Au grand jour, fatigue de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
Rimbaud - Poesie Completes
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Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Ou fourmille, ou fourmille, ou se leve la foule,
La foule epouvantable avec des bruits de houle
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses batons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges;
L'Homme, par la fenetre ouverte, montre tout
Au roi pale, et suant qui chancelle debout,
Malade a regarder cela!
<<C'est la crapule,
Sire. Ca bave aux murs, ca monte, ca pullule:
--Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux!
Je suis un forgeron: ma femme est avec eux,
Folle! Elle croit trouver du pain aux Tuileries!
--On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. --Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garcon ou leur fille:
C'est la crapule. --Un homme etait a la Bastille,
Un autre etait forcat: et, tous deux, citoyens
Honnetes. Liberes, ils sont comme des chiens:
On les insulte! Alors, ils ont la quelque chose
Qui leur fait mal, allez! C'est terrible, et c'est cause
Que, se sentant brises, que, se sentant damnes,
Ils sont la, maintenant, hurlant sous votre nez!
Crapule. --La dedans sont des filles, infames
Parce que,--vous saviez que c'est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour,--que ca veut toujours bien,
Vous avez crache sur l'ame, comme rien!
Vos belles, aujourd'hui, sont la. C'est la crapule.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
<<Oh! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brule
Sous le soleil feroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-la sentent crever leur front.
Chapeau bas, mes bourgeois! Oh! ceux-la sont les Hommes!
Nous sommes Ouvriers, Sire! Ouvriers! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux ou l'on voudra savoir,
Ou l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes
Ou, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval!
Oh! splendides lueurs des forges! Plus de mal,
Plus! --Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-etre terrible:
Nous saurons! --Nos marteaux en main; passons au crible
Tout ce que nous savons: puis, Freres, en avant!
Nous faisons quelquefois ce grand reve emouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour:
Et l'on travaillerait fierement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne:
Et l'on se sentirait tres heureux: et personne
Oh! personne, surtout, ne vous ferait ployer!
On aurait un fusil au-dessus du foyer. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oh! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille!
Que te disais-je donc? Je suis de la canaille!
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous! Nous avons des terreurs
Ou nous nous sentons grands, oh! si grands! Tout a l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure. . .
Regarde donc le ciel! --C'est trop petit pour nous,
Nous creverions de chaud, nous serions a genoux!
Regarde donc le ciel! --Je rentre dans la foule
Dans la grande canaille effroyable qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales paves;
--Oh! quand nous serons morts, nous les aurons laves.
--Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordores, sur la France
Poussaient leurs regiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde a ces chiens-la
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
--Il reprit son marteau sur l'epaule.
La foule
Pres de cet homme-la se sentait l'ame soule,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Ou Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse
Bien que le roi ventru suat, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front!
SOLEIL ET CHAIR
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brulant a la terre ravie,
Et, quand on est couche sur la vallee, on sent
Que la terre est nubile et deborde de sang;
Que son immense sein, souleve par une ame,
Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de seve et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons!
Et tout croit, et tout monte!
O Venus, o Deesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'ecorce des rameaux
Et dans les nenufars baisaient la Nymphe blonde!
Je regrette les temps ou la seve du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers!
Ou le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chevre;
Ou, baisant mollement le clair syrinx, sa levre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour;
Ou, debout sur la plaine, il entendait autour
Repondre a son appel la Nature vivante;
Ou, les arbres muets, bercant l'oiseau qui chante,
La terre bercant l'homme, et tout l'Ocean bleu
Et tous les animaux, aimaient, aimaient en Dieu!
Je regrette les temps de la grande Cybele
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cites;
Son double sein versait dans les immensites
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme sucait, heureux, sa mamelle benie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
--Parce qu'il etait fort, l'Homme etait chaste et doux.
Misere! Maintenant il dit: Je sais les choses,
Et va, les yeux fermes et les oreilles closes;
--Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme est Roi!
L'Homme est Dieu! Mais l'Amour, voila la grande Foi!
Oh! si l'homme puisait encore a ta mamelle,
Grande mere des dieux et des hommes, Cybele;
S'il n'avait pas laisse l'immortelle Astarte
Qui jadis, emergeant dans l'immense clarte
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose ou vint neiger l'ecume,
Et fit chanter, Deesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs!
II
Je crois en toi! Je crois en toi! Divine mere,
Aphrodite marine! --Oh! la route est amere
Depuis que l'autre Dieu nous attelle a sa croix;
Chair, Marbre, Fleur, Venus, c'est en toi que je crois!
--Oui l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste,
Il a des vetements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps olympien aux servitudes sales!
Oui, meme apres la mort, dans les squelettes pales
Il veut vivre, insultant la premiere beaute!
--Et l'Idole ou tu mis tant de virginite,
Ou tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'homme put eclairer sa pauvre ame
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre a la beaute du jour,
La femme ne sait plus meme etre courtisane!
--C'est une bonne farce! et le monde ricane
Au nom doux et sacre de la grande Venus!
III
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus!
--Car l'Homme a fini! l'Homme a joue tous les roles!
Au grand jour, fatigue de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
L'Ideal, la pensee invincible, eternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brulera sous son front!
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Redemption sainte!
--Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire!
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le fremissement d'un immense baiser:
--Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IV
O splendeur de la chair! o splendeur ideale!
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Ou, courbant a leurs pieds les Dieux et les Heros
Kallipige la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds ecloses!
O grande Ariadne, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir la-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thesee,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisee,
Tais-toi! Sur son char d'or brode de noirs raisins,
Lysios, promene dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les pantheres rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant
Le corps nu d'Europe, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague,
Il tourne lentement vers elle son oeil vague;
Elle, laisse trainer sa pale joue en fleur
Au front de Zeus; ses yeux sont fermes; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son ecume d'or fleurit sa chevelure.
--Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne reveur
Embrassant la Leda des blancheurs de son aile;
--Et tandis que Cypris passe, etrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Etale fierement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brode de mousse noire,
--Heracles, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, a l'horizon!
Par la lune d'ete vaguement eclairee,
Debout, nue, et revant dans sa paleur doree
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairiere sombre ou la mousse s'etoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux. . .
--La blanche Selene laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pale rayon. . .
--La Source pleure au loin dans une longue extase. . .
C'est la Nymphe qui reve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a presse.
--Une brise d'amour dans la nuit a passe,
Et, dans les bois sacres, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
--Les Dieux ecoutent l'Homme et le Monde infini!
7 mai 1870.
LE DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure ou chante une riviere
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; ou le soleil, de la montagne fiere,
Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tete nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est etendu dans l'herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert ou la lumiere pleut.
Les pieds dans les glaieuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au cote droit.
7 octobre 1870.
AU CABARET-VERT
_Cinq heures du soir. _
Depuis huit jours, j'avais dechire mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais a Charleroi,
--_Au Cabaret-Vert_: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fut a moitie froid.
Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets tres naifs
De la tapisserie. --Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tetons enormes, aux yeux vifs,
--Celle-la, ce n'est pas un baiser qui l'epeure! --
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiede, dans un plat colorie,
Du jambon rose et blanc parfume d'une gousse
D'ail,--et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriere.
Octobre 1870.
LA MALINE
Dans la salle a manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, a mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'epatais dans mon immense chaise.
En mangeant, j'ecoutais l'horloge,--heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffee
--Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitie defait, malinement coiffee.
Et tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de peche rose et blanc,
En faisant, de sa levre enfantine, une moue,
Elle arrangeait les plats, pres de moi, pour m'aiser;
--Puis, comme ca,--bien sur pour avoir un baiser,--
Tout bas: <<Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue. . . >>
Charleroi, octobre 1870.
L'ECLATANTE VICTOIRE
DE SARREBRUCK
REMPORTEE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR!
(Gravure belge brillamment coloriee, se vend a Charleroi, 35 centimes. )
Au milieu, l'Empereur, dans une apotheose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant; tres heureux,--car il voit tout en rose,
Feroce comme Zeus et doux comme un papa;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Pres des tambours dores et des rouges canons,
Se levent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourne vers le Chef, s'etourdit de grands noms
A droite, Dumanet, appuye sur la crosse
De son chassepot, sent fremir sa nuque en brosse,
Et: <<Vive l'Empereur! ! >>--Son voisin reste coi. . .
Un schako surgit, comme un soleil noir. . . --Au centre
Boquillon, rouge et bleu, tres naif, sur son ventre
Se dresse, et,--presentant ses derrieres: <<De quoi? . . . >>
Octobre 1870.
REVE POUR L'HIVER
_A Elle. _
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosites hargneuses, populace
De demons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue egratignee. . .
Un petit baiser, comme une folle araignee,
Te courra par le cou. . .
Et tu me diras: <<Cherche! >> en inclinant la tete;
--Et nous prendons du temps a trouver cette bete!
--Qui voyage beaucoup. . .
En wagon, le 7 octobre 1870.
LE BUFFET
C'est un large buffet sculpte; le chene sombre,
Tres vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles fletries,
De fichus de grand'mere ou sont peints des griffons;
--C'est la qu'on trouverait les medaillons, les meches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs seches
Dont le parfum se mele a des parfums de fruits.
--O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires.
Octobre 1870.
MA BOHEME
(_Fantaisie_)
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevees;
Mon paletot aussi devenait ideal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'etais ton feal;
Oh! la la! que d'amours splendides j'ai revees!
Mon unique culotte avait un large trou.
--Petit Poucet reveur, j'egrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge etait a la Grande-Ourse;
--Mes etoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les ecoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre ou je sentais des gouttes
De rosee a mon front, comme un vin de vigueur;
Ou, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur!
Octobre 1870.
ENTENDS COMME BRAME
Entends, comme brame
pres des acacias
en avril la rame
viride du pois!
Dans sa vapeur nette,
Vers Phoebe! tu vois
s'agiter la tete
de saints d'autrefois. . .
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois. . .
Or ni feriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.
Neanmoins ils restent,
--Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blemi, justement!
CHANT DE GUERRE PARISIEN
Le printemps est evident, car
Du coeur des Proprietes vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.
O mai! Quels delirants cul-nus!
Sevres, Meudon, Bagneux, Asnieres,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanieres!
Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boite a bougies
Et des yoles qui n'ont jam. . . jam. . .
Fendent le lac aux eaux rougies! . . .
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanieres[1]
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulieres.
Thiers et Picard sont des Eros
Des enleveurs d'heliotropes
Au petrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes. . .
Ils sont familiers du grand turc! . . .
Et couche dans les glaieuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements a poivre!
La Grand-Ville a le pave chaud
Malgre vos douches de petrole
Et decidement il nous faut
Nous secouer dans votre role. . .
Et les ruraux qui se prelassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.
[1] Quand viennent sur nos fourmilieres (_var. de l'auteur_).
MES PETITES AMOUREUSES
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou:
Sous l'arbre tendronnier qui bave
Vos caoutchoucs.
Blancs de lunes particulieres
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouilleres
Mes laiderons!
Nous nous aimions a cette epoque,
Bleu laideron:
On mangeait des oeufs a la coque
Et du mouron!
Un soir tu me sacras poete,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron;
J'ai degueule ta bandoline
Noir laideron;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah! nos salives dessechees
Roux laideron
Infectent encor les tranchees
De ton sein rond!
O mes petites amoureuses
Que je vous hais!
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tetons laids!
Pietinez mes vieilles terrines
De sentiment;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment! . . .
Vos omoplates se deboitent
O mes amours!
Une etoile a vos reins qui boitent
Tournez vos tours.
Est-ce pourtant pour ces eclanches
Que j'ai rime!
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aime!
Fade amas d'etoiles ratees
Comblez les coins
--Vous creverez en Dieu, batees
D'ignobles soins!
Sous les lunes particulieres
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillieres,
Mes laiderons!
LES POETES DE SEPT ANS
_A M. P. Demeny. _
Et la Mere, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminence,
L'ame de son enfant livree aux repugnances.
Tout le jour il suait d'obeissance; tres
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'acres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermes voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir; a la lampe
On le voyait, la-haut qui ralait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'ete
Surtout, vaincu, stupide, il etait entete
A se renfermer dans la fraicheur des latrines:
Il pensait la, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lave des odeurs du jour, le jardinet
Derriere la maison, en hiver s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterre dans la marne
Et pour des visions ecrasant son oeil darne,
Il ecoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitie! Ces enfants seuls etaient ses familiers
Qui, chetifs, fronts nus, oeil deteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue,
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris a des pities immondes,
Sa mere s'effrayait; les tendresses profondes
De l'enfant se jetaient sur cet etonnement.
C'etait bon. Elle avait le bleu regard,--qui ment!
A sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand desert, ou luit la Liberte ravie,
Forets, soleils, rives, savanes! --Il s'aidait
De journaux illustres ou, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
--Huit ans,--la fille des ouvriers d'a cote,
La petite brutale, et qu'elle avait saute,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il etait sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
--Et, par elle meurtri des poings et des talons
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de decembre,
Ou, pommade, sur un gueridon d'acajou,
Il lisait une Bible a la tranche vert-chou;
Des reves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcove.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Ou les crieurs, en trois roulements de tambour
Font autour des edits rire et gronder les foules.
--Il revait la prairie amoureuse, ou des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, acrement prise d'humidite,
Il lisait son roman sans cesse medite,
Plein de lourds ciels ocreux et de forets noyees,
De fleurs de chair aux bois siderals deployees,
Vertige, ecroulements, deroutes et pitie!
--Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas,--seul, et couche sur des pieces de toile
Ecrue, et pressentant violemment le voile!
26 mai 1871.
[Note (Project Gutenberg).
On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la derniere ligne du
poeme <<LES POETES DE SEPT ANS>>, doit etre corrigee en "la voile".
D'apres nos recherches, le poeme ecrit en 1871 se terminait en effet sur
les mots "la voile".
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Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Ou fourmille, ou fourmille, ou se leve la foule,
La foule epouvantable avec des bruits de houle
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses batons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges;
L'Homme, par la fenetre ouverte, montre tout
Au roi pale, et suant qui chancelle debout,
Malade a regarder cela!
<<C'est la crapule,
Sire. Ca bave aux murs, ca monte, ca pullule:
--Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux!
Je suis un forgeron: ma femme est avec eux,
Folle! Elle croit trouver du pain aux Tuileries!
--On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. --Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garcon ou leur fille:
C'est la crapule. --Un homme etait a la Bastille,
Un autre etait forcat: et, tous deux, citoyens
Honnetes. Liberes, ils sont comme des chiens:
On les insulte! Alors, ils ont la quelque chose
Qui leur fait mal, allez! C'est terrible, et c'est cause
Que, se sentant brises, que, se sentant damnes,
Ils sont la, maintenant, hurlant sous votre nez!
Crapule. --La dedans sont des filles, infames
Parce que,--vous saviez que c'est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour,--que ca veut toujours bien,
Vous avez crache sur l'ame, comme rien!
Vos belles, aujourd'hui, sont la. C'est la crapule.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
<<Oh! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brule
Sous le soleil feroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-la sentent crever leur front.
Chapeau bas, mes bourgeois! Oh! ceux-la sont les Hommes!
Nous sommes Ouvriers, Sire! Ouvriers! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux ou l'on voudra savoir,
Ou l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes
Ou, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval!
Oh! splendides lueurs des forges! Plus de mal,
Plus! --Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-etre terrible:
Nous saurons! --Nos marteaux en main; passons au crible
Tout ce que nous savons: puis, Freres, en avant!
Nous faisons quelquefois ce grand reve emouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour:
Et l'on travaillerait fierement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne:
Et l'on se sentirait tres heureux: et personne
Oh! personne, surtout, ne vous ferait ployer!
On aurait un fusil au-dessus du foyer. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oh! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille!
Que te disais-je donc? Je suis de la canaille!
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous! Nous avons des terreurs
Ou nous nous sentons grands, oh! si grands! Tout a l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure. . .
Regarde donc le ciel! --C'est trop petit pour nous,
Nous creverions de chaud, nous serions a genoux!
Regarde donc le ciel! --Je rentre dans la foule
Dans la grande canaille effroyable qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales paves;
--Oh! quand nous serons morts, nous les aurons laves.
--Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordores, sur la France
Poussaient leurs regiments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde a ces chiens-la
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
--Il reprit son marteau sur l'epaule.
La foule
Pres de cet homme-la se sentait l'ame soule,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Ou Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse
Bien que le roi ventru suat, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front!
SOLEIL ET CHAIR
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brulant a la terre ravie,
Et, quand on est couche sur la vallee, on sent
Que la terre est nubile et deborde de sang;
Que son immense sein, souleve par une ame,
Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de seve et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons!
Et tout croit, et tout monte!
O Venus, o Deesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'ecorce des rameaux
Et dans les nenufars baisaient la Nymphe blonde!
Je regrette les temps ou la seve du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers!
Ou le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chevre;
Ou, baisant mollement le clair syrinx, sa levre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour;
Ou, debout sur la plaine, il entendait autour
Repondre a son appel la Nature vivante;
Ou, les arbres muets, bercant l'oiseau qui chante,
La terre bercant l'homme, et tout l'Ocean bleu
Et tous les animaux, aimaient, aimaient en Dieu!
Je regrette les temps de la grande Cybele
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cites;
Son double sein versait dans les immensites
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme sucait, heureux, sa mamelle benie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
--Parce qu'il etait fort, l'Homme etait chaste et doux.
Misere! Maintenant il dit: Je sais les choses,
Et va, les yeux fermes et les oreilles closes;
--Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme est Roi!
L'Homme est Dieu! Mais l'Amour, voila la grande Foi!
Oh! si l'homme puisait encore a ta mamelle,
Grande mere des dieux et des hommes, Cybele;
S'il n'avait pas laisse l'immortelle Astarte
Qui jadis, emergeant dans l'immense clarte
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose ou vint neiger l'ecume,
Et fit chanter, Deesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs!
II
Je crois en toi! Je crois en toi! Divine mere,
Aphrodite marine! --Oh! la route est amere
Depuis que l'autre Dieu nous attelle a sa croix;
Chair, Marbre, Fleur, Venus, c'est en toi que je crois!
--Oui l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste,
Il a des vetements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps olympien aux servitudes sales!
Oui, meme apres la mort, dans les squelettes pales
Il veut vivre, insultant la premiere beaute!
--Et l'Idole ou tu mis tant de virginite,
Ou tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'homme put eclairer sa pauvre ame
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre a la beaute du jour,
La femme ne sait plus meme etre courtisane!
--C'est une bonne farce! et le monde ricane
Au nom doux et sacre de la grande Venus!
III
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus!
--Car l'Homme a fini! l'Homme a joue tous les roles!
Au grand jour, fatigue de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!
L'Ideal, la pensee invincible, eternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brulera sous son front!
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Redemption sainte!
--Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire!
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le fremissement d'un immense baiser:
--Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IV
O splendeur de la chair! o splendeur ideale!
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Ou, courbant a leurs pieds les Dieux et les Heros
Kallipige la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds ecloses!
O grande Ariadne, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir la-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thesee,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisee,
Tais-toi! Sur son char d'or brode de noirs raisins,
Lysios, promene dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les pantheres rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant
Le corps nu d'Europe, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague,
Il tourne lentement vers elle son oeil vague;
Elle, laisse trainer sa pale joue en fleur
Au front de Zeus; ses yeux sont fermes; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son ecume d'or fleurit sa chevelure.
--Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne reveur
Embrassant la Leda des blancheurs de son aile;
--Et tandis que Cypris passe, etrangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
Etale fierement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brode de mousse noire,
--Heracles, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, a l'horizon!
Par la lune d'ete vaguement eclairee,
Debout, nue, et revant dans sa paleur doree
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairiere sombre ou la mousse s'etoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux. . .
--La blanche Selene laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pale rayon. . .
--La Source pleure au loin dans une longue extase. . .
C'est la Nymphe qui reve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a presse.
--Une brise d'amour dans la nuit a passe,
Et, dans les bois sacres, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
--Les Dieux ecoutent l'Homme et le Monde infini!
7 mai 1870.
LE DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure ou chante une riviere
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; ou le soleil, de la montagne fiere,
Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tete nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est etendu dans l'herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert ou la lumiere pleut.
Les pieds dans les glaieuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au cote droit.
7 octobre 1870.
AU CABARET-VERT
_Cinq heures du soir. _
Depuis huit jours, j'avais dechire mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais a Charleroi,
--_Au Cabaret-Vert_: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fut a moitie froid.
Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets tres naifs
De la tapisserie. --Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tetons enormes, aux yeux vifs,
--Celle-la, ce n'est pas un baiser qui l'epeure! --
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiede, dans un plat colorie,
Du jambon rose et blanc parfume d'une gousse
D'ail,--et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriere.
Octobre 1870.
LA MALINE
Dans la salle a manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, a mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'epatais dans mon immense chaise.
En mangeant, j'ecoutais l'horloge,--heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffee
--Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitie defait, malinement coiffee.
Et tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de peche rose et blanc,
En faisant, de sa levre enfantine, une moue,
Elle arrangeait les plats, pres de moi, pour m'aiser;
--Puis, comme ca,--bien sur pour avoir un baiser,--
Tout bas: <<Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue. . . >>
Charleroi, octobre 1870.
L'ECLATANTE VICTOIRE
DE SARREBRUCK
REMPORTEE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR!
(Gravure belge brillamment coloriee, se vend a Charleroi, 35 centimes. )
Au milieu, l'Empereur, dans une apotheose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant; tres heureux,--car il voit tout en rose,
Feroce comme Zeus et doux comme un papa;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Pres des tambours dores et des rouges canons,
Se levent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourne vers le Chef, s'etourdit de grands noms
A droite, Dumanet, appuye sur la crosse
De son chassepot, sent fremir sa nuque en brosse,
Et: <<Vive l'Empereur! ! >>--Son voisin reste coi. . .
Un schako surgit, comme un soleil noir. . . --Au centre
Boquillon, rouge et bleu, tres naif, sur son ventre
Se dresse, et,--presentant ses derrieres: <<De quoi? . . . >>
Octobre 1870.
REVE POUR L'HIVER
_A Elle. _
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosites hargneuses, populace
De demons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue egratignee. . .
Un petit baiser, comme une folle araignee,
Te courra par le cou. . .
Et tu me diras: <<Cherche! >> en inclinant la tete;
--Et nous prendons du temps a trouver cette bete!
--Qui voyage beaucoup. . .
En wagon, le 7 octobre 1870.
LE BUFFET
C'est un large buffet sculpte; le chene sombre,
Tres vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles fletries,
De fichus de grand'mere ou sont peints des griffons;
--C'est la qu'on trouverait les medaillons, les meches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs seches
Dont le parfum se mele a des parfums de fruits.
--O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires.
Octobre 1870.
MA BOHEME
(_Fantaisie_)
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevees;
Mon paletot aussi devenait ideal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'etais ton feal;
Oh! la la! que d'amours splendides j'ai revees!
Mon unique culotte avait un large trou.
--Petit Poucet reveur, j'egrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge etait a la Grande-Ourse;
--Mes etoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les ecoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre ou je sentais des gouttes
De rosee a mon front, comme un vin de vigueur;
Ou, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les elastiques
De mes souliers blesses, un pied pres de mon coeur!
Octobre 1870.
ENTENDS COMME BRAME
Entends, comme brame
pres des acacias
en avril la rame
viride du pois!
Dans sa vapeur nette,
Vers Phoebe! tu vois
s'agiter la tete
de saints d'autrefois. . .
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois. . .
Or ni feriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.
Neanmoins ils restent,
--Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blemi, justement!
CHANT DE GUERRE PARISIEN
Le printemps est evident, car
Du coeur des Proprietes vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.
O mai! Quels delirants cul-nus!
Sevres, Meudon, Bagneux, Asnieres,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanieres!
Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boite a bougies
Et des yoles qui n'ont jam. . . jam. . .
Fendent le lac aux eaux rougies! . . .
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanieres[1]
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulieres.
Thiers et Picard sont des Eros
Des enleveurs d'heliotropes
Au petrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes. . .
Ils sont familiers du grand turc! . . .
Et couche dans les glaieuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements a poivre!
La Grand-Ville a le pave chaud
Malgre vos douches de petrole
Et decidement il nous faut
Nous secouer dans votre role. . .
Et les ruraux qui se prelassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.
[1] Quand viennent sur nos fourmilieres (_var. de l'auteur_).
MES PETITES AMOUREUSES
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou:
Sous l'arbre tendronnier qui bave
Vos caoutchoucs.
Blancs de lunes particulieres
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouilleres
Mes laiderons!
Nous nous aimions a cette epoque,
Bleu laideron:
On mangeait des oeufs a la coque
Et du mouron!
Un soir tu me sacras poete,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron;
J'ai degueule ta bandoline
Noir laideron;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah! nos salives dessechees
Roux laideron
Infectent encor les tranchees
De ton sein rond!
O mes petites amoureuses
Que je vous hais!
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tetons laids!
Pietinez mes vieilles terrines
De sentiment;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment! . . .
Vos omoplates se deboitent
O mes amours!
Une etoile a vos reins qui boitent
Tournez vos tours.
Est-ce pourtant pour ces eclanches
Que j'ai rime!
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aime!
Fade amas d'etoiles ratees
Comblez les coins
--Vous creverez en Dieu, batees
D'ignobles soins!
Sous les lunes particulieres
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillieres,
Mes laiderons!
LES POETES DE SEPT ANS
_A M. P. Demeny. _
Et la Mere, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et tres fiere sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'eminence,
L'ame de son enfant livree aux repugnances.
Tout le jour il suait d'obeissance; tres
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'acres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermes voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir; a la lampe
On le voyait, la-haut qui ralait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'ete
Surtout, vaincu, stupide, il etait entete
A se renfermer dans la fraicheur des latrines:
Il pensait la, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lave des odeurs du jour, le jardinet
Derriere la maison, en hiver s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterre dans la marne
Et pour des visions ecrasant son oeil darne,
Il ecoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitie! Ces enfants seuls etaient ses familiers
Qui, chetifs, fronts nus, oeil deteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue,
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris a des pities immondes,
Sa mere s'effrayait; les tendresses profondes
De l'enfant se jetaient sur cet etonnement.
C'etait bon. Elle avait le bleu regard,--qui ment!
A sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand desert, ou luit la Liberte ravie,
Forets, soleils, rives, savanes! --Il s'aidait
De journaux illustres ou, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
--Huit ans,--la fille des ouvriers d'a cote,
La petite brutale, et qu'elle avait saute,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il etait sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
--Et, par elle meurtri des poings et des talons
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de decembre,
Ou, pommade, sur un gueridon d'acajou,
Il lisait une Bible a la tranche vert-chou;
Des reves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcove.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Ou les crieurs, en trois roulements de tambour
Font autour des edits rire et gronder les foules.
--Il revait la prairie amoureuse, ou des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, acrement prise d'humidite,
Il lisait son roman sans cesse medite,
Plein de lourds ciels ocreux et de forets noyees,
De fleurs de chair aux bois siderals deployees,
Vertige, ecroulements, deroutes et pitie!
--Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas,--seul, et couche sur des pieces de toile
Ecrue, et pressentant violemment le voile!
26 mai 1871.
[Note (Project Gutenberg).
On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la derniere ligne du
poeme <<LES POETES DE SEPT ANS>>, doit etre corrigee en "la voile".
D'apres nos recherches, le poeme ecrit en 1871 se terminait en effet sur
les mots "la voile".
