'il entretient avec ses semblables, et comme elle se
<< met a` la porte? e des enfants, et se complai^t avec leurs simples
(i coeurs, de me^me elle se montre sublime aux esprits e? leve? s, et
<< divine aux e^tres divins. L'amour de la nature prend diverses
<< formes , et tandis qu'elle n' excite dans les uns que la joie et
la volonte? , elle inspire aux autres la religion la plus pieuse,
celle qui donne a` toute la vie une direction et un appui. De? ja`
chez les peuples anciens, il y avait des a^mes se? rieuses pour
<< qui l'univers e? tait l'image de la Divinite? , et d'autres qui se
<< croyaient seulement invite? es au festin qu'elle donne: l'air
<< n'e? tait, pour ces convives de l'existence, qu'une boisson rafrai^-
<< chissante; les e? toiles, que des flambeaux qui pre? sidaient aux
? danses pendant la nuit; et les plantes et les animaux, que les
magnifiques appre^ts d'un splendide repas: la nature ne s'of-
? trait pas a` leurs yeux comme un temple majestueux et tran-
>> quille, mais comme le the? a^tre brillant de fe^tes toujours non -
<< velles.
<< Dans ce me^me temps ne? anmoins, des esprits plus profonds
<< s'occupaient sans rela^che a` reconstruire le monde ide? al, dont
les traces avaient de? ja` disparu; ils se partageaient en fre`res le>>
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? 568 CONTEMPLATION DE LA NATURE.
<< travaux les plus sacre? s: les uns cherchaient a` reproduire par
<< la musique les voix de la fore^t et de l'air; les autres impri-
<<maient l'image et le pressentiment d'une race plus noble sur
la pierre et sur l'airain, changeaient les rochers en e? difices , et
<< mettaient au jour les tre? sors cache? s dans la terre. La nature,
<< civilise? e par l'homme, sembla re? pondre a` ses souhaits : l'ima-
<< gination de l'artiste osa l'interroger, et l'a^ge d'or parut renai^tre
<< a` l'aide de la pense? e.
<< Il faut, pour connai^tre la nature, devenir un avec elle. Une
? vie poe? tique et recueillie, uae a^me sainte et religieuse, toute
la force et toute la fleur de l'existence humaine, sont ne? cessai-
<< res pour la comprendre, et le ve? ritable observateur est celui
qui sait de? couvrir l'analogie de cette nature avec l'homme, et
celle de l'homme avec le ciel. >>
Schubert a compose? sur la nature un livre qu'on ne saurait
se lasser de lire, tant il est rempli d'ide? es qui excitent a` la me? -
ditation; il pre? sente le tableau des effets nouveaux, dont l'en-
chai^nement est conc? u sous de nouveaux rapports. Deux ide? es
principales restent de sou ouvrage; les Indiens croient a` la me? -
tempsycose descendante, c'est-a`-dire a` celle qui condamne l'a^me
de l'homme a` passer dans les animaux et dans les plantes, pour
le punir d'avoir mal use? de la vie. L'on peut difficilement se
figurer un syste`me d'une plus profonde tristesse, et les ouvrages
des Indiens en portent la douloureuse empreinte. On croit voir
partout, dans les animaux et les plantes, la pense? e captive et le
sentiment r-enferme? , s'efforcer en vain de se de? gager des formes
grossie`res et muettes qui les enchai^nent. Le syste`me de Schubert
est plus consolant; il se repre? sente la nature comme une me? -
tempsycose ascendante, dans laquelle, depuis la pierre jusqu'a`
l'existence humaine, il y a une promotion continuelle qui fait
avancer le principe vital de degre? s en degre? s, jusqu'au perfection-
nement le plus complet.
Schubert croit aussi qu'il a existe? des e? poques ou` l'homme
avait un sentiment si vif et si de? licat des phe? nome`nes existants,
qu'il devinait, par ses propres impressions, les secrets les plus
cache? s de la nature. Ces faculte? s primitives se sont e? mousse? es,
tt c'est souvent l'irritabilite?
maladive des nerfs qui, en affaiblis-
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? CONTEMPLATION DE LA SATURE. JIV. I
sant la puissance du raisonnement, rend a` l'homme l'instinct
qu'il devait jadis a` la ple? nitude me^me de ses forces. Les travaux
des philosophes, des savants et des poetes, en Allemagne, ont
pour but de diminuer l'aride puissance du raisonnement, sans
obscurcir en rien les lumie`res. C'est ainsi que l'imagination du
monde ancien peut renai^tre, comme le phe? nix, des cendres de toutes les erreurs.
La plupart des physiciens ont voulu expliquer, ainsi que je
l'ai de? ja` dit, la nature comme un bon gouvernement, dans lequel
tout est conduit d'apre`s de sages principes administratifs; mais
c'est en vain qu'on veut transporter ce syste`me prosai? que dans
la cre? ation. Le terrible ni me^me le beau ne sauraient e^tre ex-
plique? s par cette the? orie circonscrite, et la nature est tour a` tour
trop cruelle et trop magnifique pour qu'on puisse la soumettre au genre de calcul admis dans le jugement des choses de ce monde.
Il y a des objets hideux en eux-me^mes, dont l'impression sur
nous est inexplicable; de certaines figures d'animaux, de certai-
nes formes de plantes, de certaines combinaisons de couleurs,
re? voltent nos sens, bien que nous ne puissions nous rendre
compte des causes de cette re? pugnance; on dirait que ces con-
tours disgracieux, que ces images rebutantes rappellent la bas-
sesse et la perfidie, quoique rien dans les analogies du raisonne-
ment ne puisse expliquer une telle association d'ide? es. La phy-
sionomie de l'homme ne tient point uniquement, comme l'ont
pre? tendu quelques e? crivains, au dessin plus ou moins prononce? des traits; il passe dans le regard et dans les mouvements du
visage, je ne sais quelle expression de l'a^me impossible a` me? -
connai^tre, et c'est surtout dans la figure humaine qu'on apprend
ce qu'il y a d'extraordinaire et d'inconnu dans les harmonies de
l'esprit et du corps.
Les accidents et les malheurs, dans l'ordre physique, ont
quelque chose de si rapide, de si impitoyable, de si inattendu,
qu'ils paraissent tenir du prodige; la maladie et ses fureurs sont
comme une vie me? chante qui s'empare tout a` coup de la vie pai-
sible. Les affections du coeur nous font sentir la barbarie de
cette nature qu'on veut nous repre? senter comme si douce. Que41.
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? 570 CODTEMPLATIOM DE LA N4T1IBE.
de dangers menacent une te^te che? rie! Sous combien de me? ta-
morphoses la mort ne se de? guise-t-elle pas autour de nous ! Il
n'y a pas un beau jour qui ne puisse rece? ler la foudre; pas une
fleur dont les sucs ne puissent e^tre empoisonne? s, pas un souffle de l'air qui ne puisse apporter avec lui une contagion funeste,
et la nature semble une amante jalouse pre^te a` percer le sein de
l'homme , au moment me^me ou` il s'enivre de ses dons.
Comment comprendre le but de tous ces phe? nome`nes, si l'on
s'en tient a` l'enchai^nement ordinaire de nos manie`res de juger?
Comment peut-on conside? rer les animaux, sans se plonger dans
l'e? tonnement que fait nai^tre leur myste? rieuse existence? Un
poe`te les a nomme? s les re^ves de la nature, dont l'homme est le re? veil. Dans quel but ont-ils e? te? cre? e? s? Que signifient ces
regards qui semblent couverts d'un nuage obscur, derrie`re lequel
une ide? e voudrait se faire jour ? Quels rapports ont-ils avec nous?
Qu'est-ce que la part de vie dont ils jouissent? Un oiseau survit
a` l'homme de ge? nie, et je ne sais quel bizarre de? sespoir saisit
le coeur, quand on a perdu ce qu'on aime, et qu'on voit le souffle
de l'existence animer encore un insecte, qui se meut sur la terre,
d'ou` le plus noble objet a disparu.
La contemplation de la nature accable la pense? e; ou se sent
avec elle des rapports qui ne tiennent ni au bien ni au mal qu'elle
peut nous faire; mais son a^me visible vient chercher la no^tre
dans notre sein, et s'entretient avec nous. Quand les te? ne`bres
nous e? pouvantent, ce ne sont pas toujours les pe? rils auxquels
ils nous exposent que nous redoutons, mais c'est la sympathie
de la nuit avec tous les genres de privations et dedouleurs dont
nous sommes pe? ne? tre? s. Le soleil, au contraire, est comme une
e? manation de la Divinite? , comme le messager e? clatant d'une
prie`re exauce? e; ses rayons descendent sur la terre, non-seule-
ment pour guider les travaux de l'homme, mais pour exprimer
de l'amour a` la nature.
Les fleurs se tournent vers la lumie`re, afin de l'accueillir; elles
se referment pendant la nuit, et le matin et le soir elles semblent
exhaler en parfums leurs hymnes de louanges. Quand on e? le`ve
ces fleurs dans l'obscurite? , pa^les, ellesne reve^tent plus leurs cou-
leurs accoutume? es; mais quand on les rend au jour, le soleil
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? CONTEMPLATION DE LA NATUHE. 571
re? fle? chit en elles ses rayons varie? s comme dans l'arc-en-ciel, et
l'on dirait qu'il se mire avec orgueil dans la beaute? dont il les a pare? es. Le sommeil des ve? ge? taux, pendant de certaines heures
et de certaines saisons de l'anne? e, est d'accord avec le mouve-
ment de la terre; elle entrai^ne dans les re? gions qu'elle parcourt
la moitie? des plantes, des animaux et des hommes endormis. Les
passagers de ce grand vaisseau qu'on appelle le monde se lais-
sent bercer dans le cercle que de? crit leur voyageuse demeure.
La paix et la discorde, l'harmonie et la dissonance qu'un lien
secret re? unit, sont les premie`res lois de la nature; et, soit qu'elle
se montre redoutable ou charmante, l'unite? sublime qui la carac-
te? rise se fait toujours reconnai^tre. La flamme se pre? cipite en
vagues commeles torrents; les nuages qui parcourent les airs pren-
nent quelquefois la forme des montagnes et des valle? es, et sem-
blent imiter en se jouant l'image de la terre. Il est dit dans la
Gene`se, << que le Tout-Puissant se? para les eaux de la terre des eaux
du ciel, et les suspendit dans les airs. >> Le ciel est en effet un
noble allie? de l'Oce? an; l'azur du firmament se fait voir dans les
ondes, et les vagues se peignent dans les nues. Quelquefois,
quand l'orage se pre? pare dans l'atmosphe`re, la mer fre? mit au
loin, et l'on dirait qu'elle re? pond, par le trouble de ses flots, au
myste? rieux signal qu'elle a rec? u de la tempe^te.
M. de Humboldtdit, dans ses fitesscientifitjutset poe? tiques
sur l'Ame? rique me? ridionale, qu'il a e? te? te? moin d'un phe? nome`ne
observe? dans l'E? gypte, et qu'on appelle mirage. Tout a` coup,
dans les de? serts les plus arides, la re? verbe? ration de l'air prend
l'apparence des lacs ou de la mer, et les animaux eux-me^mes,
haletant de soif, s'e? lancent vers ces images trompeuses, espe? rant
s'y de? salte? rer. Les diverses figures que la gele? e trace sur le verre
offrent encore un nouvel exemple de ces analogies merveilleuses;
les vapeurs condense? es par le froid dessinent des paysages sem-
blables a` ceux qui se font remarquer dans les contre? es septen-
trionales : des fore^ts de pins, des montagnes he? risse? es reparais-
sent sous ces blanches couleurs, et la nature glace? e se plai^t a`
contrefaire ce que la nature anime? e a produit.
Non-seulement la nature se re? pe`te elle-me^me, mais elle sem-
ble vouloir imiter les ouvrages des hommes, et leur donner ainsi
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? 572 CONTEMPLATION DE LA NATURE.
un te? moignage singulier de sa correspondance avec eux. On ra-
conte que dans les i^les voisines du Japon les nuages pre? sen-
tent aux regards l'aspect de ba^timents re? guliers. Les beaux-arts
ont aussi leur type dans la nature, et ce luxe de l'existence est
plus soigne? par elle encore que l'existence me^me : la syme? trie des
formes, dans le re`gne ve? ge? tal et mine? ral, a servi de mode`le aux
architectes, et le reflet des objets et des couleurs dans l'onde
donne l'ide? e des illusions de la peinture; levent, dont le murmure
se prolonge sous les feuilles tremblantes, nous re? ve`le la musique;
et l'on dit me^me que sur les co^tes de l'Asie, ou` l'atmosphe`re est
plus pure, on entend quelquefois le soir une harmonie plaintive
et douce, que la nature semble adresser a` l'homme, afin de lui
apprendre qu'elle respire, qu'elle aime et qu'elle souffre.
Souvent, a` l'aspect d'une belle contre? e, on est tente? de croire
qu'elle a pour unique but d'exciter en nous des sentiments e? leve? s
et nobles. Je ne sais quel rapport existe entre les cieux et lafierte?
du coeur, entre les rayons de la lune qui reposent sur la monta-
gne et le calme de la conscience ; mais ces objets nous parlent un beau langage, et l'on peut s'abandonner au tressaillement qu'ils
causent; l'a^me s'en trouvera bien. Quand, le soir, a` l'extre? mite?
du paysage, le ciel semble toucher de si pre`s a` la terre, l'imagi-
nation se figure, par-dela` l'horizon, un asile de l'espe? rance, une
patrie de l'amour, et la nature semble re? pe? ter silencieusement
que l'homme est immortel.
La succession continuelle de mort et de naissance, dont le
monde physique est le the? a^tre, produirait l'impression la plus
douloureuse, si l'on ne croyait pas y voir la trace de la re? surrec-
tion de toutes choses, et c'est le ve? ritable point de vue religieux
de la contemplation de la nature, que cette manie`re de la cousi-
de? rer.
