sentent
comme domptant les monstres des fore^ts, font sans doute allu-
sion aux premiers pe?
comme domptant les monstres des fore^ts, font sans doute allu-
sion aux premiers pe?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
chez eux que l'obe?
issance; ils sont
scrupuleux dans l'accomplissement des ordres qu'ils rec? oivent,
comme si tout ordre e? tait un devoir.
Les hommes e? claire? s de l'Allemagne se disputent avec vivacite?
le domaine des spe? culations, et ne souffrent dans ce genre aucune
entrave; mais ils abandonnent assez volontiers aux puissants de
la terre tout le re? el de la vie. << Ce re? el, si de? daigne? par eux,
<< trouve pourtant des acque? reurs qui portent ensuite le trouble et
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? DES ALLEMANDS. 25
? la ge^ne dans l'empire me^me de l'imagination '. >> L'esprit des
Allemands et leur caracte`re paraissent n'avoir aucune communi-
cation ensemble : l'un ne peut souffrir de bornes, l'autre se sou-
met a` tous les jougs; l'un est tre`s-entreprenant, l'autre tre`s-ti-
mide; enfin, les lumie`res de l'un donnent rarement de la force a`
l'autre, et cela s'explique facilement. L'e? tendue des connais-
sances dans les temps modernes ne fait qu'affaiblir le caracte`re,
quand il n'est pas fortifie? par l'habitude des affaires et l'exercice
dela volonte? . Tout voir et tout comprendre est une grande rai-
son d'incertitude; et l'e? nergie de l'action ne se de? veloppe que
dans ces contre? es libres et puissantes, ou` les sentiments patrioti-
ques sont dans l'a^me comme le sang dans les veines, et ne se
glacent qu'avec la vieJ.
CHAPITRE III
Les femmes.
La nature et la socie? te? donnent aux femmes une grande habi-
tude de souffrir, et l'on ne saurait nier, ce me semble, que de
nos jours elles ne vaillent, en ge? ne? ral, mieux que les hommes.
Dans une e? poque ou` le mal universel est l'e? goi? sme, les hommes,
auxquels tous les inte? re^ts positifs se rapportent, doivent avoir
moins de ge? ne? rosite? , moins de sensibilite? que les femmes; elles
ne tiennent a` la vie que par les liens du coeur, et lorsqu'elles
s'e? garent, c'est encore parunsentiment qu'elles sont entrai^ne? es:
leur personnalite? est toujours a` deux, tandis que celle de l'homme
n'a que lui-me^me pour but. On leur rend hommage par les
affections qu'elles inspirent, mais celles qu'elles accordent sont
'Phrase supprime? e par les censeurs.
1 Je n'ai pas besoin de dire i^|ue c'e? tait l'Angleterre que je voulais de? signer
par ces paroles; mais quaud les noms propres ne sont pas articule? s, la plupart
des censeurs, hommes e? claire? s, se font un plaisir de ne pas comprendre. Il
n'en est pas de me^me de la police; elle a une sorte d'instinct vraiment remar-
quable contre les ide? es libe? rales, sous quelque forme qu'elles se pre? sentent,
et, dans ce genre, elle de? piste, comme nn habile chien de chasse, tout ce
qui pourrait re? veiller dans l'esprit des Franc? ais leur ancien amour pour les
lumiu`if-s et la liberte? .
3
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? 26 LES FEMMES.
presque toujours des sacrifices. La plus belle des vertus, le
de? vouement, est leur jouissance et leur destine? e; nul bonheur
ne peut exister pour elles que par le reflet de la gloire et des pros-
pe? rite? s d'un autre; enfin, vivre hors de soi-me^me, soit par les
ide? es, soit par les sentiments, soit surtout par les vertus, doune
a` l'a^me un sentiment habituel d'e? le? vation.
Dans les pays ou` les hommes sont appele? s par les institutions
politiques a` exercer toutes les vertus militaires et civiles qu'ins-
pire l'amour de la patrie , ils reprennent la supe? riorite? qui leur
appartient; ils rentrent avec e? clat dans leurs droits de mai^tre*
du monde : mais lorsqu'ils sont condamne? s de quelque manie`re
a` l'oisivete? , ou a` la servitude, ils tombent d'autant plus bas
qu'ils devaient s'e? lever plus haut. La destine? e des femmes reste
toujours la me^me, c'est leur a^me seule qui la fait, les circons-
tances politiques n'y influent en rien. Lorsque les hommes ne
savent pas, ou ne peuvent pas employer dignement et noblement
leur vie, la nature se venge sur eux des dons me^mes qu'ils en
ont rec? us; l'activite? du corps ne sert plus qu'a` la paresse de l'es-
prit, la force de l'a^me devient de la rudesse ; et le jour se passe
dans des exercices et des amusements vulgaires, les chevaux, la
chasse, les festins, qui conviendraient comme de? lassement,
mais qui abrutissent comme occupations. Pendant ce temps, les
femmes cultivent leur esprit, et le sentiment et la re^verie con-
servent dans leur a^me l'image de tout ce qui est noble et beau.
Les femmes allemandes ont un charme qui leur est tout a` fait
particulier, un son de voix touchant, des cheveux blonds, un
teint e? blouissant; elles sont modestes, mais moins timides que
les Anglaises; on voit qu'elles ont rencontre? moins souvent des
hommes qui leur fussent supe? rieurs, et qu'elles ont d'ailleurs
moins a` craindre des jugements se? ve`res du public. Elles cher-
chent a` plaire par la sensibilite? , a` inte? resser par l'imagination;
la langue de la poe? sie et des beaux-arts leur est connue; elles
font de la coquetterie avec de l'enthousiasme, comme on en fait
en France avec de l'esprit et de la plaisanterie. La loyaute? par-
faite qui distingue le caracte`re des Allemands rend l'amour
moins dangereux pour le bonheur des femmes, et peut-e^tre
s'approchent-elles de ce sentiment avec plus de confiance, parce
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? LES FEMMES. ST
qu'il est reve^tu de couleurs romanesques, et que le de? dain et
l'infide? lite? y sont moins a` redouter qu'ailleurs.
L'amour est une religion en Allemagne, mais une religion
poe? tique, qui tole`re trop volontiers tout ce que la sensibilite?
peut excuser. On ne saurait le nier, la facilite? du divorce, dans
lesprovinces protestantes, porte atteinte a` la saintete? du mariage.
On y change aussi paisiblement d'e? poux que s'il s'agissait d'ar-
ranger les incidents d'un drame; le bon naturel des hommes et
des femmes fait qu'on ne me^le point d'amertume a` ces faciles
ruptures, et, comme il y a chez les Allemands plus d'imagina-
tion que de vraie passion, les e? ve? nements les plus bizarres s'y
passent avec une tranquillite? singulie`re; cependant, c'est ainsi
que les moeurs et le caracte`re perdent toute consistance; l'esprit
paradoxal e? branle les institutions les plus sacre? es, et l'on n'y a
sur aucun sujet des re`gles assez fixes.
On peut se moquer avec raison des ridicules de quelques
femmes allemandes, qui s'exaltent sans cesse jusqu'a` l'affecta-
tion, et dont les doucereuses expressions effacent tout ce que
l'esprit et le caracte`re peuvent avoir de piquant et de prononce? ;
elles ne sont pas franches, sans pourtant e^tre fausses; seule-
ment elles ne voient ni ne jugent rien avec ve? rite? , et les e? ve? ne-
ments re? els passent devant leurs yeux comme de la fantasmago-
rie. Quand il leur arrive d'e^tre le? ge`res, elles conservent encore
la teinte de sentimentalite? qui est en honneur dans leur pays.
Une femme allemande disait avec une expression me? lancolique:
<< Je ne sais a` quoi cela tient, mais les absents me passent de
? l'a^me. >> Une Franc? aise aurait exprime? cette ide? e plus gaiement,
mais le fond eu^t e? te? le me^me.
Ces ridicules, qui font exception, n'empe^chent pas que parmi
les femmes allemandes il n'y en ait beaucoup dont les senti-
ments sont vrais et les manie`res simples. Leur e? ducation soigne? e
et la purete? d'a^me qui leur est naturelle rendent l'empire qu'elles
exercent doux et soutenu; elles vous inspirent chaque jour plus
d'inte? re^t pour tout ce qui est grand et ge? ne? reux, plus de confiance
dans tous les genres d'espoir, et savent repousser l'aride ironie,
qui souffle un vent de mort sur les jouissances du coeur. Ne? an-
moins on trouve tre`s-rarement chez les Allemandes la rapidite?
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? 2g LA CHEVALERIE.
d'esprit qui anime l'entretien et met en mouvement toutes les
ide? es; ce genre de plaisir ne se rencontre gue`re que dans les
socie? te? s de Paris les plus piquantes et les plus spirituelles. Il
faut l'e? lite d'une capitale franc? aise pour donner ce rare amuse-
ment: partout ailleurs on ne trouve d'ordinaire que de l'e? lo-
quence en public, ou du charme dans l'intimite? . La conversa-
tion, comme talent, n'existe qu'en France; dans les autres
pays, elle ne sert qu'a` la politesse, a` la discussion ou a` l'amitie? :
en France, c'est un art auquel l'imagination et l'a^me sont sans
doute fort ne? cessaires, mais qui a pourtant aussi, quand on le
veut, des secrets pour supple? er a` l'absence de l'une et de l'autre.
CHAPITRE IV.
De l'influence de l'esprit de chevalerie sur l'amour et l'honneur.
sS
La chevalerie est pour les modernes ce que les temps he? roi? -
ques e? taient pour les anciens; tous les nobles souvenirs des nations europe? ennes s'y rattachent. A toutes les grandes e? po-
ques de l'histoire, les hommes ont eu pour principe universel
d'action un enthousiasme quelconque. Ceux qu'on appelait des
he? ros, dans les sie`cles les plus recule? s, avaient pour but de
civiliser la terre; les traditions confuses qui nous les repre?
sentent
comme domptant les monstres des fore^ts, font sans doute allu-
sion aux premiers pe? rils dont la socie? te? naissante e? tait mena-
ce? e , et dont les soutiens de son organisation encore nouvelle la
pre? servaient. Vint ensuite l'enthousiasme de la patrie : il inspira
tout ce qui s'est fait de grand et de beau chez les Grecs et chez
les Romains: cet enthousiasme s'affaiblit quand il n'y eut plus
de patrie, et peu de sie`cles apre`s, la chevalerie lui succe? da. La
chevalerie consistait dans la de? fense du faible, dans la loyaute?
des combats, dans le me? pris de la ruse, dans cette charite? chre? -
tienne qui cherchait a` me^ler l'humanite? me^me a` la guerre,
dans tous les sentiments enfin qui substitue`rent le culte de
l'honneur a` l'esprit fe? roce des armes. C'est dans le Nord que la
chevalerie a pris naissance, mais c'est dans le midi de la France
qu'elle s'est embellie par le charme de la poe? sie et de l'amour.
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? l. \ CHEVALERIE. 29
Les Germains avaient de tout temps respecte? les femmes, mais
ce furent les Franc? ais qui cherche`rent a` leur plaire; les Alle-
mands avaient aussi leurs chanteurs d'amour (Minnesinger), mais rien ne peut e^tre compare? a` nos trouve`res et a` nos trou-
badours; et c'e? tait peut-e^tre a` cette source que nous devions
puiser une litte? rature vraiment nationale. L'esprit de la mytho-
logie du Nord avait beaucoup plus de rapport que le paganisme
des anciens Gaulois avec le christianisme, et ne? anmoins il n'est
point de pays ou` les chre? tiens aient e? te? de plus nobles cheva-
liers, etles chevaliers de meilleurs chre? tiens qu'en France. Les croisades re? unirent les gentilshommes de tous les pays, et
firent de l'esprit de chevalerie comme une sorte de patriotisme
europe? en, qui remplissait du me^me sentiment toutes les a^mes.
Le re? gime fe? odal, cette institution politique triste et se? ve`re, mais
qui consolidait, a` quelques e? gards, l'esprit de la chevalerie, en
le transformant en lois, le re? gime fe? odal, dis-je, s'est maintenu
dans l'Allemagne jusqu'a` nos jours : il a e? te? de? truit en France
par le cardinal de Richelieu, et, depuis cette e? poque jusqu'a` la
rcvolution, les Franc? ais ont tout a` fait manque? d'une source
d'enthousiasme. Je sais qu'on dira que l'amour de leurs rois en
e? tait une; mais en supposant qu'un tel sentiment pu^t suffire a`
une nation, il tient tellement a` la personne me^me du souverain,
que pendant le re`gne du re? gent et de Louis XV, il eu^t e? te? dit-
u`'cile, je pense, qu'il fit faire rien de grand aux Franc? ais.
L'esprit de chevalerie, qui brillait encore par e? tincelles sous
Louis XIV, s'e? teignit apre`s lui, et fut remplace? , comme ledit
un historien piquant et spirituel', par l'esprit de fatuite? , qui lui
est entie`rement oppose? . Loin de prote? ger les femmes, la fatuite?
cherche a` les perdre; loin de de? daigner la ruse, elle s'en sert
contre ces e^tres faibles qu'elle s'enorgueillit de tromper, et met
la profanation dans l'amour a` la place du culte-
Lc courage me^me, qui servait jadis de garant a` la loyaute? ,
ne fut plus qu'un moyen brillant de s'en affranchir; car il n'importait pas d'e^tre vrai, mais il fallait seulement tuer en duel
celui qui aurait pre? tendu qu'on ne l'e? tait pas; et l'empire de la
socie? te? , dans le grand monde, fit disparai^tre la plupart des vet-
'4>>. tle Lacretellc.
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? 30 LA CHEVAI. ERIE.
tus de la chevalerie. La France se trouvait alors sans aucun
genre d'enthousiasme; et comme il en faut un aux nations pour
ne pas se corrompre et se dissoudre, c'est sans doute ce besoin
naturel qui tourna, de`s le milieu du dernier sie`cle, tous les
esprits vers l'amour de la liberte? .
La marche philosophique du genre humain parai^t donc devoir
se diviser en quatre e`res diffe? rentes: les temps he? roi? ques, qui
fonde`rent la civilisation; le patriotisme, qui fit la gloire de
l'antiquite? ; la chevalerie, qui fut la religion guerrie`re de l'Eu-
rope; et l'amour de la liberte? , dont l'histoire a commence? vers
l'e? poque de la re? formation.
L'Allemagne, si l'on en excepte quelques cours avides d'imi-
ter la France, ne fut point atteinte par la fatuite? , l'immoralite?
et l'incre? dulite? , qui, depuis la re? gence, avaient alte? re? le carac-
te`re naturel des Franc? ais. La fe? odalite? conservait encore chez
les Allemands des maximes de chevalerie. On s'y battait en duel,
il est vrai, moins souvent qu'en France, parce que la nation
germanique n'est pas aussi vive que lanation franc? aise, et que
toutes les classes du peuple ne participent pas, comme en
France, au sentiment de la bravoure; mais l'opinion publique
e? tait plus se? ve`re en ge? ne? ral sur tout ce qui tenait a` la probite? .
Si un homme avait manque? de quelque manie`re aux lois de la
morale, dix duels par jour ne l'auraient releve? dans l'estime de
personne. On a vu beaucoup d'hommes de bonne compagnie,
en France, qui, accuse? s d'une action condamnable, re? pondaient:
// se peut que cela soit mal, mais personne, du moins , M'u-
sera me le dire en face. Il n'y a point de propos qui suppose
une plus grande de? pravation; car ou` en serait la socie? te? hu-
maine, s'il suffisait de se tuer les uns les autres pour avoir le
droit de se faire d'ailleurs tout le mal possible ; de manquer a`
sa parole, de mentir, pourvu qu'on n'osa^t pas vous dire:
<< Vous en avez menti; >> enfin de se? parer la loyaute? de la bra-
voure , et de transformer le courage en un moyen d'impunite?
sociah?
Depuis que l'esprit chevaleresque s'e? tait e? teint en France, de-
puis qu'il n'y avait plus de Godefroi, de saint Louis, de Bayard ,
qui prote? geassent la faiblesse, et se crussent lie? s par une parole
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? LA CflE VALERIE. 31
comme par des chai^nes indissolubles, j'oserai dire, contre l'opi-
nion rec? ue, que la France a peut-e^tre e? te? , de tous les pays du
monde, celui ou` les femmes e? taient le moins heureuses par le
coeur. On appelait la France le paradis des femmes, parce qu'el-
lesy jouissaient d'une grande liberte? ; mais cette liberte? me^me
venait de la facilite? avec laquelle on se de? tachait d'elles. Le Turc
qui renferme sa femme, lui prouve au moins par la` qu'elle est
ne? cessaire a` son bonheur: l'homme a` bonnes fortunes, tel que
le dernier sie`cle nous en a fourni tant d'exemples, choisit les
femmes pour victimes de sa vanite? ; et cette vanite? ne consiste
pas seulement a` les se? duire, mais a` les abandonner. Il faut qu'il
puisse indiquer avec des paroles le? ge`res et inattaquables en elles-me^mes, que telle femme l'a aime? et qu'il ne s'en soucie plus.
<< Mon amour-propre me crie: Fais-la mourir de chagrin, >>
disait un ami du baron de Bezenval, et cet ami lui parut tre`s-
regrettable , quand une mort pre? mature? e l'empe^cha de suivre
ce beau dessein. On se lasse de tout, mon ange, e? crit M. de la
Clos, dans un roman qui fait fre? mir par les raffinements d'im-
moralite? qu'il de? ce`le. Enfin, dans ces temps ou` l'on pre? tendait
que l'amour re? gnait en France, il me semble que la galanterie
mettait les femmes, pour ainsi dire, hors la loi. Quand leur re`-
gne d'un moment e? tait passe? , il n'y avait pour elles ni ge? ne? ro-
site? , ni reconnaissance, ni me^me pitie? . L'on contrefaisait les ac-
cents de l'amour pour les faire tomberdans le pie? ge, comme le
crocodile, qui imite la voix des enfants pour attirer leurs me`res.
Louis XIV, si vante? par sa galanterie chevaleresque, ne se
montra-t-il pas le plus dur des hommes , dans sa conduite envers
la femme dont il avait e? te? le plus aime? , madame de la Vallie`re?
Les de? tails qu'on en lit dans les me? moires de Madame sont af-
freux. Il navra de douleur l'a^me infortune? e qui n'avait respire?
que pour lui, et vingt anne? es de larmes au pied de la croix, pu-
rent a` peine cicatriser les blessures que le cruel de? dain du mo-
narque avait faites. Rien n'est si barbare que la vanite? ; et comme
la socie? te?
scrupuleux dans l'accomplissement des ordres qu'ils rec? oivent,
comme si tout ordre e? tait un devoir.
Les hommes e? claire? s de l'Allemagne se disputent avec vivacite?
le domaine des spe? culations, et ne souffrent dans ce genre aucune
entrave; mais ils abandonnent assez volontiers aux puissants de
la terre tout le re? el de la vie. << Ce re? el, si de? daigne? par eux,
<< trouve pourtant des acque? reurs qui portent ensuite le trouble et
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ALLEMANDS. 25
? la ge^ne dans l'empire me^me de l'imagination '. >> L'esprit des
Allemands et leur caracte`re paraissent n'avoir aucune communi-
cation ensemble : l'un ne peut souffrir de bornes, l'autre se sou-
met a` tous les jougs; l'un est tre`s-entreprenant, l'autre tre`s-ti-
mide; enfin, les lumie`res de l'un donnent rarement de la force a`
l'autre, et cela s'explique facilement. L'e? tendue des connais-
sances dans les temps modernes ne fait qu'affaiblir le caracte`re,
quand il n'est pas fortifie? par l'habitude des affaires et l'exercice
dela volonte? . Tout voir et tout comprendre est une grande rai-
son d'incertitude; et l'e? nergie de l'action ne se de? veloppe que
dans ces contre? es libres et puissantes, ou` les sentiments patrioti-
ques sont dans l'a^me comme le sang dans les veines, et ne se
glacent qu'avec la vieJ.
CHAPITRE III
Les femmes.
La nature et la socie? te? donnent aux femmes une grande habi-
tude de souffrir, et l'on ne saurait nier, ce me semble, que de
nos jours elles ne vaillent, en ge? ne? ral, mieux que les hommes.
Dans une e? poque ou` le mal universel est l'e? goi? sme, les hommes,
auxquels tous les inte? re^ts positifs se rapportent, doivent avoir
moins de ge? ne? rosite? , moins de sensibilite? que les femmes; elles
ne tiennent a` la vie que par les liens du coeur, et lorsqu'elles
s'e? garent, c'est encore parunsentiment qu'elles sont entrai^ne? es:
leur personnalite? est toujours a` deux, tandis que celle de l'homme
n'a que lui-me^me pour but. On leur rend hommage par les
affections qu'elles inspirent, mais celles qu'elles accordent sont
'Phrase supprime? e par les censeurs.
1 Je n'ai pas besoin de dire i^|ue c'e? tait l'Angleterre que je voulais de? signer
par ces paroles; mais quaud les noms propres ne sont pas articule? s, la plupart
des censeurs, hommes e? claire? s, se font un plaisir de ne pas comprendre. Il
n'en est pas de me^me de la police; elle a une sorte d'instinct vraiment remar-
quable contre les ide? es libe? rales, sous quelque forme qu'elles se pre? sentent,
et, dans ce genre, elle de? piste, comme nn habile chien de chasse, tout ce
qui pourrait re? veiller dans l'esprit des Franc? ais leur ancien amour pour les
lumiu`if-s et la liberte? .
3
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 26 LES FEMMES.
presque toujours des sacrifices. La plus belle des vertus, le
de? vouement, est leur jouissance et leur destine? e; nul bonheur
ne peut exister pour elles que par le reflet de la gloire et des pros-
pe? rite? s d'un autre; enfin, vivre hors de soi-me^me, soit par les
ide? es, soit par les sentiments, soit surtout par les vertus, doune
a` l'a^me un sentiment habituel d'e? le? vation.
Dans les pays ou` les hommes sont appele? s par les institutions
politiques a` exercer toutes les vertus militaires et civiles qu'ins-
pire l'amour de la patrie , ils reprennent la supe? riorite? qui leur
appartient; ils rentrent avec e? clat dans leurs droits de mai^tre*
du monde : mais lorsqu'ils sont condamne? s de quelque manie`re
a` l'oisivete? , ou a` la servitude, ils tombent d'autant plus bas
qu'ils devaient s'e? lever plus haut. La destine? e des femmes reste
toujours la me^me, c'est leur a^me seule qui la fait, les circons-
tances politiques n'y influent en rien. Lorsque les hommes ne
savent pas, ou ne peuvent pas employer dignement et noblement
leur vie, la nature se venge sur eux des dons me^mes qu'ils en
ont rec? us; l'activite? du corps ne sert plus qu'a` la paresse de l'es-
prit, la force de l'a^me devient de la rudesse ; et le jour se passe
dans des exercices et des amusements vulgaires, les chevaux, la
chasse, les festins, qui conviendraient comme de? lassement,
mais qui abrutissent comme occupations. Pendant ce temps, les
femmes cultivent leur esprit, et le sentiment et la re^verie con-
servent dans leur a^me l'image de tout ce qui est noble et beau.
Les femmes allemandes ont un charme qui leur est tout a` fait
particulier, un son de voix touchant, des cheveux blonds, un
teint e? blouissant; elles sont modestes, mais moins timides que
les Anglaises; on voit qu'elles ont rencontre? moins souvent des
hommes qui leur fussent supe? rieurs, et qu'elles ont d'ailleurs
moins a` craindre des jugements se? ve`res du public. Elles cher-
chent a` plaire par la sensibilite? , a` inte? resser par l'imagination;
la langue de la poe? sie et des beaux-arts leur est connue; elles
font de la coquetterie avec de l'enthousiasme, comme on en fait
en France avec de l'esprit et de la plaisanterie. La loyaute? par-
faite qui distingue le caracte`re des Allemands rend l'amour
moins dangereux pour le bonheur des femmes, et peut-e^tre
s'approchent-elles de ce sentiment avec plus de confiance, parce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? LES FEMMES. ST
qu'il est reve^tu de couleurs romanesques, et que le de? dain et
l'infide? lite? y sont moins a` redouter qu'ailleurs.
L'amour est une religion en Allemagne, mais une religion
poe? tique, qui tole`re trop volontiers tout ce que la sensibilite?
peut excuser. On ne saurait le nier, la facilite? du divorce, dans
lesprovinces protestantes, porte atteinte a` la saintete? du mariage.
On y change aussi paisiblement d'e? poux que s'il s'agissait d'ar-
ranger les incidents d'un drame; le bon naturel des hommes et
des femmes fait qu'on ne me^le point d'amertume a` ces faciles
ruptures, et, comme il y a chez les Allemands plus d'imagina-
tion que de vraie passion, les e? ve? nements les plus bizarres s'y
passent avec une tranquillite? singulie`re; cependant, c'est ainsi
que les moeurs et le caracte`re perdent toute consistance; l'esprit
paradoxal e? branle les institutions les plus sacre? es, et l'on n'y a
sur aucun sujet des re`gles assez fixes.
On peut se moquer avec raison des ridicules de quelques
femmes allemandes, qui s'exaltent sans cesse jusqu'a` l'affecta-
tion, et dont les doucereuses expressions effacent tout ce que
l'esprit et le caracte`re peuvent avoir de piquant et de prononce? ;
elles ne sont pas franches, sans pourtant e^tre fausses; seule-
ment elles ne voient ni ne jugent rien avec ve? rite? , et les e? ve? ne-
ments re? els passent devant leurs yeux comme de la fantasmago-
rie. Quand il leur arrive d'e^tre le? ge`res, elles conservent encore
la teinte de sentimentalite? qui est en honneur dans leur pays.
Une femme allemande disait avec une expression me? lancolique:
<< Je ne sais a` quoi cela tient, mais les absents me passent de
? l'a^me. >> Une Franc? aise aurait exprime? cette ide? e plus gaiement,
mais le fond eu^t e? te? le me^me.
Ces ridicules, qui font exception, n'empe^chent pas que parmi
les femmes allemandes il n'y en ait beaucoup dont les senti-
ments sont vrais et les manie`res simples. Leur e? ducation soigne? e
et la purete? d'a^me qui leur est naturelle rendent l'empire qu'elles
exercent doux et soutenu; elles vous inspirent chaque jour plus
d'inte? re^t pour tout ce qui est grand et ge? ne? reux, plus de confiance
dans tous les genres d'espoir, et savent repousser l'aride ironie,
qui souffle un vent de mort sur les jouissances du coeur. Ne? an-
moins on trouve tre`s-rarement chez les Allemandes la rapidite?
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? 2g LA CHEVALERIE.
d'esprit qui anime l'entretien et met en mouvement toutes les
ide? es; ce genre de plaisir ne se rencontre gue`re que dans les
socie? te? s de Paris les plus piquantes et les plus spirituelles. Il
faut l'e? lite d'une capitale franc? aise pour donner ce rare amuse-
ment: partout ailleurs on ne trouve d'ordinaire que de l'e? lo-
quence en public, ou du charme dans l'intimite? . La conversa-
tion, comme talent, n'existe qu'en France; dans les autres
pays, elle ne sert qu'a` la politesse, a` la discussion ou a` l'amitie? :
en France, c'est un art auquel l'imagination et l'a^me sont sans
doute fort ne? cessaires, mais qui a pourtant aussi, quand on le
veut, des secrets pour supple? er a` l'absence de l'une et de l'autre.
CHAPITRE IV.
De l'influence de l'esprit de chevalerie sur l'amour et l'honneur.
sS
La chevalerie est pour les modernes ce que les temps he? roi? -
ques e? taient pour les anciens; tous les nobles souvenirs des nations europe? ennes s'y rattachent. A toutes les grandes e? po-
ques de l'histoire, les hommes ont eu pour principe universel
d'action un enthousiasme quelconque. Ceux qu'on appelait des
he? ros, dans les sie`cles les plus recule? s, avaient pour but de
civiliser la terre; les traditions confuses qui nous les repre?
sentent
comme domptant les monstres des fore^ts, font sans doute allu-
sion aux premiers pe? rils dont la socie? te? naissante e? tait mena-
ce? e , et dont les soutiens de son organisation encore nouvelle la
pre? servaient. Vint ensuite l'enthousiasme de la patrie : il inspira
tout ce qui s'est fait de grand et de beau chez les Grecs et chez
les Romains: cet enthousiasme s'affaiblit quand il n'y eut plus
de patrie, et peu de sie`cles apre`s, la chevalerie lui succe? da. La
chevalerie consistait dans la de? fense du faible, dans la loyaute?
des combats, dans le me? pris de la ruse, dans cette charite? chre? -
tienne qui cherchait a` me^ler l'humanite? me^me a` la guerre,
dans tous les sentiments enfin qui substitue`rent le culte de
l'honneur a` l'esprit fe? roce des armes. C'est dans le Nord que la
chevalerie a pris naissance, mais c'est dans le midi de la France
qu'elle s'est embellie par le charme de la poe? sie et de l'amour.
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? l. \ CHEVALERIE. 29
Les Germains avaient de tout temps respecte? les femmes, mais
ce furent les Franc? ais qui cherche`rent a` leur plaire; les Alle-
mands avaient aussi leurs chanteurs d'amour (Minnesinger), mais rien ne peut e^tre compare? a` nos trouve`res et a` nos trou-
badours; et c'e? tait peut-e^tre a` cette source que nous devions
puiser une litte? rature vraiment nationale. L'esprit de la mytho-
logie du Nord avait beaucoup plus de rapport que le paganisme
des anciens Gaulois avec le christianisme, et ne? anmoins il n'est
point de pays ou` les chre? tiens aient e? te? de plus nobles cheva-
liers, etles chevaliers de meilleurs chre? tiens qu'en France. Les croisades re? unirent les gentilshommes de tous les pays, et
firent de l'esprit de chevalerie comme une sorte de patriotisme
europe? en, qui remplissait du me^me sentiment toutes les a^mes.
Le re? gime fe? odal, cette institution politique triste et se? ve`re, mais
qui consolidait, a` quelques e? gards, l'esprit de la chevalerie, en
le transformant en lois, le re? gime fe? odal, dis-je, s'est maintenu
dans l'Allemagne jusqu'a` nos jours : il a e? te? de? truit en France
par le cardinal de Richelieu, et, depuis cette e? poque jusqu'a` la
rcvolution, les Franc? ais ont tout a` fait manque? d'une source
d'enthousiasme. Je sais qu'on dira que l'amour de leurs rois en
e? tait une; mais en supposant qu'un tel sentiment pu^t suffire a`
une nation, il tient tellement a` la personne me^me du souverain,
que pendant le re`gne du re? gent et de Louis XV, il eu^t e? te? dit-
u`'cile, je pense, qu'il fit faire rien de grand aux Franc? ais.
L'esprit de chevalerie, qui brillait encore par e? tincelles sous
Louis XIV, s'e? teignit apre`s lui, et fut remplace? , comme ledit
un historien piquant et spirituel', par l'esprit de fatuite? , qui lui
est entie`rement oppose? . Loin de prote? ger les femmes, la fatuite?
cherche a` les perdre; loin de de? daigner la ruse, elle s'en sert
contre ces e^tres faibles qu'elle s'enorgueillit de tromper, et met
la profanation dans l'amour a` la place du culte-
Lc courage me^me, qui servait jadis de garant a` la loyaute? ,
ne fut plus qu'un moyen brillant de s'en affranchir; car il n'importait pas d'e^tre vrai, mais il fallait seulement tuer en duel
celui qui aurait pre? tendu qu'on ne l'e? tait pas; et l'empire de la
socie? te? , dans le grand monde, fit disparai^tre la plupart des vet-
'4>>. tle Lacretellc.
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? 30 LA CHEVAI. ERIE.
tus de la chevalerie. La France se trouvait alors sans aucun
genre d'enthousiasme; et comme il en faut un aux nations pour
ne pas se corrompre et se dissoudre, c'est sans doute ce besoin
naturel qui tourna, de`s le milieu du dernier sie`cle, tous les
esprits vers l'amour de la liberte? .
La marche philosophique du genre humain parai^t donc devoir
se diviser en quatre e`res diffe? rentes: les temps he? roi? ques, qui
fonde`rent la civilisation; le patriotisme, qui fit la gloire de
l'antiquite? ; la chevalerie, qui fut la religion guerrie`re de l'Eu-
rope; et l'amour de la liberte? , dont l'histoire a commence? vers
l'e? poque de la re? formation.
L'Allemagne, si l'on en excepte quelques cours avides d'imi-
ter la France, ne fut point atteinte par la fatuite? , l'immoralite?
et l'incre? dulite? , qui, depuis la re? gence, avaient alte? re? le carac-
te`re naturel des Franc? ais. La fe? odalite? conservait encore chez
les Allemands des maximes de chevalerie. On s'y battait en duel,
il est vrai, moins souvent qu'en France, parce que la nation
germanique n'est pas aussi vive que lanation franc? aise, et que
toutes les classes du peuple ne participent pas, comme en
France, au sentiment de la bravoure; mais l'opinion publique
e? tait plus se? ve`re en ge? ne? ral sur tout ce qui tenait a` la probite? .
Si un homme avait manque? de quelque manie`re aux lois de la
morale, dix duels par jour ne l'auraient releve? dans l'estime de
personne. On a vu beaucoup d'hommes de bonne compagnie,
en France, qui, accuse? s d'une action condamnable, re? pondaient:
// se peut que cela soit mal, mais personne, du moins , M'u-
sera me le dire en face. Il n'y a point de propos qui suppose
une plus grande de? pravation; car ou` en serait la socie? te? hu-
maine, s'il suffisait de se tuer les uns les autres pour avoir le
droit de se faire d'ailleurs tout le mal possible ; de manquer a`
sa parole, de mentir, pourvu qu'on n'osa^t pas vous dire:
<< Vous en avez menti; >> enfin de se? parer la loyaute? de la bra-
voure , et de transformer le courage en un moyen d'impunite?
sociah?
Depuis que l'esprit chevaleresque s'e? tait e? teint en France, de-
puis qu'il n'y avait plus de Godefroi, de saint Louis, de Bayard ,
qui prote? geassent la faiblesse, et se crussent lie? s par une parole
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? LA CflE VALERIE. 31
comme par des chai^nes indissolubles, j'oserai dire, contre l'opi-
nion rec? ue, que la France a peut-e^tre e? te? , de tous les pays du
monde, celui ou` les femmes e? taient le moins heureuses par le
coeur. On appelait la France le paradis des femmes, parce qu'el-
lesy jouissaient d'une grande liberte? ; mais cette liberte? me^me
venait de la facilite? avec laquelle on se de? tachait d'elles. Le Turc
qui renferme sa femme, lui prouve au moins par la` qu'elle est
ne? cessaire a` son bonheur: l'homme a` bonnes fortunes, tel que
le dernier sie`cle nous en a fourni tant d'exemples, choisit les
femmes pour victimes de sa vanite? ; et cette vanite? ne consiste
pas seulement a` les se? duire, mais a` les abandonner. Il faut qu'il
puisse indiquer avec des paroles le? ge`res et inattaquables en elles-me^mes, que telle femme l'a aime? et qu'il ne s'en soucie plus.
<< Mon amour-propre me crie: Fais-la mourir de chagrin, >>
disait un ami du baron de Bezenval, et cet ami lui parut tre`s-
regrettable , quand une mort pre? mature? e l'empe^cha de suivre
ce beau dessein. On se lasse de tout, mon ange, e? crit M. de la
Clos, dans un roman qui fait fre? mir par les raffinements d'im-
moralite? qu'il de? ce`le. Enfin, dans ces temps ou` l'on pre? tendait
que l'amour re? gnait en France, il me semble que la galanterie
mettait les femmes, pour ainsi dire, hors la loi. Quand leur re`-
gne d'un moment e? tait passe? , il n'y avait pour elles ni ge? ne? ro-
site? , ni reconnaissance, ni me^me pitie? . L'on contrefaisait les ac-
cents de l'amour pour les faire tomberdans le pie? ge, comme le
crocodile, qui imite la voix des enfants pour attirer leurs me`res.
Louis XIV, si vante? par sa galanterie chevaleresque, ne se
montra-t-il pas le plus dur des hommes , dans sa conduite envers
la femme dont il avait e? te? le plus aime? , madame de la Vallie`re?
Les de? tails qu'on en lit dans les me? moires de Madame sont af-
freux. Il navra de douleur l'a^me infortune? e qui n'avait respire?
que pour lui, et vingt anne? es de larmes au pied de la croix, pu-
rent a` peine cicatriser les blessures que le cruel de? dain du mo-
narque avait faites. Rien n'est si barbare que la vanite? ; et comme
la socie? te?
