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Proust - A La Recherche du Temps Perdu - Albertine Disparue - b
Et sans doute, une fois que j'étais
réveillé, cette idée d'une morte qui continue à vivre aurait dû me
devenir aussi impossible à comprendre qu'elle me l'est à expliquer.
Mais je l'avais déjà formée tant de fois au cours de ces périodes
passagères de folie que sont nos rêves, que j'avais fini par me
familiariser avec elle; la mémoire des rêves peut devenir durable,
s'ils se répètent assez souvent. Et longtemps après mon rêve fini,
je restais tourmenté de ce baiser qu'Albertine m'avait dit avoir donné
en des paroles que je croyais entendre encore. Et en effet, elles
avaient dû passer bien près de mes oreilles puisque c'était moi-même
qui les avais prononcées.
Toute la journée, je continuais à causer avec Albertine, je
l'interrogeais, je lui pardonnais, je réparais l'oubli des choses que
j'avais toujours voulu lui dire pendant sa vie. Et tout d'un coup
j'étais effrayé de penser qu'à l'être invoqué par la mémoire à
qui s'adressaient tous ces propos, aucune réalité ne correspondait
plus, qu'étaient détruites les différentes parties du visage
auxquelles la poussée continue de la volonté de vivre, aujourd'hui
anéantie, avait seule donné l'unité d'une personne. D'autres fois,
sans que j'eusse rêvé, dès mon réveil, je sentais que le vent avait
tourné en moi; il soufflait froid et continu d'une autre direction
venue du fond du passé, me rapportant la sonnerie d'heures lointaines,
des sifflements de départ que je n'entendais pas d'habitude. Un jour
j'essayai de prendre un livre, un roman de Bergotte, que j'avais
particulièrement aimé. Les personnages sympathiques m'y plaisaient
beaucoup, et bien vite, repris par le charme du livre, je me mis à
souhaiter comme un plaisir personnel que la femme méchante fût punie;
mes yeux se mouillèrent quand le bonheur des fiancés fut assuré.
«Mais alors, m'écriai-je avec désespoir, de ce que j'attache tant
d'importance à ce qu'a pu faire Albertine, je ne peux pas conclure que
sa personnalité est quelque chose de réel qui ne peut être aboli, que
je la retrouverai un jour pareil au ciel, si j'appelle de tant de
vœux, attends avec tant d'impatience, accueille avec tant de larmes le
succès d'une personne qui n'a jamais existé que dans l'imagination de
Bergotte, que je n'ai jamais vue, dont je suis libre de me figurer à
mon gré le visage! » D'ailleurs, dans ce roman, il y avait des jeunes
filles séduisantes, des correspondances amoureuses, des allées
désertes où l'on se rencontre, cela me rappelait qu'on peut aimer
clandestinement, cela réveillait ma jalousie, comme si Albertine avait
encore pu se promener dans des allées désertes. Et il y était aussi
question d'un homme qui revoit après cinquante ans une femme qu'il a
aimée jeune, ne la reconnaît pas, s'ennuie auprès d'elle. Et cela me
rappelait que l'amour ne dure pas toujours et me bouleversait comme si
j'étais destiné à être séparé d'Albertine et à la retrouver avec
indifférence dans mes vieux jours. Si j'apercevais une carte de France
mes yeux effrayés s'arrangeaient à ne pas rencontrer la Touraine pour
que je ne fusse pas jaloux, et, pour que je ne fusse pas malheureux, la
Normandie où étaient marqués au moins Balbec et Doncières, entre
lesquels je situais tous ces chemins que nous avions couverts tant de
fois ensemble. Au milieu d'autres noms de villes ou de villages de
France, noms qui n'étaient que visibles ou audibles, le nom de Tours
par exemple semblait composé différemment, non plus d'images
immatérielles, mais de substances vénéneuses qui agissaient de façon
immédiate sur mon cœur dont elles accéléraient et rendaient
douloureux les battements. Et si cette force s'étendait jusqu'à
certains noms, devenus par elle si différents des autres, comment en
restant plus près de moi, en me bornant à Albertine elle-même,
pouvais-je m'étonner, qu'émanant d'une fille probablement pareille à
toute autre, cette force irrésistible sur moi, et pour la production de
laquelle n'importe quelle autre femme eût pu servir, eût été le
résultat d'un enchevêtrement et de la mise en contact de rêves, de
désirs, d'habitudes, de tendresses, avec l'interférence requise de
souffrances et de plaisirs alternés? Et cela continuait après sa mort,
la mémoire suffisant à entretenir la vie réelle, qui est mentale. Je
me rappelais Albertine descendant de wagon et me disant qu'elle avait
envie d'aller à Saint-Martin le Vêtu, et je la revoyais aussi avec son
polo abaissé sur ses joues, je retrouvais des possibilités de bonheur,
vers lesquelles je m'élançais me disant: «Nous aurions pu aller
ensemble jusqu'à Incarville, jusqu'à Doncières. » Il n'y avait pas
une station près de Balbec où je ne la revisse, de sorte que cette
terre, comme un pays mythologique conservé, me rendait vivantes et
cruelles les légendes les plus anciennes, les plus charmantes, les plus
effacées par ce qui avait suivi de mon amour. Ah! quelle souffrance
s'il me fallait jamais coucher à nouveau dans ce lit de Balbec autour
du cadre de cuivre duquel, comme autour d'un pivot immuable,
d'une barre fixe, s'était déplacée, avait évolué ma vie, appuyant
successivement à lui de gaies conversations avec ma grand' mère,
l'horreur de sa mort, les douces caresses d'Albertine, la découverte de
son vice, et maintenant une vie nouvelle où, apercevant les
bibliothèques vitrées où se reflétait la mer, je savais qu'Albertine
n'entrerait jamais plus! N'était-il pas, cet hôtel de Balbec, comme
cet unique décor de maison des théâtres de province, où l'on joue
depuis des années les pièces les plus différentes, qui a servi pour
une comédie, pour une première tragédie, pour une deuxième, pour une
pièce purement poétique, cet hôtel qui remontait déjà assez loin
dans mon passé. Le fait que cette seule partie restât toujours la
même, avec ses murs, ses bibliothèques, sa glace, au cours de
nouvelles époques de ma vie, me faisait mieux sentir que dans le total,
c'était le reste, c'était moi-même qui avais changé, et me donnait
ainsi cette impression que les mystères de la vie, de l'amour, de la
mort, auxquels les enfants croient dans leur optimisme ne pas
participer, ne sont pas des parties réservées, mais qu'on s'aperçoit
avec une douloureuse fierté qu'ils ont fait corps au cours des années
avec notre propre vie.
J'essayais parfois de prendre les journaux. Mais la lecture m'en était
odieuse, et de plus elle n'était pas inoffensive. En effet, en nous de
chaque idée, comme d'un carrefour dans une forêt, partent tant de
routes différentes, qu'au moment où je m'y attendais le moins je me
trouvais devant un nouveau souvenir. Le titre de la mélodie de Fauré
_le Secret_ m'avait mené au «secret du Roi» du duc de Broglie, le nom
de Broglie à celui de Chaumont, ou bien le mot de Vendredi Saint
m'avait fait penser au Golgotha, le Golgotha à l'étymologie de ce mot
qui paraît l'équivalent de _Calvus mons_, Chaumont. Mais, par quelque
chemin que je fusse arrivé à Chaumont, à ce moment j'étais frappé
d'un choc si cruel que dès lors je ne pensais plus qu'à me garer
contre la douleur. Quelques instants après le choc, l'intelligence qui
comme le bruit du tonnerre, ne voyage pas aussi vite, m'en apportait la
raison. Chaumont m'avait fait penser aux Buttes-Chaumont où Mme
Bontemps m'avait dit qu'Andrée allait souvent avec Albertine, tandis
qu'Albertine m'avait dit n'avoir jamais vu les Buttes-Chaumont. À
partir d'un certain âge nos souvenirs sont tellement entre-croisés les
uns avec les autres que la chose à laquelle on pense, le livre qu'on
lit n'a presque plus d'importance. On a mis de soi-même partout, tout
est fécond, tout est dangereux, et on peut faire d'aussi précieuses
découvertes que dans les Pensées de Pascal dans une réclame pour un
savon.
Sans doute un fait comme celui des Buttes-Chaumont qui à l'époque
m'avait paru futile, était en lui-même, contre Albertine, bien moins
grave, moins décisif que l'histoire de la doucheuse ou de la
blanchisseuse. Mais d'abord un souvenir qui vient fortuitement à nous
trouve en nous une puissance intacte d'imaginer, c'est-à-dire dans ce
cas de souffrir, que nous avons usée en partie quand c'est nous au
contraire qui avons volontairement appliqué notre esprit à recréer un
souvenir. Mais ces derniers (les souvenirs concernant la doucheuse et la
blanchisseuse) toujours présents quoique obscurcis dans ma mémoire,
comme ces meubles placés dans la pénombre d'une galerie et auxquels,
sans les distinguer on évite pourtant de se cogner, je m'étais
habitué à eux. Au contraire il y avait longtemps que je n'avais pensé
aux Buttes-Chaumont, ou par exemple au regard d'Albertine dans la glace
du casino de Balbec, ou au retard inexpliqué d'Albertine le soir où je
l'avais tant attendue après la soirée Guermantes, à toutes ces
parties de sa vie qui restaient hors de mon cœur et que j'aurais voulu
connaître pour qu'elles pussent s'assimiler, s'annexer à lui, y
rejoindre les souvenirs plus doux qu'y formaient une Albertine
intérieure et vraiment possédée. Soulevant un coin du voile lourd de
l'habitude (l'habitude abêtissante qui pendant tout le cours de notre
vie nous cache à peu près tout l'univers, et dans une nuit profonde,
sous leur étiquette inchangée, substitue aux poisons les plus
dangereux ou les plus enivrants de la vie, quelque chose d'anodin qui ne
procure pas de délices), un tel souvenir me revenait comme au premier
jour avec cette fraîche et perçante nouveauté d'une saison
reparaissante, d'un changement dans la routine de nos heures, qui, dans
le domaine des plaisirs aussi, si nous montons en voiture par un premier
beau jour de printemps, ou sortons de chez nous au lever du soleil, nous
font remarquer nos actions insignifiantes avec une exaltation lucide qui
fait prévaloir cette intense minute sur le total des jours antérieurs.
Je me retrouvais au sortir de la soirée chez la princesse de Guermantes
attendant l'arrivée d'Albertine. Les jours anciens recouvrent peu à
peu ceux qui les ont précédés, sont eux-mêmes ensevelis sous ceux
qui les suivent. Mais chaque jour ancien est resté déposé en nous,
comme dans une bibliothèque immense où il y a de plus vieux livres, un
exemplaire que sans doute personne n'ira jamais demander. Pourtant que
ce jour ancien, traversant la translucidité des époques suivantes,
remonte à la surface et s'étende en nous qu'il couvre tout entier,
alors pendant un moment, les noms reprennent leur ancienne
signification, les êtres leur ancien visage, nous notre âme d'alors,
et nous sentons, avec une souffrance vague mais devenue supportable et
qui ne durera pas, les problèmes devenus depuis longtemps insolubles et
qui nous angoissaient tant alors. Notre moi est fait de la superposition
de nos états successifs. Mais cette superposition n'est pas immuable
comme la stratification d'une montagne. Perpétuellement des
soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes. Je me
retrouvais après la soirée chez la princesse de Guermantes, attendant
l'arrivée d'Albertine. Qu'avait-elle fait cette nuit-là? M'avait-elle
trompé? Avec qui? Les révélations d'Aimé, même si je les acceptais,
ne diminuaient en rien pour moi l'intérêt anxieux, désolé, de cette
question inattendue, comme si chaque Albertine différente, chaque
souvenir nouveau, posait un problème de jalousie particulier, auquel
les solutions des autres ne pouvaient pas s'appliquer. Mais je n'aurais
pas voulu savoir seulement avec quelle femme elle avait passé cette
nuit là, mais quel plaisir particulier cela lui représentait, ce qui
se passait à ce moment-là en elle. Quelquefois à Balbec Françoise
était allée la chercher, m'avait dit l'avoir trouvée penchée à sa
fenêtre, l'air inquiet, chercheur, comme si elle attendait quelqu'un.
Mettons que j'apprisse que la jeune fille attendue était Andrée, quel
était l'état d'esprit dans lequel Albertine l'attendait, cet état
d'esprit caché derrière le regard inquiet et chercheur? Ce goût,
quelle importance avait-il pour Albertine? quelle place tenait-il dans
ses préoccupations? Hélas, en me rappelant mes propres agitations,
chaque fois que j'avais remarqué une jeune fille qui me plaisait,
quelquefois seulement quand j'avais entendu parler d'elle sans l'avoir
vue, mon souci de me faire beau, d'être avantagé, mes sueurs froides,
je n'avais pour me torturer qu'à imaginer ce même voluptueux émoi
chez Albertine. Et déjà c'était assez pour me torturer, pour me dire
qu'à côté de cela des conversations sérieuses avec moi sur Stendhal
et Victor Hugo avaient dû bien peu peser pour elle, pour sentir son
cœur attiré vers d'autres êtres, se détacher du mien, s'incarner
ailleurs. Mais l'importance même que ce désir devait avoir pour elle
et les réserves qui se formaient autour de lui ne pouvaient pas me
révéler ce que, qualitativement, il était, bien plus, comment elle le
qualifiait quand elle s'en parlait à elle-même. Dans la souffrance
physique au moins nous n'avons pas à choisir nous-mêmes notre douleur.
La maladie la détermine et nous l'impose. Mais dans la jalousie il nous
faut essayer en quelque sorte des souffrances de tout genre et de toute
grandeur, avant de nous arrêter à celle qui nous paraît pouvoir
convenir. Et quelle difficulté plus grande, quand il s'agit d'une
souffrance comme de sentir celle qu'on aimait éprouvant du plaisir avec
des êtres différents de nous qui lui donnent des sensations que nous
ne sommes pas capables de lui donner, ou qui du moins par leur
configuration, leur aspect, leurs façons, lui représentent tout autre
chose que nous. Ah! qu'Albertine n'avait-elle aimé Saint-Loup! comme il
me semble que j'eusse moins souffert! Certes nous ignorons la
sensibilité particulière de chaque être, mais d'habitude nous ne
savons même pas que nous l'ignorons, car cette sensibilité des autres
nous est indifférente. Pour ce qui concernait Albertine, mon malheur ou
mon bonheur eût dépendu de ce qu'était cette sensibilité; je savais
bien qu'elle m'était inconnue, et qu'elle me fût inconnue m'était
déjà une douleur. Les désirs, les plaisirs inconnus que ressentait
Albertine, une fois j'eus l'illusion de les voir quand quelque temps
après la mort d'Albertine, Andrée vint chez moi.
Pour la première fois elle me semblait belle, je me disais que ces
cheveux presque crépus, ces yeux sombres et cernés, c'était sans
doute ce qu'Albertine avait tant aimé, la matérialisation devant moi
de ce qu'elle portait dans sa rêverie amoureuse, de ce qu'elle voyait
par les regards anticipateurs du désir le jour où elle avait voulu si
précipitamment revenir de Balbec.
Comme une sombre fleur inconnue qui m'était par delà le tombeau
rapportée des profondeurs d'un être où je n'avais pas su la
découvrir, il me semblait, exhumation inespérée d'une relique
inestimable, voir devant moi le désir incarné d'Albertine qu'Andrée
était pour moi, comme Vénus était le désir de Jupiter. Andrée
regrettait Albertine, mais je sentis tout de suite qu'elle ne lui
manquait pas. Éloignée de force de son amie par la mort, elle semblait
avoir pris aisément son parti d'une séparation définitive que je
n'eusse pas osé lui demander quand Albertine était vivante, tant
j'aurais craint de ne pas arriver à obtenir le consentement d'Andrée.
Elle semblait au contraire accepter sans difficulté ce renoncement,
mais précisément au moment où il ne pouvait plus me profiter. Andrée
m'abandonnait Albertine, mais morte, et ayant perdu pour moi non
seulement sa vie mais rétrospectivement un peu de sa réalité, puisque
je voyais qu'elle n'était pas indispensable, unique pour Andrée qui
avait pu la remplacer par d'autres.
Du vivant d'Albertine, je n'eusse pas osé demander à Andrée des
confidences sur le caractère de leur amitié entre elles et avec l'amie
de Mlle Vinteuil, n'étant pas certain sur la fin qu'Andrée ne
répétât pas à Albertine tout ce que je lui disais. Maintenant un tel
interrogatoire, même s'il devait être sans résultat, serait au moins
sans danger. Je parlai à Andrée non sur un ton interrogatif mais comme
si je l'avais su de tout temps, peut-être par Albertine, du goût
qu'elle-même Andrée avait pour les femmes et de ses propres relations
avec Mlle Vinteuil. Elle avoua tout cela sans aucune difficulté, en
souriant. De cet aveu, je pouvais tirer de cruelles conséquences;
d'abord parce qu'Andrée, si affectueuse et coquette avec bien des
jeunes gens à Balbec, n'aurait donné lieu pour personne à la
supposition d'habitudes qu'elle ne niait nullement, de sorte que par
voie d'analogie, en découvrant cette Andrée nouvelle, je pouvais
penser qu'Albertine les eût confessées avec la même facilité à tout
autre qu'à moi qu'elle sentait jaloux. Mais d'autre part, Andrée ayant
été la meilleure amie d'Albertine, et celle pour laquelle celle-ci
était probablement revenue exprès de Balbec, maintenant qu'Andrée
avait ces goûts, la conclusion qui devait s'imposer à mon esprit
était qu'Albertine et Andrée avaient toujours eu des relations
ensemble. Certes, comme en présence d'une personne étrangère on n'ose
pas toujours prendre connaissance du présent qu'elle vous remet, et
dont on ne défera l'enveloppe que quand ce donataire sera parti, tant
qu'Andrée fut là je ne rentrai pas en moi-même pour y examiner la
douleur qu'elle m'apportait, et que je sentais bien causer déjà à mes
serviteurs physiques, les nerfs, le cœur, de grands troubles dont par
bonne éducation je feignais de ne pas m'apercevoir, parlant au
contraire le plus gracieusement du monde avec la jeune fille que j'avais
pour hôte sans détourner mes regards vers ces incidents intérieurs.
Il me fut particulièrement pénible d'entendre Andrée me dire en
parlant d'Albertine: «Ah! oui, elle aimait bien qu'on alla se promener
dans la vallée de Chevreuse. » À l'univers vague et inexistant où se
passaient les promenades d'Albertine et d'Andrée, il me semblait que
celle-ci venait par une création postérieure et diabolique d'ajouter
une vallée maudite. Je sentais qu'Andrée allait me dire tout ce
qu'elle faisait avec Albertine, et, tout en essayant par politesse, par
habileté, par amour-propre, peut-être par reconnaissance, de me
montrer de plus en plus affectueux, tandis que l'espace que j'avais pu
concéder encore à l'innocence d'Albertine se rétrécissait de plus en
plus, il me semblait m'apercevoir que malgré mes efforts, je gardais
l'aspect figé d'un animal autour duquel un cercle progressivement
resserré est lentement décrit par l'oiseau fascinateur qui ne se
presse pas parce qu'il est sûr d'atteindre quand il le voudra la
victime qui ne lui échappera plus. Je la regardais pourtant, et avec ce
qui reste d'enjouement, de naturel et d'assurance aux personnes qui
veulent faire semblant de ne pas craindre qu'on les hypnotise en les
fixant, je dis à Andrée cette phrase incidente: «Je ne vous en avais
jamais parlé de peur de vous fâcher, mais maintenant qu'il nous est
doux de parler d'elle, je puis bien vous dire que je savais depuis bien
longtemps les relations de ce genre que vous aviez avec Albertine.
D'ailleurs cela vous fera plaisir quoique vous le sachiez déjà;
Albertine vous adorait. » Je dis à Andrée que c'eût été une grande
curiosité pour moi si elle avait voulu me laisser la voir, même
simplement en se bornant à des caresses qui ne la gênassent pas trop
devant moi, faire cela avec celles des amies d'Albertine qui avaient ces
goûts, et je nommai Rosemonde, Berthe, toutes les amies d'Albertine,
pour savoir. «Outre que pour rien au monde je ne ferais ce que vous
dites devant vous, me répondit Andrée, je ne crois pas qu'aucune de
celles que vous dites ait ces goûts. » Me rapprochant malgré moi du
monstre qui m'attirait, je répondis: «Comment! vous n'allez pas me
faire croire que de toute votre bande il n'y avait qu'Albertine avec qui
vous fissiez cela! --Mais je ne l'ai jamais fait avec Albertine. --Voyons,
ma petite Andrée, pourquoi nier des choses que je sais depuis au moins
trois ans, je n'y trouve rien de mal, au contraire. Justement à propos
du soir où elle voulait tant aller le lendemain avec vous chez Mme
Verdurin, vous vous souvenez peut-être. . . » Avant que j'eusse terminé
ma phrase, je vis dans les yeux d'Andrée, qu'il faisait pointus comme
ces pierres qu'à cause de cela les joailliers ont de la peine à
employer, passer un regard préoccupé, comme ces têtes de
privilégiés qui soulèvent un coin du rideau avant qu'une pièce soit
commencée et qui se sauvent aussitôt pour ne pas être aperçus. Ce
regard inquiet disparut, tout était rentré dans l'ordre, mais je
sentais que tout ce que je verrais maintenant ne serait plus qu'arrangé
facticement pour moi. À ce moment je m'aperçus dans la glace; je fus
frappé d'une certaine ressemblance entre moi et Andrée. Si je n'avais
pas cessé depuis longtemps de me raser et que je n'eusse eu qu'une
ombre de moustache, cette ressemblance eût été presque complète.
C'était peut-être en regardant, à Balbec, ma moustache qui repoussait
à peine, qu'Albertine avait subitement eu ce désir impatient, furieux
de revenir à Paris. «Mais je ne peux pourtant pas dire ce qui n'est
pas vrai, pour la simple raison que vous ne le trouveriez pas mal. Je
vous jure que je n'ai jamais rien fait avec Albertine, et j'ai la
conviction qu'elle détestait ces choses-là. Les gens qui vous ont dit
cela vous ont menti, peut-être dans un but intéressé», me dit-elle
d'un air interrogateur et méfiant. «Enfin soit, puisque vous ne voulez
pas me le dire», répondis-je. Je préférais avoir l'air de ne pas
vouloir donner une preuve que je ne possédais pas. Pourtant je
prononçai vaguement et à tout hasard le nom des Buttes-Chaumont.
«J'ai pu aller aux Buttes-Chaumont avec Albertine, mais est-ce un
endroit qui a quelque chose de particulièrement mal? » Je lui demandai
si elle ne pourrait pas en parler à Gisèle qui à une certaine époque
avait intimement connu Albertine. Mais Andrée me déclara qu'après une
infamie que venait de lui faire dernièrement Gisèle, lui demander un
service était la seule chose qu'elle refuserait toujours de faire pour
moi. «Si vous la voyez, ajouta-t-elle, ne lui dites pas ce que je vous
ai dit d'elle, inutile de m'en faire une ennemie. Elle sait ce que je
pense d'elle, mais j'ai toujours mieux aimé éviter avec elle les
brouilles violentes qui n'amènent que des raccommodements. Et puis elle
est dangereuse. Mais vous comprenez que quand on a lu la lettre que j'ai
eue il y a huit jours sous les yeux et où elle mentait avec une telle
perfidie, rien, même les plus belles actions du monde, ne peut effacer
le souvenir de cela. » En somme si Andrée ayant ces goûts au point de
ne s'en cacher nullement, et Albertine ayant eu pour elle la grande
affection que très certainement elle avait, malgré cela Andrée
n'avait jamais eu de relations charnelles avec Albertine et avait
toujours ignoré qu'Albertine eût de tels goûts, c'est qu'Albertine ne
les avait pas, et n'avait eu avec personne, les relations que plus
qu'avec aucune autre elle aurait eues avec Andrée. Aussi quand Andrée
fut partie, je m'aperçus que son affirmation si nette m'avait apporté
du calme. Mais peut-être était-elle dictée par le devoir, auquel
Andrée se croyait obligée envers la morte dont le souvenir existait
encore en elle, de ne pas laisser croire ce qu'Albertine lui avait sans
doute, pendant sa vie, demandé de nier.
Les romanciers prétendent souvent dans une introduction qu'en voyageant
dans un pays ils ont rencontré quelqu'un qui leur a raconté la vie
d'une personne. Ils laissent alors la parole à cet ami de rencontre, et
le récit qu'il leur fait, c'est précisément leur roman. Ainsi la vie
de Fabrice del Dongo fut racontée à Stendhal par un chanoine de
Padoue. Combien nous voudrions quand, nous aimons, c'est-à-dire quand
l'existence d'une autre personne nous semble mystérieuse, trouver un
tel narrateur informé! Et certes il existe. Nous-même, ne
racontons-nous pas souvent, sans aucune passion, la vie de telle ou
telle femme, à un de nos amis, ou à un étranger, qui ne connaissait
rien de ses amours et nous écoute avec curiosité? L'homme que j'étais
quand je parlais à Bloch de la princesse de Guermantes, de Mme Swann,
cet être-là existait qui eût pu me parler d'Albertine, cet être-là
existe toujours. . . mais nous ne le rencontrons jamais. Il me semblait
que, si j'avais pu trouver des femmes qui l'eussent connue, j'eusse
appris tout ce que j'ignorais. Pourtant à des étrangers, il eût dû
sembler que personne autant que moi ne pouvait connaître sa vie. Même
ne connaissais-je pas sa meilleure amie, Andrée? C'est ainsi que l'on
croit que l'ami d'un ministre doit savoir la vérité sur certaines
affaires ou ne pourra pas être impliqué dans un procès. Seul à
l'user, l'ami a appris que chaque fois qu'il parlait politique au
ministre, celui-ci restait dans des généralités et lui disait tout au
plus ce qu'il y avait dans les journaux, ou que s'il a eu quelque ennui,
ses démarches multipliées auprès du ministre ont abouti chaque fois
à un «ce n'est pas en mon pouvoir» sur lequel l'ami est lui-même
sans pouvoir. Je me disais: «Si j'avais pu connaître tels témoins! »
desquels, si je les avais connus, je n'aurais probablement pas pu
obtenir plus que d'Andrée, dépositaire elle-même d'un secret qu'elle
ne voulait pas livrer. Différant en cela encore de Swann qui, quand il
ne fut plus jaloux, cessa d'être curieux de ce qu'Odette avait pu faire
avec Forcheville, même après ma jalousie passée connaître la
blanchisseuse d'Albertine, des personnes de son quartier, y reconstituer
sa vie, ses intrigues, cela seul avait du charme pour moi. Et comme le
désir vient toujours d'un prestige préalable, comme il était advenu
pour Gilberte, pour la duchesse de Guermantes, ce furent dans ces
quartiers où avait autrefois vécu Albertine, les femmes de son milieu
que je recherchai et dont seules j'eusse pu désirer la présence. Même
sans rien pouvoir en apprendre, c'étaient les seules femmes vers
lesquelles je me sentais attiré, étant celles qu'Albertine avait
connues ou qu'elle aurait pu connaître, femmes de son milieu ou des
milieux où elle se plaisait, en un mot celles qui avaient pour moi le
prestige de lui ressembler ou d'être de celles qui lui eussent plu. Me
rappelant ainsi soit Albertine elle-même, soit le type pour lequel elle
avait sans doute une préférence, ces femmes éveillaient en moi un
sentiment cruel de jalousie ou de regret, qui plus tard quand mon
chagrin s'apaisa se mua en une curiosité non exempte de charme. Et
parmi ces dernières surtout les filles du peuple, à cause de cette
vie, si différente de celle que je connaissais, et qui est la leur.
Sans doute c'est seulement par la pensée qu'on possède des choses, et
on ne possède pas un tableau parce qu'on l'a dans sa salle à manger si
on ne sait pas le comprendre, ni un pays parce qu'on y réside sans
même le regarder. Mais enfin j'avais autrefois l'illusion de ressaisir
Balbec, quand à Paris Albertine venait me voir et que je la tenais dans
mes bras. De même je prenais un contact, bien étroit et furtif
d'ailleurs, avec la vie d'Albertine, l'atmosphère des ateliers, une
conversation de comptoir, l'âme des taudis, quand j'embrassais une
ouvrière. Andrée, ces autres femmes, tout cela par rapport à
Albertine--comme Albertine avait été elle-même par rapport à
Balbec--étaient de ces substituts de plaisirs se remplaçant l'un
l'autre, en dégradation successive, qui nous permettent de nous passer
de celui que nous ne pouvons plus atteindre, voyage à Balbec, ou amour
d'Albertine (comme le fait d'aller au Louvre voir un Titien qui y fut
jadis console de ne pouvoir aller à Venise), de ces plaisirs qui
séparés les uns des autres par des nuances indiscernables, font de
notre vie comme une suite de zones concentriques, contiguës,
harmoniques et dégradées, autour d'un désir premier qui a donné le
ton, éliminé ce qui ne se fond pas avec lui et répandu la teinte
maîtresse (comme cela m'était arrivé aussi par exemple pour la
duchesse de Guermantes et pour Gilberte). Andrée, ces femmes, étaient
pour le désir, que je savais ne plus pouvoir exaucer, d'avoir auprès
de moi Albertine, ce qu'un soir, avant que je connusse Albertine
autrement que de vue, avait été l'ensoleillement tortueux et frais
d'une grappe de raisin.
Associées maintenant au souvenir de mon amour, les particularités
physiques et sociales d'Albertine, malgré lesquelles je l'avais aimée,
orientaient au contraire mon désir vers ce qu'il eût autrefois le
moins naturellement choisi: des brunes de la petite bourgeoisie. Certes
ce qui commençait partiellement à renaître en moi, c'était cet
immense désir que mon amour pour Albertine n'avait pu assouvir, cet
immense désir de connaître la vie que j'éprouvais autrefois sur les
routes de Balbec, dans les rues de Paris, ce désir qui m'avait fait
tant souffrir quand, supposant qu'il existait aussi au cœur
d'Albertine, j'avais voulu la priver des moyens de le contenter avec
d'autres que moi. Maintenant que je pouvais supporter l'idée de son
désir, comme cette idée était aussitôt éveillée par le mien, ces
deux immenses appétits coïncidaient, j'aurais voulu que nous pussions
nous y livrer ensemble, je me disais: cette fille lui aurait plu, et par
ce brusque détour pensant à elle et à sa mort, je me sentais trop
triste pour pouvoir poursuivre plus loin mon désir. Comme autrefois le
côté de Méséglise et celui de Guermantes avaient établi les assises
de mon goût pour la campagne et m'eussent empêché de trouver un
charme profond dans un pays où il n'y aurait pas eu de vieille église,
de bleuets, de boutons d'or, c'est de même en les rattachant en moi à
un passé plein de charme que mon amour pour Albertine me faisait
exclusivement rechercher un certain genre de femmes; je recommençais,
comme avant de l'aimer, à avoir besoin d'harmoniques d'elle qui fussent
interchangeables avec mon souvenir devenu peu à peu moins exclusif. Je
n'aurais pu me plaire maintenant auprès d'une blonde et fière
duchesse, parce qu'elle n'eût éveillé en moi aucune des émotions qui
partaient d'Albertine, de mon désir d'elle, de la jalousie que j'avais
eue de ses amours, de mes souffrances, de sa mort. Car nos sensations
pour être fortes ont besoin de déclencher en nous quelque chose de
différent d'elles, un sentiment, qui ne pourra pas trouver dans le
plaisir de satisfaction mais qui s'ajoute au désir, l'enfle, le fait
s'accrocher désespérément au plaisir. Au fur et à mesure que l'amour
qu'avait éprouvé Albertine pour certaines femmes ne me faisait plus
souffrir, il rattachait ces femmes à mon passé, leur donnait quelque
chose de plus réel, comme aux boutons d'or, aux aubépines le souvenir
de Combray donnait plus de réalité qu'aux fleurs nouvelles. Même
d'Andrée, je ne me disais plus avec rage: «Albertine l'aimait», mais
au contraire pour m'expliquer à moi-même mon désir, d'un air
attendri: «Albertine l'aimait bien. » Je comprenais maintenant les
veufs qu'on croit consolés et qui prouvent au contraire qu'ils sont
inconsolables, parce qu'ils se remarient avec leur belle-sœur. Ainsi
mon amour finissant semblait rendre possible pour moi de nouvelles
amours, et Albertine, comme ces femmes longtemps aimées pour
elles-mêmes qui plus tard sentant le goût de leur amant s'affaiblir
conservent leur pouvoir en se contentant du rôle d'entremetteuses,
parait pour moi, comme la Pompadour pour Louis XV, de nouvelles
fillettes. Même autrefois, mon temps était divisé par périodes où
je désirais telle femme, ou telle autre. Quand les plaisirs violents
donnés par l'une étaient apaisés, je souhaitais celle qui donnait une
tendresse presque pure jusqu'à ce que le besoin de caresses plus
savantes ramenât le désir de la première. Maintenant ces alternances
avaient pris fin, ou du moins l'une des périodes se prolongeait
indéfiniment. Ce que j'aurais voulu, c'est que la nouvelle venue vînt
habiter chez moi, et me donnât le soir avant de me quitter un baiser
familial de sœur. De sorte que j'aurais pu croire--si je n'avais fait
l'expérience de la présence insupportable d'une autre--que je
regrettais plus un baiser que certaines lèvres, un plaisir qu'un amour,
une habitude qu'une personne. J'aurais voulu aussi que les nouvelles
venues pussent me jouer du Vinteuil comme Albertine, parler comme elle
avec moi d'Elstir. Tout cela était impossible. Leur amour ne vaudrait
pas le sien, pensais-je, soit qu'un amour auquel s'annexaient tous ces
épisodes, des visites aux musées, des soirées au concert, toute une
vie compliquée qui permet des correspondances, des conversations, un
flirt préliminaire aux relations elles-mêmes, une amitié grave
après, possède plus de ressources qu'un amour pour une femme qui ne
sait que se donner, comme un orchestre plus qu'un piano, soit que plus
profondément, mon besoin du même genre de tendresse que me donnait
Albertine, la tendresse d'une fille assez cultivée et qui fût en même
temps une sœur, ne fût--comme le besoin de femmes du même milieu
qu'Albertine--qu'une reviviscence du souvenir d'Albertine, du souvenir
de mon amour pour elle. Et une fois de plus j'éprouvais d'abord que le
souvenir n'est pas inventif, qu'il est impuissant à désirer rien
d'autre, même rien de mieux que ce que nous avons possédé, ensuite
qu'il est spirituel de sorte que la réalité ne peut lui fournir
l'état qu'il cherche, enfin que, s'appliquant à une personne morte, la
renaissance qu'il incarne est moins celle du besoin d'aimer auquel il
fait croire que celle du besoin de l'absente. De sorte que la
ressemblance avec Albertine, de la femme que j'avais choisie la
ressemblance même, si j'arrivais à l'obtenir, de sa tendresse avec
celle d'Albertine, ne me faisaient que mieux sentir l'absence de ce que
j'avais sans le savoir cherché de ce qui était indispensable pour que
renaquît mon bonheur, c'est-à-dire Albertine elle-même, le temps que
nous avions vécu ensemble, le passé à la recherche duquel j'étais
sans le savoir. Certes, par les jours clairs, Paris m'apparaissait
innombrablement fleuri de toutes les fillettes, non que je désirais,
mais qui plongeaient leurs racines dans l'obscurité du désir et des
soirées inconnues d'Albertine. C'était telle de celles dont elle
m'avait dit tout au début quand elle ne se méfiait pas de moi: «Elle
est ravissante cette petite, comme elle a de jolis cheveux. » Toutes les
curiosités que j'avais eues autrefois de sa vie quand je ne la
connaissais encore que de vue, et d'autre part tous mes désirs de la
vie se confondaient en cette seule curiosité, voir Albertine avec
d'autres femmes, peut-être parce qu'ainsi, elles parties, je serais
resté seul avec elle, le dernier et le maître. Et en voyant ses
hésitations, son incertitude en se demandant s'il valait la peine de
passer la soirée avec telle ou telle, sa satiété quand l'autre était
partie, peut-être sa déception, j'eusse éclairé, j'eusse ramené à
de justes proportions la jalousie que m'inspirait Albertine, parce que
la voyant ainsi les éprouver, j'aurais pris la mesure et découvert la
limite de ses plaisirs. De combien de plaisirs, de quelle douce vie elle
nous a privés, me disais-je, par cette farouche obstination à nier son
goût! Et comme une fois de plus je cherchais quelle avait pu être la
raison de cette obstination, tout d'un coup le souvenir me revint d'une
phrase que je lui avais dite à Balbec le jour où elle m'avait donné
un crayon. Comme je lui reprochais de ne pas m'avoir laissé
l'embrasser, je lui avais dit que je trouvais cela aussi naturel que je
trouvais ignoble qu'une femme eût des relations avec une autre femme.
Hélas, peut-être Albertine s'était-elle toujours rappelé cette
phrase imprudente.
Je ramenais avec moi les filles qui m'eussent le moins plu, je lissais
des bandeaux à la vierge, j'admirais un petit nez bien modelé, une
pâleur espagnole. Certes autrefois, même pour une femme que je ne
faisais qu'apercevoir sur une route de Balbec, dans une rue de Paris,
j'avais senti ce que mon désir avait d'individuel et que c'était le
fausser que de chercher à l'assouvir avec un autre objet. Mais la vie,
en me découvrant peu à peu la permanence de nos besoins, m'avait
appris que, faute d'un être, il faut se contenter d'un autre--et je
sentais que ce que j'avais demandé à Albertine, une autre, Mlle de
Stermaria, eût pu me le donner. Mais ç'avait été Albertine; et entre
la satisfaction de mes besoins de tendresse et les particularités de
son corps un entrelacement de souvenirs s'était fait tellement
inextricable que je ne pouvais plus arracher à un désir de tendresse
toute cette broderie des souvenirs du corps d'Albertine. Elle seule
pouvait me donner ce bonheur. L'idée de son unicité n'était plus un
_a priori_ métaphysique puisé dans ce qu'Albertine avait d'individuel,
comme jadis pour les passantes, mais un _a posteriori_ constitué par
l'imbrication contingente et indissoluble de mes souvenirs. Je ne
pouvais plus désirer une tendresse sans avoir besoin d'elle, sans
souffrir de son absence. Aussi la ressemblance même de la femme
choisie, de la tendresse demandée avec le bonheur que j'avais connu ne
me faisait que mieux sentir tout ce qui leur manquait pour qu'il pût
renaître. Ce même vide que je sentais dans ma chambre depuis
qu'Albertine était partie, et que j'avais cru combler en serrant des
femmes contre moi, je le retrouvais en elles. Elles ne m'avaient jamais
parlé, elles, de la musique de Vinteuil, des mémoires de Saint-Simon,
elles n'avaient pas mis un parfum trop fort pour venir me voir, elles
n'avaient pas joué à mêler leurs cils aux miens, toutes choses
importantes parce qu'elles permettent, semble-t-il, de rêver autour de
l'acte sexuel lui-même et de se donner l'illusion de l'amour, mais en
réalité parce qu'elles faisaient partie du souvenir d'Albertine et que
c'était elle que j'aurais voulu trouver. Ce que ces femmes avaient
d'Albertine me faisait mieux ressentir ce que d'elle il leur manquait et
qui était tout, et qui ne serait plus jamais puisque Albertine était
morte. Et ainsi mon amour pour Albertine qui m'avait attiré vers ces
femmes me les rendait indifférentes, et peut-être mon regret
d'Albertine et la persistance de ma jalousie qui avaient déjà
dépassé par leur durée mes prévisions les plus pessimistes
n'auraient sans doute jamais changé beaucoup, si leur existence,
isolée du reste de ma vie, avait seulement été soumise au jeu de mes
souvenirs, aux actions et réactions d'une psychologie applicable à des
états immobiles, et n'avait pas été entraînée vers un système plus
vaste où les âmes se meuvent dans le temps comme les corps dans
l'espace. Comme il y a une géométrie dans l'espace, il y a une
psychologie dans le temps, où les calculs d'une psychologie plane ne
seraient plus exacts parce qu'on n'y tiendrait pas compte du temps et
d'une des formes qu'il revêt, l'oubli; l'oubli dont je commençais à
sentir la force et qui est un si puissant instrument d'adaptation à la
réalité parce qu'il détruit peu à peu en nous le passé survivant
qui est en constante contradiction avec elle. Et j'aurais vraiment bien
pu deviner plus tôt qu'un jour je n'aimerais plus Albertine. Quand
j'avais compris, par la différence qu'il y avait entre ce que
l'importance de sa personne et de ses actions était pour moi et pour
les autres, que mon amour était moins un amour pour elle, qu'un amour
en moi, j'aurais pu déduire diverses conséquences de ce caractère
subjectif de mon amour et qu'étant un état mental, il pouvait
notamment survivre assez longtemps à la personne, mais aussi que
n'ayant avec cette personne aucun lien véritable, n'ayant aucun soutien
en dehors de soi, il devrait comme tout état mental, même les plus
durables, se trouver un jour hors d'usage, être «remplacé» et que ce
jour-là tout ce qui semblait m'attacher si doucement, indissolublement,
au souvenir d'Albertine n'existerait plus pour moi. C'est le malheur des
êtres de n'être pour nous que des planches de collections fort usables
dans notre pensée. Justement à cause de cela on fonde sur eux des
projets qui ont l'ardeur de la pensée; mais la pensée se fatigue, le
souvenir se détruit, le jour viendrait où je donnerais volontiers à
la première venue la chambre d'Albertine, comme j'avais sans aucun
chagrin donné à Albertine la bille d'agate ou d'autres présents de
Gilberte.
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ALBERTINE DISPARUE VOL 01 (OF 2) ***
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réveillé, cette idée d'une morte qui continue à vivre aurait dû me
devenir aussi impossible à comprendre qu'elle me l'est à expliquer.
Mais je l'avais déjà formée tant de fois au cours de ces périodes
passagères de folie que sont nos rêves, que j'avais fini par me
familiariser avec elle; la mémoire des rêves peut devenir durable,
s'ils se répètent assez souvent. Et longtemps après mon rêve fini,
je restais tourmenté de ce baiser qu'Albertine m'avait dit avoir donné
en des paroles que je croyais entendre encore. Et en effet, elles
avaient dû passer bien près de mes oreilles puisque c'était moi-même
qui les avais prononcées.
Toute la journée, je continuais à causer avec Albertine, je
l'interrogeais, je lui pardonnais, je réparais l'oubli des choses que
j'avais toujours voulu lui dire pendant sa vie. Et tout d'un coup
j'étais effrayé de penser qu'à l'être invoqué par la mémoire à
qui s'adressaient tous ces propos, aucune réalité ne correspondait
plus, qu'étaient détruites les différentes parties du visage
auxquelles la poussée continue de la volonté de vivre, aujourd'hui
anéantie, avait seule donné l'unité d'une personne. D'autres fois,
sans que j'eusse rêvé, dès mon réveil, je sentais que le vent avait
tourné en moi; il soufflait froid et continu d'une autre direction
venue du fond du passé, me rapportant la sonnerie d'heures lointaines,
des sifflements de départ que je n'entendais pas d'habitude. Un jour
j'essayai de prendre un livre, un roman de Bergotte, que j'avais
particulièrement aimé. Les personnages sympathiques m'y plaisaient
beaucoup, et bien vite, repris par le charme du livre, je me mis à
souhaiter comme un plaisir personnel que la femme méchante fût punie;
mes yeux se mouillèrent quand le bonheur des fiancés fut assuré.
«Mais alors, m'écriai-je avec désespoir, de ce que j'attache tant
d'importance à ce qu'a pu faire Albertine, je ne peux pas conclure que
sa personnalité est quelque chose de réel qui ne peut être aboli, que
je la retrouverai un jour pareil au ciel, si j'appelle de tant de
vœux, attends avec tant d'impatience, accueille avec tant de larmes le
succès d'une personne qui n'a jamais existé que dans l'imagination de
Bergotte, que je n'ai jamais vue, dont je suis libre de me figurer à
mon gré le visage! » D'ailleurs, dans ce roman, il y avait des jeunes
filles séduisantes, des correspondances amoureuses, des allées
désertes où l'on se rencontre, cela me rappelait qu'on peut aimer
clandestinement, cela réveillait ma jalousie, comme si Albertine avait
encore pu se promener dans des allées désertes. Et il y était aussi
question d'un homme qui revoit après cinquante ans une femme qu'il a
aimée jeune, ne la reconnaît pas, s'ennuie auprès d'elle. Et cela me
rappelait que l'amour ne dure pas toujours et me bouleversait comme si
j'étais destiné à être séparé d'Albertine et à la retrouver avec
indifférence dans mes vieux jours. Si j'apercevais une carte de France
mes yeux effrayés s'arrangeaient à ne pas rencontrer la Touraine pour
que je ne fusse pas jaloux, et, pour que je ne fusse pas malheureux, la
Normandie où étaient marqués au moins Balbec et Doncières, entre
lesquels je situais tous ces chemins que nous avions couverts tant de
fois ensemble. Au milieu d'autres noms de villes ou de villages de
France, noms qui n'étaient que visibles ou audibles, le nom de Tours
par exemple semblait composé différemment, non plus d'images
immatérielles, mais de substances vénéneuses qui agissaient de façon
immédiate sur mon cœur dont elles accéléraient et rendaient
douloureux les battements. Et si cette force s'étendait jusqu'à
certains noms, devenus par elle si différents des autres, comment en
restant plus près de moi, en me bornant à Albertine elle-même,
pouvais-je m'étonner, qu'émanant d'une fille probablement pareille à
toute autre, cette force irrésistible sur moi, et pour la production de
laquelle n'importe quelle autre femme eût pu servir, eût été le
résultat d'un enchevêtrement et de la mise en contact de rêves, de
désirs, d'habitudes, de tendresses, avec l'interférence requise de
souffrances et de plaisirs alternés? Et cela continuait après sa mort,
la mémoire suffisant à entretenir la vie réelle, qui est mentale. Je
me rappelais Albertine descendant de wagon et me disant qu'elle avait
envie d'aller à Saint-Martin le Vêtu, et je la revoyais aussi avec son
polo abaissé sur ses joues, je retrouvais des possibilités de bonheur,
vers lesquelles je m'élançais me disant: «Nous aurions pu aller
ensemble jusqu'à Incarville, jusqu'à Doncières. » Il n'y avait pas
une station près de Balbec où je ne la revisse, de sorte que cette
terre, comme un pays mythologique conservé, me rendait vivantes et
cruelles les légendes les plus anciennes, les plus charmantes, les plus
effacées par ce qui avait suivi de mon amour. Ah! quelle souffrance
s'il me fallait jamais coucher à nouveau dans ce lit de Balbec autour
du cadre de cuivre duquel, comme autour d'un pivot immuable,
d'une barre fixe, s'était déplacée, avait évolué ma vie, appuyant
successivement à lui de gaies conversations avec ma grand' mère,
l'horreur de sa mort, les douces caresses d'Albertine, la découverte de
son vice, et maintenant une vie nouvelle où, apercevant les
bibliothèques vitrées où se reflétait la mer, je savais qu'Albertine
n'entrerait jamais plus! N'était-il pas, cet hôtel de Balbec, comme
cet unique décor de maison des théâtres de province, où l'on joue
depuis des années les pièces les plus différentes, qui a servi pour
une comédie, pour une première tragédie, pour une deuxième, pour une
pièce purement poétique, cet hôtel qui remontait déjà assez loin
dans mon passé. Le fait que cette seule partie restât toujours la
même, avec ses murs, ses bibliothèques, sa glace, au cours de
nouvelles époques de ma vie, me faisait mieux sentir que dans le total,
c'était le reste, c'était moi-même qui avais changé, et me donnait
ainsi cette impression que les mystères de la vie, de l'amour, de la
mort, auxquels les enfants croient dans leur optimisme ne pas
participer, ne sont pas des parties réservées, mais qu'on s'aperçoit
avec une douloureuse fierté qu'ils ont fait corps au cours des années
avec notre propre vie.
J'essayais parfois de prendre les journaux. Mais la lecture m'en était
odieuse, et de plus elle n'était pas inoffensive. En effet, en nous de
chaque idée, comme d'un carrefour dans une forêt, partent tant de
routes différentes, qu'au moment où je m'y attendais le moins je me
trouvais devant un nouveau souvenir. Le titre de la mélodie de Fauré
_le Secret_ m'avait mené au «secret du Roi» du duc de Broglie, le nom
de Broglie à celui de Chaumont, ou bien le mot de Vendredi Saint
m'avait fait penser au Golgotha, le Golgotha à l'étymologie de ce mot
qui paraît l'équivalent de _Calvus mons_, Chaumont. Mais, par quelque
chemin que je fusse arrivé à Chaumont, à ce moment j'étais frappé
d'un choc si cruel que dès lors je ne pensais plus qu'à me garer
contre la douleur. Quelques instants après le choc, l'intelligence qui
comme le bruit du tonnerre, ne voyage pas aussi vite, m'en apportait la
raison. Chaumont m'avait fait penser aux Buttes-Chaumont où Mme
Bontemps m'avait dit qu'Andrée allait souvent avec Albertine, tandis
qu'Albertine m'avait dit n'avoir jamais vu les Buttes-Chaumont. À
partir d'un certain âge nos souvenirs sont tellement entre-croisés les
uns avec les autres que la chose à laquelle on pense, le livre qu'on
lit n'a presque plus d'importance. On a mis de soi-même partout, tout
est fécond, tout est dangereux, et on peut faire d'aussi précieuses
découvertes que dans les Pensées de Pascal dans une réclame pour un
savon.
Sans doute un fait comme celui des Buttes-Chaumont qui à l'époque
m'avait paru futile, était en lui-même, contre Albertine, bien moins
grave, moins décisif que l'histoire de la doucheuse ou de la
blanchisseuse. Mais d'abord un souvenir qui vient fortuitement à nous
trouve en nous une puissance intacte d'imaginer, c'est-à-dire dans ce
cas de souffrir, que nous avons usée en partie quand c'est nous au
contraire qui avons volontairement appliqué notre esprit à recréer un
souvenir. Mais ces derniers (les souvenirs concernant la doucheuse et la
blanchisseuse) toujours présents quoique obscurcis dans ma mémoire,
comme ces meubles placés dans la pénombre d'une galerie et auxquels,
sans les distinguer on évite pourtant de se cogner, je m'étais
habitué à eux. Au contraire il y avait longtemps que je n'avais pensé
aux Buttes-Chaumont, ou par exemple au regard d'Albertine dans la glace
du casino de Balbec, ou au retard inexpliqué d'Albertine le soir où je
l'avais tant attendue après la soirée Guermantes, à toutes ces
parties de sa vie qui restaient hors de mon cœur et que j'aurais voulu
connaître pour qu'elles pussent s'assimiler, s'annexer à lui, y
rejoindre les souvenirs plus doux qu'y formaient une Albertine
intérieure et vraiment possédée. Soulevant un coin du voile lourd de
l'habitude (l'habitude abêtissante qui pendant tout le cours de notre
vie nous cache à peu près tout l'univers, et dans une nuit profonde,
sous leur étiquette inchangée, substitue aux poisons les plus
dangereux ou les plus enivrants de la vie, quelque chose d'anodin qui ne
procure pas de délices), un tel souvenir me revenait comme au premier
jour avec cette fraîche et perçante nouveauté d'une saison
reparaissante, d'un changement dans la routine de nos heures, qui, dans
le domaine des plaisirs aussi, si nous montons en voiture par un premier
beau jour de printemps, ou sortons de chez nous au lever du soleil, nous
font remarquer nos actions insignifiantes avec une exaltation lucide qui
fait prévaloir cette intense minute sur le total des jours antérieurs.
Je me retrouvais au sortir de la soirée chez la princesse de Guermantes
attendant l'arrivée d'Albertine. Les jours anciens recouvrent peu à
peu ceux qui les ont précédés, sont eux-mêmes ensevelis sous ceux
qui les suivent. Mais chaque jour ancien est resté déposé en nous,
comme dans une bibliothèque immense où il y a de plus vieux livres, un
exemplaire que sans doute personne n'ira jamais demander. Pourtant que
ce jour ancien, traversant la translucidité des époques suivantes,
remonte à la surface et s'étende en nous qu'il couvre tout entier,
alors pendant un moment, les noms reprennent leur ancienne
signification, les êtres leur ancien visage, nous notre âme d'alors,
et nous sentons, avec une souffrance vague mais devenue supportable et
qui ne durera pas, les problèmes devenus depuis longtemps insolubles et
qui nous angoissaient tant alors. Notre moi est fait de la superposition
de nos états successifs. Mais cette superposition n'est pas immuable
comme la stratification d'une montagne. Perpétuellement des
soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes. Je me
retrouvais après la soirée chez la princesse de Guermantes, attendant
l'arrivée d'Albertine. Qu'avait-elle fait cette nuit-là? M'avait-elle
trompé? Avec qui? Les révélations d'Aimé, même si je les acceptais,
ne diminuaient en rien pour moi l'intérêt anxieux, désolé, de cette
question inattendue, comme si chaque Albertine différente, chaque
souvenir nouveau, posait un problème de jalousie particulier, auquel
les solutions des autres ne pouvaient pas s'appliquer. Mais je n'aurais
pas voulu savoir seulement avec quelle femme elle avait passé cette
nuit là, mais quel plaisir particulier cela lui représentait, ce qui
se passait à ce moment-là en elle. Quelquefois à Balbec Françoise
était allée la chercher, m'avait dit l'avoir trouvée penchée à sa
fenêtre, l'air inquiet, chercheur, comme si elle attendait quelqu'un.
Mettons que j'apprisse que la jeune fille attendue était Andrée, quel
était l'état d'esprit dans lequel Albertine l'attendait, cet état
d'esprit caché derrière le regard inquiet et chercheur? Ce goût,
quelle importance avait-il pour Albertine? quelle place tenait-il dans
ses préoccupations? Hélas, en me rappelant mes propres agitations,
chaque fois que j'avais remarqué une jeune fille qui me plaisait,
quelquefois seulement quand j'avais entendu parler d'elle sans l'avoir
vue, mon souci de me faire beau, d'être avantagé, mes sueurs froides,
je n'avais pour me torturer qu'à imaginer ce même voluptueux émoi
chez Albertine. Et déjà c'était assez pour me torturer, pour me dire
qu'à côté de cela des conversations sérieuses avec moi sur Stendhal
et Victor Hugo avaient dû bien peu peser pour elle, pour sentir son
cœur attiré vers d'autres êtres, se détacher du mien, s'incarner
ailleurs. Mais l'importance même que ce désir devait avoir pour elle
et les réserves qui se formaient autour de lui ne pouvaient pas me
révéler ce que, qualitativement, il était, bien plus, comment elle le
qualifiait quand elle s'en parlait à elle-même. Dans la souffrance
physique au moins nous n'avons pas à choisir nous-mêmes notre douleur.
La maladie la détermine et nous l'impose. Mais dans la jalousie il nous
faut essayer en quelque sorte des souffrances de tout genre et de toute
grandeur, avant de nous arrêter à celle qui nous paraît pouvoir
convenir. Et quelle difficulté plus grande, quand il s'agit d'une
souffrance comme de sentir celle qu'on aimait éprouvant du plaisir avec
des êtres différents de nous qui lui donnent des sensations que nous
ne sommes pas capables de lui donner, ou qui du moins par leur
configuration, leur aspect, leurs façons, lui représentent tout autre
chose que nous. Ah! qu'Albertine n'avait-elle aimé Saint-Loup! comme il
me semble que j'eusse moins souffert! Certes nous ignorons la
sensibilité particulière de chaque être, mais d'habitude nous ne
savons même pas que nous l'ignorons, car cette sensibilité des autres
nous est indifférente. Pour ce qui concernait Albertine, mon malheur ou
mon bonheur eût dépendu de ce qu'était cette sensibilité; je savais
bien qu'elle m'était inconnue, et qu'elle me fût inconnue m'était
déjà une douleur. Les désirs, les plaisirs inconnus que ressentait
Albertine, une fois j'eus l'illusion de les voir quand quelque temps
après la mort d'Albertine, Andrée vint chez moi.
Pour la première fois elle me semblait belle, je me disais que ces
cheveux presque crépus, ces yeux sombres et cernés, c'était sans
doute ce qu'Albertine avait tant aimé, la matérialisation devant moi
de ce qu'elle portait dans sa rêverie amoureuse, de ce qu'elle voyait
par les regards anticipateurs du désir le jour où elle avait voulu si
précipitamment revenir de Balbec.
Comme une sombre fleur inconnue qui m'était par delà le tombeau
rapportée des profondeurs d'un être où je n'avais pas su la
découvrir, il me semblait, exhumation inespérée d'une relique
inestimable, voir devant moi le désir incarné d'Albertine qu'Andrée
était pour moi, comme Vénus était le désir de Jupiter. Andrée
regrettait Albertine, mais je sentis tout de suite qu'elle ne lui
manquait pas. Éloignée de force de son amie par la mort, elle semblait
avoir pris aisément son parti d'une séparation définitive que je
n'eusse pas osé lui demander quand Albertine était vivante, tant
j'aurais craint de ne pas arriver à obtenir le consentement d'Andrée.
Elle semblait au contraire accepter sans difficulté ce renoncement,
mais précisément au moment où il ne pouvait plus me profiter. Andrée
m'abandonnait Albertine, mais morte, et ayant perdu pour moi non
seulement sa vie mais rétrospectivement un peu de sa réalité, puisque
je voyais qu'elle n'était pas indispensable, unique pour Andrée qui
avait pu la remplacer par d'autres.
Du vivant d'Albertine, je n'eusse pas osé demander à Andrée des
confidences sur le caractère de leur amitié entre elles et avec l'amie
de Mlle Vinteuil, n'étant pas certain sur la fin qu'Andrée ne
répétât pas à Albertine tout ce que je lui disais. Maintenant un tel
interrogatoire, même s'il devait être sans résultat, serait au moins
sans danger. Je parlai à Andrée non sur un ton interrogatif mais comme
si je l'avais su de tout temps, peut-être par Albertine, du goût
qu'elle-même Andrée avait pour les femmes et de ses propres relations
avec Mlle Vinteuil. Elle avoua tout cela sans aucune difficulté, en
souriant. De cet aveu, je pouvais tirer de cruelles conséquences;
d'abord parce qu'Andrée, si affectueuse et coquette avec bien des
jeunes gens à Balbec, n'aurait donné lieu pour personne à la
supposition d'habitudes qu'elle ne niait nullement, de sorte que par
voie d'analogie, en découvrant cette Andrée nouvelle, je pouvais
penser qu'Albertine les eût confessées avec la même facilité à tout
autre qu'à moi qu'elle sentait jaloux. Mais d'autre part, Andrée ayant
été la meilleure amie d'Albertine, et celle pour laquelle celle-ci
était probablement revenue exprès de Balbec, maintenant qu'Andrée
avait ces goûts, la conclusion qui devait s'imposer à mon esprit
était qu'Albertine et Andrée avaient toujours eu des relations
ensemble. Certes, comme en présence d'une personne étrangère on n'ose
pas toujours prendre connaissance du présent qu'elle vous remet, et
dont on ne défera l'enveloppe que quand ce donataire sera parti, tant
qu'Andrée fut là je ne rentrai pas en moi-même pour y examiner la
douleur qu'elle m'apportait, et que je sentais bien causer déjà à mes
serviteurs physiques, les nerfs, le cœur, de grands troubles dont par
bonne éducation je feignais de ne pas m'apercevoir, parlant au
contraire le plus gracieusement du monde avec la jeune fille que j'avais
pour hôte sans détourner mes regards vers ces incidents intérieurs.
Il me fut particulièrement pénible d'entendre Andrée me dire en
parlant d'Albertine: «Ah! oui, elle aimait bien qu'on alla se promener
dans la vallée de Chevreuse. » À l'univers vague et inexistant où se
passaient les promenades d'Albertine et d'Andrée, il me semblait que
celle-ci venait par une création postérieure et diabolique d'ajouter
une vallée maudite. Je sentais qu'Andrée allait me dire tout ce
qu'elle faisait avec Albertine, et, tout en essayant par politesse, par
habileté, par amour-propre, peut-être par reconnaissance, de me
montrer de plus en plus affectueux, tandis que l'espace que j'avais pu
concéder encore à l'innocence d'Albertine se rétrécissait de plus en
plus, il me semblait m'apercevoir que malgré mes efforts, je gardais
l'aspect figé d'un animal autour duquel un cercle progressivement
resserré est lentement décrit par l'oiseau fascinateur qui ne se
presse pas parce qu'il est sûr d'atteindre quand il le voudra la
victime qui ne lui échappera plus. Je la regardais pourtant, et avec ce
qui reste d'enjouement, de naturel et d'assurance aux personnes qui
veulent faire semblant de ne pas craindre qu'on les hypnotise en les
fixant, je dis à Andrée cette phrase incidente: «Je ne vous en avais
jamais parlé de peur de vous fâcher, mais maintenant qu'il nous est
doux de parler d'elle, je puis bien vous dire que je savais depuis bien
longtemps les relations de ce genre que vous aviez avec Albertine.
D'ailleurs cela vous fera plaisir quoique vous le sachiez déjà;
Albertine vous adorait. » Je dis à Andrée que c'eût été une grande
curiosité pour moi si elle avait voulu me laisser la voir, même
simplement en se bornant à des caresses qui ne la gênassent pas trop
devant moi, faire cela avec celles des amies d'Albertine qui avaient ces
goûts, et je nommai Rosemonde, Berthe, toutes les amies d'Albertine,
pour savoir. «Outre que pour rien au monde je ne ferais ce que vous
dites devant vous, me répondit Andrée, je ne crois pas qu'aucune de
celles que vous dites ait ces goûts. » Me rapprochant malgré moi du
monstre qui m'attirait, je répondis: «Comment! vous n'allez pas me
faire croire que de toute votre bande il n'y avait qu'Albertine avec qui
vous fissiez cela! --Mais je ne l'ai jamais fait avec Albertine. --Voyons,
ma petite Andrée, pourquoi nier des choses que je sais depuis au moins
trois ans, je n'y trouve rien de mal, au contraire. Justement à propos
du soir où elle voulait tant aller le lendemain avec vous chez Mme
Verdurin, vous vous souvenez peut-être. . . » Avant que j'eusse terminé
ma phrase, je vis dans les yeux d'Andrée, qu'il faisait pointus comme
ces pierres qu'à cause de cela les joailliers ont de la peine à
employer, passer un regard préoccupé, comme ces têtes de
privilégiés qui soulèvent un coin du rideau avant qu'une pièce soit
commencée et qui se sauvent aussitôt pour ne pas être aperçus. Ce
regard inquiet disparut, tout était rentré dans l'ordre, mais je
sentais que tout ce que je verrais maintenant ne serait plus qu'arrangé
facticement pour moi. À ce moment je m'aperçus dans la glace; je fus
frappé d'une certaine ressemblance entre moi et Andrée. Si je n'avais
pas cessé depuis longtemps de me raser et que je n'eusse eu qu'une
ombre de moustache, cette ressemblance eût été presque complète.
C'était peut-être en regardant, à Balbec, ma moustache qui repoussait
à peine, qu'Albertine avait subitement eu ce désir impatient, furieux
de revenir à Paris. «Mais je ne peux pourtant pas dire ce qui n'est
pas vrai, pour la simple raison que vous ne le trouveriez pas mal. Je
vous jure que je n'ai jamais rien fait avec Albertine, et j'ai la
conviction qu'elle détestait ces choses-là. Les gens qui vous ont dit
cela vous ont menti, peut-être dans un but intéressé», me dit-elle
d'un air interrogateur et méfiant. «Enfin soit, puisque vous ne voulez
pas me le dire», répondis-je. Je préférais avoir l'air de ne pas
vouloir donner une preuve que je ne possédais pas. Pourtant je
prononçai vaguement et à tout hasard le nom des Buttes-Chaumont.
«J'ai pu aller aux Buttes-Chaumont avec Albertine, mais est-ce un
endroit qui a quelque chose de particulièrement mal? » Je lui demandai
si elle ne pourrait pas en parler à Gisèle qui à une certaine époque
avait intimement connu Albertine. Mais Andrée me déclara qu'après une
infamie que venait de lui faire dernièrement Gisèle, lui demander un
service était la seule chose qu'elle refuserait toujours de faire pour
moi. «Si vous la voyez, ajouta-t-elle, ne lui dites pas ce que je vous
ai dit d'elle, inutile de m'en faire une ennemie. Elle sait ce que je
pense d'elle, mais j'ai toujours mieux aimé éviter avec elle les
brouilles violentes qui n'amènent que des raccommodements. Et puis elle
est dangereuse. Mais vous comprenez que quand on a lu la lettre que j'ai
eue il y a huit jours sous les yeux et où elle mentait avec une telle
perfidie, rien, même les plus belles actions du monde, ne peut effacer
le souvenir de cela. » En somme si Andrée ayant ces goûts au point de
ne s'en cacher nullement, et Albertine ayant eu pour elle la grande
affection que très certainement elle avait, malgré cela Andrée
n'avait jamais eu de relations charnelles avec Albertine et avait
toujours ignoré qu'Albertine eût de tels goûts, c'est qu'Albertine ne
les avait pas, et n'avait eu avec personne, les relations que plus
qu'avec aucune autre elle aurait eues avec Andrée. Aussi quand Andrée
fut partie, je m'aperçus que son affirmation si nette m'avait apporté
du calme. Mais peut-être était-elle dictée par le devoir, auquel
Andrée se croyait obligée envers la morte dont le souvenir existait
encore en elle, de ne pas laisser croire ce qu'Albertine lui avait sans
doute, pendant sa vie, demandé de nier.
Les romanciers prétendent souvent dans une introduction qu'en voyageant
dans un pays ils ont rencontré quelqu'un qui leur a raconté la vie
d'une personne. Ils laissent alors la parole à cet ami de rencontre, et
le récit qu'il leur fait, c'est précisément leur roman. Ainsi la vie
de Fabrice del Dongo fut racontée à Stendhal par un chanoine de
Padoue. Combien nous voudrions quand, nous aimons, c'est-à-dire quand
l'existence d'une autre personne nous semble mystérieuse, trouver un
tel narrateur informé! Et certes il existe. Nous-même, ne
racontons-nous pas souvent, sans aucune passion, la vie de telle ou
telle femme, à un de nos amis, ou à un étranger, qui ne connaissait
rien de ses amours et nous écoute avec curiosité? L'homme que j'étais
quand je parlais à Bloch de la princesse de Guermantes, de Mme Swann,
cet être-là existait qui eût pu me parler d'Albertine, cet être-là
existe toujours. . . mais nous ne le rencontrons jamais. Il me semblait
que, si j'avais pu trouver des femmes qui l'eussent connue, j'eusse
appris tout ce que j'ignorais. Pourtant à des étrangers, il eût dû
sembler que personne autant que moi ne pouvait connaître sa vie. Même
ne connaissais-je pas sa meilleure amie, Andrée? C'est ainsi que l'on
croit que l'ami d'un ministre doit savoir la vérité sur certaines
affaires ou ne pourra pas être impliqué dans un procès. Seul à
l'user, l'ami a appris que chaque fois qu'il parlait politique au
ministre, celui-ci restait dans des généralités et lui disait tout au
plus ce qu'il y avait dans les journaux, ou que s'il a eu quelque ennui,
ses démarches multipliées auprès du ministre ont abouti chaque fois
à un «ce n'est pas en mon pouvoir» sur lequel l'ami est lui-même
sans pouvoir. Je me disais: «Si j'avais pu connaître tels témoins! »
desquels, si je les avais connus, je n'aurais probablement pas pu
obtenir plus que d'Andrée, dépositaire elle-même d'un secret qu'elle
ne voulait pas livrer. Différant en cela encore de Swann qui, quand il
ne fut plus jaloux, cessa d'être curieux de ce qu'Odette avait pu faire
avec Forcheville, même après ma jalousie passée connaître la
blanchisseuse d'Albertine, des personnes de son quartier, y reconstituer
sa vie, ses intrigues, cela seul avait du charme pour moi. Et comme le
désir vient toujours d'un prestige préalable, comme il était advenu
pour Gilberte, pour la duchesse de Guermantes, ce furent dans ces
quartiers où avait autrefois vécu Albertine, les femmes de son milieu
que je recherchai et dont seules j'eusse pu désirer la présence. Même
sans rien pouvoir en apprendre, c'étaient les seules femmes vers
lesquelles je me sentais attiré, étant celles qu'Albertine avait
connues ou qu'elle aurait pu connaître, femmes de son milieu ou des
milieux où elle se plaisait, en un mot celles qui avaient pour moi le
prestige de lui ressembler ou d'être de celles qui lui eussent plu. Me
rappelant ainsi soit Albertine elle-même, soit le type pour lequel elle
avait sans doute une préférence, ces femmes éveillaient en moi un
sentiment cruel de jalousie ou de regret, qui plus tard quand mon
chagrin s'apaisa se mua en une curiosité non exempte de charme. Et
parmi ces dernières surtout les filles du peuple, à cause de cette
vie, si différente de celle que je connaissais, et qui est la leur.
Sans doute c'est seulement par la pensée qu'on possède des choses, et
on ne possède pas un tableau parce qu'on l'a dans sa salle à manger si
on ne sait pas le comprendre, ni un pays parce qu'on y réside sans
même le regarder. Mais enfin j'avais autrefois l'illusion de ressaisir
Balbec, quand à Paris Albertine venait me voir et que je la tenais dans
mes bras. De même je prenais un contact, bien étroit et furtif
d'ailleurs, avec la vie d'Albertine, l'atmosphère des ateliers, une
conversation de comptoir, l'âme des taudis, quand j'embrassais une
ouvrière. Andrée, ces autres femmes, tout cela par rapport à
Albertine--comme Albertine avait été elle-même par rapport à
Balbec--étaient de ces substituts de plaisirs se remplaçant l'un
l'autre, en dégradation successive, qui nous permettent de nous passer
de celui que nous ne pouvons plus atteindre, voyage à Balbec, ou amour
d'Albertine (comme le fait d'aller au Louvre voir un Titien qui y fut
jadis console de ne pouvoir aller à Venise), de ces plaisirs qui
séparés les uns des autres par des nuances indiscernables, font de
notre vie comme une suite de zones concentriques, contiguës,
harmoniques et dégradées, autour d'un désir premier qui a donné le
ton, éliminé ce qui ne se fond pas avec lui et répandu la teinte
maîtresse (comme cela m'était arrivé aussi par exemple pour la
duchesse de Guermantes et pour Gilberte). Andrée, ces femmes, étaient
pour le désir, que je savais ne plus pouvoir exaucer, d'avoir auprès
de moi Albertine, ce qu'un soir, avant que je connusse Albertine
autrement que de vue, avait été l'ensoleillement tortueux et frais
d'une grappe de raisin.
Associées maintenant au souvenir de mon amour, les particularités
physiques et sociales d'Albertine, malgré lesquelles je l'avais aimée,
orientaient au contraire mon désir vers ce qu'il eût autrefois le
moins naturellement choisi: des brunes de la petite bourgeoisie. Certes
ce qui commençait partiellement à renaître en moi, c'était cet
immense désir que mon amour pour Albertine n'avait pu assouvir, cet
immense désir de connaître la vie que j'éprouvais autrefois sur les
routes de Balbec, dans les rues de Paris, ce désir qui m'avait fait
tant souffrir quand, supposant qu'il existait aussi au cœur
d'Albertine, j'avais voulu la priver des moyens de le contenter avec
d'autres que moi. Maintenant que je pouvais supporter l'idée de son
désir, comme cette idée était aussitôt éveillée par le mien, ces
deux immenses appétits coïncidaient, j'aurais voulu que nous pussions
nous y livrer ensemble, je me disais: cette fille lui aurait plu, et par
ce brusque détour pensant à elle et à sa mort, je me sentais trop
triste pour pouvoir poursuivre plus loin mon désir. Comme autrefois le
côté de Méséglise et celui de Guermantes avaient établi les assises
de mon goût pour la campagne et m'eussent empêché de trouver un
charme profond dans un pays où il n'y aurait pas eu de vieille église,
de bleuets, de boutons d'or, c'est de même en les rattachant en moi à
un passé plein de charme que mon amour pour Albertine me faisait
exclusivement rechercher un certain genre de femmes; je recommençais,
comme avant de l'aimer, à avoir besoin d'harmoniques d'elle qui fussent
interchangeables avec mon souvenir devenu peu à peu moins exclusif. Je
n'aurais pu me plaire maintenant auprès d'une blonde et fière
duchesse, parce qu'elle n'eût éveillé en moi aucune des émotions qui
partaient d'Albertine, de mon désir d'elle, de la jalousie que j'avais
eue de ses amours, de mes souffrances, de sa mort. Car nos sensations
pour être fortes ont besoin de déclencher en nous quelque chose de
différent d'elles, un sentiment, qui ne pourra pas trouver dans le
plaisir de satisfaction mais qui s'ajoute au désir, l'enfle, le fait
s'accrocher désespérément au plaisir. Au fur et à mesure que l'amour
qu'avait éprouvé Albertine pour certaines femmes ne me faisait plus
souffrir, il rattachait ces femmes à mon passé, leur donnait quelque
chose de plus réel, comme aux boutons d'or, aux aubépines le souvenir
de Combray donnait plus de réalité qu'aux fleurs nouvelles. Même
d'Andrée, je ne me disais plus avec rage: «Albertine l'aimait», mais
au contraire pour m'expliquer à moi-même mon désir, d'un air
attendri: «Albertine l'aimait bien. » Je comprenais maintenant les
veufs qu'on croit consolés et qui prouvent au contraire qu'ils sont
inconsolables, parce qu'ils se remarient avec leur belle-sœur. Ainsi
mon amour finissant semblait rendre possible pour moi de nouvelles
amours, et Albertine, comme ces femmes longtemps aimées pour
elles-mêmes qui plus tard sentant le goût de leur amant s'affaiblir
conservent leur pouvoir en se contentant du rôle d'entremetteuses,
parait pour moi, comme la Pompadour pour Louis XV, de nouvelles
fillettes. Même autrefois, mon temps était divisé par périodes où
je désirais telle femme, ou telle autre. Quand les plaisirs violents
donnés par l'une étaient apaisés, je souhaitais celle qui donnait une
tendresse presque pure jusqu'à ce que le besoin de caresses plus
savantes ramenât le désir de la première. Maintenant ces alternances
avaient pris fin, ou du moins l'une des périodes se prolongeait
indéfiniment. Ce que j'aurais voulu, c'est que la nouvelle venue vînt
habiter chez moi, et me donnât le soir avant de me quitter un baiser
familial de sœur. De sorte que j'aurais pu croire--si je n'avais fait
l'expérience de la présence insupportable d'une autre--que je
regrettais plus un baiser que certaines lèvres, un plaisir qu'un amour,
une habitude qu'une personne. J'aurais voulu aussi que les nouvelles
venues pussent me jouer du Vinteuil comme Albertine, parler comme elle
avec moi d'Elstir. Tout cela était impossible. Leur amour ne vaudrait
pas le sien, pensais-je, soit qu'un amour auquel s'annexaient tous ces
épisodes, des visites aux musées, des soirées au concert, toute une
vie compliquée qui permet des correspondances, des conversations, un
flirt préliminaire aux relations elles-mêmes, une amitié grave
après, possède plus de ressources qu'un amour pour une femme qui ne
sait que se donner, comme un orchestre plus qu'un piano, soit que plus
profondément, mon besoin du même genre de tendresse que me donnait
Albertine, la tendresse d'une fille assez cultivée et qui fût en même
temps une sœur, ne fût--comme le besoin de femmes du même milieu
qu'Albertine--qu'une reviviscence du souvenir d'Albertine, du souvenir
de mon amour pour elle. Et une fois de plus j'éprouvais d'abord que le
souvenir n'est pas inventif, qu'il est impuissant à désirer rien
d'autre, même rien de mieux que ce que nous avons possédé, ensuite
qu'il est spirituel de sorte que la réalité ne peut lui fournir
l'état qu'il cherche, enfin que, s'appliquant à une personne morte, la
renaissance qu'il incarne est moins celle du besoin d'aimer auquel il
fait croire que celle du besoin de l'absente. De sorte que la
ressemblance avec Albertine, de la femme que j'avais choisie la
ressemblance même, si j'arrivais à l'obtenir, de sa tendresse avec
celle d'Albertine, ne me faisaient que mieux sentir l'absence de ce que
j'avais sans le savoir cherché de ce qui était indispensable pour que
renaquît mon bonheur, c'est-à-dire Albertine elle-même, le temps que
nous avions vécu ensemble, le passé à la recherche duquel j'étais
sans le savoir. Certes, par les jours clairs, Paris m'apparaissait
innombrablement fleuri de toutes les fillettes, non que je désirais,
mais qui plongeaient leurs racines dans l'obscurité du désir et des
soirées inconnues d'Albertine. C'était telle de celles dont elle
m'avait dit tout au début quand elle ne se méfiait pas de moi: «Elle
est ravissante cette petite, comme elle a de jolis cheveux. » Toutes les
curiosités que j'avais eues autrefois de sa vie quand je ne la
connaissais encore que de vue, et d'autre part tous mes désirs de la
vie se confondaient en cette seule curiosité, voir Albertine avec
d'autres femmes, peut-être parce qu'ainsi, elles parties, je serais
resté seul avec elle, le dernier et le maître. Et en voyant ses
hésitations, son incertitude en se demandant s'il valait la peine de
passer la soirée avec telle ou telle, sa satiété quand l'autre était
partie, peut-être sa déception, j'eusse éclairé, j'eusse ramené à
de justes proportions la jalousie que m'inspirait Albertine, parce que
la voyant ainsi les éprouver, j'aurais pris la mesure et découvert la
limite de ses plaisirs. De combien de plaisirs, de quelle douce vie elle
nous a privés, me disais-je, par cette farouche obstination à nier son
goût! Et comme une fois de plus je cherchais quelle avait pu être la
raison de cette obstination, tout d'un coup le souvenir me revint d'une
phrase que je lui avais dite à Balbec le jour où elle m'avait donné
un crayon. Comme je lui reprochais de ne pas m'avoir laissé
l'embrasser, je lui avais dit que je trouvais cela aussi naturel que je
trouvais ignoble qu'une femme eût des relations avec une autre femme.
Hélas, peut-être Albertine s'était-elle toujours rappelé cette
phrase imprudente.
Je ramenais avec moi les filles qui m'eussent le moins plu, je lissais
des bandeaux à la vierge, j'admirais un petit nez bien modelé, une
pâleur espagnole. Certes autrefois, même pour une femme que je ne
faisais qu'apercevoir sur une route de Balbec, dans une rue de Paris,
j'avais senti ce que mon désir avait d'individuel et que c'était le
fausser que de chercher à l'assouvir avec un autre objet. Mais la vie,
en me découvrant peu à peu la permanence de nos besoins, m'avait
appris que, faute d'un être, il faut se contenter d'un autre--et je
sentais que ce que j'avais demandé à Albertine, une autre, Mlle de
Stermaria, eût pu me le donner. Mais ç'avait été Albertine; et entre
la satisfaction de mes besoins de tendresse et les particularités de
son corps un entrelacement de souvenirs s'était fait tellement
inextricable que je ne pouvais plus arracher à un désir de tendresse
toute cette broderie des souvenirs du corps d'Albertine. Elle seule
pouvait me donner ce bonheur. L'idée de son unicité n'était plus un
_a priori_ métaphysique puisé dans ce qu'Albertine avait d'individuel,
comme jadis pour les passantes, mais un _a posteriori_ constitué par
l'imbrication contingente et indissoluble de mes souvenirs. Je ne
pouvais plus désirer une tendresse sans avoir besoin d'elle, sans
souffrir de son absence. Aussi la ressemblance même de la femme
choisie, de la tendresse demandée avec le bonheur que j'avais connu ne
me faisait que mieux sentir tout ce qui leur manquait pour qu'il pût
renaître. Ce même vide que je sentais dans ma chambre depuis
qu'Albertine était partie, et que j'avais cru combler en serrant des
femmes contre moi, je le retrouvais en elles. Elles ne m'avaient jamais
parlé, elles, de la musique de Vinteuil, des mémoires de Saint-Simon,
elles n'avaient pas mis un parfum trop fort pour venir me voir, elles
n'avaient pas joué à mêler leurs cils aux miens, toutes choses
importantes parce qu'elles permettent, semble-t-il, de rêver autour de
l'acte sexuel lui-même et de se donner l'illusion de l'amour, mais en
réalité parce qu'elles faisaient partie du souvenir d'Albertine et que
c'était elle que j'aurais voulu trouver. Ce que ces femmes avaient
d'Albertine me faisait mieux ressentir ce que d'elle il leur manquait et
qui était tout, et qui ne serait plus jamais puisque Albertine était
morte. Et ainsi mon amour pour Albertine qui m'avait attiré vers ces
femmes me les rendait indifférentes, et peut-être mon regret
d'Albertine et la persistance de ma jalousie qui avaient déjà
dépassé par leur durée mes prévisions les plus pessimistes
n'auraient sans doute jamais changé beaucoup, si leur existence,
isolée du reste de ma vie, avait seulement été soumise au jeu de mes
souvenirs, aux actions et réactions d'une psychologie applicable à des
états immobiles, et n'avait pas été entraînée vers un système plus
vaste où les âmes se meuvent dans le temps comme les corps dans
l'espace. Comme il y a une géométrie dans l'espace, il y a une
psychologie dans le temps, où les calculs d'une psychologie plane ne
seraient plus exacts parce qu'on n'y tiendrait pas compte du temps et
d'une des formes qu'il revêt, l'oubli; l'oubli dont je commençais à
sentir la force et qui est un si puissant instrument d'adaptation à la
réalité parce qu'il détruit peu à peu en nous le passé survivant
qui est en constante contradiction avec elle. Et j'aurais vraiment bien
pu deviner plus tôt qu'un jour je n'aimerais plus Albertine. Quand
j'avais compris, par la différence qu'il y avait entre ce que
l'importance de sa personne et de ses actions était pour moi et pour
les autres, que mon amour était moins un amour pour elle, qu'un amour
en moi, j'aurais pu déduire diverses conséquences de ce caractère
subjectif de mon amour et qu'étant un état mental, il pouvait
notamment survivre assez longtemps à la personne, mais aussi que
n'ayant avec cette personne aucun lien véritable, n'ayant aucun soutien
en dehors de soi, il devrait comme tout état mental, même les plus
durables, se trouver un jour hors d'usage, être «remplacé» et que ce
jour-là tout ce qui semblait m'attacher si doucement, indissolublement,
au souvenir d'Albertine n'existerait plus pour moi. C'est le malheur des
êtres de n'être pour nous que des planches de collections fort usables
dans notre pensée. Justement à cause de cela on fonde sur eux des
projets qui ont l'ardeur de la pensée; mais la pensée se fatigue, le
souvenir se détruit, le jour viendrait où je donnerais volontiers à
la première venue la chambre d'Albertine, comme j'avais sans aucun
chagrin donné à Albertine la bille d'agate ou d'autres présents de
Gilberte.
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ALBERTINE DISPARUE VOL 01 (OF 2) ***
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