rise l'esprit de sagesse et de
liberte?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
En effet, nous voyons sans cesse
que les connaissances superficielles inspirent une sorte d'arro-
gance de? daigneuse, qui fait repousser comme inutile, ou dange-
reux , ou ridicule, tout ce qu'on ne sait pas. Nous voyons aussi
que ces connaissances superficielles obligent a` cacher habile-
ment ce qu'on ignore. La candeur souffre de tous ces de? fauts
d'instruction, dont on ne peut s'empe^cher d'e^tre honteux. Sa-
voir parfaitement ce qu'on sait, donne un repos a` l'esprit, qui
ressemble a` la satisfaction dela conscience. La bonne foi de
Pestalozzi, cette bonne foi porte? e dans la sphe`re de l'intelli-
gence, et qui traite avec les ide? es aussi scrupuleusement qu'a-
vec les hommes, est le principal me? rite de son e? cole; c'est par
la` qu'il rassemble autour de lui des hommes consacre? s au bien-e^tre des enfants d'une fac? on tout a` fait de? sinte? resse? e. Quand,
dans un e? tablissement public, aucun des calculs personnels
des chefs n'est satisfait, il faut chercher le mobile de cet e? ta-
blissement dans leur amour de la vertu : les jouissances qu'elle
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? DE? S INSTITUTIONS D'E? DUCATION. 95
dou ne . peuvent seules se passer de tre? sors et de pouvoir.
On n'imiterait point l'institut de Pestalozzi, en transpor-
tant ailleurs sa me? thode d'enseignement; il faut e? tablir avec elle
la perse? ve? rance dans les mai^tres, la simplicite? dans les e? coliers,
la re? gularite? dans le genre de vie, enfin surtout, les sentiments
religieux qui animent cette e? cole. Les pratiques du culte n'y
sont pas suivies avec plus d'exactitude qu'ailleurs; mais tout
s'y passe au nom de la Divinite? , au nom de ce sentiment e? leve? ,
noble et pur, qui est la religion habituelle du coeur. La ve? rite? ,
la bonte? , la confiance, l'affection, entourent les enfants; c'est
dans cette atmosphe`re qu'ils vivent, et, pour quelque temps
du moins, ils restent e? trangers a` toutes lespassoins haineuses,
a tous les pre? juge? s orgueilleux du monde. Un e? loquent philo-
sophe, Fichte, a dit qu'il attendait la re? ge? ne? ration de la na-
tion allemande de l'institut de Pestalozzi: il faut convenir au
moins qu'une re? volution fonde? e sur de pareils moyens ne serait
ni violente ni rapide; car l'e? ducation, quelque bonne qu'elle
puisse e^tre, n'est rien en comparaison de l'influence des e? ve? ne-
ments publics : l'instruction perce goutte a` goutte le rocher,
mais le torrent l'enle`ve en un jour. Il faut rendre surtout hommage a` Pestalozzi, pour le soin
qu'il a pris de mettre son institut a` la porte? e des personnes sans
fortune, en re? duisant le prix de sa pension autantqu'il e? tait pos-
sible. Il s'est constamment occupe? dela classe des pauvres, et
veut lui assurer le bienfait des lumie`res pures et de l'instruction
solide. Les ouvrages de Pestalozzi sont, sous ce rapport, une
lecture tre`s-curieuse : il a fait des romans dans lesquels les si-
tuations de la vie des gens du peuple sont peintes avec un inte? -
re^t, une ve? rite? et une moralite? parfaites. Les sentiments qu'il
exprime dans ces e? crits sont, pour ainsi dire, aussi e? le? mentaires
que les principes de sa me? thode. On est e? tonne? de pleurer pour
un mot, pour un de? tail si simple, si vulgaire me^me, que la pro-
fondeur seule des e? motions le rele`ve. Les gens du peuple sont
un e? tat interme? diaire entre les sauvages et les hommes civili-
se? s; quand ils sont vertueux, ils ont un genre d'innocence et
de bonte? qui ne peut se rencontrer dans le monde. La socie? te?
pe`se sur eux, ils luttent avec la nature, et leur confiance en
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 96 DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION.
Dieu est plus anime? e, plus constante que celle des riches. Sans
cesse menace? s par le malheur, recourant sans cesse a` la prie`re,
inquiets chaque jour, sauve? s chaque soir, les pauvres se sen-
tent sous la main imme? diate de celui qui prote? ge ce que les
hommes ont de? laisse? , et leur probite? , quandils en ont, estsingulie`rement scrupuleuse.
Je me rappelle, dans un roman de Pestalozzi, la restitution
de quelques pommes de terre par un enfant qui les avait vole? es:
sa grand'me`re mourante lui ordonne de les reporter au pro-
prie? taire du jardin ou` il les a prises, et cette sce`ne attendrit
jusqu'au fond du coeur. Ce pauvre crime, si l'on peut s'exprimer
ainsi, causant de tels remords; la solennite? de la mort, a` tra-
vers les mise`res de la vie; la vieillesse et l'enfance rapproche? es
par la voix de Dieu, qui parle e? galement a` l'une et a` l'autre,
tout cela fait mal, et bien mal : cardans nos fictions poe? tiques,
les pompes de la destine? e soulagent un peu de la pitie? que cau-
sent les revers; mais l'on croit voir dans ces romans populaires
une faible lampe e? clairer une petite cabane, et la bonte? de l'a^me
ressort au milieu de toutes les douleurs qui la mettent a` l'e? -
preuve.
L'art du dessin pouvant e^tre conside? re? sous des rapports d'u-
tilite? , l'on peut dire que, parmi les arts d'agre? ment, le seul
introduit dans l'e? cole de Pestalozzi, c'est la musique, et il faut
le louer encore de ce choix. Il y a tout un ordre de sentiments,
je dirais me^me tout un ordre de vertus, qui appartiennent a` la
connaissance, ou-du moins au gou^t dela musique; et c'est une
grande barbarie que de priver de telles impressions une portion
nombreuse de la race humaine. Les anciens pre? tendaient que
les nations avaient e? te? civilise? es par la musique, et cette alle? -
gorie a un sens tre`s-profond; car il faut toujours supposer que
le lien de la socie? te? s'est forme? par la sympathie ou par l'inte? re^t,
et certes la premie`re origine est plus noble que l'autre.
Pestalozzi n'est pas le seul, dans la Suisse allemande , qui
s'occupe avec ze`le de cultiver l'a^me du peuple ; c'est sous ce rapport que l'e? tablissement de M. de Fellemberg m'a frappe? e.
Beaucoup de gens y sont venus chercher de nouvelles lumie`res
sur l'agriculture, et l'on dit qu'a` cet e? gard ils ont e? te? satisfaits;
,-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES INSTITUTIONS D EDUCATION. 97
mais ce qui me? rite principalement l'estime des amis de l'huma-
nite? , c'est le soin que prend M. de Fellemberg de l'e? ducation
des gens du peuple; il fait instruire, selon la me? thode de Pes-
talozzi, les mai^tres d'e? cole des villages, afin qu'ils enseignent
a` leur tour les enfants ; les ouvriers qui labourent ses terres ap-
prennent la musique des psaumes, et biento^t on entendra dans
la campagne les louanges divines chante? es avec des voix simples,
mais harmonieuses, qui ce? le? breront a` la fois la nature et son
auteur. Enfin M. de Fellemberg cherche, par tous les moyens
possibles, a` former entre la classe infe? rieure et la no^tre un lien
libe? ral, un lien qui ne soit pas uniquement fonde? sur les inte? -
re^ts pe? cuniaires des riches et des pauvres.
L'exemple de l'Angleterre etdel'Atne? rique nous apprend qu'il
suffit des institutions libres pour de? velopper l'intelligence et la
sagesse du peuple; mais c'est un pas de plus que de lui donner
par dela` le ne? cessaire, en fait d'instruction. Le ne? cessaire en tout genre a quelque chose de re? voltant quand ce sont les pos-
sesseurs du superflu qui le mesurent. Ce n'est pas assez de s'oc-
cuper des gens du peuple sous un point de vue d'utilite? , il faut
aussi qu'ils participent aux jouissances de l'imagination et du
coeur. C'est dans le me^me esprit que des philanthropes tre`s-
e? claire? s se sont occupe? s de la mendicite? a` Hambourg. Ils n'ont
mis dans leurs e? tablissements de charite? , ni despotisme , ni
spe? culation e? conomique : ils ont voulu que les hommes malheu-
reux souhaitassent eux-me^mes le travail qu'on leur demande ,
autant que les bienfaits qu'on leur accorde. Comme ils ne fai-
saient point des pauvres un moyen, mais un but, ils ne leur ont
pas ordonne? l'occupation, mais ils la leur ont fait de? sirer.
Sans cesse on voit, dans les diffe? rents comptes rendus de ces
e? tablissements de charite? , qu'il importait bien plus a` leurs
fondateurs de rendre les hommes meilleurs que de les rendre
plus utiles; et c'est ce haut point de vue philosophique qui ca-
racte?
rise l'esprit de sagesse et de liberte? de cette ancienne ville
anse? a tique.
II y a beaucoup de bienfaisance dans le monde, et celui qui
n'est pas capable de servir ses semblables par le sacrifice de son
temps et de ses penchants, leur fait volontiers du bien avec de
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? 98 LA FE^TE D'INTERLAKRN.
l'argent : c'est toujours quelque chose, et nulle vertu n'est a`
de? daigner. Mais la masse conside? rable des aumo^nes particu-
lie`res n'est point sagement dirige? e dans la plupart des pays, et
l'un des services les plus e? minents que le baron de Voght et ses
excellents compatriotes aient rendus a` l'humanite? , c'est de mon-
trer que, sans nouveaux sacrifices, sans que l'E? tat intervi^nt, la
bienfaisance particulie`re suffisait au soulagement du malheur.
Ce qui s'ope`re par les individus convient singulie`rement a` l'Al-
lemagne, ou` chaque chose, prise se? pare? ment, vaut mieux que
l'ensemble.
Les entreprises charitables doivent prospe? rer dans la ville de
Hambourg; il y a tant de moralite? parmi ses habitants , que
pendant longtemps on y a paye? les impo^ts dans une espe`ce de
tronc, sans que jamais personne surveilla^t ce qu'on y portait;
ces impo^ts devaient e^tre proportionne? s a` la fortune de chacun ,
et, calcul fait, ils ont toujours e? te? scrupuleusement acquitte? s.
Ne croit-on pas raconter un trait de l'a^ge d'or, si toutefois, dans
l'a^ge d'or, il y avait des richesses prive? es et des impo^ts publics?
On ne saurait assez admirer combien, sous le rapport de l'en-
seignement comme sous celui de l'administration, la bonne foi
rend tout facile. On devrait bien lui accorder tous les honneurs
qu'obtient l'habilete? ; car en re? sultat elle s'entend mieux me^me
aux affaires de ce monde.
CHAPITRE XX.
La fe^te d'Interlaken.
Il faut attribuer au caracte`re germanique une grande partie
des vertus de la Suisse allemande. Ne? anmoins il y a plus d'es-
prit public en Suisse qu'en Allemagne, plus de patriotisme,
plus d'e? nergie, plus d'accord dans les opinions et les sentiments;
mais aussi la petitesse des E? tats et la pauvrete? du pays n'y exci-
tent en aucune manie`re le ge? nie; on y trouve bien moins de
savants et de penseurs que dans le nord de l'Allemagne, ou` le
rela^chement me^me des liens politiques donne l'essor a` toutes les
nobles re^veries, a` tous les syste`mes hardis qui ne sont point
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? LA FETE I) I \ I l. l;i,\KK\, 99
soumis a` la nature des choses. Les Suisses ne sont pas une
nation poe? tique, et l'on s'e? tonne, avec raison, que l'admirable
aspect de leur contre? e n'ait pas enflamme? davantage leur ima-
gination. Toutefois un peuple religieux et libre est toujours
susceptible d'un genre d'enthousiasme, etles occupations ma-
te? rielles de la vie ne sauraient l'e? touffer entie`rement. Si l'on en
avait pu douter, on s'en serait convaincu par la fe^te des ber-
gers, qui a e? te? ce? le? bre? e l'anne? e dernie`re au milieu des lacs, en me? moire du fondateur de Berne.
Cette ville de Berne me? rite plus que jamais le respect et l'in-
te? re^t des voyageurs: il semble que depuis ses derniers malheurs
elle ait repris toutes ses vertus avec une ardeur nouvelle, et qu'en
perdant ses tre? sors elle ait redouble? de largesses envers les infor-
tune? s. Ses e? tablissements de charite? sont peut-e^tre les mieux
soigne? s de l'Europe: l'ho^pital est l'e? difice le plus beau, le seul
magnifique de la ville. Sur la porte est e? crite cette inscription:
CHBISTO IN PAUPERIRUS, au Christ dans les pauvres. Il n'en est point de plus admirable. La religion chre? tienne ne nous a-t-elle pas dit que c'e? tait pour ceux qui souffrent que le Christ
e? tait descendu sur la terre? et qui de nous, dans quelque e? po-
que de sa vie, n'est pas un de ces pauvres en bonheur, en espe? -
rances, un de ces infortune? s, enfin, qu'on doit soulager au nom
de Dieu?
Tout, dans la ville et le canton de Berne, porte l'empreinte
d'un ordre se? rieux et calme, d'un gouvernement digne et pater-
nel. Un air de probite? se fait sentir dans chaque objet que l'on
aperc? oit; on se croit en famille au milieu de deux cent mille hom-
mes, que l'on appelle nobles, bourgeois ou paysans, mais qui
sont tous e? galement de? voue? s a` la patrie.
Pour aller a` la fe^te, il fallait s'embarquer sur l'un de ces lacs
dans lesquels les beaute? s de la nature se re? fle? chissent, et qui
semblent place? s au pied des Alpes pour en multiplier les ravis-
sants aspects. Un temps orageux nous de? robait la vue distincte
des montagnes; mais, confondues avec les nuages, elles n'en
e? taient que plus redoutables. La tempe^te grossissait, et bien qu'un
sentiment de terreur s'empara^t de mon a^me, j'aimais cette fou-
tire du ciel qui confond l'orgueil de l'homme. Nous nous repo-
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? 100 LA FETE D'INTERLAKEN.
sa^mes un moment dans une espe`ce de grotte, avant de nous
hasardera` traverser la partie du lac de Thun, qui est entoure? e
de rochers inabordables. C'est dans un lieu pareil que Guillaume
Tell sut braver les abi^mes, et s'attacher a` des e? cueils pour e? chap-
per a` ses tyrans. Nous aperc? u^mes alors dans le lointain cette
montagne qui porte le nom de Vierge (jangfntu), parce qu'au-
cun voyageur n'a jamais pu gravir jusqu'a` son sommet: elle est
moins haute que le Mont-Blanc, et cependant elle inspire plus
de respect, parce qu'on la sait inaccessible.
Nous arriva^mes a` Unterseen, et le bruit de l'Aar, qui tombe
en cascades autour de cette petite ville, disposait l'a^me a` des im-
pressions re^veuses. Les e? trangers, en grand nombre, e? taient
loge? s dans des maisons de paysans fort propres, mais rustiques.
Il e? tait assez piquant de voir se promener dans la rue d'Unterseen
dejeunes Parisiens tout a` coup transporte? s dans les valle? es dela
Suisse; ils n'entendaient plus que le bruit des torrents; ils ne
voyaient plus que des montagnes, et cherchaient si dans ces lieux
solitaires ils pourraient s'ennuyer assez pour retourner avec plus
de plaisir encore dans le monde. On a beaucoup parle? d'un air joue? par les cors des Alpes, et dont les Suisses recevaient une impression si vive qu'ils quit-
taient leurs re? giments, quand ils l'entendaient, pour retourner
dans leur patrie. On conc? oit l'effet que peut produire cet air
quand l'e? cho des montagnes le re? pe`te; mais il est fait pour re-
tentir dans l'e? loignement; de pre`s il ne cause pas une sensation
tre`s-agre? able. S'il e? tait chante? par des voix italiennes, l'imagi-
nation en serait tout a` fait enivre? e; mais peut-e^tre que ce plaisir
ferait nai^tre des ide? es e? trange`res a` la simplicite? du pays. On y
souhaiterait les arts, la poe? sie, l'amour, tandis qu'il faut pouvoir
s'y contenter du repos et de la vie champe^tre.
Le soir qui pre? ce? da la fe^te, on alluma des feux sur les monta-
gnes; c'est ainsi que jadis les libe? rateurs de la Suisse se donne`-
rent le signal de leur sainte conspiration. Ces feux, place? s sur les
sommets, ressemblaient a` la lune, lorsqu'elle se le`ve derrie`re les
montagnes, et qu'elle se montre a` la fois ardente et paisible. On
eu^t dit que des astres nouveaux venaient assister au plus touchant
spectacleque notre monde puisse encore offrir. L'un de ces si-
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? LA FE^TE B'INTERLAKEN. 101
gnaux enflamme? s semblait place? dans le ciel, d'ou` il e? clairait les
ruines du cha^teau d'Unspunnen, autrefois posse? de? par Berthold,
le fondateur de Berne, en me? moire de qui se donnait la fe^te. Des
te? ne`bres profondes environnaient ce point lumineux, etles mon-
'tagnes, qui, pendant la nuit, ressemblent a` de grands fanto^mes,
apparaissaient comme l'ombre gigantesque des morts qu'on vou-
lait ce? le? brer.
Le jour de la fe^te, le temps e? tait doux, mais ne? buleux; il
fallait que la nature re? pondi^t a` l'attendrissement de tous les
coeurs. L'enceinte choisie pour les jeux est entoure? e de collines
parseme? es d'arbres, et des montagnes a` perte de vue sont der-
rie`re ces collines. Tous les spectateurs, au nombre de pre`s de six
mille, s'assirent sur les hauteurs en pente, et les couleurs varie? es
des habillements ressemblaient dans l'e? loignement a` des fleurs
i re? pandues sur la prairie. Jamais un aspect plus riant ne put an-
noncer une fe^te; mais quand les regards s'e? levaient, des rochers
suspendus semblaient, comme la destine? e, menacer les humains
au milieu de leurs plaisirs. Cependant s'il est une joie de l'a^me
assez pure pour ne pas provoquer le sort, c'e? tait celle-la`.
Lorsque la foule des spectateurs fut re? unie, on entendit venir
de loin la procession de la fe^te, procession solennelle en effet,
puisqu'elle e? tait consacre? e au culte du passe?
que les connaissances superficielles inspirent une sorte d'arro-
gance de? daigneuse, qui fait repousser comme inutile, ou dange-
reux , ou ridicule, tout ce qu'on ne sait pas. Nous voyons aussi
que ces connaissances superficielles obligent a` cacher habile-
ment ce qu'on ignore. La candeur souffre de tous ces de? fauts
d'instruction, dont on ne peut s'empe^cher d'e^tre honteux. Sa-
voir parfaitement ce qu'on sait, donne un repos a` l'esprit, qui
ressemble a` la satisfaction dela conscience. La bonne foi de
Pestalozzi, cette bonne foi porte? e dans la sphe`re de l'intelli-
gence, et qui traite avec les ide? es aussi scrupuleusement qu'a-
vec les hommes, est le principal me? rite de son e? cole; c'est par
la` qu'il rassemble autour de lui des hommes consacre? s au bien-e^tre des enfants d'une fac? on tout a` fait de? sinte? resse? e. Quand,
dans un e? tablissement public, aucun des calculs personnels
des chefs n'est satisfait, il faut chercher le mobile de cet e? ta-
blissement dans leur amour de la vertu : les jouissances qu'elle
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE? S INSTITUTIONS D'E? DUCATION. 95
dou ne . peuvent seules se passer de tre? sors et de pouvoir.
On n'imiterait point l'institut de Pestalozzi, en transpor-
tant ailleurs sa me? thode d'enseignement; il faut e? tablir avec elle
la perse? ve? rance dans les mai^tres, la simplicite? dans les e? coliers,
la re? gularite? dans le genre de vie, enfin surtout, les sentiments
religieux qui animent cette e? cole. Les pratiques du culte n'y
sont pas suivies avec plus d'exactitude qu'ailleurs; mais tout
s'y passe au nom de la Divinite? , au nom de ce sentiment e? leve? ,
noble et pur, qui est la religion habituelle du coeur. La ve? rite? ,
la bonte? , la confiance, l'affection, entourent les enfants; c'est
dans cette atmosphe`re qu'ils vivent, et, pour quelque temps
du moins, ils restent e? trangers a` toutes lespassoins haineuses,
a tous les pre? juge? s orgueilleux du monde. Un e? loquent philo-
sophe, Fichte, a dit qu'il attendait la re? ge? ne? ration de la na-
tion allemande de l'institut de Pestalozzi: il faut convenir au
moins qu'une re? volution fonde? e sur de pareils moyens ne serait
ni violente ni rapide; car l'e? ducation, quelque bonne qu'elle
puisse e^tre, n'est rien en comparaison de l'influence des e? ve? ne-
ments publics : l'instruction perce goutte a` goutte le rocher,
mais le torrent l'enle`ve en un jour. Il faut rendre surtout hommage a` Pestalozzi, pour le soin
qu'il a pris de mettre son institut a` la porte? e des personnes sans
fortune, en re? duisant le prix de sa pension autantqu'il e? tait pos-
sible. Il s'est constamment occupe? dela classe des pauvres, et
veut lui assurer le bienfait des lumie`res pures et de l'instruction
solide. Les ouvrages de Pestalozzi sont, sous ce rapport, une
lecture tre`s-curieuse : il a fait des romans dans lesquels les si-
tuations de la vie des gens du peuple sont peintes avec un inte? -
re^t, une ve? rite? et une moralite? parfaites. Les sentiments qu'il
exprime dans ces e? crits sont, pour ainsi dire, aussi e? le? mentaires
que les principes de sa me? thode. On est e? tonne? de pleurer pour
un mot, pour un de? tail si simple, si vulgaire me^me, que la pro-
fondeur seule des e? motions le rele`ve. Les gens du peuple sont
un e? tat interme? diaire entre les sauvages et les hommes civili-
se? s; quand ils sont vertueux, ils ont un genre d'innocence et
de bonte? qui ne peut se rencontrer dans le monde. La socie? te?
pe`se sur eux, ils luttent avec la nature, et leur confiance en
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 96 DES INSTITUTIONS D'E? DUCATION.
Dieu est plus anime? e, plus constante que celle des riches. Sans
cesse menace? s par le malheur, recourant sans cesse a` la prie`re,
inquiets chaque jour, sauve? s chaque soir, les pauvres se sen-
tent sous la main imme? diate de celui qui prote? ge ce que les
hommes ont de? laisse? , et leur probite? , quandils en ont, estsingulie`rement scrupuleuse.
Je me rappelle, dans un roman de Pestalozzi, la restitution
de quelques pommes de terre par un enfant qui les avait vole? es:
sa grand'me`re mourante lui ordonne de les reporter au pro-
prie? taire du jardin ou` il les a prises, et cette sce`ne attendrit
jusqu'au fond du coeur. Ce pauvre crime, si l'on peut s'exprimer
ainsi, causant de tels remords; la solennite? de la mort, a` tra-
vers les mise`res de la vie; la vieillesse et l'enfance rapproche? es
par la voix de Dieu, qui parle e? galement a` l'une et a` l'autre,
tout cela fait mal, et bien mal : cardans nos fictions poe? tiques,
les pompes de la destine? e soulagent un peu de la pitie? que cau-
sent les revers; mais l'on croit voir dans ces romans populaires
une faible lampe e? clairer une petite cabane, et la bonte? de l'a^me
ressort au milieu de toutes les douleurs qui la mettent a` l'e? -
preuve.
L'art du dessin pouvant e^tre conside? re? sous des rapports d'u-
tilite? , l'on peut dire que, parmi les arts d'agre? ment, le seul
introduit dans l'e? cole de Pestalozzi, c'est la musique, et il faut
le louer encore de ce choix. Il y a tout un ordre de sentiments,
je dirais me^me tout un ordre de vertus, qui appartiennent a` la
connaissance, ou-du moins au gou^t dela musique; et c'est une
grande barbarie que de priver de telles impressions une portion
nombreuse de la race humaine. Les anciens pre? tendaient que
les nations avaient e? te? civilise? es par la musique, et cette alle? -
gorie a un sens tre`s-profond; car il faut toujours supposer que
le lien de la socie? te? s'est forme? par la sympathie ou par l'inte? re^t,
et certes la premie`re origine est plus noble que l'autre.
Pestalozzi n'est pas le seul, dans la Suisse allemande , qui
s'occupe avec ze`le de cultiver l'a^me du peuple ; c'est sous ce rapport que l'e? tablissement de M. de Fellemberg m'a frappe? e.
Beaucoup de gens y sont venus chercher de nouvelles lumie`res
sur l'agriculture, et l'on dit qu'a` cet e? gard ils ont e? te? satisfaits;
,-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES INSTITUTIONS D EDUCATION. 97
mais ce qui me? rite principalement l'estime des amis de l'huma-
nite? , c'est le soin que prend M. de Fellemberg de l'e? ducation
des gens du peuple; il fait instruire, selon la me? thode de Pes-
talozzi, les mai^tres d'e? cole des villages, afin qu'ils enseignent
a` leur tour les enfants ; les ouvriers qui labourent ses terres ap-
prennent la musique des psaumes, et biento^t on entendra dans
la campagne les louanges divines chante? es avec des voix simples,
mais harmonieuses, qui ce? le? breront a` la fois la nature et son
auteur. Enfin M. de Fellemberg cherche, par tous les moyens
possibles, a` former entre la classe infe? rieure et la no^tre un lien
libe? ral, un lien qui ne soit pas uniquement fonde? sur les inte? -
re^ts pe? cuniaires des riches et des pauvres.
L'exemple de l'Angleterre etdel'Atne? rique nous apprend qu'il
suffit des institutions libres pour de? velopper l'intelligence et la
sagesse du peuple; mais c'est un pas de plus que de lui donner
par dela` le ne? cessaire, en fait d'instruction. Le ne? cessaire en tout genre a quelque chose de re? voltant quand ce sont les pos-
sesseurs du superflu qui le mesurent. Ce n'est pas assez de s'oc-
cuper des gens du peuple sous un point de vue d'utilite? , il faut
aussi qu'ils participent aux jouissances de l'imagination et du
coeur. C'est dans le me^me esprit que des philanthropes tre`s-
e? claire? s se sont occupe? s de la mendicite? a` Hambourg. Ils n'ont
mis dans leurs e? tablissements de charite? , ni despotisme , ni
spe? culation e? conomique : ils ont voulu que les hommes malheu-
reux souhaitassent eux-me^mes le travail qu'on leur demande ,
autant que les bienfaits qu'on leur accorde. Comme ils ne fai-
saient point des pauvres un moyen, mais un but, ils ne leur ont
pas ordonne? l'occupation, mais ils la leur ont fait de? sirer.
Sans cesse on voit, dans les diffe? rents comptes rendus de ces
e? tablissements de charite? , qu'il importait bien plus a` leurs
fondateurs de rendre les hommes meilleurs que de les rendre
plus utiles; et c'est ce haut point de vue philosophique qui ca-
racte?
rise l'esprit de sagesse et de liberte? de cette ancienne ville
anse? a tique.
II y a beaucoup de bienfaisance dans le monde, et celui qui
n'est pas capable de servir ses semblables par le sacrifice de son
temps et de ses penchants, leur fait volontiers du bien avec de
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? 98 LA FE^TE D'INTERLAKRN.
l'argent : c'est toujours quelque chose, et nulle vertu n'est a`
de? daigner. Mais la masse conside? rable des aumo^nes particu-
lie`res n'est point sagement dirige? e dans la plupart des pays, et
l'un des services les plus e? minents que le baron de Voght et ses
excellents compatriotes aient rendus a` l'humanite? , c'est de mon-
trer que, sans nouveaux sacrifices, sans que l'E? tat intervi^nt, la
bienfaisance particulie`re suffisait au soulagement du malheur.
Ce qui s'ope`re par les individus convient singulie`rement a` l'Al-
lemagne, ou` chaque chose, prise se? pare? ment, vaut mieux que
l'ensemble.
Les entreprises charitables doivent prospe? rer dans la ville de
Hambourg; il y a tant de moralite? parmi ses habitants , que
pendant longtemps on y a paye? les impo^ts dans une espe`ce de
tronc, sans que jamais personne surveilla^t ce qu'on y portait;
ces impo^ts devaient e^tre proportionne? s a` la fortune de chacun ,
et, calcul fait, ils ont toujours e? te? scrupuleusement acquitte? s.
Ne croit-on pas raconter un trait de l'a^ge d'or, si toutefois, dans
l'a^ge d'or, il y avait des richesses prive? es et des impo^ts publics?
On ne saurait assez admirer combien, sous le rapport de l'en-
seignement comme sous celui de l'administration, la bonne foi
rend tout facile. On devrait bien lui accorder tous les honneurs
qu'obtient l'habilete? ; car en re? sultat elle s'entend mieux me^me
aux affaires de ce monde.
CHAPITRE XX.
La fe^te d'Interlaken.
Il faut attribuer au caracte`re germanique une grande partie
des vertus de la Suisse allemande. Ne? anmoins il y a plus d'es-
prit public en Suisse qu'en Allemagne, plus de patriotisme,
plus d'e? nergie, plus d'accord dans les opinions et les sentiments;
mais aussi la petitesse des E? tats et la pauvrete? du pays n'y exci-
tent en aucune manie`re le ge? nie; on y trouve bien moins de
savants et de penseurs que dans le nord de l'Allemagne, ou` le
rela^chement me^me des liens politiques donne l'essor a` toutes les
nobles re^veries, a` tous les syste`mes hardis qui ne sont point
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? LA FETE I) I \ I l. l;i,\KK\, 99
soumis a` la nature des choses. Les Suisses ne sont pas une
nation poe? tique, et l'on s'e? tonne, avec raison, que l'admirable
aspect de leur contre? e n'ait pas enflamme? davantage leur ima-
gination. Toutefois un peuple religieux et libre est toujours
susceptible d'un genre d'enthousiasme, etles occupations ma-
te? rielles de la vie ne sauraient l'e? touffer entie`rement. Si l'on en
avait pu douter, on s'en serait convaincu par la fe^te des ber-
gers, qui a e? te? ce? le? bre? e l'anne? e dernie`re au milieu des lacs, en me? moire du fondateur de Berne.
Cette ville de Berne me? rite plus que jamais le respect et l'in-
te? re^t des voyageurs: il semble que depuis ses derniers malheurs
elle ait repris toutes ses vertus avec une ardeur nouvelle, et qu'en
perdant ses tre? sors elle ait redouble? de largesses envers les infor-
tune? s. Ses e? tablissements de charite? sont peut-e^tre les mieux
soigne? s de l'Europe: l'ho^pital est l'e? difice le plus beau, le seul
magnifique de la ville. Sur la porte est e? crite cette inscription:
CHBISTO IN PAUPERIRUS, au Christ dans les pauvres. Il n'en est point de plus admirable. La religion chre? tienne ne nous a-t-elle pas dit que c'e? tait pour ceux qui souffrent que le Christ
e? tait descendu sur la terre? et qui de nous, dans quelque e? po-
que de sa vie, n'est pas un de ces pauvres en bonheur, en espe? -
rances, un de ces infortune? s, enfin, qu'on doit soulager au nom
de Dieu?
Tout, dans la ville et le canton de Berne, porte l'empreinte
d'un ordre se? rieux et calme, d'un gouvernement digne et pater-
nel. Un air de probite? se fait sentir dans chaque objet que l'on
aperc? oit; on se croit en famille au milieu de deux cent mille hom-
mes, que l'on appelle nobles, bourgeois ou paysans, mais qui
sont tous e? galement de? voue? s a` la patrie.
Pour aller a` la fe^te, il fallait s'embarquer sur l'un de ces lacs
dans lesquels les beaute? s de la nature se re? fle? chissent, et qui
semblent place? s au pied des Alpes pour en multiplier les ravis-
sants aspects. Un temps orageux nous de? robait la vue distincte
des montagnes; mais, confondues avec les nuages, elles n'en
e? taient que plus redoutables. La tempe^te grossissait, et bien qu'un
sentiment de terreur s'empara^t de mon a^me, j'aimais cette fou-
tire du ciel qui confond l'orgueil de l'homme. Nous nous repo-
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? 100 LA FETE D'INTERLAKEN.
sa^mes un moment dans une espe`ce de grotte, avant de nous
hasardera` traverser la partie du lac de Thun, qui est entoure? e
de rochers inabordables. C'est dans un lieu pareil que Guillaume
Tell sut braver les abi^mes, et s'attacher a` des e? cueils pour e? chap-
per a` ses tyrans. Nous aperc? u^mes alors dans le lointain cette
montagne qui porte le nom de Vierge (jangfntu), parce qu'au-
cun voyageur n'a jamais pu gravir jusqu'a` son sommet: elle est
moins haute que le Mont-Blanc, et cependant elle inspire plus
de respect, parce qu'on la sait inaccessible.
Nous arriva^mes a` Unterseen, et le bruit de l'Aar, qui tombe
en cascades autour de cette petite ville, disposait l'a^me a` des im-
pressions re^veuses. Les e? trangers, en grand nombre, e? taient
loge? s dans des maisons de paysans fort propres, mais rustiques.
Il e? tait assez piquant de voir se promener dans la rue d'Unterseen
dejeunes Parisiens tout a` coup transporte? s dans les valle? es dela
Suisse; ils n'entendaient plus que le bruit des torrents; ils ne
voyaient plus que des montagnes, et cherchaient si dans ces lieux
solitaires ils pourraient s'ennuyer assez pour retourner avec plus
de plaisir encore dans le monde. On a beaucoup parle? d'un air joue? par les cors des Alpes, et dont les Suisses recevaient une impression si vive qu'ils quit-
taient leurs re? giments, quand ils l'entendaient, pour retourner
dans leur patrie. On conc? oit l'effet que peut produire cet air
quand l'e? cho des montagnes le re? pe`te; mais il est fait pour re-
tentir dans l'e? loignement; de pre`s il ne cause pas une sensation
tre`s-agre? able. S'il e? tait chante? par des voix italiennes, l'imagi-
nation en serait tout a` fait enivre? e; mais peut-e^tre que ce plaisir
ferait nai^tre des ide? es e? trange`res a` la simplicite? du pays. On y
souhaiterait les arts, la poe? sie, l'amour, tandis qu'il faut pouvoir
s'y contenter du repos et de la vie champe^tre.
Le soir qui pre? ce? da la fe^te, on alluma des feux sur les monta-
gnes; c'est ainsi que jadis les libe? rateurs de la Suisse se donne`-
rent le signal de leur sainte conspiration. Ces feux, place? s sur les
sommets, ressemblaient a` la lune, lorsqu'elle se le`ve derrie`re les
montagnes, et qu'elle se montre a` la fois ardente et paisible. On
eu^t dit que des astres nouveaux venaient assister au plus touchant
spectacleque notre monde puisse encore offrir. L'un de ces si-
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? LA FE^TE B'INTERLAKEN. 101
gnaux enflamme? s semblait place? dans le ciel, d'ou` il e? clairait les
ruines du cha^teau d'Unspunnen, autrefois posse? de? par Berthold,
le fondateur de Berne, en me? moire de qui se donnait la fe^te. Des
te? ne`bres profondes environnaient ce point lumineux, etles mon-
'tagnes, qui, pendant la nuit, ressemblent a` de grands fanto^mes,
apparaissaient comme l'ombre gigantesque des morts qu'on vou-
lait ce? le? brer.
Le jour de la fe^te, le temps e? tait doux, mais ne? buleux; il
fallait que la nature re? pondi^t a` l'attendrissement de tous les
coeurs. L'enceinte choisie pour les jeux est entoure? e de collines
parseme? es d'arbres, et des montagnes a` perte de vue sont der-
rie`re ces collines. Tous les spectateurs, au nombre de pre`s de six
mille, s'assirent sur les hauteurs en pente, et les couleurs varie? es
des habillements ressemblaient dans l'e? loignement a` des fleurs
i re? pandues sur la prairie. Jamais un aspect plus riant ne put an-
noncer une fe^te; mais quand les regards s'e? levaient, des rochers
suspendus semblaient, comme la destine? e, menacer les humains
au milieu de leurs plaisirs. Cependant s'il est une joie de l'a^me
assez pure pour ne pas provoquer le sort, c'e? tait celle-la`.
Lorsque la foule des spectateurs fut re? unie, on entendit venir
de loin la procession de la fe^te, procession solennelle en effet,
puisqu'elle e? tait consacre? e au culte du passe?
