rance, et l'on abandonne
facilement
au hasard
les avantages qu'on croitne devoir qu'a` lui.
les avantages qu'on croitne devoir qu'a` lui.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
hathitrust.
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? LA PRUSSE. 77
ge? ne? reux que justes; parce que la justice suppose un rapport
quelconque d'e? galite? avec les autres.
Fre? de? ric avait rendu les tribunaux si inde? pendants, que , pen-
dant sa vie, et sous le re`gne de ses successeurs, on les a vus sou-
vent de? cider en faveur des sujets contre le roi, dans des proce`s
qui tenaient a` des inte? re^ts politiques. Il est vrai qu'il serait pres-
que impossible , en Allemagne, d'introduire l'injustice dans les
tribunaux. Les Allemands sont assez dispose? s a` se faire des sys-
te`mes pour abandonner la politique a` l'arbitraire; mais quand
il s'agit de jurisprudence ou d'administration, on ne peut faire
entrer dans leur te^te d'autres principes que ceux de la justice.
Leur esprit de me? thode, me^me sans parler de la droiture de
leur coeur, re? clame l'e? quite? comme mettant de l'ordre dans tout.
Ne? anmoins, il faut louer Fre? de? ric de sa probite? dans le gouver-
nement inte? rieur de son pays: c'est un de ses premiers titres a`
l'admiration de la poste? rite? .
Fre? de? ric n'e? tait point sensible, mais il avait de la bonte? ; or,
les qualite? s universelles sont celles qui conviennent le mieux aux
souverains. Ne? anmoins, cette bonte? de Fre? de? ric e? tait inquie? tante
comme celle du lion, et l'on sentait la griffe du pouvoir, me^me
au milieu de la gra^ce et de la coquetterie de l'esprit le plus ai-
mable. Les hommes d'un caracte`re inde? pendant ont eu de la
peine a` se soumettre a` la liberte? que ce mai^tre croyait donner,
a` la familiarite? qu'il croyait permettre; et, tout en l'admirant,
ils sentaient qu'ils respiraient mieux loin de lui.
Le grand malheur de Fre? de? ric fut de n'avoir point assez de
respect pour la religion ni pour les moeurs. Ses gou^ts e? taient cy-
niques. Bien que l'amour de la gloire ait donne? de l'e? le? vation a`
ses pense? es, sa manie`re licencieuse de s'exprimer sur les objets
les plus sacre? s e? tait cause que ces vertus me^mes n'inspiraient
pas de confiance: on en jouissait, on les approuvait, mais on les
croyait un calcul. Tout semblait devoir e^tre de la politique dans
Fre? de? ric; ainsi donc, ce qu'il faisait de bien rendait l'e? tat du
pays meilleur, mais ne perfectionnait pas la moralite? de la na-
tion. Il affichait l'incre? dulite? , et se moquait de la vertu des
femmes: et rien ne s'accordait moins avec le caracte`re allemand
que cette manie`re depenser. Fre? de? ric, en affranchissant ses 7.
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? 78 LA l'UUSSE.
sujets de ce qu'il appelait les pre? juge? s, e? teignait en eux le patrio-
tisme: car, pour s'attacher aux pays naturellement sombres et
ste? riles, il faut qu'il y re`gne des opinions et des principes d'une
grande se? ve? rite? . Dans ces contre? es sablonneuses, ou` la terre ne
produit que des sapins et des bruye`res, la force de l'homme
consiste dans son a^me; et si vous lui o^tez ce qui fait la vie de
cette a^me, les sentiments religieux, il n'aura plus que du de? gou^t
pour sa triste patrie.
Le penchant de Fre? de? ric pour la guerre peut e^tre excuse? par
de grands motifs politiques. Son royaume, tel qu'il le rec? ut de
son pe`re, ne pouvait subsister, et c'est presque pour le conser-
ver qu'il l'agrandit. Il avait deux millions et demi de sujets en
arrivant au tro^ne, il en laissa six a` sa mort.
Le besoin qu'il avait de l'arme? e l'empe^cha d'encourager dans
la nation un esprit public dont l'e? nergie et l'unite? fussent impo-
santes. Le gouvernement de Fre? de? ric e? tait fonde? sur la force
militaire et la justice civile: il les conciliait l'une et l'autre par
sa sagesse; mais il e? tait difficile de me^ler ensemble deux esprits
d'une nature si oppose? e. Fre? de? ricvoulait que ses soldats fussent
des machines militaires, aveugle? ment soumises, et que ses sujets
fussent des citoyens e? claire? s capables de patriotisme. Il n'e? tablit
point dans les villes de Prusse des autorite? s secondaires, des
municipalite? s telles qu'il en existait dans le reste de l'Allema-
gne, de peur que l'action imme? diate du service militaire ne pu^t e^tre arre^te? e par elles: et cependant il souhaitait qu'il y eu^t assez
d'esprit de liberte? dans son empire pour que l'obe? issance y paru^t
volontaire. Il voulait que l'e? tat militaire fu^t le premier de tous,
puisque c'e? tait celui qui lui e? tait le plus ne? cessaire; mais il aurait
de? sire? que l'e? tat civil se mainti^nt inde? pendant a` co^te? de la force.
Fre? de? ric, enfin, voulait rencontrer partout des appuis, mais
nulle part des obstacles.
L'amalgame merveilleux de toutes les classes de la socie? te? ne s'obtient gue`re que par l'empire de la loi, la me^me pour tous. Un homme peut faire marcher ensemble des e? le? ments oppose? s, mais << a` sa mort ils se se? parent ? >>. L'ascendant de Fre? de? ric, entretenuar la sagesse de ses successeurs, s'est manifeste? quelque temps
1 Supprime? par la censure.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? L\ PRUSSE. ,3
encore; cependant ou sentait toujours eu ['russe les deux na.
lions,qui en composaient mal une seule : l'arme? e, et l'e? tat civil.
Les pre? juge? s nobiliaires subsistaient a` co^te? des principes libe? -
raux les plus prononce? s. Enfin, l'image de la Prusse offrait un
double aspect, comme celle de Janus; l'un militaire, et l'autre
philosophe.
Un des plus grands torts de Fre? de? ric fut de se pre^ter au par-
tage de la Pologne. La Sile? sie avait e? te? acquise par les armes,
la Pologne fut une conque^te machiave? lique, << et l'on ne pouvait
jamais espe? rer que des sujets ainsi de? robe? s fussent fide`les a`
l'escamoteur qui se disait leur souverain' >>. D'ailleurs, les
Allemands et les Esclavons ne sauraient s'unir entre eux par des
liens indissolubles; et quand une nation admet dans son sein
pour sujets des e? trangers ennemis, elle se fait presque autant
de mal que quand elle les rec? oit pour mai^tres; car il n'y a plus
dans le corps politique cet ensemble qui personnifie l'E? tat, et
constitue le patriotisme.
Ces observations sur la Prusse portent toutes sur les moyens
qu'elle avait de se maintenir et de se de? fendre : car rien , dans le gouvernement inte? rieur, n'y nuisait a` l'inde? pendance et a` la se? -
rurite? ; c'e? tait l'un des pays de l'Europe ou` l'on honorait le plus
les lumie`res; ou` la liberte? defait, si ce n'est de droit, e? tait le
plus scrupuleusement respecte? e. Je n'ai pas rencontre? dans toute
la Prusse un seul individu qui se plaigni^t d'actes arbitraires dans
le gouvernement, et cependant il n'y aurait pas eu le moindre
danger a` s'en plaindre; mais quand dans un e? tat social le bon-
heur lui-me^me n'est, pour ainsi dire, qu'un accident heureux,
et qu'il n'est pas fonde? sur des institutions durables , qui garan-
tissent a` l'espe`ce humaine sa force et sa dignite? , le patriotisme
a peu de perse? ve?
rance, et l'on abandonne facilement au hasard
les avantages qu'on croitne devoir qu'a` lui. Fre? de? ric II, l'un des
plus beaux dons de ce hasard, qui semblait veiller sur la Prusse,
avait su se faire aimer since`rement dans son pays, et depuis
qu'il n'est plus, on le che? rit autant que pendant sa vie. Toutefois
le sort de la Prusse n'a que trop appris ce que c'est que l'in-
fluence me^me d'un grand homme , alors que durant son re`gne 1 Supprime? par la CCIUIItT.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 60 I. '. P-BUSS. F. .
il ne travaille point ge? ne? reusement a` se rendre utile : la nation
tout entie`re s'en reposait sur son roi de son principe d'exis-
tence, et semblait devoir finir avec lui.
Fre? de? ric II aurait voulu que la litte? rature franc? aise fu^t la
seule de ses E? tats. Il ne faisait aucun cas de la litte? rature alle-
mande. Sans doute elle n'e? tait pas de son temps a` beaucoup pre`s
aussi remarquable qu'a` pre? sent, mais il faut qu'un prince alle-
mand encourage toutce qui est allemand. Fre? de? ric avait le projet
de rendre Berlin un peu semblable a` Paris, etse flattait de trouver
dans les re? fugie? s franc? ais quelques e? crivains assez distingue? s
pour avoir une litte? rature franc? aise. Une telle espe? rance devait
ne? cessairement e^tre trompe? e : les cultures factices ne prospe`-
rent jamais; quelques individus peuvent lutter contre les diffi-
culte? s que pre? sentent les choses; mais les grandes masses sui-
vent toujours la pente naturelle. Fre? de? ric a fait un mal ve? ritable
a` son pays, en professant du me? pris pour le ge? nie des Allemands.
Il en est re? sulte? que le corps germanique a souvent conc? u d'injustes soupc? ons contre la Prusse.
Plusieurs e? crivains allemands, justement ce? le`bres, se firent
connai^tre vers la fin du re`gne de Fre? de? ric; mais l'opinion de? fa-
vorable que ce grand monarque avait conc? ue dans sa jeunesse
contre la litte? rature de son pays, ne s'effac? a point, et il composa
peu d'anne? es avant sa mort un petit e? crit, dans lequel il propose,
entre autres changements, d'ajouter une voyelle a` la fin de cha-
que verbe pour adoucir la langue tudesque. Cet allemand masque?
en italien produirait le plus comique effet du monde; mais nul
monarque, me^me en Orient, n'aurait assez de puissance pour
influer ainsi, non sur le sens, mais sur le son de chaque mot qui
se prononcerait dans son empire.
Klopstock a noblement reproche? a` Fre? de? ric de ne? gliger les
muses allemandes, qui, a` son insu, s'essayaienta` proclamer sa
gloire. Fre? de? ricn'a pas du tout devine? ce que sont les Allemands
en litte? rature et en philosophie; il ne les croyait pas inventeurs.
Il voulait discipliner les hommes de lettres comme ses arme? es.
<< 11 faut, e? crivait-il en mauvaisallemand, dans ses instructions a`
l'acade? mie, se conformer a` la me? thode de Boerhaave dans la
<< me? decine, a` celle de Locke dans la me? taphysique, et a` celle de
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? g|
<<Thomasius pour l'histoire naturelle. >> Ses conseils n'ont pas
e? te? suivis. Il ne se doutait gue`re que de tous les hommes les Alle-
mands e? taient ceux qu'on pouvait le moins assujettir a` la routine
litte? raire et philosophique :rien n'annonc? ait en eux l'audace qu'ils
ont montre? e depuis dans le champ de l'abstraction.
Fre? de? ric conside? rait ses sujets comme des e? trangers, et les hom-
mes d'esprit franc? ais comme ses compatriotes. Rien n'e? tait plus
naturel, il faut en convenir, que de se laisser se? duire par tout
ce qu'il y avait de brillant et de solide dans les e? crivains fran-
c? ais a` cette e? poque: ne? anmoins Fre? de? ric aurait contribue? pi as
efficacement encore a` la gloire de son pays, s'il avait compris et
de? veloppe? les faculte? s particulie`res a` la nation qu'il gouvernait. Mais comment re? sistera` l'influence de son temps, et quel est
l'homme dont le ge? nie me^me n'est pas a` beaucoup d'e? gards l'ou-
vrage de son sie`cle?
CHAPITRE XVII.
Berlin.
Berlin est une grande ville, dont les rues sont tre`s-larges, par-
faitement bien aligne? es, les maisons belles, et l'ensemble re? gu-
lier: mais comme il n'y a pas longtemps qu'elle est reba^tie, on
n'y voit rien qui retrace les temps ante? rieurs. Aucun monument
gothique ne subsiste au milieu des habitations modernes ; et ce
pays nouvellement forme? n'est ge^ne? par l'ancien en aucun genre.
Que peut-il y avoir de mieux, dira-t-on, soit pour les e? difices, soit
pour les institutions, que de n'e^tre pas embarrasse? par des rui -
ncs? Je sens que j'aimerais en Ame? rique les nouvelles villes et
les nouvelles lois : la nature et la liberte? y parlent assez a` l'a^me
pour qu'on n'y ait pas besoin de souvenirs; mais sur notre vieille
terre il faut dupasse? . Berlin, cette ville toute moderne, quelque
bellequ'elle soit, ne fait pas une impression assez se? rieuse ; on n'y
aperc? oit point l'empreinte de l'histoire du pays, ni du caracte`re
des habitants, et ces magnifiques demeures, nouvellement cons-
truites, ne semblent destine? es qu'aux rassemblements com-
modes des plaisirs et de l'industrie. Les plus beaux palais de
Berlin sont ba^tis en briques; on trouverait a` peine une pierie
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? S2 BERLIN.
i^le taille dans les arcs de triomphe. La capitale de la Prusse res-
semble a` la Prusse elle-me^me; les e? difices et les institutions
y ont a^ge d'homme, et rien deplus, parce qu'un homme seul
en est l'auteur.
La cour, pre? side? e par une reine belle et vertueuse, e? tait im-
posante et simple tout a` la fois; la famille royale, qui se re? pan-
dait volontiers dans la socie? te? , savait se me^ler noblement a` la
nation, et s'identifiait dans tous les coeurs avec la patrie. Le roi
avait su fixer a` Berlin J. de Mu`ller, Ancillon, Fichte, Humboldt,
Hufeland, une foule d'hommes distingue? s dans des genres dif-
fe? rents ; enfm tous les e? le? ments d'une socie? te? charmante et d'une
nation forte e? taient la` : mais ces e? le? ments n'e? taient point encore
combine? s ni re? unis. L'esprit re? ussissait cependant d'une fac? on
plus ge? ne? rale a` Berlin qu'a` Vienne; le he? ros du pays, Fre? de? ric,
ayant e? te? un homme prodigieusement spirituel, le reflet de son
nom faisait encore aimer tout ce qui pouvait lui ressembler. Ma-
rie-The? re`se n'a point donne? une impulsion semblable aux Vien-
nois, et ce qui dans Joseph ressemblait a` de l'esprit, les en a
de? gou^te? s. Aucun spectacle en Allemagne n'e? galait celui de Berlin.
? LA PRUSSE. 77
ge? ne? reux que justes; parce que la justice suppose un rapport
quelconque d'e? galite? avec les autres.
Fre? de? ric avait rendu les tribunaux si inde? pendants, que , pen-
dant sa vie, et sous le re`gne de ses successeurs, on les a vus sou-
vent de? cider en faveur des sujets contre le roi, dans des proce`s
qui tenaient a` des inte? re^ts politiques. Il est vrai qu'il serait pres-
que impossible , en Allemagne, d'introduire l'injustice dans les
tribunaux. Les Allemands sont assez dispose? s a` se faire des sys-
te`mes pour abandonner la politique a` l'arbitraire; mais quand
il s'agit de jurisprudence ou d'administration, on ne peut faire
entrer dans leur te^te d'autres principes que ceux de la justice.
Leur esprit de me? thode, me^me sans parler de la droiture de
leur coeur, re? clame l'e? quite? comme mettant de l'ordre dans tout.
Ne? anmoins, il faut louer Fre? de? ric de sa probite? dans le gouver-
nement inte? rieur de son pays: c'est un de ses premiers titres a`
l'admiration de la poste? rite? .
Fre? de? ric n'e? tait point sensible, mais il avait de la bonte? ; or,
les qualite? s universelles sont celles qui conviennent le mieux aux
souverains. Ne? anmoins, cette bonte? de Fre? de? ric e? tait inquie? tante
comme celle du lion, et l'on sentait la griffe du pouvoir, me^me
au milieu de la gra^ce et de la coquetterie de l'esprit le plus ai-
mable. Les hommes d'un caracte`re inde? pendant ont eu de la
peine a` se soumettre a` la liberte? que ce mai^tre croyait donner,
a` la familiarite? qu'il croyait permettre; et, tout en l'admirant,
ils sentaient qu'ils respiraient mieux loin de lui.
Le grand malheur de Fre? de? ric fut de n'avoir point assez de
respect pour la religion ni pour les moeurs. Ses gou^ts e? taient cy-
niques. Bien que l'amour de la gloire ait donne? de l'e? le? vation a`
ses pense? es, sa manie`re licencieuse de s'exprimer sur les objets
les plus sacre? s e? tait cause que ces vertus me^mes n'inspiraient
pas de confiance: on en jouissait, on les approuvait, mais on les
croyait un calcul. Tout semblait devoir e^tre de la politique dans
Fre? de? ric; ainsi donc, ce qu'il faisait de bien rendait l'e? tat du
pays meilleur, mais ne perfectionnait pas la moralite? de la na-
tion. Il affichait l'incre? dulite? , et se moquait de la vertu des
femmes: et rien ne s'accordait moins avec le caracte`re allemand
que cette manie`re depenser. Fre? de? ric, en affranchissant ses 7.
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? 78 LA l'UUSSE.
sujets de ce qu'il appelait les pre? juge? s, e? teignait en eux le patrio-
tisme: car, pour s'attacher aux pays naturellement sombres et
ste? riles, il faut qu'il y re`gne des opinions et des principes d'une
grande se? ve? rite? . Dans ces contre? es sablonneuses, ou` la terre ne
produit que des sapins et des bruye`res, la force de l'homme
consiste dans son a^me; et si vous lui o^tez ce qui fait la vie de
cette a^me, les sentiments religieux, il n'aura plus que du de? gou^t
pour sa triste patrie.
Le penchant de Fre? de? ric pour la guerre peut e^tre excuse? par
de grands motifs politiques. Son royaume, tel qu'il le rec? ut de
son pe`re, ne pouvait subsister, et c'est presque pour le conser-
ver qu'il l'agrandit. Il avait deux millions et demi de sujets en
arrivant au tro^ne, il en laissa six a` sa mort.
Le besoin qu'il avait de l'arme? e l'empe^cha d'encourager dans
la nation un esprit public dont l'e? nergie et l'unite? fussent impo-
santes. Le gouvernement de Fre? de? ric e? tait fonde? sur la force
militaire et la justice civile: il les conciliait l'une et l'autre par
sa sagesse; mais il e? tait difficile de me^ler ensemble deux esprits
d'une nature si oppose? e. Fre? de? ricvoulait que ses soldats fussent
des machines militaires, aveugle? ment soumises, et que ses sujets
fussent des citoyens e? claire? s capables de patriotisme. Il n'e? tablit
point dans les villes de Prusse des autorite? s secondaires, des
municipalite? s telles qu'il en existait dans le reste de l'Allema-
gne, de peur que l'action imme? diate du service militaire ne pu^t e^tre arre^te? e par elles: et cependant il souhaitait qu'il y eu^t assez
d'esprit de liberte? dans son empire pour que l'obe? issance y paru^t
volontaire. Il voulait que l'e? tat militaire fu^t le premier de tous,
puisque c'e? tait celui qui lui e? tait le plus ne? cessaire; mais il aurait
de? sire? que l'e? tat civil se mainti^nt inde? pendant a` co^te? de la force.
Fre? de? ric, enfin, voulait rencontrer partout des appuis, mais
nulle part des obstacles.
L'amalgame merveilleux de toutes les classes de la socie? te? ne s'obtient gue`re que par l'empire de la loi, la me^me pour tous. Un homme peut faire marcher ensemble des e? le? ments oppose? s, mais << a` sa mort ils se se? parent ? >>. L'ascendant de Fre? de? ric, entretenuar la sagesse de ses successeurs, s'est manifeste? quelque temps
1 Supprime? par la censure.
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? L\ PRUSSE. ,3
encore; cependant ou sentait toujours eu ['russe les deux na.
lions,qui en composaient mal une seule : l'arme? e, et l'e? tat civil.
Les pre? juge? s nobiliaires subsistaient a` co^te? des principes libe? -
raux les plus prononce? s. Enfin, l'image de la Prusse offrait un
double aspect, comme celle de Janus; l'un militaire, et l'autre
philosophe.
Un des plus grands torts de Fre? de? ric fut de se pre^ter au par-
tage de la Pologne. La Sile? sie avait e? te? acquise par les armes,
la Pologne fut une conque^te machiave? lique, << et l'on ne pouvait
jamais espe? rer que des sujets ainsi de? robe? s fussent fide`les a`
l'escamoteur qui se disait leur souverain' >>. D'ailleurs, les
Allemands et les Esclavons ne sauraient s'unir entre eux par des
liens indissolubles; et quand une nation admet dans son sein
pour sujets des e? trangers ennemis, elle se fait presque autant
de mal que quand elle les rec? oit pour mai^tres; car il n'y a plus
dans le corps politique cet ensemble qui personnifie l'E? tat, et
constitue le patriotisme.
Ces observations sur la Prusse portent toutes sur les moyens
qu'elle avait de se maintenir et de se de? fendre : car rien , dans le gouvernement inte? rieur, n'y nuisait a` l'inde? pendance et a` la se? -
rurite? ; c'e? tait l'un des pays de l'Europe ou` l'on honorait le plus
les lumie`res; ou` la liberte? defait, si ce n'est de droit, e? tait le
plus scrupuleusement respecte? e. Je n'ai pas rencontre? dans toute
la Prusse un seul individu qui se plaigni^t d'actes arbitraires dans
le gouvernement, et cependant il n'y aurait pas eu le moindre
danger a` s'en plaindre; mais quand dans un e? tat social le bon-
heur lui-me^me n'est, pour ainsi dire, qu'un accident heureux,
et qu'il n'est pas fonde? sur des institutions durables , qui garan-
tissent a` l'espe`ce humaine sa force et sa dignite? , le patriotisme
a peu de perse? ve?
rance, et l'on abandonne facilement au hasard
les avantages qu'on croitne devoir qu'a` lui. Fre? de? ric II, l'un des
plus beaux dons de ce hasard, qui semblait veiller sur la Prusse,
avait su se faire aimer since`rement dans son pays, et depuis
qu'il n'est plus, on le che? rit autant que pendant sa vie. Toutefois
le sort de la Prusse n'a que trop appris ce que c'est que l'in-
fluence me^me d'un grand homme , alors que durant son re`gne 1 Supprime? par la CCIUIItT.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 60 I. '. P-BUSS. F. .
il ne travaille point ge? ne? reusement a` se rendre utile : la nation
tout entie`re s'en reposait sur son roi de son principe d'exis-
tence, et semblait devoir finir avec lui.
Fre? de? ric II aurait voulu que la litte? rature franc? aise fu^t la
seule de ses E? tats. Il ne faisait aucun cas de la litte? rature alle-
mande. Sans doute elle n'e? tait pas de son temps a` beaucoup pre`s
aussi remarquable qu'a` pre? sent, mais il faut qu'un prince alle-
mand encourage toutce qui est allemand. Fre? de? ric avait le projet
de rendre Berlin un peu semblable a` Paris, etse flattait de trouver
dans les re? fugie? s franc? ais quelques e? crivains assez distingue? s
pour avoir une litte? rature franc? aise. Une telle espe? rance devait
ne? cessairement e^tre trompe? e : les cultures factices ne prospe`-
rent jamais; quelques individus peuvent lutter contre les diffi-
culte? s que pre? sentent les choses; mais les grandes masses sui-
vent toujours la pente naturelle. Fre? de? ric a fait un mal ve? ritable
a` son pays, en professant du me? pris pour le ge? nie des Allemands.
Il en est re? sulte? que le corps germanique a souvent conc? u d'injustes soupc? ons contre la Prusse.
Plusieurs e? crivains allemands, justement ce? le`bres, se firent
connai^tre vers la fin du re`gne de Fre? de? ric; mais l'opinion de? fa-
vorable que ce grand monarque avait conc? ue dans sa jeunesse
contre la litte? rature de son pays, ne s'effac? a point, et il composa
peu d'anne? es avant sa mort un petit e? crit, dans lequel il propose,
entre autres changements, d'ajouter une voyelle a` la fin de cha-
que verbe pour adoucir la langue tudesque. Cet allemand masque?
en italien produirait le plus comique effet du monde; mais nul
monarque, me^me en Orient, n'aurait assez de puissance pour
influer ainsi, non sur le sens, mais sur le son de chaque mot qui
se prononcerait dans son empire.
Klopstock a noblement reproche? a` Fre? de? ric de ne? gliger les
muses allemandes, qui, a` son insu, s'essayaienta` proclamer sa
gloire. Fre? de? ricn'a pas du tout devine? ce que sont les Allemands
en litte? rature et en philosophie; il ne les croyait pas inventeurs.
Il voulait discipliner les hommes de lettres comme ses arme? es.
<< 11 faut, e? crivait-il en mauvaisallemand, dans ses instructions a`
l'acade? mie, se conformer a` la me? thode de Boerhaave dans la
<< me? decine, a` celle de Locke dans la me? taphysique, et a` celle de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? g|
<<Thomasius pour l'histoire naturelle. >> Ses conseils n'ont pas
e? te? suivis. Il ne se doutait gue`re que de tous les hommes les Alle-
mands e? taient ceux qu'on pouvait le moins assujettir a` la routine
litte? raire et philosophique :rien n'annonc? ait en eux l'audace qu'ils
ont montre? e depuis dans le champ de l'abstraction.
Fre? de? ric conside? rait ses sujets comme des e? trangers, et les hom-
mes d'esprit franc? ais comme ses compatriotes. Rien n'e? tait plus
naturel, il faut en convenir, que de se laisser se? duire par tout
ce qu'il y avait de brillant et de solide dans les e? crivains fran-
c? ais a` cette e? poque: ne? anmoins Fre? de? ric aurait contribue? pi as
efficacement encore a` la gloire de son pays, s'il avait compris et
de? veloppe? les faculte? s particulie`res a` la nation qu'il gouvernait. Mais comment re? sistera` l'influence de son temps, et quel est
l'homme dont le ge? nie me^me n'est pas a` beaucoup d'e? gards l'ou-
vrage de son sie`cle?
CHAPITRE XVII.
Berlin.
Berlin est une grande ville, dont les rues sont tre`s-larges, par-
faitement bien aligne? es, les maisons belles, et l'ensemble re? gu-
lier: mais comme il n'y a pas longtemps qu'elle est reba^tie, on
n'y voit rien qui retrace les temps ante? rieurs. Aucun monument
gothique ne subsiste au milieu des habitations modernes ; et ce
pays nouvellement forme? n'est ge^ne? par l'ancien en aucun genre.
Que peut-il y avoir de mieux, dira-t-on, soit pour les e? difices, soit
pour les institutions, que de n'e^tre pas embarrasse? par des rui -
ncs? Je sens que j'aimerais en Ame? rique les nouvelles villes et
les nouvelles lois : la nature et la liberte? y parlent assez a` l'a^me
pour qu'on n'y ait pas besoin de souvenirs; mais sur notre vieille
terre il faut dupasse? . Berlin, cette ville toute moderne, quelque
bellequ'elle soit, ne fait pas une impression assez se? rieuse ; on n'y
aperc? oit point l'empreinte de l'histoire du pays, ni du caracte`re
des habitants, et ces magnifiques demeures, nouvellement cons-
truites, ne semblent destine? es qu'aux rassemblements com-
modes des plaisirs et de l'industrie. Les plus beaux palais de
Berlin sont ba^tis en briques; on trouverait a` peine une pierie
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? S2 BERLIN.
i^le taille dans les arcs de triomphe. La capitale de la Prusse res-
semble a` la Prusse elle-me^me; les e? difices et les institutions
y ont a^ge d'homme, et rien deplus, parce qu'un homme seul
en est l'auteur.
La cour, pre? side? e par une reine belle et vertueuse, e? tait im-
posante et simple tout a` la fois; la famille royale, qui se re? pan-
dait volontiers dans la socie? te? , savait se me^ler noblement a` la
nation, et s'identifiait dans tous les coeurs avec la patrie. Le roi
avait su fixer a` Berlin J. de Mu`ller, Ancillon, Fichte, Humboldt,
Hufeland, une foule d'hommes distingue? s dans des genres dif-
fe? rents ; enfm tous les e? le? ments d'une socie? te? charmante et d'une
nation forte e? taient la` : mais ces e? le? ments n'e? taient point encore
combine? s ni re? unis. L'esprit re? ussissait cependant d'une fac? on
plus ge? ne? rale a` Berlin qu'a` Vienne; le he? ros du pays, Fre? de? ric,
ayant e? te? un homme prodigieusement spirituel, le reflet de son
nom faisait encore aimer tout ce qui pouvait lui ressembler. Ma-
rie-The? re`se n'a point donne? une impulsion semblable aux Vien-
nois, et ce qui dans Joseph ressemblait a` de l'esprit, les en a
de? gou^te? s. Aucun spectacle en Allemagne n'e? galait celui de Berlin.
