C'est qu'un souffle inconnu,
fouettant
ta chevelure,
A ton esprit reveur portait d'etranges bruits;
Que ton coeur entendait la voix de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits!
A ton esprit reveur portait d'etranges bruits;
Que ton coeur entendait la voix de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits!
Rimbaud - Poesie Completes
--Dis, viens plus pres! . . .
Ta poitrine sur ma poitrine,
Melant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois! . . .
Puis, comme une petite morte,
Le coeur pame,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-ferme. . .
Je te porterais, palpitante
Dans le sentier. . .
L'oiseau filerait son andante,
Joli portier. . .
Je te parlerais dans ta bouche:
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche
Ivre du sang
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons roses,
Te parlant bas la langue franche. . .
Tiens! . . . que tu sais. . .
Nos grands bois sentiraient la seve,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand reve
Sombre et vermeil!
Le soir? . . . Nous reprendrons la route
Blanche qui court,
Flanant, comme un troupeau qui broute,
Tout a l'entour. . .
Les bons vergers a l'herbe bleue
Aux pommiers tors!
Comme on les sent tout une lieue,
Leurs parfums forts!
Nous regagnerions le village
Au ciel mi-noir;
Et ca sentirait le laitage
Dans l'air du soir:
Ca sentirait l'etable pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un rythme lent d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumiere;
Et, tout la-bas,
Une vache fienterait fiere,
A chaque pas! . . .
--Les lunettes de la grand'mere
Et son nez long
Dans son missel, le pot de biere
Cercle de plomb
Moussant entre trois larges pipes
Qui, cranement,
Fument: dix, quinze, immenses lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus;
Le feu qui claire les couchettes,
Et les bahuts:
Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, a genoux, dans des tasses,
Son museau blanc
Frole par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourleche la face ronde
Du cher petit. . .
Noire, rogue au bord de sa chaise,
Affreux profil,
Une vieille devant la braise
Qui fait du fil;
Que de choses nous verrions, chere,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris! . . .
--Et puis, fraiche et toute nichee
Dans les lilas,
La maison, la vitre cachee
Qui rit la-bas. . .
Tu viendras, tu viendras, je t'aime,
Ce sera beau!
Tu viendras, n'est-ce pas? et meme. . .
ELLE
Mais le bureau?
15 aout 1870.
VENUS ANADYOMENE
Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tete
De femme a cheveux bruns fortement pommades
D'une vieille baignoire emerge, lente et bete,
Montrant des deficits assez mal ravaudes;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort.
--La graisse sous la peau parait en feuilles plates;
Et les rondeurs des reins semblent prendre l'essor. . .
L'echine est un peu rouge, et le tout sent un gout
Horrible etrangement,--on remarque surtout
Des singularites qu'il faut voir a la loupe. . .
Les reins portent deux mots graves: _Clara Venus_
--Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcere a l'anus.
27 juillet 1870.
<<Francais de soixante-dix, bonapartistes, republicains, souvenez-vous
de vos peres en 92, etc. . . >>
PAUL DE CASSAGNAC _(Le Pays)_
Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize
Qui, pales du baiser fort de la liberte,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pese
Sur l'ame et sur le front de toute humanite;
Hommes extasies et grands dans la tourmente,
Vous dont les coeurs sautaient d'amour sous les haillons,
O soldats que la Mort a semes, noble Amante,
Pour les regenerer, dans tous les vieux sillons;
Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
O Million de Christs aux yeux sombres et doux;
Nous vous laissions dormir avec la Republique,
Nous, courbes sous les rois comme sous une trique:
--Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous!
3 septembre 1870.
COMEDIE EN TROIS BAISERS
Elle etait fort deshabillee,
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
--Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner, comme un sourire,
Sur son beau sein, mouche au rosier,
--Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un long rire tris-mal
Qui s'egrenait en claires trilles,
Une risure de cristal. . .
Les petits pieds sous la chemise
Se sauverent: <<Veux-tu finir! >>
--La premiere audace permise,
Le rire feignait de punir!
--Pauvrets palpitant sous ma levre,
Je baisai doucement ses yeux:
--Elle jeta sa tete mievre
En arriere: <<Oh! c'est encor mieux! . . . >>
<<Monsieur, j'ai deux mots a te dire. . . >>
--Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien. . .
--Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres.
SENSATION
Par les soirs bleus d'ete, j'irai dans les sentiers,
Picote par les bles, fouler l'herbe menue:
Reveur, j'en sentirai la fraicheur a mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tete nue!
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien;
Mais l'amour infini me montera dans l'ame,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohemien
Par la Nature,--heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
BAL DES PENDUS
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzebuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimacant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noel!
Et les pantins choques enlacent leurs bras greles:
Comme des orgues noirs, les poitrines a jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse!
On peut cabrioler, les treteaux sont si longs!
Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse!
Belzebuth enrage racle ses violons!
O durs talons, jamais on n'use sa sandale!
Presque tous ont quitte la chemise de peau:
Le reste est peu genant et se voit sans scandale.
Sur les cranes, la neige applique un blanc chapeau:
Le corbeau fait panache a ces tetes felees,
Un morceau de chair tremble a leur maigre menton:
On dirait, tournoyant dans les sombres melees,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont repondant des forets violettes:
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer. . .
Hola, secouez-moi ces capitans funebres
Qui defilent, sournois, de leurs gros doigts casses
Un chapelet d'amour sur leurs pales vertebres:
Ce n'est pas un monstier ici, les trepasses!
Oh! voila qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporte par l'elan, comme un cheval se cabre:
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son femur qui craque
Avec des cris pareils a des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
ROMAN
I
On n'est pas serieux, quand on a dix-sept ans.
--Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Ces cafes tapageurs aux lustres eclatants!
--On va sous les tilleuls verts de la promenade,
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupiere;
Le vent charge de bruits,--la ville n'est pas loin,--
A des parfums de vigne et des parfums de biere. . .
II
--Voila qu'on apercoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadre d'une petite branche,
Pique d'une mauvaise etoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche. . .
Nuit de juin! Dix-sept ans! --On se laisse griser.
La seve est du champagne et vous monte a la tete. . .
On divague; on se sent aux levres un baiser
Qui palpite la, comme une petite bete. . .
III
Le coeur fou Robinsonne a travers les romans,
--Lorsque, dans la clarte d'un pale reverbere,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son pere. . .
Et, comme elle vous trouve immensement naif,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif. . .
--Sur vos levres alors meurent les cavatines. . .
IV
Vous etes amoureux. Loue jusqu'au moi d'aout.
Vous etes amoureux. --Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous etes mauvais gout.
--Puis l'adoree, un soir, a daigne vous ecrire. . . !
--Ce soir-la, . . . --vous rentrez aux cafes eclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade. . .
--On n'est pas serieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
23 septembre 1870.
RAGES DE CESARS
L'Homme pale, le long des pelouses fleuries,
Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents:
L'Homme pale repense aux fleurs des Tuileries
--Et parfois son oeil terne a des regards ardents. . . !
Car l'Empereur est saoul de ses vingt ans d'orgie!
Il s'etait dit: <<Je vais souffler la Liberte
Bien delicatement, ainsi qu'une bougie! >>
La Liberte revit! Il se sent ereinte!
Il est pris. --Oh! quel nom sur ses levres muettes
Tressaille? Quel regret incapable le mord?
On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort.
Il repense peut-etre au Compere en lunettes. . .
--Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu
LE MAL
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;
Qu'ecarlates ou verts, pres du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu;
Tandis qu'une folie epouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant;
--Pauvres morts! dans l'ete, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature! o toi qui fis ces hommes saintement! . . . --
--Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassees
Des autels, a l'encens, aux grands calices d'or;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
Et se reveille, quand des meres, ramassees
Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lie dans leur mouchoir!
OPHELIE
I
Sur l'onde calme et noire ou dorment les etoiles,
La blanche Ophelia flotte comme un grand lys,
Flotte tres lentement, couchee en ses longs voiles. . .
--On entend dans les bois de lointains hallalis. . .
Voici plus de mille ans que la triste Ophelie
Passe, fantome blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance a la brise du soir.
Le vent baise ses seins et deploie en corolle
Ses longs voiles berces mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son epaule,
Sur son grand front reveur s'inclinent les roseaux.
Les nenuphars froisses soupirent autour d'elle;
Elle eveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'ou s'echappe un petit frisson d'aile.
--Un chant mysterieux tombe des astres d'or.
II
O pale Ophelia! belle comme la neige,
Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporte!
--C'est que les vents tombant des grands monts de Norwege
T'avaient parle tout bas de l'apre liberte!
C'est qu'un souffle inconnu, fouettant ta chevelure,
A ton esprit reveur portait d'etranges bruits;
Que ton coeur entendait la voix de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits!
C'est que la voix des mers, comme un immense rale,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pale,
Un pauvre fou s'assit, muet, a tes genoux!
Ciel! Amour! Liberte! Quel reve, o pauvre Follet
Tu te fondais a lui comme une neige au feu.
Tes grandes visions etranglaient ta parole:
--Un Infini terrible effara ton oeil bleu!
III
--Et le Poete dit qu'aux rayons des etoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchee en ses longs voiles,
La blanche Ophelia flotter, comme un grand lys.
LE CHATIMENT DE TARTUFE
Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous
Sa chaste robe noire, heureux, la main gantee,
Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux,
Jaune, bavant la foi de sa bouche edentee,
Un jour qu'il s'en allait, <<Oremus>>,--un Mechant
Le prit rudement par son oreille benoite
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite!
Chatiment! . . . Ses habits etaient deboutonnes,
Et le long chapelet des peches pardonnes
S'egrenant dans son coeur, Saint Tartufe etait pale! . . .
Donc, il se confessait, priait, avec un rale!
L'homme se contenta d'emporter ses rabats. . .
--Peuh! Tartufe etait nu du haut jusques en bas!
A LA MUSIQUE
_Place de la Gare, a Charleville. _
Sur la place taillee en mesquines pelouses,
Square ou tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'etranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs betises jalouses.
Un orchestre guerrier, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres:
On voit, aux premiers rangs, parader le gandin,
Les notaires montrent leurs breloques a chiffres:
Des rentiers a lorgnons soulignent tous les couacs;
Les gros bureaux bouffis trainent leurs grosses dames,
Aupres desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de reclames;
Sur les bancs verts, des clubs d'epiciers retraites
Qui tisonnent le sable avec leur canne a pomme,
Fort serieusement discutent des traites,
Puis prisent en argent, mieux que monsieur Prud'homme!
Etalant sur un banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois bienheureux, a bedaine flamande,
Savoure, s'abimant en des reves divins,
La musique francaise et la pipe allemande!
Au bord des gazons frais ricanent les voyous;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Tres naifs, et fumant des roses, des pioupious
Caressent les bebes pour enjoler les bonnes. . .
--Moi, je suis, debraille comme un etudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes:
Elles le savent bien, et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscretes.
Je ne dis pas un mot: je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodes de meches folles;
Je suis, sous leur corsage et les freles atours,
Le dos divin apres la courbe des epaules. . .
Je cherche la bottine. . . et je vais jusqu'aux bas;
Je reconstruis le corps, brule de belles fievres.
Elles me trouvent drole et se parlent tout bas. . .
--Et je sens les baisers qui me viennent aux levres. . .
LE FORGERON
_Palais des Tuileries, vers le 10 aout 92. _
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-la dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait a Louis Seize, un jour
Que le Peuple etait la, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or trainant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, etait pale,
Pale comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,
Car ce maraud de forge aux enormes epaules
Lui disait de vieux mots et des choses si droles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela!
<<Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres:
Le Chanoine au soleil filait des patenotres
Sur des chapelets clairs grenes de pieces d'or.
Le Seigneur, a cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouillaient. --Hebetes comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus; nous allions, nous allions
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissee dans cette terre noire
Un peu de notre chair. . . nous avions un pourboire:
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit,
Nos petits y faisaient un gateau fort bien cuit.
. . . <<Oh! je ne me plains pas. Je te dis mes betises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises,
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse?
De voir des bles, des bles, des epis pleins de grain,
De penser que cela prepare bien du pain. . .
Oh! plus fort, on irait, au fourneau qu'il s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on etait certain de pouvoir prendre un peu,
Etant homme, a la fin! de ce que donne Dieu!
<<Mais voila, c'est toujours la meme vieille histoire! . . .
Mais je sais, maintenant! Moi je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau
Qu'un homme vienne la, dague sur le manteau,
Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
De prendre mon garcon comme cela, chez moi!
--Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais: Je veux! . . . --Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dores, tes mille chenapans,
Tes palsembleu batards tournant comme des paons:
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles
Et nous dirons: C'est bien; les pauvres a genoux!
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous!
Et tu te souleras, tu feras belle fete.
--Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tete!
<<Non. Ces saletes-la datent de nos papas!
Oh! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussiere.
Cette bete suait du sang a chaque pierre
Et c'etait degoutant, la Bastille debout
Avec ses murs lepreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermes dans leur ombre!
--Citoyen! citoyen! c'etait le passe sombre
Qui croulait, qui ralait, quand nous primes la tour
Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour.
Nous avions embrasse nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ca nous battait la. . .
Nous marchions au soleil, front haut; comme cela,
Dans Paris! On venait devant nos vestes sales.
Enfin! Nous nous sentions Hommes! Nous etions pales
Sire, nous etions souls de terribles espoirs:
Et quand nous fumes la, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chene,
Les piques a la main; nous n'eumes pas de haine,
--Nous nous sentions si forts, nous voulions etre doux!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
<<Et depuis ce jour-la, nous sommes comme fous!
Le tas des ouvriers a monte dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards:
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'epaule,
Farouche, a chaque coin balayant quelque drole,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais!
--Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requetes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins se disent; <<Qu'ils sont sots! >>
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis decrets roses et de droguailles,
S'amuser a couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous marchons pres d'eux
--Nos doux representants qui nous trouvent crasseux!
Pour ne rien redouter, rien, que les baionnettes. . . ,
C'est tres bien. Foin de leur tabatiere a sornettes!
Nous en avons assez, la, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah! ce sont la les plats
Que tu nous sers bourgeois, quand nous sommes feroces
Quand nous brisons deja les sceptres et les crosses! . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Ou fourmille, ou fourmille, ou se leve la foule,
La foule epouvantable avec des bruits de houle
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses batons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges;
L'Homme, par la fenetre ouverte, montre tout
Au roi pale, et suant qui chancelle debout,
Malade a regarder cela!
