raire des
Allemands
diffe`re de toutes les autres,
en ce qu'elle n'assujettit point les e?
en ce qu'elle n'assujettit point les e?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
galement, pour la plupart, a` de?
velopper l'activite?
de l'a^me:
aussi n'est-il point de pays ou` chaque homme tire plus de parti
de lui-me^me, au moins sous le rapport des travaux intellectuels.
CHAPITRE IX.
Influence de la nouvelle philosophie allemande sur la litte? rature et les arts.
Ce que je viens dedire sur le de? veloppement de l'esprit s'ap-
plique aussi a` la litte? rature; cependant il est peut-e^tre inte? res-
sant d'ajouterquelques observations particulie`res a` ces re? flexions
ge? ne? rales.
Dans les pays ou` l'on croit que toutes les ide? es nous viennent
par les objets exte? rieurs, il est naturel d'attacher un plus grand
prix aux convenances, dont l'empire est au dehors; mais lors-
qu'au contraire on est convaincu des lois immuables del'existence
morale, la socie? te? a moins de pouvoir sur chaque homme: l'on
traite de tout avec soi-me^me; et l'essentiel, dans les productions
de la pense? e comme dans les actions de la vie, c'est de s'assurer
qu'elles partent de notre conviction intime et de nos e? motions
spontane? es.
Il y a dans le style des qualite? s qui tiennent a` la ve? rite? me^me du
sentiment, il y en a qui de? pendent de la correction grammaticale.
On aurait de la peine a` faire comprendre a` des Allemands que
la premie`re chose a` examiner dans un ouvrage, c'est la manie`re dont il est e? crit, et que l'exe? cution doit l'emporter sur la concep-
tion. La philosophie expe? rimentale estime un ouvrage surtout
par la forme inge? nieuse et lucide sous laquelle il est pre? sente? ; la
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? . NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 449
philosophie ide? aliste, au contraire, toujours attire? e vers le foyer
de l'a^me, n'admire que les e? crivains qui s'en rapprochent.
Il faut l'avouer aussi, l'habitude de creuser dans les myste`res
les plus cache? s de notre e^tre donne du penchant pour ce qu'il y
a de plus profond et quelquefois de plus obscur dans la pense? e.
Aussi les Allemands me^lent-ils trop souvent la me? taphysique a` la ?
poe? sie,
? La nouvelle philosophie inspire le besoin de s'e? lever jusqu'aux
pense? es et aux sentiments sans bornes. Cette impulsion peut e^tre
favorable au ge? nie, mais elle ne l'est qu'a` lui, et souvent elle
donne a` ceux qui n'en ont pas des pre? tentions assez ridicules. En
France,la me? diocrite? trouve tout trop fort et trop exalte? ; en
Allemagne, rien ne lui parai^ta` la hauteur de la nouvelle doctrine.
EnFrance, la me? diocrite? se moque de l'enthousiasme; en Alle-
magne, ellede? daigne un certain genre de raison. Un e? crivain n'en
saurait jamais faire assez pour convaincre les lecteurs allemands
qu'il n'est pas superficiel, qu'il s'occupe en toutes choses de l'im-
mortel et de l'infini. Mais comme les faculte? s de l'esprit ne re? -
pondent pas toujours a` de si vastes de? sirs, il arrive souvent que
des efforts gigantesques ne conduisent qu'a` des re? sultats com-
muns. Ne? anmoins cette disposition ge? ne? rale seconde l'essor de la pense? e; et il est plus facile, en litte? rature, de poser des limites
que de donner de l'e? mulation.
Legou^tque les Allemands manifestent pour legenre nai? f, et dont
j'ai de? ja` eu l'occasion de parler, semble en contradiction avec
leur penchant pour la me? taphysique, penchant qui nai^t du be-
soin de se connai^tre et de s'analyser soi-me^me; cependant c'est
aussi a` l'influence d'un syste`me qu'il faut rapporter ce gou^t pour
le nai? f; car il y a de la philosophie dans tout en Allemagne,
me^me dans l'imagination. L'un des premiers caracte`res du nai? f,
c'est d'exprimer ce qu'on sent ou ce qu'on pense, sans re? fle? chir
a` aucun re? sultat ni tendre vers aucun but; et c'est en cela qu'il
s'accorde avec la the? orie des Allemands sur la litte? rature.
Kant, en se? parant le beau de l'utile, prouve clairement qu'il
n'est point du tout dans la nature des beaux-arts de donner
des lec? ons. Sans doute tout ce qui est beau doit faire nai^tre des
sentiments ge? ne? reux, et ces sentiments excitent a` la vertu; mais 38.
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? 450 NOUVELLE PHILOSOPHIE \LI. EM\NUE.
de`s qu'on a pour objet de mettre en e? vidence un pre? cepte de mo-
rale, la libre impression que produisent les chefs-d'oeuvre de
l'art est ne? cessairement de? truite; car le but, quel qu'il soit, quand
il est connu, borne et ge^ne l'imagination. On pre? tend que
Louis XIV disait a` un pre? dicateur qui avait dirige? son sermon
contre lui: << Je veux bien me faire ma part; mais je ne veux pas
<< qu'on me la fasse. >> L'on pourrait appliquer ces paroles aux
beaux-arts en ge? ne? ral: ils doivent e? lever l'a^me, et non pas
l'endoctriner.
La nature de? ploie ses magnificences souvent sans but, souvent
avec un luxe que les partisans de l'utilite? appelleraient prodigue.
Elle semble se plaire a` donner plus d'e? clat aux fleurs, aux arbres
des fore^ts, qu'aux ve? ge? taux qui servent d'aliment a` l'homme. Si
l'utile avait le premier rang dans la nature, ne reve^tirait-elle pas
de plus de charmes les plantes nutritives que les roses, qui ne sont
que belles? Et d'ou` vient cependant que, pour parer l'autel de la
Divinite? , l'on chercherait pluto^t les inutiles fleurs que les pro-
ductions ne? cessaires? D'ou` vient que ce qui sert au maintien de
notre vie a moins de dignite? que les beaute? s sans but? C'est que le
beau nous rappelle une existence immortelle et divine, dont le
souvenir et le regret vivent a` la fois dans notre coeur.
Ce n'est certainement pas pour me? connai^tre la valeur morale
de ce qui est utile que Kant en a se? pare? le beau ; c'est pour fonder
l'admiration en tout genre sur un de? sinte? ressement absolu; c'est
pour donner aux sentiments qui rendent le vice impossible la pre? -
fe? rence sur les lec? ons qui servent a`le corriger.
Rarement les fables mythologiques des anciens ont e? te? dirige? es
dans le sens des exhortations de morale ou des exemples e? difiants,
et ce n'est pas du tout parce que les modernes valent mieux
qu'eux qu'ils cherchent souvent a` donner a` leurs fictions un re? -
sultat utile; c'est pluto^t parce qu'ils ont moins d'imagination, et
qu'ils transportent dans la litte? rature l'habitude que donnent les
affaires, de toujours tendre vers un but. Les e? ve? nements, tels
qu'ils existent dans la re? alite? , ne sont pointcalcule? s comme
une fiction dont le de? nou^ment est moral. La vie elle-me^me est
conc? ue d'une manie`re tout a` fait poe? tique : car ce n'est point d'or-
dinaire parce que le coupable est puni, et l'homme vertueux re? -
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 451
compense? , qu'elle produit sur nous une impression morale, c'est
parce qu'elle de? veloppe dans notre a^me l'indignation contre le
coupable, et l'enthousiasme pour l'homme vertueux.
Les Allemands ne conside`rent point, ainsi qu'on le fait d'or-
dinaire, l'imitation de la nature comme le principal objet de l'art;
c'estla beaute? ide? ale qui leur parai^t le principe de tous les chefs-d'oeuvre, et leur the? orie poe? tique est, a` cet e? gard, tout a` fait d'ac-
cord avecleur philosophie. L'impression qu'on rec? oit par les beaux-arts n'a pas le moindre rapport avec le plaisir que fait e? prouver
une imitation quelconque; l'homme a dans son a^me des senti-
ments inne? s que les objets re? els ne satisferont jamais, et c'est a`
ces sentiments que l'imagination des peintres et des poetes sait
donner une forme et une vie. Le premier des arts, la musique,
qu'imite-t-il? De tous les dons de la Divinite? cependant, c'est le
plus magnifique, car il semble, pour ainsi dire,superflu. Le so-
leil nous e? claire, nous respirons l'air d'un ciel serein, toutes les
beaute? s de la nature servent en quelque fac? on a` l'homme: la mu-
sique seule est d'une noble inutilite? , et c'est pour cela qu'elle
nous e? meut si profonde? ment; plus elle est loin de tout but, plus
elle se rapproche de cette source intime de nos pense? es que l'ap-
plication a` un objet quelconque resserre dans son cours. La the? orie litte?
raire des Allemands diffe`re de toutes les autres,
en ce qu'elle n'assujettit point les e? crivains a` des usages ni a` des
restrictions tyranniques. C'est une the? orie toute cre? atrice, c'est
une philosophie des beaux-arts qui, loin de les contraindre,
cherche, comme Prome? the? e, a` de? rober le feu du ciel pour en
faire don aux poe`tes. Home`re, le Dante, Shakespeare, me dira-t-on, savaient-ils rien de tout cela? ont-ils eu besoin de cette
me? taphysique pour e^tre de grands e? crivains? Sans doute la na-
ture n'a point attendu la philosophie, ce qui se re? duit a` dire que
lefait a pre? ce? de? l'observation du fait; mais, puisque nous som-
mes arrive? s a` l'e? poque des the? ories, ne faut-il pas au moins se
garder de celles qui peuvent e? touffer le talent?
Il faut avouer cependant qu'il re? sulte assez souvent quelques
inconve? nients essentiels de ces syste`mes de philosophie applique? s a` la litte? rature; les lecteurs allemands, accoutume? s a` lire Kant,
Fichte, etc. , conside`rent un moindre degre? d'obscurite? comme
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? 452 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
la clarte? me^me, et les e? crivains ne donnent pas toujours aux ou-
vrages de l'art cette lucidite? frappante qui leur est si ne? cessaire.
On peut, on doit me^me exiger une attention soutenue, quand il
s'agit d'ide? es abstraites; mais les e? motions sont involontaires.
Il ne peut e^tre question dans les jouissances des arts, ni de com-
plaisance, ni d'effort, ni de re? flexion, il s'agit la` de plaisir et non
de raisonnement; l'esprit philosophique peut re? clamer l'examen,
mais le talent poe? tique doit commander l'entrai^nement.
Les ide? es inge? nieuses qui de? rivent des the? ories font illusion sur
la ve? ritable nature du talent. On prouve spirituellement que telle
ou telle pie`ce n'a pas du^ plaire, et cependant elle plai^t, et l'on se
met alors a` me? priser ceux qui l'aiment. On prouve aussi que telle
pie`ce, compose? e d'apre`s tels principes, doit inte? resser, et cepen-
dant quand on veut qu'elle soit joue? e, quand on lui dit le`ve-toi et
marche, la pie`ce ne va pas, et il faut donc encore me? priser
ceux qui ne s'amusent point d'un ouvrage compose? selon les lois
de l'ide? al et du re? el. On a tort presque toujours quand on bla^me
le jugement du public dans les arts, car l'impression populaire
est plus philosophique encore que la philosophie me^me; et quand
les combinaisons de l'homme instruit ne s'accordent pas avec
cette impression, ce n'est point parce que ces combinaisons sont
trop profondes, mais pluto^t parce qu'elles ne le sont pas assez.
Ne? anmoins il vaut infiniment mieux, ce me semble, pour la
litte? rature d'un pays, que sa poe? tique soit fonde? e sur des ide? es
philosophiques, me^me un peu abstraites, que sur de simples re`-
gles exte? rieures; car ces re`gles ne sont que des barrie`res pour
empe^cher les enfants de tomber.
L'imitation des anciens a pris chez les Allemands une direction
tout autre que dans le reste de l'Europe. Le caracte`re conscien-
cieux dont ils ne se de? partent jamais les a conduits a` ne point me^-
ler ensemble le ge? nie moderne avec le ge? nie antique; ils traitent
a` quelques e? gards les fictions comme de la ve? rite? , car ils trou-
vent le moyen d'y porter du scrupule; ils appliquent aussi cette
me^me disposition a` la connaissance exacte et profonde des monu-
ments qui nous restent des temps passe? s. En Allemagne, l'e? tude
de l'antiquite? , comme celle des sciences et de la philosophie,
re? unit les branches divise? es de l'esprit humain.
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 453
Ileyne embrasse tout ce qui se rapporte a` la litte? rature, a` l'his-
toire et aux beaux-arts avec une e? tonnante perspicacite? . Wolf tire
des observations les plus fines, les inductions les plus hardies, et, ne se soumettant en rien a` l'autorite? , il juge par lui-me^me l'au-
thenticite? des e? crits des Grecs et leur valeur. On peut voir dans
un dernier e? crit de M. Ch. deVillers, que j'ai de? ja` nomme? avec
la haute estime qu'il me? rite, quels travaux immenses l'on publie
chaque anne? e, en Allemagne, sur les auteurs classiques. Les Al-
lemands se croient appele? s en toutes choses au ro^le de contempla-
teurs, et l'on dirait qu'ils ne sont pas de leur sie`cle, tant leurs
re? flexions et leur inte? re^t se tournent vers une autre e? poque du
monde.
Il se peut que le meilleur temps pour la poe? sie ait e? te? celui de
l'ignorance, et que la jeunesse du genre humain soit passe? e pour
toujours; cependant on croit sentir dans les e? crits des Allemands
une jeunesse nouvelle, celle qui nai^t du noble choix qu'on peut
faire apre`s avoir tout connu. L'a^ge des lumie`res a son innocence
aussi bien que l'a^ge d'or; et si dans l'enfance du genre humain
on n'en croit que son a^me, lorsqu'on atout appris, on revient a`
ne plus se confier qu'en elle.
CHAPITRE X.
Influence de la nouvelle philosophie sur les sciences.
11 n'est pas douteux que la philosophie ide? aliste ne porte au
recueillement, et que, disposantl'esprit a` se replier sur lui-me^me,
elle n'augmente sa pe? ne? tration et sa persistance dans les travaux
intellectuels. Mais cette philosophie est-elle e? galement favorable
aux sciences, qui consistent dans l'observation dela nature? C'est
a` l'examen de cette question que les re? flexions suivantes sont des-
tine? es.
On a ge? ne? ralement attribue? les progre`s des sciences, dans le
dernier sie`cle, a` la philosophie expe? rimentale; et, comme l'ob-
servation sert en effet beaucoup dans cette carrie`re, on s'est cru
d'autant plus certain d'atteindre aux ve? rite? s scientifiques, qu'on
accordait plus d'importance aux objets exte? rieurs; cependant la
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? 454 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
patrie de Keppler et de Leibnitz n'est pas a` de? daigner pour la
science. Les principales de? couvertes modernes, la poudre, l'im-
primerie, ont e? te? faites par les Allemands, et ne? anmoins la ten-
dance des esprits, en Allemagne, a toujours e? te? vers l'ide? alisme.
Bacon a compare? la philosophie spe? culative a` l'alouette qui
s'e? le`ve jusqu'aux cieux , et redescend sans rien rapporter de sa
course, et la philosophie expe? rimentale, au faucon qui s'e? le`ve
aussi haut, mais revient avec sa proie.
Peut-e^tre que de nos jours Bacon eu^t senti les inconve? nients de la philosophie purement expe? rimentale; elle a travesti la
pense? e en sensation, la morale en inte? re^t personnel, et la nature
en me? canisme, car elletendait a` rabaisser toutes choses. Les Al-
lemands ont combattu son influence dans les sciences physiques,
comme dans un ordre plus releve? , et, tout en soumettant la na-
ture a` l'observation, ils conside`rent ses phe? nome`nes en ge? ne? ral
d'une manie`re vaste et anime? e; c'est toujours une pre? somption
en faveur d'une opinion, que son empire sur l'imagination, car
tout annonce que le beau est aussi le vrai, dans la sublime con-
ception de l'univers.
La philosophie nouvelle a de? ja` exerce? sous plusieurs rapports
son influence sur les sciences physiques en Allemagne; d'abord,
le me^me esprit d'universalite? que j'ai remarque? dans les litte? ra-
teurs etles philosophes, se retrouve aussi dans les savants. Hum-
boldt raconte en observateur exact les voyages dont il a brave? les
dangers en chevalier valeureux, et ses e? crits inte? ressent e? gale-
ment les physiciens et les poetes. Schelling, Bader, Schubert, etc. ,
ont publie? des ouvrages dans lesquels les sciences sont pre? sente? es sous un point de vue qui captive la re? flexion et l'imagina-
tion: et longtemps avant que les me? taphysiciens modernes eus-
sent existe? , Keppler et Haller avaient su tout a` la fois observer
et deviner la nature.
L'attrait de la socie?
aussi n'est-il point de pays ou` chaque homme tire plus de parti
de lui-me^me, au moins sous le rapport des travaux intellectuels.
CHAPITRE IX.
Influence de la nouvelle philosophie allemande sur la litte? rature et les arts.
Ce que je viens dedire sur le de? veloppement de l'esprit s'ap-
plique aussi a` la litte? rature; cependant il est peut-e^tre inte? res-
sant d'ajouterquelques observations particulie`res a` ces re? flexions
ge? ne? rales.
Dans les pays ou` l'on croit que toutes les ide? es nous viennent
par les objets exte? rieurs, il est naturel d'attacher un plus grand
prix aux convenances, dont l'empire est au dehors; mais lors-
qu'au contraire on est convaincu des lois immuables del'existence
morale, la socie? te? a moins de pouvoir sur chaque homme: l'on
traite de tout avec soi-me^me; et l'essentiel, dans les productions
de la pense? e comme dans les actions de la vie, c'est de s'assurer
qu'elles partent de notre conviction intime et de nos e? motions
spontane? es.
Il y a dans le style des qualite? s qui tiennent a` la ve? rite? me^me du
sentiment, il y en a qui de? pendent de la correction grammaticale.
On aurait de la peine a` faire comprendre a` des Allemands que
la premie`re chose a` examiner dans un ouvrage, c'est la manie`re dont il est e? crit, et que l'exe? cution doit l'emporter sur la concep-
tion. La philosophie expe? rimentale estime un ouvrage surtout
par la forme inge? nieuse et lucide sous laquelle il est pre? sente? ; la
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? . NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 449
philosophie ide? aliste, au contraire, toujours attire? e vers le foyer
de l'a^me, n'admire que les e? crivains qui s'en rapprochent.
Il faut l'avouer aussi, l'habitude de creuser dans les myste`res
les plus cache? s de notre e^tre donne du penchant pour ce qu'il y
a de plus profond et quelquefois de plus obscur dans la pense? e.
Aussi les Allemands me^lent-ils trop souvent la me? taphysique a` la ?
poe? sie,
? La nouvelle philosophie inspire le besoin de s'e? lever jusqu'aux
pense? es et aux sentiments sans bornes. Cette impulsion peut e^tre
favorable au ge? nie, mais elle ne l'est qu'a` lui, et souvent elle
donne a` ceux qui n'en ont pas des pre? tentions assez ridicules. En
France,la me? diocrite? trouve tout trop fort et trop exalte? ; en
Allemagne, rien ne lui parai^ta` la hauteur de la nouvelle doctrine.
EnFrance, la me? diocrite? se moque de l'enthousiasme; en Alle-
magne, ellede? daigne un certain genre de raison. Un e? crivain n'en
saurait jamais faire assez pour convaincre les lecteurs allemands
qu'il n'est pas superficiel, qu'il s'occupe en toutes choses de l'im-
mortel et de l'infini. Mais comme les faculte? s de l'esprit ne re? -
pondent pas toujours a` de si vastes de? sirs, il arrive souvent que
des efforts gigantesques ne conduisent qu'a` des re? sultats com-
muns. Ne? anmoins cette disposition ge? ne? rale seconde l'essor de la pense? e; et il est plus facile, en litte? rature, de poser des limites
que de donner de l'e? mulation.
Legou^tque les Allemands manifestent pour legenre nai? f, et dont
j'ai de? ja` eu l'occasion de parler, semble en contradiction avec
leur penchant pour la me? taphysique, penchant qui nai^t du be-
soin de se connai^tre et de s'analyser soi-me^me; cependant c'est
aussi a` l'influence d'un syste`me qu'il faut rapporter ce gou^t pour
le nai? f; car il y a de la philosophie dans tout en Allemagne,
me^me dans l'imagination. L'un des premiers caracte`res du nai? f,
c'est d'exprimer ce qu'on sent ou ce qu'on pense, sans re? fle? chir
a` aucun re? sultat ni tendre vers aucun but; et c'est en cela qu'il
s'accorde avec la the? orie des Allemands sur la litte? rature.
Kant, en se? parant le beau de l'utile, prouve clairement qu'il
n'est point du tout dans la nature des beaux-arts de donner
des lec? ons. Sans doute tout ce qui est beau doit faire nai^tre des
sentiments ge? ne? reux, et ces sentiments excitent a` la vertu; mais 38.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 450 NOUVELLE PHILOSOPHIE \LI. EM\NUE.
de`s qu'on a pour objet de mettre en e? vidence un pre? cepte de mo-
rale, la libre impression que produisent les chefs-d'oeuvre de
l'art est ne? cessairement de? truite; car le but, quel qu'il soit, quand
il est connu, borne et ge^ne l'imagination. On pre? tend que
Louis XIV disait a` un pre? dicateur qui avait dirige? son sermon
contre lui: << Je veux bien me faire ma part; mais je ne veux pas
<< qu'on me la fasse. >> L'on pourrait appliquer ces paroles aux
beaux-arts en ge? ne? ral: ils doivent e? lever l'a^me, et non pas
l'endoctriner.
La nature de? ploie ses magnificences souvent sans but, souvent
avec un luxe que les partisans de l'utilite? appelleraient prodigue.
Elle semble se plaire a` donner plus d'e? clat aux fleurs, aux arbres
des fore^ts, qu'aux ve? ge? taux qui servent d'aliment a` l'homme. Si
l'utile avait le premier rang dans la nature, ne reve^tirait-elle pas
de plus de charmes les plantes nutritives que les roses, qui ne sont
que belles? Et d'ou` vient cependant que, pour parer l'autel de la
Divinite? , l'on chercherait pluto^t les inutiles fleurs que les pro-
ductions ne? cessaires? D'ou` vient que ce qui sert au maintien de
notre vie a moins de dignite? que les beaute? s sans but? C'est que le
beau nous rappelle une existence immortelle et divine, dont le
souvenir et le regret vivent a` la fois dans notre coeur.
Ce n'est certainement pas pour me? connai^tre la valeur morale
de ce qui est utile que Kant en a se? pare? le beau ; c'est pour fonder
l'admiration en tout genre sur un de? sinte? ressement absolu; c'est
pour donner aux sentiments qui rendent le vice impossible la pre? -
fe? rence sur les lec? ons qui servent a`le corriger.
Rarement les fables mythologiques des anciens ont e? te? dirige? es
dans le sens des exhortations de morale ou des exemples e? difiants,
et ce n'est pas du tout parce que les modernes valent mieux
qu'eux qu'ils cherchent souvent a` donner a` leurs fictions un re? -
sultat utile; c'est pluto^t parce qu'ils ont moins d'imagination, et
qu'ils transportent dans la litte? rature l'habitude que donnent les
affaires, de toujours tendre vers un but. Les e? ve? nements, tels
qu'ils existent dans la re? alite? , ne sont pointcalcule? s comme
une fiction dont le de? nou^ment est moral. La vie elle-me^me est
conc? ue d'une manie`re tout a` fait poe? tique : car ce n'est point d'or-
dinaire parce que le coupable est puni, et l'homme vertueux re? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 451
compense? , qu'elle produit sur nous une impression morale, c'est
parce qu'elle de? veloppe dans notre a^me l'indignation contre le
coupable, et l'enthousiasme pour l'homme vertueux.
Les Allemands ne conside`rent point, ainsi qu'on le fait d'or-
dinaire, l'imitation de la nature comme le principal objet de l'art;
c'estla beaute? ide? ale qui leur parai^t le principe de tous les chefs-d'oeuvre, et leur the? orie poe? tique est, a` cet e? gard, tout a` fait d'ac-
cord avecleur philosophie. L'impression qu'on rec? oit par les beaux-arts n'a pas le moindre rapport avec le plaisir que fait e? prouver
une imitation quelconque; l'homme a dans son a^me des senti-
ments inne? s que les objets re? els ne satisferont jamais, et c'est a`
ces sentiments que l'imagination des peintres et des poetes sait
donner une forme et une vie. Le premier des arts, la musique,
qu'imite-t-il? De tous les dons de la Divinite? cependant, c'est le
plus magnifique, car il semble, pour ainsi dire,superflu. Le so-
leil nous e? claire, nous respirons l'air d'un ciel serein, toutes les
beaute? s de la nature servent en quelque fac? on a` l'homme: la mu-
sique seule est d'une noble inutilite? , et c'est pour cela qu'elle
nous e? meut si profonde? ment; plus elle est loin de tout but, plus
elle se rapproche de cette source intime de nos pense? es que l'ap-
plication a` un objet quelconque resserre dans son cours. La the? orie litte?
raire des Allemands diffe`re de toutes les autres,
en ce qu'elle n'assujettit point les e? crivains a` des usages ni a` des
restrictions tyranniques. C'est une the? orie toute cre? atrice, c'est
une philosophie des beaux-arts qui, loin de les contraindre,
cherche, comme Prome? the? e, a` de? rober le feu du ciel pour en
faire don aux poe`tes. Home`re, le Dante, Shakespeare, me dira-t-on, savaient-ils rien de tout cela? ont-ils eu besoin de cette
me? taphysique pour e^tre de grands e? crivains? Sans doute la na-
ture n'a point attendu la philosophie, ce qui se re? duit a` dire que
lefait a pre? ce? de? l'observation du fait; mais, puisque nous som-
mes arrive? s a` l'e? poque des the? ories, ne faut-il pas au moins se
garder de celles qui peuvent e? touffer le talent?
Il faut avouer cependant qu'il re? sulte assez souvent quelques
inconve? nients essentiels de ces syste`mes de philosophie applique? s a` la litte? rature; les lecteurs allemands, accoutume? s a` lire Kant,
Fichte, etc. , conside`rent un moindre degre? d'obscurite? comme
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? 452 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
la clarte? me^me, et les e? crivains ne donnent pas toujours aux ou-
vrages de l'art cette lucidite? frappante qui leur est si ne? cessaire.
On peut, on doit me^me exiger une attention soutenue, quand il
s'agit d'ide? es abstraites; mais les e? motions sont involontaires.
Il ne peut e^tre question dans les jouissances des arts, ni de com-
plaisance, ni d'effort, ni de re? flexion, il s'agit la` de plaisir et non
de raisonnement; l'esprit philosophique peut re? clamer l'examen,
mais le talent poe? tique doit commander l'entrai^nement.
Les ide? es inge? nieuses qui de? rivent des the? ories font illusion sur
la ve? ritable nature du talent. On prouve spirituellement que telle
ou telle pie`ce n'a pas du^ plaire, et cependant elle plai^t, et l'on se
met alors a` me? priser ceux qui l'aiment. On prouve aussi que telle
pie`ce, compose? e d'apre`s tels principes, doit inte? resser, et cepen-
dant quand on veut qu'elle soit joue? e, quand on lui dit le`ve-toi et
marche, la pie`ce ne va pas, et il faut donc encore me? priser
ceux qui ne s'amusent point d'un ouvrage compose? selon les lois
de l'ide? al et du re? el. On a tort presque toujours quand on bla^me
le jugement du public dans les arts, car l'impression populaire
est plus philosophique encore que la philosophie me^me; et quand
les combinaisons de l'homme instruit ne s'accordent pas avec
cette impression, ce n'est point parce que ces combinaisons sont
trop profondes, mais pluto^t parce qu'elles ne le sont pas assez.
Ne? anmoins il vaut infiniment mieux, ce me semble, pour la
litte? rature d'un pays, que sa poe? tique soit fonde? e sur des ide? es
philosophiques, me^me un peu abstraites, que sur de simples re`-
gles exte? rieures; car ces re`gles ne sont que des barrie`res pour
empe^cher les enfants de tomber.
L'imitation des anciens a pris chez les Allemands une direction
tout autre que dans le reste de l'Europe. Le caracte`re conscien-
cieux dont ils ne se de? partent jamais les a conduits a` ne point me^-
ler ensemble le ge? nie moderne avec le ge? nie antique; ils traitent
a` quelques e? gards les fictions comme de la ve? rite? , car ils trou-
vent le moyen d'y porter du scrupule; ils appliquent aussi cette
me^me disposition a` la connaissance exacte et profonde des monu-
ments qui nous restent des temps passe? s. En Allemagne, l'e? tude
de l'antiquite? , comme celle des sciences et de la philosophie,
re? unit les branches divise? es de l'esprit humain.
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? NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE. 453
Ileyne embrasse tout ce qui se rapporte a` la litte? rature, a` l'his-
toire et aux beaux-arts avec une e? tonnante perspicacite? . Wolf tire
des observations les plus fines, les inductions les plus hardies, et, ne se soumettant en rien a` l'autorite? , il juge par lui-me^me l'au-
thenticite? des e? crits des Grecs et leur valeur. On peut voir dans
un dernier e? crit de M. Ch. deVillers, que j'ai de? ja` nomme? avec
la haute estime qu'il me? rite, quels travaux immenses l'on publie
chaque anne? e, en Allemagne, sur les auteurs classiques. Les Al-
lemands se croient appele? s en toutes choses au ro^le de contempla-
teurs, et l'on dirait qu'ils ne sont pas de leur sie`cle, tant leurs
re? flexions et leur inte? re^t se tournent vers une autre e? poque du
monde.
Il se peut que le meilleur temps pour la poe? sie ait e? te? celui de
l'ignorance, et que la jeunesse du genre humain soit passe? e pour
toujours; cependant on croit sentir dans les e? crits des Allemands
une jeunesse nouvelle, celle qui nai^t du noble choix qu'on peut
faire apre`s avoir tout connu. L'a^ge des lumie`res a son innocence
aussi bien que l'a^ge d'or; et si dans l'enfance du genre humain
on n'en croit que son a^me, lorsqu'on atout appris, on revient a`
ne plus se confier qu'en elle.
CHAPITRE X.
Influence de la nouvelle philosophie sur les sciences.
11 n'est pas douteux que la philosophie ide? aliste ne porte au
recueillement, et que, disposantl'esprit a` se replier sur lui-me^me,
elle n'augmente sa pe? ne? tration et sa persistance dans les travaux
intellectuels. Mais cette philosophie est-elle e? galement favorable
aux sciences, qui consistent dans l'observation dela nature? C'est
a` l'examen de cette question que les re? flexions suivantes sont des-
tine? es.
On a ge? ne? ralement attribue? les progre`s des sciences, dans le
dernier sie`cle, a` la philosophie expe? rimentale; et, comme l'ob-
servation sert en effet beaucoup dans cette carrie`re, on s'est cru
d'autant plus certain d'atteindre aux ve? rite? s scientifiques, qu'on
accordait plus d'importance aux objets exte? rieurs; cependant la
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? 454 NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.
patrie de Keppler et de Leibnitz n'est pas a` de? daigner pour la
science. Les principales de? couvertes modernes, la poudre, l'im-
primerie, ont e? te? faites par les Allemands, et ne? anmoins la ten-
dance des esprits, en Allemagne, a toujours e? te? vers l'ide? alisme.
Bacon a compare? la philosophie spe? culative a` l'alouette qui
s'e? le`ve jusqu'aux cieux , et redescend sans rien rapporter de sa
course, et la philosophie expe? rimentale, au faucon qui s'e? le`ve
aussi haut, mais revient avec sa proie.
Peut-e^tre que de nos jours Bacon eu^t senti les inconve? nients de la philosophie purement expe? rimentale; elle a travesti la
pense? e en sensation, la morale en inte? re^t personnel, et la nature
en me? canisme, car elletendait a` rabaisser toutes choses. Les Al-
lemands ont combattu son influence dans les sciences physiques,
comme dans un ordre plus releve? , et, tout en soumettant la na-
ture a` l'observation, ils conside`rent ses phe? nome`nes en ge? ne? ral
d'une manie`re vaste et anime? e; c'est toujours une pre? somption
en faveur d'une opinion, que son empire sur l'imagination, car
tout annonce que le beau est aussi le vrai, dans la sublime con-
ception de l'univers.
La philosophie nouvelle a de? ja` exerce? sous plusieurs rapports
son influence sur les sciences physiques en Allemagne; d'abord,
le me^me esprit d'universalite? que j'ai remarque? dans les litte? ra-
teurs etles philosophes, se retrouve aussi dans les savants. Hum-
boldt raconte en observateur exact les voyages dont il a brave? les
dangers en chevalier valeureux, et ses e? crits inte? ressent e? gale-
ment les physiciens et les poetes. Schelling, Bader, Schubert, etc. ,
ont publie? des ouvrages dans lesquels les sciences sont pre? sente? es sous un point de vue qui captive la re? flexion et l'imagina-
tion: et longtemps avant que les me? taphysiciens modernes eus-
sent existe? , Keppler et Haller avaient su tout a` la fois observer
et deviner la nature.
L'attrait de la socie?
